Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu avec traitement jusqu’à la conclusion d’une enquête sur des allégations voulant qu’il ait commis des actes répréhensibles - à l’issue de l’enquête, même si le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas fait l’objet de sanctions disciplinaires, quelques mois se sont écoulés avant qu’il soit réintégré à son poste - il a contesté le défaut de l’employeur de le réintégrer dans ses fonctions et a demandé comme mesures correctives à être dédommagé de toute perte subie en ce qui a trait aux primes de quart, aux possibilités de travailler des heures supplémentaires et aux indemnités de repas - l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour instruire le grief, au motif que la question n’était pas de nature disciplinaire mais administrative et que, par conséquent, la question ne pouvait pas être renvoyée à l’arbitrage - l’employeur a également soutenu que le grief était théorique, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait une demande de prestations d’accident du travail, laquelle a été accordée, qui couvrait de façon rétroactive la période en question et qu’il n’avait pas droit aux indemnités demandées puisqu’il avait été incapable de travailler durant cette période - le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué qu’il n’avait reçu que des indemnités d’accident du travail [traduction] <<présumées>> et que sa demande de prestations découlait du traitement qu’il avait subi au travail à la suite de sa suspension - l’arbitre de grief a estimé que, bien que la suspension était initialement administrative, le défaut de l’employeur de réintégrer le fonctionnaire dans ses fonctions après avoir reçu le rapport d’enquête l’a transformée en suspension disciplinaire - le fonctionnaire s’estimant lésé aurait normalement droit de revendiquer les indemnités et avantages demandés dans son grief, mais la question de son acceptation des indemnités d’accident du travail signifie qu’il était incapable de travailler tout au long de la période pour laquelle il a demandé une prestation - le fait d’avoir reçu des indemnités d’accident du travail signifiait que la suspension était rétroactivement modifiée en congé d’accident du travail. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-09-25
  • Dossier:  566-02-1211
  • Référence:  2013 CRTFP 117

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GUY SALTER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Salter c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage.

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
John Mancini, avocat

Pour le défendeur :
John Jaworski et Karen Clifford, avocats

Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick)
les 10 et 11 juillet 2012 et les 15 et 16 janvier 2013.
Arguments écrits déposés les 19 et 26 août 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Guy Salter, le fonctionnaire s'estimant lésé (le « fonctionnaire »), était un agent correctionnel classifié au groupe et niveau CX-01 et employé par le Pénitencier de Dorchester (le « Pénitencier ») du Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l'« employeur »), à Dorchester (Nouveau-Brunswick), au cours de la période pertinente. Il était visé par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (le « syndicat »), qui expirait le 31 mai 2010 (la « convention collective »). Le 22 novembre 2006, il a été suspendu avec traitement jusqu'à la conclusion d'une enquête sur des allégations voulant qu'il ait menacé un surveillant correctionnel, qu'il ait omis de suivre le protocole à l'égard des soins prodigués à un détenu et qu'il se soit comporté de façon déplacée envers un médecin qui traitait un détenu.

2 Le 8 décembre 2006, le fonctionnaire a déposé un grief dans lequel il déclare : [traduction] « Je conteste ma suspension du 22 novembre 2006. » Comme mesures correctives, il a demandé à être dédommagé de toute perte subie en ce qui a trait aux primes de poste, aux possibilités de faire des heures supplémentaires et aux indemnités de repas. Le grief a été renvoyé à l'arbitrage le 24 avril 2007. L'employeur n'a donné aucune réponse à quelque palier que ce soit avant le 23 août 2010, date à laquelle il a rejeté le grief au dernier palier.

3 Le 22 juillet 2010, l'employeur a présenté une objection relative à la compétence auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») au motif que la question qui fait l'objet du grief n'était ni une suspension disciplinaire ni une sanction pécuniaire, mais plutôt une suspension administrative. Par conséquent, la question ne pouvait pas être renvoyée à l'arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP »). L'employeur a demandé que le grief soit rejeté sans la tenue d'une audience.

4 L'arbitre de grief initialement désigné pour entendre l'affaire a déterminé que la question relative à la compétence devait être soulevée au cours de l'audience d'arbitrage et que les parties devaient être prêtes à exposer leurs arguments sur le fond dans l'éventualité où l'arbitre de grief remettrait à plus tard le prononcé de sa décision sur le fond.

5 Une audience d'arbitrage a été fixée aux 9 et 10 septembre 2010. Toutefois, l'audience a été reportée à la demande des parties afin de leur permettre d'étudier les possibilités de règlement, qui se sont avérées infructueuses. L'affaire a été reportée aux 10 et 11 juillet 2012 et m'a été transmise par le président de la CRTFP. Le 5 juillet 2012, le syndicat a demandé un report de l'audience d'arbitrage en faisant valoir que le fonctionnaire n'était pas prêt à répondre à ce que le syndicat a qualifié de changement de position de la part de l'employeur. L'employeur a nié l'allégation. La demande de report a été rejetée au motif que les parties ont bénéficié d'un avis d'audience suffisant pour préparer leurs arguments.

6 Dès le début de l'audience d'arbitrage, l'employeur a réitéré son objection quant à ma compétence. Il a prétendu que, au cours de la période visée, le fonctionnaire avait fait une demande de prestations d'accident du travail fondée sur la continuation d'une ancienne demande, ce qui lui avait été accordé rétroactivement au 22 novembre 2006. Le fonctionnaire a reçu son plein salaire sous forme de prestations d'accident du travail, parce qu'il n'était pas apte au travail au cours de la période en question. Par conséquent, il n'a pas droit aux indemnités demandées dans le grief.

7 En réponse à l'objection relative à ma compétence formulée par l'employeur, le fonctionnaire a affirmé qu'il n'était pas exact de déclarer qu'il bénéficiait de prestations d'accident du travail au cours de la période en question. En fait, elles étaient [traduction] « considérées comme » des prestations d'accident du travail. Le fonctionnaire a de plus déclaré qu'il n'y avait pas d'affaire administrative qui faisait l'objet d'une enquête, puisque cette dernière était clairement liée à des allégations de conduite répréhensible et d'indiscipline, ce qui en fait une affaire disciplinaire. Le fonctionnaire a en outre affirmé que, même si l'enquête n'était pas de nature disciplinaire, il est nécessaire qu'un arbitre de grief ait compétence afin d'accorder un redressement pour toute perte subie.

8 Les parties ont convenu de présenter leurs arguments à la fois sur le fond du grief et sur l'objection relative à ma compétence. Ils ont de plus accepté de traiter de l'exception et de toutes autres questions dans leurs plaidoiries finales.

9 Après la fin de l'audience, mais avant que la présente décision ne soit achevée, Finlay c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 59, a été rendue. Puisqu'elle portait sur des questions qui pouvaient avoir des incidences sur les questions examinées dans le présent grief, un exemplaire de la décision a été envoyé aux parties dans le but de recevoir leurs commentaires. Ces commentaires sont inclus dans le résumé de l'argumentation des parties plutôt que d'être résumés séparément.

II. Résumé de la preuve

10 L'employeur a cité trois témoins à comparaître, soit Norman Leblanc, ancien directeur du Pénitencier, Chantal Rioux, coordonnatrice en matière de retour au travail et de prévention du harcèlement au Pénitencier, et Cécile Allain, gestionnaire intérimaire, Services de rémunération, région de l'Atlantique du SCC. Le fonctionnaire a témoigné et a cité Derick Cormier, agent correctionnel au Pénitencier, à témoigner. L'employeur a versé en preuve 18 documents et le syndicat en a versé quatre.

11 Il faut noter que l'employeur a reconnu au début de l'audience que, même si le fonctionnaire avait été suspendu de ses fonctions avec traitement en attendant les résultats d'une enquête sur des allégations de faute de conduite, aucune mesure disciplinaire n'avait été imposée. Par conséquent, bien que des éléments de preuves concernant des précisions relatives aux fautes présumées aient été présentés, je résumerai ces éléments seulement dans la mesure où ils sont pertinents pour les questions particulières dont je suis saisie.

12 M. Leblanc a témoigné que le Pénitencier est un établissement à sécurité moyenne qui accueillait près de 500 détenus au moment du grief. Il y avait également un établissement psychiatrique, le Centre de rétablissement Shepody, dans l'enceinte du Pénitencier. Même si l'établissement psychiatrique était physiquement situé au sein du Pénitencier, il était géré séparément.

13 Les agents correctionnels du Pénitencier offrent un service d'escorte régional pour les hôpitaux à tous les détenus masculins de la région de l'Atlantique de l'employeur qui doivent recevoir des soins de santé qui ne peuvent être donnés au sein de leur établissement. Les équipes d'escorte accompagnent les détenus à différents hôpitaux de la région et restent avec eux jusqu'à ce que leur état de santé leur permette de retourner dans leur établissement. Par exemple, l'hôpital de Moncton a deux cellules pour les détenus et l'équipe d'escorte s'y rend fréquemment. M. Leblanc a témoigné que le travail au sein des équipes d'escorte était effectué à tour de rôle par les employés. Il a expliqué que le syndicat voulait que les agents correctionnels puissent occuper à tour de rôle un poste dans l'équipe, puisque le travail y est moins stressant que les tâches courantes de sécurité et qu'il donne l'occasion aux agents de ne plus être soumis aux pressions de l'établissement carcéral.

14 Au moment des événements en question, le fonctionnaire a été désigné pour travailler au sein de l'équipe d'escorte à titre de mesure d'adaptation. Selon le témoignage de M. Leblanc, le fonctionnaire avait été en congé pour cause de stress pendant un long moment avant que les incidents en question se produisent. Le fonctionnaire a témoigné que son congé tenait en partie au fait que des menaces sérieuses avaient été proférées contre lui, ce qui a mené à un état de stress post-traumatique (ESPT), pour lequel il a reçu des prestations d'accident du travail. Il a en outre expliqué qu'il avait déposé des plaintes de harcèlement contre un gestionnaire correctionnel et qu'il avait tenté de résoudre sans succès cette situation depuis plusieurs années, ce qui avait aussi contribué à son stress.

15 M. Leblanc a expliqué qu'à un certain moment de l'été 2006, avant que le fonctionnaire ne retourne au travail à la suite de son congé autorisé, le syndicat avait demandé qu'il soit affecté à l'équipe d'escorte à titre de mesure d'adaptation, puisqu'aucun autre travail léger n'était disponible. Il s'agissait d'une exception à la pratique, puisque les fonctions d'escorte sont habituellement occupées à tour de rôle. M. Cormier, qui était un dirigeant syndical à ce moment-là, a souligné bien qu'il ne se rappelle pas précisément comment cela s'était produit, l'entente relative à l'affectation du fonctionnaire à l'équipe d'escorte avait été élaborée pour l'aider à réintégrer son travail au Pénitencier.

16 Selon le témoignage de M. Leblanc, en novembre 2006, il a appris que des plaintes avaient été déposées par un certain Dr Levesque de l'hôpital de Moncton, selon lesquelles le fonctionnaire avait empêché le Dr Levesque d'accéder à un détenu qui attendait un traitement à l'hôpital. Il y avait aussi des allégations selon lesquelles le fonctionnaire n'avait pas respecté le protocole à l'égard des soins prodigués au détenu et qu'il s'était livré à une altercation verbale avec le Dr Levesque le 22 novembre 2006. Environ au moment de la réception de la plainte à l'égard des actes présumés posés à l'hôpital de Moncton par le fonctionnaire, M. Leblanc a affirmé qu'il a aussi reçu un appel téléphonique d'un agent des relations de travail du SCC qui lui a mentionné que le fonctionnaire avait présumément menacé un surveillant correctionnel. M. Leblanc a déclaré qu'il croyait que ce n'était pas la première fois que le fonctionnaire menaçait le surveillant correctionnel en question.

17 M. Leblanc a expliqué qu'il était préoccupé par les allégations. Plus particulièrement, il était inquiet au sujet de la santé et de la sécurité du détenu impliqué dans les allégations à l'hôpital et se souciait du fait que le protocole à l'égard des soins aux détenus n'avait pas été respecté. Il craignait également que le fonctionnaire ait été trop loin dans ses rapports avec le Dr Levesque. Toutefois, il a reconnu qu'il ne disposait pas de toutes les versions de l'événement.

18  En contre-interrogatoire, M. Leblanc a reconnu que le fonctionnaire lui avait mentionné qu'il avait reçu d'un surveillant correctionnel des directives relatives au protocole à l'égard des soins au détenu. Il a déclaré qu'il avait demandé au sous-directeur de vérifier l'affirmation du fonctionnaire selon laquelle il avait reçu des directives quant au protocole à l'égard des soins au détenu, mais personne n'a reconnu avoir donné au fonctionnaire la permission ou la directive d'agir comme il l'a fait. Il a en outre admis que le fonctionnaire avait expliqué avoir tenté d'empêcher le détenu en question de se suicider. M. Leblanc a affirmé qu'il avait reçu plusieurs versions de faits de différentes personnes et pour cette raison, il voulait établir la vérité.

19 Puisqu'il craignait de ne pas disposer de tous les faits pertinents, M. Leblanc a affirmé qu'il a décidé de lancer une enquête indépendante sur toutes les allégations contre le fonctionnaire. Il a déclaré qu'il ne croyait pas nécessairement tout ce qui avait été dit par les superviseurs et qu'il souhaitait être juste à l'égard du fonctionnaire. Il croyait qu'un enquêteur externe serait impartial. Entre-temps, il a aussi décidé que le fonctionnaire devait être suspendu avec traitement. Il a affirmé qu'il croyait que ce dernier vivait des difficultés quant à son retour au travail et qu'il était stressé émotionnellement. Il croyait que la suspension devait être rémunérée de façon à ne pas augmenter le stress subi par le fonctionnaire.

20 Le fonctionnaire a été informé de sa suspension au cours de l'après-midi du 22 novembre 2006. Selon son témoignage, il a reçu un appel téléphonique alors qu'il était au travail lui disant qu'il était suspendu avec traitement et que cette suspension prenait effet immédiatement. Puisqu'il était toujours au travail, il a dû attendre d'être remplacé avant de pouvoir quitter son poste. Il a tenté de remettre au Pénitencier une explication écrite sur l'incident avec le Dr Levesque, mais on lui a dit qu'il lui était interdit de se trouver sur les lieux. Au lieu de cela, il a remis l'explication à deux superviseurs qui l'ont rencontré au centre de formation situé à proximité (pièce G-4). Il a affirmé que les superviseurs avaient refusé de discuter de l'incident avec lui.

21 Le 11 décembre 2006, le fonctionnaire a reçu une note de service qui confirmait qu'il était mis en congé avec traitement pour une période indéterminée en attendant les résultats d'une enquête sur des allégations voulant qu'il ait menacé un surveillant correctionnel, qu'il n'ait pas respecté le protocole à l'égard des soins prodigués à un détenu et qu'il ait eu à deux reprises un comportement déplacé envers un médecin à l'hôpital de Moncton (pièce E-1).

22 M. Leblanc a affirmé que l'enquête a pris un certain temps avant d'être amorcée. Il a expliqué qu'il souhaitait avoir un enquêteur extérieur au Pénitencier, mais, puisqu'il n'y avait pas d'enquêteurs formés dans la région, l'enquête n'a débuté qu'en janvier 2007. Le 15 janvier 2007, il a remis le mandat à l'enquêteure (pièce E-2). Le fonctionnaire a reçu un exemplaire du mandat, et M. Leblanc a confirmé par écrit que le fonctionnaire serait en congé avec traitement jusqu'à la conclusion de l'enquête (pièce E-3).

23 Selon son témoignage, le fonctionnaire a reçu un exemplaire d'une lettre envoyée à Santé Canada le 31 janvier 2007 qui demandait qu'une évaluation de l'aptitude au travail soit réalisée (pièce G-2). M. Leblanc a expliqué qu'il se préoccupait du fait que le fonctionnaire vivait des difficultés au travail.

24 Le rapport d'enquête a été achevé le 16 avril 2007 (pièce E-4). M. Leblanc a témoigné que le fonctionnaire n'a pas fait l'objet de sanctions disciplinaires pour les incidents sur lesquels reposait l'enquête. Le 20 avril 2007, Santé Canada a avisé l'employeur que le fonctionnaire était apte à exercer toutes ses fonctions d'agent correctionnel, même s'il a été reconnu qu'il était soumis à un stress important et qu'il a été suggéré qu'il soit retourné au travail dans un autre établissement ou, si cela n'était pas possible, que des mesures raisonnables soient prises pour apaiser la tension au sein du Pénitencier (pièce G-3).

25 Même si le rapport d'enquête et l'évaluation d'aptitude au travail ont été achevés à la fin d'avril 2007, le fonctionnaire n'est pas retourné au travail. M. Leblanc a déclaré que le sous-commissaire Simon Coakely lui avait dit que le fonctionnaire avait demandé à ce que la suspension avec traitement soit poursuivie plutôt qu'il retourne au travail. En contre-interrogatoire, M. Leblanc a expliqué qu'il avait le pouvoir de suspendre un fonctionnaire avec traitement seulement pour une période limitée et que la prolongation de cette période devait être approuvée par le sous-commissaire. Toutefois, il ne pouvait se rappeler la portée de son pouvoir quant à suspendre de ses fonctions un employé avec traitement. Il a affirmé que le sous-commissaire lui avait demandé s'il appuyait la prolongation de la suspension avec traitement, ce qui était le cas.

26 M. Leblanc a aussi affirmé que le fonctionnaire traitait avec une personne de l'administration régionale du SCC, puisque des discussions étaient en cours relativement à ses plaintes de harcèlement. M. Leblanc a déclaré qu'il avait participé à deux rencontres avec M. Coakely, le fonctionnaire et l'avocat de ce dernier. Il a mentionné que le fonctionnaire menaçait de poursuivre l'employeur au sujet de ses plaintes de harcèlement. Il a aussi affirmé que lorsqu'un employé dépose une plainte de harcèlement, une tentative est faite pour séparer les parties, mais dans cette affaire, la plainte du fonctionnaire était contre un surveillant correctionnel et il était donc difficile de s'assurer qu'ils soient séparés.

27 Le fonctionnaire a nié avoir demandé de prolonger sa suspension avec traitement. Il a déclaré qu'entre mai et novembre 2007, rien ne s'était produit en ce qui a trait à son retour au travail. Il a affirmé qu'il ne cessait de demander quand il pouvait retourner au travail et que le président du syndicat local lui répondait que l'employeur étudiait le rapport d'enquête. Toutefois, en contre-interrogatoire, il a reconnu avoir rencontré M. Coakely avec son avocat, M. Leblanc et Mme Paulette Belliveau, qui était la coordonnatrice régionale en matière de harcèlement de l'employeur, en juin 2007, pour discuter des plaintes de harcèlement. Bien qu'il ne se rappelait pas des détails de la discussion, il a convenu qu'elle concernait, entre autres, l'endroit où il retournerait travailler.

28 Le fonctionnaire a témoigné qu'il a rencontré M. Leblanc le 7 novembre 2007. On lui a dit qu'aucune mesure disciplinaire ne serait prise à la suite de l'enquête et qu'il pouvait retourner au travail. Il a déclaré qu'à la suite de cette réunion, le 12 novembre 2007, il s'était présenté au Pénitencier vêtu de son uniforme croyant que tout avait été mis en place pour son retour. Toutefois, lorsqu'il est arrivé à la porte principale, l'agent responsable l'a arrêté et lui a dit qu'il ne lui était pas permis d'entrer. Après quelques discussions, on l'a conduit à M. Leblanc. M. Leblanc a reconnu dans son témoignage qu'aucun protocole de retour au travail n'avait été préparé et que le retour au travail du fonctionnaire n'avait pas été géré selon ses attentes. C'est la raison pour laquelle le fonctionnaire a été renvoyé à la maison et qu'on lui a demandé de revenir le lendemain pour rencontrer Ron Cormier, le conseiller en retour au travail.

29 Le fonctionnaire a déclaré qu'il était retourné au Pénitencier le lendemain pour rencontrer M. Cormier et son représentant syndical, mais que le protocole de retour au travail n'était pas prêt. Il a donc été envoyé au centre de formation pour une formation sur le maniement d'armes. Le fonctionnaire a affirmé que l'instructeur lui avait demandé s'il était sécuritaire de l'emmener au champ de tir. Il a affirmé qu'il s'était senti humilié par la question et, dès la fin de la formation, il était retourné à la maison. Il a raconté l'événement à son psychologue et lui a dit qu'il en avait assez. Le lendemain, il a rencontré M. Leblanc. Le fonctionnaire a témoigné que son psychologue, qui participait à la discussion par téléphone, avait conseillé à M. Leblanc d'accorder un congé de maladie au fonctionnaire jusqu'à ce que son retour au travail soit clarifié. M. Leblanc a indiqué que le psychologue avait non seulement suggéré que le fonctionnaire soit renvoyé à la maison, mais aussi qu'il était instable.

30 Le fonctionnaire a déclaré qu'il avait présenté une demande de prestations d'accident du travail (pièce E-12) quelques jours après sa rencontre avec M. Leblanc. En contre-interrogatoire, il a affirmé que Ron Cormier avait rempli le formulaire pour lui et qu'il l'avait signé sans le lire. Le fonctionnaire a mentionné qu'on lui avait dit qu'il devait soumettre les formulaires et les envoyer aux Services de rémunération afin d'être payé. Il a reconnu qu'il a reçu une lettre de la commission des accidents du travail (pièce E-13) l'informant que sa demande pouvait être rétroactive à compter du 22 novembre 2006, selon une récurrence de l'ESPT pour lequel il avait antérieurement reçu des prestations. Il a de plus reconnu qu'il n'avait jamais interjeté appel de la décision relative à l'acceptation de sa demande de façon rétroactive à compter du 22 novembre 2006. Il a déclaré qu'il avait reçu son salaire normal de l'employeur du 22 novembre 2006 jusqu'en 2010, lorsque son statut a changé. Toutefois, il a nié qu'il recevait des prestations d'accident du travail entre novembre 2006 et novembre 2007, puisqu'on lui avait dit qu'il était suspendu de ses fonctions avec traitement. De plus, il n'avait aucune invalidité au cours de cette période et on ne lui a pas demandé de fournir un certificat médical lorsqu'il est retourné au travail en novembre 2007.

31 Selon son témoignage, le fonctionnaire croyait que l'employeur tentait de se débarrasser de lui car, alors qu'il travaillait dans un autre établissement, il avait dénoncé un collègue qui avait été par la suite emprisonné. Les menaces proférées contre lui étaient basées sur cet incident et étaient suffisamment sérieuses pour justifier sa mutation vers un autre Pénitencier. Il a retracé l'origine de son ESPT à cet incident.

32 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu qu'il détenait une ceinture noire en arts martiaux et que ses collègues savaient qu'il possédait suffisamment de compétences en arts martiaux pour causer des blessures. Toutefois, lorsqu'il a été interrogé de nouveau, il a expliqué qu'il enseignait les arts martiaux à des enfants et qu'il respectait le principe de la non-violence.

33 Mme Rioux a été coordonnatrice en matière de retour au travail et de prévention du harcèlement pour l'employeur pendant deux ans. Elle traite des prestations d'accident du travail au Nouveau-Brunswick. Elle a expliqué que Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) assurait la liaison entre le SCC et la Commission de la santé, de la sécurité et de l'indemnisation des accidents au travail (CSSIAT) du Nouveau-Brunswick, aussi appelée dans certains documents « Travail sécuritaire NB », qui administre les prestations d'accident du travail au Nouveau-Brunswick. En vue de se préparer pour l'audience, elle a analysé les dossiers du fonctionnaire et a découvert qu'un des documents envoyés par Travail sécuritaire NB au fonctionnaire indiquait une date incorrecte (pièce E-14). Pour clarifier la date d'entrée en vigueur de la demande, elle a téléphoné à Travail sécuritaire NB et a reçu une lettre corrigée (pièce E-5).

34 Mme Rioux a déclaré que le fonctionnaire avait rempli un rapport d'accident le 20 octobre 2005 (pièce E-9). Le 16 novembre 2005, la CSSIAT avait accepté la demande fondée sur son ESPT sévère et avait fourni un rapport de la situation à l'employeur (pièce E-10). Un autre rapport de la situation, fourni à l'employeur le 15 février 2006, indiquait que le fonctionnaire était retourné au travail à plein temps à compter du 12 février 2006 (pièce E-11).

35 Le 27 novembre 2007, le fonctionnaire a rempli un formulaire de demande liée à une rechute (pièce E-12). Il a reçu une lettre envoyée par la CSSIAT le 19 février 2008, qui indiquait que sa demande était acceptée, avec effet rétroactif à compter du 22 novembre 2006 (pièce E-13). Toutefois, comme cela a été expliqué par Mme Rioux, le lendemain, une lettre envoyée par la CSSIAT à RHDCC et qui confirmait l'acceptation de la demande, indiquait que la date d'entrée en vigueur était le 22 novembre 2007 (pièce E-14). Mme Rioux a confirmé qu'il s'agissait de la lettre qui avait été par la suite corrigée pour indiquer que la date d'entrée en vigueur était le 22 novembre 2006.

36 Mme Rioux a témoigné que les employés qui recevaient des prestations d'accident du travail étaient considérés comme en congé d'accident du travail (pièce E-6). Le fonctionnaire était considéré comme en congé d'accident du travail à compter du 22 novembre 2006 (pièce E-7). Elle a déclaré que tout congé de maladie ou tout autre congé utilisé par le fonctionnaire au cours de cette période lui aurait été crédité, puisque les employés en congé d'accident du travail n'ont pas besoin d'utiliser tout autre type de congé.

37 En contre-interrogatoire, Mme Rioux a reconnu que la partie II du rapport d'accident remplie par le fonctionnaire (pièce E-12) n'indiquait pas la date de l'événement et qu'elle avait été ajoutée par le conseiller en rémunération responsable du compte de paye du fonctionnaire. Elle a confirmé que le fonctionnaire se trouvait en congé d'accident du travail du 22 novembre 2006 au 8 novembre 2010.

38 Mme Allain est la gestionnaire intérimaire des Services de rémunération pour l'employeur depuis le 12 avril 2012. Par son intermédiaire, l'employeur a déposé en preuve les rapports des ressources humaines qui exposent de façon détaillée l'utilisation des congés par le fonctionnaire entre 2006 et 2012 (pièces E-15 à 21).

39 Derick Cormier a témoigné qu'il était l'agent des griefs régional pour le syndicat en novembre 2006 et qu'il était peut-être aussi l'agent des griefs de la section locale. Il a déclaré qu'il était en service d'escorte avec le fonctionnaire au cours de l'incident avec le Dr Levesque qui a mené à une des allégations contre le fonctionnaire. Il a affirmé que, selon lui, le Dr Levesque avait agi de façon non professionnelle. Il a aussi déclaré que le Dr Levesque avait menacé que le fonctionnaire ne travaillerait plus jamais à l'hôpital.

40 M. Cormier a affirmé qu'il avait parlé à M. Leblanc de l'événement entre le fonctionnaire et le Dr Levesque. Il a aussi porté sa propre plainte à l'égard du comportement du Dr Levesque, car il s'était senti insulté par ce dernier. Il a témoigné qu'il n'avait pas cru que M. Leblanc avait fait le suivi de ce qui lui avait été rapporté et qu'il semblait que seul le fonctionnaire avait fait l'objet d'une enquête de la part de l'employeur.

41 M. Cormier a témoigné qu'il avait quelque peu participé au retour au travail du fonctionnaire en 2006 et que, même s'il ne pouvait se souvenir de tout de façon détaillée, l'affectation de ce dernier à l'équipe d'escorte était une mesure d'adaptation. Même s'il n'a pas participé au retour au travail du fonctionnaire en 2007, il croyait que des conditions avaient été imposées au fonctionnaire concernant son retour au travail en 2007 qui n'avaient pas été imposées en 2006. Par exemple, il croyait que le fonctionnaire ne pouvait pas retourner à l'hôpital. Il ignorait d'où venaient les restrictions.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour l'employeur

42 L'employeur a fait valoir que le grief ne s'inscrit pas dans les limites de l'alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Le critère pour satisfaire aux exigences de cet alinéa comporte deux volets. D'abord, le grief doit concerner une mesure disciplinaire. Ensuite, le grief doit porter sur une sanction pécuniaire.

43 L'employeur a soutenu que le fonctionnaire n'avait pas fait l'objet de mesures disciplinaires et qu'il n'avait pas reçu de sanction ou de réprimande. Aucune lettre disciplinaire ou de réprimande n'a été versée à son dossier. De plus, M. Leblanc a témoigné que le fonctionnaire n'avait pas fait l'objet de mesures disciplinaires, ce qui est un fait important, puisqu'un des thèmes récurrents dans la jurisprudence quant à la nature des mesures disciplinaires est l'intention disciplinaire. Le fonctionnaire a reconnu qu'il n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire à la suite de la publication du rapport de l'enquêteure.

44 L'employeur a noté que le grief, qui concerne une suspension avec traitement, a été déposé le 8 décembre 2006, plusieurs mois avant la publication du rapport de l'enquêteure. Il a soutenu que la nature de la sanction devait être évaluée à la date à laquelle elle était imposée. Le fait qu'une enquête puisse prendre beaucoup de temps ne transforme pas une suspension administrative en sanction disciplinaire. Qui plus est, prenant appui sur Chase c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 9, l'employeur a soutenu que la compétence d'un arbitre de grief est limitée par l'objet du grief. La question qui doit être posée est, au moment où le grief a été déposé, la sanction était-elle administrative ou disciplinaire?

45 Dans Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, la Cour fédérale a énoncé certaines des caractéristiques des mesures disciplinaires. La Cour a estimé que l'intention de l'employeur ainsi que l'incidence d'acte contesté sur de futures mesures disciplinaires constituaient des facteurs pour déterminer si un employé avait fait l'objet de mesures disciplinaires. L'employeur a déclaré que le simple fait que des allégations aient le potentiel de mener à des mesures disciplinaires ne signifie pas nécessairement que la suspension en attendant les résultats de l'enquête sur ces allégations soit disciplinaire.

46 L'employeur a invoqué les critères Larson, présentés initialement dans Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, qui ont été examinés dans Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CRTFP 19. Plus particulièrement, l'employeur a fait référence au premier critère Larson, qui stipule que la question n'est pas de savoir si le fonctionnaire est coupable ou innocent, mais de déterminer si sa présence dans le milieu de travail peut être considérée comme posant un risque raisonnablement sérieux à l'employeur ou à ses employés. L'employeur a cité Gill et Smith c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 166-2-27445 (19970922), comme exemples de suspensions imposées par des employeurs en attendant les résultats d'enquêtes qui se sont révélées de nature administrative.

47 L'employeur a affirmé que, selon les faits qui m'ont été présentés, il était clair que la suspension du fonctionnaire n'était motivée par aucune intention disciplinaire. Les allégations présentées dans la lettre de suspension étaient sérieuses et concernaient, entre autres, une menace qui aurait été proférée contre un autre agent correctionnel. L'employeur avait l'obligation d'enquêter sur l'affaire.

48 Comme cela a été indiqué dans Frazee et Hanna c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2009 CRTFP 94, les mesures ayant une incidence négative ne sont pas toutes disciplinaires, et les pertes financières ne sont pas toutes des sanctions pécuniaires. Dans Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, il a été estimé qu'une perte financière devait être liée à une mesure disciplinaire pour qu'elle soit considérée comme une sanction pécuniaire. Dans le présent grief, le fonctionnaire a été mis en congé avec traitement, un congé que l'employeur était habilité à imposer en vertu de la clause 30.18(b) de la convention collective. L'employeur a fait valoir que le fonctionnaire ne s'est pas plaint que la mesure de l'employeur constituait une application inappropriée de la convention collective. De plus, il n'a pas été question de savoir ce que la notion de congé recèle. Si le fonctionnaire avait déposé un grief alléguant une violation de la convention collective, il aurait été possible d'aborder la question de savoir si un congé avec rémunération permet aux employés non seulement de recevoir leur salaire, mais aussi les indemnités applicables.

49 L'employeur a fait valoir que même si la suspension avec rémunération pouvait être reconnue comme disciplinaire, le grief est théorique, puisque le fonctionnaire était en congé d'accident du travail du 22 novembre 2006 à novembre 2010 en raison de ses prestations d'accident du travail. Le fonctionnaire a reçu une lettre de la commission des accidents du travail qui l'informait que sa demande d'indemnisation avait été acceptée, avec effet rétroactif à compter du 22 novembre 2006, et qu'il serait indemnisé en tant que travailleur accidenté du 22 novembre 2006 à novembre 2010. Le fonctionnaire n'a pas contesté cette décision et n'a pas interjeté appel. L'employeur a déclaré que le fonctionnaire ne pouvait pas jouer sur les deux tableaux. Il ne pouvait pas faire valoir qu'il avait perdu des occasions potentielles d'heures supplémentaires et d'autres avantages liés au travail en raison d'une suspension disciplinaire pour la même période où il affirmait être invalide.

50 À l'appui de l'affirmation du fonctionnaire selon laquelle il était invalide au cours de la période en question, l'employeur a relevé la preuve de M. Leblanc, qui a témoigné qu'il avait prolongé le congé avec traitement du fonctionnaire à la demande de ce dernier. Il a soutenu que le sous-commissaire l'avait informé que le fonctionnaire avait demandé à ce que son congé avec traitement soit prolongé pendant les discussions entre le fonctionnaire, son avocat et l'employeur. Alors que le fonctionnaire n'a pas admis avoir demandé la prolongation de son congé avec traitement, il a convenu que, au cours des discussions à l'égard de sa plainte de harcèlement avec l'employeur pendant sa suspension, la question relative à son retour au travail avait été abordée. Cette preuve appuie ce qui a été dit par M. Leblanc.

51 L'employeur a aussi fait valoir que la convention collective n'appuie pas la demande du fonctionnaire à l'égard des indemnités et des avantages, comme les occasions d'heures supplémentaires manquées. La clause 2.01 de la convention collective définit le terme « indemnité » comme la rétribution prévue pour l'exécution de fonctions spéciales ou supplémentaires. Le terme « heures supplémentaires » est défini comme les heures de travail effectuées en sus de l'horaire normal de travail d'un employé. Le fonctionnaire n'était pas au travail et par conséquent, il ne pouvait pas exécuter des fonctions spéciales ou supplémentaires. En outre, il n'avait pas d'horaire de travail, il ne pouvait donc pas effectuer des heures de travail en sus de son horaire normal de travail. De plus, il n'avait pas droit aux primes de poste ou aux indemnités de repas, puisqu'il devait travailler pour pouvoir bénéficier de ces avantages. Les indemnités de congé ne comprennent pas les avantages découlant de l'exécution des tâches au travail.

52 Dans ses arguments concernant Finlay, l'employeur a estimé que cette décision établissait que les employés qui sont suspendus de leurs fonctions avec rémunération en attendant la conclusion d'enquêtes administratives n'ont pas le droit de recevoir des avantages liés au travail, comme ceux demandés par le fonctionnaire dans la présente affaire, jusqu'à ce que l'enquête soit achevée et que les allégations soient déclarées non fondées. L'employeur a fait valoir que [traduction] « […] l'application logique de Finlay appuierait une conclusion selon laquelle la suspension de M. Salter était de nature administrative et qu'il n'aurait pas d'autres droits ».

B. Pour le fonctionnaire

53 Le fonctionnaire a fait valoir que le présent grief soulevait l'importante question de savoir si le droit d'un employeur de suspendre un employé pour de longues périodes, en attendant la conclusion d'une enquête, est inconditionnel. Même si la suspension était d'abord de nature administrative, combien de temps peut-elle durer? En réponse à cette question, le fonctionnaire a soutenu que le temps alloué à la conduite d'une enquête devrait être très court et ne pas excéder ce qui est nécessaire à l'employeur pour recueillir l'information pour prendre des mesures. Dans le cas contraire, l'employeur n'aurait aucune incitation à achever rapidement les enquêtes.

54 Le fonctionnaire a soutenu que l'employeur avait à sa portée l'information nécessaire pour prendre une décision sur les allégations portées contre lui. Une enquête n'était pas nécessaire. Par exemple, le fonctionnaire a fait valoir qu'une des allégations était qu'il n'avait pas respecté le protocole en téléphonant à la police relativement aux demandes du détenu. La réponse du fonctionnaire à cette allégation était qu'il avait reçu d'un surveillant correctionnel la directive d'appeler la police. Puisque tous les appels entrants et sortants du Pénitencier sont enregistrés, l'employeur n'avait qu'à examiner les enregistrements pour établir la vérité sur cette allégation. Par conséquent, une longue enquête n'était pas nécessaire. De même, l'employeur n'avait pas besoin d'une longue enquête pour déterminer si la menace de voies de fait alléguée n'était qu'une façon de parler plutôt qu'une menace sérieuse. Dès le début, l'employeur possédait toute l'information nécessaire pour prendre une décision.

55 Puisque l'information était si facilement accessible à l'employeur, le fonctionnaire a fait valoir que la longueur de la durée de sa suspension suggère une mesure disciplinaire déguisée. Il a fait observer qu'aucune tentative n'a été faite pour obtenir sa version des événements. Au lieu de cela, il a été suspendu de ses fonctions immédiatement, avant même qu'il ne soit informé qu'il y aurait une enquête. Ce fait soutient son affirmation selon laquelle la suspension était de nature disciplinaire. De plus, une fois que le rapport d'enquête avait été publié, il n'y avait certainement plus aucune raison de poursuivre sa suspension. Pourtant, même si le rapport d'enquête a été publié en avril 2007, le fonctionnaire s'estimant lésé est demeuré suspendu de ses fonctions jusqu'en novembre 2007, date à laquelle il est retourné brièvement au travail et a été informé qu'il ne ferait pas l'objet de mesures disciplinaires.

56 Le fonctionnaire a affirmé que l'argument de l'employeur concernant le caractère théorique du grief n'a été porté à son attention que quelques jours avant le début de l'audience et que cela n'était pas la position initiale de l'employeur à l'égard du grief. L'argument était fondé sur une interprétation de la demande de prestations d'accident du travail du fonctionnaire et de la décision de la commission des accidents du travail d'antidater sa demande au 22 novembre 2006. Toutefois, le fait qui va à l'encontre de cet argument est que lorsque le fonctionnaire est retourné au travail en 2006 après une longue période de congé, il n'a été soumis à aucune restriction. De plus, l'employeur a demandé un avis médical sur son aptitude au travail en janvier 2007 et un médecin de Santé Canada l'a informé en avril 2007 qu'il était apte au travail. Pour qu'une personne reçoive des prestations d'accident du travail, un certificat médical doit établir l'invalidité, ce qui n'a pas été fait dans le cas du fonctionnaire. Même s'il a connu une rechute, cela ne signifiait pas qu'il n'était pas en mesure de travailler tout au long de la période en question.

57 En effet, le fonctionnaire était suspendu avec traitement pendant toute la période. Personne ne croyait qu'il était malade au cours de cette période. Le fonctionnaire a fait valoir que Mme Rioux a témoigné que le code relatif à l'absence du fonctionnaire désignait une suspension avec traitement et non un congé d'accident du travail. Il a affirmé qu'on ne lui avait pas demandé de fournir un certificat médical qui attestait son aptitude à retourner au travail en novembre 2007, lorsqu'il est retourné à la suite de la période de suspension. S'il avait été en congé de maladie ou d'invalidité, un certificat d'aptitude aurait été nécessaire à son retour au travail. La demande d'indemnisation du fonctionnaire a été faite en novembre 2007 et était causée par le traitement qui lui a été réservé à son retour au travail à la suite de la période de suspension et n'était pas liée à la période de suspension.

58 Le fonctionnaire a soutenu que de façon générale, une mesure corrective est conçue pour mettre une personne suspendue à tort dans la position qu'elle occuperait s'il n'y avait pas eu d'acte fautif. Pour que le fonctionnaire soit admissible aux indemnités auxquelles il aurait eu droit s'il n'avait pas été suspendu à tort, il n'était pas nécessaire qu'il ait réellement effectué du travail.

59 Le fonctionnaire a déclaré que dans Frazee, la Cour fédérale avait confirmé que la façon dont un employeur qualifie ses mesures n'est pas déterminante. Au lieu de cela, un arbitre de grief doit regarder au-delà de la mesure de l'employeur pour déterminer l'intention réelle.

60 Le fonctionnaire a affirmé que la suspension était, en fait, une mesure disciplinaire déguisée et qu'elle était injustifiée. Il a demandé que le grief soit accueilli et que la détermination des dommages soit remise à plus tard.

61 Le fonctionnaire a fait valoir que la décision Finlay concernait une situation de faits presque identique et que, par conséquent, [traduction] « l'application du raisonnement de Finlay à la présente affaire doit mener à l'accueil du grief et à l'autorisation des mesures correctives demandées ».

C. Réplique de l'employeur

62 L'employeur a déclaré que la preuve soutenait la nécessité d'une enquête, puisque M. Leblanc ne connaissait pas tous les faits. Toute histoire a toujours plus d'une version, et M. Leblanc a témoigné que cela expliquait pourquoi il souhaitait une enquête indépendante. De plus, les allégations avaient des incidences potentielles sur la sécurité du Pénitencier. Il y avait une possibilité de menace contre un surveillant correctionnel. Dans un établissement correctionnel, l'employeur ferait preuve de négligence s'il ne portait pas attention aux mots employés par le fonctionnaire et s'il ne faisait pas enquête.

63 En ce qui a trait à l'affirmation du fonctionnaire selon laquelle la période de suspension a été requalifiée après coup, l'employeur a affirmé que le problème n'était pas apparu à brûle-pourpoint. Contrairement à la déclaration du fonctionnaire voulant qu'il n'ait pas fait l'objet de restrictions à son retour au travail en 2006, la preuve a démontré qu'il avait été affecté à l'équipe d'escorte à la demande du syndicat afin de faciliter son retour dans le milieu de travail. Aucun élément de preuve n'a expliqué pourquoi la commission des accidents du travail avait décidé d'accorder des prestations au fonctionnaire, avec effet rétroactif à compter du 22 novembre 2006. Toutefois, il a été admis que le fonctionnaire avait signé la demande de prestations et qu'il était à ce moment représenté à la fois par un représentant syndical et un représentant de l'employeur. En outre, il n'a pas interjeté appel de la décision de la commission des accidents du travail. 

64 De plus, des éléments de preuve ont été produits qui appuient le fait qu'il existait des préoccupations à l'égard de l'aptitude au travail du fonctionnaire. Même si le présent grief ne concerne pas le retour au travail du fonctionnaire, ce dernier a reconnu dans son témoignage que son retour au travail était un sujet de discussion en juin 2007.

65 L'employeur a réitéré que la suspension avec rémunération imposée le 22 novembre 2006 était de nature administrative et que, par conséquent, elle ne pouvait pas être renvoyée à l'arbitrage. Subsidiairement, le grief est théorique, puisque le fonctionnaire recevait des prestations d'accident du travail au cours de la période en question. Par conséquent, l'employeur a demandé à ce que le grief soit rejeté.

IV. Motifs

66 Ce grief a été présenté parce que le fonctionnaire a été suspendu de ses fonctions avec rémunération le 22 novembre 2006 en attendant les conclusions d'une enquête disciplinaire. Les résultats de l'enquête ont été publiés le 16 avril 2007, et aucune mesure disciplinaire n'a été imposée. Malgré ce fait, le fonctionnaire n'est pas retourné au travail avant novembre 2007. Même s'il était suspendu avec traitement, il a soutenu que la suspension était de nature disciplinaire et qu'elle constituait une sanction pécuniaire, puisqu'il n'a pu bénéficier d'occasions d'heures supplémentaires, de primes de poste et d'autres avantages en raison de son absence du travail. Il demande ces occasions et avantages manqués à titre de mesure corrective.

67 L'employeur a prétendu que pour qu'un grief puisse être renvoyé à l'arbitrage, en vertu de l'alinéa 209(1)b) de la LRTFP, la sanction doit être disciplinaire et doit être liée à une sanction pécuniaire. Il a fait valoir que dans la présente affaire, aucune de ces exigences n'était satisfaite. L'employeur a aussi affirmé que, même s'il était établi que le fonctionnaire avait été suspendu de ses fonctions pour des raisons disciplinaires, le grief était théorique, puisque le fonctionnaire se trouvait en congé d'accident du travail tout au long de la période et qu'il recevait des prestations d'accident du travail, ce qui annule toute mesure disciplinaire.

68 Cet argument était basé sur le fait que le retour au travail du fonctionnaire en novembre 2007 n'avait duré environ qu'une journée et demie, moment auquel il est parti en congé de maladie qui a par la suite été accepté comme une rechute d'un ancien problème de santé lié au travail pour lequel il avait reçu des prestations d'accident du travail. En fait, il s'est vu accorder des prestations d'accident du travail rétroactivement au 22 novembre 2006, date à laquelle il a été suspendu avec traitement. L'employeur a fait valoir que les indemnités et les avantages demandés dans le grief étaient fondés sur des occasions de travail manquées, mais puisque le fonctionnaire était inapte au travail selon sa demande de prestations d'accident du travail, il n'avait pas le droit de s'en prévaloir.

69 Le fonctionnaire a fait valoir que si un employeur pouvait suspendre un employé en attendant les conclusions d'une enquête sans examen et surveillance, il n'aurait aucune incitation à terminer l'enquête. Il a déclaré que la question fondamentale soulevée par le grief était de savoir combien de temps une suspension administrative en attendant les résultats d'une enquête peut durer avant que la suspension ne devienne disciplinaire. En ce qui a trait à l'argument subsidiaire de l'employeur sur le caractère théorique du grief, le fonctionnaire a contesté qu'il recevait des prestations d'accident du travail pour la période en question, alléguant qu'elles étaient [traduction] « considérées comme » des prestations, plutôt que de réelles prestations.

70 Il est clair que cette affaire comporte deux volets. Le premier concerne ma compétence et, plus particulièrement, si le grief est assujetti ou non à l'alinéa 209(1)b) de la LRTFP, qui stipule ce qui suit :

209.   (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b)   soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […]

71 Le second volet concerne le caractère théorique du grief et, en particulier, si la réception avec effet rétroactif des prestations d'accident du travail par le fonctionnaire au cours de la période en question rend effectivement théorique sa demande relative aux occasions ratées d'heures supplémentaires et aux autres pertes d'indemnités et d'avantages pour la période de suspension. Logiquement, la question de savoir si l'affaire qui m'est présentée est théorique devrait être examinée en premier, puisque si le cas est théorique, il n'y a aucune raison de considérer d'autres questions. Toutefois, dans le présent cas, les parties ont argumenté de façon approfondie la question de la compétence. De plus, la demande de prestations d'accident du travail a été réalisée un an après que la suspension en question ait été imposée et accordée avec effet rétroactif. Pour cette raison, je crois que la nature de la suspension du fonctionnaire doit être déterminée en fonction de l'information qui était disponible au moment de son imposition. 

72 Bien entendu, la question de savoir ce qui constitue une sanction disciplinaire n'est pas nouvelle. Comme cela a été déclaré par la Cour fédérale dans Frazee, « […] toute mesure prise par l'employeur qui a un effet préjudiciable sur l'employé n'est pas nécessairement une mesure disciplinaire ». Dans Frazee, la Cour a soutenu qu'un des facteurs à considérer pour déterminer s'il y a eu une mesure disciplinaire est l'intention de l'employeur, même si elle reconnaît que son intention réelle peut être différente des motifs énoncés au moment d'imposer la sanction. En déterminant la véritable intention de l'employeur quant à la sanction, la Cour a fait valoir que l'examen de l'effet de la mesure sur l'employé serait une considération importante. Par exemple, la Cour a fait observer que si la sanction était disproportionnée par rapport au motif qui était invoqué, si elle avait une incidence importante sur la carrière de l'employé ou si elle laissait entendre que l'employeur juge la conduite de l'employé coupable, il serait possible de déterminer qu'il y a eu une mesure disciplinaire.

73 Dans Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 70, l'arbitre de grief a soutenu qu'une suspension administrative sans traitement en attendant les résultats d'une enquête était devenue une mesure disciplinaire lorsque l'employeur avait dépassé le délai que l'arbitre de grief avait jugé raisonnable pour achever l'enquête. En contrôle judiciaire, la Cour fédérale a annulé cette décision au motif que l'arbitre de grief avait seulement considéré le délai d'exécution de l'enquête et qu'il n'avait pas pris en compte l'intention de l'employeur au moment d'imposer la sanction (Procureur général du Canada c. Basra, 2008 CF 606). Toutefois, la Cour d'appel fédérale a infirmé la décision de la cour inférieure (2010 CAF 24), estimant que l'arbitre de grief avait, en fait, considéré l'intention de l'employeur lors de l'évaluation de la sanction en question.

74 À la suite de Frazee et de Basra, le rôle d'un arbitre de grief pour évaluer la nature d'une sanction afin de déterminer la compétence a été succinctement énoncé dans King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 45, paragraphe 62, où l'arbitre de grief a stipulé ce qui suit :

62   Le point essentiel que je retiens de Frazee et des décisions Basra est que je dois examiner les circonstances du présent cas en fonction de la preuve révélatrice de l'intention du défendeur au moment de la suspension du fonctionnaire sans traitement et par la suite. Si je suis convaincue que le défendeur a démontré que, selon la prépondérance des probabilités, l'intention sous-tendant sa décision « administrative » n'était pas disciplinaire au moment où la décision a été prise et qu'elle est demeurée non disciplinaire pendant la suspension en découlant, je dois donc refuser d'exercer ma compétence. À l'inverse, si le défendeur ne s'est pas acquitté de son fardeau, alors je dois conclure que sa décision était disciplinaire dans son essence, peu importe la description qu'en fait le défendeur, et que, par conséquent, j'ai la compétence nécessaire pour examiner le grief aux termes de l'alinéa 209(1)b) de la Loi.

75 Selon les circonstances du présent grief, et selon le témoignage de M. Leblanc, je crois que lorsque la suspension avec traitement a d'abord été imposée au fonctionnaire le 22 novembre 2006, l'intention de M. Leblanc n'était pas disciplinaire. Il a déclaré qu'il était préoccupé par les allégations contre le fonctionnaire, plus particulièrement par le fait qu'elles concernaient la santé et le bien-être d'un détenu. Il a expliqué qu'il avait craint que le fonctionnaire ait vécu des difficultés liées à son retour au travail après un congé de maladie et qu'il soit stressé. Il a affirmé qu'il avait lancé une enquête parce qu'il craignait de ne pas disposer de tous les faits et qu'il était conscient qu'une histoire peut présenter diverses versions. À l'appui de ce témoignage, il a été établi qu'il a pris des mesures pour que le fonctionnaire soit soumis à un examen médical pour évaluer son aptitude au travail, ce qui n'est pas, selon moi, compatible avec une intention disciplinaire. Qui plus est, il a témoigné qu'il avait suspendu le fonctionnaire de ses fonctions avec rémunération pour ne pas accroître son stress. Selon ces éléments de preuve, j'accepte que l'intention initiale de la suspension du fonctionnaire n'était pas disciplinaire.

76 Toutefois, M. Leblanc avait accès au rapport d'enquête et aux résultats de l'examen de l'aptitude au travail à la fin d'avril 2007, au plus tard. Il a été établi que le fonctionnaire était apte à accomplir toutes les fonctions de son poste. Même si l'auteur du rapport médical reconnaissait que le fonctionnaire subissait un certain stress en milieu de travail en raison de ses relations avec les membres du personnel et qu'il recommandait de considérer un changement de lieu de travail pour atténuer son stress, rien n'indiquait dans le rapport qu'il ne pouvait pas retourner au travail.

77 Malgré le fait qu'il n'y avait aucune donnée dans le rapport médical pour justifier la poursuite de la suspension, le fonctionnaire n'est pas retourné au travail avant novembre 2007. M. Leblanc a témoigné qu'on lui avait mentionné que le fonctionnaire souhaitait poursuivre sa suspension. Toutefois, le fonctionnaire a affirmé ne pas avoir demandé la prolongation de sa suspension. Selon mon analyse, la preuve directe du fonctionnaire est préférable au ouï-dire de M. Leblanc. En fait, le fonctionnaire a témoigné qu'il avait demandé à plusieurs reprises quand il pourrait retourner au travail et que le président du syndicat local l'avait informé que l'employeur étudiait le rapport d'enquête disciplinaire. Il a en outre affirmé qu'il n'avait été informé qu'au moment de sa rencontre avec M. Leblanc, le 7 novembre 2007, qu'il ne ferait pas l'objet de mesures disciplinaires à la suite des conclusions de l'enquête.

78 L'employeur a suggéré que le fait qu'une rencontre avait eu lieu en juin 2007 entre l'employeur, le fonctionnaire et son avocat pour discuter des plaintes de harcèlement en cours déposées par le fonctionnaire soutenait son allégation selon laquelle l'absence prolongée du fonctionnaire était soit à la demande de ce dernier, soit un résultat de sa demande de mesure d'adaptation. Je ne crois pas que la preuve relative à cette rencontre de juin était suffisamment claire ou détaillée pour me permettre de conclure que la prolongation de la suspension faisait suite à une demande du fonctionnaire, particulièrement à la lumière de sa preuve explicite du contraire et du rapport médical qui indiquait qu'il était apte à accomplir les fonctions de son poste. Des discussions en cours à propos de mesures d'adaptation n'excluent pas nécessairement un retour au travail, et il convient de préciser qu'aucun document officiel n'a été produit pour clarifier le statut du fonctionnaire entre avril et novembre 2007. Il faut aussi noter que M. Coakely n'a pas témoigné, même s'il avait apparemment approuvé la prolongation de la suspension avec rémunération. Peut-être aurait-il pu l'expliquer.

79 Je crois que le fait que l'employeur ait omis de réintégrer le fonctionnaire à son travail en avril 2007, une fois qu'il avait reçu le rapport d'enquête, a transformé la suspension administrative en sanction disciplinaire. Même si la suspension du fonctionnaire était avec traitement, il a subi une perte financière continue en raison d'occasions manquées d'heures supplémentaires et de pertes d'indemnités. Qui plus est, une suspension, avec ou sans rémunération, est involontaire et crée une perception défavorable chez l'employé et ses collègues, particulièrement lorsqu'elle survient dans un contexte d'enquête disciplinaire. Selon moi, le défaut de ne pas retourner un employé au travail promptement après la réception d'un rapport d'enquête est punitif. Il est impossible de considérer que le silence et l'inaction de l'employeur en de telles circonstances n'ont pas d'importance.

80 Même si M. Leblanc a témoigné qu'il n'avait pas imposé de mesures disciplinaires au fonctionnaire à la suite de la publication du rapport, dans les faits, aucune déclaration officielle en ce sens n'a été transmise au fonctionnaire avant le 7 novembre 2007, où on lui a dit qu'il pouvait retourner au travail. Aucune autre explication raisonnable à l'égard de sa suspension n'a été avancée au cours de cette période. Uniquement sur la base de ces faits, je considère que la suspension du fonctionnaire entre le 20 avril 2007, lorsque l'employeur disposait du rapport d'enquête et de l'évaluation de l'aptitude au travail, et le 7 novembre 2007, lorsque le fonctionnaire a été informé qu'il pouvait retourner au travail, était disciplinaire et non justifiée, compte tenu de la déclaration de M. Leblanc selon laquelle il avait décidé de ne pas imposer de mesures disciplinaires.

81 En temps normal, une conclusion que la suspension était injustifiée mènerait à la détermination de mesures correctives appropriées. À ce sujet, je comprends l'employeur, qui a fait valoir que les avantages et les indemnités demandés par le fonctionnaire, ainsi que les occasions manquées d'heures supplémentaires, ne seraient pas payables d'après une lecture franche de la convention collective, qui demande à ce que les employés travaillent réellement pour bénéficier d'une indemnité.

82  À titre de principe général, je ne suis pas d'accord avec cet argument. Les arbitres de grief accordent régulièrement des dédommagements pour des occasions manquées d'heures supplémentaires ainsi que pour la perte d'avantages et d'indemnités pour remédier à des suspensions disciplinaires injustes. De plus, dans Finlay, qui concernait une réaffectation administrative avec rémunération jusqu'à ce qu'une enquête disciplinaire soit terminée, l'arbitre de grief a estimé qu'une fois que l'employeur avait déterminé que le fonctionnaire s'estimant lésé ne ferait pas l'objet de mesures disciplinaires, ce dernier avait le droit de réintégrer son poste et de bénéficier des occasions et des avantages normaux offerts aux employés. L'arbitre a soutenu qu'un manquement à cet égard constituait une mesure disciplinaire. Par conséquent, le fonctionnaire s'estimant lésé avait le droit d'être remboursé pour les avantages qu'il avait perdus en raison de sa réaffectation.

83 Comme je l'ai indiqué, en temps normal, j'ordonnerais de telles mesures correctives pour la présente affaire. Toutefois, une dernière question reste à analyser. Le 27 novembre 2007, à la suite de sa tentative infructueuse de retour au travail en novembre 2007, le fonctionnaire a rempli une demande de prestations d'accident du travail (pièce E-12). Même si la demande démontrait que sa dernière journée de travail était le 21 novembre 2007, il était aussi indiqué que depuis sa dernière demande d'indemnisation, il n'était retourné au travail que de février 2006 à novembre 2007 ainsi que brièvement en novembre 2007. La demande a été faite sur la base d'une rechute de l'ancien problème de santé indemnisable du fonctionnaire et qu'à son retour au travail, il n'était pas prêt à occuper ses fonctions. En février 2008, cette demande a été acceptée rétroactivement au 22 novembre 2006 (pièce E-5) et, à un certain moment en 2009, le statut du fonctionnaire a été changé de façon rétroactive pour un congé d'accident du travail (pièce E-7).

84 Le fonctionnaire n'a pas contesté l'application rétroactive de ses prestations d'accident du travail. À son avis, il était toujours payé par l'employeur et cela ne faisait aucune différence dans la pratique. Toutefois, qu'il soit conscient ou non de la différence, son accord à l'égard de ses prestations d'accident du travail rétroactives à compter du 22 novembre 2006 était une déclaration sans équivoque selon laquelle il était inapte au travail en raison d'une blessure subie au travail tout au long de la période pour laquelle il demande un dédommagement dans le présent grief.

85 Selon moi, le fait que les prestations d'accident du travail aient été accordées de façon rétroactive ne fait pas en sorte qu'il est impossible de soutenir que l'intention de l'employeur était de nature disciplinaire lorsqu'il a suspendu le fonctionnaire après le 20 avril 2007. À ce moment, la demande de prestations n'avait pas été faite et, comme je l'ai constaté, l'information dont disposait l'employeur n'appuyait pas une conclusion selon laquelle le fonctionnaire était inapte au travail. Pour toutes les raisons que j'ai énumérées, si ce n'était de la demande fructueuse de prestations d'accident du travail, j'aurais conclu que le fonctionnaire avait fait l'objet d'une suspension disciplinaire entre le 20 avril 2007 et le 7 novembre 2007. Toutefois, l'effet pratique de l'attribution des prestations d'accident du travail de façon rétroactive au premier jour de la suspension du fonctionnaire signifie que la suspension était rétroactivement modifiée en congé d'accident du travail.

86 En conséquence, il est impossible d'accorder au fonctionnaire un dédommagement pour la perte d'avantages en raison de la suspension, puisque la suspension était annulée et remplacée par sa demande subséquente fructueuse de prestations d'accident du travail. Tout ce que je peux faire est de déclarer que le fonctionnaire a été suspendu de ses fonctions sans motif valable du 20 avril 2007 au 7 novembre 2007. C'est la raison pour laquelle je ne peux accueillir que partiellement le grief.

87 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

88 Je déclare que le fonctionnaire a été suspendu sans motif valable du 20 avril 2007 au 7 novembre 2007.

Le 25 septembre 2013

Traduction de la CRTFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

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