Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la décision de l’employeur à l’égard d’une plainte qu’elle avait présentée en vertu de la politique de l’employeur sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail - lors du renvoi du grief à l’arbitrage, la fonctionnaire s’estimant lésée a mentionné un manquement à l’obligation que la convention collective impose à l’employeur d’offrir un milieu de travail exempt de harcèlement - l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief - l’arbitre de grief a rejeté la prétention voulant que la fonctionnaire s’estimant lésée n’ait pas validement rempli la formule de grief établie par l’employeur parce qu’elle n’y aurait pas spécifiquement mentionné l’article de la convention collective qui prévoit un milieu de travail exempt de harcèlement - la fonctionnaire s’estimant s’estimant lésée n’a pas modifié la nature de son grief lorsqu’elle l’a renvoyé à l’arbitrage, puisqu’il ne contestait pas la façon dont l’employeur avait traité la plainte en vertu de la politique, mais plutôt constituait essentiellement une allégation voulant que l’employeur ait manqué à l’obligation que lui imposait la convention collective d’offrir à la fonctionnaire s’estimant lésée un milieu de travail exempt de harcèlement - de plus, en signant la formule de grief, la représentante de l’agent négociateur de la fonctionnaire s’estimant lésée a confirmé que le grief portait sur l’application ou l’interprétation de la convention collective - le recours au contrôle judiciaire pour contester la décision de l’employeur n’est pas un autre <<recours administratif de réparation>> prévu au paragraphe 208(2) de la Loi qui empêchait la fonctionnaire d’avoir recours à la procédure de grief - enfin, le défaut de la fonctionnaire s’estimant lésée de donner à la Commission canadienne des droits de la personne l’avis prévu à l’article 210 de la Loi n’empêchait pas un arbitre de grief de prendre compétence, puisque le grief ne portait que sur une allégation de violation de la convention collective. Objections rejetées. Audience appelée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-09-11
  • Dossier:  566-02-5985
  • Référence:  2013 CRTFP 109

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CATHERINE PERRON

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Perron c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michael Bendel, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Amarkai Laryea, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Zorica Guzina, avocate

Affaire entendue à Ottawa, Ontario, le 22 avril 2013;
arguments écrits déposés les 7, 21 et 25 juin 2013.

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Catherine Perron, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), une salariée à l’Agence des services frontaliers du Canada, a présenté un grief individuel le 25 novembre 2010, qui se lit comme suit:

Le présent grief a pour but de contester la décision qui a été rendue, le 26 octobre 2010, par Monsieur Pierre Sabourin, vice-président de la Direction des opérations, concernant ma plainte de harcèlement contre Monsieur William Waters.

Dans son grief, la fonctionnaire demandait les mesures correctives qui suivent :

Que l’employeur reconnaisse la situation de harcèlement qui existe et apporte les correctifs nécessaires.

Que tous les crédits de congés de maladie qui ont été utilisés à cause de la situation de harcèlement soient remboursés.

Que l’employeur accepte de dédommager toutes les pertes financières subies à cause de la situation de harcèlement et du changement d’horaire imposé à la suite de ladite plainte ainsi que toutes autres mesures qui pourraient être jugées raisonnables.

2 La fonctionnaire a rempli une formule de grief établie par le Conseil du Trésor (« l’employeur »). Lynn Smith-Doiron, une représentante de l’agent négociateur de la fonctionnaire soit, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’ « Alliance »), a signé la formule pour autoriser « […] la présentation du grief relatif à une convention collective ou à une décision arbitrale […] ».

3  N’ayant pas reçu de réponse qu’elle jugeait acceptable, la fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage le 11 octobre 2011. Patricia Harewood, une représentante de l’Alliance, a signé la formule de renvoi à l’arbitrage et y a précisé que le grief portait sur l’article 19 de la convention collective conclue entre l’employeur et l’Alliance pour l’unité de négociation du groupe Services frontaliers, et venant à échéance le 20 juin 2011 (la « convention collective »). La fonctionnaire n’avait pas mentionné l’article 19 (Élimination de la discrimination) ou d’autres dispositions de la convention collective dans son énoncé de grief. La clause 19.01 de ladite convention collective, se lit comme suit:

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

Objections à la compétence d’un arbitre de grief

4 L’audience a porté exclusivement sur la question de la compétence d’un arbitre de grief pour entendre cette affaire. L’employeur s’est opposée à sa compétence, comme il l’avait mentionné dans un avis remis quelques jours auparavant, et ce, pour plusieurs raisons.

5 D’abord, l’employeur a prétendu que le grief portait sur une question qui ne peut être renvoyée à l’arbitrage aux termes de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Dans son grief, la fonctionnaire a contesté la décision rendue par Pierre Sabourin, le 26 octobre 2010, de ne pas retenir certaines allégations de harcèlement qu’elle avait formulées. M. Sabourin aurait pris sa décision conformément à la politique de l’employeur sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail (la « politique »). L’employeur prétend qu’un grief portant sur l’application de la politique ne peut pas faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage; seuls les griefs décrits à l’article 209 de la Loi peuvent être renvoyés à l’arbitrage. L’employeur m’a renvoyé à Boudreau c. Canada (Procureur général), 2011 CF 868.

6 Deuxièmement, l’employeur a fait valoir que la convention collective n’était pas mentionnée dans l’énoncé du grief et que ce n’est qu’au moment du renvoi à l’arbitrage que la fonctionnaire a formulé une allégation de violation de l’article 19 de la convention collective. Selon l’employeur, le grief renvoyé à l’arbitrage doit être identique à celui qui a fait l’objet d’une étude pendant la procédure de règlement du grief, sinon un arbitre de grief ne peut pas l’entendre. À l’appui de ses arguments, l’employeur m’a renvoyé à Burchill c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), Chase c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 9, Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8, Canada (Procureur général) c. Assh, 2005 CF 734, et Schofield c. Canada (Procureur général), 2004 CF 622.

7 Troisièmement, l’employeur a maintenu que la fonctionnaire n’avait pas respecté les articles 66 et 67 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »), qui portent sur la formule de grief individuel, car la fonctionnaire n’a pas mentionné la convention collective dans l’énoncé du grief.

8 Quatrièmement, selon l’employeur, étant donné que le grief visait un acte présumé de harcèlement, la fonctionnaire aurait dû en donner avis à la Commission canadienne des droits de la personne, conformément aux termes de l’article 210 de la Loi et de l’article 92 du Règlement, ce qu’elle n’a pas fait.

9 Cinquièmement, toujours selon l’employeur, M. Sabourin n’avait pas encore pris de décision définitive, au moment du dépôt du grief, à l’égard de certaines des allégations formulées par la fonctionnaire dans le cadre de sa plainte en vertu de la politique. Dans sa lettre du 26 octobre 2010, M. Sabourin avait demandé d’autres informations à la fonctionnaire, à propos de l’allégation numérotée « 1 », tout en rejetant les allégations numérotées « 2, 5 et 6 »; il a accepté de revoir les allégations numérotées « 3 et 4 » après avoir reçuplus d’information. De toute évidence, il n’en était pas encore arrivé à une conclusion formelle au moment du dépôt du grief. Par conséquent, le grief serait prématuré, ce qui empêcherait un arbitre de grief de le trancher, tel qu’il ressort de Fok et Granger c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2006 CRTFP 93.

10 Enfin, l’employeur a fait valoir que la fonctionnaire aurait pu avoir recours au contrôle judiciaire pour contester la décision de M. Sabourin, comme l’a décidé la Cour fédérale dans Assh et dans Thomas c. Canada (Procureur général), 2013 CF 292. Par conséquent, l’arbitre de grief n’a pas compétence.

11 La fonctionnaire a répondu qu’un arbitre de grief avait pleine compétence pour trancher le grief en l’espèce. Il s’agit d’un grief où la fonctionnaire a allégué avoir fait l’objet de harcèlement du fait qu’elle est québécoise. Il était évident, à la suite de la lettre de M. Sabourin datée du 26 octobre 2010, laquelle était à l’origine du grief, que l’employeur avait bien compris le sens des allégations de la fonctionnaire. La fonctionnaire a fait référence à un document interne de l’Alliance, intitulé « Rapport de griefs connexes », ainsi qu’à la réponse au dernier palier de la procédure interne de règlement de grief, qui laissaient entendre que l’agent des relations de travail de l’Alliance, en représentant la fonctionnaire, s’était appuyé sur une violation de l’article 19 de la convention collective. La fonctionnaire a invoqué: Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2012 CRTFP 84; Lannigan c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 34; et Leclaire c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 82. Elle a ajouté que le défaut de donner à la Commission canadienne des droits de la personne l’avis prévu à l’article 210 de la Loi n’était qu’un simple vice de procédure qui n’avait aucune conséquence quant à la compétence d’un arbitre de grief.

12 En réplique, l’employeur m’a renvoyé à Juba c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CRTFP 71, en ce qui concerne l’obligation de donner avis à la Commission canadienne des droits de la personne.

13 À la suite de l’audience, j’ai écrit aux parties pour solliciter des arguments supplémentaires :

L’arbitre de grief constate, en relisant le dossier, qu’une représentante de l’Alliance a signé la formule de grief que Madame Perron avait remplie. La signature figure à la section 2 de la formule. Selon le libellé de cette section, le signataire « autorise la présentation de grief relatif à une convention collective ou à une décision arbitrale. » L’arbitre de grief se demande s’il peut conclure, à partir de cette signature, qu’à sa face même le grief porte sur l’interprétation ou sur l’application à l’égard de Madame Perron d’une disposition de la convention collective et ce, aux fins de sa compétence à la lumière de l’affaire Burchill.

14 La fonctionnaire a répondu que la signature de Mme Smith-Doiron a confirmé que le grief portait sur l’article 19 de la convention collective, ce que l’employeur savait déjà, d’ailleurs.

15 Selon l’employeur, la signature de Mme Smith-Doiron n’est qu’une simple affirmation que le grief portait sur la convention collective et ne détermine pas la compétence d’un arbitre de grief. L’employeur m’a renvoyé à Fok et Granger, Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459 (1re inst.), et Baranyi c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 55.

Analyse

16 Le paragraphe 208(2) et les articles 209, 210 et 241 de la Loi se lisent comme suit:

208. (2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

(3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l’application de l’alinéa (1)d), tout organisme distinct.

210. (1) La partie qui soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cadre du renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel en donne avis à la Commission canadienne des droits de la personne conformément aux règlements.

(2) La Commission canadienne des droits de la personne peut, dans le cadre de l’arbitrage, présenter ses observations relativement à la question soulevée.

241. (1) Les procédures prévues par la présente partie ne sont pas susceptibles d’invalidation pour vice de forme ou de procédure.

[…]

Quant à eux, les articles 66, 67 et 92 du Règlement prévoient ce qui suit:

66. (1) L’employeur établit une formule de grief individuel qui indique les renseignements à fournir par le fonctionnaire s’estimant lésé, notamment :

a) les nom et adresse du fonctionnaire, son numéro de téléphone, son lieu de travail, le nom de sa section ou de son unité, celui de sa direction ou division, le titre de son poste, sa classification et le nom de son employeur;

b) selon le cas :

(i) un exposé de la nature de chaque action, omission ou situation qui permettra d’établir la prétendue violation ou fausse interprétation ayant donné lieu au grief, y compris, le cas échéant, le renvoi à toute disposition pertinente d’une loi, d’un règlement, d’une convention collective, d’une décision arbitrale ou d’une directive ou autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) un exposé du prétendu fait portant atteinte à ses conditions d’emploi;

c) la date de la prétendue violation ou fausse interprétation ou du prétendu fait portant atteinte à ses conditions d’emploi;

d) les mesures correctives demandées.

(2) L’employeur soumet la formule à l’approbation de la Commission, qui l’approuve si elle demande tous les renseignements visés aux alinéas (1)a) à d) et si tout autre renseignement qu’elle demande est pertinent pour la résolution de griefs individuels.

(3) Une fois la formule approuvée, l’employeur en met des exemplaires à la disposition de ses fonctionnaires.

67. Le fonctionnaire qui souhaite présenter un grief individuel remplit la formule établie par son employeur et approuvée par la Commission, et la remet à son supérieur hiérarchique immédiat ou à son chef de service local visé au paragraphe 65(1).

92. (1) L’avis prévu aux paragraphes 210(1), 217(1) ou 222(1) de la Loi est donné à la Commission canadienne des droits de la personne selon la formule 24 de l’annexe et est accompagné d’une copie du grief en cause et de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage.

(2) La partie qui donne l’avis en envoie une copie à l’autre partie, aux intervenants, au directeur général et à toute personne ayant reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage en application de l’article 4, à moins qu’elle n’ait fait savoir par écrit au directeur général qu’elle ne souhaitait pas recevoir copie des documents déposés subséquemment.

17 Je peux écarter sommairement certaines des objections relatives à la compétence d’un arbitre de grief formulées par l’employeur.

18 D’abord, les articles 66 et 67 du Règlement, à mon avis, n’ont aucun lien avec la compétence d’un arbitre de grief. En effet, l’article 66 impose à l’employeur l’obligation d’établir une formule de grief, mais n’impose pas aux fonctionnaires l’obligation de s’en servir. Quant à l’article 67, qui prévoit que la fonctionnaire remplisse la formule de grief, je n’ai aucune raison de croire que la procédure ainsi décrite est obligatoire de sorte que tout manquement entraîne la nullité du grief. Étant donné les nombreux avertissements émis par les tribunaux supérieurs, selon lesquels les arbitres de grief doivent s’efforcer de rendre leurs décisions en tenant compte des différends sur le fond, plutôt que des vices de procédure, il est impossible de conclure qu’un arbitre de grief n’aurait pas compétence de trancher un grief pour la seule raison que la fonctionnaire n’a pas rempli la formule comme il se doit. En d’autres termes, l’article 67 n’est qu’indicatif. Les avertissements auxquels je fais référence à cet égard se trouvent notamment dans la jurisprudence suivante: Galloway Lumber Co. Ltd. v. Labour Relations Board of British Columbia, [1965] R.C.S. 222; Blouin Drywall Contractors Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 2486 (1975), 57 D.L.R. (3e) 199 (C.A. Ont.); Parry Sound (District), Conseil d'administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42. D’ailleurs, le législateur a expressément prévu à l’article 241 de la Loi qu’un vice de procédure n’invalide pas un grief (voir aussi Martel et Carroll c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 35, Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2008 CRTFP 78, Association des juristes du ministère de la Justice c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 20,et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2009 CRTFP 123).

19 Ensuite, l’employeur a fait valoir que la fonctionnaire avait déposé le grief prématurément étant donné que M. Sabourin lui avait demandé des informations supplémentaires, dans sa lettre datée du 26 octobre 2010, à l’égard de certaines allégations qu’elle avait formulées dans sa plainte en vertu de la politique. N’ayant reçu que peu d’arguments à ce sujet, je réserve ma décision sur la nature possiblement prématurée de ce grief. Il existe plusieurs possibilités que les représentants pourront débattre, le cas échéant, à la reprise de l’audience, dont celles qui suivent :

a) l’employeur a renoncé à cette objection, ne l’ayant pas soulevée dans la réponse au dernier palier de la procédure de règlement du grief;

b) le fait que le grief puisse être prématuré n’est pas une simple irrégularité pouvant faire l’objet d’une renonciation, mais plutôt une question fondamentale de compétence; ou

c) puisque la question essentielle que je dois trancher est de savoir si l’employeur a manqué à son obligation de fournir à la fonctionnaire un milieu de travail exempt de harcèlement, je ne devrais accorder aucune importance au fait que la fonctionnaire, avant de déposer son grief, n’a pas donné suite à la demande d’information de M. Sabourin.

20 Contrairement à ce qu’a prétendu l’employeur, le recours éventuel en contrôle judiciaire à la Cour fédérale n’a aucun lien avec la compétence d’un arbitre de grief. Il suffit de mentionner qu’au paragraphe 208(2) de la Loi, il est prévu qu’un fonctionnaire ne peut pas présenter un grief « si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale ». Étant donné que le recours en contrôle judiciaire n’est pas « administratif » mais judicaire, ce paragraphe ne s’applique pas. Il n’existe aucune raison valable, ni dans le droit législatif, ni dans la jurisprudence, ni dans la doctrine, de conclure qu’il existe une telle limite à l’arbitrage de griefs en vertu de la Loi, tout comme la cour fédérale l’a décidé dans Thomas, aux paragraphes 26 à 29.

21 De même, l’article 210 de la Loi, n’a aucune pertinence à l’égard de la compétence d’un arbitre de grief. Il suffit de signaler que, dans son grief, la fonctionnaire, à mon avis, n’a soulevé aucune « […] question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne […] ». Certes, la fonctionnaire a soulevé des questions auxquelles la Loi canadienne sur les droits de la personne, de même que la convention collective, s’applique, mais elle prétend uniquement que l’employeur a violé la convention collective. Dans ces conditions, elle n’est pas obligée de donner à la Commission canadienne des droits de la personne avis du renvoi de son grief à l’arbitrage.

22 Il reste à examiner les deux objections principales de l’employeur, lesquelles exigent une étude plus approfondie.

23 D’abord, l’employeur a soulevé que, dans l’énoncé du grief, la fonctionnaire a déclaré que son conflit avec l’employeur portait sur sa plainte de harcèlement. Cette plainte avait été déposée en vertu de la politique. Un différend concernant l’application de la politique, selon l’employeur, n’entre pas dans le champ de compétence d’un arbitre de grief en vertu de l’article 209 de la Loi.

24 J’ai relu attentivement la jurisprudence déposée de part et d’autre sur la question de savoir dans quelles circonstances un arbitre de grief peut conclure qu’un grief portant sur un harcèlement présumé, qui a fait l’objet d’un examen en vertu de la politique, s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 209(1)(a) de la Loi. J’ai relu notamment Boudreau, Chase et Leclaire. Je déduis de cette jurisprudence que, si un grief porte essentiellement sur le défaut de l’employeur de se conformer à la procédure établie dans la politique, un arbitre de grief n’a pas compétence pour l’instruire (voir Boudreau). Si, par contre, l’essence du grief vise le harcèlement présumé et que la convention collective interdit le harcèlement, un arbitre de grief peut entendre le grief même si on y mentionne l’application de la politique (voir Leclaire).

25 Il est évident que la fonctionnaire, dans son grief, allègue essentiellement que, après qu’elle avait présenté une plainte de harcèlement conformément à la politique, l’employeur a refusé de reconnaître qu’elle a fait l’objet de harcèlement. Dans son grief, elle a exprimé son mécontentement face à ce refus de l’employeur. L’article 19 de la convention collective prévoit que le harcèlement est interdit. Tout comme dans Leclaire, il faut conclure, dans ces circonstances, que le grief constitue essentiellement une allégation selon laquelle l’employeur a manqué à son obligation de fournir à la fonctionnaire un milieu de travail exempt de harcèlement, prévue à l’article 19 de la convention collective, ce qui satisfait aux exigences de l’alinéa 209(1)a) de la Loi.

26 L’employeur prétend que la fonctionnaire a modifié la nature de son grief en mentionnant l’article 19 de la convention collective lors du renvoi à l’arbitrage. Tel qu’il a été décidé dans Burchill, la Loi ne permet le renvoi à l’arbitrage que des questions qui ont été soulevées dans le cadre de la procédure de règlement d’un grief. J’ai déjà conclu que le grief porte essentiellement sur une allégation de violation de la convention collective. 

27 Nonobstant ce qui précède, j’ai relu scrupuleusement la jurisprudence invoquée de part et d’autre à propos de Burchill. Il est évident que la Cour d’appel fédérale continue d’interpréter le paragraphe 209(1) de la Loi de la même façon que dans Burchill; je renvoie à cet égard à Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192, et à Boudreau, où la Cour fédérale a passé en revue toute la jurisprudence. En règle générale, un arbitre de grief n’a pas compétence, en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, si le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas allégué dans son grief qu’il s’agit d’un différend concernant la convention collective. On trouve une seule exception à cette règle : si le fonctionnaire s’estimant lésé (ou son représentant) informe l’employeur, pendant la procédure applicable aux griefs, de la nature contractuelle du conflit, le grief est recevable par l’arbitre de grief en vertu de l’alinéa 209(1)a).

28 Dans le grief en l’espèce, il est question d’un élément qui n’a pas encore fait l’objet d’un examen dans le contexte de Burchill, à savoir que la formule de grief que la fonctionnaire a remplie porte la signature d’une représentante de l’Alliance, qui déclare par cette signature qu’elle autorise « la présentation du grief relatif à une convention collective ou à une décision arbitrale ». À la suite de l’audience, j’ai demandé aux représentants si je pouvais conclure, à partir de cette signature, que l’Alliance avait identifié le grief, à sa face même, comme étant un grief portant sur la convention collective, et ce, aux fins de ma compétence à la lumière de Burchill.

29 À mon avis, le grief que la fonctionnaire a renvoyé à l’arbitrage est le même qu’elle avait déposé auprès de l’employeur, à savoir un grief qui porte sur un des éléments décrits à l’alinéa 209(1)a) de la Loi. De plus, il m’est impossible de faire abstraction, à la lumière des arguments écrits des parties, de la signature de la représentante de l’Alliance sur la formule de grief. On ne peut interpréter cette signature comme étant autre chose qu’une affirmation selon laquelle il s’agit d’un grief où l’on allègue qu’il y a eu violation de la convention collective. D’ailleurs, les arguments que l’employeur a déposés à ma demande à la suite de l’audience ne mettent pas en question la validité de cette conclusion. La signature aurait été sans objet si la fonctionnaire et l’Alliance n’avaient pas cru qu’il s’agissait d’un grief tel qu’il est décrit à l’alinéa 209(1)a) de la Loi. Je conclus donc que, dans les circonstances de cette affaire, par cette signature, l’Alliance a donné acte à l’employeur de la qualité contractuelle du grief.

30 En dernière analyse, je rejette toutes les objections relatives à la compétence formulées au nom de l’employeur, sauf en ce qui concerne le caractère possiblement prématuré du grief à l’égard de certaines des allégations de harcèlement (tel qu’il est expliqué au paragraphe 19).

31 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

32 L'affaire sera mise au rôle d'audience pour traiter de la nature possiblement prématurée de grief et pour entendre le grief sur le fond, le cas échéant.

Le 11 septembre 2013.

Michael Bendel,
arbitre de grief

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