Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que le défendeur avait violé le paragraphe 106b) de la Loi en prétendant consentir à une décision définitive et sans appel conformément à l’article 182 de la Loi tout en imposant des conditions qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre que la plaignante accepte - les parties en étaient arrivées à une impasse dans leurs négociations collectives et les membres de la plaignante avaient entrepris des mesures de grève - la plaignante a écrit au défendeur pour lui proposer que les parties aient recours à l’arbitrage exécutoire conformément au paragraphe 182(1) de la Loi - le défendeur a répondu en acceptant l’offre, sous réserve de certaines conditions, notamment en ce qui a trait à l’utilisation de comparaisons internes et à des questions de recrutement et de rétention - la formation de la Commission a conclu que le processus dont il est question au paragraphe 182(1) de la Loi devait être utilisé à titre d’outil lors du processus de négociation et n’était pas indépendant de ce processus - par conséquent, l’obligation législative de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective s’appliquait - une fois que le défendeur s’est engagé dans des négociations portant sur les conditions dans le cadre desquelles la décision devait être rendue, il avait alors l’obligation de négocier ces conditions de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective - par ses actes, le défendeur a manqué à cette obligation - le défendeur savait ou aurait dû savoir que la plaignante ne pouvait accepter ces conditions car celles-ci auraient empêché la plaignante de faire valoir au décideur ses arguments au soutien de ses revendications et que le résultat aurait ainsi été prédéterminé - cela était déraisonnable et en contravention de l’article 106 de la Loi - ledéfendeur est allé au-delà de ce qui constituait une négociation serrée, s’engageant plutôt dans une négociation de façade - ledéfendeur s’est ainsi livré à une négociation de mauvaise foi - la formation de la Commission a émis une déclaration de violation, mais a rejeté la demande de la plaignante d’ordonner aux parties de participer à un règlement définitif et sans appel conformément aux dispositions législatives - ce ne serait pas favorable aux bonnes relations de travail que d’ordonner aux parties d’y participer, puisque l’adhésion à un tel arbitrage est volontaire. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-09-13
  • Dossier:  561-02-638
  • Référence:  2013 CRTFP 110

Devant une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique


ENTRE

ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES AGENTS DU SERVICE EXTÉRIEUR

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

Répertorié
Association professionnelle des agents du Service extérieur c. Conseil du Trésor

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour la plaignante:
Andrew Raven et Morgan Rowe, avocats

Pour le défendeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 21 août 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 La plaignante, l’Association professionnelle des agents du Service extérieur (APASE), allègue que le défendeur, le Conseil du Trésor, a violé l’alinéa 106b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi ») en prétendant consentir à un règlement définitif et sans appel conformément à l’article 182 de la Loi tout en posant des conditions qu’il aurait été déraisonnable d’accepter de la part de la plaignante.

II. Résumé de la preuve

2 Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits (pièce 1), reproduit ci-après :

[Traduction]

1. La plaignante, l’Association professionnelle des agents du Service extérieur (« APASE »), est l’agent négociateur accrédité de l’unité de négociation composée de tous les agents du service extérieur (FS). Les quelque 1 388 agents du service extérieur travaillent au sein des trois principaux ministères suivants : Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada (1 006 fonctionnaires FS, soit plus de 70 % des membres de l’unité de négociation); Citoyenneté et Immigration Canada, (324 fonctionnaires FS, soit 24 % des membres de l’unité de négociation); l’Agence des services frontaliers du Canada  (44 fonctionnaires FS, soit 3,5 % des membres de l’unité de négociation).

2. L’unité de négociation du groupe FS regroupe les postes dont les responsabilités principales se rattachent à l’une ou à plusieurs des activités suivantes :

  1. Politique en matière de relations et d’échanges commerciaux et économiques – planification, élaboration, réalisation ou gestion de politiques, de programmes, de services ou d’activités axés sur les relations économiques ou commerciales du Canada avec les autres pays, y compris le développement, la promotion ou le renforcement des intérêts économiques ou commerciaux du Canada dans des forums bilatéraux ou multilatéraux;
  2. Relations politiques et économiques – planification, élaboration, réalisation ou gestion de politiques, de programmes, de services ou d’autres activités axés sur les relations politiques du Canada avec d’autres pays;
  3. Immigration – exécution ou gestion des politiques, programmes, services et autres activités à l’appui du programme d’immigration du Canada à l’étranger.

3. Le groupe FS comprend également 31 postes au sein de la Direction générale du droit commercial. Les membres responsables des questions juridiques assurent la prestation de conseils juridiques au gouvernement fédéral sur les obligations et les droits internationaux du Canada,  l’interprétation et l’application d’obligations légales internationales; négociation de diverses ententes, traités et conventions bilatéraux et multilatéraux, et la défense de la position du Canada relativement à ces obligations et ententes, y compris le règlement de différends.

4. La convention collective entre la plaignante et le défendeur est venue à échéance le 30 juin 2011. La plaignante a signifié un avis de négocier au défendeur le 21 juin 2011. Les négociations se sont déroulées jusqu’au 17 janvier 2012, étant alors arrivées à une impasse. Une commission de l’intérêt public (« CIP ») a été constituée; la CIP a communiqué son rapport le 22 octobre 2012. Ce rapport a été rejeté tant par la plaignante que par le défendeur; une copie du mémoire respectif des parties à la CIP et du rapport de celle-ci sera déposée de consentement auprès de la Commission lors de l’audience. Les parties n’ont pas été en mesure par la suite de conclure une convention collective.

5. La plaignante a tenu un vote de grève au scrutin secret, du 13 mars 2013 au 19 mars 2013, conformément à l’article 184 de la LRTFP. Soixante-quatorze pour cent des personnes admissibles au vote ont exercé leur droit de vote, quatre-vingt-deux pour cent de celles-ci ayant voté en faveur de la grève. L’unité de négociation était en position de déclencher une grève légale à compter du 2 avril 2013. La plaignante a déposé la déclaration sur la tenue du vote de grève auprès du Secrétariat du Conseil du Trésor ainsi que de la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans les délais prescrits par le Règlement.

6. Les membres de l’APASE ont procédé  progressivement au retrait des services au courant du mois d’avril, le mouvement de grève s’accentuant durant le mois de juin. À compter du 20 juin 2013, les fonctionnaires du groupe FS représentés par la plaignante ont fait la grève dans quinze des plus importants centres canadiens de traitement de visas dans le monde entier. 

7. Le 18 juillet 2013, préoccupée par l’incidence grave des moyens de pression de ses membres sur l’économie canadienne, la plaignante a proposé que les parties recourent à l’arbitrage exécutoire conformément au paragraphe 182(1) de la LRTFP. Ainsi, le président de l’APASE, Tim Edwards, a écrit au président du Conseil du Trésor, Tony Clement, offrant à ce dernier le recours à l’arbitrage exécutoire et précisant que cette offre expirerait le 23 juillet 2013, à midi. Cette lettre est jointe à la présente à titre d’annexe A.

8. Le 23 juillet 2013, M. Clement a répondu à cette offre en acceptant le recours à l’arbitrage exécutoire sous réserve de certaines conditions restreignant le pouvoir discrétionnaire du conseil d’arbitrage. Ces conditions disaient entre autres ceci :

  1. que le conseil d’arbitrage ne peut pas accorder une augmentation économique qui déroge aux augmentations économiques actuelles établies que les autres agents négociateurs ont acceptées dans la présente ronde;
  2. que le conseil d’arbitrage ne peut pas utiliser de comparaisons avec les groupes LA, EC et CO comme base pour rendre une décision salariale;
  3. que le conseil d’arbitrage utiliserait tous les facteurs établis à l’article 148 de la LRTFP en donnant préséance au recrutement et au maintien en emploi. Si l’agent négociateur ne fait pas la preuve de problèmes de recrutement et de maintien en emploi, les comparaisons internes et externes seraient omises des facteurs pris en considération pour rendre la décision salariale.

M. Clement précise, pour finir, qu’à titre de condition préalable à l’arbitrage, les employés en grève devaient  retourner au travail immédiatement. Cette lettre est jointe aux présentes à titre d’annexe B.

9. Le 24 juillet 2013, M. Edwards a répondu à la lettre de  M. Clement, énonçant les raisons pour lesquelles la plaignante ne pouvait raisonnablement accepter toutes les conditions posées et soulignant que ses membres n’étaient pas légalement tenus de retourner au travail immédiatement. La plaignante a toutefois alors accepté certaines des conditions précitées, notamment la condition concernant les augmentations économiques types. Par ailleurs, M Edwards a précisé qu’en signe de bonne foi, les  membres retourneraient au travail une fois que les parties auront convenu par écrit des conditions préalables à un processus d’arbitrage exécutoire. Cette lettre est jointe aux présentes à titre d’annexe C.

10. Le 26 juillet 2013, M. Clement a répondu que les deux conditions restantes étaient des [traduction] « conditions essentielles » donc, pour ainsi dire, non négociables. M. Clement a précisé que le défendeur traiterait la réponse précitée de la plaignante comme étant un rejet de l’arbitrage exécutoire. Cette lettre est jointe aux présentes à titre d’annexe D.

11. Le 26 juillet 2013, M. Edwards a répondu qu’étant donné la position du défendeur, la plaignante n’avait pas d’autre choix que de poursuivre ses moyens de pression. Il a invité M. Clement à revenir sur sa décision, ce qu’il n’avait pas fait à la date des présentes. Cette lettre est jointe aux présentes à titre d’annexe E.

3 En plus de l’exposé conjoint des faits (pièce 1), les parties ont déposé une copie de la plainte (pièce 2), de la réponse du défendeur (pièce 3), un cahier d’articles de journaux au sujet de la grève et de ses répercussions (pièce 4), le mémoire de la plaignante à la commission de l’intérêt public (pièce 5), ainsi que le mémoire du défendeur auprès de cette dernière (pièce 6). Les parties n’ont produit aucune autre preuve.

4 La disposition législative pertinente à la présente affaire est l’article 182 de la Loi :

Mode substitutif de règlement

182. (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente partie, l’employeur et l’agent négociateur représentant une unité de négociation peuvent, à toute étape des négociations collectives, convenir de renvoyer à toute personne admissible, pour décision définitive et sans appel conformément au mode de règlement convenu entre eux, toute question concernant les conditions d’emploi des fonctionnaires de l’unité pouvant figurer dans une convention collective.

Note marginale : Maintien du mode normal de règlement

(2) Le mode de règlement des différends applicable à toute condition d’emploi non renvoyée à la personne en question pour décision définitive et sans appel demeure le renvoi à la conciliation.

Note marginale : Effet du choix

(3) Sauf accord des parties, le choix fait au titre du paragraphe (1) est irrévocable jusqu’au règlement du différend.

Note marginale : Forme de la décision

(4) La décision visée au paragraphe (1) est rédigée, dans la mesure du possible, de façon à :

a) pouvoir être lue et interprétée par rapport à toute convention collective statuant sur d’autres conditions d’emploi des fonctionnaires de l’unité de négociation à laquelle elle s’applique, ou être jointe à une telle convention et publiée en même temps;

b) permettre son incorporation dans les documents que l’employeur ou l’agent négociateur compétent peuvent être tenus d’établir à son égard, ainsi que sa mise en œuvre au moyen de ceux-ci.

Note marginale : Obligation des parties

(5) La décision visée au paragraphe (1) lie l’employeur, l’agent négociateur et les fonctionnaires de l’unité concernée et est réputée faire partie de la convention collective régissant ces derniers. À défaut d’une telle convention, la décision est réputée en tenir lieu.

Note marginale : Admissibilité

(6) Ne peut être saisie d’un renvoi au mode substitutif de règlement des différends la personne qui, dans les six mois précédant la nomination, a fait fonction de conseiller juridique ou de mandataire de l’employeur ou de toute organisation syndicale intéressée en matière de relations de travail.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

5 Le nœud de l’affaire dont la présente formation est saisie réside essentiellement dans les positions respectives des parties formulées en lien avec la demande de la plaignante visant à obtenir une décision définitive et sans appel conformément aux dispositions de l’article 182, cette demande ayant été communiquée au moyen d’une lettre envoyée à l’honorable Tony Clement, président du Conseil du Trésor, le 18 juillet 2013. Dans cette lettre, Tim Edwards, président de l’Association professionnelle des agents du Service extérieur, mentionnait en outre ceci :

[…]

Monsieur le Ministre,

Étant donné les incidences graves et croissantes des moyens de pression du groupe Service extérieur sur les secteurs du tourisme, de l’éducation, du transport aérien et de l’agriculture au Canada ainsi que sur d’autres entreprises qui font appel à de la main-d’œuvre temporaire étrangère – sans compter les effets de retards dans le traitement de demandes de visa et d’immigration sur les requérants et les familles partout dans le monde – je vous écris aujourd’hui pour vous proposer de recourir à l’arbitrage exécutoire comme moyen de régler notre litige.

[…]

L’APASE préférerait en arriver à un règlement par voie de la libre négociation collective, mais nous sommes disposés à adopter cette solution de rechange. Si vous croyez sincèrement que l’offre du gouvernement est « juste et raisonnable », vous ne devriez pas craindre de soumettre cette position à une tierce partie indépendante.

[…]

(Pièce 1, annexe « A »)

6 Le défendeur a accepté qu’une décision définitive et sans appel soit rendue relativement au différend opposant les parties, sous réserve des conditions précisées dans sa réponse à la plaignante datée du 23 juillet 2013 :

[…]

Le gouvernement reconnaît et apprécie pleinement votre offre de trouver une solution à l’impasse actuelle dans les négociations; […] nous pouvons envisager l’arbitrage exécutoire seulement si les conditions suivantes sont remplies :

  • Le conseil d’arbitrage ne peut pas accorder une augmentation économique qui déroge aux augmentations économiques actuelles établies que les autres agents négociateurs ont acceptées dans la présente ronde :

    1,5 % - la première année;

    1,5 % - la deuxième année;

    1,5 % - la troisième année;

    0,25 % - la première année pour l’abolition de l’indemnité de départ volontaire;

    0,50 % - la troisième année pour l’abolition de l’indemnité de départ volontaire;
  • Le conseil d’arbitrage ne peut pas utiliser de comparaisons avec les groupes LA, EC et CO comme base pour rendre une décision salariale. Toutefois, le conseil d’arbitrage pourrait imposer à l’employeur la responsabilité de commander à un tiers une étude de la relativité interne des groupes LA, EC, CO et FS dont les résultats seraient communiqués aux deux parties et seraient pris en considération lors de la prochaine ronde de négociations;
  • Le conseil d’arbitrage utiliserait tous les facteurs établis à l’article 148 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) en donnant préséance au recrutement et au maintien en emploi. Si l’agent négociateur ne fait pas la preuve de problèmes de recrutement et de maintien en emploi, les comparaisons internes et externes seraient omises des facteurs pris en considération pour rendre la décision salariale; 

[…]

Comme conséquence de l’acceptation du renvoi de cette affaire à l’arbitrage exécutoire, conformément à l’article 182 de la LRTFP, les employés en grève doivent retourner au travail immédiatement.

(Pièce 1, annexe « B »)

7 La poursuite des moyens de pression de la plaignante, qui se trouve en situation de grève légale, a eu d’importantes répercussions et continue à en avoir tant ici au pays qu’à l’étranger. L’importance de ces répercussions est notamment mise en évidence par la couverture médiatique dont cette grève continue de faire l’objet, comme le montre la pièce 4.

8 Conformément à l’obligation faite à l’agent négociateur de négocier de bonne foi et de conclure une convention collective pour le compte de ses membres, la plaignante a proposé que les parties renvoient leur différend à un tiers indépendant désigné d’un commun accord pour rendre une décision définitive et sans appel, comme prévu à l’article 182 de la Loi. Le défendeur a répondu à cette offre en posant des conditions au renvoi de l’affaire à l’arbitrage auxquelles il savait que la plaignante ne pouvait acquiescer et qui violaient les dispositions des articles 148 et 175 de la Loi. Ces deux articles énoncent les facteurs obligatoires dont une tierce partie doit tenir compte dans un règlement définitif et sans appel ou dans le cadre d’une conciliation. Les deux articles exigent que l’on tienne compte de la parité salariale interne au sein des groupes et des questions liées au recrutement et au maintien en emploi.

9 Le défendeur était pertinemment au courant, tout au long du processus de négociation, que la parité entre les membres représentés par l’APASE et les conseillers juridiques (LA), les économistes (EC) et les agents de commerce (CO) travaillant au Canada était un enjeu de première importance pour la plaignante et ses membres. En refusant le recours aux comparateurs des groupes LA, EC et CO et en exigeant que la plaignante établisse l’existence d’un problème au plan du recrutement et du maintien en poste pour l’un ou l’autre des groupes professionnels de l’unité de négociation avant qu’une comparaison ne puisse avoir lieu, le défendeur prédéterminait ainsi la décision que pourrait rendre quelque arbitre dont les parties auraient convenu. Ces conditions étaient inadmissibles pour la plaignante et ne pouvaient représenter que des paroles en l’air en réponse à la proposition mise de l’avant par la plaignante.

10 En posant des conditions préalables contraires à celles prévues à l’article 148 de la Loi, que le défendeur savait être inacceptables pour la plaignante, le défendeur s’est rendu coupable de négociation de mauvaise foi. La formation de la Commission a le pouvoir de sanctionner une partie coupable d’avoir négocié de mauvaise foi, peu importe que cela soit survenu dans le cadre de l’article 182 de la Loi. Il est attendu des parties envisageant l’option d’un règlement définitif et sans appel sous le régime de l’article 182 qu’elles négocient de bonne foi dans le but de conclure une convention collective. L’article 182 balise la voie de la conciliation en cas de grève prévue sous le régime de la Loi afin de régler les différends lors d’une négociation collective. Cela concorde avec l’obligation de respect mutuel énoncée au préambule de la Loi de même qu’avec l’obligation de négocier de bonne foi prescrite à l’article 106.

11 Les facteurs objectifs énoncés à l’article 148 de la Loi sont impératifs afin de donner plein effet aux fins et aux objectifs poursuivis par l’arbitrage de différends.   Les objectifs poursuivis par l’arbitrage de différends sont ceux que l’on pourrait normalement atteindre par l’intermédiaire de la négociation collective, mais qu’il est devenu impossible d’atteindre à cause de l’impasse à laquelle les parties sont arrivées (voir Vernon (City) v. CUPE, Local 626, [2004] B.C.C.A.A.A. 17, au paragraphe 5).

12 Pour obtenir les résultats que l’arbitre de différends Taylor (cités dans Vernon) désigne comme l’objectif de l’arbitrage de différends, il faut se conformer aux dispositions obligatoires de la Loi. Ce qui constitue de la négociation de mauvaise foi à la table de négociation constitue tout autant de la mauvaise foi aux termes de l’article 182 de cette même Loi. L’obligation de négocier de bonne foi demeure tout au long du processus de négociation, à compter de l’avis de négocier jusqu’à la conclusion d’une convention collective.

13 Une initiative visant à accorder davantage d’importance à l’un des critères prévus par la loipar rapport aux autres restreint la capacité de l’arbitre de différends à en arriver à une décision et en prédétermine le résultat. L’arbitre de différends Burkett, à la page 8 de la décision non publiée Corporation of the City of Toronto v. Toronto Professional Fire Fighters Association, Local 3888, rendue le 26 juin 2013, a analysé la question de l’importance de l’objectivité et de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’arbitre en matière d’arbitrage des différends :

[Traduction]

[…]

[…] Alors qu’un tel exercice exige que le conseil d’arbitrage tienne compte des divers facteurs pouvant avoir une certaine pertinence à l’égard de la décision ultime devant être rendue dans une affaire, ces facteurs ne diminuent pas pour autant le large pouvoir discrétionnaire dont jouit le conseil d’arbitrage dans son appréciation et son analyse de tous les facteurs pertinents dans une affaire donnée afin d’en arriver sans entrave à un résultat qui soit équitable et raisonnable dans toutes les circonstances. Le pouvoir discrétionnaire conféré au conseil d’arbitrage à cet égard est un élément fondamental dans le fonctionnement du processus d’arbitrage des différends qui se veut une alternative à la libre négociation collective […]

[…]

14 Bien que les parties jouissent d’une certaine latitude dans la définition du mode  d’arbitrage des différends prévu à l’article 182 de la Loi, le caractère raisonnable de la définition doit être apprécié à la lumière de la décision du législateur de prescrire une série de facteurs à prendre en considération dans tous les modes de règlement des différends, et également eu égard à l’importance fondamentale qu’il y a lieu d’accorder aux critères objectifs dans l’arbitrage des différends. Un processus d’arbitrage dont la conception serait contraire aux critères législatifs énoncés tant à l’article 148 qu’à l’article 175 de la Loi ainsi qu’aux objectifs intrinsèques de l’arbitrage des différends serait assurément un processus déraisonnable. En l’espèce, les parties ne pourraient pas avoir de discussions rationnelles alors que les comparateurs qui fondent la position de l’agent négociateur adoptée tout au long du processus de négociation jusqu’alors sont soustraits du processus, et qu’il est proposé d’appliquer aux critères en question une priorité non prévue dans les dispositions législatives. 

15 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Sénat du Canada, 2008 CRTFP 100, une formation de la Commission a statué comme suit aux paragraphes 34 et 37 :

34. Le principe sous-jacent de l’obligation de négocier de bonne foi prescrit de favoriser un processus de négociation collective solide et efficace. L’obligation en la matière a été définie en ce qu’elle a trait à la façon dont les parties se conduisent au cours du processus de négociation. Elles doivent engager des discussions sérieuses, ouvertes et rationnelles dans le but sincère de conclure une convention collective. Cette obligation laisse entendre que les parties doivent se comporter d’une manière propice à un échange complet de points de vue.

[…]

37. […] Elle doit se garder de s’immiscer excessivement dans le processus de négociation ou de saper la liberté des parties de négocier et de définir des tactiques de négociation. En règle générale, la Commission ne doit pas apprécier le caractère raisonnable des positions prises par les parties. Toutefois, elle ne doit pas hésiter à intervenir lorsqu’elle juge que le comportement d’une partie révèle sa mauvaise foi ou empêche des discussions averties et rationnelles.[…]

[…]

16 La proposition formulée par le défendeur anéantirait toute possibilité d’avoir  des discussions rationnelles sur la position de la plaignante si les parties étaient empêchées de discuter des comparateurs qui sont à la base de cette position.

17 La décision de la Cour suprême du Canada dans Royal Oaks Mines Inc. c. CASAW, section locale no. 4, [1996] 1 R.C.S. 369, fait jurisprudence quant à ce qui constitue de la négociation de mauvaise foi. Dans Royal Oaks, la Cour a statué que le devoir de négocier de bonne foi et celui de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective sont indépendants l’un de l’autre tout en étant liés. Le manquement aux obligations découlant de l’un ou l’autre de ces devoirs constitue un manquement aux dispositions législatives pertinentes (voir Royal Oaks, au paragr. 42.) Le devoir incombant aux parties de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective est ce qui leur interdit de se livrer à des négociations de façade.

18 Dans le contexte de la Loi, une partie pratique la négociation de façade quand elle feint de vouloir conclure une convention alors qu’elle met de l’avant des propositions ou adopte des positions visant en réalité à éviter la conclusion d’une convention collective ou à détruire les rapports de négociation collective. Lorsqu’une partie maintient de telles propositions ou positions au point de mener à une impasse dans les négociations, cette partie doit avoir des motifs convaincants pour agir ainsi et établir qu’elle a procédé à une analyse sincère de ce qui serait raisonnablement requis pour conclure une convention collective afin d’éviter la conclusion qu’elle a manqué à son obligation de négocier de bonne foi. La Commission peut donc examiner tout le processus de négociation collective et prendre en compte tous les faits pertinents pour déterminer si l’obligation continue de négocier de bonne foi a été respectée. (Voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 102).

19 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 148-2-196 (19910916), l’ancienne Commission a conclu que l’employeur avait manqué à son obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective en insistant sur l’acceptation de conditions préalables à la négociation. La preuve avait établi que l’employeur avait fait de l’acceptation de sa politique de contrôle des salaires une condition préalable à la conclusion de toute convention collective. À la page 6 de sa décision, l’ancienne Commission a affirmé ceci : « […] L’insistance sur l’acceptation de conditions avant de négocier des conditions de travail à la table des négociations va à l’encontre de l’exigence de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. » Dans le présent cas, l’insistance unilatérale de l’employeur sur l’application de considérations énoncées aux articles 148 et 175 de la Loi de la manière prescrite dans la lettre de M. Clement constitue une violation flagrante de son obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

20 L’obligation de négocier de bonne foi s’applique à l’ensemble du processus de négociation, y compris aux négociations visant à un règlement définitif et sans appel aux termes de l’article 182. L’insistance du défendeur à imposer des conditions préalables à ce processus ne diffère en rien de l’insistance sur des conditions préalables à la table de négociation. Lorsque ces conditions préalables sont à ce point déraisonnables que le défendeur aurait dû savoir que l’agent négociateur ne pourrait jamais y acquiescer, ou lorsque ces conditions préalables contreviennent à la Loi ou aux politiques publiques en la matière, que faut-il en conclure, sinon que l’imposition de ces conditions avait en réalité pour but d’éviter la conclusion d’une convention collective et d’entraver le processus de négociation.

21 Dans sa lettre datée du 23 juillet 2013, le défendeur invoque l’application de l’article 148 au processus d’arbitrage des différends envisagé par les parties. Bien que l’article 182 laisse aux parties le loisir de façonner un mode de règlement des différends incluant l’application des facteurs énoncés à l’article 148, cela ne permet pas pour autant au défendeur d’élaborer des conditions préalables qui entrent manifestement en contradiction avec les critères législatifs établis par le législateur aux fins du règlement de différends dans le contexte d’une négociation collective. La proposition du défendeur vise expressément à dénaturer le mode de règlement des différends justement prévu par le législateur pour résoudre de tels différends.

22 Les conditions préalables posées par le défendeur exigent que l’agent négociateur renonce à son argumentation fondée sur les groupes comparateurs pour  qu’un arbitrage exécutoire puisse avoir lieu. Cela est de toute évidence déraisonnable, étant donné que cela exige que la plaignante consente à l’avance au résultat qui en découlerait relativement aux questions mêmes qu’elle souhaite voir tranchées en arbitrage afin de pouvoir conclure une convention collective.

23 À titre de redressement, la plaignante demande une déclaration disant que le défendeur a violé l’alinéa 106b) de la Loi, une ordonnance renvoyant les questions demeurant en litige afin que soit rendue à leur égard une décision définitive et sans appel, sous réserve des conditions auxquelles la plaignante a expressément consenti dans sa lettre du 24 juillet 2013, une ordonnance enjoignant au défendeur de négocier de bonne foi, et toute autre ordonnance ou mesure de redressement que la Commission estime appropriée en l’espèce.

B. Pour le défendeur

24 Le redressement recherché par la plaignante est des plus inappropriés eu égard aux dispositions de la Loi. Cet article est indépendant de tous les autres articles régissant les négociations collectives. L’article 182 prévoit un mode substitutif de règlement des différends de nature volontaire. Il est loisible aux parties d’établir les conditions auxquelles le mode de règlement des différends choisi sera assujetti. Il n’y a rien de néfaste dans les conditions proposées par le défendeur. Par ailleurs, la formation de la Commission n’a pas à interpréter l’article 182 dans le sens de l’application des dispositions énoncées à l’article 148 ou à l’article 106.

25 Si le législateur avait voulu restreindre les conditions pouvant être imposées par l’une ou l’autre des parties dans le cadre de l’article 182, il aurait pu le faire. Il est hasardeux pour cette formation de la Commission de chercher à analyser la conduite des parties ou les conditions qu’elles voudraient imposer dans le cadre du processus prévu à l’article 182. Le fait de rendre les décisions prises par les parties en application de l’article 182 susceptibles d’examen à la lumière de l’article 106 de la Loi créerait deux modes distincts de règlement des différends pour ceux qui choisiraient le mode de conciliation en cas de grève sous le régime de l’article 103. En effet, en vertu de l’article 103, les parties doivent choisir entre le renvoi à l’arbitrage et le renvoi à la conciliation. En vertu du paragraphe 104(3), le mode choisi peut être modifié avant que l’avis de négocier soit donné; cependant, une fois l’avis de négocier donné, le choix est immuable. L’article 182 n’a pas pour objet de permettre à ceux qui ont choisi le mode de la conciliation en cas de grève de se rétracter en faveur de l’arbitrage s’ils n’arrivent pas à conclure une convention collective par le mode de résolution qu’ils ont choisi.

26 Le législateur a clairement manifesté son intention de régir les mécanismes prévus à la section 9 (Arbitrage) et la section 10 (Conciliation) en y énonçant précisément les facteurs à considérer par un conseil d’arbitrage ou une commission de l’intérêt public (CIP). Le législateur aurait pu prévoir des restrictions ou des facteurs similaires devant être considérés sous le régime de l’article 182, mais il a choisi de rendre ce processus entièrement consensuel. L’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article 106 de la Loi ne se transpose pas au processus consensuel car il ne s’agit plus de négociations.

27 Il ne s’agit pas en l’espèce d’une violation de l’article 106 de la Loi durant une négociation collective. La plainte porte exclusivement sur la lettre de M. Clement datée du 23 juillet 2013 et les conditions qu’il imposait en vue de la participation du défendeur au mode de règlement des différends envisagé sous le régime de l’article 182 de la Loi. La plainte a pris naissance le 23 juillet 2013. À ce stade, les parties étaient arrivées à une impasse et le rapport de la CIP avait été déposé. Aucune plainte alléguant que le défendeur aurait négocié de mauvaise foi n’avait été déposée avant la demande de la plaignante de renvoyer le différend à l’arbitrage sous le régime de l’article 182. Pour ce motif, toute jurisprudence portant sur la négociation de mauvaise foi n’est d’aucun secours, puisque les parties n’étaient plus engagées dans des négociations collectives. 

28 La plainte porte exclusivement sur l’imposition par le défendeur de conditions sur l’arbitrage volontaire de différends, et ne doit aucunement être analysée en lien avec ce qui se serait produit avant cette date. Quelque accord en vue de procéder sous le régime de l’article 182 est distinct du processus de la négociation collective. Le présent cas touche à l’application de l’article 182 de la Loi. L’alinéa 106b) de la Loi ne doit pas être interprété en conjonction avec les autres dispositions de cet article mais plutôt de manière à ce qu’il ne contrevienne pas à l’esprit manifeste de l’article 182. La plaignante propose que l’alinéa 106b) soit interprété isolément, de manière à créer une obligation positive en vertu de laquelle il incomberait au défendeur de participer à un mode substitutif de règlement des différends à des conditions que la plaignante estimerait raisonnables. Or, cela aurait pour effet de rendre l’arbitrage exécutoire à l’égard du défendeur, et ce, à des conditions imposées par la plaignante.

29 L’article 182 de la Loi prévoit un mode substitutif de règlement des différends que les parties peuvent adopter à l’égard de « toute » condition dont elles « conviennent ». Il ressort clairement du libellé de cet article que le mode substitutif de règlement des différends est de nature consensuelle, et cela serait modifier fondamentalement le sens du libellé limpide de cette disposition que de vouloir se questionner à savoir si les parties y ont eu recours de manière à traduire une volonté de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. 

30 Les dispositions législatives doivent être interprétées dans leur ensemble. Chaque disposition ou partie d’une disposition doit être analysée tant dans son contexte immédiat que dans celui de l’ensemble de la loi dans laquelle elle s’insère.  (Voir : Driedger on the Construction of Statutes, Third Edition, Butterworths: 1994, page 245). Lorsqu’il s’agit d’analyser une loi donnée, le tribunal doit chercher à saisir comment les dispositions ou leurs diverses parties interagissent, de manière à donner effet à un plan plausible et cohérent. (Voir : Driedger, page 248.)

31 Le législateur a jugé bon d’isoler l’article 182 de la Loi des autres articles de la Loi en le plaçant dans une section distincte intitulée « Mode substitutif de règlement des différends ». La perspective que favorise la Cour suprême du Canada est qu’aux fins de l’interprétation, l’intitulé des rubriques doit être considéré comme faisant partie de la législation et doit être interprété et employé de la même manière que tout autre élément contextuel. (Voir : Driedger, page 269). Chaque terme employé dans un texte législatif a un sens et un rôle dans l’interprétation du texte législatif considéré. La formation de la Commission ne peut ignorer le fait que l’article 182 est énoncé dans une section distincte du reste des dispositions législatives portant sur la négociation collective.

32 L’article 182 se trouve dans la même Loi dans laquelle on retrouve les dispositions de l’article 106. L’une ou l’autre partie est libre de consentir ou non au mode substitutif de règlement des différends prévu à l’article 182. Le législateur ne peut avoir voulu que la Commission puisse revoir le choix selon le critère de « tout effort raisonnable ». Si le législateur l’avait voulu ainsi, il aurait stipulé cela de manière explicite à l’article 182, sinon énoncé à cet article les facteurs à considérer, comme il l’a fait aux articles 148 et 175. Le législateur a plutôt choisi de rendre ce processus entièrement consensuel, et de laisser le loisir aux parties d’en établir les modalités.

33 Avant de donner un avis de négocier, l’agent négociateur doit exercer un choix fondamental : la voie de l’arbitrage ou la voie de la conciliation. Le renvoi à l’arbitrage mène obligatoirement à un arbitrage exécutoire; le renvoi à la conciliation laisse à l’agent négociateur la possibilité de déclencher une grève. Il s’agit là d’une distinction fondamentale et bien établie dans la Loi. L’effet d’accueillir la présente plainte serait d’interpréter la section 10 de la Loi dans le sens d’un règlement définitif et sans appel. Le défendeur est d’avis que la plainte en l’instance est essentiellement fondée sur une interprétation erronée de l’article 182 et de l’économie générale de la Loi.

34 Les actions du défendeur sont cohérentes avec le libellé clair de l’article 182, et cette plainte doit donc être rejetée. Qui plus est, cette formation de la Commission ne dispose pas de la compétence voulue pour accorder le redressement demandé par la plaignante.

C. Réplique de la plaignante

35 Il convient de souligner que le défendeur n’a pas répondu aux allégations de la  plaignante voulant que la conduite du défendeur soit déraisonnable et va à l’encontre de son obligation de faire tout effort pour conclure une convention collective. La prétention du défendeur selon laquelle les obligations d’agir de manière raisonnable et en bonne foi n’ont plus leur place lorsqu’il s’agit de répondre à une proposition de procéder par application de l’article 182 n’est aucunement fondée en droit. La négociation collective englobe tous les aspects du processus, à partir du moment où un avis de négocier est donné jusqu’à la signature d’une convention collective. (Voir : Alliance de la Fonction publique du Canada et Northwest Territories Public Service Association v. Inuvik Housing Authority (1987), 71 di 1.)

36 Dans le cas d’une médiation se rapportant à une affaire de congédiement dans laquelle l’employeur avise l’employé s’estimant lésé qu’il n’est pas disposé à discuter de la réintégration de l’employé dans le milieu de travail, l’obligation de négocier de bonne foi n’est pas imposée par un texte législatif. La question à trancher en l’espèce est de savoir si l’obligation de négocier de bonne foi s’applique aux modalités encadrant l’article 182 ou si cette obligation est alors suspendue comme le soutient l’avocat du défendeur.

37 La position avancée par le défendeur ne concorde pas avec ce qui est énoncé au préambule de la Loi. Dans le préambule de la Loi, il est notamment énoncé que la négociation collective assure l’expression de divers points de vue dans l’établissement des conditions d’emploi, et que le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi.

IV. Motifs

38 Afin de pouvoir trancher la présente affaire, j’estime qu’il convient de répondre à trois questions précises : 1) Est-ce que l’article 182 de la Loi fait partie du processus de négociation collective? 2) Le cas échéant, est-ce qu’il fait partie du processus de négociation collective de telle sorte qu’il en découle une obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective? 3) Dans ce cas, est-ce que les actions du défendeur constituent un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi?

A. Est-ce que l’article 182 de la Loi fait partie du processus de négociation collective?

39  La version anglaise du paragraphe 182(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

182(1) Despite any other provision of this Part, the employer and a bargaining agent for a bargaining unit may, at any time in the negotiation of a collective agreement, agree to refer any term or condition of employment of employees in the bargaining unit that may be included in a collective agreement to any eligible person for final and binding determination by whatever process the employer and the bargaining agent agree to.

[Je souligne]

40 Je note que, dans l’une et l’autre des deux langues officielles, le paragraphe 182(1) de la Loi stipule que les parties peuvent convenir d’un mode de règlement « à toute étape des négociations collectives ». Il est évident que les auteurs de cette disposition législative voulaient que cela soit un outil à la disposition des parties dans le cadre du processus de négociation. Cela ressort encore plus clairement à la lecture de la version française de ce paragraphe :

182(1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente partie, l’employeur et l’agent négociateur représentant une unité de négociation peuvent, à toute étape des négociations collectives, convenir de renvoyer à toute personne admissible, pour décision définitive et sans appel conformément au mode de règlement convenu entre eux, toute question concernant les conditions d’emploi des fonctionnaires de l’unité pouvant figurer dans une convention collective.

[Je souligne]

41 L’avocat du défendeur a soutenu que l’article 182 de la Loi est une disposition autonome de la Loi qu’il ne faut pas interpréter en conjonction avec les autres parties de la Loi. L’argument du défendeur repose sur sa prétention voulant que l’intention du législateur à cet égard soit manifestée par le fait que cet article s’inscrit sous une rubrique distincte dans la Loi. Ainsi, ses dispositions seraient indépendantes de quelque obligation imposée aux parties durant leurs négociations collectives d’agir en toute bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. L’avocat fait une analogie avec une instance en médiation employée dans un cas de congédiement dans lequel l’employeur part du principe que la réintégration de l’employé n’est pas une option. Dans le présent cas, le défendeur a consenti à discuter de certains facteurs tout en refusant de tenir compte de quelque comparaison avec les groupes professionnels LA, EC ou CO. Selon le défendeur, il n’y a pas plus d’obligation à la charge du défendeur en cas de participation à un règlement définitif et sans appel en vertu de l’article 182 que lorsqu’on choisit de régler un grief par le biais de la médiation.

42 J’ai amorcé mon analyse de l’article 182 de la Loi en en faisant une lecture attentive, puis j’ai procédé à un examen de la Loi dans son ensemble. Dans mon appréciation du bien-fondé de l’argument précité, je m’en rapporte aux enseignements de l’ouvrage Driedger on the Construction of Statutes. Le principe directeur veut que l’on prenne connaissance de l’ensemble des dispositions d’un texte législatif afin d’en saisir pleinement le sens. Lorsqu’il y a lieu d’analyser l’économie générale d’une loi, les tribunaux cherchent à donner effet à [traduction] « un plan plausible et cohérent » (voir Dreidger, aux pages 245 à 249). Les énoncés figurant dans le préambule sont une importante source de valeurs et de postulats posés dans le texte législatif dont il s’agit.

[Traduction]

[…]

En énonçant les hypothèses que le législateur tient pour avérées, les orientations et les principes qu’il souhaite promouvoir ainsi que les valeurs qui l’animent, le préambule apporte aux personnes appelées à interpréter les dispositions un éclairage qui fait autorité […] Le préambule faisant partie intégrante du texte législatif, il fait partie du contexte dans lequel il convient d’interpréter les termes employés. Partant, le préambule peut servir à résoudre une ambiguïté ou à établir la portée ou mieux saisir le sens et l’effet à donner au libellé employé. (Voir Driedger, page 261.)

[…]

43 Le préambule de la Loi énonce clairement que le gouvernement du Canada « s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi ». Le régime prévu pour donner effet à ce principe est inscrit dans la structure de la Loi. En me fiant aux conseils formulés dans Driedger, et après un examen attentif de la structure de l’ensemble de la Loi, je constate que la Loi est divisée en diverses parties, dans lesquelles sont définis, au moyen de sections distinctes, les droits, les rôles et les obligations de l’employeur, des agents négociateurs, et aussi de la Commission. L’article 182 est inséré dans la section 10, intitulée « Conciliation », à la partie 1 de la Loi, « Relations de travail ». L’article 160 précise ce à quoi s’applique la section 10 :

160. La présente section s’applique à l’employeur et à l’agent négociateur représentant une unité de négociation dans le cas où :

a) d’une part, le mode de règlement des différends applicable à l’unité de négociation est le renvoi à la conciliation;

b) d’autre part, les parties ont négocié de bonne foi en vue de conclure une convention collective, mais n’ont pu s’entendre sur une condition d’emploi pouvant figurer dans une convention collective.

44 En dépit de l’argument du défendeur et peu importe que le mécanisme décrit à l’article 182 de la Loi soit inscrit sous une rubrique intitulée Mode substitutif de règlement des différends, je conclus que cet article n’est pas indépendant du processus de négociation. À titre d’exemple, l’article 182, qui traite du règlement définitif et sans appel, et l’article 183, qui traite des directives du ministre visant la tenue d’un scrutin sur les dernières offres que l’employeur a faites à l’agent négociateur, figurent chacun sous un titre de rubrique différent. Pourtant, chacun de ces articles prévoit un mode substitutif de règlement par rapport au mode de règlement traditionnel des impasses lors d’une négociation collective. L’article 182 est l’un des nombreux outils dont les parties peuvent se prévaloir pour résoudre des différends ou des litiges qui peuvent survenir durant la période continue comprise entre le moment où l’avis de négocier a été donné et la signature d’une nouvelle convention collective. Dans l’affaire qui nous occupe, il s’agit d’un outil dont les parties peuvent se prévaloir pour résoudre l’impasse dans laquelle elles se trouvent, compte tenu de la grève qui se poursuit et de leur incapacité actuelle à conclure les négociations. Cette interprétation concorde avec les principes énoncés dans le préambule de la Loi.

45 La partie I de la Loi est intitulée « Relations de travail » et est divisée en 14 sections distinctes, chacune de ces sections énonçant des dispositions prévoyant notamment les libertés des fonctionnaires, les droits de la direction, la structure organisationnelle de la Commission, les comités consultatifs et l’amélioration conjointe du milieu de travail, l’accréditation, la révocation de l’accréditation syndicale, la révision des structures des unités de négociation, les demandes de successeurs, les plaintes de pratique déloyale de travail, les dispositions en cas de grève et, évidemment les dispositions se rapportant au processus de négociation collective. Les dispositions portant sur l’avis de négocier (article 105), les négociations à deux niveaux (article 110), la durée et l’effet des conventions collectives (articles 114 à 117) et, ce qui nous intéresse particulièrement dans la présente affaire, l’obligation de négocier de bonne foi (article 106) sont énoncées à la section 7, intitulée « Négociations collectives et conventions collectives ». Pourtant, on ne retrouve pas dans cette section toutes les dispositions législatives se rapportant aux négociations collectives; de fait, ces autres dispositions se retrouvent notamment inscrites, par exemple, à la section 8 (Services essentiels), la section 9 (Arbitrage), et la section 10 (Conciliation). L’article 182 se trouve à la section 10 de la Loi, intitulée « Conciliation », cette section constituant clairement une partie de la Loi énonçant diverses dispositions ayant trait au processus de négociation collective en vigueur au sein de la fonction publique fédérale. Et malgré tout cela, le défendeur soutient que l’obligation de négocier de bonne foi énoncée à la section 7 de la Loi, ne s’appliquerait pas à l’article 182 puisque le mode de règlement prévu à l’article 182 ne ferait pas partie du processus de négociation collective. Je conclus que la Loi ne lui donne pas raison à cet égard.

46 Madame la juge Gleason, dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Procureur général du Canada, 2013 CF 918, a passé en revue les méthodes prévues dans la Loi pouvant être employées pour conclure une convention collective (au paragraphe 74 de la décision) :

[Traduction]

[74] En deuxième lieu, les dispositions de la LRTFP prévoient divers moyens par lesquels les parties peuvent parvenir à conclure une convention collective autrement que par des négociations collectives consensuelles. Par exemple, un syndicat peut choisir de demander l’arbitrage exécutoire par un tiers et renoncer en conséquence à son droit de grève (voir l’article 103); et même si le syndicat a choisi la voie de la grève et du renvoi à la conciliation lors d’une ronde de négociation, les partie peuvent néanmoins décider de demander de régler la totalité ou une partie des modalités de leur convention collective en demandant l’arbitrage (voir l’article 182); les parties peuvent aussi choisir de régler la totalité ou une partie des modalités de leur convention collective dans le cadre du rapport d’une CIP en vue de régler les questions renvoyées à une CIP en choisissant que la décision de cette dernière soit exécutoire (voir l’article 181); et le ministre peut demander la tenue d’un scrutin en vertu de l’article 183 de la Loi. Ce sont tous là des mécanismes destinés à régler les conditions des conventions collectives par l’intermédiaire d’un processus autre que celui de la négociation collective consensuelle. Partant, la LRTFP ne vise pas à faire en sorte que les conventions collectives soient conclues uniquement au moyen de la négociation collective consensuelle puisqu’elle prévoit divers autres mécanismes destinés à arriver au règlement des conventions collectives.

47 L’avocat du défendeur a fait valoir que si je suis d’accord avec les arguments de la plaignante, j’accorderais par le fait même à l’agent négociateur deux occasions de choisir un mode de règlement des différends. Les agents négociateurs peuvent choisir la voie de la grève et du renvoi à la conciliation tout en sachant que, à la fin du processus, ils peuvent toujours offrir d’aller en arbitrage pour un règlement définitif et sans appel. Or, le défendeur a omis de signaler que ce choix pouvait être exercé uniquement sous réserve de l’accord de l’employeur à cet effet. Les dispositions législatives offrent certes aux parties la possibilité de demander de procéder au moyen d’un mode substitutif de règlement de leurs différends, de consentement, afin de résoudre les questions en litige à toute étape des négociations collectives. Lorsque l’agent négociateur est en grève, et si les négociations à la table de négociation n’ont donné aucun résultat, cela peut certes procurer aux parties une méthode leur permettant de sortir de l’impasse qui a empêché la conclusion du processus de négociation entrepris par les parties.

48 L’avocat du défendeur cherche à convaincre la présente formation de la Commission d’adopter une définition étroite de la négociation collective, selon laquelle les diverses méthodes destinées à en arriver à un règlement seraient compartimentées et interprétées de manière isolée en faisant abstraction des autres dispositions de la Loi. Madame la juge Saunders, de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans Federal Government Dockyard Trades and Labour Council v. Canada (Attorney General), 2013 BCCA 371, s’est penchée sur la question de savoir s’il était davantage indiqué sous le régime de la Loi d’adopter une interprétation étroite ou plutôt une interprétation libérale au sens de l’expression « négociation collective ». Elle s’exprime ainsi à ce sujet aux paragraphes 26 à 32 de sa décision :

[Traduction]

[26] […] j’accepte la prétention de l’avocat voulant que le juge ait fait erreur en attribuant à l’expression « négociation collective » un sens trop étroit […] En adoptant une perspective rigoureuse à l’égard de la négociation collective, on ne pourrait tracer une délimitation claire entre une condition accordée par ce conseil d’arbitrage et une condition dont les parties auraient convenu à la table de négociation […]

[32] En tout respect, je ne puis souscrire à la vision étroite du juge au regard de la notion de « négociation collective ». J’estime qu’une vision pragmatique de la négociation collective ne peut s’accommoder du cloisonnement des modes de règlement des différends en des compartiments discrets et aseptisés. À mon sens, cela risquerait plutôt d’entraîner des complications et des conséquences imprévues dans l’exercice vital du règlement des différends en matière de relations de travail.

49 Par conséquent, je rejette la prétention du défendeur selon laquelle ses obligations sous le régime de l’article 182 sont semblables à celles qui lui incombent dans la négociation visant à régler un grief contestant un licenciement. De plus, ayant conclu que l’obligation de négocier de bonne foi s’attache aux obligations incombant aux parties sous le régime de l’article 182, je rejette également l’argument du défendeur, car aucune exigence de nature législative ne relatait une obligation de négocier de bonne foi dans l’analogie présentée par le défendeur.

50 Ayant conclu que l’article 182 fait partie du processus de négociation et n’est pas un mécanisme distinct pouvant être « élagué » du reste du processus de négociation, je me propose maintenant de répondre à la question 2.

B. Est-ce qu’il fait partie du processus de négociation collective de telle sorte qu’il en découle une obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective?

51 L’article 106 de la Loi est énoncé dans la partie de la Loi se rapportant à la négociation des conventions collectives. Cet article se lit comme suit :

106. Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[Je souligne]

52 Étant donné que les parties peuvent se prévaloir des dispositions de l’article 182 à toute étape des négociations collectives, et que ces dispositions visent à aider les parties à conclure une convention collective et à régler les questions non résolues qui empêchent la conclusion de la convention collective, il est évident que ces obligations s’y attachent et demeurent jusqu’à la conclusion d’une entente. Le défendeur n’était pas obligé de consentir à participer à un règlement définitif et sans appel sous le régime de l’article 182, mais une fois qu’il s’est engagé dans des négociations portant sur les conditions dans le cadre desquelles la décision devait être rendue, il avait alors l’obligation de négocier ces conditions de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective, comme le prévoit l’article 106. L’article 182, le recours aux dispositions de cet article ainsi que la négociation des conditions encadrant le recours à ce mode de règlement, sont tous partie intégrante du processus de négociation.

53 Ayant conclu que les obligations de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective s’appliquent au règlement définitif et sans appel prévu à l’article 182, je dois maintenant répondre à la prochaine question.

C. Est-ce que les actions du défendeur constituent un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi?

54 Dans sa lettre du 23 juillet 2013, M. Clement s’est engagé à un règlement  définitif et sans appel relativement aux questions non résolues entre les parties, moyennant certaines conditions : que l’agent négociateur accepte les tendances des augmentations salariales auxquelles ont consenti d’autres agents négociateurs au sein de la fonction publique, que le conseil d’arbitrage ne puisse pas utiliser de comparaisons avec les groupes LA, EC et CO comme base pour rendre une décision salariale, que le « conseil d’arbitrage » (voir la pièce 1, annexe 2) utiliserait tous les facteurs établis à l’article 148 de la Loi en donnant préséance au recrutement et au maintien en emploi et, comme conséquence de l’acceptation du renvoi du litige en vue de son règlement définitif et sans appel conformément à l’article 182 de la Loi, les employés en grève doivent retourner au travail immédiatement.

55 La plaignante s’est engagée à accepter les modalités des augmentations salariales et que ses membres retournent au travail une fois que les parties auront convenu des conditions préalables au processus d’arbitrage exécutoire. La plaignante n’a pas contesté cette dernière condition dans le cadre de sa plainte, et la question de l’acceptation des tendances des augmentations salariales avait déjà été soulevée par le défendeur à la table de négociation. Toutefois, les questions du rejet des comparateurs internes et de la préséance de certains facteurs constituaient de nouvelles approches avancées par le défendeur dans la lettre de M. Clement. Ce sont ces deux conditions qui sont visées essentiellement dans le cadre de la présente plainte. Il devenait dès lors impossible pour la plaignante de faire valoir son argument préconisant la parité salariale, qu’elle a soutenu tout au long du processus de négociation, sans pouvoir utiliser ses comparateurs de référence. Par ailleurs, le fait d’établir le seuil de toute considération de la parité salariale par l’arbitre de différends à l’établissement de l’existence de problèmes de recrutement et de maintien en poste empêchait en fait la plaignante de présenter des observations à un arbitre de différends relativement au principal enjeu de ses négociations.

56 Le défendeur savait ou aurait dû savoir quel serait le résultat de l’imposition de telles conditions sur l’aptitude du défendeur à faire valoir ses arguments au soutien de ses revendications sur le plan de la parité salariale au décideur chargé de rendre une décision définitive et sans appel. Le défendeur n’était pas tenu d’accepter l’offre de recourir à l’arbitrage exécutoire en vertu de l’article 182 que lui faisait la plaignante. Cela dit, l’article 106 exige de la part du défendeur qu’il participe de bonne foi et de manière raisonnable à la conclusion d’une convention collective entre les parties. Or, en posant des conditions auxquelles le défendeur savait ou aurait dû savoir que la plaignante ne pouvait accepter, le défendeur faisait échec aux revendications de la plaignante et rendait improbable, sinon impossible, la sortie de l’impasse. Les seuls facteurs que le décideur nommé en vertu de l’article 182 aurait eu à prendre en considération dans sa décision auraient été ceux proposés par le défendeur. Cela ne traduit pas la nature bipartite des négociations collectives.

57 L’article 182 présume que les parties conviendront ensemble des conditions dans le cadre desquelles la question visée doit faire l’objet d’un renvoi en vue d’une décision définitive et sans appel. M. Clement a clairement précisé dans sa lettre que « […] [l]e conseil d’arbitrage utiliserait tous les facteurs établis à l’article 148 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique […] ». Tout examen d’une question sous le régime de l’article 148 de la Loi nécessite que les parties agissent de bonne foi et raisonnablement dans le cadre de leur participation au processus d’arbitrage. Il n’existe aucune préséance des facteurs à considérer à l’article 148 de la Loi. Le fait d’insister sur la préséance d’un facteur par rapport à un autre ne constitue pas en soi de la négociation de mauvaise foi. Cependant, étant donné les circonstances des négociations collectives en cours et sachant que la plaignante s’est vue empêchée de faire valoir sa principale revendication, cela fait en sorte que seule la position du défendeur serait présentée au décideur qui serait saisi de l’affaire. Or, les deux parties ont le droit de présenter leurs arguments respectifs au décideur qui utilisera alors les facteurs énoncés à l’article 148 de la Loi pour analyser les propositions des deux parties et élaborer une décision définitive et sans appel, exécutoire à l’égard des deux parties.

58 L’article 182 prévoit que les parties peuvent renvoyer, aux fins d’une décision définitive et sans appel, toute question concernant les conditions d’emploi « conformément au mode de règlement convenu entre eux » (je souligne). Le terme clé ici est « mode ». Cela est confirmé par le libellé du paragraphe 182(2), lequel confirme que si le « mode » de règlement prévu à l’article 182 a été convenu entre les parties, le « mode » de règlement des différends choisi avant les négociations demeure en place. L’emploi du terme « mode » une deuxième fois dans ce même article de la Loi est particulièrement significatif en ce qui concerne ce qui est véritablement considéré comme étant un mode de règlement sous le régime de la Loi. Le mode de règlement convenu entre les parties dans le cadre de l’article 182 n’est justement que cela, un mode de règlement des différends, et ne change en rien le caractère fondamental des dispositions législatives se rapportant au règlement des différends sous le régime de la Loi et, partant, les facteurs à considérer que le législateur a clairement voulu que l’on applique.

59 Plutôt que de proposer un mode de règlement dont les parties pourraient convenir afin qu’il soit procédé à l’arbitrage volontaire conformément aux dispositions de l’article 182 of the Loi, le défendeur, en proposant ces conditions déraisonnables, cherche à obtenir la capitulation de l’agent négociateur avant de participer à un mode de règlement envisagé à l’article 182. Cela va à l’encontre de ce qui est énoncé dans le préambule de la Loi et aussi de l’esprit de l’article 106 de la Loi.

60 La Cour suprême du Canada a statué, dans Royal Oak Mines, que l’obligation de négocier de bonne foi doit être appréciée selon une norme subjective alors que celle de faire un effort raisonnable pour conclure une convention doit être évaluée selon une norme objective, le Conseil prenant en considération les normes et pratiques comparables dans le secteur d’activités. Le recours à cette norme objective, selon la Cour suprême, vise à empêcher une partie de se dérober en prétendant qu’elle tente sincèrement de conclure une entente alors qu’objectivement ses propositions sont tellement éloignées des normes acceptées dans le secteur d’activités qu’elles doivent être tenues pour déraisonnables.

61 Est-ce que les conditions proposées par le défendeur dans la lettre de M. Clement peuvent être considérées comme se situant à l’intérieur des normes du régime de relations de travail dans lequel les parties évoluent? Toute condition empêchant un agent négociateur de faire valoir ses prétentions à une tierce partie indépendante dans le cadre d’un mode de règlement choisi conformément à l’article 182, et qui prédétermine par le fait-même la décision que rendra le décideur en faveur de la partie imposant de telles conditions, ne saurait être considéré comme étant raisonnable.

62 La décision Royal Oak Mines a confirmé que l’obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective et interdit que l’une ou l’autre des parties se livre à une négociation de façade (voir le paragr. 42 de la décision). La pratique de la négociation de façade a été décrite dans la jurisprudence comme étant une pratique par laquelle une partie feint de vouloir conclure une convention tout en avançant des propositions ou des positions visant en réalité à éviter la conclusion d’une entente ou à détruire les rapports de négociation collective. (Voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 102, au paragr. 85).

63 La négociation serrée consiste par ailleurs en l’adoption d’une ligne dure dans l’espoir de pouvoir forcer l’autre partie à accepter les conditions qui lui sont offertes. La frontière entre la négociation serrée et la négociation de façade peut être mince. La question à laquelle il faut répondre est la suivante : Est-ce que le défendeur a montré par ses propositions et ses actions qu’il n’avait pas l’intention de conclure une convention collective? (Voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 102, au paragr. 85). Proposer des conditions que le défendeur savait inacceptables pour la plaignante, conditions qui empêcheraient la plaignante de faire valoir quelque argumentation pour le compte de l’unité de négociation, cela va au-delà de la négociation serrée et devient une négociation de façade. Les conditions posées par le défendeur exigeaient de la plaignante qu’elle renonce aux revendications qu’elle avait fait valoir tout au long des négociations. À quoi servirait alors quelque arbitrage auquel les parties auraient convenu en vertu des dispositions de l’article 182 de la Loi? Une telle instance deviendrait alors sans objet.

64 Je conclus que le défendeur s’est livré à une négociation de mauvaise foi dans son approche du règlement définitif et sans appel sous le régime de l’article 182. Ayant conclu que le défendeur a violé l’article 190 de la Loi en imposant des conditions déraisonnables au renvoi à l’arbitrage envisagé sous le régime de l’article 182, constituant alors un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 106 de la Loi, je dois maintenant aborder l’examen d’une dernière question.

D. Ai-je compétence pour ordonner aux parties de participer à un arbitrage exécutoire et définitif aux termes de l’article 182?

65 La plaignante demande, en sus de prononcer une déclaration voulant que le défendeur s’est rendu coupable de négocier de mauvaise foi, que j’ordonne aux parties de participer à un arbitrage exécutoire et définitif sous le régime de l’article 182, et que je supprime les dispositions inconvenantes proposées par le défendeur conditionnant son acceptation à participer à un arbitrage exécutoire et définitif sous le régime de l’article 182. L’avocat du défendeur soutient que je n’ai pas la compétence à cet égard. Le pouvoir d’ordonner un redressement dans un cas concernant une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi m’est conféré par le paragraphe 192(1) :

192. (1) Si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances […]

Il convient également de souligner les dispositions du paragraphe 192(2), lequel se lit comme suit :

Personne agissant pour le compte de l’employeur

(2) Lorsqu’elle vise une personne qui a agi ou prétendu agir pour le compte de l’employeur, l’ordonnance est en outre adressée au secrétaire du Conseil du Trésor, dans le cas de l’administration publique centrale, et à l’administrateur général, dans le cas d’un organisme distinct.

66 En interprétant rigoureusement les dispositions de l’article 192, je conclus que j’ai la compétence pour formuler la déclaration demandée par la plaignante en l’espèce. Au demeurant, je dispose également de la compétence voulue pour rendre toute autre ordonnance que j’estime nécessaire dans les circonstances. Ceci étant, je ne crois pas que cela serait utile aux fins de l’instauration de relations de travail harmonieuses que d’ordonner aux parties de participer à un processus menant à une décision finale et sans appel alors que l’adhésion à un processus d’arbitrage de ce type est volontaire de par sa nature-même. 

67 J’inviterais les parties à s’inspirer des commentaires que j’ai formulés dans le cadre de la présente décision et à redoubler leurs efforts afin de convenir de conditions mutuellement acceptables dans le cadre desquelles elles pourraient se prévaloir d’un processus menant à une décision définitive et sans appel sous le régime de l’article 182 afin de résoudre l’impasse dans leurs négociations, dans l’éventualité où elle demeuraient incapables de résoudre leurs différends à la table de négociation.

68 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

69 La plainte est accueillie.

70 Je déclare que le défendeur a manqué à son obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective tel que l’exige l’article 106 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, en voulant imposer des conditions déraisonnables au renvoi des questions en litige en vue d’une décision définitive et sans appel sous le régime de l’article 182 de la Loi.

71 J’invite la plaignante, le défendeur ainsi que le secrétaire du Conseil du Trésor à redoubler d’ardeur afin de convenir à un processus mutuellement acceptable dans le cadre duquel ils pourraient se prévaloir d’une décision définitive et sans appel sous le régime de l’article 182 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique afin de résoudre l’impasse dans leurs négociations, dans l’éventualité où ils demeuraient incapables de résoudre leurs différends à la table de négociation.

Le 13 septembre 2013.

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique

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