Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé nommé pour une période déterminée - il a reçu une lettre de réprimande après avoir utilisé le système de courrier électronique du défendeur au travail afin de commenter les résultats de l’élection de la section locale du syndicat - à peu près au même moment, l’administrateur général a également allégué que le fonctionnaire s’estimant lésé était intervenu dans une situation de conflit d’intérêts dans l’exercice de ses fonctions - après avoir été contacté par une entreprise du secteur privé qui avait déjà fait affaire avec le fonctionnaire s’estimant lésé, le défendeur a mené une enquête concernant cette allégation et a décidé qu’il ne renouvellerait pas la nomination pour une période déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé - le contrat de travail d’autres employés nommés pour une période déterminée dans l’unité a été renouvelé - le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision de ne pas renouveler son contrat de travail comme étant un licenciement - il a aussi allégué qu’il avait subi de la discrimination et du harcèlement en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), prétendant qu’il y avait eu une tendance de différence de traitement relativement à plusieurs événements qui étaient survenus au sein du milieu de travail, notamment la réprimande et la décision de ne pas renouveler son contrat de travail - il a de plus contesté la réprimande - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’avait pas la compétence pour entendre le grief concernant la réprimande, notant toutefois qu’il pourrait prendre en compte la preuve y afférente lorsqu’il considérerait les autres griefs - l’arbitre de grief a également rejeté le grief fondé sur la discrimination et le harcèlement parce que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas prouvé que le défendeur avait agi de mauvaise foi lorsqu’il a pris la décision de ne pas renouveler la nomination pour une période déterminée - l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas prouvé qu’il y avait eu violation de la LCDP dans aucune des décisions du défendeur à l’égard des différents incidents qu’il prétendait être discriminatoires - le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas non plus établi la preuve que ces décisions, lorsqu’elles sont considérées dans leur ensemble, étaient discriminatoires ou constituaient du harcèlement - dans ses commentaires sur le grief de licenciement, l’arbitre de grief a fait observer qu’il y avait des situations où le non-renouvellement d’un contrat de travail pouvait constituer un licenciement et qu’il était nécessaire d’examiner la loi en tenant compte des faits d’un cas afin de déterminer la compétence - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’avait pas la compétence pour traiter le grief dont il était saisi parce que la décision de ne pas renouveler le contrat de travail du fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas été prise de mauvaise foi et qu’il n’y avait pas eu de preuve de violation de la LCDP. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-09-19
  • Dossier:  566-02-7448 à 7450
  • Référence:  2013 CRTFP 112

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GORDON TETI

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

défendeur

Répertorié
Teti c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Agustus Richardson, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
James Cameron, avocat

Pour le défendeur:
Pierre Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Toronto (Ontario)
du 9 au 12 juillet 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le Conseil du Trésor (Services des programmes et de l’administration) (l’« employeur ») et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « syndicat ») sont les parties à une convention collective arrivant à échéance le 20 juin 2014 (la « convention collective »). Au début de 2012, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), Gordon Teti, profitait d’une série de nominations intérimaires de courte durée pour travailler à titre d’agent de programme (PM-02) au ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences du Canada (Services aux citoyens) au bureau de Toronto. Cette série de nominations a commencé le 1er avril 2011 (pièce E-13). Les nominations ont été renouvelées six fois. Le 28 février 2012 est la date du dernier renouvellement, lorsque l’employeur a prolongé sa nomination du 30 mars 2012, date de fin qui était prévue jusque-là, au 30 avril 2012 (pièce E-19). Le 29 mars 2012, cependant, le fonctionnaire :

a. a été mis en congé payé;

b. a été escorté à l’extérieur des bureaux de l’employeur et avisé qu’il ne devait pas revenir sans remettre un préavis à l’employeur et sans la permission de ce dernier;

c. a été avisé que son emploi auprès de l’employeur prendrait fin à la fermeture des bureaux le 30 avril 2012 et ne serait pas prolongé (pièce U-1, onglet 18).

2 Les événements ayant mené aux mesures prises par l’employeur le 29 mars 2012 sont à la base des trois griefs dont je suis saisi.

3 Le premier grief, daté du 23 mars 2012, contestait [traduction] « une politique soutenue et constante de harcèlement et de discrimination de la part de la chef d’équipe [du fonctionnaire], Carmen Varao-Phillips (direction) à [son lieu de travail], en contravention du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique [le « Code d’éthique »] » (pièce U-1, onglet 1 (dossier de la CRTFP 566-02-7450)). Le fonctionnaire est noir;  il a émigré du Kenya il y a quelques années. Le grief ne prévoyait pas de mesure de redressement précise.

4 Le deuxième grief, daté du 27 mars 2012, contestait le fait qu’il avait [traduction] « fait l’objet de mesures disciplinaires injustes, en contravention des dispositions de la convention collective dans son ensemble et de toute politique pertinente » (pièce U-1, onglet 2 (dossier de la CRTFP 566-02-7449)). En guise de redressement, ce grief demandait que la lettre disciplinaire datée du 26 mars 2012 soit retirée du dossier personnel du fonctionnaire, et que toute autre mesure corrective soit prise pour l’indemniser intégralement.

5 Dans son troisième grief, daté du 2 avril 2012, le fonctionnaire se plaignait du fait qu’il avait été [traduction] « licencié injustement, en contravention de la convention collective et de la Loi canadienne sur les droits de la personne » (pièce U-1, onglet 3 (dossier de la CRTFP 566-02-7448)). Ce grief visait à ce que le fonctionnaire obtienne les mesures de redressement suivantes :

[Traduction]

a. Que l’employeur supprime de mon dossier les lettres de mesure disciplinaire et de licenciement du 29 mars;

b. Que mon dossier soit épuré;

c. Que l’on me propose une prolongation de ma nomination d’une durée déterminée en fonction de mes qualifications et des prolongations offertes à mes collègues;

d. Que l’on m’accorde des dommages à la hauteur de mes droits en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

e. Que l’on prenne toute autre mesure de redressement que l’arbitre de grief estime juste dans les circonstances.

6 Vers le 16 août 2012, on a aussi remis à la Commission canadienne des droits de la personne un avis concernant le grief de discrimination et de harcèlement du fonctionnaire (dossier de la CRTFP 566-02-7450). L’avis indiquait que le motif de distinction illicite impliquait l’employeur, qui, selon les allégations, [traduction] « avait fait preuve de discrimination à l’endroit de M. Teti en le traitant différemment et de façon négative en raison de sa race et de son origine nationale, en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». En guise de mesures correctives, le fonctionnaire cherchait à obtenir ce qui suit :

a. que l’on annule la décision de ne pas renouveler la nomination d’une durée déterminée et que l’on indemnise intégralement le plaignant;

b. que l’on offre à M. Teti la même prolongation de la nomination d’une durée déterminée que ce qui a été offert à ses collègues;

c. que l’on retire les lettres disciplinaires du dossier de M. Teti;

d. que l’on accorde à M. Teti des dommages punitifs;

e. que l’on prenne toute autre mesure corrective jugée appropriée dans les circonstances.

II. Questions préliminaires

7 Au début de l’audience, le représentant de l’employeur a soulevé deux objections, une concernant la procédure et une sur le fond.

8 Je me pencherai d’abord sur l’objection liée à la procédure. Cette objection découle d’une demande formulée par l’employeur le 13 juin 2013 pour que l’on reporte l’audience qui était prévue du 9 au 12 juillet 2013. On avait présenté cette demande parce que l’avocat de l’employeur avait [traduction] « trouvé un témoin important qui [devait] témoigner à l’audience ». On ajoutait dans la demande que [traduction] « il y a eu une erreur de communication qui a fait que ce témoin a été identifié il y a quelques jours seulement ». Le témoin (qui n’a jamais été identifié) allait [traduction] « être à l’extérieur du pays durant les dates prévues pour l’audience ».

9 Je prends un moment ici pour souligner que l’on avait proposé ces dates pour l’audience en décembre 2012. Les deux parties ont eu amplement l’occasion d’indiquer si ces dates leur convenaient. Aucune des deux parties n’a soulevé d’objections, et on a confirmé ces dates en janvier 2013. Le 28 mai 2013, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a remis aux parties un avis d’audience officiel. J’ajouterai également que la demande de l’employeur ne précisait pas qui était le témoin qui ne serait pas disponible. Elle n’expliquait pas pourquoi ou comment ce témoin n’avait été identifié que [traduction] « quelques jours seulement » avant le 13 juin, ni pourquoi ou comment ce témoin était essentiel, pourquoi son témoignage était [traduction] « important », pourquoi l’employeur n’avait pas constaté plus tôt l’importance du témoignage de ce témoin, ni pourquoi il lui avait été impossible d’assurer la présence du témoin au moyen d’une assignation à témoigner.

10 Le représentant du fonctionnaire s’est opposé à cette demande. Puisque les griefs portaient sur un présumé licenciement, et puisque l’employeur n’a pas fourni l’information indiquée ci-dessus, j’ai jugé, le 19 juin 2013, que la demande devait être rejetée, et on a avisé les parties de cette décision.

11 Au début de l’audience, l’avocat de l’employeur a précisé que, bien qu’il respectait la décision qui avait été prise, il souhaitait que la demande et le refus soient consignés au dossier. J’ai acquiescé à cette demande.

12 La deuxième objection portait sur ma compétence. La compétence d’un arbitre de grief concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage est limitée par l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») à « […] une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». L’avocat de l’employeur a soutenu que dans le cas du fonctionnaire, on avait simplement décidé de ne pas renouveler son contrat d’une durée déterminée. Le contrat d’une durée déterminée était arrivé à échéance conformément aux clauses prévues. Comme il ne s’agissait pas d’un « licenciement », je n’avais pas compétence pour entendre l’affaire.

13 Cela dit, l’avocat a aussi reconnu que la jurisprudence n'exclut pas qu’un arbitre de grief puisse avoir compétence pour examiner ou évaluer si la décision de l’employeur de ne pas renouveler un contrat d’une durée déterminée a été prise de bonne foi, mais qu’une telle analyse ne pouvait être réalisée sans qu’au moins certaines preuves aient été produites. Il a donc accepté que l’on procède à l’audience, à la condition qu’il puisse renouveler son objection à la compétence lorsque toutes les preuves auront été produites.

III. L’audience

14 Le fonctionnaire a été le premier à présenter ses arguments. J’ai entendu les témoins suivants, qui ont témoigné en sa faveur :

a. le fonctionnaire lui-même;

b. Ian Thompson, qui était représentant syndical durant la période en cause, et qui a agi au nom du fonctionnaire immédiatement avant et après le 29 mars 2012;

c. Avry Carty, agente de programme de niveau PM-02 (assignée à témoigner), qui travaillait dans le même bureau que le fonctionnaire, près de celui-ci, et qui était également représentante syndicale à l’automne 2011.

15 J’ai entendu les témoignages en faveur de l’employeur des personnes suivantes :

a. Carmen Varao-Phillips, qui était, à divers moments durant la période en cause, soit la chef d’équipe soit la gestionnaire intérimaire du fonctionnaire;

b. Nora Hibberd, qui était tout au long de la période en cause l’une des quatre gestionnaires de l’unité où travaillait le fonctionnaire, et de qui relevait Mme Varao-Phillips;

c. Nicole Gowan, qui était tout au long de la période en cause consultante en relations de travail et qui a donné à la direction des conseils à l’égard du fonctionnaire;

d. Bill Woods, qui, en mars 2012, occupait un poste de directeur exécutif principal à Service Canada, en Ontario, et qui était responsable du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) à cet endroit.

16 Les parties ont également produit un certain nombre de documents en preuve.

17 Les faits dans cette affaire sont relativement simples et n’ont pas été sérieusement contestés par l’une ou l’autre des parties. C’est la façon dont on a qualifié ces faits qui a été remise en cause (en particulier en ce qui concerne l’allégation de harcèlement et de discrimination), les conclusions à en tirer et les questions de droit qui en découlent. Cela dit, je ne vois pas l’utilité de présenter un résumé exhaustif du témoignage de chacun des témoins. Je propose d’exposer simplement mes conclusions de faits, et d’expliquer un fait en particulier seulement lorsque c’est nécessaire ou lorsqu’il faut résoudre un conflit important par rapport à la preuve.

IV. Les faits

18 Le fonctionnaire est originaire du Kenya. Après avoir fréquenté l’université là-bas, il est venu au Canada pour étudier à l’Université du Manitoba et à l’Université de Winnipeg, au milieu des années 2000. Pendant cette période, il travaillait aussi à temps plein ou à temps partiel, entre autres en tant qu’agent de sécurité, au Manitoba (pièce U-3). Il a aussi travaillé de temps à autre au Kenya. En 2009, il a quitté le Manitoba et sa famille (il avait une femme et trois filles) pour déménager à Toronto, afin d’occuper un poste d’agent de services aux citoyens (PM-01), dans la division du Programme des aides familiaux résidants (PAFR) de l’Unité des travailleurs étrangers temporaires (UTET) de Service Canada (RHDCC) (pièce U-3). Il s’agissait d’un poste d’une durée déterminée qui débutait le 20 août 2009 et se terminait en mai 2010. La nomination d’une durée déterminée du fonctionnaire a ensuite été prolongée à plusieurs reprises. En novembre 2010, on lui a offert une nouvelle nomination pour un poste d’agent de programme (PM-02) à compter du 1er décembre 2010 (pièce E-14). Cette nomination d’une durée déterminée a ensuite été prolongée cinq fois, la dernière fois du 30 mars 2012 au 30 avril 2012 (pièces E-14, E-15, E-16, E-17, E-18 et E-19). Pendant cette période, il travaillait dans un centre d’appels où il répondait à des questions sur le PAFR que lui posaient des employeurs potentiels.

19 Dans la mesure où ces précisions sont pertinentes dans le cadre de la présente procédure, l’UTET gérait deux programmes distincts, mais liés : le PAFR, et le PTET même. Le premier traitait les demandes des employeurs pour permettre l’entrée au Canada d’un sous-ensemble précis de travailleurs étrangers temporaires, plus précisément ceux qui sont venus au Canada à titre d’aides familiaux résidants. Ce programme était relativement simple, selon Mme Varao-Phillips. Le PTET, comme le nom l’indique, était plus complexe. Il traitait les demandes des employeurs de différents domaines et industries afin d’autoriser l’entrée au Canada de travailleurs étrangers temporaires pour qu’ils puissent travailler pour ces employeurs. Puisque le programme s’appliquait à un grand nombre d’industries différentes, les règles, les règlements et les lignes directrices régissant ce programme étaient plus complexes ou, du moins, plus détaillés.

20 Le fonctionnaire a déclaré qu’en novembre 2010, on lui a annoncé qu’un poste était disponible à l’UTET, et il a accepté ce poste. La nomination était d’abord pour le mois de décembre 2010, à partir du bureau de Toronto, et devait se terminer le 31 décembre 2010 (pièce E-14). Quatre autres employés ont été nommés en même temps et dans les mêmes conditions. Ils ont tous suivi une formation sur le programme. Leur chef d’équipe était Mme Varao-Phillips.

21 Mme Varao-Phillips a parlé du programme de formation de l’employeur. Un agent de programme (AP) commençait par suivre une formation de plusieurs jours sur le programme auquel il était affecté. Après la formation initiale, on lui assignait quelques dossiers. Le travail qu’il faisait sur chacun des dossiers qui lui étaient assignés était surveillé par un conseiller en expertise opérationnelle (CEO). Pendant la période de surveillance, un AP traite les dossiers et formule des recommandations, mais il ne peut prendre de décisions de façon indépendante sans obtenir l’approbation de la personne qui le surveille. Cette période se poursuit jusqu’à ce que le surveillant soit convaincu que l’AP peut travailler de façon autonome. À ce stade, on dit que l’AP est [traduction] « libéré » et qu’il est capable de gérer ses dossiers sans être surveillé. Elle a expliqué que la durée de cette période de formation variait selon le programme. Le PAFR était relativement simple, alors que le PTET était un peu plus compliqué. Elle estimait que, règle générale, la période de formation durait en moyenne de quatre à six semaines, après quoi l’AP était libéré pour travailler de façon autonome sur ses dossiers.

22 Mme Varao-Phillips a précisé qu’à la suite de sa nomination à l’UTET, en décembre 2010, le fonctionnaire a travaillé exclusivement au PAFR.

23 À un certain moment au cours de sa période de formation, le fonctionnaire a appris qu’il y avait des possibilités d’heures supplémentaires pour les AP travaillant au programme. Il a donné son nom pour faire des heures supplémentaires, mais Mme Varao-Phillips lui a dit que les nouveaux employés en formation ne pouvaient faire des heures supplémentaires. Le fonctionnaire a affirmé lors de son témoignage qu’il avait trouvé cela étrange, car (selon ses dires) deux ou trois autres recrues avaient donné leur nom pour en faire, et leurs demandes avaient été approuvées. Il n’a pas mentionné à Mme Varao-Philips qu’apparemment, d’autres recrues avaient reçu l’autorisation de faire des heures supplémentaires, et il n’a pas présenté de grief contestant ce refus. Quoi qu’il en soit, en février 2011, il a donné à nouveau son nom pour faire des heures supplémentaires et, selon lui, cette fois [traduction] « la réponse a été positive ». On lui a permis de travailler quelques heures supplémentaires en mai 2011 (pièce E-11). Ce récit correspondait à l’explication donnée à l’audience par Mme Varao-Phillips, lorsqu’elle a affirmé que les recrues ne pouvaient faire des heures supplémentaires avant d’être libérées et d’être en mesure de travailler en autonomie.

24 Le fonctionnaire a été libéré au début de 2011. Il a travaillé de façon autonome sur le PAFR. Il a précisé que l’un des CEO, Bill Shena, lui a donné des conseils sur le critère du seuil de faible revenu (SFR) à appliquer pour évaluer la demande d’un employeur. On a discuté du SFR lors d’une réunion du personnel qui a eu lieu le 15 août 2011. À la réunion, on a donné une directive qui, d’après lui, était contraire à celle qu’il avait reçue de M. Shena. Il a posé une question afin d’obtenir des éclaircissements sur ce point. Après cette question, Mme Varao-Phillips a décidé d’affecter au fonctionnaire un mentor qui devait lui donner d’autres directives et conseils sur le PAFR [traduction] « […] afin de [l]’aider dans le traitement des dossiers du PAFR et pour s’assurer qu’[il était] sur la bonne voie » (pièce E-10, un courriel daté du 23 août 2011). M. Shena était le CEO qui a été affecté à la surveillance de son travail.

25 La réponse du fonctionnaire à Mme Varao-Phillips était alors positive. Il a déclaré : [traduction] « [Je suis] reconnaissant d’avoir l’occasion d’en apprendre davantage et de continuer de m’améliorer en tant qu’employé. » Il a ajouté que toute [traduction] « source additionnelle de connaissances est primordiale et grandement appréciée » (pièce E-10). Le fonctionnaire a affirmé qu’à ce moment-là, il avait cru qu’on lui donnerait de nouveaux renseignements, mais qu’on lui a plutôt donné de l’information, des conseils et de la formation qu’on lui avait déjà donnés lorsqu’il avait commencé à travailler à ce poste. Il a affirmé avoir trouvé cela étrange.

26 Le 1er septembre 2011, la gestionnaire du fonctionnaire, Nora Hibberd, a approuvé la prolongation du contrat d’une durée déterminée du fonctionnaire; la nouvelle période s’étendait du 30 septembre 2011 au 30 décembre 2011 (pièce E-16).

27 Le fonctionnaire a aussi déclaré que, le 7 septembre 2011, M. Shena est venu à son poste de travail modulaire et l’a questionné sur son travail d’une voix forte. Après avoir discuté du dossier avec le fonctionnaire, M. Shena a baissé la voix et est reparti en souriant. Il est toutefois revenu environ 20 minutes plus tard avec un autre dossier sur lequel le fonctionnaire avait travaillé, et il a recommencé à le questionner sur son travail d’une voix forte. Le fonctionnaire a affirmé qu’il pouvait voir d’autres employés autour lever les yeux pour voir d’où venait cette perturbation. Il a déclaré avoir dit à M. Shena qu’il se sentait humilié devant ses collègues et que la conduite de M. Shena était déplacée. M. Shena est reparti vers son propre bureau. Le fonctionnaire a affirmé que ses collègues sont alors [traduction] « venus [le] voir pour [lui] dire que la façon dont Bill [l]’avait traité n’était pas correcte ». Mme Carty a été témoin de l’incident et a plus tard déclaré qu’elle estimait que la conduite de M. Shena était [traduction] « inacceptable et non professionnelle dans [leur] lieu de travail » (pièce U-1, onglet 7). Le fonctionnaire a précisé leur avoir dit qu’il avait envie de démissionner, mais qu’ils l’ont exhorté à ne pas le faire. Il est quitté le travail pour aller voir son médecin de famille, qui a plus tard indiqué que le fonctionnaire [traduction] « [subissait] un stress de plus en plus important au travail depuis trois semaines ». Son médecin a affirmé qu’il serait raisonnable pour le fonctionnaire de s’absenter du travail jusqu’au 12 septembre 2011 (pièce U-1, onglet 6).

28 Le fonctionnaire est retourné au travail et, le 13 septembre 2011, il a rencontré Mme Varao-Phillips, Mme Hibberd, Mme Carty et quelques autres personnes (pièce U-1, onglet 7). Il y avait consensus sur le fait qu’à la réunion, le fonctionnaire a remis en question la décision antérieure de lui donner de la formation additionnelle et de recommencer à le surveiller à la suite de la réunion du 15 août, puisque jusqu’à ce moment-là, il n’y avait eu aucune question ou plainte visant la qualité de son travail. Il a aussi remis en question la façon dont il avait été traité par M. Shena le 7 septembre. Mme Varao-Phillips a expliqué pourquoi la direction avait pris cette décision, mais a convenu qu’une décision de ce type devrait à l’avenir être discutée avec l’AP concerné [traduction] « […] pour s’assurer que tout le monde s’entend sur le plan visant le perfectionnement ou la formation dont l’AP a besoin pour assumer son rôle ». Elle a aussi convenu que la rétroaction à un AP devrait être donnée en privé (pièce U-1, onglet 7, courriel daté du 11 octobre 2011). Le fonctionnaire et Mme Carty ont tous deux pris cela comme des excuses de la part de Mme Varao-Phillips pour la façon dont la question de la formation avait été réglée.

29 Le fonctionnaire a déclaré qu’à la suite de la réunion, lui et Mme Carty s’attendaient à recevoir le compte rendu de la réunion et des décisions de la part de Mme Varao-Phillips. Lorsqu’il a constaté qu’il ne recevait rien, le fonctionnaire lui a envoyé un courriel le 3 octobre 2011 pour lui demander [traduction] « un compte rendu détaillé des questions ayant été discutées et des décisions prises durant [la] réunion » (pièce U-1, onglet 7). Mme Varao-Phillips a répondu le 11 octobre 2011 en faisant état, [traduction] « du mieux qu’[elle] pouvait se le rappeler, de la discussion principale et de l’issue de la rencontre qu’[il avait] demandée » (pièce U-1, onglet 7). Le fonctionnaire a répondu le 12 octobre 2011 que [traduction] « ce qu’[elle a] fourni n’est pas un résumé détaillé des délibérations » (pièce U-1, onglet 7). Il a demandé à Mme Carty, à titre de représentante syndicale, de [traduction] « produire un rapport détaillé des délibérations et des décisions de la réunion » (pièce U-1, onglet 7).

30 Mme Carty a alors envoyé un courriel de deux pages à Mme Varao-Phillips, le 12 octobre 2011. Ce courriel offrait un compte rendu de la rencontre du 15 août 2011 et de la décision subséquente (et liée, selon elle) de la direction de donner au fonctionnaire la formation [traduction] « d’appoint » et de lui affecter un CEO pour qu’il l’encadre dans son travail, [traduction] « sans lui fournir d’explication adéquate » (pièce U-1, onglet 7). Mme Carty a déclaré qu’il n’y avait aucune [traduction] « preuve concrète » justifiant la formation ou la surveillance, surtout que jusqu’à ce moment-là, on n’avait exprimé aucun commentaire ou préoccupation concernant le travail du fonctionnaire. Lorsqu’elle a raconté l’incident du 7 septembre 2011 avec M. Shena, elle a affirmé qu’il s’agissait d’une conduite déplacée de sa part. Elle a écrit qu’à l’avenir, il fallait [traduction] « procéder à une consultation mixte auprès de l’AP, du CEO et du chef d’équipe, lorsqu’il y a lieu de faire suivre une formation ou d’effectuer de la surveillance », en ajoutant que « les commentaires doivent être émis de façon respectueuse par toutes les parties concernées, et en toute intimité » (pièce U-1, onglet 7). Elle a conclu en disant que des éclaircissements sur les motifs de la surveillance et de la nouvelle formation du fonctionnaire (pièce U-1, onglet 7) [traduction] « seraient appréciés ».

31 En contre-interrogatoire à l’audience, Mme Carty a déclaré qu’elle n’a rien vu ou entendu, lors de la rencontre du 13 septembre 2011, qui puisse permettre de croire que la décision de donner de la formation ou de la supervision supplémentaire au fonctionnaire était basée sur de la discrimination en raison de son origine raciale ou nationale. Elle a reconnu qu’il y avait un grand nombre d’employés d’origines raciales ou nationales différentes. Tout ce qu’elle pouvait dire, c’était que le fonctionnaire était le seul Noir d’origine africaine; tous les autres Noirs étaient nés au Canada ou dans les Caraïbes.

32 Mme Varao-Phillips, qui était alors gestionnaire intérimaire, n’a pas répondu au courriel de Mme Carty. Elle a expliqué ne pas y avoir répondu parce que, le temps qu’elle traite la note de service, Mme Carty n’était plus représentante syndicale. Elle n’a pas donné de réponse à la personne qui a remplacé Mme Carty, parce qu’en tant que gestionnaire, elle estimait que ce n’était pas approprié. Il s’agissait plutôt de la responsabilité de Tina Cutler, qui était alors la gestionnaire d’équipe du fonctionnaire.

33 Le fonctionnaire a parlé de deux autres événements ultérieurs impliquant Jason Rainville, alors chef d’équipe intérimaire pendant que Mme Varao-Phillips était gestionnaire intérimaire, qui selon lui appuyaient ses allégations de discrimination.

34 Le premier incident est survenu vers le 11 novembre 2011. Le fonctionnaire s’occupait d’une cliente qui, selon le fonctionnaire, était extrêmement irritée en raison du peu de progrès relativement à l’une de ses demandes dans le cadre du PTET. Le fonctionnaire a expliqué qu’il a vérifié dans le système et constaté quelle était la source du retard (c’était apparemment la personne qui s’occupait du dossier au centre d’appels). Il savait que la procédure normale était de dire au client de téléphoner au centre d’appels pour obtenir des détails sur la demande. Cependant, comme elle était très fâchée, il s’est proposé pour téléphoner, au nom de la cliente, à la personne du centre d’appels. Il a alors envoyé un courriel à une certaine Padmavathi Iyer, qui s’occupait du dossier de la cliente, pour lui demander de répondre aux préoccupations de la cliente (pièce U-1, onglet 8, courriel daté du 3 novembre 2011). Mme Iyer a alors envoyé un courriel à son chef d’équipe, Duncan Jamieson, pour lui demander comment répondre à la demande du fonctionnaire (pièce U-1, onglet 8, courriel daté du 3 novembre 2011). M. Jamieson a ensuite envoyé un courriel au fonctionnaire, et à M. Rainville en copie conforme, pour lui dire que ce type de requête devrait plutôt être envoyé à son chef d’équipe, qui prendrait alors les mesures appropriées (pièce U-1, onglet 8).

35 Le fonctionnaire a affirmé qu’il était satisfait de cette réponse et qu’il a simplement répondu [traduction] « Merci ». Cependant, M. Rainville est venu le voir plus tard ce jour-là pour lui dire qu’il [traduction] « [n’avait] pas l’autorisation de donner des directives à qui que ce soit, et [qu’il] ne [devrait] pas dire à qui que ce soit comment traiter un dossier ». Le fonctionnaire a qualifié la conduite de M. Rainville de [traduction] « hostile ». Il a précisé que M. Rainville est alors parti sans lui donner [traduction] « l’occasion d’expliquer pourquoi [il avait] agi ainsi », et que pour cette raison, il lui a envoyé un courriel d’explication. Il a mis Mme Carty, Carla Benvenuto (qui était représentante syndicale) et Mme Iyer en copie conforme, entre autres personnes.

36 Je m’arrête un instant ici pour souligner que le témoignage du fonctionnaire concernant cet incident élude une bonne partie des détails concernant ce qui semble s’être réellement produit. Par exemple, le courriel envoyé à M. Rainville pour expliquer ce qui s’était produit disait en fait ceci :

[Traduction]

À la suite de notre rencontre de tantôt, je crois qu’il est impératif que l’on tienne une réunion avec Duncan pour apporter certains éclaircissements. Ce que j’ai fait, je l’ai fait de bonne foi et dans l’intérêt de l’employeur et du Ministère. Je me sens ébranlé et mal à l’aise en raison de ce que tu m’as dit, c’est-à-dire que je ne devrais pas dire aux autres quoi faire. Je traite cette question très sérieusement, puisque tu es venu me voir peu de temps après ce que je croyais être la conclusion du problème grâce à l’intervention de Duncan […]

[Pièce U-1, onglet 8]

37 M. Jamieson a répondu qu’il serait heureux de tenir une rencontre, mais qu’il voulait savoir de quoi le fonctionnaire voulait discuter au juste. Il a aussi demandé si Mme Carty serait présente à la réunion (puisqu’elle avait été mise en copie conforme dans le courriel du fonctionnaire) et, dans l’affirmative, si elle allait être présente en tant que représentante syndicale. Mme Benvenuto est alors intervenue par courriel en affirmant qu’elle voyait cet incident comme [traduction] « une simple erreur de communication [qu’elle avait] commise de nombreuses fois » (pièce U-1, onglet 8). Elle a ajouté qu’on lui avait dit par le passé que dans des cas semblables, elle devait d’abord parler à son chef d’équipe, ce qu’elle avait pris l’habitude de faire. Elle a conclu en disant qu’elle estimait [traduction] « raisonnable de s’attendre à recevoir des directives du chef d’équipe de qui [elle] relève, mais qu’il ne [s’agissait] là que de [son] opinion » (pièce U-1, onglet 8, courriel daté du 3 novembre).

38 Le fonctionnaire a répondu ce qui suit à Mme Benvenuto :

[Traduction]

Je respecte votre opinion sur cette affaire. Il était toutefois prématuré de votre part d’exprimer votre opinion à ce stade-ci, puisque cela porte atteinte à votre rôle d’arbitre. En outre, je doute que vous ayez connaissance des faits entourant cette affaire. Cela dit, veuillez accepter le fait que j’ai pris la décision qu’une réunion devrait être tenue pour discuter de cette affaire, et que la présence et la participation d’un représentant syndical est un préalable. Je suis impatient à l’idée de cet échange avec Duncan et Jason au moment qui leur conviendra le mieux […]

[Pièce U-1, onglet 8]

39 M. Jamieson a répondu à ce courriel en précisant que la présence d’un représentant syndical n’est requise que dans les cas où il est question de discipline, mais qu’il n’estimait pas que la rencontre soit de nature disciplinaire. Il ne voyait toutefois pas de problème à ce que le fonctionnaire invite un représentant syndical à la réunion s’il le désirait (pièce U-1, onglet 8). Le fonctionnaire a répondu en confirmant que Ken Horsford, le président local intérimaire du syndicat, devrait être présent. Il a aussi proposé que Mme Iyer [traduction] « participe à la rencontre pour faire connaître son point de vue, puisqu’elle était au centre de cette affaire » (pièce U-1, onglet 8). La rencontre a eu lieu le 7 novembre. Le fonctionnaire n’a pas parlé de ce qui s’est produit lors de cette réunion.

40 Le deuxième incident impliquant M. Rainville portait sur une demande du fonctionnaire visant à prendre ses vacances en novembre et en décembre. Le fonctionnaire a affirmé qu’il en avait fait la demande plus tôt à son chef d’équipe (qui n’était pas M. Rainville à cette époque). Lorsque M. Rainville a accédé au poste, il a dit aux membres de son équipe que ceux qui n’avaient pas encore présenté leurs demandes de congé devraient le faire. Le fonctionnaire lui a dit que ses vacances devraient être en novembre et en décembre, mais M. Rainville lui a répondu qu’il était [traduction] « trop tard » pour demander ces dates. Le fonctionnaire a indiqué avoir répondu qu’il ne faisait que [traduction] « le [lui] rappeler, puisqu’[il avait] déjà [fait] la demande à [son] superviseur précédent ». M. Rainville [traduction] « a maintenu que sa réponse était non”, mais Mme Hibberd [la gestionnaire de l’équipe] est intervenue, et sa demande a été approuvée ».

41 L’incident suivant dont le fonctionnaire a parlé à titre d’exemple de conduite discriminatoire implique Mme Hibberd. Le 1er novembre 2011, le bâtiment où se trouvent les locaux de l’Unité a été évacué. Mme Hibberd a indiqué que ces évacuations sont réalisées au hasard, et qu’elle ne savait pas au moment où on ordonnait l’évacuation s’il s’agissait d’un exercice ou d’une urgence réelle. Cette fois-là, le fonctionnaire se trouvait déjà à l’extérieur, car c’était sa pause-repas. Pour cette raison, il ne s’est pas rendu au point de rencontre obligatoire à l’extérieur du bâtiment, où tous les employés doivent se rassembler après une évacuation pour un dénombrement. Le fonctionnaire a croisé un employé qui lui a parlé de l’évacuation. Il est retourné dans le bâtiment et a parlé avec Mme Hibberd (qui était responsable du dénombrement, entre autres). Il a affirmé qu’elle a commencé par crier contre lui et le menacer de sanction disciplinaire. Le fonctionnaire était stupéfait et inquiet. Cependant, lorsqu’il est retourné voir Mme Hibberd à la fin de la journée pour lui reparler, il a [traduction] « eu l’heureuse surprise de recevoir des excuses de sa part, et elle [lui] a dit qu’elle s’était sentie comme un parent dans la situation, et que c’était pourquoi elle avait agi de la sorte ».

42 Le fonctionnaire a ensuite parlé d’un incident survenu le 11 novembre. Il a expliqué qu’il travaillait sur un dossier. La demande avait été envoyée par télécopieur, mais était illisible. Il a envoyé un courriel à l’employeur pour lui demander une copie plus claire. Il a ensuite fait un suivi en téléphonant au client. Il a eu, selon ses dires, une conversation agréable avec le client. Le client lui a dit qu’il lui reviendrait là-dessus. C’est toutefois son avocat qui a téléphoné au fonctionnaire pour l’accuser d’incompétence. Il a dit qu’il était nouveau dans le programme et qu’il n’appréciait pas que le fonctionnaire demande une nouvelle copie de la demande, car [traduction] « il savait pertinemment que la demande était lisible et que s’il y avait un problème, ce devait être en raison de [son] incompétence ». L’avocat a alors envoyé un courriel au fonctionnaire pour lui dire qu’il avait parlé au superviseur du fonctionnaire :

[Traduction]

[…] pour l’aviser que vous avez dit à mon client que nous avions envoyé une copie illisible. (Notre copie était lisible, mais peut-être que votre télécopieur l’a mal imprimée). Je lui ai aussi parlé de votre question, à savoir si le travailleur étranger avait de l’expérience de travail dans le domaine (ce qui n’est pas un critère dans le cadre du programme). Votre superviseur temporaire, Jason, peut m’appeler. Comme vous pouvez le voir, nous avons bel et bien envoyé le document par télécopieur, comme vous nous l’aviez demandé […]

[Pièce U-1, onglet 9]

43 Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait été stupéfait d’apprendre que Mme Varao-Phillips, qui était alors gestionnaire intérimaire, avait parlé à l’avocat et lui avait dit ce que l’avocat a allégué qu’elle a dit. Cependant, [traduction] « en raison de la nature temporaire de [son] emploi, [il a] souri et [s’est] dit qu’[il voulait] confirmer avoir eu raison de faire la demande ». Il a donc discuté du dossier avec elle. Il ne lui a pas parlé de ce que l’avocat lui avait dit, mais il lui a montré la demande pour qu’elle constate pourquoi il avait demandé une copie plus claire. Il a affirmé avoir été [traduction] « embarrassé et humilié » que sa gestionnaire ait discuté de la façon dont il traitait le dossier avec l’avocat. Il a alors fondu en larmes durant son témoignage. L’audience a été ajournée pour lui permettre de se ressaisir, et lorsqu’elle a repris, nous avons poursuivi avec les motifs l’ayant mené à présenter ses trois griefs.

44 Je note que Mme Varao-Phillips a affirmé se souvenir vaguement d’une discussion concernant une télécopie illisible. Il n’y avait, selon elle, rien de mal à ce qu’un agent de programme demande une copie plus claire. En ce qui concerne l’appel de l’avocat, elle a expliqué qu’elle recevait souvent des appels des clients et de leurs représentants, que ce soit pour complimenter ou critiquer le travail des agents de programme travaillant dans son bureau. Il n’y avait rien d’inhabituel à propos de cet appel.

45 Pour revenir à la chronologie des événements, le 29 novembre 2011, Mme Hibberd a approuvé une prolongation de la nomination du fonctionnaire pour la période du 30 décembre 2011 au 31 janvier 2012 (pièce E-17). Le 19 décembre 2011, Mme Hibberd a approuvé la prolongation de la nomination du fonctionnaire pour la période du 31 janvier 2012 au 30 mars 2012 (pièce E-18).

46 À la fin du mois de janvier 2012, le fonctionnaire procédait au traitement d’une demande présentée au nom de Sears Canada. Le 20 janvier, il a envoyé un courriel à l’avocat de Sears Canada pour lui dire que la demande avait été mise en suspens en attendant une confirmation de la demande auprès de l’employeur (pièce U-1, onglet 19). Il a également envoyé une copie de son courriel à une certaine Ismat Mirza, vice-présidente principale, Capacités commerciales et Ressources humaines, Sears Canada. Il a alors discuté de la question avec l’avocat et a décidé d’approuver la demande. Le 23 janvier 2012, il a envoyé à Mme Mirza un courriel contenant le passage suivant :

[Traduction]

[…] J’espère que vous avez reçu mon message vocal de ce matin. Je vous ai appelée et vous ai laissé un message pour vous aviser que j’allais communiquer avec vos avocats. J’ai réussi à parler à Kevin [l’avocat de Sears] et tout est beau. J’enverrai bientôt une copie de l’avis relativement au marché du travail à Kevin.

Lorsque vous aurez une minute, veuillez me téléphoner au [numéro de téléphone supprimé] […] [Pièce U-1, onglet 19]

47 Le fonctionnaire a précisé qu’au moment où il a envoyé ce courriel, il avait déjà approuvé la demande. Sa décision avait été prise et communiquée à l’avocat. Il a demandé à Mme Mirza de l’appeler [traduction] « par politesse […] car c’était la pratique courante ».

48 Mme Mirza a ensuite téléphoné au fonctionnaire. Il a indiqué qu’elle lui a demandé d’où il venait (ce qui était une question courante, selon lui, en raison de son accent). Il lui a dit qu’il était originaire du Kenya et qu’il était venu au Canada en tant qu’étudiant, grâce à l’appui du Canada. Elle a ensuite [traduction] « entrepris » de lui parler de sa propre histoire en tant qu’immigrante, comment elle a émigré de l’Afghanistan pour venir au Canada, trouvé un emploi chez Sears comme réceptionniste et gravi les échelons jusqu’à devenir vice-présidente. Elle lui a dit qu’elle avait trois enfants, et il lui a dit qu’il avait aussi trois enfants, dont une adolescente, à Winnipeg, qui cherchait un emploi. Le fonctionnaire a demandé à Mme Mirza comment il pouvait entrer en contact avec les Ressources humaines de Sears à Winnipeg et, selon ses dires, elle lui a dit qu’il pouvait lui envoyer le curriculum vitæ de sa fille. Elle lui a alors dit qu’elle trouvait cette conversation agréable, mais qu’elle devait se rendre à une réunion. Le fonctionnaire a indiqué que, puisqu’il n’avait pas eu la chance de lui raconter sa propre histoire en tant qu’immigrant au Canada, il lui a dit qu’il lui enverrait un lien vers son site Web personnel.

49 Le fonctionnaire n’a pas produit en preuve une copie du lien qu’il a envoyé, ni du site Web vers lequel Mme Mirza aurait été dirigée si elle avait cliqué sur ce lien. Il a plutôt remis une copie d’une [traduction] « Histoire de réussite de la CCMTGC [Campagne de charité en milieu de travail du gouvernement du Canada] », qu’il avait soumise en octobre 2011 dans l’intranet de l’employeur. Il avait apparemment présenté ce récit pour une campagne de charité interne qui avait été organisée par l’employeur, dans le cadre de laquelle on demandait aux employés de soumettre des histoires de réussites personnelles. La soumission du fonctionnaire (pièce U-7) comptait trois longs paragraphes qui parlaient de son enfance au Kenya et des encouragements de sa mère pour qu’il s’améliore en poursuivant ses études. Le passage suivant apparaît à la fin du dernier paragraphe :

[Traduction]

Gordon attribue sa réussite scolaire à sa mère, et il estime qu’elle lui a transmis les connaissances et la sagesse qui découlent de l’éducation. Ainsi, il a fondé LCF-Kenya en l’honneur de Mama Lorna, qui est décédée avant de pouvoir récolter les fruits de son labeur. La vision de LFC-Kenya est d’amener les jeunes à se prendre en main au moyen de l’éducation, grâce à l’appui et à la collaboration de nos partenaires.

50 Le fonctionnaire a expliqué que LCF-Kenya est un organisme de charité qu’il a fondé en l’honneur de sa mère. Il a expliqué qu’il n’avait pas envoyé à Mme Mirza le lien vers son site Web personnel (qui, selon lui, était textuellement identique à la pièce U-7), dans le but de solliciter — et il n’avait effectivement rien sollicité — des dons pour l’organisme de charité qui était mentionné dans cette page [traduction] « puisqu[’il n’aurait] pas pu le faire de toute façon, cet organisme n’étant pas enregistré au Canada, ce qui fait qu[’il ne solliciterait] jamais de dons pour cette fondation ». Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait envoyé le lien, il a répondu que c’était [traduction] « [parce qu’il était] fier de cette histoire […] et parce que Mme Mizra lui avait parlé de sa propre histoire et que c’était donc à son tour de lui raconter la sienne ». Il a aussi nié avoir demandé un emploi pour sa fille. Il a dit : [traduction] « Tout ce que j’ai demandé, c’était comment communiquer avec leur bureau de Winnipeg, et elle m’a proposé de le faire à ma place. » Plus tard cette journée-là, après avoir quitté le travail, il a bel et bien envoyé le curriculum vitæ de sa fille à Mme Mirza, à partir de son compte de courriels personnel.

51 Le jour suivant, c’est-à-dire le 24 janvier 2012, Mme Varao-Phillips a reçu un appel de l’avocat de société de Sears Canada. Mme Mizra avait parlé à l’avocat de société de certaines préoccupations concernant sa conversation avec le fonctionnaire. Par la suite, le même jour, Mme Varao-Phillips a parlé à Mme Mizra et à l’avocat de société. Elle a résumé ses conversations dans un courriel daté du 24 janvier 2012 envoyé à Mme Hibberd (et à Nicole Gowan en copie) (pièce E-12). Le courriel contient des ouï-dire et peut-être même des ouï-dire doubles (étant donné qu’elle a parlé autant à Mme Mizra qu’à l’avocat de société). Le fonctionnaire a relevé énergiquement des erreurs de fait que les notes contenaient. Et il y avait bel et bien de telles erreurs. Elles ont toutefois été relevées et corrigées dans l’enquête qui a suivi, au cours de laquelle Mme Mizra a corrigé ou nié certaines déclarations qui lui avaient été attribuées dans les notes de Mme Varao-Phillips — par exemple, que le fonctionnaire lui aurait demandé si elle voulait réfléchir à la possibilité [traduction] « d’adopter » sa fille, ou si elle pourrait l’aider, lui, à trouver un emploi dans le futur. Il n’en demeure pas moins que ces notes contenaient certains faits de base qui ne faisaient aucun doute :

a. le fonctionnaire a parlé avec Mme Mizra;

b. la conversation a eu lieu dans le cadre d’une demande relative au PTET, et c’est le fonctionnaire qui s’occupait de cette demande;

c. le fonctionnaire a envoyé à Mme Mizra un lien vers un site Web qui mentionnait l’organisme de charité qu’il avait fondé au nom de sa mère décédée;

d. il a été question de la fille du fonctionnaire qui se cherchait un emploi et il a demandé si Sears embauchait;

e. le fonctionnaire a envoyé lecurriculum vitæ de sa fille à Mme Mizra.

52 Mme Varao-Phillips a aussi écrit qu’elle se souvenait que le fonctionnaire avait présenté un document de [traduction] « conflit d’intérêts potentiel » l’année précédente, mais qu’elle croyait se rappeler qu’on avait jugé qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts (pièce E-12). Elle faisait référence au fait qu’au printemps 2011, le fonctionnaire avait soulevé la question de sa fondation auprès de son gestionnaire, où il s’agissait plus précisément de savoir si cela pouvait le mettre en situation de conflit selon le Code d’éthique. Encore une fois, le fonctionnaire n’a pas produit en preuve ce qu’il avait remis à son gestionnaire aux fins d’examen, mais il a produit une lettre du directeur général, Direction des ressources humaines, datée du 5 mai 2011 (pièce U-1, onglet 12). Dans cette lettre, on lui indiquait que son travail auprès de la fondation ne le mettait pas en situation de conflit d’intérêts. Cependant, on l’avisait également que :

[Traduction]

[…] il pourrait y avoir un conflit d’intérêts si vous aidez des personnes dans leurs démarches auprès du gouvernement en leur dévoilant des renseignements ou des procédures qui ne sont pas accessibles au public en général. Vous devriez également éviter les activités ou discussions qui pourraient être perçues comme une tentative de votre part de profiter de votre position, de votre titre, de vos contacts ou de vos pouvoirs à RHDCC (y compris Service Canada et Travail) pour obtenir des avantages ou des emplois pour des personnes auxquelles vous êtes associé […]

[Pièce U-1, onglet 12]

53 Mme Varao-Phillips a conclu en demandant conseil sur ce qu’elle devrait faire. Mme Gowan lui a alors dit que l’on mènerait une enquête sur cet incident, et qu’en attendant, elle ne devait pas en parler au fonctionnaire (pièce E-12).

54 Le 7 février 2012, on a avisé le fonctionnaire qu’une enquête administrative serait menée [traduction] « relativement à des infractions au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique » (pièce U-1, onglet 11). Il a alors rencontré Mme Gowan et d’autres personnes pour discuter de l’incident (voir les notes de Mme Gowan, à la pièce U-1, onglet 14). Peu importe que les notes soient un compte rendu textuel ou non, les preuves présentées par Mme Gowan et le fonctionnaire révèlent clairement qu’il a été mis au courant des préoccupations de la direction concernant le fait que sa conversation avec Mme Mizra pouvait constituer une violation du Code d’éthique.

55 Le 28 février 2012, Mme Hibberd a approuvé une prolongation de la nomination du fonctionnaire pour la période du 30 mars 2012 au 30 avril 2012 (pièce E-19).

56 Le fonctionnaire a ensuite été interrogé par l’enquêteur nommé pour examiner cette affaire. L’enquêteur a aussi parlé à Mme Mizra, entre autres. Il a rédigé un rapport provisoire qui a été examiné par Mme Gowan. Cette dernière a déclaré qu’elle a examiné l’ébauche de rapport et qu’elle n’y a apporté que des suggestions de nature grammaticale ou stylistique. Cependant, en contre-interrogatoire, il est devenu évident qu’elle a sommé l’enquêteur d’éliminer ce qu’elle qualifiait de [traduction] « zones grises ». Il devait plutôt rédiger un rapport sans équivoque et menant à des conclusions précises.

57 Pendant ce temps, le syndicat menait une élection pour la nomination des dirigeants de sa section locale. L’élection a eu lieu le 20 mars. Le 21 mars, le fonctionnaire a écrit un courriel aux nouveaux dirigeants pour les féliciter de leur victoire. Il y avançait que les dirigeants précédents étaient de connivence avec la direction, ajoutant qu’il était [traduction] « extrêmement heureux de constater que Ken Horsford ne s’était pas présenté pour être réélu, car son leadership était une honte » (pièce U-6). Le courriel a été envoyé par l’entremise du système de courriels interne de l’employeur, et non celui du syndicat. Il était aussi envoyé en copie conforme à plusieurs autres personnes, tant des membres du syndicat (notamment M. Horsford) que des non-membres (comme Mme Gowan).

58 M. Horsford a été vexé par le courriel, et il s’en est plaint à la direction. M. Thompson, qui est devenu le représentant syndical du fonctionnaire, a reconnu que l’utilisation du système de courriels de l’employeur n’était pas permise ou voulue par l’employeur, et certainement pas par le syndicat non plus. Il n’était toutefois pas rare que des discussions sur des questions syndicales se retrouvent sur le système de courriels de l’employeur; la pratique du syndicat consistait alors à dire aux employés concernés de cesser cette pratique. Selon M. Thompson (en réponse à l’objection de l’avocat de l’employeur), c’est aussi de cette façon que la direction réagissait à une utilisation non autorisée du système de l’employeur. [Traduction] « Normalement, a-t-il précisé, cela règle la question […], mais dans ce cas-ci, [les membres de la direction] ont décidé d’imposer une sanction disciplinaire à M. Teti [voir les motifs ci-dessous]. »

59 Le rapport final sur l’incident avec Sears Canada a été présenté au fonctionnaire le 22 mars 2012. Le fonctionnaire l’a produit en preuve, mais il n’a pas inclus les différentes annexes qui accompagnaient le rapport (pièce U-1, onglet 15). Celui-ci concluait que le fonctionnaire avait enfreint le Code d’éthique en profitant de son poste pour communiquer avec une vice-présidente de Sears Canada à des fins personnelles :

[Traduction]

a. en envoyant le curriculum vitæ de sa fille;

b. en envoyant un lien vers un site Web menant à son organisme de charité personnel.

[Pièce U-1, onglet 15]

60 On a donné au fonctionnaire l’occasion de répondre. Le 26 mars, M. Thompson, son représentant syndical, a fourni une réponse au nom du fonctionnaire (pièce U-1, onglet 16). M. Thompson se plaignait du fait que le rapport et l’enquête contenaient de l’information erronée qu’il attribuait à Mme Varao-Phillips. Il soulignait également l’absence de toute demande de dons auprès de l’organisme de charité, ainsi que l’absence de toute demande à Mme Mizra pour qu’elle obtienne ou offre un emploi à la fille du fonctionnaire. Il a également mentionné le fait (qui semble clair selon les preuves produites) que [traduction] « à Sears Canada […] on a clairement indiqué qu’ils téléphonaient par surcroît de précaution, plutôt qu’en raison de véritables préoccupations concernant le service rendu par M. Teti. Ils voulaient tirer la question au clair » (pièce U-1, onglet 16).

61 Le même jour, le fonctionnaire a aussi reçu une lettre disciplinaire du directeur, M. Azouz, relativement au courriel du 21 mars envoyé par le fonctionnaire au sujet des résultats des élections au syndicat. La lettre, rédigée par Mme Gowan, précise que [traduction] « on a confirmé que vous avez envoyé un message offensant et désobligeant à un autre employé, et que vous en avez envoyé des copies à d’autres employés et à des représentants syndicaux » (pièce U-1, onglet 17). Ce comportement était considéré comme déplacé et il a entraîné l’imposition d’une mesure disciplinaire sous la forme d’une lettre de réprimande qui devait demeurer dans son dossier pendant deux ans.

62 Bill Woods était le directeur exécutif principal de l’Ontario, à Service Canada, responsable du PTET. Il a déclaré qu’au début de 2012, M. Azouz, qui était le directeur de la direction générale, relevait de lui. Il a été informé des préoccupations concernant les discussions du fonctionnaire avec Mme Mizra, puis on l’a tenu au courant à mesure que l’enquête progressait. Il a indiqué que d’après ce qu’il avait compris, des responsables à Sears Canada avaient communiqué avec la direction afin d’exprimer leurs préoccupations à l’égard de cette discussion, et ils voulaient s’assurer de ne pas être accusés de quelque faute que ce soit relativement à cette affaire. Il s’est dit dérangé par cette affaire, car si c’était vrai que le fonctionnaire avait discuté de la possibilité de trouver un emploi pour sa fille et s’il avait transmis des renseignements concernant son organisme de charité, il avait alors [traduction] « manifestement dépassé les limites d’une discussion d’affaires normale entre un agent de programme et un employeur […]. Un agent de programme est en position d’autorité par rapport à l’employeur, puisqu’il prend la décision concernant l’avis relativement au marché du travail, qui peut avoir des répercussions sur les activités commerciales de l’employeur ».

63 Une fois l’enquête terminée, M. Woods a examiné le rapport avec M. Azouz et avec le sous-ministre adjoint. Mme Gowan recommandait [traduction] « le licenciement […] et c’était aussi [sa] conclusion ». Il a déclaré que selon lui, les enquêteurs avaient établi la véracité des allégations de conflit d’intérêts. Il a aussi tenu compte du fait que le fonctionnaire savait, au moins depuis mai 2011, à quel point il était important qu’il évite toute suggestion menant à un avantage pour les membres de sa famille ou pour son organisme de charité. Il a conclu que [traduction] « le non-renouvellement » de la nomination du fonctionnaire était la voie à suivre.

64 En contre-interrogatoire, M. Woods a reconnu qu’il présumait que le rapport de l’enquêteur était objectif et indépendant, et qu’il n’avait pas vu l’ébauche précédente du rapport. Il a convenu qu’il s’était appuyé sur le rapport pour prendre sa décision.

65 Cette rencontre a mené à deux conclusions : d’abord, que le contrat de travail du fonctionnaire ne serait pas renouvelé après son expiration, le 30 avril 2012; ensuite, que l’on dirait au fonctionnaire de quitter le bureau le 29 mars et de ne plus y revenir.

66 Mme Hibberd a précisé qu’à cette époque, il y avait dans le bureau une vingtaine d’employés embauchés pour une durée déterminée, dont le fonctionnaire. Tous les contrats de ces employés, sauf celui du fonctionnaire, ont été renouvelés en date du 1er mai 2012. Cela concordait avec la preuve présentée par le fonctionnaire. En outre, ce dernier a affirmé que lorsqu’il a quitté le bureau le 29 mars, [traduction] « il y avait une quantité astronomique de travail à faire, et peu avant qu’on [le] mette à la porte, d’autres employés avaient été embauchés en raison de la charge de travail au sein du Ministère, ce qui explique aussi pourquoi des employés faisaient des heures supplémentaires les samedis et les dimanches ». Ses propos n’ont pas été contredits par l’un ou l’autre des témoins de l’employeur.

67 Comme il a déjà été mentionné, le fonctionnaire a présenté trois griefs. On l’a questionné sur le premier grief, celui qu’il a déposé le 23 mars 2012 et qui contenait une allégation de harcèlement. Il a déclaré l’avoir présenté :

[Traduction]

[…] parce qu’à ce stade, compte tenu de tous les incidents qui s’accumulaient […], de ce qui s’était produit […], de ce que j’avais subi, à commencer par le refus de me permettre de faire des heures supplémentaires, puis le harcèlement verbal par un collègue [Bill Shena] et le fait que l’on ne lui a rien fait […] j’ai décidé qu’il était temps que je demande une forme de redressement […] j’avais mentionné les problèmes à la direction, mais on n’y avait pas donné suite […] la tendance se maintenait, alors j’ai pensé qu’il était temps […] c’était en dernier ressort, car comme je l’ai dit, puisque j’étais un employé contractuel embauché pour une durée déterminée, c’était en dernier ressort […]

68 Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait visé uniquement sa chef d’équipe, Mme Varao-Phillips, il a répondu que c’était parce que :

[Traduction]

[…] elle était directement responsable du premier incident, celui concernant les heures supplémentaires […], elle m’a refusé des heures supplémentaires alors que les autres employés y avaient droit […] le deuxième incident est lorsqu’on m’a renvoyé en formation, cela s’est produit parce qu’elle voulait que je suive une nouvelle formation […] puis il y a eu l’incident entre moi et Bill Shena, où elle a présidé la rencontre, mais n’a pris absolument aucune mesure […] alors compte tenu de toute cette inaction par rapport à ces incidents, elle est, à mon avis, directement responsable.

69 En ce qui concerne le second grief, qui porte sur la lettre de réprimande qu’on lui a remise en raison de son courriel du 21 mars (pièce U-6), il a déclaré avoir envoyé le courriel parce qu’il n’avait pas été satisfait de la représentation donnée par les délégués syndicaux précédents. Il a déclaré avoir été [traduction] « stupéfait de constater qu’on pouvait [lui] imposer une sanction disciplinaire pour avoir envoyé un courriel à des membres du syndicat au sujet des représentants syndicaux pour lesquels [il avait] voté ». Il n’a toutefois pas expliqué pourquoi il avait envoyé des copies de son courriel à d’anciens dirigeants syndicaux (M. Horsford) et à d’autres personnes qui ne faisaient pas du tout partie du syndicat (Mme Gowan).

70 On lui a également posé des questions sur les allégations de discrimination fondée sur sa race et son origine nationale qu’il a formulées dans son troisième grief. Il a expliqué dans les termes suivants pourquoi il avait formulé ces allégations : [traduction] « […] parce que nous sommes censés être tous traités de la même façon […] j’ai été traité de façon inhumaine, j’ai subi de la discrimination, j’ai été traité différemment parce que je suis différent […] la couleur de ma peau, mon origine, mon accent ».

V. Arguments au nom du fonctionnaire s’estimant lésé

71 L’avocat du fonctionnaire a convenu qu’une longue lignée de jurisprudence établit que l’expiration d’un contrat d’une durée déterminée n’est pas, en soi, l’équivalent d’un licenciement. Un employeur n’a aucunement l’obligation de renouveler un contrat d’une durée déterminée. Le refus d’un employeur de renouveler un tel contrat ne constitue pas une résiliation de ce contrat : Dansereau c. Office national du film, [1979] 1 C.F. 100; Chouinard c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 133, paragraphes 46 et 47.

72 L’avocat a également convenu qu’un arbitre de grief n’a pas compétence, aux termes de la convention collective ou de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), pour ordonner à l’employeur d’offrir un nouveau contrat à un employé embauché pour une durée déterminée dont le contrat est arrivé à échéance. Le pouvoir de nommer une personne — d’embaucher une personne — à un poste dans la fonction publique relève seulement de la Commission de la fonction publique : Chouinard, paragraphes 46 et 47. Cela étant le cas, il a aussi convenu que je n’ai pas compétence pour ordonner à l’employeur de prolonger la [traduction] « nomination d’une durée déterminée [du fonctionnaire] en fonction de [ses] qualifications et des prolongations offertes à [ses] collègues », comme il est demandé dans le grief de licenciement.

73 L’avocat a toutefois soutenu que la situation est différente si la décision de l’employeur de ne pas renouveler un contrat d’une durée déterminée ou d’y mettre fin avant qu’il arrive à échéance est motivée par de la discrimination fondée sur un motif de distinction illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des clauses antidiscriminatoires de la convention collective. Bien que dans un tel cas, un arbitre de grief ne pourrait toujours pas ordonner à l’employeur de réembaucher l’employé, il pourrait ordonner le versement de dommages en guise de mesure de redressement. Le pouvoir d’ordonner le versement de dommages découle des pouvoirs de redressement octroyés à un arbitre de grief en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’article 19 (Élimination de la discrimination) de la convention collective. Ces pouvoirs de redressement ne sont pas limités à ceux qui peuvent être exercés en vertu de la LRTFP. Ils sont plus larges que cela : voir, par exemple, Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 110, aux paragraphes 42, 43, 47 et 48; Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68, aux paragraphes 11 à 14. L’avocat a affirmé que ces pouvoirs étaient suffisamment larges pour permettre à un arbitre de grief d’ordonner le versement de dommages tenant lieu de réintégration.

74 L’avocat a soutenu que je pouvais en arriver aux conclusions de fait suivantes en m’appuyant sur les preuves :

a. que l’emploi du fonctionnaire a pris fin non pas parce qu’il était arrivé à échéance, mais parce qu’on a licencié le fonctionnaire;

b. que ce licenciement était le résultat de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale du fonctionnaire, deux motifs de distinction illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la convention collective.

75 L’avocat a alors avancé qu’après être arrivé à ces conclusions, j’avais compétence pour formuler une ordonnance qui, en pratique, donnait à l’employeur les options suivantes :

a. verser au fonctionnaire des dommages au lieu de lui proposer un nouvel emploi d’une durée déterminée semblable à celui offert à ses pairs;

b. offrir au fonctionnaire un nouvel emploi d’une durée déterminée, auquel cas il n’y aurait pas lieu de verser des dommages, puisque le préjudice serait intégralement réparé par l’offre d’un nouveau contrat d’une durée déterminée.

76 L’avocat a fait valoir qu’une telle ordonnance respecterait le pouvoir de nomination de l’employeur. Puisqu’il n’aurait pas l’obligation d’embaucher le fonctionnaire, son pouvoir de nomination demeurerait intact. L’ordonnance donnerait simplement à l’employeur le droit de choisir laquelle des deux conséquences possibles il devrait subir en raison de sa conduite discriminatoire : le versement de dommages ou la réembauche du fonctionnaire.

77 L’avocat a ensuite soulevé deux questions :

a. Le fonctionnaire a-t-il été licencié?

b. Si oui, le licenciement était-il motivé par de la discrimination fondée sur un motif de distinction illicite?

A. Y a-t-il eu licenciement?

78 L’avocat du fonctionnaire a soutenu qu’il n’y avait aucun doute sur le fait que le fonctionnaire a été licencié, le 29 mars 2012. Ce jour-là, on lui a dit que son contrat d’une durée déterminée ne serait pas renouvelé après le 30 avril 2012. Il a été mis en congé jusqu’au 30 avril, on l’a escorté à l’extérieur du bureau de l’employeur et on lui a interdit de revenir au bureau. Le fait qu’on lui a également dit, dans la deuxième lettre signée par M. Azouz le 29 mars, qu’il  [traduction] « cesserait d’être un employé à la fin de [sa] période d’emploi [p. ex. le 30 avril] » ne changeait pas le fait qu’à toutes fins, il cessait d’être un employé le 29 mars. L’avocat a souligné que le témoignage de M. Woods révélait que la direction avait décidé que la sanction disciplinaire adéquate était [traduction] « le non-renouvellement de son contrat et la cessation de son emploi ». Le fait que le fonctionnaire a continué à être rémunéré pour la période du 29 mars au 30 avril ne signifie pas qu’il était toujours un employé. La décision de l’employeur de priver le fonctionnaire de tous les attributs normaux d’un emploi à compter du 29 mars équivalait à lui retirer son statut d’employé à compter de cette date. Le fait que l’employeur a continué à payer le fonctionnaire pendant le reste du contrat de durée déterminée, après le 29 mars, ne transforme pas le licenciement en autre chose.

B. Le licenciement a-t-il été motivé par de la discrimination?

79 L’avocat du fonctionnaire a soutenu qu’il fallait faire la distinction entre ce que le fonctionnaire a fait et ce que l’on dit qu’il a fait. Ce qu’il a fait, c’était d’envoyer à Mme Mizra le curriculum vitæ de sa fille ainsi qu’un lien vers son site Web personnel. Il n’a pas demandé un emploi pour sa fille. Il n’a pas sollicité de dons pour la fondation qu’il avait créée au nom de sa mère. Mme Mizra ne s’y était pas non plus opposée à ce moment-là; en effet, elle a dit qu’elle l’enverrait au bureau de Winnipeg. L’avocat a reconnu que d’envoyer le curriculum vitæ n’était pas [traduction] « la chose la plus intelligente à faire », mais qu’il ne s’agissait tout au plus que d’une infraction [traduction] « assez mineure » au Code d’éthique. Ce geste aurait peut-être mérité une certaine forme de mesure disciplinaire, mais il ne pouvait justifier un licenciement.

80 Le fait que la décision s’appuyait sur un rapport qui était irrémédiablement fautif appuie cette conclusion. M. Woods a affirmé qu’il voulait un rapport objectif sur ce qui s’était passé. Ce qu’il a eu, cependant, n’était pas un rapport neutre s’appuyant sur une enquête indépendante et objective sur les faits. Le rapport n’a été remis qu’après que Mme Gowan ait demandé à l’enquêteur de réécrire son rapport provisoire de façon à en supprimer les [traduction] « zones grises » incertaines. Ses commentaires ne se limitaient pas à de simples questions de style ou de grammaire. Ils ont plutôt été fournis [traduction] « du point de vue des relations de travail » dans l’intention d’obtenir un rapport clair et [traduction] « sans équivoque ». Il en résulte que le rapport affiche un parti pris pour la direction. Il n’a pas été produit pour établir ce qui s’était passé; il a été rédigé pour appuyer la position de la direction selon laquelle le fonctionnaire avait enfreint le Code d’éthique.

81 Pour ce qui est de la question de la discrimination, l’avocat a soutenu qu’il n’avait pas besoin de présenter d’exemples de discrimination directe et ouverte pour soutenir la conclusion que le fonctionnaire a été victime de discrimination. Dans le contexte des relations humaines, il est rare que l’on ait ce genre de preuve irréfutable. Ce que l’on peut relever, cependant, c’est une tendance à traiter une personne différemment qui ne peut s’expliquer que par de la discrimination, consciente ou non, fondée sur un motif de distinction illicite. Ainsi, par exemple, si un employé est traité différemment de tous les autres employés et que cet employé appartient à une minorité raciale, il peut être justifié de soupçonner que le traitement différentiel dont cette personne fait l’objet est le résultat d’une discrimination fondée sur la race.

82 L’avocat a mentionné les exemples suivants pour illustrer le traitement différentiel dont le fonctionnaire a fait l’objet :

a. la décision initiale, au début de 2011, de refuser au fonctionnaire la possibilité de faire des heures supplémentaires, alors que les trois ou quatre autres stagiaires y avaient droit;

b. la décision de lui imposer une nouvelle formation en août 2011, après sa question à la réunion, même s’il n’y avait eu aucun problème de qualité à ce jour;

c. la décision de recommencer à le surveiller à la suite de cette réunion d’août, même si jusque-là, il travaillait (et prenait des décisions) de façon autonome;

d. la conduite de M. Shena lorsqu’il a parlé au fonctionnaire en public, d’une voix forte et avec un ton agressif, de façon à ce que d’autres employés l’entendent et s’inquiètent de la situation;

e. la façon brusque dont M. Rainville a traité le fonctionnaire pour la question du malentendu concernant les vacances;

f. la colère et le manque de respect que Mme Hibberd a affichés lors de l’exercice d’évacuation;

g. le fait que son superviseur a discuté avec un avocat de l’extérieur et lui a dit que, selon lui, le fonctionnaire manquait d’expérience;

h. la réprimande écrite pour avoir envoyé, par l’entremise du système de courriels de l’employeur, un courriel qui ne concernait pas ses activités professionnelles, alors que d’autres employés ayant fait la même chose n’ont reçu qu’un avertissement verbal;

i. la décision de licencier le fonctionnaire pour ce qui était, tout au plus, une violation mineure et innocente du Code d’éthique.

83 L’avocat a soutenu que ces actes révélaient que l’employeur traitait le fonctionnaire différemment des autres employés (et de façon plus sévère). Ce traitement différentiel ne peut s’expliquer que par de la discrimination fondée sur la race ou sur l’origine nationale ou ethnique.

84 Pour la question du redressement, l’avocat a avancé que, si le fonctionnaire n’avait pas subi de discrimination, il aurait été nommé de nouveau pour un poste d’une durée déterminée. C’est ce qui s’était produit à plusieurs reprises auparavant. Il ne manquait pas de travail au bureau. Tous ses collègues ont vu leur contrat prolongé. Dans cette affaire, le fonctionnaire n’a pas pu obtenir le renouvellement de son contrat d’une durée déterminée, mais en tant que victime de discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la convention collective, il avait droit à une indemnisation intégrale dans les limites légales possibles : Sangha v. Mackenzie Valley Land and Water Board, [2007] F.C.J. No. 1136, au paragraphe 28; Chopra c. Santé Canada, [2004] D.C.D.P. no 23; McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd, [2001] D.C.D.P. no 36. En outre, on ne pourrait conclure que le paiement de son salaire et de ses avantages entre la date de son licenciement et la date d’échéance de son contrat suffit à l’indemniser intégralement. Pour déterminer les dommages qu’il convient d’accorder au fonctionnaire, l’avocat m’a exhorté à tenir compte des éléments suivants : la perte, par le fonctionnaire, de l’occasion de poursuivre sa carrière dans la fonction publique fédérale; les contraintes et les pressions financières occasionnées par la conduite de l’employeur; le fait que, s’il n’avait pas subi de la discrimination, il aurait poursuivi sa carrière au moins en tant qu’employé embauché pour une durée déterminée, et qu’il serait peut-être devenu un employé permanent.

VI. Arguments au nom de l’employeur

85 L’avocat de l’employeur a commencé son argumentation en soulignant que je suis saisi, en fait, de trois griefs distincts : un grief pour la lettre de réprimande, un grief pour la décision de ne pas renouveler le contrat d’une durée déterminée du fonctionnaire, et un grief de discrimination. Il a soutenu qu’il était important de les traiter séparément et de ne pas les mélanger.

A. La lettre de réprimande

86 L’avocat de l’employeur a affirmé qu’un arbitre de grief n’a clairement pas le pouvoir d’examiner ou de traiter une lettre de réprimande. La compétence d’un arbitre de grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi se limite à l’examen d’une « mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire » [je souligne]. Dans l’affaire dont je suis saisi, la lettre de réprimande n’a pas entraîné un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire. Je n’ai donc pas compétence pour trancher ce grief et je dois le rejeter.

87 Je devrais mentionner ici que l’avocat du fonctionnaire était d’accord sur ce point. Il avançait en fait que je pourrais me servir de la lettre de réprimande comme preuve appuyant le grief de discrimination. À cet égard, l’avocat de l’employeur a toutefois répondu que la preuve, telle qu’elle était, n’appuyait pas un tel argument. La réprimande a été faite en réaction à l’utilisation par le fonctionnaire du système de courriels de l’employeur à des fins personnelles non officielles. La preuve établit clairement que l’employeur et le syndicat s’entendent tous deux sur le fait que le système de courriels de l’employeur ne doit être utilisé que pour les activités liées au travail. Qui plus est, le courriel ne pouvait être considéré comme lié à des activités syndicales, puisqu’il contenait une attaque personnelle contre la conduite et la personnalité d’un ancien représentant syndical qui était et demeurait un employé. Peu importe si la mesure disciplinaire courante pour une utilisation personnelle du système de l’employeur se limite généralement à une réprimande verbale plutôt qu’à une réprimande écrite, le fait demeure qu’il s’agissait d’une utilisation non autorisée. Il était donc justifié d’imposer une mesure disciplinaire. La lettre de réprimande ne représentait rien de plus que le contrôle normal du lieu de travail par la direction. Aucune preuve ne révèle qu’il s’agissait de plus que cela ou, en particulier, qu’elle était motivée ou influencée d’une quelconque façon par de la discrimination.

B. Le refus de renouveler le contrat d’une durée déterminée

88 L’avocat de l’employeur a soutenu que, essentiellement, il s’était produit ceci : avant la fin de son contrat d’une durée déterminée, on a dit au fonctionnaire que son contrat ne serait pas renouvelé; on lui a alors dit de partir et de ne pas revenir; on lui a versé son salaire et payé ses avantages pour le reste de son contrat d’une durée déterminée. La situation du fonctionnaire n’était donc pas différente de ce qu’elle aurait été si l’employeur lui avait simplement dit, le 29 mars que son contrat ne serait pas renouvelé après le 30 avril.

89 L’avocat de l’employeur a réitéré son argument selon lequel un arbitre de grief n’a pas compétence pour examiner un grief portant sur une décision de ne pas renouveler un contrat d’une durée déterminée. Le refus de renouveler un contrat ne constitue pas un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b). L’employeur n’a pas besoin de prendre des mesures pour mettre fin au contrat; celui-ci a simplement pris fin lorsqu’il est arrivé à l’échéance prévue dans ses clauses : voir, par exemple, Pieters c. Conseil du Trésor (Cour fédérale du Canada), 2001 CRTFP 100, aux paragraphes 45 et 46; Monteiro c. Conseil du Trésor (Agence spatiale canadienne), 2005 CRTFP 27, au paragraphe 12; Chouinard c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 133, au paragraphe 47. Cela étant, la motivation de l’employeur pour refuser de renouveler un contrat d’une durée déterminée n’est donc pas pertinente : Pieters, au paragraphe 46.

90 L’avocat a reconnu que la jurisprudence n’exclut pas qu’un arbitre de grief ait effectivement une compétence limitée pour examiner une affaire de non-renouvellement afin de déterminer si la décision a été prise de mauvaise foi : Re Laird c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration), [1990] CRTFPC. 213. Il a toutefois avancé que la jurisprudence tendait à indiquer, de façon prépondérante, que la question de la mauvaise foi (c’est-à-dire la motivation de l’employeur) n’est pertinente que lorsqu’un employeur met fin à un contrat d’une durée déterminée de façon prématurée : Chouinard, au paragraphe 48. Même dans ce cas, le seul redressement qu’un arbitre de grief pourrait accorder serait le versement du salaire qui aurait normalement été payé à l’employé embauché pour une durée déterminée s’il n’avait pas été licencié de façon prématurée : Laird; Foreman c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 73, au paragraphe 27. Or, dans l’affaire dont je suis saisi, le fonctionnaire a été rémunéré jusqu’à la fin de son contrat d’une durée déterminée. Il n’y a donc pas de mesure de redressement possible pour le fonctionnaire, même dans le cas où les mesures prises par l’employeur le 29 mars constituaient une résiliation prématurée de son contrat d’une durée déterminée.

91 L’avocat de l’employeur a soutenu énergiquement que ce qui s’était produit le 29 mars n’était pas une résiliation prématurée d’un contrat d’une durée déterminée, mais plutôt une décision de ne pas renouveler un contrat d’une durée déterminée. La décision était fondée sur des motifs raisonnables. La preuve établissait clairement que le fonctionnaire avait enfreint le Code d’éthique. Le fait que le rapport d’enquête comprenait peut-être des erreurs (bien que l’avocat n’ait pas concédé ce point) ne signifie pas que la décision de ne pas renouveler le contrat n’était pas justifiée. J’avais le droit d’examiner la question de novo, et d’autres preuves devant moi permettent de conclure que la décision était justifiée. Le fonctionnaire avait reçu précédemment une lettre l’avertissant de ce qu’il pouvait ou ne pouvait pas faire selon le Code d’éthique. M. Woods a affirmé lors de son témoignage qu’il a examiné lui-même les faits de base indépendamment du rapport et qu’il en a été préoccupé. Le témoignage du fonctionnaire lui-même appuyait la conclusion selon laquelle ses actes enfreignaient le Code d’éthique.

92 L’avocat a soutenu que je devais donc rejeter le grief de non-renouvellement pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a. je n’ai pas compétence pour examiner un grief portant sur le non-renouvellement d’un contrat d’une durée déterminée;

b. même si j’avais compétence en raison de la résiliation prématurée d’un contrat d’une durée déterminée, il n’y a aucun redressement que je pourrais accorder qui n’a pas déjà été payé par l’employeur en termes de salaire et d’avantages jusqu’à la fin du contrat.

C. Le grief de discrimination

93 L’avocat de l’employeur a affirmé que le fonctionnaire devait établir deux choses :

a. qu’il a fait l’objet d’un traitement différentiel de la part de l’employeur;

b. que ce traitement était motivé en tout ou en partie par sa race ou son origine ethnique.

94 L’avocat de l’employeur a soutenu qu’aucun des incidents mentionnés par le fonctionnaire ne pouvait être associé à un traitement différentiel motivé par de la discrimination raciale ou ethnique. On a déjà parlé de la lettre de réprimande et de la décision quant au non-renouvellement du contrat. Pour ce qui est de la question des heures supplémentaires, l’avocat a souligné qu’il existait une autre explication possible pour le refus initial — c’est-à-dire qu’il était encore surveillé — qui avait été avancée par Mme Varao-Phillips. En outre, la suggestion que le refus d’accorder des heures supplémentaires était discriminatoire peut également être réfutée par le fait que l’on a plus tard offert des heures supplémentaires au fonctionnaire, qui les a acceptées. En ce qui a trait à la discussion à voix haute entre le fonctionnaire et M. Shena, en septembre, ou à la réponse irritée de Mme Hibberd lors de l’exercice d’évacuation, ou encore à la question de savoir si le fonctionnaire pouvait prendre les vacances qu’il avait demandées, il ne s’agissait que d’exemples de [traduction] « mauvaises journées » pour les gestionnaires en question. Il ne s’agissait pas d’exemples de discrimination. En ce qui concerne la nouvelle formation et le retour sous surveillance à l’été ou au début de l’automne 2011, selon le témoignage du fonctionnaire lui-même, il était heureux, au départ, de pouvoir profiter d’une formation supplémentaire. Qui plus est, l’employeur a produit des preuves expliquant pourquoi le fonctionnaire devait suivre cette formation supplémentaire. Le fait que le fonctionnaire n’a finalement pas été satisfait de la formation ne signifie pas qu’elle était discriminatoire. Il revient au fonctionnaire d’établir un lien entre cette conduite et un motif de distinction illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou de la convention collective — il n’est pas suffisant de formuler de simples allégations. Voir, par exemple, Shaw v. Cox, 2012 H.R.T.O. 1949 (CanLII), aux paragraphes 15 et 16; Mukonkole v. Hi-Ball Services and another (No. 2), 2012 BCHRT 18 (CanLII), aux paragraphes 70 et 71.

95 Pour ces motifs, l’avocat a affirmé que je devais aussi rejeter ce grief.

96 Pour ce qui est de la question des dommages, l’avocat a indiqué que dans l’éventualité où j’en arriverais à la conclusion qu’il y a eu de la discrimination, les preuves de préjudice — ou de réduction du préjudice— sont [traduction] « plutôt minces ». Les demandes d’emploi que le fonctionnaire a produites en preuve sous la cote U-20 étaient limitées dans le temps et quant à leur portée. Il n’y en a eu que huit entre avril et décembre 2012. De janvier à mai 2013, il n’y en a eu que quatre, et toutes étaient pour le même poste d’observateur des élections au Kenya (même si elles étaient pour quatre partis différents). Par conséquent, on ne peut compter tout au plus que neuf demandes d’emploi distinctes. Le fonctionnaire recevait des prestations d’assurance-emploi durant une bonne partie de cette période, et ses problèmes de loyer ne sont survenus que dans les quelques derniers mois, lorsque son assurance-emploi a pris fin et qu’il a commencé à recevoir des prestations d’assurance sociale. Par conséquent, s’il y a lieu de lui verser des dommages, ceux-ci ne devraient être, au plus, qu’un petit montant.

VII. Réplique au nom du fonctionnaire s’estimant lésé

97 L’avocat a avisé qu’il n’y avait aucune réplique.

VIII. Analyse et décision

98 J’aborderai les trois griefs séparément, sans ignorer la déclaration du fonctionnaire que les faits d’un grief peuvent soutenir un autre grief.

A. La lettre de réprimande – dossier de la CRTFP 566-02-7449

99 La lettre du 26 mars 2012 dans laquelle l’employeur réprimande le fonctionnaire pour ce qu’il considère comme une mauvaise utilisation de son système de courriels était clairement de nature disciplinaire. Cette lettre n’a toutefois pas donné lieu à un licenciement, à une rétrogradation, à une suspension ou à une sanction pécuniaire. Elle a simplement été placée dans le dossier du fonctionnaire pour deux ans. Cela confirme que je n’ai pas compétence pour examiner le grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. J’ordonne donc la fermeture du dossier.

100 Cela ne veut pas dire que les faits ayant mené à la mesure disciplinaire ou cette mesure elle-même ne peuvent pas être pris en considération dans l’examen des autres griefs. Cela signifie seulement qu’un grief sur la lettre comme telle ne s’inscrit pas dans la compétence d’un arbitre de grief. 

B. Le grief de discrimination et de harcèlement – dossier de la CRTFP 566-02-7450

101 Dans ce grief, le fonctionnaire a affirmé qu’il y avait [traduction] « une politique soutenue et constante de harcèlement et de discrimination de la part de [sa] chef d’équipe, Carmen Varao-Phillips (direction) à [son lieu de travail], en contravention du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique » (pièce U-1, onglet 1).

102 Sans entrer dans les détails des arguments, je suis prêt à supposer que j’ai compétence pour examiner ce grief, car il met en cause la clause 19 de la convention collective. Toutefois, même en supposant que j’ai compétence, il est clair selon les éléments de preuve et les faits que le fonctionnaire n’a pas réussi à démontrer le bien-fondé de son allégation contre Mme Varao-Phillips.

103 En résumé, voici les incidents dont se plaint le fonctionnaire :

a. le refus initial de donner au fonctionnaire l’occasion de faire des heures supplémentaires quand il est arrivé au PAFR;

b. le fait qu’on ait obligé le fonctionnaire, en août 2011, à se soumettre à une formation et à un encadrement supplémentaires;

c. le fait qu’on aurait omis de répondre aux préoccupations du fonctionnaire au sujet de l’incident de septembre 2011 avec M. Shena;

d. les commentaires qui auraient été faits à l’avocat d’un client en novembre 2011 concernant la compétence du fonctionnaire;

e. le fait que Mme Hibberd aurait mal compris ou déformé les déclarations de Mme Mizra sur les actions commises par le fonctionnaire le 23 janvier 2012;

f. la conduite de Mme Hibberd lors de l’exercice d’évacuation;

g. la manière brusque dont M. Rainville aurait traité le fonctionnaire dans le cadre du malentendu concernant le calendrier des vacances;

h. la réprimande écrite pour avoir envoyé un courriel non lié au travail par l’entremise du système de l’employeur;

i. la décision de licencier le fonctionnaire pour ce qui était au mieux une violation mineure et innocente du Code d’éthique; 

j. le licenciement du fonctionnaire.

104 Pour ce qui est de la question des heures supplémentaires, le point fondamental est qu’aucun nouvel employé ne pouvait faire des heures supplémentaires avant d’être libéré. Avant d’être libérés, les employés devaient être encadrés par des CEO. Par conséquent, les CEO devaient être disponibles pour que les employés en formation puissent faire des heures supplémentaires. J’admets cet élément de preuve. Cette situation est logique et a du sens sur le plan opérationnel. De plus, cette preuve est soutenue par le fait que le fonctionnaire a plus tard pu faire des heures supplémentaires (un fait que ce dernier n’a pas nié), au moins à partir de mai 2011. Le fait qu’il a pu en faire en mai et non avant coïncide avec le fait que le fonctionnaire avait été libéré pour travailler de façon autonome à ce moment-là.

105 La preuve du fonctionnaire que plusieurs de ses collègues ont pu faire des heures supplémentaires ne suffit pas à elle seule à établir que Mme Varao-Phillips a commis un acte répréhensible. En admettant que le fonctionnaire dise vrai, aucune preuve indépendante n’indique où en était la formation de ces personnes ou si elles ont été libérées avant le fonctionnaire. Si la décision initiale de Mme Varao-Phillips était fondée sur des motifs illicites, on peut se demander pourquoi elle a changé d’avis et a accepté que le fonctionnaire fasse des heures supplémentaires la deuxième fois.

106 Pour ce qui est de la formation additionnelle, le fonctionnaire a lui-même déclaré lors de son témoignage qu’il était initialement content de pouvoir recevoir plus de formation. Sa plainte subséquente, qui portait sur le contenu de la formation — on lui a simplement remontré ce qu’on lui avait déjà appris — peut ou non être juste, mais là n’est pas la question. Mme Varao-Phillips avait le droit de décider si un employé dont elle était responsable pouvait profiter d’une formation ou d’un soutien additionnel. Le fait que la formation ou le soutien fourni (par une personne autre que Mme Varao-Phillips) ne répondait peut-être pas aux attentes du fonctionnaire ne prouve pas que Mme Varao-Phillips voulait harceler le fonctionnaire. Ce fait pourrait tout au plus appuyer une conclusion que les personnes à qui elle avait confié la tâche de fournir la formation ou le soutien ont mal compris ce qu’ils devaient faire ou ne l’ont pas fait correctement.

107 Pour ce qui est de l’incident avec M. Shena, les éléments de preuve indiquent clairement que Mme Varao-Phillips a bel et bien répondu aux préoccupations du fonctionnaire. Elle a admis qu’une meilleure explication du besoin de formation additionnelle aurait dû être fournie et elle le serait à l’avenir. Elle a également convenu que la rétroaction (négative) devrait être donnée en privé. On ne voit pas bien ce qu’on pouvait attendre de plus d’elle dans les circonstances. Le fait qu’elle ait choisi de ne pas imposer de mesure disciplinaire à M. Shena (si on suppose qu’elle était en droit de le faire) ne signifie pas qu’elle n’a pas tenu compte de la plainte du fonctionnaire sur sa conduite ou qu’elle ne l’a pas prise au sérieux. Cela signifie au mieux qu’elle a décidé qu’on ne pouvait rien tirer de plus de cette affaire en continuant d’y porter attention. Mme Varao-Phillips avait le droit de prendre cette décision de gestion. Le fait que le fonctionnaire n’était pas d’accord avec cette décision n’en fait pas une décision motivée par de la discrimination.

108 Pour ce qui est de la discussion du fonctionnaire avec l’avocat en novembre 2011, je conviens que le courriel envoyé par l’avocat au fonctionnaire était déplacé. L’avocat a traité avec dédain un employé qui ne faisait que son travail. Je crois que je peux prendre en compte le fait que les télécopies, particulièrement celles de formulaires remplis, sont souvent difficiles à lire, voire complètement illisibles. La réponse de l’avocat à la demande du fonctionnaire, qui voulait avoir une copie plus lisible, était déplacée, arrogante et fâcheuse, mais elle ne constitue pas une preuve de conduite déplacée de la part de Mme Varao-Phillips. Les commentaires faits par l’avocat au fonctionnaire concernant sa discussion avec elle étaient de toute évidence des ouï-dire, et compte tenu du contexte, il n’aurait pas fallu y ajouter foi. Mais même si ce n’était pas le cas, on peut difficilement blâmer Mme Varao-Phillips parce que quelqu’un a communiqué avec elle pour se plaindre — à tort ou à raison — du travail du fonctionnaire dans un dossier. De plus, Mme Varao-Phillips a indiqué qu’elle ne voyait pas ce qu’il y avait de mal à demander une autre copie d’une demande, ce qui me fait croire que Mme Varao-Phillips n’a pas critiqué ou blâmé le fonctionnaire à la suite de sa conversation téléphonique avec l’avocat.

109 L’autre point, bien sûr, est le fait que l’accusation du fonctionnaire que Mme Varao-Phillips a discuté de sa compétence avec l’avocat était fondée sur ce que l’avocat lui a dit, et non sur ce que Mme Varao-Phillips lui a dit. J’ai déjà noté que l’avocat s’était comporté de manière plutôt arrogante et agressive. Ses commentaires étaient des ouï-dire. Il se peut que le fonctionnaire ait été choqué par ce qu’il a entendu, mais il était injuste de sa part d’ajouter foi à ces commentaires sans demander à Mme Varao-Philips si elle avait bien dit ce que l’avocat a dit qu’elle avait dit. Aucune preuve n’indique qu’elle a effectivement dit ce qu’on l’accuse d’avoir dit.

110 Pour ce qui est du fait que M. Rainville a été brusque, aucune preuve n’indique qu’il était plus poli avec les autres personnes ou qu’il traitait habituellement mieux les malentendus découlant de lignes de communication qui se croisent. Mais lorsque M. Teti a poussé la question, c’est sa position, et non celle de M. Rainville, qui a prévalu.

111 Pour ce qui est de la réprimande pour envoi de courriel non lié au travail, dire qu’elle démontrait une différence de traitement fondée sur la race ou l’origine nationale ne convainc pas. Premièrement, cette affirmation était basée sur la preuve fondée sur des impressions — et la preuve par ouï-dire — de M. Thompson. Je note que l’avocat de l’employeur s’est opposé à cette affirmation pour ce motif. Deuxièmement, les courriels non liés au travail envoyés par l’entremise du système de l’employeur englobent un vaste éventail de contenu « offensant » — photos ou blagues sur les chats, potins, allusions sexuelles, attaques personnelles contre des collègues ou des gestionnaires, etc. Il me semble peu plausible que tous ces types de courriels ne mériteraient que des avertissements et des réprimandes verbales. Il est plus plausible que différentes sanctions soient imposées pour l’utilisation non autorisée du système de courriels, au moins en partie en fonction du contenu des courriels. Par exemple, je crois que tout employeur envisagerait de réagir à un courriel non autorisé dans lequel on attaque un collègue d’une manière différente qu’à une annonce de bicyclette à vendre. Le fait que l’employé dont la réputation était atteinte par le courriel du fonctionnaire se soit plaint de cette communication souligne cette distinction. Une réprimande écrite pour un tel courriel montre tout au plus que l’employeur a fait preuve de discrimination fondée sur le contenu, et non sur la race ou l’origine nationale.

112 Pour ce qui est du rôle initial de Mme Varao-Phillips dans le dossier de Sears Canada, il se peut que les notes qu’elle a prises après ses conversations avec l’avocat de Sears Canada et Mme Mizra contiennent des inexactitudes, mais cela ne prouve pas une intention de sa part de formuler des déclarations fausses ou trompeuses. Elle a parlé à deux personnes, dont l’une (l’avocat de société) lui a transmis de l’information par ouï-dire de l’autre personne (Mme Mizra). Dans ce cas, les inexactitudes dans les notes de Mme Varao-Phillips pouvaient tout aussi bien être dues à une mauvaise compréhension de l’avocat de société ou à la sienne, plutôt qu’à une intention de reproduire faussement ce que lui a dit Mme Mizra.

113 Par ailleurs, les faits fondamentaux décrits dans ses notes sont exacts et ne sont pas contestés par le fonctionnaire. Ce dernier a effectivement parlé à Mme Mizra de son lieu de travail. Il lui a effectivement demandé de l’information sur la façon dont sa fille pouvait obtenir un emploi à Sears Canada en présentant un curriculum vitæ. Il a bel et bien envoyé le curriculum vitae à Mme Mizra et lui a envoyé un lien vers son organisme de charité. Ces faits fondamentaux sont les mêmes que ceux qui ont été confirmés dans le rapport d’enquête sur lequel reposait la décision de ne pas renouveler la nomination d’une durée déterminée du fonctionnaire.

114 Enfin, pour ce qui est de la décision de licencier le fonctionnaire (c’est-à-dire de refuser de renouveler sa nomination d’une durée déterminée), elle n’a pas été prise par Mme Varao-Philips. Je me pencherai plus loin sur les circonstances entourant cette décision.

115 Je suis donc convaincu qu’aucun de ces faits, pris ensemble ou isolément, ne permet  de prouver de quelque façon le bien-fondé de l’allégation grave contenue dans le grief. Selon les éléments de preuve, l’allégation du fonctionnaire que Mme Varao-Phillips a fait preuve de discrimination contre lui était dénuée de tout fondement. Tout en concluant ainsi, je retiens également que cette allégation vise une chef d’équipe qui avait de nombreuses années d’expérience et qui travaillait dans un bureau où l’effectif comprenait un grand nombre de personnes de couleur et d’origines nationales et ethniques diverses. Dans ce contexte, le fonctionnaire devrait évoquer plus que le simple fait qu’il était noir ou venait du Kenya pour établir que Mme Varao-Phillips a fait preuve de discrimination contre lui dans l’exercice de ses fonctions de gestionnaire.

116 Le grief n’est pas fondé et doit être rejeté.

C. Le grief de licenciement – dossier de la CRTFP 566-02-7448

117 Encore une fois, on allègue dans ce grief que le fonctionnaire a été [traduction] « licencié injustement, en contravention de la convention collective et de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». Le grief visait initialement les mesures de redressement suivantes :

[Traduction]

  1. Que l’employeur supprime de mon dossier les lettres de discipline et de licenciement du 29 mars;
  2. Que mon dossier soit épuré;
  3. Que l’on me propose une prolongation de ma nomination d’une durée déterminée en fonction de mes qualifications et des prolongations offertes à mes collègues;
  4. Que l’on m’accorde des dommages en fonction de mes droits en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  5. Que l’on prenne toute autre mesure de redressement que l’arbitre de grief estime juste dans les circonstances.

118 Dans mon examen du grief, je dois revenir à la question de savoir si j’ai en fait compétence pour trancher ce grief. L’employeur croit que je n’ai pas compétence. Il dit qu’il n’a pas licencié le fonctionnaire; il a simplement décidé de ne pas renouveler son contrat d’une durée déterminée. Il n’avait aucunement l’obligation de renouveler le contrat du fonctionnaire, et un arbitre de grief n’a pas le pouvoir de lui ordonner d’offrir un nouveau contrat d’une durée déterminée à un employé nommé pour une durée déterminée dont le contrat de travail est arrivé à échéance. De son côté, l’avocat du fonctionnaire dit que l’employeur a licencié son client et que ce geste me donne compétence pour trancher ce grief. Il dit aussi que, puisque, comme le soutient le fonctionnaire, le licenciement était lié à de la discrimination, ce qui va à l’encontre des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la convention collective, j’ai le pouvoir d’accorder des dommages tenant lieu de réintégration — sauf, évidemment, si l’employeur décide plutôt de lui offrir un nouveau contrat d’une durée déterminée.

119 Pour comprendre ces arguments, il est d’abord nécessaire de savoir qu’un contrat de travail d’une durée déterminée arrive à échéance de deux façons, soit avant la date d’échéance prévue ou à la date d’échéance.

1. Lorsque la cessation d’emploi se produit avant la date d’échéance du contrat

120 Je crois qu’il est clair qu’en temps normal, la cessation d’un emploi avant la date d’échéance d’un contrat d’une durée déterminée équivaut à la résiliation de ce contrat. Dans ce cas, en vertu de l’alinéa 209(1)b), il est évident qu’un arbitre de grief a compétence pour entendre le grief sur cette cessation.

121 Il est plus difficile de déterminer quelles mesures de redressement un arbitre de grief peut accorder dans ce cas. Je conviens que ce dernier ne peut pas ordonner à l’employeur de réembaucher l’employé ou de lui offrir un nouveau contrat d’une durée déterminée, mais certains dommages peuvent être accordés si on a déterminé que le contrat a été résilié sans motif valable. Toutefois, faut-il que ces dommages ne dépassent pas le salaire qui devait être versé pour le reste du contrat, comme il a été suggéré dans Laird? Je n’en suis pas convaincu, et ce, pour les raisons mentionnées ci-dessous.

2. Lorsque le contrat se termine à la date d’échéance

122 L’argument de l’employeur sur ce point est en deux parties. Premièrement, on trouve de nombreuses décisions où on a jugé que, lorsqu’un contrat d’une durée déterminée se termine conformément aux modalités établies, il n’a pas été résilié. L’employeur ne fait rien. Il ne fait rien de plus ou de moins que ce qui avait été convenu : il embauche la personne pour une durée déterminée, et à la fin de la période prévue, cette personne cesse d’être un employé. Et comme il n’y a pas eu de licenciement, un arbitre de grief n’a pas compétence.

123 Deuxièmement, un arbitre de grief ne peut pas ordonner à l’employeur d’embaucher ou de réembaucher qui que ce soit. Seule la Commission de la fonction publique a ce pouvoir. Mais comme il ne peut pas ordonner à l’employeur d’embaucher ou de réembaucher un employé, il ne peut pas octroyer de dommages tenant lieu de réintégration. Octroyer des dommages reviendrait à faire indirectement ce qui ne peut être fait directement (voir, par exemple, Foreman c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 73, aux paragraphes 26 et 27), même si l’employeur a agi de mauvaise foi en renvoyant un employé nommé pour une durée déterminée avant la date d’échéance du contrat (Laird c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration), 1990 CRTFPC 213, à la page 16).

124 Cependant, si un arbitre de grief n’a pas le pouvoir d’ordonner qu’un employé nommé pour une durée déterminée soit réembauché et ne peut pas accorder des dommages tenant lieu de réintégration, il doit conclure qu’il n’a pas compétence pour entendre un grief qui, comme le présent grief, porte sur un employé nommé pour une durée déterminée qui a reçu un montant correspondant au salaire qu’il aurait reçu pendant le reste de son contrat.

125 Cet argument me pose plusieurs difficultés.

126 Premièrement, il va sans dire je crois qu’un arbitre de grief décide s’il a compétence pour entendre un grief. Mais la question de savoir si une cessation d’emploi en particulier constitue ou non un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi est une question de droit qui doit être fondée sur des conclusions de fait — c’est-à-dire sur des éléments de preuve, ce qui signifie que l’arbitre de grief doit avoir devant lui au moins quelques éléments de preuve pour rendre une décision sur ce point. La quantité de preuves nécessaires varie d’une affaire à l’autre. Il se peut que l’arbitre de grief ait besoin de peu de preuves — si peu qu’il serait en mesure d’admettre l’objection de l’employeur dès le début de l’audience. Toutefois, si les faits ou les questions sont plus complexes, il se peut qu’il doive entendre tous les éléments de preuve avant de rendre une décision concernant l’objection relative à sa compétence.

127 Deuxièmement, il me semble qu’il est excessivement formaliste de dire que, dans tous les cas, mettre fin à un contrat d’une durée déterminée selon les modalités établies ne constitue pas un licenciement. On fait ainsi prévaloir la forme sur le fond. Les affaires dépendent toutes de leurs faits. Mais avant tout, en acceptant cet énoncé, on combine deux contextes dans lesquels peut se produire la fin d’un contrat d’une durée déterminée.

128 Dans le premier contexte, la personne en question est embauchée pour accomplir une tâche précise (p. ex., pour un projet en particulier) ou pour combler un manque temporaire dans l’effectif de l’employeur (par exemple, pour remplacer une employée en congé de maternité). L’employeur a un besoin précis. Il doit trouver une personne pour accomplir une tâche précise pendant une période déterminée, et il comble ce besoin en nommant quelqu’un pour accomplir cette tâche ou remplacer un employé pendant la période en question. Dans ce cas, on peut établir que la cessation d’emploi n’était pas le résultat d’un geste posé par l’employeur. Le contrat est simplement arrivé à échéance à la date convenue par les parties. La décision Dansereau est en effet fondée sur ce type d’affaires.

129 Dans le deuxième contexte cependant, comme dans la présente affaire, l’employeur a un besoin continu à combler à long terme, et il embauche un employé non seulement pour accomplir un travail précis, mais pour effectuer des activités ou offrir un service réguliers et continus. Comme ce pourrait être le cas dans la présente affaire, les éléments de preuve peuvent soutenir la conclusion que généralement, les nominations pour une durée déterminée étaient systématiquement renouvelées. Dans ce contexte, il se peut en effet qu’il faille un geste ferme de la part de l’employeur pour éliminer ou changer le besoin ou le manque organisationnel (ou les deux) qui aurait normalement fait qu’une nomination pour une durée déterminée en particulier aurait été renouvelée. Un tel geste, s’il est empreint de mauvaise foi ou s’appuie sur des motifs illicites de discrimination pourrait, selon les faits, équivaloir à un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b). C’est le genre de situation sur laquelle était fondée la décision dans Laird.

130 Si dans ce cas une cessation d’emploi équivaut effectivement à un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b), je ne suis pas convaincu que le pouvoir d’un arbitre de grief en matière de redressement soit aussi limité que ce que suggère le représentant de l’employeur.

131 Je comprends que l’arbitre de grief dans Laird soit arrivé à la conclusion qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder des dommages pour le salaire perdu qui aurait été versé si la nomination d’une durée déterminée avait été renouvelée : « je n’ai pas le pouvoir de faire une déclaration à cet effet, car cela équivaudrait à faire une nomination » (voir la page 16). Je comprends également qu’il a pris cette décision malgré sa conclusion que l’employeur avait fait preuve de mauvaise foi dans cette affaire en mettant en disponibilité la fonctionnaire s’estimant lésée avant la fin de son contrat d’une durée déterminée, et malgré la conclusion que, sans le geste de mauvaise foi, [traduction] « tout semble indiquer » que sa nomination aurait été renouvelée pour au moins une autre année, sinon plus (voir la page 16). Cependant, et malgré tout le respect que je dois à l’arbitre de grief (et à tous ceux qui se sont appuyés sur son raisonnement depuis), je suis d’avis qu’il a poussé trop loin son raisonnement sur ce point.

132 Pour en arriver à sa conclusion, il est clair que l’arbitre de grief s’est appuyé sur la décision de la Cour d’appel fédéral dans Dansereau c. L’Office national du film, [1979] 1 C.F. 100, plus particulièrement le passage suivant, qu’il a cité :

L’employé engagé pour un temps déterminé n’est pas mis à pied lorsque le terme de son engagement arrive à expiration, car si son emploi cesse à ce moment-là ce n’est pas en raison du manque de travail, mais en vertu des termes mêmes du contrat d’engagement.

133 Si on analyse attentivement les faits et les décisions dans Dansereau, on ne devrait pas, selon moi, conclure qu’un arbitre de grief ne peut en aucun cas accorder un montant de dommages plus élevé que ce qui devait être versé dans le cadre du contrat pour une durée déterminée.

134 La décision de la Cour d’appel fédérale trouve son origine dans la décision ci-dessous de l’arbitre de grief Lachapelle dans Dansereau c. L’Office national du film, dossier de la CRTFP 166-8-3058 (19780112). Mme Dansereau a commencé par exécuter divers contrats à la pige pour l’Office national du film en tant que rédactrice, réviseure, directrice et productrice. Elle a ensuite été embauchée dans le cadre d’un contrat d’une durée d’un an en tant que directrice pour un film en particulier. À partir de sa nomination, elle est devenue une employée régulière, quoique temporaire, et elle était visée par la convention collective. Les pigistes n’étaient pas couverts par la convention collective.

135 Le film pour lequel Mme Dansereau avait été embauchée n’a pas été terminé dans le délai prévu. La nomination de Mme Dansereau a été prolongée d’un mois. Mme Dansereau a quitté son travail à la fin de ce mois. Selon les éléments de preuve, quand Mme Dansereau est partie, l’employeur avait recours à des pigistes qui réalisaient diverses tâches précises, et d’autres pigistes ont été embauchés après son départ, toujours pour des tâches précises. Il était également clair que Mme Dansereau avait les compétences et l’expertise nécessaires pour accomplir les tâches de ces pigistes.

136 Il y avait trois clauses pertinentes dans la convention collective. La première clause (13.03) stipule que les employés mis en disponibilité profitent d’une priorité de rappel pendant 18 mois après avoir été mis en disponibilité. La deuxième clause définit le terme [traduction] « mise en disponibilité » comme suit : [traduction] « cessation d’emploi par manque de travail ». La troisième clause prévoit ce qui suit :

40.01  L’employeur maintient le principe et la pratique de retenir les services d’employés réguliers et de pigistes. Il est convenu que les services de pigistes ne doivent pas être retenus pour contourner les dispositions de la convention ou pour mettre fin à l’emploi des employés réguliers.

137 Mme Dansereau a présenté un grief pour contester la cessation de son emploi. Elle a demandé une indemnité pour le salaire perdu après la fin de sa nomination pour une durée déterminée. Son avocat a fait valoir que l’employeur avait utilisé des pigistes pour remplacer Mme Dansereau, ce qui était en violation de la clause 40.01. Il a soutenu que Mme Dansereau avait été mise en disponibilité et que, par conséquent, elle avait droit, conformément à la clause 13.03, à une priorité de rappel. Elle aurait donc dû être réembauchée avant qu’on ait recours à d’autres pigistes.

138 Après avoir établi ce contexte et examiné les observations des parties, l’arbitre de grief a déclaré à la page 15 que « [la] seule question qui se pose est donc de savoir si la cessation d’emploi de Mme Dansereau […] par suite de l’expiration de la période qui avait été fixée pour son emploi […] contrevient à la clause 40.01 […] dans les circonstances révélées par la preuve ». Il a noté que la clause 40.01 n’interdisait pas l’embauche de pigistes. Elle interdisait seulement « de faire appel à des pigistes dans l’intention de réaliser un but précis, soit celui de contourner les dispositions de la convention collective ou de mettre fin à l’emploi d’employés réguliers » (page 16). L’arbitre de grief a ajouté ce qui suit à la page 17 :

[La] preuve n’établit aucune relation de cause à effet entre l’engagement de pigistes et la cessation d’emploi de Mme Dansereau qui aurait pu indiquer que l’employeur avait l’intention, en embauchant des pigistes, de mettre fin à l’emploi de Mme Dansereau.

139 Les pigistes en question ont été embauchés pour des projets différents de celui sur lequel avait travaillé Mme Dansereau. Ils n’ont pas été embauchés pour faire ou terminer le travail pour lequel Mme Dansereau avait été embauchée. Ils ne la remplaçaient pas. Par conséquent, l’arbitre de grief a conclu à la page 19 que les pigistes n’avaient pas été embauchés pour mettre fin à l’emploi de Mme Dansereau. Son emploi a pris fin simplement parce que sa nomination était arrivée à échéance, et non parce que des pigistes avaient été embauchés. « L’arrivée du terme n’a pas servi à déguiser une cessation d’emploi qu’aurait causée l’embauche de pigistes » (page 19). Compte tenu des faits, on ne pouvait pas affirmer qu’il y avait eu violation de la clause 40.01 ou que la cessation d’emploi était une [traduction] « mise en disponibilité » au sens de la convention collective, car la cessation « ne découle pas d’un manque de travail mais plutôt de l’arrivée normale du terme de la période d’emploi » (page 19). Mme Dansereau ne pouvait donc pas s’appuyer sur la clause 13.03, car elle n’avait pas été [traduction] « mise en disponibilité » (page 19).

140 Il est important ici de souligner que la décision dans Dansereau n’est pas un énoncé de droit général. Elle est fondée sur le libellé de dispositions précises de la convention collective et sur les faits particuliers dont disposait l’arbitre de grief. Elle n’est pas non plus une déclaration que la fin d’un contrat d’une durée déterminée ne peut jamais être considérée comme un licenciement. La décision semble effectivement basée sur le fait que Mme Dansereau aurait pu avoir gain de cause sur la question du salaire perdu après l’échéance de son contrat si elle avait réussi à établir un lien de causalité entre la cessation de son emploi et l’embauche de pigistes. Dans tous les cas, il s’agissait d’une des mesures de réparation demandées, et on ne suggère en rien dans la décision que cette mesure ne pourrait jamais être accordée en droit.

141 Le syndicat a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale. Deux arguments ont été avancés.

142 Premièrement, le syndicat a fait valoir que le contrat d’une durée déterminée en soi devait être en contradiction avec la convention collective, en particulier la clause 13.03. Si on pouvait simplement se dispenser des services des employés embauchés dans le cadre d’un contrat d’une durée déterminée à la fin de leur nomination, leur droit à la priorité de rappel en cas de mise en disponibilité prévu à la clause 13.03 serait violé.

143 La Cour a répondu que cet argument n’était [traduction] « pas valide ». Immédiatement après cette déclaration, elle a fait une déclaration qui est souvent citée. Elle a statué qu’un employé « engagé pour un temps déterminé n’est pas mis à pied lorsque le terme de son engagement arrive à expiration, car si son emploi cesse à ce moment-là ce n’est pas en raison du manque de travail, mais en vertu du terme même du contrat d’engagement ».

144 En d’autres mots, les droits accordés aux employés mis en disponibilité en vertu de la clause 13.03 n’avaient pas été violés dans ce cas, car la fonctionnaire n’avait pas été mise en disponibilité au sens de la convention collective.

145 Deuxièmement, la fonctionnaire a fait valoir que, bien que la clause 40.01 autorisait l’embauche de pigistes, on ne pouvait pas utiliser cette méthode pour violer d’autres droits de la convention collective ou pour justifier le licenciement d’un employé. Le juge Pratt a noté à la page 102 que l’arbitre de grief avait tiré la conclusion de fait qu’il n’y avait aucun lien de causalité entre l’embauche du pigiste et la cessation de l’emploi de Mme Dansereau « qui aurait pu indiquer que l’employeur avait l’intention, en embauchant des pigistes, de mettre fin à l’emploi de Mme Dansereau ». Le juge a établi que cette conclusion de fait était appuyée par le dossier qui avait été soumis à la Cour.

146 De toute évidence, malgré le respect qui lui est dû, la décision dans Dansereau n’était pas une déclaration qu’un employé nommé pour une durée déterminée ne peut jamais recevoir de dommages tenant lieu de rappel. Cette décision établit plutôt que, conformément aux dispositions de la convention collective qui s’appliquait dans cette affaire :

a. un employé nommé pour une durée déterminée dont la nomination est arrivée à échéance en vertu des modalités de son contrat n’est pas considéré comme ayant subi une « cessation d’emploi par manque de travail » au sens de la convention collective;

b. compte tenu des faits dans cette affaire, il n’y avait aucun lien de causalité entre la fin de l’emploi de l’employée nommée pour une durée déterminée et la décision de l’employeur d’embaucher un pigiste.

147 La décision ne précise pas — du moins selon mon interprétation — quelle aurait dû être la conclusion si un lien de causalité avait été établi entre les deux événements. Elle ne précise pas non plus que la fin d’un contrat pour une durée déterminée conformément aux modalités de ce contrat ne peut pas constituer un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b) (ou de son ancien équivalent). En effet, si c’est ce que le juge Pratt avait voulu dire, on se serait attendu à ce qu’il rejette le deuxième argument de la fonctionnaire sur la base de principes juridiques plutôt que sur la base des faits.

148 Par conséquent, je ne suis pas prêt à conclure qu’un arbitre de grief n’a jamais compétence pour examiner un grief portant sur un employé dont le contrat d’une durée déterminée a pris fin à sa date d’échéance. À mon avis, un arbitre de grief a compétence pour examiner les circonstances de la fin d’un contrat d’une durée déterminée si on allègue qu’un acte de mauvaise foi ou une autre inconduite de l’employeur a mené au non-renouvellement du contrat, tandis que ce contrat aurait normalement été renouvelé. Il n’est pas non plus établi dans la jurisprudence que dans un tel cas, un arbitre de grief ne pourrait jamais accorder des dommages ou une autre indemnité après la date de fin du contrat de travail d’un employé nommé pour une durée déterminée. Cela dit, le simple fait que, comme c’est le cas dans la présente affaire, un employé nommé pour une durée déterminée soit payé jusqu’à la fin de son contrat n’enlève pas à l’arbitre de grief sa compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b). Un arbitre de grief a tout de même le droit de décider si, selon les faits dont il est saisi, la cessation d’emploi à la fin du contrat d’une durée déterminée était en fait un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b), et, si c’était le cas, de décider s’il convient d’accorder une indemnité pour perte de salaire au-delà de la date de fin du contrat.

149 Je me penche maintenant sur le grief dont je suis saisi.

150 La première question à régler consiste à déterminer si le fonctionnaire a été licencié le 29 mars, quand on lui a dit de partir et de ne plus revenir. Je crois que non. Il est demeuré un employé jusqu’à la fin de son contrat d’une durée déterminée. Il a continué de recevoir son salaire normal jusqu’à la fin du contrat. Ce qui est arrivé le 29 mars ressemblait un peu à une suspension avec traitement, ce qui survient lorsqu’un employé nommé pour une durée indéterminée est suspendu en attendant le résultat d’une enquête sur des actes répréhensibles. Cet employé demeure un employé pendant l’enquête, qu’on lui demande ou non de quitter le lieu de travail.

151 La deuxième question à régler consiste à déterminer si le fonctionnaire a été « licencié » au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. La réponse à cette question dépend de la capacité du fonctionnaire à établir que l’employeur a agi de mauvaise foi quand il a décidé — car il a en effet décidé — de ne pas renouveler le contrat d’une durée déterminée du fonctionnaire en raison de ce qu’il considérait comme une infraction au Code d’éthique. À mon avis, le fonctionnaire n’a pas démontré que l’employeur avait agi de mauvaise foi quand il a décidé de ne pas renouveler son contrat d’une durée déterminée.

152 La conclusion de l’employeur que le fonctionnaire avait violé le Code d’éthique en agissant de manière à soulever un conflit d’intérêts apparent, sinon réel, était basée sur un motif raisonnable. Contrairement à ce que le fonctionnaire a indiqué, on peut aussi soutenir que son écart de conduite n’était pas du tout mineur. Son opinion pouvait déterminer si la demande de Sears Canada serait acceptée ou rejetée. Le fait que, selon lui, il avait décidé d’approuver la demande avant sa conversation avec Mme Mizra n’explique pas pourquoi il lui a demandé de communiquer avec lui. Ils n’étaient pas amis, et aucune preuve n’indique qu’il y avait eu des contacts entre eux avant qu’il lui demande de lui téléphoner. Cela dit, s’il avait effectivement pris la décision comme il le prétend, il n’avait aucune raison de lui demander de communiquer avec lui. Le fait qu’il lui ait demandé de lui téléphoner pour ensuite lui parler de la possibilité que sa fille soit embauchée chez Sears Canada, dans le contexte de ce qui pour elle n’aurait pu être autre chose qu’un appel concernant la demande, pouvait facilement être interprété comme une demande de quid pro quo. Le fait que le fonctionnaire n’ait pas demandé explicitement un emploi pour sa fille ou n’ait pas explicitement sollicité un don pour son organisme de charité ne signifie pas que la personne à qui il parlait ne pouvait pas penser que de telles demandes étaient implicites. En effet, le fait que Mme Mizra ait discuté avec l’avocat de société à la suite de la conversation, et le fait que la chef d’équipe du fonctionnaire ait ensuite reçu un appel, révèlent simplement que la conversation téléphonique donnait au moins une [traduction] « apparence » de conflit d’intérêts.

153 Il y a aussi le fait que le fonctionnaire a envoyé à Mme Mizra un lien vers le site de son organisme de charité. Sa justification — qu’il voulait simplement lui raconter sa propre histoire — ne me semble pas crédible. Premièrement, il n’y avait vraiment pas lieu de poursuivre la « discussion » entre eux après leur conversation téléphonique. Deuxièmement, il aurait été simple de copier-coller son histoire sans le lien dans un courriel de réponse à Mme Mizra. Or, ce n’est pas ce qu’il a fait. 

154 Ces faits, qui n’ont pas été niés par le fonctionnaire, me convainquent que la décision de l’employeur de ne pas renouveler le contrat de travail du fonctionnaire n’était pas empreinte de mauvaise foi. Cette décision était fondée sur la conclusion réfléchie que le fonctionnaire a violé le Code d’éthique en soulevant un conflit d’intérêts apparent, sinon réel. Une telle conduite mérite normalement une mesure disciplinaire quelconque, ce qui est suffisant à mon avis pour établir que l’employeur a agi de bonne foi. Il importe peu que la décision de ne pas renouveler le contrat d’une durée déterminée ait pu été sévère. Cette décision concorde tout à fait avec les préoccupations de l’employeur concernant le jugement du fonctionnaire et, comme je l’ai mentionné plus tôt dans mes motifs et le mentionnerai plus tard dans mon résumé, bien que la discrimination et le harcèlement puissent être considérés comme de la mauvaise foi, je ne vois aucune preuve de discrimination ou de harcèlement dans cette affaire. Les éléments de preuve ne permettent pas de démontrer une apparence de droit suffisant et encore moins de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de l’employeur était fondée d’une manière ou d’une autre sur un motif de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il importe peu aussi que, si le fonctionnaire avait été un employé nommé pour une durée indéterminée, un arbitre de grief aurait pu conclure que le licenciement était une sanction trop sévère. Ce grief ne porte pas sur une question de discipline. La question consiste simplement à déterminer si l’employeur a agi de bonne foi, et non si l’arbitre de grief approuve la décision prise de bonne foi.

155 Je n’accepte pas non plus l’argument du fonctionnaire que la décision de ne pas renouveler la nomination d’une durée déterminée en raison de l’infraction au Code d’éthique était de quelque façon que ce soit un acte de discrimination déguisé. Je crois qu’il est important de noter que le fonctionnaire n’a pas établi le moindre soupçon de discrimination fondée sur la race ou la nationalité d’origine. La différence de traitement invoquée par le fonctionnaire comme preuve circonstancielle de discrimination était selon moi entièrement liée à sa conduite et non à sa race ou à sa nationalité d’origine. On lui a effectivement accordé des heures supplémentaires après qu’il a suivi sa formation et qu’il a été libéré. On lui a donné plus de formation quand une question qu’il avait posée à une réunion a fait croire qu’il en avait besoin. Quand il s’est plaint du manque de consultation, son chef d’équipe a dit qu’elle ferait mieux la prochaine fois. Le fait qu’un mentor ait crié contre lui à cause de son travail ne fait que prouver qu’au mieux, cette personne ne convenait pas pour cette tâche. Cet incident n’indique aucunement si le mentor a consigné au dossier une évaluation injuste sur le travail du fonctionnaire. Mme Hibberd a crié contre le fonctionnaire après l’évacuation, car ce dernier n’était pas au point de rassemblement, et non parce qu’il était noir ou qu’il venait du Kenya. Par ailleurs, elle s’est excusée plus tard auprès de lui et lui a donné une explication tout à fait raisonnable (une explication que j’accepte), soit que sa réaction initiale était basée sur le stress, car elle s’inquiétait de ses employés (je note aussi que cette gestionnaire, qui était prétendument partiale, a tout de même renouvelé sa nomination d’une durée déterminée après que les préoccupations associées à l’incident impliquant Sears Canada aient été soulevées). Ces exemples et les autres exemples présentés par le fonctionnaire montrent selon moi la tendance du fonctionnaire à rejeter sur les autres la responsabilité de  ses actes. L’incident avec Mme Iyer qui est décrit plus haut n’était qu’un exemple de cette tendance. Le fonctionnaire a reconnu qu’il savait quelle était la procédure normale dans ces situations et qu’il a omis de la suivre. Lorsque ses gestionnaires lui ont rappelé quelle était la procédure à suivre, il a insisté pour transformer cet épisode en un incident quasi disciplinaire en tentant d’impliquer Mme Iyer, qui n’avait fait que ce qu’on attendait d’elle. Bien que ce fait ne soit pas déterminant dans cette affaire, j’aimerais aussi noter que l’effectif de l’employeur, selon les éléments de preuve, était un mélange complexe de types raciaux et d’origines nationales et que, compte tenu de l’ensemble de la preuve dont je suis saisi, il est quelque peu difficile de croire à l’allégation de discrimination.

156 Pour ces motifs, je suis convaincu que :

a. j’ai compétence pour examiner l’allégation que le non-renouvellement du contrat d’une durée déterminée du fonctionnaire ne relève pas de la mauvaise foi ou de la discrimination, ce qui ferait de cette décision en droit un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi;

b. le fonctionnaire n’a pas réussi à établir qu’il y a eu mauvaise foi ou discrimination en vertu de la convention collective ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

c. le non-renouvellement du contrat d’une durée déterminée du fonctionnaire n’était donc pas un « licenciement » au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi ou un acte de discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

157 Ma compétence prend fin avec ces conclusions. Le dossier doit être fermé.

158 Pour ces motifs, je rends les ordonnances suivantes :

IX. Ordonnances

159 Je n’ai pas la compétence pour entendre le grief sur la lettre de réprimande (dossier de la CRTFP 566-02-7449). J’ordonne la fermeture du dossier.

160 Le grief de harcèlement (dossier de la CRTFP 566-02-7450) est rejeté.

161 Bien que j’aie la compétence pour entendre le grief de licenciement (dossier de la CRTFP 566-02-7448), selon la preuve, la fin du contrat d’une durée déterminée du fonctionnaire n’était pas un licenciement au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Je n’ai donc pas compétence et j’ordonne la fermeture du dossier. 

Le 19 septembre 2013.

Traduction de la CRTFP

Augustus Richardson,
arbitre de grief

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