Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision de l’employeur de recouvrer de l’argent à même un paiement découlant d’une reclassification qui a été versé au fonctionnaire s’estimant lésé - le fonctionnaire s’estimant lésé avait déposé un grief de classification qui a été partiellement accepté après son départ à la retraite - il a été rétroactivement reclassifié à un poste supérieur, passant du groupe et niveau GL-INM-11/C3 au groupe et niveau GL-MAM-11/C2 - étant donné que le salaire associé à sa nouvelle classification était plus élevé que celui associé à son ancienne classification, la protection salariale ne s’appliquait pas - pendant l’exercice de reclassification, l’employeur a déterminé que le niveau de surveillance applicable au poste résultant de la reclassification aurait dû être le niveau C2 plutôt que le niveau C3 et a tenu compte du montant versé en trop lorsqu’il a procédé au rajustement salarial, déduisant la différence associée aux niveaux de surveillance en faisant le calcul de l’argent dû - le fonctionnaire s’estimant lésé a ensuite déposé le présent grief contestant la décision de l’employeur - l’employeur a rejeté le grief en partant du principe que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas un employé lorsqu’il a déposé le grief, et il a soulevé cette question à titre d’objection préliminaire pendant l’audience - l’employeur n’a pas soulevé la question du respect des délais pendant la procédure de règlement des griefs, mais il l’a soulevée pendant l’arbitrage - le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé une demande de prorogation des délais - le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu qu’on lui avait affirmé qu’il conserverait son niveau de surveillance C3 jusqu’à son départ à la retraite étant donné les dispositions sur la protection salariale contenues dans la convention collective, et a fait valoir qu’il supervisait le nombre d’employés requis pour conserver ce niveau - l’arbitre de grief a déterminé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas perdu son droit de déposer un grief lors de son départ à la retraite - l’organe législatif ne pouvait pas avoir l’intention de priver les employés ou les anciens employés du droit de déposer des griefs relatifs à des événements survenus pendant qu’ils étaient employés - l’arbitrage constituait le forum approprié pour contester des décisions telles que celle­ci - l’employeur avait renoncé à son droit de soulever une objection relative au respect des délais, étant donné qu’il n’avait pas satisfait aux exigences de l’article 95 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique - par conséquent, la demande de prorogation des délais était théorique - l’arbitre de grief n’avait pas la compétence pour examiner le caractère approprié de la décision visant la réduction du niveau de surveillance - le grief concernait la classification, et l’arbitre de grief n’avait donc pas la compétence pour rendre une décision quant à l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé concernant la préclusion - par ailleurs, la notion de préclusion ne s’appliquait pas étant donné que la confiance préjudiciable n’avait pas été prouvée. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-11-07
  • Dossier:  566-02-5909 et 568-02-281
  • Référence:  2013 CRTFP 135

Devant le vice-président
et arbitre de grief


ENTRE

DONALD CAWLEY

demandeur et fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Pêches et Océans)

défendeur et employeur

Répertorié
Cawley c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et Océans)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage et une demande de prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, vice-président et arbitre de grief

Pour le demandeur et fonctionnaire s'estimant lésé:
Chris Buchanan, avocat

Pour le défendeur et employeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Victoria (Colombie-Britannique),
Les 9 et 10 octobre 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Donald Cawley (le « fonctionnaire ») a pris sa retraite de la Garde côtière canadienne du ministère des Pêches et des Océans (l’employeur), le 1er novembre 2007, en raison de problèmes de santé. En décembre 2010, il a déposé un grief pour contester la décision de l’employeur de recouvrer, le 11 mars 2010, la somme de 9 528,88 $ d’un paiement de reclassification qui lui avait été remis. Le fonctionnaire aurait dû recevoir une somme brute de 19 736,54 $, mais il a reçu 10 207,66 $ en raison de ce recouvrement.

2 En 2003, à l'instar d'autres employés, le fonctionnaire a déposé un grief alléguant qu’il n’était pas classifié correctement. En juillet 2003, le grief a été accueilli en partie. En septembre 2006, des réunions ont été tenues entre l’employeur, le fonctionnaire et d’autres employés dans le but de réécrire leurs descriptions de travail. À la suite de ces réunions, l’employeur a informé les employés que la classification de leurs postes serait révisée sous peu.

3 En décembre 2006, le fonctionnaire a appris qu’il avait le cancer. Il a été opéré et a repris le travail en janvier 2007. En mars 2007, on lui a diagnostiqué une autre forme de cancer. Il a été opéré de nouveau et a subi des traitements de chimiothérapie et de radiothérapie. Il a utilisé ses crédits de congé de maladie jusqu’à la fin octobre 2007 et a pris sa retraite le 1er novembre 2007.

4 Il a déclaré ce qui suit dans les sections décrivant le grief et la mesure corrective du formulaire de grief :

[Traduction]

[…]

Je conteste le recouvrement de la somme de 9 528,88 $ de mon indemnité de départ.

Je demande que la préclusion s’applique au motif que le recouvrement de cette somme me cause une contrainte excessive.

[…]

Je demande qu’en raison de l’erreur de la part de l’employeur la somme recouvrée me soit remise et que la dette soit annulée.

5 L’employeur n’a pas donné de réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Au deuxième palier, il a rejeté le grief au motif que le fonctionnaire n’était pas un employé lorsqu’il a déposé le grief. L’employeur a rejeté le grief au dernier palier pour ce même motif. À cet égard, l’employeur a déclaré ce qui suit dans sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs :

[Traduction]

[…]

Conformément au paragraphe 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, seul un employé peut présenter un grief. Vous avez pris votre retraite le 1er novembre 2007, mais vous avez déposé deux griefs (7168 et 7169) le 3 décembre 2010, soit plusieurs années après avoir cessé d’être un employé. Par conséquent, à titre de retraité, vous ne pouvez pas présenter ces deux griefs et vous n’êtes pas protégé par la convention collective parce que vous n’êtes plus un employé de la fonction publique. Par conséquent, vos deux griefs sont rejetés et la mesure corrective demandée ne sera pas accordée.

Je me pencherai néanmoins sur le fond des griefs 7168 et 7169, compte tenu de votre allégation de contrainte excessive.

[…]

6 Le 6 septembre 2011, le fonctionnaire a signifié à la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») son intention de renvoyer à l’arbitrage une question portant sur l’interprétation ou l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985) ch. H-6 (la « LCDP »). Le 26 septembre 2011, la CCDP a indiqué qu’elle comptait présenter des arguments, ce qu’elle a fait le 3 février 2012. Cependant, le fonctionnaire a retiré ses allégations de violation des droits de la personne à l’audience. Par conséquent, je ne m’attarderai pas aux arguments que j’ai reçus à cet égard.

7 Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 19 septembre 2011. Dans sa réponse au renvoi, en date du 18 octobre 2011, l’employeur a contesté la compétence d’un arbitre de grief pour instruire le grief parce que le fonctionnaire n’était plus un employé au moment du dépôt du grief. Cependant, l’employeur n’a pas soulevé d’objection pour non-respect du délai du fait que la décision contestée de recouvrer 9 528,88 $ ait été prise en mars 2010 et que le grief n’ait été déposé qu’en décembre 2010.

8 À ma demande, les parties ont soumis des arguments écrits relativement à l’objection préliminaire de l’employeur. Après avoir pris connaissance de ces arguments, j’ai conclu qu’une audience était nécessaire pour mieux comprendre les faits en l’espèce. Dans un de ses arguments, le fonctionnaire a demandé une prorogation de délai pour le dépôt d’un grief.

9 En vertu de l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), le président m’a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer les pouvoirs que lui confère l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »), pour entendre et trancher la question concernant la prorogation du délai.

II. Résumé de la preuve

10 Les parties ont soumis 20 documents en preuve. Le fonctionnaire a témoigné. L’employeur a cité Sherry McDonald, Dieter Losel et Drew Edey à témoigner. De 2007 à 2011, Mme McDonald était gestionnaire de la rémunération pour l’employeur pour la Colombie-Britannique. M. Losel était superviseur de l’infrastructure maritime et civile depuis 2004 et M. Edey était surintendant de l’infrastructure maritime et civile depuis 2008. Entre 2004 et 2007, le fonctionnaire relevait de M. Losel, lequel relevait de M. Edey depuis 2008.

11 Le fonctionnaire a été à l’emploi continu de l’employeur de 1982 au 1er novembre 2007. En 1999, il a été nommé au poste de contremaître des techniciens des aides à la navigation. Le poste a alors été classifié au groupe, sous-groupe et niveau GL-INM-11/C3. L’acronyme GL correspond au groupe des manœuvres et hommes de métier. Le groupe GL est divisé en sous-groupes, notamment les sous-groupes INM (Entretien d’instruments) et MAM (Entretien de machines), sur lesquels je reviendrai plus loin. Selon la norme de classification GL, dont une partie a été présentée en preuve à l’audience, le niveau « C3 », également appelé prime de surveillance, renvoie à la nature de la responsabilité du poste en matière de surveillance. Le niveau C3 indique que le titulaire supervise entre 6 et 20 employés.

12 En 2001, le fonctionnaire, à l’instar de plusieurs de ses collègues à l’échelle du Canada, a déposé un grief pour contester la classification de son poste au groupe et niveau GL-INM-11/C3. Selon lui, son poste aurait dû être classifié dans un groupe de niveau plus élevé. L’employeur a répondu au grief au dernier palier le 14 décembre 2006. Dans sa réponse, l’employeur a indiqué que le poste du fonctionnaire devrait être visé par un modèle national de description de travail. L’employeur prévoyait que la description de travail nationale entre en vigueur au début 2007 et que la classification du poste soit établie dans les mois suivants. L’employeur a déclaré que, dans cette mesure, le grief était accueilli en partie. Malheureusement, la décision de l’employeur relativement à la classification n’a pas été rendue dans les [traduction] « mois suivants ».

13 Le 8 décembre 2006, le fonctionnaire a appris qu’il avait le cancer et il a été opéré d’urgence. En janvier 2007, on lui a diagnostiqué un autre type de cancer. Il a été opéré de nouveau et a subi des traitements de chimiothérapie pendant six mois. Le fonctionnaire a témoigné que ses médecins lui ont dit, en septembre 2007, qu’il valait mieux pour lui de prendre sa retraite, afin d’éloigner toute source de stress de sa vie et de favoriser son rétablissement. Malheureusement, la santé du fonctionnaire ne s’est rétablie que temporairement. Il a reçu d’autres diagnostics de cancer et a dû subir d’autres traitements médicaux et de chimiothérapie.

14 En raison de ses problèmes de santé, le fonctionnaire a officiellement informé l’employeur, en juin 2007, qu’il prendrait sa retraite le 1er novembre 2007. Le 8 juin 2007, M. Losel a écrit au fonctionnaire pour lui signifier qu’il acceptait sa démission et pour le remercier de sa contribution et de son dévouement à l’égard de la Garde côtière canadienne. Le fonctionnaire a témoigné qu’il aurait travaillé trois autres années si sa santé le lui avait permis. Il a eu droit à sa pension sans pénalité, mais celle-ci a été calculée sur 25 ans de service au lieu de 28 ans, comme il l’avait planifié initialement.

15 Le 1er décembre 2009, l’employeur a finalement écrit au fonctionnaire pour l’informer de sa décision au sujet de la révision de la classification. Le fonctionnaire a déclaré ne pas avoir reçu cette lettre parce qu’elle a été envoyée à l’adresse postale de son ancien lieu de travail. Le 22 mars 2010, un conseiller en matière de rémunération de l’employeur a informé le fonctionnaire par voie de lettre que son ancien poste serait reclassifié de GL-INM-11/C3 à GL-MAM-11/C2. Le transfert du sous-groupe INM-11 au sous-groupe MAM-11 représentait une augmentation salariale pour le fonctionnaire, mais le fait de passer du niveau C3 au niveau C2 au titre de la prime de surveillance signifiait que celle-ci passait de 15 % du taux de rémunération à 11 % du taux de rémunération.

16 La reclassification du fonctionnaire à GL-MAM-11/C2 était rétroactive au 14 décembre 2001. D’après le document soumis à l’audience, le changement du sous-groupe INM au sous-groupe MAM donnait droit à un paiement rétroactif de 19 736,54 $. Cependant, le changement de niveau relativement à la prime de surveillance, soit de C3 à C2, a donné lieu à un paiement en trop de 9 528,88 $ parce que le fonctionnaire a touché une prime de niveau C3 entre 2001 et sa retraite en 2007.

17 Le 28 mars et le 25 avril 2010, le fonctionnaire a communiqué avec M. Edey. Il lui a alors rappelé qu’on lui avait dit, lorsqu’il a obtenu son ancien emploi, qu’il conserverait sa prime de niveau C3 pendant sa période de travail à titre de contremaître. Il a également fait valoir que la prime ne pouvait pas être modifiée en raison des dispositions de la convention collective relatives à la protection salariale. Il a fait valoir qu’il surveillait plus de six employés pendant la période visée. Il a répété ces mêmes arguments dans son témoignage. Le 27 avril 2010, M. Edey a répondu au fonctionnaire. Il lui a expliqué que, selon les données dont il disposait, le fonctionnaire ne surveillait pas six employés ou plus pendant la période visée.

18 Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’aurait pas postulé pour le poste qu’il a occupé de 1999 jusqu’à sa retraite si la prime de surveillance avait été de niveau C2. L’employeur lui avait promis que le poste demeurerait au niveau C3 jusqu’au moment de sa retraite, mais qu’il serait abaissé au niveau C2 après son départ. Le fonctionnaire a également témoigné qu’il avait pris la décision de prendre sa retraite en calculant les gains ouvrant droit à pension générés par sa rémunération, incluant la prime de surveillance de niveau C3.

19 Mme McDonald a déclaré qu’elle avait pris la décision de déduire du paiement rétroactif la somme payée en trop au titre de la prime de surveillance. Elle a affirmé qu’elle avait simplement appliqué les politiques de l’employeur et les tableaux des salaires de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services de l’exploitation (la « convention collective »), venant à échéance le 4 août 2011. Elle a expliqué que la clause de la convention collective relative à la protection salariale ne s’appliquait pas au fonctionnaire parce que le salaire du groupe et niveau GL-MAM-11/C2 était supérieur au salaire du groupe et niveau GL-INM-11/C3.

20 La convention collective prévoit 10 niveaux de prime de surveillance. Les postes relevant des catégories B4, C3 et D2 sont rémunérés au niveau 3, ce qui correspond à une prime égale à 15 % du salaire. Les postes relevant des catégories B3 et C2 sont rémunérés au niveau 2, ce qui correspond à une prime égale à 11 % du salaire. La clause 5.01 de l’appendice B de la convention collective fournit des précisions sur ceux qui ont droit à la prime. Elle est libellée comme suit :

5.01 Une prime de surveillance, établie dans l’annexe C, est versée aux employé-e-s de l’unité de négociation qui occupent des postes comportant une cote de surveillance aux termes de la norme de classification et qui exécutent des fonctions de surveillance.

21 Le fonctionnaire a présenté en preuve une note de service datée du 7 janvier 2009 et signée par Robb Wight, directeur général des Services techniques intégrés. Cette note de service portait sur divers aspects des conséquences relatives aux décisions de l’employeur concernant la classification nationale. L’ancien poste du fonctionnaire a été touché directement par ces décisions. La note de service indique que les surintendants [traduction] « doivent rencontrer » chacun des employés pour passer en revue les décisions de classification et les informer de leur droit de déposer un grief. Le fonctionnaire a fait valoir que M. Edey ne l’avait jamais rencontré. M. Edey a expliqué qu’il n’était pas tenu de rencontrer le fonctionnaire parce qu’il n’était plus un employé. La note de service précisait que les employés qui étaient désavantagés par la révision de la classification auraient droit à une protection salariale et qu’il n’aurait aucune somme à rembourser.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

22 Le fonctionnaire a fait valoir qu’il avait le droit de déposer un grief même s’il était retraité parce que l’objet du grief découlait de la relation d’emploi entre lui et son employeur. Bien que la Loi semble effectivement indiquer que les anciens fonctionnaires sont autorisés à déposer des griefs seulement pour contester une mesure disciplinaire ou un licenciement, cette interprétation a été élargie dans Canada (Conseil du Trésor) c. Lavoie, [1978] 1 C.F. 778 (C.A.), et d’autres décisions subséquentes. Dans Lavoie, la Cour d’appel fédérale a conclu que le droit d’un ancien fonctionnaire de déposer un grief n’est pas limité par le libellé des dispositions législatives.

23 Le fonctionnaire s’est opposé à la tentative de l’employeur de recouvrer un paiement en trop lui ayant été fait à la suite de la reclassification de son poste. Or, la reclassification découle de la relation d’emploi entre lui et son employeur et elle s’inscrit donc dans les intentions de la Cour dans Lavoie. Par ailleurs, le fonctionnaire a fait valoir qu’en vertu du devoir d’équité du processus administratif, tel qu’il est décrit dans Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817, il devrait être autorisé à contester la tentative de l’employeur de recouvrer cette somme importante d’argent.

24 Dans Weber c. Ontario Hydro [1995] 2 R.C.S. 929, la Cour suprême du Canada a statué que les arbitres de griefs devraient avoir compétence exclusive en matière de conflits de travail. À la suite de Weber et des décisions subséquentes, les cours de justice peuvent décliner leur compétence à l’égard d’affaires liées aux relations de travail et exiger que la personne s’estimant lésée se tourne plutôt vers un tribunal du travail. Si l’arbitre de grief refuse de se saisir du grief, le fonctionnaire ne disposera d’aucun autre recours pour contester le recouvrement, ce qui contrevient certes aux principes de justice naturelle.

25 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait jamais été avisé, ni au moment où il occupait son emploi ni par la suite, que la prime de surveillance de son ancien poste serait réduite au niveau C2. On lui avait même promis que ce poste demeurerait au niveau C3. Or, le niveau de la prime de surveillance a été réduit rétroactivement pour les six années précédant sa retraite, même si pendant une partie de cette période il surveillait plus de six employés. Par ailleurs, il n’a jamais eu la possibilité de contester les conclusions de l’employeur ayant mené à la réduction de sa prime au niveau C2. Il aurait dû recevoir suffisamment d’information pour lui permettre de participer pleinement au processus. À ce sujet, le fonctionnaire m’a renvoyé à Hale c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] 3 C.F. 3 (1ère inst.).

26 Le fonctionnaire a soutenu que la doctrine de la préclusion s’appliquait en l’espèce. L’employeur lui a promis que sa prime de surveillance demeurerait au niveau C3, et il a rompu sa promesse. Le fonctionnaire a agi en fonction de cette promesse. Il a pris sa retraite en calculant ses revenus comme si la prime de surveillance était maintenue au niveau C3. L’employeur n’a pas fourni de justification suffisante relativement au recouvrement de l’argent du fonctionnaire. Il aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire pour ne pas exiger le recouvrement de cette somme. L’employeur a plutôt recouvré la somme rétroactivement sur 10 ans, trois ans après le départ à la retraite du fonctionnaire.

27 L’employeur n’a pas soulevé la question du respect du délai au moment opportun, soit après que le grief a été renvoyé à l’arbitrage. Il n’a pas non plus soulevé la question dans sa réponse au grief. En n’agissant pas au moment opportun, il a renoncé à son droit de soulever cette question plus tard.

28 Le fonctionnaire a fait valoir que son grief n’était pas un grief de classification. Le grief ne contestait pas la décision relative à la classification, mais bien la décision de l’employeur de recouvrer une somme de plus de 9 000 $, et ce, même si l’employeur lui avait promis que sa prime de surveillance demeurerait au niveau C3.

29 Le fonctionnaire m’a renvoyé à Hale; Molbak c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-26472 (19950928); Defoy c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25506 (19941025); Murchison c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 93; Lapointe c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 57; McMullen c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 64; Cardinal c. Solliciteur général (ministère du), dossier de la CRTFP 161-02-178 (19790221); Salie c. Canada (procureur général), 2013 CF 122 et McWilliams et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58.

B. Pour l'employeur

30 L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire n’avait pas droit d’exercer une action au moment du dépôt du grief. La question donnant lieu au grief est survenue le 22 mars 2010, plus de deux ans après son départ de la fonction publique, le 1er novembre 2007. Le fonctionnaire était alors un ancien fonctionnaire. Il est clairement prévu par la Loi que les anciens fonctionnaires sont autorisés à déposer des griefs seulement dans les cas de mesures disciplinaires et de licenciements. Comme le fonctionnaire n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire ni d’un licenciement, il ne répond de toute évidence pas au critère.

31 Le paiement en trop a été fait à la suite d’une reclassification rétroactive ayant été appliquée à plusieurs employés. Le fonctionnaire savait que la classification de ce poste était à l’étude lorsqu’il a pris sa retraite. La prime de surveillance faisait partie intégrante de la classification du fonctionnaire, et la réduction de la prime du niveau C3 au niveau C2 a découlé de l’examen de la classification. Il s’agit en réalité d’un grief de classification, et un grief de cette nature ne peut être renvoyé à l’arbitrage. Même si le fonctionnaire était toujours un employé de la fonction publique, il n’aurait pas pu renvoyer son grief à l’arbitrage.

32 L’employeur a admis qu’il avait soulevé tardivement la question du non-respect du délai. Il n’a pas soulevé la question dans sa réponse au grief ni pendant la période de 30 jours après avoir pris connaissance du renvoi à l’arbitrage. Selon l’employeur, il était inutile de le faire parce qu’il croyait que le fonctionnaire n’avait pas droit d’exercer une action du fait qu’il n’était plus un employé de la fonction publique.

33 L’employeur a fait valoir que la demande de prorogation du délai présentée par le fonctionnaire devrait être rejetée. Le fonctionnaire n’a pas donné de raison claire et convaincante expliquant pourquoi il a tardé à déposer son grief. Par ailleurs, le grief n’avait aucune chance de succès à l’arbitrage parce que le fonctionnaire n’avait pas le droit d’exercer une action et qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour entendre un grief de classification.

34 L’employeur a soutenu qu’il était en droit de recouvrer le paiement versé en trop à la suite du changement apporté à la prime de surveillance. La somme a été déduite du paiement total de la reclassification. Au terme de l’exercice, le fonctionnaire a touché une somme importante d’argent. La protection salariale ne s’appliquait pas dans son cas parce que, à la suite de l’exercice de reclassification, le salaire du poste était supérieur au salaire antérieur.

35 La doctrine de la préclusion ne s’applique pas en l’espèce. Le fonctionnaire n’a pas présenté d’élément de preuve démontrant que sa prime devait être maintenue au niveau C3. Sa seule preuve était qu’une personne le lui avait dit, mais cette dernière n’a pas été citée à témoigner. Le fonctionnaire ne connaissait pas l’issue de l’examen de classification au moment de sa retraite. Il ne peut pas invoquer la confiance préjudiciable, à savoir qu’il avait pris la décision de prendre sa retraite en se basant sur un salaire plus élevé pour le calcul de sa pension. Il n’avait aucune garantie que son poste serait reclassifié.

36 L’employeur m’a renvoyé à Murchison; Bungay et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2005 CRTFP 40; Canada (procureur général) c. Churcher, 2010 CF 1007; Churcher c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et Océans), 2009 CRTFP 83; Association des Pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 84; Cockell c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossier de la CRTFP 166-02-21132 (19910918); Comiskey c. Jensen et al., 2012 CRTFP 22; Doiron c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 77; Glowinski c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2007 CRTFP 91; Grouchy c. administrateur général (ministère des Pêches et Océans), 2009 CRTFP 92; Jarry et Antonopoulos c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2009 CRTFP 11; Kidd c. Conseil national de recherches du Canada, 2010 CRTFP 73; Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2011 CRTFP 68; Payne et Ohl c. administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 33; Prosper c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 140; Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96 et Lavoie.

IV. Motifs

37 J’ai devant moi un grief, plusieurs objections quant à ma compétence et une demande de prorogation de délai. Je déterminerai d’abord si le fonctionnaire était autorisé à déposer un grief au moment où il l’a fait puisqu’il avait déjà pris sa retraite de la fonction publique et n’était plus un employé. Si je conclus que le fonctionnaire avait le droit d’exercer une action, j’examinerai la question du respect du délai et la demande de prorogation du délai, s’il y a lieu. Après quoi, si le fonctionnaire a le droit d’exercer une action et qu’il n’y a pas de question de respect du délai, j’examinerai l’objection de l’employeur quant à ma compétence pour entendre le grief au motif qu’il s’agit d’un grief de classification, et l’argument du fonctionnaire relatif à la préclusion.

A. Droit de M. Cawley de déposer un grief après sa retraite

38 Il a été établi en preuve que le fonctionnaire avait pris sa retraite le 1er novembre 2007. Plusieurs années auparavant, il avait déposé un grief de classification. À la suite de l’examen de la classification, qui a été complété à la fin de 2009, l’employeur a décidé de reclassifier le poste du fonctionnaire, faisant passer celui-ci du groupe et niveau GL-INM-11/C3 au groupe et niveau GL-MAM-11/C2. Cette décision était rétroactive à la fin de 2001. Il semble que le fonctionnaire n’ait été informé de cette décision qu’en mars 2010. Il a alors été informé que l’employeur avait recouvré une somme de 9 528,88 $ payée en trop d’un paiement rétroactif total de 19 736,54 $. Ces sommes sont avant impôt. La somme de 19 736,54 $ représentait l’écart salarial positif entre le sous-groupe INM-11 et le sous-groupe MAM-11, et le recouvrement de 9 528,88 $ représentait l’écart négatif entre la prime de surveillance de niveau C3 et celle de niveau C2. Le fonctionnaire n’était pas satisfait de la décision de l’employeur de recouvrer rétroactivement la perte attribuable au changement de niveau de la prime de surveillance, et il a déposé un grief en décembre 2010.

39 L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire n’était pas un employé lorsqu’il a déposé son grief. Le fonctionnaire a soutenu qu’il était en droit de déposer un grief parce que l’objet de celui-ci découlait de la relation d’emploi entre lui et son employeur. Il a également prétendu que l’interprétation de la Loi faite par l’employeur n’était pas étayée par la jurisprudence.

40 Le terme « fonctionnaire » est défini comme suit à la partie 2 de la Loi :

[…]

206. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

[…]

« fonctionnaire » S'entend au sens de la définition de ce terme au paragraphe 2(1), compte non tenu des exceptions prévues aux alinéas e) et i) de celle-ci et des mots « sauf à la partie 2 ».

[…]

(2) Les dispositions de la présente partie relatives aux griefs s'appliquent par ailleurs aux anciens fonctionnaires en ce qui concerne

a) les mesures disciplinaires portant suspension, ou les licenciements, visés aux alinéas 12(1)c), d) ou e) de la Loi sur la gestion des finances publiques

b) dans le cas d'un organisme distinct, les mesures disciplinaires portant suspension, ou les licenciements, visés aux alinéas 12(2)c) ou d) de cette loi ou à toute loi fédérale ou à tout texte d'application de celle-ci, concernant les attributions de l'organisme.

[…]

41 Le passage pertinent du paragraphe 2(1) de la Loi, auquel renvoie le paragraphe 206(1), est libellé comme suit :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« fonctionnaire » Sauf à la partie 2, personne employée dans la fonction publique, à l'exclusion de toute personne. […]

[…]

42 Le fonctionnaire n’était pas un employé de la fonction publique lorsqu’il a déposé son grief, et son grief ne concernait pas un licenciement ou une mesure disciplinaire. De plus, il n’était pas un employé de la fonction publique lorsque l’employeur a recouvré l’argent. Même si le contexte était différent, la Cour d’appel fédérale a décidé, dans Lavoie, qu’une personne ne perd pas nécessairement son droit de déposer un grief quand elle quitte son emploi pour des motifs autres que disciplinaires. La Cour a écrit ceci au paragraphe 10 :

[…] Les premiers mots de l'article 90(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction (sic) publique doivent s'interpréter comme englobant toute personne se sentant lésée à titre d'« employé ». Autrement, une personne ayant à se plaindre en tant qu’« employé », p. ex. au sujet du classement ou des salaires, perdrait son droit de présenter des griefs à cause de la suppression de son emploi, p. ex. à la suite d’une mise en disponibilité. Il faudrait des dispositions très clairement exprimées pour me convaincre que ledit résultat est intentionnellement recherché.

43 Dans Lavoie, la Cour d’appel fédérale interprétait la version de 1970 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1970), ch. P-35 (l’« ancienne LRTFP »). Cependant, tel qu’il est indiqué dans Kidd, il n’existe pas de différence significative entre cette version et la Loi quant à la question du droit d’un ancien fonctionnaire de présenter des griefs. Dans les deux cas, le terme « fonctionnaire » renvoie à une personne employée dans la fonction publique, notamment les anciens fonctionnaires pour ce qui est des griefs concernant des mesures disciplinaires ou des licenciements. Dans Lavoie, la Cour a interprété ces dispositions de l’ancienne LRTFP de manière à ce qu’un employé ne perde pas son droit de présenter un grief du seul fait que la relation d’emploi a été rompue. La Cour a déclaré qu’il fallait des dispositions clairement exprimées pour qu’un fonctionnaire perde son droit de présenter un grief. Comme il est statué dans Lavoie, le législateur n’avait sûrement pas l’intention de priver les fonctionnaires ou les anciens fonctionnaires du droit de contester des situations qui sont survenues alors qu’ils étaient fonctionnaires.

44 La même logique devrait s’appliquer aux questions ou aux conflits survenus dans le cadre d’une relation d’emploi, mais qui sont réglés, indépendamment de la volonté des fonctionnaires, quelques années après leur départ à la retraite. Si des paiements ou des prestations sont versés aux fonctionnaires après leur départ de la fonction publique, ils devraient disposer d’un recours pour contester une décision de l’employeur qui, de leur avis, les prive de ce à quoi ils avaient droit en raison de leur ancienne relation d’emploi. En l’espèce, le fonctionnaire croit que l’employeur l’a injustement privé de plus de 9 000 $. Il a le droit de contester la décision de l’employeur et, comme l’a fait valoir le fonctionnaire, en se basant sur Weber, l’arbitrage serait le bon moyen de le faire. Certaines décisions invoquées par le fonctionnaire étayent également cet argument selon lequel les anciens fonctionnaires conservent le droit de déposer des griefs relativement à des questions ou des conflits survenus dans le cadre de la relation d’emploi. Aux paragraphes 61 à 64 de Salie, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

[61] Ainsi, non seulement l’affaire Lavoie portait sur ce que l’employé estimait être un congédiement disciplinaire, mais les propos précités de la Cour semblent confirmer le droit des anciens employés de formuler un grief lorsque les faits à l’origine du grief se sont produits au cours de l’emploi de l’intéressé, dès lors que l’intéressé « s’estime lésé à titre d’employé ».

[62] De même, dans l’arrêt Glowinski, la Cour d’appel fédérale a jugé que les anciens employés pouvaient formuler un grief au sujet de leur renvoi en cours de stage même lorsqu’ils n’affirmaient pas que leur renvoi était une mesure disciplinaire déguisée, dès lors qu’ils s’estimaient « lésés à titre d’employés » (au paragraphe 8).

[63] La décision Cardinal a confirmé le droit d’un ancien fonctionnaire de poursuivre le grief se rapportant à sa classification qu’il avait commencé alors qu’il était un employé du gouvernement, au motif que la classification de l’employé constitue nettement une question qui se rapporte à son emploi. De même, dans la décision Hunt, on a permis à un ancien employé de formuler un grief au sujet du refus de lui accorder des prestations d’invalidité et de l’application de certaines politiques dans son cas. Tous les faits à l’origine des griefs qu’il avait formulés s’étaient produits alors qu’il était fonctionnaire.

[64] Toutes les affaires précitées ont été jugées sous le régime des dispositions de l’ancienne LRTFP, tandis que les affaires Glowinski c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 78, [2006] A.C.F. no 99 [Glowinski no 1], et Glowinski c. Conseil du Trésor (Ministère de l’Industrie), 2007 CRTFP 91, [2007] CRTFPC no 69 [Glowinski no 2], ont été décidées sous le régime de la nouvelle LRTFP. Dans le jugement Glowinski no 1, notre Cour a conclu qu’un ancien fonctionnaire disposait d’un autre recours approprié en raison de la procédure de règlement interne de griefs qui lui était ouverte puisque le grief concernait le taux auquel l’intéressé était rémunéré alors qu’il était un employé du gouvernement.

45 Outre le dépôt d’un grief, le fonctionnaire aurait pu demander à la Cour fédérale de trancher son litige en matière de relations de travail. Ce conflit porte sur le droit d’un employeur d’appliquer de manière rétroactive la prime de surveillance de niveau C2 au poste du fonctionnaire et sur le droit du fonctionnaire de conserver la prime de surveillance de niveau C3 au motif de la préclusion promissoire. Même si la décision de recouvrer la somme a été prise plus de deux après le départ à la retraite du fonctionnaire, la source du conflit est survenue pendant la période où le fonctionnaire travaillait pour l’employeur. La décision relative à la classification a été prise à la fin de 2009 et a été appliquée rétroactivement à la fin de 2001. Il a donc fallu à l’employeur huit ans pour régler ce problème de classification. Si l’employeur avait pris trois, quatre ou cinq ans pour régler la question, par exemple, le fonctionnaire aurait toujours été un employé de la fonction publique et nul n’aurait contesté son droit de déposer un grief contestant la décision de l’employeur de recouvrer cette somme. Je ne vois pas pourquoi le fonctionnaire devrait perdre son droit de déposer un grief en raison de l’inefficacité de l’employeur à réviser la classification du fonctionnaire.

B. La question du respect du délai et la demande de prorogation du délai

46  Le fonctionnaire était régi par la convention collective du groupe Services de l’exploitation. Conformément à la convention collective, le fonctionnaire aurait dû déposer son grief dans une période de 25 jours après avoir appris qu’une somme serait recouvrée de son paiement total. La disposition pertinente de la convention collective se lit comme suit :

[…]

18.15 Un employé-e s’estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite par la clause 18.08 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief. L’Employeur peut présenter un grief de principe de la manière prescrite par la clause 18.04 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé de vive voix ou par écrit ou à laquelle il prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief de principe.

[…]

47 L’employeur a recouvré une somme de 9 528,88 $ en mars 2010. Le fonctionnaire avait 25 jours pour déposer un grief. Il a attendu neuf mois pour le faire. Étonnamment, l’employeur n’a pas soulevé la question du respect du délai dans sa réponse au grief, peu importe le palier de la procédure de règlement des griefs. Il n’a pas non plus soulevé la question dans une période de 30 jours après avoir été informé que le grief était renvoyé à l’arbitrage. Il a soulevé la question pour la première fois au début de 2012. Selon l’employeur, il n’était pas nécessaire de soulever l’objection pour non-respect du délai plus tôt parce qu’il avait déjà fait valoir que le fonctionnaire n’avait pas le droit de déposer un grief.

48 En agissant comme il l’a fait, l’employeur a renoncé à son droit de soulever une objection pour non-respect du délai. Il aurait dû le faire dans sa réponse au grief en 2010. Il aurait également dû soulever de nouveau cette objection dans les 30 jours suivant le renvoi du grief à l’arbitrage. Un arbitre de grief ne peut accepter une objection pour non-respect du délai si la partie qui soulève l’objection ne respecte pas les exigences de l’article 95 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79 (le « Règlement »). Les conditions prévues à l’article 95 sont obligatoires et non discrétionnaires. Cet article est libellé comme suit :

95. (1) Toute partie peut, au plus tard trente jours après avoir reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage,

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté;

b) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour le renvoi du grief à l’arbitrage n’a pas été respecté.

(2) L’objection visée à l’alinéa (1)a) ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de ce non-respect.

(3) La partie qui soulève une objection en vertu du paragraphe (1) fournit par écrit au directeur général une explication de celle-ci.

49 Le 16 avril 2012, en réaction à l’objection pour non-respect du délai soulevée par l’employeur, le fonctionnaire a écrit à la Commission pour faire valoir que l’employeur était préclus de soulever la question du respect du délai en vertu de l’article 95 du Règlement. Dans sa lettre, le fonctionnaire a également demandé une prorogation du délai pour déposer un grief conformément à l’article 61 du Règlement. Compte tenu de ma décision à l’égard de l’objection pour non-respect du délai, cette demande est maintenant inutile et théorique. Il n’est pas nécessaire de m’y attarder.

C. S’agit-il d’un grief de classification, et la doctrine de la préclusion s’applique-t-elle?

50 En l’espèce, le fonctionnaire a contesté la décision de l’employeur de recouvrer 9 528,88 $. Il a fait valoir que cette somme n’aurait pas dû être recouvrée. Il a demandé que la doctrine de la préclusion soit appliquée. Le conflit découle de la décision de l’employeur de modifier la prime de surveillance rattachée à l’ancien poste du fonctionnaire, la faisant passer du niveau C3 au niveau C2 avec effet rétroactif à 2001. Le fonctionnaire a allégué qu’on lui avait promis que sa prime de surveillance ne serait pas réduite tant qu’il occupait son poste. Il a soutenu qu’il avait pris la décision de prendre sa retraite en fonction de cette promesse.

51 Selon le système de classification de l’employeur et la norme de classification  GL, la classification de l’ancien poste du fonctionnaire comportait trois volets. En premier lieu, l’employeur devait déterminer si le poste appartenait au groupe GL. L’examen effectué par l’employeur a révélé que le poste appartenait bel et bien au groupe GL. Deuxièmement, il fallait attribuer un sous-groupe ou un métier au sein du groupe GL. En l’espèce, le poste faisait initialement partie du sous-groupe INM. L’examen de la classification de l’employeur a déterminé que le poste devrait faire partie du sous-groupe MAM. Troisièmement, comme le titulaire du poste était appelé à effectuer de la supervision, il fallait lui attribuer un niveau de surveillance, selon le plan de cotation de la surveillance de la norme de classification GL. L’examen de la classification a déterminé que le niveau de surveillance C2 s’appliquait au lieu du niveau C3.

52 Une fois appliqué rétroactivement à 2001, il a été conclu de l’examen de la classification effectué par l’employeur que le fonctionnaire avait droit à un paiement total brut de 10 207,66 $. Le transfert du sous-groupe INM au sous-groupe MAM donnait lieu à un paiement brut de 19 736,54 $, et le changement du niveau de surveillance, soit de C3 à C2, entraînait une déduction de 9 528,88 $ de ce paiement.

53 Selon la preuve, il est clair que le grief découle directement de l’examen de la classification effectué par l’employeur et de son application rétroactive à 2001. Il est bien établi en droit que je n’ai pas compétence en matière de griefs de classification. Certains éléments de preuve ont mis en doute la pertinence de la décision de l’employeur de faire passer le niveau de surveillance de C3 à C2. Je n’ai pas compétence pour examiner cette question puisqu’il s’agit d’une décision portant sur la classification. Je n’ai pas non plus compétence en ce qui concerne la date à laquelle l’employeur a décidé d’appliquer sa décision avec effet rétroactif.

54 L’employeur a fourni une preuve détaillée sur sa façon de procéder au calcul de la somme qu’il devait payer au fonctionnaire compte tenu de l’écart salarial entre le sous-groupe INM et le sous-groupe MAM, ainsi que de la somme qu’il devait déduire en raison de l’écart salarial entre le niveau C3 de la prime de surveillance et le niveau C2. Le fonctionnaire n’a pas contesté l’exactitude de ces calculs. Il n’a pas allégué que l’employeur avait violé la convention collective en n’appliquant pas correctement ses dispositions en matière salariale. J’en conclus que la question ne concerne pas l’exactitude de la somme recouvrée, mais bien la décision de recouvrer cette somme.

55 Le fonctionnaire a soutenu que la doctrine de la préclusion s’appliquait en l’espèce. Même si tel était le cas, je n’aurais pas compétence pour rendre une décision à cet égard puisque l’objet auquel s’appliquerait la préclusion est relié directement à la classification.

56 Subsidiairement, je ne crois pas que la préclusion s’applique en l’espèce. Pour qu’elle s’applique, l’employeur doit avoir pris un engagement contractuel, et il aurait fallu que le fonctionnaire démontre que l’employeur a agi de manière contraire à la promesse ayant été faite, lui causant ainsi un préjudice. Je crois que le fonctionnaire a reçu de son supérieur la promesse que sa prime de surveillance serait maintenue au niveau C3 tant qu’il demeurerait un employé. Il est logique que cette promesse ait été faite dans le contexte de la protection salariale prévue dans la convention collective, une clause qui ne s’appliquait plus au fonctionnaire compte tenu des résultats de son grief de classification. En conclusion, le fonctionnaire ne m’a pas convaincu qu’il a agi en se fondant sur ce raisonnement ou sur la promesse lui ayant été faite, ni que les décisions qu’il a prises ont eu un effet préjudiciable.

57 Le fonctionnaire a affirmé que la décision de prendre sa retraite était motivée par ses problèmes de santé. Il avait le cancer et devait diminuer son niveau de stress le plus possible. Un des moyens consistait à cesser de travailler. En juin 2007, il a informé officiellement son employeur qu’il prendrait sa retraite le 1er novembre 2007. Le fonctionnaire a témoigné qu’il aurait travaillé trois autres années si sa santé le lui avait permis. Il a également affirmé qu’il avait pris la décision de prendre sa retraite en croyant que sa prime de surveillance serait maintenue au niveau C3. Ces deux parties de son témoignage sont contradictoires. Je crois que le fonctionnaire a pris sa retraite en raison de ses problèmes de santé. Bien que sa décision ait sans aucun doute été influencée par les calculs de la pension qu’il recevrait, ces calculs ne pouvaient pas raisonnablement être fondés sur le fait qu’il pensait être reclassifié au groupe et niveau GL-MAM-11/C3. Il aurait pu penser à ce moment que sa pension serait basée sur ses revenus, ce qui comprend la prime de surveillance de niveau C3. Cependant, sa pension calculée en fonction du salaire de GL-MAM-11/C2 est supérieure à ce qu’elle aurait été si elle avait été calculée selon son ancien salaire de GL-INM-11/C3. Par conséquent, je conclus qu’aucune confiance préjudiciable n’a été prouvée.

58 La présente affaire se distingue des affaires invoquées par le fonctionnaire à l’appui de son argument relatif à la préclusion. J’estime qu’il n’est donc pas nécessaire de commenter ces affaires en détail. Je me contenterai de dire que dans chacun des casa auxquels la doctrine de la préclusion a été appliquée, les fonctionnaires s’estimant lésés avaient reçu une promesse contractuelle et avaient pris des décisions en fonction de cette promesse. Ces fonctionnaires ont démontré qu’ils ont subi un préjudice en raison du non-respect de la promesse. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

59 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

60 Le grief est rejeté.

61 La demande de prorogation de délai est théorique.

Le 7 novembre 2013.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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