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Informations sur la décision

Résumé :

L'agent négociateur a déposé, en vertu de l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<Loi>>), une plainte dans laquelle il alléguait que le défendeur avait violé les articles 106 et 107 ainsi que le paragraphe 186(1) de la Loi en l'empêchant de distribuer une invitation à une réunion de l'agent négociateur au moyen de la méthode consistant à distribuer des documents aux bureaux des employés - il a allégué que cette action avait porté atteinte à son droit à communiquer avec ses membres, et que la méthode consistant à distribuer des documents aux bureaux des employés était une pratique de longue date qui constituait une condition d'emploi pouvant figurer dans une convention collective et qu'en conséquence, l'employeur ne pouvait y faire entrave en vertu de l'article 107, étant donné que les parties étaient engagées dans une négociation - le défendeur a soutenu que la plainte était hors délai, que la distribution de documents aux bureaux des employés n'avait pas été autorisée et ne constituait pas une pratique de longue date, et qu'il avait seulement exercé son pouvoir discrétionnaire concernant l'accès à ses locaux - la formation de la Commission a rejeté l'objection du défendeur relative au délai de présentation de la plainte, en concluant que les parties avaient eu une compréhension contradictoire en ce qui concernait la question de savoir si l'agent négociateur pouvait recourir à la distribution de documents aux bureaux des employés, et que cette question a été précisée dans les 90 jours qui ont précédé le dépôt de la plainte - la formation de la Commission a rejeté l'affirmation de l'agent négociateur selon laquelle il jouissait d'un droit inconditionnel et indépendant à communiquer avec ses membres, sans égard aux droits de propriété de l'employeur - la distribution faisait intervenir l'utilisation des biens de l'employeur - le droit à communiquer doit être évalué en tenant compte des droits de propriété de l'employeur - l'article12 de la convention collective, qui porte sur l'utilisation des babillards, traite de la capacité de l'agent négociateur d'utiliser les locaux de l'employeur pour communiquer avec ses membres et englobe toutes les questions relatives à la communication de l'agent négociateur avec ses membres au moyen des locaux de l'employeur - le fait d'accepter la position de la plaignante ferait en sorte de rendre l'article 12 complètement dépourvu de sens - la distribution de documents aux bureaux des employés pourrait avoir un effet perturbateur dans le lieu de travail - il n'y avait aucune pratique de longue date permettant d'établir qu'il y a eu violation de l'article 107. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-11-13
  • Dossier:  561-0-625
  • Référence:  2013 CRTFP 138

Devant une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Linda Gobeil, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour la plaignante:
Michael Fisher, avocat

Pour le défendeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 30 et 31 juillet 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la décision

1      Le 27 mai 2013, l'Alliance de la Fonction publique (la « plaignante » ou l'« agent négociateur ») a déposé, en vertu de l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), une plainte contre le Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) (l'« employeur » ou le « défendeur »). Au moment du dépôt de la plainte, les parties étaient engagées dans une négociation concernant une nouvelle convention collective pour le groupe Services frontaliers (FB). La convention collective entre la plaignante et le défendeur pour le groupe FB a expiré le 20 juin 2011 (la « convention collective »). Aux fins de la présente décision, il importe de mentionner que les conditions d'emploi figurant dans la convention collective étaient toujours en vigueur au moment du dépôt de la plainte, en vertu de l'article 107 de la Loi.

2      Essentiellement, la plaignante a allégué que le défendeur a contrevenu aux articles 106 et 107 et au paragraphe 186(1) de la Loi au motif qu'il l'a empêchée de recourir, dans certains établissements de l'employeur, à la méthode consistant à distribuer des documents aux bureaux des employés pour inviter les employés à assister à une réunion de l'agent négociateur (pièce G-1, onglet F). La plaignante a fait valoir que le défendeur a fait entrave à son droit de communiquer avec ses membres. Elle a mentionné également que la pratique de longue date consistant à distribuer ses documents aux bureaux des employés est une condition d'emploi qui peut figurer dans une convention collective et que, pour cette raison, l'employeur ne peut y faire entrave suivant l'article 107.

3      Le 14 juin 2013, le défendeur a fait valoir que la plainte était hors délai puisqu'elle avait été déposée après l'expiration du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi. Le défendeur a également avancé que la plainte était sans fondement étant donné que, outre le fait qu'il avait informé la plaignante il y a plusieurs années déjà qu'elle n'était pas autorisée à distribuer ses documents aux bureaux des employés, une approbation préalable était requise pour ce type d'avis. Le défendeur a affirmé que la plaignante disposait d'autres moyens de communication prévus dans la convention collective et qu'elle possédait les coordonnées personnelles de ses membres. Il a également allégué qu'il n'y avait pas eu violation des dispositions sur le gel énoncées à l'article 107 et que l'employeur avait simplement exercé son pouvoir discrétionnaire pour ce qui est d'autoriser l'accès à ses établissements, conformément à la convention collective négociée.

II. Résumé de la preuve

4      Six témoins ont témoigné pour le compte de la plaignante. L'employeur a fait comparaître quatre témoins. Chaque partie a déposé un recueil de pièces.

A. Preuve de la plaignante

5      Chantal Rajotte a été le premier témoin de la plaignante. Elle a présidé une section locale du Syndicat des douanes et de l'immigration pendant six ans, et elle s'était occupée d'affaires syndicales auparavant. Mme Rajotte a indiqué que les membres de la plaignante dans la région d'Ottawa-Hull travaillent dans divers établissements, notamment ceux situés au 191, avenue Laurier Ouest, au 250, chemin Tremblay, sur la rue Isabella et sur le boulevard St-Laurent.

6      Mme Rajotte a mentionné que la plaignante avait employé dans le passé la méthode consistant à distribuer des documents aux bureaux des employés pour communiquer des documents après les heures de travail ou durant les heures de repas. Mme Rajotte a déclaré qu'en 2011, elle avait recouru à cette méthode pour distribuer, aux lieux de travail susmentionnés, des documents tels que des invitations à la fête de Noël, des calendriers des activités de l'agent négociateur et de l'information sur les élections. Elle a distribué aux bureaux des employés de 150 à 200 exemplaires environ de chacun de ces documents. Mme Rajotte a mentionné qu'en janvier 2013, elle a distribué selon cette méthode quelque 150 à 200 calendriers des activités de l'agent négociateur aux établissements de l'avenue Laurier Ouest, de la rue Metcalfe et de la route Tremblay (pièce G-1, onglet M). Mme Rajotte a affirmé que chaque fois qu'elle a employé cette mode de distribution, elle n'a pas demandé l'autorisation de l'employeur avant de le faire, car cela ne relevait pas de ses tâches et elle n'était pas tenue de le faire. Elle a ajouté qu'au fil des ans, elle a aussi reçu de son agent négociateur des documents distribués de cette manière.

7      Mme Rajotte a expliqué que, lorsqu'il s'agit de diffuser de l'information, les babillards ne sont pas aussi efficaces que la distribution de documents aux bureaux des employés, car dans la plupart des établissements, le babillard se trouve à l'arrière d'un corridor. En outre, les babillards sont divisés en deux parties, une moitié étant réservée à l'agent négociateur et l'autre, à l'employeur, ce qui fait en sorte que les avis sont souvent cachés par de l'information affichée par d'autres agents négociateurs ou l'employeur. Par conséquent, les membres de l'agent négociateur ne peuvent réellement voir ce qui se trouve sur le babillard. En réponse à une question de l'avocat du défendeur, Mme Rajotte a indiqué que l'agent négociateur s'est plaint à de nombreuses reprises de l'emplacement des babillards et qu'il se peut qu'il ait déposé un grief à ce sujet.

8      En ce qui concerne les événements particuliers qui ont mené au dépôt de la présente plainte, Mme Rajotte a déclaré que le 5 avril 2013, elle a envoyé à la directrice des ressources humaines (RH) de l'employeur (pièce G-1, onglets F et G) un courriel concernant la distribution d'une invitation à une réunion portant sur la négociation collective (pièce G-2). Mme Rajotte a expliqué que son courriel visait simplement à informer la direction au sujet de la distribution d'un avis concernant une réunion devant avoir lieu le 7 mai 2013 (pièce G-1, onglet F), qu'elle envoyait envoyé ce message par courtoisie et qu'elle n'avait pas besoin de l'approbation de l'employeur pour procéder à la distribution. Elle a indiqué qu'elle avait rédigé l'avis (pièce G-1, onglet F) dans ses temps libres, à son domicile. Mme Rajotte a affirmé que l'employeur avait autorisé l'affichage de l'avis sur les babillards, comme le montre la réponse fournie dans son courriel du 8 avril 2013, mais qu'il n'a pas permis qu'il soit distribué aux bureaux des employés (pièce G-1, onglet F). Lors du contre-interrogatoire, Mme Rajotte a convenu du fait que l'invitation avait été affichée sur les babillards un mois avant la date prévue de l'activité.

9      Mme Rajotte a aussi mentionné qu'elle avait déjà distribué des documents sur des étages sécurisés de certains établissements, et qu'elle n'avait jamais demandé l'autorisation de l'employeur. Elle a indiqué que dans les cas susmentionnés, elle ne savait pas si l'on avait demandé l'approbation de l'employeur concernant la distribution de documents aux bureaux des employés. Il ne lui revenait pas d'obtenir cette approbation. Mme Rajotte a expliqué que, selon elle, la distribution de documents aux bureaux des employés relevait des affaires syndicales en vertu de l'article 12 de la convention collective, et qu'il n'était donc pas nécessaire de demander l'approbation de l'employeur. Mme Rajotte a déclaré que l'agent négociateur s'est plaint à de nombreuses reprises de l'emplacement des babillards.

10 Francine Stuart a aussi témoigné pour la plaignante. Mme Stuart est à la retraite. Elle a indiqué qu'elle avait travaillé à plusieurs lieux durant sa carrière, notamment à l'édifice Connaught à Ottawa et au 191, avenue Laurier Ouest, et qu'au fil des ans, elle avait assumé plusieurs fonctions d'agent négociateur. Mme Stuart a mentionné que la distribution des documents des agents négociateurs aux bureaux des employés est une pratique qui existe depuis de nombreuses années, et qu'en 1991, elle le faisait les fins de semaine. Elle a dit qu'elle avait distribué aux bureaux des employés des documents tels que des calendriers des activités de l'agent négociateur, des documents relatifs aux élections à la section locale et des invitations à la fête de Noël.

11 En ce qui concerne les babillards, Mme Stuart s'est plainte du fait que certains immeubles en sont dépourvus. Dans d'autres immeubles, les babillards sont difficilement accessibles ou se trouvent sur des étages sécurisés dont l'accès est limité, ce qui peut faire en sorte que l'agent négociateur ne puisse accéder aux babillards. Mme Stuart a indiqué que l'agent négociateur s'est plaint de cette situation à certaines réunions du Comité de consultation patronale-syndicale (CCPS).

12 Mme Stuart a renvoyé à la réunion du 9 septembre 2008 du CCPS, soit l'élément 7 de la pièce E-1, onglet 14 A. Elle a indiqué qu'elle était présidente de la section locale de l'agent négociateur à l'époque, et que celui-ci a demandé que les questions de l'affichage sur les babillards et de la distribution de documents aux bureaux des employés figurent à l'ordre du jour de la réunion, parce qu'il avait de la difficulté à afficher ses avis. Mme Stuart a déclaré qu'à la réunion du 9 septembre 2008 du CCPS, l'agent négociateur a demandé qu'un lien soit créé dans Outlook et qu'un couvercle verrouillé soit placé sur les babillards, à défaut de quoi il distribuerait ses documents aux bureaux des employés. Mme Stuart a affirmé que la direction a répondu qu'elle communiquerait de nouveau avec l'agent négociateur au sujet de la question de la distribution de documents aux bureaux des employés, ce qu'elle n'a jamais fait.

13 En contre-interrogatoire, Mme Stuart a déclaré qu'en 2003 et en 2004, après avoir éprouvé des difficultés à utiliser les babillards, l'agent négociateur a essayé de recourir à la distribution de documents aux bureaux des employés pour communiquer de l'information à ses membres, mais l'employeur le lui a interdit. En outre, elle a convenu du fait que l'employeur avait dit à l'agent négociateur de ne pas distribuer de documents aux bureaux des employés durant la ronde de négociation pour le groupe FB qui a précédé la ronde dont il est question ici. Mme Stuart a mentionné que l'agent négociateur avait déjà déposé des griefs concernant l'accès aux babillards, mais qu'ils n'avaient jamais été renvoyés à l'arbitrage. Elle a indiqué que l'employeur avait autorisé l'agent négociateur à distribuer des documents aux bureaux des employés pour éviter d'être critiqué par celui-ci.

14 En ce qui concerne le courriel qu'elle a fait parvenir à Lauralee Larose le 16 janvier 2008 (pièce E-1, onglet 10), Mme Stuart a soutenu qu'elle le lui avait envoyé par courtoisie et qu'il ne visait pas à demander une permission, étant donné qu'il s'agissait d'affaires syndicales pour lesquelles l'autorisation de l'employeur n'était pas requise. Mme Stuart a indiqué qu'elle n'a pas contesté la réponse de Mme Larose datée du 16 janvier 2008, dans laquelle celle-ci a mentionné qu'il n'y avait aucun problème à condition que les calendriers des activités de l'agent négociateurs soient laissés ailleurs que dans les zones de travail.

15 Charles Khoury a été le témoin suivant de la plaignante. Il a déclaré que dans le cadre de ses fonctions de premier vice-président de l'agent négociateur, il avait distribué aux bureaux des employés la mise à jour concernant la négociation collective en cause en mars 2013, à l'immeuble situé au 150, rue Isabella (pièce G-2). M. Khoury a indiqué qu'il avait distribué quelque 100 exemplaires du document avec un collègue, Insa Fall, à l'heure du repas, dans les jours qui ont précédé l'activité dont il était question dans la mise à jour. M. Khoury a affirmé que la distribution de documents aux bureaux des employés constituait le meilleur moyen de communiquer de l'information aux membres de l'agent négociateur. Il a mentionné que lorsqu'on invite les employés à des réunions en distribuant les documents à leurs bureaux, leur taux de participation est supérieur à celui observé lorsqu'on les invite au moyen d'avis affichés sur un babillard.

16 M. Khoury a déclaré qu'en ce qui concerne la distribution de documents aux bureaux des employés effectuée en mars 2013 (pièce G-2), il a dit à son gestionnaire qu'il emploierait ce mode de distribution et il lui a remis un exemplaire du document. En ce qui a trait à M. Fall, M. Khoury a indiqué que celui-ci avait parlé à son gestionnaire, qui a fait savoir qu'il ne voyait pas de problème à la distribution de documents aux bureaux des employés, pourvu qu'on n'utilise pas le réseau électronique à cette fin. M. Khoury a aussi mentionné qu'il avait distribué aux bureaux des employés le calendrier des activités de l'agent négociateur en 2012 (pièce G-1, onglet N). Il a fait savoir qu'il n'avait pas demandé l'autorisation de distribuer les calendriers, et qu'un gestionnaire avait même demandé des exemplaires afin de les remettre à son personnel. M. Khoury a convenu du fait que l'agent négociateur pouvait avoir en sa possession une liste de ses membres; cependant, il ne savait pas si elle était exacte.

17 Robert Lafortune a aussi témoigné pour le compte de la plaignante. Il a indiqué qu'il avait été délégué syndical ainsi que vice-président des communications pour la plaignante. M. Lafortune a mentionné que durant les 10 années qu'il a passées à Ottawa, il a distribué des documents aux bureaux des employés pour le compte de la plaignante au moins une fois l'an, et parfois deux. Il a précisé qu'au nombre des documents qu'il a distribués de cette manière figuraient des calendriers d'activités, des mises à jour en matière de négociation collective et des cartes professionnelles comportant des adresses. M. Lafortune a dit qu'il y a environ six ans, il a procédé à une distribution de documents aux bureaux des employés au 250, route Tremblay et au 2265, boulevard St-Laurent à Ottawa. Il a mentionné qu'il l'avait fait après les heures de travail à l'immeuble de la route Tremblay. À l'immeuble du boulevard St-Laurent, étant donné que celui-ci est sécurisé et que l'accès y est limité, il avait demandé l'autorisation d'y accéder et avait effectué la distribution durant l'heure du repas. M. Lafortune a indiqué qu'il avait obtenu de la direction la permission de distribuer les cartes professionnelles, et qu'il en avait laissé plus de 800 sur les bureaux des employés. Il a également mentionné qu'en octobre 2008, une élection de représentants de l'agent négociateur était en cours et qu'il avait distribué son curriculum vitæ aux bureaux des employés. M. Lafortune a mentionné qu'il avait probablement distribué 1 000 exemplaires de son curriculum vitæ et qu'il n'avait pas demandé l'autorisation de la direction. Il a ajouté qu'il n'a jamais demandé la permission de procéder à une distribution de documents aux bureaux des employés; il se contentait d'informer la direction qu'il allait recourir à ce mode distribution, et il n'a jamais reçu de plainte à ce sujet.

18 En ce qui a trait à la réunion du 9 septembre 2008 du CCPS (pièce G-1, onglet C, page 5), M. Lafortune a indiqué que la distribution de documents aux bureaux des employés avait suscité peu de commentaires, outre le fait qu'elle aurait dû être effectuée après les heures de travail et qu'elle ne devrait pas nécessiter la permission de la direction, contrairement aux avis affichés sur les babillards, dont le contenu devait être préalablement approuvé par la direction. En contre-interrogatoire, M. Lafortune a déclaré qu'il ne se souvenait pas que l'employeur ait exprimé son désaccord concernant la distribution de documents aux bureaux des employés.

19 Richard Carrier et Lynn Smith Doiron, qui participaient tous les deux aux activités du syndicat, ont aussi témoigné pour le compte de la plaignante. Ils ont essentiellement mentionné qu'ils avaient déjà distribué des documents de l'agent négociateur aux bureaux des employés, et que leurs gestionnaires étaient au courant et ne s'étaient jamais plaints de cette façon de faire.

B. Preuve du défendeur

20 Scott Pryor a témoigné pour le compte du défendeur. M. Pryor a mentionné qu'il occupe depuis trois ans le poste de gestionnaire du Programme des négociants fiables de l'employeur. Il a indiqué qu'il travaille depuis 21 ans pour l'employeur.

21 M. Pryor a déclaré que la plaignante n'avait pas pour pratique courante de distribuer des documents aux bureaux des employés, et qu'elle l'a fait pour la première fois dans le cadre de la distribution de la mise à jour concernant la négociation collective (pièce G-2), en mars 2013. Il a précisé qu'il avait été informé en discutant avec son directeur du fait que M. Fall, qui fait partie de son équipe et qui est un délégué syndical de la plaignante, avait distribué la mise à jour aux bureaux des employés.

22 M. Pryor a affirmé qu'en plus d'avoir été distribué aux bureaux des employés, l'avis (pièce G-2) avait été affiché sur le babillard. Il a indiqué que le babillard a une dimension d'environ 5 po x 9 po et qu'il est facile d'accès pour les employés. Il est situé au 11e étage de l'immeuble de la rue Isabella, à l'extérieur de la cuisine.

23 M. Pryor a déclaré que M. Fall lui a dit qu'il avait distribué la mise à jour concernant la négociation collective aux bureaux des employés durant son heure de repas. M. Pryor a mentionné que les heures de travail ou les périodes de repas et de pause ne sont pas toutes les mêmes pour les membres de son groupe de travail. Il a indiqué que les périodes de repas et de pause sont décalées.

24 M. Pryor a affirmé que lorsqu'il a su que la mise à jour concernant la négociation avait été distribuée aux bureaux des employés, il a dit à M. Fall qu'il y avait une procédure à suivre pour la distribution de documents et qu'il y avait notamment un babillard à cette fin.

25 M. Pryor a mentionné que la plaignante aurait pu utiliser d'autres moyens pour communiquer avec ses membres, comme distribuer le document à l'extérieur de l'immeuble de la rue Isabella et dans le hall d'entrée de l'immeuble.

26 M. Pryor a indiqué que ce n'était pas lui qui décidait, au nom de l'employeur, des documents qui pouvaient être distribués aux bureaux des employés par la plaignante. Il a mentionné que si on lui avait demandé la permission que des documents soient distribués aux bureaux des employés par la plaignante, il aurait renvoyé l'auteur de la demande à son directeur.

27 Ron Goulet a aussi témoigné pour le compte du défendeur. M. Goulet occupe actuellement la fonction de directeur de la Division des systèmes de traitement des voyageurs de l'employeur. Son bureau se trouve au 4e étage de l'immeuble situé au 250, route Tremblay. Il a mentionné qu'il n'avait aucun souvenir que des documents aient été distribués aux bureaux des employés par la plaignante à cet emplacement. Il a indiqué qu'à l'étage où se trouve son bureau, les heures de repas et de pause diffèrent selon les employés, et que certains employés commencent leur journée de travail plus tôt, tandis que d'autres la commencent plus tard. M. Goulet a ajouté que son étage comporte un babillard qui est utilisé par la plaignante, et que celle-ci a aussi récemment distribué des documents à ses membres à l'extérieur de l'immeuble.

28 Ann Kline a comparu pour le compte du défendeur. Elle assume la fonction de directrice générale du Programme des expéditions de l'employeur, et elle travaille au 150, rue Isabella depuis 2012. Elle a mentionné que la distribution de documents aux bureaux des employés n'était pas un mode de distribution couramment employé par la plaignante et que, hormis la distribution de calendriers d'activités et l'incident du 4 mars 2013, elle n'était pas au courant de cas où la plaignante aurait utilisé cette méthode.

29 Mme Kline a déclaré qu'aux environs du 4 mars 2013, elle a constaté la présence de l'avis de l'agent négociateur (pièce G-2) sur le bureau de l'un de ses adjoints, tandis qu'un autre de ses adjoints en détenait aussi un exemplaire. Elle a également indiqué qu'elle a vu d'autres employés à l'extérieur de leur poste de travail modulaire en train de discuter, et il lui est apparu évident qu'ils parlaient de l'avis. Le lendemain, Mme Kline a vu l'avis encore une fois. Elle l'a photographié et a envoyé la photo au groupe des relations de travail de l'employeur, étant donné qu'il suscitait de nombreuses questions. Mme Kline a mentionné qu'on lui a dit que M. Fall était la personne qui l'avait distribué.

30 Mme Kline a indiqué que les heures de repas et de pause diffèrent parmi les employés. Elle a expliqué que le fait qu'un employé distribue un document durant sa période de pause ne signifie pas que ceux qui le reçoivent le liront uniquement durant leur pause. Mme Kline a mentionné qu'elle ne sait pas qui a le pouvoir d'approuver au nom de l'employeur la distribution de documents aux bureaux des employés.

31 Mme Kline a indiqué qu'il y a un babillard à tous les étages de l'immeuble de la rue Isabella, et qu'au 11e étage, le babillard se trouve à l'entrée de la cuisine. Elle a également mentionné que, récemment, la plaignante a distribué des documents dans le hall d'entrée de l'immeuble, qu'elle a envoyé de l'information par courriel ou au moyen système de messagerie électronique de l'employeur, ou qu'elle a affiché de l'information sur son site Web.

32 Mme Larose a été le dernier témoin à comparaître pour le défendeur. Elle assume actuellement la fonction de gestionnaire des relations de travail pour l'employeur. Mme Larose a déclaré que l'employeur n'autorise pas la plaignante ou, du reste, tout autre agent négociateur, à distribuer des documents aux bureaux des employés.

33 Mme Larose a mentionné que dans la région de la capitale nationale, les fonctionnaires travaillant pour l'employeur sont répartis dans 24 immeubles. Certains de ces immeubles, comme celui du boulevard St-Laurent, sont ouverts 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Mme Larose a indiqué que tous les immeubles de l'employeur disposent de babillards, sauf celui situé au 11, promenade Sussex, mais aucun employé du groupe FB n'y travaille. Mme Larose a aussi précisé que seul le président de l'employeur a le pouvoir d'autoriser la distribution de documents aux bureaux des employés.

34 Mme Larose a mentionné qu'elle n'avait connaissance d'aucun cas où l'employeur avait autorisé la distribution de documents aux bureaux des employés, et elle a précisé que la position de l'employeur à cet égard remontait à quelques années. Même lorsqu'il faisait partie de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, il n'autorisait pas ce mode de distribution.

35 Mme Larose a dit qu'elle avait été étonnée de l'affirmation de la plaignante selon laquelle celle-ci avait distribué des documents aux bureaux des employés dans le passé sans avoir obtenu la permission de l'employeur. Mme Larose a indiqué que l'autorisation de l'employeur est toujours requise avant de recourir à ce mode de distribution.

36 Mme Larose a mentionné que la méthode de communication consistant à distribuer des documents aux bureaux des employés n'avait jamais été prévue dans la convention collective, et que cette question n'avait jamais été abordée durant la dernière ronde de négociation collective.

37 Mme Larose a expliqué que la distribution de documents aux bureaux des employés est tout simplement interdite, peu importe le moment auquel on l'effectue, étant donné que, même si la personne qui procède à la distribution le fait dans ses temps libres, cela ne signifie pas que l'employé qui reçoit le document est en pause. La distribution de documents aux bureaux des employés peut avoir une incidence sur la bonne marche des activités de l'employeur.

38 Mme Larose a déclaré que la question de la distribution de documents aux bureaux des employés a été soulevée à la réunion du 9 septembre 2008 du CCPS (pièce E, onglet 14-A, page 5). Mme Larose a indiqué qu'à cette réunion, la plaignante a fait mention de problèmes liés à l'affichage de documents sur les babillards et a parlé des délais qui s'écoulaient avant d'obtenir une réponse de la direction concernant ces affichages, et qu'elle a abordé la question de la distribution de documents aux bureaux des employés. Mme Larose a mentionné que, bien que l'employeur se soit engagé à examiner la question du délai de ses réponses relativement à l'affichage de documents sur les babillards, il a été déterminé à l'issue de la réunion que l'autorisation de l'employeur était requise en tout temps pour l'affichage de documents. En ce qui concerne la question de la distribution de documents aux bureaux des employés, l'employeur a refusé de répondre au motif que ce mode de distribution n'était tout simplement pas prévu dans la convention collective. Mme Larose a indiqué qu'elle ne se souvenait d'aucune autre discussion sur cette question, et qu'aucun grief ni aucune plainte n'avaient été déposés à ce sujet. Mme Larose a affirmé qu'entre la réunion du 9 septembre 2008 et mars 2013, elle n'avait pas eu connaissance du fait que la plaignante ait soulevé la question de la distribution de documents aux bureaux des employés.

39 Mme Larose a déclaré que les agents négociateurs ont d'autres moyens à leur disposition que la distribution de documents aux bureaux des employés pour communiquer avec leurs membres, comme l'utilisation d'une liste d'adresses des employés qui est fournie deux fois l'an aux agents négociateurs. Les agents négociateurs disposent également des adresses de courriel des employés, et ils peuvent distribuer des documents à l'extérieur des immeubles.

40 Mme Larose a mentionné que, bien que le contenu de la mise à jour concernant la négociation collective (pièce G-2) ait été approuvé à temps et que le document ait été affiché, l'employeur était quand même préoccupé par l'idée d'autoriser la distribution du document aux bureaux des employés. Mme Larose a indiqué que l'employeur s'inquiétait du fait que ce mode de distribution durant les heures de travail puisse perturber les activités des employés, étant donné que ceux-ci ne prennent pas tous leurs repas ou leurs pauses au même moment.

41 En ce qui concerne l'événement particulier ayant trait à l'avis de réunion de l'agent négociateur portant sur une mise à jour relative à la négociation collective, Mme Larose a précisé que sa collègue, Danielle Monette-Latouche, a d'abord reçu de la part de Mme Rajotte un courriel l'informant de l'intention de la plaignante de distribuer l'avis aux employés. Mme Larose a indiqué que le courriel de Mme Rajotte a été transmis à Stéphanie Houde, qui a fait savoir à Mme Rajotte, le 8 avril 2013, qu'on avait approuvé l'affichage de l'avis sur le babillard, mais qu'on n'avait pas autorisé sa distribution aux bureaux des employés ou au moyen du système électronique de l'employeur (pièce G-1, onglet F).

42 Mme Larose a déclaré que la plaignante, durant la présente ronde de négociation ou les rondes précédentes, n'a présenté aucune demande précise concernant la distribution de documents aux bureaux des employés.

43 Mme Larose a également indiqué que le rapport de la commission de l'intérêt public (CIP) portant sur le groupe FB, publié le 5 juin 2013, ne faisait pas mention de la distribution de documents aux bureaux des employés en tant que question en litige entre les parties (pièce E-1, vol. 1, onglet 4). Mme Larose a aussi renvoyé à des exemples d'avis de la plaignante dont l'affichage sur le babillard avait été approuvé et d'avis dont l'affichage n'avait pas été approuvé (pièce E-1, vol. 1, onglets 5 et 6), ainsi qu'à un courriel de la direction visant à rappeler aux gestionnaires que les agents négociateurs doivent obtenir l'autorisation de la direction avant d'afficher des avis sur les babillards (pièce E-1, vol. 1, onglet 8).

44 Mme Larose a mentionné qu'en 2008, la plaignante lui a demandé l'autorisation de distribuer aux bureaux des employés des calendriers d'activités. Mme Larose a indiqué qu'elle ne se souvient pas avoir eu de discussion sur cette question, mais qu'elle se rappelle avoir refusé la demande. Elle a aussi affirmé que Mme Stuart ne lui avait pas dit qu'elle allait recourir à ce mode de distribution de toute façon (pièce E-1, vol. 1, onglet 10). Mme Larose a précisé qu'aucun grief ni aucune plainte n'avaient été déposés à la suite de son refus concernant le recours à la distribution de documents aux bureaux des employés.

45 Mme Larose a indiqué qu'à la demande de Mme Stuart, les questions de l'affichage sur les babillards et de la distribution de documents aux bureaux des employés ont été inscrites à l'ordre du jour de la réunion du 9 septembre 2008 du CCPS (pièce E-1, vol. 1, onglets 11 à 13). Mme Larose a aussi expliqué que la version provisoire du compte rendu de la réunion a été distribuée le 22 novembre 2008 à tous les membres du CCPS, y compris aux représentants de la plaignante, qui n'ont soulevé aucune question concernant le résultat des discussions au sujet de l'affichage sur les babillards et de la distribution de documents aux bureaux des employés (pièce E-1, vol. 1, onglet 14-A). Mme Larose a mentionné que ce compte rendu a été approuvé et que la plaignante n'a pas déposé de grief ou de plainte à son sujet (pièce E-1, vol. 1, onglet 14-A).

46 Mme Larose a conclu son témoignage en mentionnant que Mme Rajotte avait déposé un grief le 29 avril 2013 à la suite du refus de l'employeur de l'autoriser à distribuer l'avis aux bureaux des employés, dont l'objet était semblable à celui de la plainte en l'espèce. Mme Larose a indiqué que, bien que le grief ait été rejeté au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, la décision définitive sur la question est toujours en suspens (pièce E-1, vol. 2, onglet 53). En contre-interrogatoire, Mme Larose a admis que l'employeur ne disposait d'aucune politique sur la distribution de documents aux bureaux des employés.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour la plaignante

47 En ce qui concerne la question de la recevabilité, la plaignante a allégué que la plainte avait été déposée dans le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi. L'avocat de la plaignante a fait valoir que, bien qu'on ait débattu de la question à la réunion du 9 septembre 2008 du CCPS, la plaignante n'a jamais reçu de réponse claire à sa question de la part de l'employeur. Ce n'est que le 1er mai 2013 que la plainte a réellement pris forme. Ce n'est que lorsque la présidente nationale de la plaignante a écrit au vice-président du défendeur que la plaignante a connu la position précise de l'employeur. Avant que la question de la distribution de documents aux bureaux des employés soit soulevée, il n'existait aucune politique pouvant indiquer la position de l'employeur; il n'y avait aucun document écrit à cet égard. L'avocat de la plaignante a mentionné que la distribution de documents aux bureaux des employés constitue un droit indépendant et que chaque fois que l'employeur refuse le recours à ce mode de distribution, l'agent négociateur a le droit de déposer une plainte.

48 En ce qui a trait au fond de l'affaire, l'avocat de la plaignante a allégué qu'en refusant d'autoriser la distribution aux bureaux des employés d'un avis sur une réunion à venir concernant une mise à jour relative à la négociation collective, l'employeur a violé les articles 106 et 107 et le paragraphe 186(1) de la Loi. Essentiellement, l'avocat de la plaignante a fait valoir que l'expression « distribution de document aux bureaux des employés » ainsi que la pratique consistant à recourir à ce mode de distribution sont en cours depuis de nombreuses années, et qu'il s'agit d'un moyen pour la plaignante de communiquer de l'information à ses membres en dehors des heures de travail. L'avocat de la plaignante a allégué que l'affaire ne porte pas sur la question de l'accès à la propriété du défendeur, mais plutôt sur le fait que l'employeur empêche l'agent négociateur d'exercer son droit à communiquer avec ses membres. L'avocat de la plaignante a insisté sur le fait que lorsqu'elle a distribué des documents à ses membres en dehors des heures de travail, même si elle l'a fait dans les établissements de l'employeur, la plaignante n'a pas utilisé les locaux de l'employeur. Par conséquent, en empêchant la plaignante d'exercer son droit indépendant à communiquer avec ses membres et à les représenter, l'employeur a enfreint l'alinéa 186(1)a).

49 L'avocat de la plaignante a examiné la preuve et a fait valoir que le 5 avril 2013, Mme Rajotte souhaitait simplement informer ses collègues syndiqués du fait qu'une réunion concernant la négociation collective allait avoir lieu (pièce G-1, onglet F). Elle a transmis l'avis à la représentante de l'employeur uniquement par courtoisie. Mme Rajotte croyait comprendre qu'elle n'avait pas à demander la permission de l'employeur étant donné que l'avis (pièce G-1, onglet F) portait sur des affaires syndicales. L'avocat de la plaignante a insisté sur le fait que l'employeur n'a fourni aucune explication à l'appui de son refus d'autoriser la distribution de documents aux bureaux des employés. L'avocat de la plaignante a soutenu que rien ne permettait de conclure que la distribution de documents aux bureaux des employés aurait eu un effet perturbateur.

50 L'avocat de la plaignante a allégué que la méthode consistant à distribuer des calendriers d'activités, des mises à jour concernant les négociations et des documents de propagande syndicale aux bureaux des employés a été utilisée à plusieurs reprises dans le passé en différents lieux et immeubles, et qu'il s'agissait d'une pratique de longue date qui n'avait jamais provoqué d'incident et qui était connue de la direction.

51 L'avocat de l'agent négociateur a fait valoir que la distribution de documents en dehors des heures de travail est une activité licite et constitue un droit indépendant qui peut être exercé tant et aussi longtemps qu'il ne nuit pas à la bonne marche des activités de l'employeur. L'avocat de la plaignante a soutenu qu'en l'espèce, rien ne permet de conclure que ces activités ont été perturbées.

52 L'avocat de la plaignante a mentionné que l'article 12 de la convention collective porte sur les locaux de l'employeur. Or, en l'espèce, il n'est pas question de l'utilisation des locaux de l'employeur. L'avocat de la plaignante a soutenu que l'employeur ne peut invoquer son droit de propriété pour limiter la capacité de l'agent négociateur de communiquer avec ses membres. L'avocat de la plaignante a fait valoir que dans le présent cas, il s'agit de déterminer si le mode de distribution de documents employé par la plaignante pour communiquer de l'information à ses membres était raisonnable, et si la convention collective interdit expressément la distribution de documents aux bureaux des employés. L'avocat de la plaignante a allégué que si les parties souhaitaient interdire ce mode de distribution des documents, elles auraient dû inscrire explicitement cette interdiction dans la convention collective, et que si l'article 12 traite de l'affichage sur les babillards, il n'interdit pas le recours à d'autres modes de communication, comme la distribution de documents aux bureaux des employés.

53 L'avocat de la plaignante a insisté sur le fait que le droit de l'agent négociateur à communiquer avec ses membres est essentiel et doit être autorisé tant et aussi longtemps qu'il est exercé de manière raisonnable. L'avocat de la plaignante a soutenu qu'en l'espèce, la preuve a montré qu'il y a eu dans le passé des problèmes concernant l'accès aux babillards, qui est censé constitué le meilleur moyen pour la plaignante de communiquer avec ses membres. En outre, le contenu de l'avis de réunion à venir sur une mise à jour concernant la négociation collective était très neutre, et l'avis ne comportait aucun élément pouvant nuire aux intérêts de l'employeur. Par conséquent, la position de l'employeur n'est pas raisonnable.

54 L'avocat de la plaignante a allégué que la distribution de documents aux bureaux des employés est une pratique de longue date entre les parties. Elle a été employée durant plusieurs années sans faire l'objet de plaintes et sans nuire aux activités de l'employeur. Il s'agit d'une pratique légitime pour la plaignante, qui n'est pas interdite par la convention collective.

55 Outre l'argument selon lequel l'employeur a violé l'alinéa 186(1)a) de la Loi, l'avocat de la plaignante m'a aussi demandé de conclure que le défendeur avait enfreint l'article 107, qui porte sur le gel de toutes les conditions d'emploi qui peuvent figurer dans une convention collective une fois que l'avis de négocier a été donné.

56 L'avocat de la plaignante a fait valoir que la preuve a permis d'établir qu'il existait une pratique de longue date lorsque l'avis de négocier a été donné le 21 février 2011, selon laquelle la plaignante pouvait recourir à la distribution de documents aux bureaux des employés au vu et au su de l'employeur, et sans qu'il soit nécessaire que celui-ci l'autorise. L'avocat de la plaignante m'a demandé d'appliquer le principe de « statu quo » et de conclure qu'il avait existé dans le passé une façon de faire courante consistant à distribuer des documents aux bureaux des employés, qui aurait pu figurer dans la convention collective, conformément à l'article 107 de la Loi. Par conséquent, en mettant fin de manière unilatérale à une pratique de longue date après la signification de l'avis de négocier, l'employeur a également violé l'article 107.

57 À l'appui de son argumentation, l'avocat de la plaignante m'a renvoyée aux décisions suivantes : Fording Coal Ltd. v. United Steelworkers of America, Local 7884, [1998] B.C.C.A.A.A. no 98 (QL); Alliance de la Fonction publique c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 58; Heffernan and White v. Treasury Board (Post Office Department) (1981), 3 L.A.C. (3e) 125; Merriman et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN) c. MacNeil et Justason, 2011 CRTFP 87; Canadian General Electric Co. v. United Electrical, Radio and Machine Workers of America (1952), 3 L.A.C. 909; Plainfield Children's Home v. Service Employees Union, Local 183 (1985), 19 L.A.C. (3e) 412; Time Air Inc. (1989), 77 di 55; Reynolds-Lemmerz Industries, [1994] O.L.R.D. no 4119 (QL); Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux c. Service correctionnel du Canada, 2006 CRTFP 76; Air Canada v. Canadian Air Line Employees' Ass'n (1980), 27 L.A.C. (2e) 289; La Fraternité des commis de chemins de fer, de lignes aériennes et de navigation, manutentionnaires de fret, employés de messageries et de gares, FAT-COI/CTC (FCCF), plaignante, et American Airlines Incorporated, Toronto (Ontario), employeur (1981), 43 di 114; CFCN Television (1988), 76 di 8; Hamilton-Wentworth District School Board, [2002] O.L.R.D. no 2676 (QL); Andres et al. c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 36; Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191 (C.A.); MacKenzie c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada) et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-21187, 21188, 21189 et 169-02-501 (19910620); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 106; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46; La Reine du chef du Canada, représentée par le Conseil du Trésor c. L'Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1982] 2 C.F. 80 (C.A.); Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. Conseil du Trésor,dossier de la CRTFP 148-02-186 (19910724); Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. Conseil du Trésor,dossier de la CRTFP 148-02-187 (19910502); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 148-02-118 (19860611); Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, 2010 CRTFP 7; Roy c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2011 CRTFP 142; Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78; Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100; Comiskey c. Jensen et al., 2012 CRTFP 22.

B. Argumentation du défendeur

58 En ce qui concerne la question de la recevabilité, l'avocat du défendeur a allégué que la plainte devait être rejetée étant donné qu'elle n'avait pas été présentée dans le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi. L'avocat du défendeur a mentionné que la question consistant à savoir si la plaignante pouvait distribuer des documents aux bureaux des employés avait été traitée à la réunion de septembre 2008 du CCPS, durant laquelle le défendeur a fait savoir de façon claire à la plaignante que ce mode de distribution ne serait pas autorisé. L'avocat du défendeur a soutenu que la preuve permet d'établir de façon évidente que la plaignante a été informée de la position de l'employeur à la réunion du CCPS.

59 L'avocat du défendeur a indiqué que le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi ne peut être prolongé par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »). Par conséquent, la plainte devrait être rejetée au motif qu'elle est hors délai.

60 En ce qui a trait au fond de l'affaire, l'avocat du défendeur a fait valoir que la jurisprudence la plus récente de la Commission vient appuyer le principe selon lequel toute limitation des droits de l'employeur doit être prescrite dans une convention collective.

61 L'avocat du défendeur a mentionné que la présente affaire fait clairement intervenir l'utilisation des locaux de l'employeur. L'avis (pièce G-1, onglet F) devait être distribué aux bureaux appartenant à l'employeur, dans ses locaux.

62 Essentiellement, l'avocat du défendeur a allégué que la plaignante peut revendiquer le droit d'utiliser les locaux de l'employeur pour communiquer avec ses membres uniquement si ce droit a été négocié dans le cadre d'une négociation collective. La plaignante doit établir qu'un tel droit positif à communiquer avec ses membres figure dans la convention collective.

63 L'avocat du défendeur a indiqué que les droits de la plaignante à communiquer avec ses membres en utilisant les locaux de l'employeur ont été négociés par les parties et sont enchâssés dans l'article 12 de la convention collective, sous le titre « Utilisation des locaux de l'employeur ».

64 L'avocat du défendeur a toutefois allégué que l'article 12 de la convention collective est complet en soi et se limite à l'utilisation des babillards et à l'accès aux locaux de l'employeur. L'avocat du défendeur a insisté sur le fait qu'il n'est aucunement fait mention de la distribution de documents aux bureaux des employés.

65 L'avocat du défendeur a mis l'accent sur le fait qu'un examen de l'article 12 de la convention collective permet de conclure que les parties ont traité la question de l'utilisation des locaux de l'employeur, que la plaignante a négocié des exceptions au contrôle exclusif de l'employeur sur les lieux de travail, que la plaignante a négocié un mode de communication efficace avec ses membres sur les lieux de travail durant les heures de travail ou en dehors de celles-ci, et que, à la clause 12.02, la plaignante a reconnu que la distribution de documents dans les locaux de l'employeur constitue en fait une utilisation de ces locaux.

66 De l'avis de l'avocat du défendeur, si l'agent négociateur souhaite élargir sa capacité de distribuer de l'information sur les lieux de travail, il doit le faire à la table de négociation.

67 L'avocat du défendeur a allégué que la position de la plaignante selon laquelle elle dispose du droit de distribuer des documents aux bureaux des employés viderait de son sens l'article 12 de la convention collective, dans la mesure où l'agent négociateur pourrait simplement ignorer cet article lorsqu'il souhaite communiquer de l'information ou des documents à ses membres.

68 L'avocat du défendeur a fait valoir qu'il revenait à la plaignante de déposer un grief de principe si elle n'était pas satisfaite de la manière dont l'employeur a traité la question des babillards prévue à l'article 12 de la convention collective.

69 Après avoir examiné la preuve, l'avocat du défendeur a également conclu que les mécanismes existants ainsi que la capacité qu'a l'agent négociateur de communiquer avec ses membres à l'extérieur des locaux de l'employeur donnent lieu à des moyens de communication efficaces. L'avocat du défendeur a renvoyé à la preuve montrant que l'agent négociateur a la possibilité d'utiliser les coordonnées à la maison de ses membres, qu'il dispose des adresses de courriel personnelles de ses membres, qu'il a un site Web pouvant être consulté par ses membres, et qu'il peut continuer de distribuer des documents à l'extérieur des lieux de travail.

70 L'avocat du défendeur a insisté sur le fait qu'en l'espèce, la plaignante a obtenu l'approbation de l'employeur concernant l'affichage de la mise à jour relative à la négociation collective sur les babillards un mois avant la tenue de l'activité, ce qui prouve qu'on n'a pas empêché la plaignante de communiquer avec ses membres en temps opportun.

71 En ce qui concerne la loi régissant l'utilisation des locaux de l'employeur, l'avocat du défendeur a mentionné que la jurisprudence semble être divisée. L'avocat de l'employeur a fait valoir que la jurisprudence citée par l'employeur s'avère pertinente à l'égard des droits de propriété de l'employeur, de la négociation collective et des pouvoirs qui sont conférés à l'employeur par la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (LGFP).

72 L'avocat du défendeur m'a renvoyée aux articles 7 et 11 de la LGFP, qui stipulent essentiellement qu'en l'espèce, et contrairement à ce qui est le cas dans le secteur privé, des droits sont accordés à l'employeur en matière de gestion générale, y compris des droits de propriété, que seule la négociation collective peut limiter. L'avocat du défendeur a soutenu que les parties ont déjà négocié les dispositions portant sur les questions de la communication d'information et de l'utilisation des locaux de l'employeur, comme l'indique le libellé de l'article 12 de la convention collective. Or, on ne traite nulle part dans l'article 12, ni d'ailleurs dans aucune autre disposition de la convention collective, de la question de la distribution de documents aux bureaux des employés. Ce n'est que dans le cadre de la négociation collective qu'on pourrait élargir la portée de l'article 12 et donc restreindre les droits généraux de l'employeur prévus par la LGFP.

73 L'avocat du défendeur a conclu qu'en outre, rien ne permet d'établir que l'employeur a manqué à son obligation de négocier de bonne foi aux termes de l'article 106 de la Loi. Plus particulièrement, l'avocat du défendeur a allégué que la preuve n'indique aucunement que l'employeur a pris des mesures distinctes visant la plaignante et qu'il a agi de manière discriminatoire à son égard. Il a souligné que la position de l'employeur au sujet de la distribution de documents aux bureaux des employés a toujours été la même, quel que soit l'agent négociateur. En ce qui concerne l'interdiction pour l'employeur d'intervenir dans l'administration d'un agent négociateur, qui est prévue au paragraphe 186(1), l'avocat du défendeur a indiqué que la notion d'« administration » mentionnée dans cette disposition renvoie à des questions de régie interne et n'englobe pas les communications entre l'agent négociateur et ses membres. Subsidiairement, il a allégué que la position de l'employeur s'inscrivait dans les limites de ses droits de propriété et que l'avis avait été affiché longtemps à l'avance sur les babillards. Par conséquent, on ne peut affirmer que l'employeur a interdit à la plaignante de communiquer avec ses membres.

74 En ce qui concerne l'allégation de la plaignante selon laquelle l'employeur a aussi violé l'article 107 de la Loi, qui porte sur la période de gel, l'avocat du défendeur a fait valoir qu'en l'espèce, l'employeur n'a jamais dérogé de son approche consistant à interdire la distribution de documents aux bureaux des employés. Par conséquent, on ne peut alléguer que l'employeur a modifié une condition d'emploi pendant la période de gel.

75 Enfin, l'avocat du défendeur a conclu que la preuve permet d'établir que la distribution de l'avis aux bureaux des employés a eu une incidence négative sur la bonne marche des activités de l'employeur.

76 À l'appui de son argumentation, l'avocat m'a renvoyée aux décisions suivantes :Babcock et al. v. Attorney General (Canada), 2005 BCSC 513; Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 236; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 110; Merriman; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2011CRTFP 106; United Rubber, Cork, Linoleum and Plastic Workers of America v. Michelin Tires (Canada) Ltd., [1979] N.S.J. no 794; Telus Communications Inc. v. Telecommunications Workers Union (2010), 195 L.A.C. (4e) 334; Bay v. Retail, Wholesale Department Store Union, Local 1000 (1990), 16 L.A.C. (4e) 298; Skeena Cellulose Inc. v. Industrial Wood and Allied Workers of Canada (I.W.A. Canada), [2002] B.C.L.R.B.D. no 267 (QL); Canadian Union of Operating Engineers and General Workers v. Brookfield Management Services Ltd. (BCE Place), (2000) C.L.R.B.R. (2e) 238; Convention Centre Corp. v. C.U.P.E., Loc. 500 (Union Buttons) (1997), 63 L.A.C. (4e) 390; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46; Public Service Alliance of Canada et al. v. Canadian Grain Commission et al., [1986] 5 F.T.R. 51; Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686; Almeida c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 1 C.F. 266 (C.A.); Quan; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2008 CRTFP 43; Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 58; Pronovost c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 93; Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112.

IV. Motifs

77 Je tiens à souligner dès le départ que les parties à l'instance m'ont renvoyée à 45 décisions. Même s'il existe certaines similitudes entre les faits et questions y sont mentionnés et ceux de la présente plainte, il s'agit d'affaires distinctes. Or, bien que j'aie évalué et examiné les éléments juridiques de ces décisions, je n'y ferai pas référence, à quelques exceptions près.

78 La question que je dois trancher consiste à savoir si l'employeur, en empêchant la plaignante de distribuer aux bureaux des employés un document visant à inviter ses membres à assister à une réunion portant sur la négociation collective, a violé les articles 106 et 107 et l'alinéa 186(1)a) de la Loi.

79 Avant tout, je dois me pencher sur l'argument de l'employeur selon lequel la plainte doit être rejetée au motif qu'elle n'a pas été déposée dans le délai de 90 jours prévu à l'article 190 de la Loi.

80 Le paragraphe 190(2) de la Loi se lit comme suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

81 Essentiellement, l'employeur a allégué qu'à la réunion du 9 septembre 2008 du CCPS, on a clairement fait savoir à la plaignante que la distribution de documents aux bureaux des employés ne serait pas autorisée et qu'elle disposait de 90 jours à compter de cette date pour déposer une plainte.

82 Cet argument ne me convainc pas. Je suis d'accord avec l'avocat de l'agent négociateur pour dire que la preuve est contradictoire quant à la façon dont les parties ont interprété la situation à l'issue de la réunion du 9 septembre 2008 du CCPS, et durant une longue période après cela. Cependant, il y a une preuve non contestée montrant qu'au 8 avril 2013, il était évident pour les deux parties que la position de l'employeur était de ne pas autoriser la distribution de documents aux bureaux des employés dans ses locaux. Selon moi, le délai de 90 jours a commencé à courir à partir du 8 avril 2013, soit la date à laquelle la plaignante a eu connaissance de manière certaine des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte. La plainte a été déposée le 13 mai 2013, et elle est donc recevable.

83 Je m'attarderai maintenant au fond de l'affaire. En l'espèce, le fardeau de la preuve incombait à la plaignante, et celle-ci devait montrer qu'en lui interdisant de distribuer aux bureaux des employés un document visant à inviter ses membres à assister à une réunion portant sur la négociation collective, l'employeur a violé les articles 106 et 107 et le paragraphe 186(1) de la Loi. Je dois également préciser qu'aucun renvoi n'a été fait à la Charte canadienne des droits et libertés durant l'audience.

84 Il importe de garder à l'esprit qu'en l'espèce, la teneur de l'invitation (pièce G-1, onglet F) n'est pas en litige. Autrement dit, les parties ont convenu du fait que l'invitation ne comportait aucun élément pouvant nuire aux intérêts de l'employeur. Le refus de l'employeur n'est pas lié au contenu de l'invitation; en fait, il a autorisé son affichage sur les babillards. C'est au mode de distribution du document que s'est opposé l'employeur.

85 Essentiellement, la plaignante a affirmé que l'affaire ne porte pas sur les droits de propriété de l'employeur, mais bien sur le droit fondamental de l'agent négociateur à communiquer avec ses membres, et qu'elle dispose du droit indépendant à communiquer avec ses membres en distribuant des documents aux bureaux des employés.

86 Je crois comprendre de l'argumentation de la plaignante que celle-ci estime jouir d'un droit inconditionnel à communiquer avec ses membres, sans égard aux droits de propriété de l'employeur. En outre, comme je l'expliquerai plus tard, l'avocat de la plaignante a allégué que même si je tiens compte de l'argument relatif aux droits de propriété de l'employeur, il convient de distinguer la présente affaire des autres décisions faisant intervenir les droits de propriété de l'employeur citées par l'avocat du défendeur.

87 Si j'examine d'abord la question des droits de propriété de l'employeur, je dois préciser que personne ne conteste le fait que la plaignante a distribué l'avis à des bureaux appartenant à l'employeur et se trouvant dans ses locaux. J'en conclus que la distribution de documents aux bureaux des employés fait intervenir une utilisation des biens de l'employeur. Selon moi, il apparaît de façon évidente que des biens appartenant à l'employeur, comme ses bureaux et ses locaux, ont servi aux fins de la distribution de documents, et l'on ne peut ignorer ce fait.

88 Ayant conclu que la distribution de documents aux bureaux des employés fait intervenir l'utilisation de biens de l'employeur, je dois maintenant trancher la question consistant à savoir si l'agent négociateur jouit d'un droit inconditionnel à communiquer avec ses membres pouvant être exercé sans égard aux droits de propriété de l'employeur.

89  Je ne crois pas qu'il dispose d'un tel droit. Je conviens du fait que les droits d'un agent négociateur, en tant qu'agent de négociation accrédité pour les employés, englobent le droit général à communiquer avec ses membres. Toutefois, selon moi, ce droit n'est pas absolu et, en l'espèce, doit être évalué en tenant compte des droits de propriété de l'employeur. Dans la présente affaire, il m'est impossible de déterminer quel pouvoir pourrait conférer à la plaignante le droit indépendant à distribuer des documents aux bureaux des employés dans les locaux de l'employeur sans le consentement de celui-ci. Selon ce que je crois comprendre de l'argumentation de l'avocat de la plaignante, l'agent négociateur revendique un droit inconditionnel à communiquer avec ses membres en distribuant des documents aux bureaux des employés qui éclipserait les droits de propriété de l'employeur. Encore une fois, bien que je convienne du fait que l'agent négociateur dispose d'un droit général à communiquer avec ses membres, il n'est pas autorisé à le faire en utilisant les locaux de l'employeur, à moins qu'une telle autorisation lui ait été expressément accordée. Autrement dit, dans le contexte de la présente affaire, l'article 12 de la convention collective aborde la question de la capacité de l'agent négociateur d'utiliser les locaux de l'employeur pour communiquer avec ses membres. Les parties ont traité cette question à l'article 12 de la convention collective, et celui-ci englobe tous les éléments liés à l'utilisation des locaux de l'employeur par l'agent négociateur pour communiquer avec ses membres.

90 Je conviens avec l'avocat du défendeur du fait que des dispositions législatives confèrent certains droits au défendeur, soit les articles 7 et 11 de la LGFP, qui portent notamment sur la gestion du personnel. Ces dispositions accordent de manière évidente des pouvoirs généraux à l'employeur concernant la gestion du personnel. Selon moi, seulement une indication claire dans la loi ou d'autres pouvoirs contractuels peuvent annuler ces droits conférés à l'employeur. Comme l'indique la décision rendue dans Canadian Grain Commission et al., au paragraphe 52 :

[Traduction]

Il est reconnu que les droits généraux de gestion attribués au Conseil du Trésor peuvent être considérablement limités par les conditions d'emploi négociées qui se trouvent dans une convention collective […] Ce principe est également pris en compte à l'article 7 de la convention collective, qui reconnaît que le pouvoir de gestion est limité par les conditions prévues dans la convention.

91 En l'espèce, c'est précisément ce qu'a fait l'employeur. Il a délibérément accepté de limiter ses droits de propriété en permettant à l'agent négociateur d'utiliser ses locaux pour communiquer avec ses membres. À la table de négociation, les deux parties ont convenu du libellé de l'article 12, qui se lit comme suit :

ARTICLE 12

UTILISATION DES LOCAUX DE L'EMPLOYEUR

12.01 Un espace raisonnable sur les tableaux d'affichage, dans des endroits accessibles, y compris les babillards électroniques s'ils sont disponibles, est mis à la disposition de l'Alliance pour y apposer des avis officiels de l'Alliance. L'Alliance s'efforcera d'éviter de présenter des demandes d'affichage d'avis que l'Employeur pourrait raisonnablement considérer comme préjudiciables à ses intérêts ou à ceux de ses représentants. L'Employeur doit donner son approbation avant l'affichage d'avis ou d'autres communications, à l'exception des avis concernant les affaires syndicales de l'Alliance, y compris des listes des représentants de l'Alliance et des annonces d'activités sociales et récréatives. Cette approbation ne doit pas être refusée sans motif valable.

12.02 L'Employeur maintient aussi la pratique actuelle consistant à mettre à la disposition de l'Alliance, dans ses locaux et, lorsque c'est pratique, sur les navires, des endroits précis pour y placer des quantités raisonnables de documents de l'Alliance.

[…]

92 J'estime qu'en convenant avec l'agent négociateur du libellé de l'article 12 de la convention collective, l'employeur a accepté de limiter ses droits de propriété en autorisant les agents négociateurs, sous certaines conditions, à utiliser les babillards pour communiquer avec leurs membres. Selon moi, l'article 12 est complet et précis en ce qui concerne les limitations imposées aux droits de l'employeur. Je ne crois pas que d'autres modes de communication figurent dans l'article, comme le droit pour les agents négociateurs de distribuer aux bureaux des employés, sans le consentement de l'employeur, des documents liés aux affaires syndicales de l'Alliance. Dans le cas qui nous occupe, le contenu de l'avis devant être distribué n'était pas en litige, mais il demeure néanmoins que la méthode de communication, soit la distribution de documents aux bureaux des employés, n'est pas anodine et peut avoir un effet perturbateur important. Je suis convaincue que si les parties ont cru bon d'enchâsser la question de l'utilisation des babillards dans la convention collective, elles auraient pu y inclure aussi celle de la distribution des documents de l'agent négociateur aux bureaux des employés.

93 Comme nous l'avons mentionné précédemment, l'article 12 de la convention collective ne traite pas uniquement des droits de propriété de l'employeur; il prévoit également, à la clause 12.01, un moyen supplémentaire de communication avec ses membres pour l'agent négociateur, soit l'utilisation des babillards. En négociant et en incluant l'article 12 dans la convention collective, l'employeur a sans contredit limité ses droits de propriété, tandis que, parallèlement, l'agent négociateur a obtenu certains droits lui permettant d'accéder aux locaux de l'employeur. Force est de conclure qu'en négociant une disposition sur l'utilisation des babillards, l'agent négociateur a reconnu les droits de propriété de l'employeur et qu'il a considéré, au moment de la négociation, qu'il était nécessaire d'inclure une telle disposition dans la convention collective. Pourquoi aurait-il fait une telle chose s'il avait disposé d'un droit indépendant à communiquer avec ses membres qui l'emporte sur les droits de propriété de l'employeur? La clause 12.01 accorde à l'agent négociateur le droit, sous certaines conditions, d'utiliser les babillards; il ne prévoit pas pour la plaignante un droit positif à utiliser les locaux du défendeur aux fins de la distribution de documents aux bureaux des employés. Si la plaignante souhaite recourir à ce mode de distribution, elle doit obtenir la permission de l'employeur, ou négocier un tel droit pour qu'il soit inclus dans la convention collective, comme elle l'a fait pour l'utilisation des babillards.

94 Dans Merriman, le commissaire a examiné la question consistant à savoir si la décision de l'employeur de refuser à M. Merriman l'accès à son réseau téléphonique avait constitué une pratique déloyale de travail aux termes de l'article 185 de la Loi. On peut lire ce qui suit aux paragraphes 27 et 28 de la décision :

[27] […] Cela soulève la question de l'étendue de la propriété de l'employeur étant à la disposition d'une organisation syndicale aux fins de communiquer avec ses membres et de les représenter, et soulève également la question de savoir si l'utilisation du système téléphonique de l'employeur par une organisation syndicale est protégée en vertu des dispositions de la Loi concernant la pratique déloyale de travail.

[28] Je note certaines dispositions de la convention collective […] qui sont pertinentes en l'espèce. La clause 9.01a) prévoit que l'employeur doit mettre à la disposition de l'organisation syndicale « [u]n espace raisonnable sur les tableaux d'affichage […] pour y apposer des avis officiels […] » de l'organisation syndicale. Cette disposition courante dans les conventions collectives permet aux organisations syndicales d'accéder à ce qui serait autrement la propriété exclusive de l'employeur. Par ailleurs, la clause 9.01b) permet à l'organisation syndicale d'utiliser le réseau électronique de l'employeur pour distribuer de l'information à ses membres, sous certaines conditions. Ces dispositions visent sans contredit à créer un droit contractuel qui permet à l'organisation syndicale d'utiliser la propriété de l'employeur à des fins particulières. Le corollaire de ces dispositions est que, de manière générale, une organisation syndicale n'a pas le droit d'utiliser la propriété de l'employeur pour communiquer avec ses membres. Si ce droit existe, il est habituellement le fruit de la négociation collective.

[Je souligne]

95 Qui plus est, selon moi, si l'on convenait avec la plaignante qu'elle dispose d'un droit inconditionnel à communiquer avec ses membres en distribuant des documents aux bureaux des employés malgré les droits de propriété de l'employeur, cela ferait en sorte de rendre la clause 12.01 de la convention collective complètement dépourvue de sens. Selon ce scénario, l'agent négociateur pourrait ignorer totalement la clause 12.01 et simplement procéder à la distribution de documents aux bureaux des employés, ou encore employer ce mode de distribution dans les cas où l'employeur rejette sa demande d'affichage d'un document sur un babillard.

96 L'avocat de la plaignante a insisté sur la nécessité de distinguer le présent cas des autres cas faisant intervenir l'utilisation de biens appartenant à l'employeur, par exemple, des babillards et des photocopieurs. À mon avis, le fait de distribuer aux employés des documents dans les locaux de l'employeur, en les déposant sur des bureaux qui lui appartiennent, constitue de toute évidence une utilisation des biens de l'employeur. Je crois qu'on peut établir une corrélation avec le recours à d'autres modes de communication, comme l'utilisation d'un téléphone dans les locaux de l'employeur. Dans Merriman, le commissaire est arrivé à la conclusion suivante, au paragraphe 32, lorsqu'il s'est penché sur la question même du droit de l'agent négociateur à communiquer et des droits de propriété de l'employeur :

[32] […] Encore une fois, comme le système téléphonique en litige est la propriété de l'employeur, celui-ci peut imposer des contrôles et des règlements, et il m'est impossible de conclure à l'existence d'une restriction dans la loi s'appliquant à l'utilisation que l'employeur fait de sa propriété.

97 Je suis donc d'avis qu'on a sans contredit utilisé les locaux de l'employeur aux fins de la distribution de l'invitation à une réunion (pièce G-1, onglet F). La plaignante a insisté sur le fait que la distribution du document aux bureaux des employés a été effectuée en dehors des heures de travail et que, par conséquent, elle n'a pas eu d'incidence sur la bonne marche des activités de l'employeur. Cet argument ne me convainc pas. La preuve ne permet pas d'établir le moment exact auquel la distribution du document a eu lieu. Cependant, il ressort clairement de la preuve que les heures de repas et de pause diffèrent d'un employé à l'autre et qu'il est tout à fait possible que l'avis ait été déposé sur le bureau d'un employé en train de travailler. Je ne peux donc conclure que la distribution du document a été effectuée en dehors des heures de travail et qu'elle n'a eu aucune incidence sur la bonne marche des activités de l'employeur.

98 L'avocat de la plaignante a allégué que la preuve montrait que l'utilisation des babillards ne constituait pas toujours un moyen de communication efficace, en raison souvent de leur emplacement, et que la distribution de documents aux bureaux des employés permettait d'attirer davantage l'attention des membres. Bien qu'il puisse y avoir des problèmes liés à l'emplacement des babillards et aux délais pouvant s'écouler avant que l'employeur approuve l'affichage d'un document sur les babillards, rien ne peut justifier le contournement des mécanismes qui ont été déterminés par les parties, au moyen de la négociation collective, en vue de permettre à l'agent négociateur de communiquer avec ses membres en utilisant les biens de l'employeur. Il semble que l'utilisation des babillards puisse parfois engendrer du mécontentement chez la plaignante, mais il revient à l'agent négociateur de chercher à régler les problèmes liés aux babillards en déposant des griefs de principe ou en abordant ces questions dans le cadre de la négociation collective.

99 L'avocat de la plaignante a aussi fait valoir qu'en refusant que des documents soient distribués aux bureaux des employés, le défendeur a empêché l'agent négociateur de communiquer avec ses membres. Je ne suis pas d'accord. La preuve non contestée permet d'établir que si l'employeur s'est opposé à la distribution de l'avis aux bureaux des employés, il a toutefois autorisé son affichage, conformément à la clause 12.01 de la convention collective, un mois avant la tenue de l'activité prévue. Je ne peux donc conclure que l'employeur a empêché l'agent négociateur de communiquer avec ses membres.

100 Qui plus est, en l'espèce, il convient d'établir une distinction entre la communication et le mode de communication choisi. L'employeur ne s'est pas opposé à la communication en soi, mais bien au mode de communication utilisé par la plaignante. L'employeur a interdit la distribution du document aux bureaux des employés.Dans Merriman, le commissaire a mentionné ce qui suit, au paragraphe 30 :

[30] À mon avis, le fait de restreindre la manière dont un membre communique avec son organisation syndicale n'équivaut pas à empêcher tout contact; il faut faire une distinction entre la communication et le mécanisme ou le moyen de communication […]

[Le passage en évidence l'est dans l'original]

101 En outre, la preuve a également révélé que la plaignante aurait pu distribuer l'avis à l'extérieur des locaux de l'employeur, comme elle l'avait déjà fait par le passé, qu'elle aurait pu utiliser la liste des employés que lui fournit l'employeur deux fois l'an pour joindre ses membres, ou qu'elle aurait pu afficher sur son site Web l'information sur la réunion à venir.

102 Par conséquent, en ce qui concerne l'obligation de négocier de bonne foi, je conclus que l'employeur n'a pas violé l'article 106 de la Loi. La question de la distribution de documents aux bureaux des employés n'a tout simplement jamais été incluse dans la négociation collective entre les parties. Je ne peux voir aucune relation ni aucune preuve permettant d'établir que cette question a été abordée à la table de négociation ou que ce différend a pris de l'ampleur dans le cadre de la négociation collective.

103 En ce qui a trait aux alinéas 186(1)a) et b) qui portent sur la formation et l'administration d'une organisation syndicale, la représentation des employés et la discrimination à l'égard d'une organisation syndicale, il m'apparait de façon évidente que ces dispositions visent à empêcher l'employeur de s'ingérer dans les affaires internes d'un syndicat. En l'espèce, rien ne permet de conclure qu'une telle ingérence a eu lieu. Il n'y a non plus aucune preuve ni même aucune allégation selon lesquelles l'employeur aurait agi de façon discriminatoire à l'égard de la plaignante; la preuve a révélé que tous les agents négociateurs ont été traités de la même manière.

104 L'avocat de la plaignante a fait valoir que l'employeur avait enfreint l'article 107 de la Loi, qui prévoit le gel de toutes les conditions d'emploi qui sont en vigueur lorsque l'avis de négocier est signifié et qui peuvent figurer dans une convention collective. La plaignante a essentiellement allégué que l'employeur, en lui interdisant de distribuer des documents aux bureaux des employés, a modifié une pratique de longue date et a donc contrevenu à l'article 107. Comme je l'ai mentionné précédemment, la preuve permettant de déterminer si cette pratique existait dans le passé est contradictoire. Les témoins de la plaignante ont déclaré qu'ils avaient employé ce mode de distribution durant une longue période pour toutes sortes de documents et en divers lieux, alors que les témoins de l'employeur ont contredit ces allégations par leurs témoignages et la présentation du compte rendu d'une réunion du CCPS et d'un courriel de Mme Larose daté du 16 janvier 2008, dans lequel celle-ci s'opposait expressément à la distribution de documents aux bureaux des employés (pièce E-1, onglet 10). À mon avis, la preuve ne permet pas de conclure que le mode de communication consistant à distribuer des documents aux bureaux des employés était utilisé et qu'il était toléré par l'employeur. Le fardeau de la preuve incombait à la plaignante. Je ne suis pas convaincue que la preuve soutienne l'existence d'une pratique de longue date, et je ne peux donc conclure que l'employeur a violé l'article 107.

105 Enfin, je ne peux m'empêcher de souligner le fait qu'aucune des parties n'a soulevé ces questions précises dans leurs demandes respectives durant la présente ronde ou les rondes précédentes de négociation collective, et qu'elles n'ont pas été soumises à la CIP. De toute évidence, la table de négociation aurait constitué une tribune de choix pour régler ces questions.

106 Pour ces motifs, la Commission rend l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

107 La plainte est rejetée.

Le 13 novembre 2013.

Traduction de la CRTFP

Linda Gobeil,
une formation de la Commission des relations
de travail dans la fonction publique

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