Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur avait accordé à la fonctionnaire s’estimant lésée une place de stationnement réservée sur la foi d’une note de son médecin traitant, au même tarif que pour une place non réservée - l’employeur a modifié sa politique sur le stationnement - la fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la décision d’employeur d’exiger le double du tarif pour une place de stationnement réservée, conformément à la nouvelle politique de l’employeur, parce qu’elle n’avait pas de vignette de stationnement pour personne handicapée délivrée par une autorité provinciale - selon elle, il s’agissait d’une mesure discriminatoire laquelle va à l’encontre de la Loi - l’arbitre de grief a exprimé des doutes à l’égard de la nature discriminatoire des frais de stationnement exigés - il a conclu que la fonctionnaire n’avait pas présenté de preuve suffisante de préjudice psychologique à l’appui de sa réclamation de dommages pour préjudice moral - il a aussi conclu que l’employeur n’avait pas agi de façon délibérée ou inconsidérée et que l’octroi d’une indemnité spéciale n’était pas justifié. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-10-24
  • Dossier:  566-02-5068
  • Référence:  2013 CRTFP 131

Devant un arbitre de grief


ENTRE

LINE LEBEAU

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Statistique Canada)

employeur

Répertorié
Lebeau c. Conseil du Trésor (Statistique Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michael Bendel, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Bertrand Myre, Association canadienne des employés professionnels

Pour l'employeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario), les 13 et 14 mai 2013.
Arguments écrits déposés les 6 et 28 juin et le 4 juillet 2013.

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage et résumé de la preuve

1  Line Lebeau, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), travaille à Statistique Canada. Elle a présenté un grief individuel le 9 novembre 2010, qui se lit comme suit :

Par la présente, je conteste la décision de mon Employeur de me demander de payer une prime supplémentaire pour me permettre de réserver ma place de stationnement. Je bénéficie d’une place de stationnement à [sic] raison de mon handicap léger ou pour des raisons de compassion. Je considère que la décision de Statistiques [sic] Canada de me faire payer le double du tarif mensuel à cause de mon handicap est discriminatoire et constitue une violation directe de la Loi canadienne des droits de la personne, ainsi que de l’article 16.01 de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des employés professionnels.

Mesures correctives demandées

Je demande que mon Employeur cesse cette pratique discriminatoire et me rembourse les frais supplémentaires exigés de 100 $ par mois. Je demande également une compensation financière pour les dommages causés par cette décision.

Je me réserve le droit d’ajouter d’autres mesures correctives appropriées durant le processus de règlement de grief.

2 La fonctionnaire est membre de l’unité de négociation du groupe Économique et services de sciences sociales, à laquelle s’appliquait, au moment du dépôt du grief, la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des employés professionnels signée le 11 mars 2009 (la « convention collective »). La clause 16.01 de la convention collective est libellée comme suit :

16.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire d’exercée ou d’appliquée à l’égard d’un fonctionnaire du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale et physique, son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle le fonctionnaire a été gracié.

3 Le grief porte sur le montant que la fonctionnaire, qui souffre d’une incapacité physique, a dû payer pour stationner à son lieu de travail. Il n’existe pas de conflit concernant les faits pertinents.

4 La fonctionnaire souffre de la maladie (ou du syndrome) de Raynaud, un trouble chronique de la circulation du sang dans les extrémités. Lorsqu’ils sont exposés au froid, même à une température pas très basse, les doigts et les orteils et, parfois, les autres extrémités, deviennent soudainement blancs, froids, insensibles et engourdis; le patient peut alors ressentir une vive douleur aux membres touchés. En 2005, lorsqu’elle a demandé pour la première fois une place de stationnement réservée aux personnes ayant une incapacité, la fonctionnaire a informé Staistique Canada qu’elle souffrait d’une incapacité physique, sans toutefois nommer la condition. Son médecin a signé la demande pour confirmer le degré de son incapacité. Il a écrit ce qui suit:

[Traduction]

Lorsqu’elle est exposée au froid, ne serait-ce que dans l’autobus, la patiente souffre de douleurs importantes et a de la difficulté à marcher.

5 La fonctionnaire travaille depuis 2001 au pré Tunney à Ottawa, un vaste complexe de plusieurs immeubles et de plusieurs aires de stationnement, situé au bord de la rivière des Outaouais. Pendant un certain temps, la fonctionnaire se rendait au travail en autobus, à partir de son domicile situé à Aylmer (Québec) mais elle avait souvent mal aux oreilles à cause de la température à bord de l’autobus, et ce, même en été. De plus, elle était particulièrement sensible aux vents provenant de la rivière lorsqu’elle devait se déplacer dans les aires de stationnement du pré Tunney. Après que la maladie a été diagnostiquée, en 2005, la fonctionnaire a acheté une voiture afin de se déplacer à son lieu de travail.

6 Selon la politique de Statistique Canada sur le stationnement, qui était en vigueur en 2005, il existait trois catégories de permis de stationnement pour les fonctionnaires : le stationnement général, le stationnement pour les cadres supérieurs, et le stationnement « médical/accessible ». Si un fonctionnaire désirait un permis de stationnement « médical/accessible », lui donnant droit à une place réservée à proximité de son bureau, il devait faire remplir un formulaire par son médecin pour confirmer que son état de santé répondait aux critères établis, notamment une incapacité d’utiliser les autobus urbains traditionnels et de marcher sur une distance de 175 mètres.

7 Sur la base de la demande de la fonctionnaire pour un permis de stationnement « médical/accessible, » appuyée par un certificat médical, Statistique Canada lui a accordé le permis en 2005. Les fonctionnaires détenteurs de ce permis payaient les mêmes frais de stationnement que les autres fonctionnaires.

8 En 2010, Statistique Canada a modifié sa politique sur le stationnement. On a confié l’administration du stationnement à une compagnie du secteur privé, à compter du 1er novembre 2010.

9 Statistique Canada a informé les fonctionnaires « légèrement handicapés et bénéficiant d’un stationnement de compassion », qu’il continuerait de leur réserver des places de stationnement. Toutefois, « les nouvelles procédures d’administration nécessitent que nous collections maintenant une prime supplémentaire pour vous permettre de réserver des places. » En raison de cette prime supplémentaire, le coût mensuel du stationnement passerait de 100 $ à 200 $. Statistique Canada a précisé, quelques jours après l’annonce de la nouvelle politique, que les fonctionnaires qui détenaient une vignette de stationnement pour les personnes handicapées émise par leur province, continueraient de bénéficier du tarif mensuel de 100 $.

10 La fonctionnaire n’avait pas de vignette provinciale. Elle était parmi les employés « légèrement handicapés » aux termes de la nouvelle politique. Statistique Canada lui a donné, ainsi qu’aux autres fonctionnaires de la même catégorie, le choix d’utiliser le stationnement général, à 100 $ par mois, plutôt que de conserver la place réservée. La mise en œuvre de la nouvelle politique a été reportée au 1er décembre 2010, et ce, afin de leur permettre de prendre d’autres dispositions, au besoin.

11 En raison de la distance qu’elle devait marcher à l’extérieur peu importe la température, la fonctionnaire a estimé qu’elle ne pourrait pas se passer d’une place réservée. Elle a essayé de trouver une solution de rechange, sans succès. Même si le prix supplémentaire représentait une somme substantielle pour elle, elle a conclu qu’elle n’avait pas de choix. Elle a donc décidé de conserver la place réservée, mais de déposer un grief pour contester la prime supplémentaire.

12 La fonctionnaire a témoigné que cette augmentation lui avait créé une pression financière, qui s’ajoutait aux pressions financières résultant de son divorce, de sa carrière débutée à l’âge avancé de 41 ans, de la mort de son ex-conjoint, de la décision d’héberger son fils adulte, et de l’achat récent d’un condominium. Elle a expliqué que sa situation financière était déjà fragile avant l’augmentation du prix de stationnement.

13 En plus de l’impact financier de l’augmentation, la fonctionnaire a eu la vive impression que la décision de Statistique Canada signifiait que cette dernière ne la considérait pas aussi valable que les autres fonctionnaires. Elle s’est sentie humiliée. Son estime de soi a été affectée. Elle a souffert d’insomnie et d’un état dépressif à cause de cette situation.

14 La fonctionnaire a ajouté qu’elle avait trouvé que la réponse à son grief au troisième palier était insensible et incompréhensible. L’employeur a indiqué dans la réponse que « [p]ayer les frais administratifs de tous les employés dans votre situation coûterait chaque année 650 000 $ » à Statistique Canada, ce que Statistique Canada ne pourrait pas faire « sans prendre l’argent d’enquêtes ou de programmes existants ». Selon la fonctionnaire, L’employeur a essayé de la culpabiliser pour la réduction des programmes et la perte de postes en raison de sa demande qu’il mette fin à sa pratique discriminatoire. De plus, selon elle, le montant de 650 000 $ mentionné dans la réponse était incompréhensible et inconcevable.

15 Peter Morrison, statisticien en chef adjoint, a expliqué, lors de son témoignage, que la politique de Statistique Canada sur le stationnement adoptée en 2010 avait suivi la décision de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (« TPSGC ») en faveur de la privatisation du stationnement dans l’administration fédérale. C’est TPSGC qui avait décidé que le prix mensuel pour la fonctionnaire, et pour les autres employés de la même catégorie, monterait à 200 $. M. Morrison en a discuté avec le sous-ministre de TPSGC, mais il n’a pas réussi à faire modifier la décision de ce dernier. Selon M. Morrison, TPSGC a justifié l’augmentation en invoquant le besoin de surveiller les détenteurs de permis et de tenir à jour l’information relative à ces derniers. Il a ajouté que Statistique Canada avait eu des doutes au sujet du bien-fondé de certains permis de stationnement « médical/accessible » pour les employés qui n’avaient pas une vignette provinciale, ainsi qu’au sujet de l’interprétation de leurs certificats médicaux.

16 M. Morrison a expliqué que Statistique Canada devait payer à TPSGC une prime supplémentaire mensuelle de 100 $ pour chaque place de stationnement réservée. Étant donné les restrictions budgétaires, ces coûts ne pouvaient être absorbés.

17 M. Morrison, qui a répondu au grief au troisième palier au nom de L’employeur, ne se rappelait pas sur quelle base on avait estimé qu’il coûterait, chaque année, 650 000 $ à Statistique Canada pour absorber la prime supplémentaire de tous les employés dans la même situation que la fonctionnaire.

18 En novembre 2012, après le dépôt du grief, Statistique Canada a décidé d’offrir à la fonctionnaire et aux autres employés de la même catégorie, une place de stationnement réservée au même prix que pour le stationnement général, et ce, à compter du 1er décembre 2012. Selon M. Morrison, comme la demande pour les places de stationnement réservées avait baissé, Statistique Canada pouvait se permettre de subventionner le stationnement de ces employés. À la suite de la modification de la politique, Statistique Canada a décidé de rembourser à la fonctionnaire le montant de la prime supplémentaire qu’elle avait dû payer, à savoir 2 460 $, qu’elle a reçu en avril 2013. M. Morrison ne pouvait pas expliquer pourquoi la fonctionnaire n’avait reçu son remboursement qu’en avril 2013.

Dispositions légales

19 Les parties ont invoqué les dispositions suivantes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. (2003), ch. 22, art. 2, la « LRTFP » ):

226. (1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut :

[…]

h) rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

i) dans le cas du grief portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire, adjuger des intérêts au taux et pour la période qu’il estime justifiés;

[…]

20 Elles ont également fait état des dispositions suivantes de la Loi canadienne des droits de la personne, L.R.C. (1985) ch. H-6, (la « LCDP ») :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

53. (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

Résumé de l’argumentation

21 La fonctionnaire a fait valoir que l’augmentation du prix de sa place de stationnement réservée constituait un acte discriminatoire. Elle a été désavantagée ou défavorisée à cause de sa condition médicale. Subsidiairement, on peut considérer qu’elle nécessitait une mesure d’adaptation, puisqu’elle était atteinte d’une incapacité, à savoir la maladie de Raynaud. En lui demandant de payer le double de ce que payaient les détenteurs d’un permis de stationnement général, l’employeur s’est rendu coupable de discrimination, ce qui contrevient à la LCDP, ainsi qu’à la clause 16.01 de la convention collective. La mesure d’adaptation qui s’imposait, à savoir la réduction du prix de stationnement pour la fonctionnaire, ne constituait pas une contrainte excessive. La fonctionnaire a invoqué les décisions de la Cour suprême du Canada dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 et dans Battlefords and District Co-operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566.

22 La fonctionnaire a fait valoir que le remboursement de la prime supplémentaire n’avait été fait qu’en avril 2013, soit cinq mois après la modification de la politique, et ce, malgré de nombreux rappels. D’après elle, il s’agit d’une attitude insouciante et inconsidérée de la part de Statistique Canada.

23 Elle a fait valoir qu’en vertu de l’alinéa 226(1)h) de la LRTFP,l’arbitre de grief peut rendre l’ordonnance prévue à l’article 53(2)e) de la LCDP, qui porte sur les dommages pour préjudice moral. La fonctionnaire aurait subi d’importantes répercussions au niveau physiologique et psychologique qu’on peut attribuer à la discrimination à son égard par Statistique Canada. Les propos insensibles tenus par M. Morrison, dans sa réponse au grief, auraient ajouté au préjudice subi par la fonctionnaire. L’arbitre de grief devrait ordonner le paiement de 15 000 $ à la fonctionnaire pour préjudice moral. La fonctionnaire a invoqué Cyr c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 35, Lloyd c. Agence du Revenu du Canada, 2009 CRTFP 15, et Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) et Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 110, à l’appui de cette demande. Selon la fonctionnaire, Statistique Canada aurait dû, tout au moins, s’informer de sa condition médicale avant de rejeter son grief.

24 De plus, l’arbitre de grief devrait accorder à la fonctionnaire un montant de 20 000 $ à titre d’indemnité spéciale, tel qu’il est prévu au paragraphe 53(3) de la LCDP, étant donné que Statistique Canada a agi de façon délibérée et inconsidérée, en plus des intérêts sur la somme remboursée en avril 2013.

25 L’employeur a répondu que la politique de Statistique Canada sur le stationnement n’était pas discriminatoire. Subsidiairement, il a fait valoir que le paiement de la somme de 2 460 $ en avril 2013 constituait une mesure corrective adéquate. Rien ne justifie une réparation pour préjudice moral ou le paiement d’une indemnité spéciale, prévue au paragraphe 53(3) de la LCDP, pas plus que le versement des intérêts.

26 Selon l’employeur, pour que l’arbitre de grief conclue qu’il y a eu discrimination, la fonctionnaire doit prouver un lien entre son appartenance à un groupe protégé et l’effet préjudiciable, comme l’a décidé la juge Abella dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, au paragraphe 48. L’incapacité médicale de la fonctionnaire n’était pas un facteur dans la prise de décision de Statistique Canada ou dans l’effet préjudiciable de la décision. L’arbitre de grief devrait donc conclure qu’il n’y a pas eu de discrimination à l’égard de la fonctionnaire.

27 L’employeur a fait valoir que même s’il y avait eu discrimination, le remboursement des frais de stationnement, qui se sont élevés à 2 460 $, constitue une mesure de réparation appropriée. La preuve présentée ne justifie pas l’octroi de dommages moraux. En particulier, la preuve n’a pas établi que la fonctionnaire avait perdu de la jouissance de la vie en raison des agissements de Statistique Canada. Si elle a subi un stress financier en raison de la prime supplémentaire, c’est parce que sa situation financière était déjà précaire, ce dont l’employeur ne peut être tenu responsable. Quant à son sentiment d’humiliation et de perte d’estime de soi, le témoignage de la fonctionnaire à ce sujet portait surtout sur sa réaction à la réponse au grief au troisième palier, réaction qui était déraisonnable et sans fondement. De plus, la fonctionnaire n’a présenté aucune preuve, hormis son propre témoignage, qu’elle a souffert d’un manque de confiance ou d’estime de soi, de stress, etc., en raison de l’augmentation du prix de son stationnement. La jurisprudence qu’elle a invoquée, à savoir, Cyr, Lloyd, et Stringer, se distingue facilement du présent cas, en raison de la qualité du comportement de Statistique Canada.

28 Quant à l’indemnité spéciale que réclame la fonctionnaire en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP, l’employeur a soutenu que l’arbitre de grief ne pouvait l’octroyer que si la conduite de Statistique Canada était délibérée ou inconsidérée, ce que la preuve n’a pas révélé. L’employeur s’est appuyé sur Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218.

29 Enfin, l’employeur a soumis que l’arbitre de grief n’avait pas compétence pour ordonner le versement d’intérêts dans ce dossier, tout comme la Cour d’appel fédérale l’a expliqué dans Nantel c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 351, où la Cour a fondé sa décision sur l’alinéa 226(1)i) de la LRTFP.

30 En plus de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, l’employeur s’est appuyé sur Simpsons-Sears; Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396; Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 SCC 61; Canada (Procureur général) c. Tipple, 2011 CF 762 (appel accueilli en partie: 2012 CAF 158); Robitaille; Grierson‑Heffernan c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 30; Currie c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 10; Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no. 818 (QL) (C.A.); Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Burles c. City Cabs (1993) Ltd. (No.1), 2008 NWTHRAP 10 (CanLII); Burles c. City Cabs (1993) Ltd. (No.2), 2009 NWTHRAP 1 (CanLII); Lavoie c. Canada (Conseil du Trésor), 2008 TCDP 27.

31 La fonctionnaire a répliqué que son témoignage au sujet de l’impact qu’a eu le paiement de la prime supplémentaire sur son état financier constituait une preuve solide et directe que l’arbitre de grief devrait accepter. Selon elle, le montant réclamé à titre de préjudice moral est comparable au règlement entériné dans Burles c. City Cabs (1993) Ltd. (No.1), 2008 NWTHRAP 10 (CanLII), ce qui démontre la qualité raisonnable de la demande. Enfin, la fonctionnaire a fait valoir que l’arbitre de grief était autorisé à ordonner le versement d’intérêts étant donné qu’aux termes de l’alinéa 226(1)g) de la LRTFP, il a les mêmes pouvoirs en la matière que le Tribunal canadien des droits de la personne, ce qui inclut le pouvoir d’ordonner des intérêts en vertu du paragraphe 53(4) de la LCDP.

Motifs

32 Aux termes de l’article 7 de la LCDP, « le fait […] de […] défavoriser [une personne] en cours d’emploi » constitue un acte discriminatoire.

33 Pour deux raisons, je doute de la nature discriminatoire de la politique de Statistique Canada sur le stationnement. Si je soulève des doutes plutôt que de me prononcer formellement sur ces questions, c’est parce que les parties ne les ont guère abordées dans les plaidoiries.

34 Premièrement, je constate que Statistique Canada n’a augmenté le prix d’une place de stationnement réservée que pour les fonctionnaires handicapés qui ne détenaient pas la vignette provinciale. On peut donc conclure qu’il a choisi d’accepter la même définition que les provinces sur la catégorisation des personnes handicapées aux fins de stationnement prioritaire, et de s’en remettre à la décision des provinces sur les cas particuliers. Dans ces conditions, s’attaquer à la décision de Statistique Canada équivaut à s’attaquer aux régimes provinciaux concernant le stationnement prioritaire. Il me semble parfaitement raisonnable d’avoir décidé d’adopter les critères et l’administration des provinces plutôt que d’établir ses propres critères. Comment peut-on critiquer Statistique Canada d’avoir fait la même distinction à cet égard que les autorités provinciales? Quoi qu’il en soit, on ne peut pas qualifier sa décision d’arbitraire.

35 Deuxièmement, la fonctionnaire n’a pas indiqué lors de son témoignage si elle avait demandé une vignette provinciale. Devant la décision de Statistique Canada de tirer parti des régimes provinciaux, le recours le plus simple et le plus direct pour la fonctionnaire, il me semble, aurait été d’obtenir une vignette; soit un geste plus facile et plus direct que d’entrer dans un conflit prolongé avec Statistique Canada, de présenter un grief et de le porter à l’arbitrage. Bien qu’il n’y ait pas eu de preuve à ce sujet, il paraîtrait qu’on peut obtenir une vignette en remplissant un formulaire et en envoyant ce formulaire accompagné d’une lettre de son médecin. Si je soulève cette question, c’est parce qu’on peut considérer la nouvelle politique de Statistique Canada sur le stationnement, non pas comme un acte discriminatoire, mais comme une invitation à la fonctionnaire, et aux autres personnes de la même catégorie, d’obtenir une vignette provinciale comme condition pour conserver une place réservée au même prix qu’avant. Le fait de demander aux fonctionnaires de remplir un formulaire en vue d’éviter une prime mensuelle de 100 $ n’est pas un acte discriminatoire.

36 Je mets de côté ces doutes.

37 Le conflit principal entre les parties porte sur la réparation pour préjudice moral et sur l’indemnité spéciale qu’a réclamées la fonctionnaire.

38 Même si Statistique Canada a violé la convention collective et la LCDP en imposant à la fonctionnaire une prime supplémentaire comme condition afin de conserver sa place réservée (ce dont je doute), il est impossible de conclure qu’elle aurait droit à l’octroi de dommages moraux. Dans Canada (Procureur général) c. Tipple, 2011 CF 762 (appel accueilli sur d’autres questions: 2012 CAF 158), la Cour fédérale a exprimé l’opinion que l’arbitre de grief ne devrait pas octroyer une réparation pour un préjudice psychologique en l’absence d’une preuve d’un tel préjudice fournie, de préférence, par un professionnel de la santé. Qui plus est, la preuve devrait indiquer que le préjudice est important et durable. Voici ce que le juge Zinn a écrit au paragraphe 60 :

[60] […] Deuxièmement, M. Tipple ne présente aucune preuve, hormis son propre témoignage, du fait qu'il a souffert d'un manque de confiance, d'un préjudice moral, d'un manque d'estime de soi, d'humiliation, de stress, d'anxiété et d'un sentiment de trahison. Plus précisément, il n'existe pas de preuve que M. Tipple a dû recevoir des traitements médicaux ou qu'il a reçu un diagnostic psychologique causé par la conduite de l'employeur lors de la cessation d'emploi, la seule preuve étant qu'il avait été licencié. Troisièmement, contrairement aux faits dans Zesta Engineering, la décision n'indique aucunement que le préjudice psychologique subi par M. Tipple était important et durable, et qu'il en souffrait toujours. […]

39 La fonctionnaire a décrit, lors de son témoignage, les sentiments qu’elle a éprouvés en raison de l’acte discriminatoire de Statistique Canada, mais elle n’a pas indiqué avoir dû consulter un professionnel de la santé à ce sujet. Elle n’a présenté aucune preuve de ce préjudice moral autre que son propre témoignage. Elle n’a pas mentionné, non plus, qu’elle continuait d’en souffrir.

40 Il reste à examiner la réclamation pour une indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP. Avant d’octroyer cette indemnité, l’arbitre de grief doit aboutir à « la conclusion que l’acte [discriminatoire] a été délibéré ou inconsidéré. »

41 Il m’est impossible de conclure que la fonctionnaire a droit à cette indemnité. Même si la nouvelle politique n’était pas conforme à la LCDP, ce dont je doute fort, Statistique Canada n’a pas agi de façon inconsidérée ou déraisonnable, à mon avis, en décidant de tirer parti des régimes provinciaux sur le stationnement prioritaire. Elle n’a pas pris sa décision avec malveillance ou sans considérer les conséquences pour les fonctionnaires.

42 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

43 Le grief est rejeté.

Le 24 octobre 2013.

Michael Bendel,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.