Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a reconnu qu’il avait omis de renvoyer un grief collectif à l’arbitrage, alors qu’il croyait l’avoir renvoyé en même temps que deux griefs individuels de la même section locale - l’agent négociateur a présenté une demande de prorogation du délai visant le renvoi du grief à l’arbitrage - le défendeur s’est opposé à la demande - l’arbitre de grief a souligné que les prorogations de délai ne devraient être accordées que rarement, mais qu’elles étaient parfois autorisées par le Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (le << Règlement >>) par souci d’équité - il a examiné les cinq critères Schenkman, précisant que les circonstances particulières de chaque cas détermineront la valeur probante à attribuer à chaque critère par rapport aux autres - il a fait savoir que l’application de ces critères n’était visée par aucune méthode prédéterminée qui pourrait empêcher un décideur de déterminer si, par souci d’équité, une prorogation du délai devrait être accordée - l’utilisation d’une approche trop rigide ou cloisonnée pour apprécier les critères ne serait d’aucun recours pour déterminer l’équité au sens de l’alinéa 61b) du Règlement - l’arbitre de grief a conclu qu’une erreur commise par un agent négociateur ne constitue pas toujours une raison claire, logique et convaincante justifiant un retard, mais qu’elle peut l’être dans certaines circonstances, surtout si les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait preuve de diligence raisonnable - les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient aucune raison de poursuivre l’affaire personnellement, puisque l’agent négociateur leur avait indiqué non seulement qu’il s’en occupait, mais en outre qu’il avait procédé avec diligence en renvoyant le grief à l’arbitrage - dans les limites du cadre législatif, les griefs collectifs sont entièrement traités par l’agent négociateur dès lors que les fonctionnaires s’estimant lésés ont signifié leur consentement - les fonctionnaires s’estimant lésés avaient fait savoir leur intention de déposer un grief, et le délai doit être examiné en tenant compte du processus suivi - Il ne serait d’aucune utilité dans le contexte des relations de travail de refuser d’entendre le grief - les chances de succès ne doivent pas être appliquées prématurément en vue de l’examen sur le fond d’une affaire. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-11-15
  • Dossier:  568-02-229
  • Référence:  2013 CRTFP 144

Devant le président de la
Commission des relations de
travail dans la fonction publique


ENTRE

FRATERNITÉ INTERNATIONALE DES OUVRIERS EN ÉLECTRICITÉ,
SECTION LOCALE 2228

Demanderesse

et

CONSEIL DU TRÉSOR

Défendeur

Répertorié
Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor

Affaire concernant une demande de prorogation d'un délai visé à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
David Olsen, président par intérim de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour la demanderesse:
James L. Shields, avocat

Pour le défendeur:
Christine Diguer, avocate

Décision rendue sur la base d'arguments écrits,
déposés le 27 décembre 2012 et les 18 et 24 janvier 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant le président

1 Le 11 décembre 2007, un grief collectif a été présenté par l'entremise de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 (la « section locale » ou la « demanderesse ») au nom de onze de ses membres (les « fonctionnaires s'estimant lésés » ou les « fonctionnaires »). Il était allégué dans le grief que le Conseil du Trésor (l'« employeur » ou le « défendeur ») avait violé l'entente négociée relativement au salaire et aux avantages sociaux rétroactifs à 2005 et à la demande d'indemnité pour les fonctions exercées par les fonctionnaires s'estimant lésés de 2005 au 23 novembre 2007.

2 Le grief exposait ce qui suit :

[Traduction]

Nous, les signataires, souhaitons contester le fait que nous n'avons pas reçu la rémunération à laquelle nous avions droit pour les fonctions exercées en qualité de concepteurs de programmes d'essai pour les systèmes automatisés d'examen (SAE), poste classifié au groupe EL, et que la direction a manqué à ses engagements pris dans l'entente négociée relativement au salaire et aux avantages sociaux rétroactifs à 2005.

3 La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs visant le grief collectif a été reçue le 17 juin 2009.

4 Le 11 février 2011, l'agent négociateur a présenté une demande de prorogation du délai aux fins du renvoi du grief à l'arbitrage en vertu de l'article 61 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »). Le grief et la lettre de l'agent négociateur, datée du 18 janvier 2011, étaient joints à la demande. Il était précisé dans la lettre que l'agent négociateur avait omis de renvoyer le grief à l'arbitrage dans le délai prescrit.

5 Je suis autorisé à proroger le délai pour un renvoi à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 61b) du Règlement, édicté par l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. (2003), ch. 22 (la « Loi »). L'article 61 du Règlement est libellé comme suit :

61. Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l'accomplissement d'un acte, la présentation d'un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d'un grief à l'arbitrage ou la remise ou le dépôt d'un avis, d'une réponse ou d'un document peut être prorogé avant ou après son expiration,

  1. soit par une entente entre les parties;
  2. soit par le président, à la demande d'une partie, par souci d'équité.

II. Résumé de la preuve

6 Les parties ont convenu de présenter un énoncé conjoint des faits où sont exposés les événements ayant donné lieu à la demande.

7 Onze fonctionnaires s'estimant lésés sont en cause dans le présent grief collectif. Au moment du dépôt du grief collectif, ils occupaient le poste de technologue en électronique, classifié au groupe et niveau EL-05; ils étaient membres de la section locale et travaillaient à l'Installation de maintenance de la flotte Cape Scott (l'« IMFCS ») du ministère de la Défense nationale. La convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et la section locale, laquelle expirait le 31 août 2007 (la « convention collective »), s'applique au présent grief.

A. Présent grief

8 Un remaniement organisationnel a été annoncé le ou vers le 19 juin 2007. Par conséquent, la responsabilité pour le centre de travail des systèmes automatisés d'examen (les « SAE ») a été transférée du service de production du IMFCS au service d'ingénierie. Les décisions relatives aux classifications des nouveaux postes EL-05 ont été prises le 25 octobre 2007. Les fonctionnaires occupaient auparavant le poste de spécialiste des systèmes électroniques, classifié au groupe et niveau SR-EEW-11, dans le service de production. Ils ont été nommés aux nouveaux postes EL-05 par voie de lettres d'offre datées du 27 novembre 2007.

9 Le 11 décembre 2007, les fonctionnaires ont déposé un grief collectif, alléguant qu'ils n'avaient pas été rémunérés pour les fonctions qu'ils ont exercées à titre de concepteurs de programmes pour les SAE, au groupe et niveau EL-05, et ce, rétroactivement à 2005. Ils ont allégué que la direction avait manqué à ses engagements pris dans le cadre de l'entente négociée relativement à la rémunération et aux avantages sociaux rétroactifs à 2005.

10 Le défendeur a rejeté le grief au motif que les fonctionnaires avaient été nommés à des nouveaux postes, classifiés au groupe et niveau EL-05, à compter du 19 juin 2007. Il a déclaré que les droits et les conditions d'emploi aux termes de la convention collective étaient entrés en vigueur le 19 juin 2007. La réponse au dernier palier de la procédure de grief a été reçue le 17 juin 2009.

11 En juin 2009, Ed Fletcher, représentant de la section locale, a informé les fonctionnaires que leur grief serait renvoyé à l'arbitrage. En juillet 2009, la section locale a informé les membres qu'un renvoi à l'arbitrage avait été présenté en leur nom.

B. Demande de prorogation du délai pour le renvoi de ce grief à l'arbitrage

12 Au début de janvier 2011, la section locale a communiqué avec la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») pour savoir quand le grief collectif serait mis au rôle. La Commission a fait savoir qu'elle n'avait aucun document concernant ce dossier. La section locale a fait une recherche dans ses dossiers, mais n'a pu trouver d'exemplaire du renvoi à l'arbitrage du grief collectif. Une lettre du gestionnaire opérationnel de la section locale, datée du 18 janvier 2011, a informé les fonctionnaires que, contrairement à ce que croyait la section locale, le renvoi à l'arbitrage du grief collectif n'avait pas été présenté. Le gestionnaire opérationnel a aussi indiqué que la demanderesse avait demandé à l'employeur de proroger le délai, mais que ce dernier avait refusé. La demanderesse a ensuite déposé la demande de prorogation du délai en vertu de l'alinéa 62b) du Règlement, le 11 février 2011.

C. Griefs Davison et Désainde

13 L'énoncé conjoint des faits portait également sur deux griefs individuels, lesquels ont été déposés le 21 novembre 2008 et qui, dans les présents motifs, seront cités comme étant les griefs Davison et Désainde. Les deux fonctionnaires s'estimant lésés, Terry Davison et Ghislain Désainde, ne faisaient pas partie du grief collectif. Ils avaient été nommés à des nouveaux postes classifiés au groupe et niveau EL-04, dans le service d'ingénierie du centre des SAE. Ils avaient présenté un grief contestant la reclassification de leur poste du groupe et niveau SR-EEW-10 au groupe et niveau EL-04, laquelle avait entraîné une baisse de leur salaire.

14 Les deux fonctionnaires individuels ont reçu les réponses de l'employeur les 16 janvier, 10 mars et 14 juillet 2009. M. Fletcher avait déposé une demande de renvoi à l'arbitrage pour les griefs Davison et Désainde le 21 juillet 2009. Dans l'énoncé conjoint des faits, il est indiqué que M. Fletcher croyait que ces griefs étaient de portée similaire et qu'il était persuadé d'avoir renvoyé à l'arbitrage le grief collectif en même temps. Les griefs Davison et Désainde ont été réglés en ou vers mars 2011, à la date de l'audience d'arbitrage fixée.

III. Résumé de l'argumentation

A. Argumentation de la demanderesse

15 La demanderesse a avancé qu'il y avait lieu de tenir compte des cinq critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, dans la décision de proroger ou non le délai. Ces critères sont les suivants (Schenkman,au paragraphe 75) :

  1. Le retard est justifié pour des raisons claires, logiques et convaincantes;
  2. La durée du délai;
  3. La diligence raisonnable du demandeur;
  4. L'équilibre entre l'injustice causée au demandeur et le préjudice que subit l'employeur si la prorogation est accordée;
  5. Les chances de succès du grief.

16 La demanderesse m'a renvoyé au paragraphe 9 de Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59, où il est indiqué au paragraphe 7 : « […] c'est l'ensemble des circonstances particulières de chaque cas qui doit déterminer la valeur probante à attribuer à chaque critère par rapport aux autres ».

17 Dans son examen du premier critère dans Schenkman, la demanderesse a avancé qu'il y avait des raisons claires, logiques et convaincantes pour le délai. Elle a affirmé qu'il n'y avait aucune préoccupation relativement au respect du délai de présentation en ce qui concerne le grief collectif à l'étape initiale ou tout au long de la procédure de grief. Le retard était imputable à l'erreur administrative de l'agent négociateur.

18 Les fonctionnaires ont été informés par leur agent négociateur que leur grief serait renvoyé à l'arbitrage et qu'il l'avait été. L'erreur consistant à ne pas renvoyer le grief à l'arbitrage n'a été constatée qu'en janvier 2011, lorsque la section locale a réalisé que le grief ne figurait pas sur la liste des audiences de la Commission. Selon les arguments, les fonctionnaires n'avaient pas l'intention de renoncer à leurs griefs et n'avaient rien fait pour laisser entendre à l'employeur qu'ils ne contestaient plus ses actions.

19 La demanderesse m'a renvoyé aux griefs Davison et Désainde qui, à son avis, sont de portée similaire. Ces affaires ont été réglées en mars 2011, à la date de l'audience d'arbitrage prévue. Elle a établi une distinction entre une situation où le fonctionnaire n'a pas présenté de grief dans le délai prescrit et une situation où le fonctionnaire s'est conformé au délai de présentation du grief, mais pas à celui de renvoi à l'arbitrage à la suite d'une erreur de son agent négociateur.

20 La demanderesse a aussi soutenu que la durée du délai n'était pas contraignante, compte tenu du rythme auquel les griefs similaires évoluent dans les procédures de grief et d'arbitrage. À son avis, la nature du grief ne soulève pas de questions de fait où le temps écoulé causerait préjudice à l'employeur. Concernant ces deux points, elle a mentionné Jarry et Antonopoulos c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2009 CRTFP 11, aux paragraphes 34 et 35. La date de l'audience des griefs Davison et Désainde a éventuellement été fixée à mars 2011, et ces deux griefs découlaient de faits qui, de l'avis de l'agent négociateur, étaient de portée similaire au grief collectif. La demanderesse a affirmé qu'il était raisonnable que les représentants de la section locale communiquent avec la Commission en janvier 2011 pour obtenir une mise à jour, puisqu'ils croyaient que le grief collectif avait aussi été renvoyé à l'arbitrage. Elle a précisé que peu de temps après avoir constaté son erreur, l'agent négociateur a présenté une demande de prorogation du délai au nom des fonctionnaires.

21 La demanderesse a également soutenu que les fonctionnaires avaient agi avec diligence raisonnable, car ils n'avaient aucune raison de poursuivre l'affaire personnellement. Les représentants de la section locale leur avaient donné toutes les raisons de croire que le grief collectif avait été renvoyé à l'arbitrage. La demanderesse a ajouté qu'en vertu de l'article 216 de la Loi, [traduction] « la responsabilité du renvoi d'un grief collectif à l'arbitrage revient manifestement à l'agent négociateur ». De plus, l'employeur a été avisé du problème dès que la section locale en a pris connaissance. Renvoyant à Thompson et à Guittard c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 18, la demanderesse a fait valoir que si le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé a été négligent, on ne peut reprocher au fonctionnaire s'estimant lésé de ne pas avoir usé de diligence raisonnable dans ses efforts pour renvoyer le grief à l'arbitrage.

22 La demanderesse a soutenu que le préjudice subi par l'employeur serait faible, sinon nul, si le grief collectif était entendu sur le fond. L'employeur avait été informé du fait que des questions de fond similaires étaient soulevées dans l'ensemble des griefs. L'employeur n'avait aucune raison de croire que la question soulevée dans le grief collectif avait été mise de côté, et il n'a pas allégué de préjudice indu découlant du retard dans le renvoi à l'arbitrage du grief collectif. Selon la demanderesse, l'injustice causée aux fonctionnaires en refusant de proroger le délai est importante et beaucoup plus grande que le préjudice possible pour l'employeur, quel qu'il soit. Elle a ajouté que les questions soulevées dans le grief étaient graves, car les personnes en cause avaient exercé les fonctions du poste EL-05 pendant une longue période. En outre, le refus d'entendre le grief ne serait d'aucune utilité dans le contexte des relations de travail.

23 En ce qui concerne le cinquième critère dans Schenkman, soit les chances de succès du grief, la demanderesse m'a renvoyé à Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada) et Administrateur général (Commission de la fonction publique), 2010 CRTFP 72, et à Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65, au paragraphe 84. Elle est d'avis que la valeur probante de ce critère n'est pertinente que dans les causes où le grief semble frivole ou vexatoire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. De plus, la Commission a statué, par le passé, que le demandeur doit seulement démontrer qu'une cause est défendable, puisqu'il n'est pas approprié, dans une demande de prorogation du délai, d'entreprendre un examen approfondi du bien-fondé du grief.

B. Argumentation du défendeur

24 Le défendeur a fait valoir que les demandes de prorogation du délai ne devraient être accordées que modérément. Il m'a renvoyé à l'alinéa 61b) du Règlement qui autorise la Commission à exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de proroger un délai prévu aux termes du paragraphe 90(1), si un refus pouvait occasionner un préjudice. Il a soutenu qu'autrement, l'objet des délais prescrits dans le Règlement serait privé de tout effet.

25 Le défendeur a aussi avancé que le délai de présentation du renvoi à l'arbitrage avait expiré en juillet 2009 et que la demande de prorogation avait été présentée 19 mois après la réponse définitive de l'employeur au grief en l'espèce. À l'appui de sa position, il a mentionné les observations générales formulées dans Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, au paragraphe 46, où il est prévu qu'en général, les délais ne sont pas élastiques, mais qu'ils sont exécutoires et doivent être respectés par toutes les parties.

26 Selon le défendeur, il n'y a pas de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard. Il a mentionné la lettre adressée par la section locale aux fonctionnaires, le 18 janvier 2011, où la section locale a mentionné que la Commission : [traduction] « n'avait reçu aucun document concernant ce dossier » et que les dossiers de la section locale [traduction] « ne renfermaient aucune preuve que des documents avaient été dûment déposés ». Selon le défendeur, il n'y a pas suffisamment de similarité entre le présent grief et les griefs Davison et Désainde, lesquels avaient été dûment renvoyés à la Commission aux fins d'arbitrage. Il a précisé que ces derniers griefs portaient sur une reclassification et que le grief collectif concernait plutôt le manquement de l'employeur relativement à une entente négociée sur la rémunération et les avantages sociaux rétroactifs. Il a ajouté que la demanderesse n'avait pas établi les raisons pour lesquelles le grief n'avait pas été renvoyé à l'arbitrage dans le délai prescrit. Il a invoqué Sturdy c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2007 CRTFP 45, au paragraphe 10.

27 Le défendeur a affirmé que la durée du délai, c'est-à-dire 19 mois, est longue, et que le délai de 40 jours prescrit au paragraphe 90(1) du Règlement est suffisamment long pour qu'un agent négociateur s'entretienne avec les fonctionnaires s'estimant lésés, puis renvoie le grief à l'arbitrage. Le défendeur a ajouté que les griefs Davison et Désainde n'informent en rien la Commission de l'issue possible du présent grief s'il avait été renvoyé à temps en arbitrage; il a remis en question la pertinence de ces deux griefs. Il a aussi affirmé que les délais sont utiles dans le contexte des relations de travail en assurant le règlement définitif et exécutoire des différends et en contribuant à la stabilité des relations de travail. Il m'a renvoyé à Anthony c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans Canada) [1998], CRTFPC no 107, au paragraphe 54 (QL), (dossier de la CRTFP 149-02-167 [19981213]), et à Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 157, au paragraphe 34.

28 En outre, le défendeur a soutenu que l'exigence relative à la diligence raisonnable n'a pas été satisfaite parce que la section locale n'a en aucun temps confirmé l'état d'avancement du grief collectif avant le 11 janvier 2011. De plus, ni la section locale ni les fonctionnaires n'ont indiqué qu'ils avaient avisé l'employeur que le grief serait renvoyé à l'arbitrage. Le défendeur a contesté l'argument de la demanderesse selon lequel l'employeur n'aurait pas été surpris d'apprendre que la section locale avait l'intention de renvoyer le grief à l'arbitrage.

29 Le défendeur a soutenu que, dans le présent grief, le préjudice pour l'employeur était substantiel, car il avait agi de bonne foi en croyant que l'affaire était classée. Il a fait savoir que certaines personnes qui avaient pris les décisions au sujet du grief s'étaient depuis retirées et que le souvenir des témoins s'était estompé. Selon lui, il y a un risque que l'employeur ne puisse avoir accès aux témoins et aux documents requis pour réfuter les allégations des fonctionnaires. Quoi qu'il en soit, le défendeur a affirmé qu'en l'absence de raison claire, logique et convaincante pour expliquer le retard, la Commission n'était pas tenue de soupeser l'injustice que subiraient les fonctionnaires et l'employeur. Il a aussi soutenu qu'il existait une forte présomption de préjudice pour le défendeur en raison de la durée du retard.

30 Le défendeur a contesté l'argument de l'agent négociateur que le critère de cause défendable avait été satisfait. Le défendeur a réitéré sa position, à savoir que les parties ne s'étaient pas entendues sur quelque fait que ce soit qui pourrait servir de base à l'argumentation. Il a de plus réitéré que le présent grief n'avait nullement rapport aux griefs Davison et Désainde.

C. Réplique de la demanderesse

31  Dans sa réplique, la demanderesse a signalé que la section locale avait reconnu qu'en raison d'une erreur administrative le grief collectif n'avait pas été renvoyé à l'arbitrage dans le délai prescrit. Elle a cependant ajouté qu'elle croyait de bonne foi que le renvoi à l'arbitrage avait été présenté en même temps que les griefs Davison et Désainde.

32 Selon la demanderesse, le contexte factuel dans Sturdy, où un fonctionnaire s'estimant lésé avait invoqué une action en justice pour justifier le défaut de soumettre un grief en temps opportun, est distinct. Elle a également fait valoir que Sturdy n'étaye pas la proposition selon laquelle il doit être impossible pour un fonctionnaire s'estimant lésé de renvoyer un grief dans le délai prescrit pour que le président puisse exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai.

33 La demanderesse a contesté l'argument du défendeur qu'il y aurait un risque d'entreprendre la procédure de grief puisque certaines personnes en cause s'étaient retirées et que le souvenir s'était estompé. À son avis, aucune preuve à l'appui de ces risques n'a été présentée.

34 Elle a ajouté que les griefs Davison et Désainde avaient été présentés plusieurs mois après le grief collectif, mais que les réponses au dernier palier pour les deux griefs individuels et le grief collectif avaient été faites à un mois d'intervalle. Le moment et la similarité des questions étaient notables, et l'agent négociateur était persuadé qu'il avait renvoyé le grief collectif en même temps que les griefs Davison et Désainde. Pour ce qui est des chances de succès, la demanderesse a précisé que le défendeur n'avait pas allégué que le grief avait peu de chances de succès.

IV. Motifs

35 Le délai du renvoi en arbitrage d'un grief est prescrit dans les termes suivants à l'article 90 du Règlement :

Délai pour le renvoi d'un grief à l'arbitrage

90. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le renvoi d'un grief à l'arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief.

(2) Si la personne dont la décision constitue le dernier palier de la procédure applicable au grief n'a pas remis de décision à l'expiration du délai dans lequel elle était tenue de le faire selon la présente partie ou, le cas échéant, selon la convention collective, le renvoi du grief à l'arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après l'expiration de ce délai.

36 Les délais sont prescrits par la Loi et, comme l'a soutenu le défendeur, ne devraient être prorogés que rarement. Toutefois, aux termes de l'alinéa 61b) du Règlement, des prorogations de délai peuvent être accordées, et je suis autorisé à le faire par souci d'équité (voir Thompson, au paragraphe 20, et Jarry et Antonopoulos, au paragraphe 26).

37 Les parties se sont entendues que les cinq critères dans Schenkman pouvaient orienter le président ou son délégataire dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire d'accorder ou non une prorogation de délai. Ces critères sont énoncés dans Schenkman au paragraphe 75 comme suit :

  • Le retard est justifié pour des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • La durée du délai;
  • La diligence raisonnable des demandeurs;
  • L'équilibre entre l'injustice causée au demandeur et le préjudice que subit l'employeur si la prorogation est accordée;
  • Les chances de succès du grief.

38 Les cinq critères dans Schenkman renvoient aux principes de l'équité, lesquels guident le président dans l'application de l'article 61 du Règlement (voir Jarry et Antonopoulos, au paragraphe 26). Ces critères peuvent être interreliés, selon les circonstances entourant une demande. Il va de soi que c'est l'ensemble des circonstances particulières de chaque cas qui doit déterminer la valeur probante à attribuer à chacun des cinq critères (voir Thompson, au paragraphe 7, et Jarry et Antonopoulos, au paragraphe 27). Autrement dit, une approche trop rigide ou cloisonnée lors de l'évaluation de ces facteurs n'aidera pas à déterminer l'équité au sens de l'alinéa 61b) du Règlement.

A. Raisons claires, logiques et convaincantes du retard et diligence raisonnable

39 Le défendeur a soutenu que la demanderesse n'avait pas précisé les raisons pour lesquelles le grief n'a pu être renvoyé à l'arbitrage dans le délai prescrit. Cependant, cette dernière a déjà fait savoir qu'il n'y avait qu'une seule raison, à savoir l'erreur administrative de l'agent négociateur, ce qui est clairement établi dans l'énoncé conjoint des faits. Les fonctionnaires ont déposé le grief collectif le 11 décembre 2007. Ils voulaient que le grief soit entendu après son rejet au troisième palier, et ils ont été informés par M. Fletcher que le grief serait renvoyé à l'arbitrage. L'énoncé conjoint des faits a également démontré qu'en juillet 2009, la section locale avait avisé les membres que le renvoi à l'arbitrage avait été présenté au nom des fonctionnaires.

40 La présente affaire concerne l'erreur commise par l'agent négociateur. En effet, les fonctionnaires en cause dans le grief collectif se sont fiés à l'agent négociateur pour qu'il remplisse les exigences de la procédure de grief. En l'espèce, l'agent négociateur avait l'entière responsabilité de cette affaire. Bien qu'un employé demeure responsable même s'il est représenté, les faits en l'espèce ont clairement démontré que les fonctionnaires avaient pris toutes les mesures possibles et avait toute raison de faire confiance à l'agent négociateur que le grief collectif serait renvoyé à l'arbitrage et qu'il l'avait été (voir Jarry et Antonopoulos, aux paragraphes 29 et 30, et Thompson, aux paragraphes 13 et 19). De plus, la présente situation diffère de celle dans Sturdy, où le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas un employé syndiqué. Il avait notamment invoqué l'action en justice intentée pour justifier le défaut de présenter son grief en temps opportun.

41 Le défendeur a mis en doute la suffisance de la similarité entre le grief collectif en cause et les griefs Davison et Désainde. À première vue, le grief collectif se distingue des deux griefs individuels. Néanmoins, les trois griefs proviennent de la même section locale et découlent d'enjeux semblables, compte tenu des éléments communs liés aux niveaux de classification des employés et au versement des salaires. À mon avis, la question d'importance n'est pas tant de savoir si les griefs individuels et le grief collectif sont essentiellement similaires, que le fait que l'agent négociateur croyait à l'époque avoir renvoyé à l'arbitrage le grief collectif.

42 Comme il a été démontré par les éléments de preuve dans l'énoncé conjoint des faits, le moment où les réponses au dernier palier ont été données pour les griefs Davison et Désainde a presque coïncidé avec celui où ont été présentées les réponses au dernier palier pour le grief collectif. Les réponses au dernier palier pour les griefs individuels ont été transmises par voie de lettres datées du 14 juillet 2009, alors que celles pour le grief collectif ont été reçues le 17 juin 2009. De plus, que les deux griefs individuels aient été identiques ou semblables au grief collectif visé par la présente demande, l'énoncé conjoint des faits a démontré que le représentant de l'agent négociateur croyait de bonne foi qu'il avait renvoyé le grief à l'arbitrage en même temps que les griefs Davison et Désainde. L'existence de certaines similarités entre le grief collectif et les griefs individuels vient appuyer l'observation formulée dans l'énoncé conjoint des faits, à savoir que le représentant de la section locale croyait avoir renvoyé à l'arbitrage le grief collectif en même temps que les deux griefs individuels.

43 Je conclus, dans ces circonstances, que le retard était justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes.

44 L'erreur d'un agent négociateur ne peut pas toujours être considérée comme une raison claire, convaincante et logique d'un retard, mais dans certaines circonstances elle le sera, surtout si le ou les fonctionnaires s'estimant lésés se sont acquittés de leurs responsabilités dans la procédure ou ont satisfait le critère de diligence raisonnable exposé dans Schenkman (voir Thompson, aux paragraphes 13, 15, 19 et 20, et Jarry et Antonopoulos, au paragraphe 36). Nous examinerons donc ce critère ci-après.

B. Diligence raisonnable des fonctionnaires s'estimant lésés

45 Selon le défendeur, les fonctionnaires n'ont jamais vérifié l'état d'avancement du grief collectif. À la lumière de l'ensemble des circonstances dont je suis saisi, il s'agit d'un cas où l'agent négociateur avait la responsabilité du grief et tardé à déposer le renvoi à l'arbitrage (voir Trenholm, auparagraphe 46). Il n'y avait aucune raison valable pour les fonctionnaires de faire un suivi auprès de l'agent négociateur. Dans le cas présent, les fonctionnaires avaient signifié leur consentement au grief collectif. Ils avaient aussi discuté du renvoi à l'arbitrage du grief avec l'agent négociateur en juin 2009 et, en tant que membres de la section locale, avaient été informés par celle-ci qu'un renvoi à l'arbitrage avait été déposé en leur nom.

46 À titre de précision, l'article 215 de la Loi, dans la note marginale « Droit de l'agent négociateur », autorise l'agent négociateur à présenter un grief collectif à l'employeur au nom des fonctionnaires de l'unité de négociation qui s'estiment lésés par l'interprétation ou l'application d'une disposition de la convention collective. L'agent négociateur doit au préalable obtenir le contentement de chacun des intéressés. Cet article est libellé comme suit :

GRIEFS COLLECTIFS

[…]

Droit de l'agent négociateur

215 (1) L'agent négociateur d'une unité de négociation peut présenter un grief collectif à l'employeur au nom des fonctionnaires de cette unité qui s'estiment lésés par la même interprétation ou application à leurégard de toute disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale.

(2) La présentation du grief collectif est subordonnée à l'obtention au préalable par l'agent négociateur du consentement - en la forme prévue par les règlements - de chacun des intéressés. Le consentement ne vaut qu'à l'égard du grief en question.

47 L'article 216 de la Loi, dans la note en marge « Renvoi à l'arbitrage »,porte sur l'étape de la procédure où un grief collectif est renvoyé à l'arbitrage et stipule que le renvoi du grief revient à l'agent négociateur, qui a été présenté jusqu'au dernier palier de la procédure de grief inclusivement; cet article est libellé comme suit :

Renvoi à l'arbitrage

216. Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, l'agent négociateur peut renvoyer le grief collectif à l'arbitrage.

48 Il ressort clairement du libellé des dispositions qu'une fois que les fonctionnaires s'estimant lésés ont signifié leur consentement conformément à l'article 215 de la Loi, l'agent négociateur assume l'entière responsabilité pour le grief collectif, soit à partir du moment où il est présenté jusqu'à la réception de la réponse définitive et jusqu'à ce qu'il soit décidé que le grief sera renvoyé à l'arbitrage.

49 La pièce 1 de l'énoncé conjoint des faits démontre que le consentement des fonctionnaires a été obtenu et que l'agent négociateur a présenté le grief en leur nom. Selon l'énoncé conjoint des faits, les fonctionnaires ont vérifié auprès de l'agent négociateur si le grief collectif serait renvoyé à la Commission. En plus de l'assurance communiquée aux fonctionnaires que leur grief serait renvoyé, les membres de la section locale ont aussi obtenu confirmation que le grief collectif avait été renvoyé à l'arbitrage. S'étant informés du grief et des différentes étapes de la procédure, et compte tenu des responsabilités imposées par la loi de l'agent négociateur concernant les griefs collectifs, les fonctionnaires avaient toute raison de croire les affirmations de l'agent négociateur et de s'y fier. Ils n'avaient aucune autre raison de s'informer du grief. Tel qu'il a été signalé dans Jarry et Antonopoulos (au paragraphe 36), les fonctionnaires ont agi de façon conséquente tout au long de la procédure et n'ont jamais fait indiqué qu'ils avaient décidé de renoncer à leur grief.

50 À l'instar de Thompson, les fonctionnaires n'avaient pas de motif de poursuivre l'affaire personnellement puisque l'agent négociateur leur avait fait savoir non seulement qu'il s'était occupé de l'affaire, mais aussi qu'il avait fait preuve de diligence en renvoyant le grief à l'arbitrage (Thompson,auparagraphe 15). Il ne s'agit pas d'une situation où l'on peut reprocher aux fonctionnaires de ne pas avoir usé de diligence raisonnable (Thompson, au paragraphe 15).

51 Le défendeur a aussi fait savoir que la demanderesse n'avait jamais informé l'employeur du renvoi du grief à l'arbitrage ou de discussions avec ce dernier au sujet du grief avant janvier 2011. Le fait qu'il n'y ait pas de preuve de discussion au sujet du renvoi à l'arbitrage ne signifie pas que la demanderesse et les fonctionnaires n'avaient pas l'intention de renvoyer le grief à l'arbitrage. Par exemple, l'énoncé conjoint des faits renferme une déclaration que la section locale a fait un suivi pour s'informer de la date de l'audience devant la Commission, afin de déterminer quand le grief collectif figurerait sur la liste des audiences. De plus, tel qu'il a été mentionné ci-dessus dans mes motifs, l'agent négociateur a reconnu qu'il avait omis de renvoyer le grief à l'arbitrage en raison d'une erreur administrative. Le grief avait été déposé dès le début et l'employeur était au courant des questions qui y étaient soulevées. Tel qu'il a déjà été mentionné, il n'y avait aucune raison pour les fonctionnaires de faire un suivi directement auprès de l'employeur concernant le grief, avant d'apprendre qu'il n'avait pas été renvoyé à l'arbitrage.

C. Durée du délai

52 Le délai dans ce cas n'est pas sans importance. Toutefois, l'alinéa 61b) du Règlement, qui confère au président ou à son délégataire le pouvoir de proroger les délais par souci d'équité, stipule que la durée du délai est l'un de plusieurs facteurs à examiner. L'équité doit être le principe directeur à appliquer lors d'une enquête portant sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire en vue de proroger le délai en vertu du Règlement. Dans certaines situations, le délai peut être long, mais une prorogation sera tout de même accordée, car il est dans l'intérêt de l'équité de le faire. À l'inverse, il existe des situations où le retard dans la présentation d'un grief ou de son renvoi à l'arbitrage est infime, mais cela n'est pas un gage qu'une prorogation sera accordée, à moins qu'on doive le faire par souci d'équité.

53  La durée du délai doit être examinée dans le contexte de la procédure qui a été suivie relativement aux griefs (voir Jarry et Antonopoulos, au paragraphe 34). Il est indiqué dans l'énoncé conjoint des faits que M. Fletcher, le représentant de la section locale, considérait que les griefs Davison et Désainde étaient de portée similaire et il était convaincu qu'il avait renvoyé le grief collectif en même temps. Les griefs individuels ont été réglés au début de 2011 à la date prévue de l'audience d'arbitrage. Tel qu'il a été mentionné ci-dessus, les réponses au dernier palier des griefs individuels et du grief collectif ont été communiquées presque en même temps. Même si les deux griefs individuels ont été déposés plusieurs mois après le grief collectif, les réponses au dernier palier visant les griefs individuels et le grief collectif ont été faites à un mois d'intervalle. Le synchronisme et la similarité des questions étaient notables puisque l'agent négociateur était persuadé qu'il avait renvoyé le grief collectif en même temps que les griefs Davison et Désainde. Bien que les deux griefs individuels diffèrent du grief collectif, tous trois ont été déposés par la section locale et présentent certains éléments communs.

54 Je souscris aux observations du défendeur au sujet de Riche, à savoir que la raison d'être d'un délai est de favoriser la stabilité des relations de travail. Dans Riche, on insiste sur le fait que le Règlement accorde le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai par souci d'équité (au paragraphe 34) :

[34] Les conventions collectives conclues entre les syndicats et les employeurs prévoient un délai de présentation des griefs pour assurer une certaine stabilité des relations du travail. La raison d'être d'un tel délai consiste à faire en sorte que l'employeur ne soit pas constamment susceptible de se défendre contre des griefs contestant des mesures prises depuis longtemps et que le syndicat ne doive pas présenter ces griefs et les faire valoir. Cela dit, le Règlement donne […] le pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai par souci d'équité […]

[Je souligne]

55 Bien que Anthony précède la formulation des critères dans Schenkman et la mise en œuvre de la Loi, elle s'attarde également à la raison d'être du délai, c'est-à-dire contribuer à la stabilité des relations de travail. Après s'être penchés sur la raison d'être, l'arbitre de grief et le commissaire ont fait la remarque suivante (au paragraphe 38, dans la version QL) : « Il n'en demeure pas moins que la Commission est investie du pouvoir discrétionnaire d'accorder des prolongations quand elle le juge nécessaire dans l'intérêt de la justice. »

56 Dans Anthony, la demande de prorogation du délai a été rejetée. Par contre, la question en litige dans la présente affaire est tout autre. Dans Anthony, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a même pas communiqué avec l'agent négociateur pour savoir de quel recours il disposait. Bien qu'Anthony précède l'établissement des critères Schenkman, on y mentionne les critères qui s'appliquent au pouvoir discrétionnaire relativement à la prorogation de délai. L'arbitre de grief renvoie à la jurisprudence qui permet les prorogations « […] nonobstant l'expiration de délais, lorsque l'action contraire entraînerait une injustice » et à l'importance pour le fonctionnaire s'estimant lésé de faire preuve de diligence raisonnable dans la procédure (aux paragraphes 38 à 40).

57 En l'espèce, la demanderesse a fait savoir que peu de temps après s'être rendu compte de son erreur, elle a présenté une demande de prorogation au nom des fonctionnaires. Je conclus en outre que les fonctionnaires avaient manifestement l'intention, d'entrée de jeu, de soumettre un grief et le défendeur ne pourrait être surpris de leur demande de prorogation.

D. Équilibre entre l'injustice causée aux employés et le préjudice que subit l'employeur si la prorogation était accordée

58 La demanderesse a fait valoir que le préjudice subi par l'employeur serait faible, sinon nul, si le grief collectif était entendu sur le fond. L'employeur a été avisé que des questions de fond similaires avaient été soulevées dans l'ensemble des griefs. Selon la demanderesse, l'employeur n'a jamais eu de raison de croire que la question soulevée dans le grief collectif avait été classée. L'injustice causée par le refus d'une prorogation du délai aux fonctionnaires s'estimant lésés serait importante. Les questions soulevées dans le grief touchant les individus en cause sont sérieuses, du fait qu'ils ont exercé les fonctions du poste EL-05 pendant une longue période. En outre, il ne serait d'aucune utilité pour les relations de travail de refuser d'accueillir le grief.

59 Selon le défendeur, le préjudice pour l'employeur est considérable dans le présent grief, car ce dernier croyait que le dossier était clos. Quoi qu'il en soit, il n'a pas fourni de preuve à l'appui de cet argument dans l'énoncé conjoint des faits. De plus, la position du défendeur selon laquelle les personnes ayant pris les décisions concernant le grief sont maintenant à la retraite ou que leur souvenir s'est estompé, n'est pas étayée par une preuve quelconque dans l'énoncé conjoint des faits, auquel s'appuie les deux parties.

60 Je ne suis pas d'accord avec l'argument selon lequel il n'est pas nécessaire que je me penche sur la question du préjudice en l'absence de raisons claires, logiques et convaincantes du retard et de la présomption d'injustice pour le défendeur du fait d'un long délai. Je tiens à formuler les observations suivantes sur ces questions.

61 Premièrement, je conclus qu'il existe des raisons claires, logiques et convaincantes du retard dans ce cas. Deuxièmement, il a été avancé dans plusieurs décisions portant sur la prorogation de délai prises en vertu de la Loi et de l'ancienne Loi, que le fait d'accorder de telles prorogations ne doit pas être chose courante et que les circonstances dans chaque cas dicteraient la valeur probante à attribuer à l'un ou l'autre critère pertinent au moment de les appliquer (voir, par exemple, Trenholm, au paragraphe 58; Anthony, au paragraphe 40 (version QL); Grouchy, aux paragraphes 44 à 46; Jarry et Antonopoulos, au paragraphe 27; et Thompson, au paragraphe. 7). Troisièmement, tel qu'il a déjà été mentionné dans mes motifs, le critère général à appliquer en vue d'accorder une prorogation de délai est l'équité, conformément à l'alinéa 60b) du Règlement.

62 En ce qui concerne le dernier point, il importe de souligner que les critères dans Schenkman servent uniquement à aider le décideur à déterminer s'il accorde ou non une prorogation. Ces cinq critères sont issus de la jurisprudence ainsi que des décisions de la présente et de l'ancienne Commission. Ils ont été confirmés par l'ancienne Commission dans Schenkman et ont ensuite été examinés dans une enquête devant la Commission en vertu du Règlement. Avec le plus grand respect, j'ajouterais que ces critères ne doivent pas être considérés comme une supposée formule péremptoire qui empêcherait un décideur d'envisager d'accorder une prorogation par souci d'équité. Les critères qui orientent un tel examen reposent sur des faits et sont fondés sur le principe de ce qui est juste dans les circonstances. Enfin, comme je l'ai indiqué précédemment, la décision citée au sujet de la présomption de préjudice, soit Sturdy, se distingue de la présente affaire, car un délai de plus de deux ans était en cause (Sturdy, au paragraphe 9).

E. Chances de succès du grief

63 Je suis d'accord que les griefs Davison et Désainde n'ont aucune influence quant à la question de savoir si le présent grief offre une chance de succès en ce qui concerne la prorogation du délai. Néanmoins, ce critère ne devrait pas être appliqué dans l'examen préliminaire du fond d'une affaire. Il se peut qu'il y ait des situations où il conviendrait d'en tenir compte, par exemple si le grief est frivole ou vexatoire ou lorsque la question de la compétence est limpide. Dans le cas présent, cependant, je n'attribuerais pas beaucoup de valeur probante à ce critère.

64 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

65 La demande de prolongation du délai est accueillie.

66 J'enjoins au greffe de la Commission de mettre le grief au rôle en vue d'une audience sur le fond.

Le 15 novembre 2013.

Traduction de la CRTFP

David Olsen,
président par intérim de la
Commission des relations de travail dans la fonction publique

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