Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté le refus de l’employeur de lui rembourser les cotisations professionnelles liées à son titre professionnel d’ingénieur - il était le seul ingénieur en géomatique de sa direction et il avait obtenu sa désignation d’ing. huit ans après sa date d’entrée en fonction chez l’employeur - il a soutenu qu’il se serait exposé à des sanctions de l’organe de réglementation des permis d’exercice des ingénieurs s’il avait accompli son travail sans cette désignation, que l’obtention de celle-ci était considérée comme un objectif de son évaluation de rendement et d’apprentissage, que l’employeur bénéficiait de la crédibilité et de la notoriété que lui conférait cette désignation dans le domaine - le poste d’attache du fonctionnaire s’estimant lésé et les tâches qui lui étaient confiées n’exigeaient pas cette désignation, il a témoigné en cour à titre de témoin expert sans elle, il a accompli le même travail que celui de titulaires d’un poste de même groupe et niveau et il n’a jamais exercé des fonctions de supervision - l’arbitre de grief a considéré que le libellé de la convention collective exigeait qu’il établisse que la désignation était <<indispensable à l’exercice continu des fonctions>> de son poste ou que <<l’admissibilité à l’affiliation>> faisait partie des <<qualités requises dans les Normes de qualification [du groupe professionnel]>> pour sa classification et qu’il ne s’est pas acquitté de ce fardeau - l’affiliation à un ordre professionnel ne peut pas être simplement un élément rehaussant l’aptitude d’un employé à accomplir son travail, mais doit être nécessaire à l’accomplissement de ses fonctions. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-09-26
  • Dossier:  566-02-6521
  • Référence:  2013 CRTFP 120

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JOHN ELLS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Pêches et des Océans)

employeur

Répertorié
Ells c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Huguette Chevrier, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Magdalena Persoiu, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 8 avril 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1  John Ells, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est ingénieur en géomatique, un poste classé EN-SUR-03, au service du ministère des Pêches et des Océans dans le Service hydrographique du Canada - sciences océaniques (le « Service »). Il est visé par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor du Canada (l’« employeur ») et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « syndicat ») pour le groupe Architecture, Génie et Arpentage; date d’expiration : le 30 septembre 2011 (la « convention collective »).

2 Le 20 avril 2011, le fonctionnaire a déposé un grief contestant le refus de l’employeur de lui rembourser les cotisations professionnelles liées à son titre professionnel d’ingénieur. À titre de mesure de redressement, il a demandé que l’employeur lui rembourse les cotisations relatives à son permis d’exercice d’ingénieur (désignation ing.) ainsi que le versement unique effectué pour son inscription à titre d’ingénieur stagiaire, pour un total de 609,85 $. Le grief a été entendu seulement aux deuxième et dernier paliers de la procédure de règlement des griefs. Le grief a été refusé au deuxième palier le 22 juin 2011 et au dernier palier le 21 décembre 2011, et a été renvoyé à l’arbitrage le 27 janvier 2012.

II. Résumé de la preuve

3 Le fonctionnaire a témoigné pour son propre compte et produit 11 documents en preuve. Kian Fadaie, directrice nationale de l’hydrographie, Direction de l’hydrographie, a témoigné pour le compte de l’employeur et produit quatre documents en preuve.

4 Lors de son témoignage, Mme Fadaie a indiqué que le Service était le seul organisme au Canada qui produisait des cartes hydrographiques des eaux canadiennes. Elle a expliqué qu’il s’agissait d’une discipline complexe, combinant à la fois l’expertise en géographie et en hydrographie. Comme les universités canadiennes n’offrent pas l’hydrographie dans leurs programmes d’études, le Service offre son propre programme de formation. Le Service fournit des opinions d’experts aux autres ministères, étant un expert dans cette discipline.

5 Mme Fadaie a indiqué que le poste du fonctionnaire au sein du Service était unique en soi, du fait qu’il était la seule personne exerçant cette fonction jusqu’à son détachement à un autre ministère pour une période de trois ans. Après son départ, elle a embauché deux ingénieurs en levés géodésiques. Elle a précisé qu’il s’agissait d’un travail hautement technique. Le fonctionnaire effectuait des analyses géodésiques afin de déterminer la position précise d’objets et des frontières sur des plans d’eau. L’ingénieur en levés géodésiques ou l’arpenteur en levés géodésiques exerce des fonctions analogues à celle d’un arpenteur-géomètre, mais sur des plans d’eau. On fait notamment appel au témoignage d’expert des ingénieurs en levés géodésiques dans des cas portant sur des infractions se produisant dans les eaux territoriales canadiennes, lorsqu’il faut établir les limites géographiques des eaux en cause. Elle a précisé que le fonctionnaire était très brillant et qu’il était une vedette au bureau.

6 Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait commencé à travailler à titre d’ingénieur en levés géomatiques pour l’employeur en 2002 et qu’il y avait travaillé jusqu’en mai 2011, lorsqu’il a accepté un détachement de trois ans auprès du service du Droit international de la mer. Il prévoit revenir à son poste d’attache d’ingénieur en géomatique en 2014.

7 Le fonctionnaire a témoigné que, dans le cadre de son poste d’attache, bien que l’organigramme de la hiérarchie supérieure ait changé au fil du temps, son rôle à titre d’ingénieur en géomatique n’avait pas changé. Il a signalé qu’il était le seul ingénieur en géomatique à la Direction de l’hydrographie, ainsi qu’il ressort de l’organigramme produit à titre de pièce G-4. Les autres employés dans son groupe et niveau sont des conseillers techniques. Il a expliqué que la profession d’ingénieur en géomatique était analogue à celle d’un ingénieur arpenteur en levés géodésiques.

8 Le fonctionnaire a obtenu sa désignation ing. en 2010 (pièce G-5). Dans le cadre de ce processus, il devait présenter un rapport de travaux à l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario (OIO), l’organe de réglementation et d’attribution des permis d’exercice des ingénieurs dans la province (pièce G-6). Les travaux présentés dans son rapport ont été évalués afin d’établir s’il s’agissait de travaux pouvant être qualifiés de travaux d’ingénierie. Sa formation de la profession d’ingénieur s’est poursuivie sur plusieurs années; il l’avait entreprise avant même d’entrer au service de l’employeur. Il a affirmé qu’il n’avait pas le droit d’employer le titre d’ingénieur avant d’avoir obtenu son permis d’exercice, ajoutant qu’on l’avait averti que le fait d’effectuer des travaux d’ingénierie avant d’avoir obtenu sa désignation ing. pouvait l’exposer à des sanctions de la part de l’OIO (pièce G-9). En outre, s’il ne versait pas les cotisations exigées pour son permis d’exercice, son permis serait révoqué. Il a indiqué que c’est pour cela qu’il a payé ses cotisations.

9 Le fonctionnaire a expliqué que la nature de son travail a évolué au fil du temps. Lorsque son ancien patron, un ingénieur, a pris sa retraite en 2004, le fonctionnaire a pris en charge plusieurs de ses dossiers; depuis lors, son travail est devenu de plus en plus complexe. Depuis 2008, il a notamment eu à préparer des rapports d’experts en génie géodésique et à témoigner à titre de témoin-expert, tout comme son ancien supérieur était appelé à le faire. Il a expliqué qu’il exerçait ses fonctions de témoin‑expert sous la direction de son supérieur actuel. Il a souligné que l’employeur était au courant qu’on le considérait comme un étant un expert dans son domaine et qu’il l’appuyait dans ses fonctions à cet égard parce que cela conférait de la crédibilité et de la notoriété à la Direction de l’hydrographie. Il a affirmé qu’il avait été appelé à témoigner en cour à sept ou huit reprises et avait produit une douzaine de rapports d’expert. Les autres membres du personnel de sa section ne sont pas appelés à effectuer ce genre de travail. Il a précisé qu’il témoignait en cour uniquement pour le compte de l’employeur. Il a ajouté que ses fonctions à titre d’expert en la matière étaient une exigence énoncée dans sa description de travail (pièce G-3).

10 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu qu’il avait témoigné en cour à titre d’expert en 2008, 2009 et en 2010, avant d’obtenir son permis d’exercice d’ingénieur. Il a précisé toutefois que bien qu’on se soit opposé à son témoignage en raison du fait qu’il ne détenait pas son permis d’exercice d’ingénieur, son témoignage avait néanmoins été accepté à titre de témoin-expert. Notamment, dans R. v. LaPorte, 2011 NSPC 36 (pièce E-4), le fonctionnaire s’estimant lésé a été admis à titre de témoin‑expert, bien qu’il ne fût pas encore titulaire du permis d’exercice d’ingénieur.

11 Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’était entretenu à plusieurs reprises avec son superviseur, Mme Fadaie, au sujet de son intention d’obtenir sa désignation ing. D’ailleurs, l’obtention de cette désignation était inscrite dans les objectifs énoncés dans le rapport d’évaluation de son rendement et de ses objectifs de perfectionnement pour la période d’évaluation 2009 à 2010 (pièce G-7) en plus de son plan individuel d’apprentissage pour cette même période (pièce G‑8), ces deux documents ayant été signés par son superviseur. Le fonctionnaire a témoigné qu’il était convaincu que s’il n’atteignait pas ces objectifs cela aurait un impact négatif sur son évaluation et, par conséquent, on attendait de lui qu’il obtienne sa désignation ing., faute de quoi il risquait de recevoir une évaluation négative.

12 Le fonctionnaire a témoigné que Mme Fadaie l’encourageait à obtenir sa désignation ing. Il a affirmé qu’il était convaincu de son soutien indéfectible à cet égard. Il a témoigné qu’il était convaincu que l’obtention de cette désignation était devenue une exigence de son emploi, ce qui expliquait notamment pourquoi cela figurait au titre des objectifs de son plan d’apprentissage et que son superviseur avait signé son plan d’apprentissage.

13 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu que ni l’affichage du concours (pièce E-1) qu’il avait vu avant de poser sa candidature à son poste, ni la lettre d’offre qu’il avait reçue (pièce E-2) lors de sa nomination n’exigeaient qu’il soit titulaire d’une désignation ing. Il a convenu qu’il avait occupé le même poste d’attache de 2002 jusqu’en 2011, alors qu’il a été affecté en détachement. Il a également convenu qu’il accomplissait les mêmes fonctions de 2002 à 2011 que celles d’un titulaire d’un poste EN-SUR-03. Il n’a jamais exercé des fonctions de supervision. Il a reconnu que la norme de classification du sous-groupe EN-SUR (pièce E-3) n’exige des titulaires qu’ils possèdent une désignation professionnelle que pour les postes de supervision. Il a également convenu que sa description de travail n’énonçait aucune tâche et que l’employeur n’exigeait pas de lui qu’il accomplisse des tâches qui ne pouvaient pas être accomplies à moins qu’il soit titulaire d’une désignation ing. Il a confirmé qu’il ne perdrait pas son emploi si son permis d’exercice était révoqué. Il a cependant réitéré qu’il s’exposait à des sanctions de la part de l’OIO s’il pratiquait la profession d’ingénieur sans détenir un permis d’exercice.

14 Le fonctionnaire a maintenu que son poste avait évolué au fil des ans et que, au cours de ses entretiens avec son superviseur, il avait compris qu’il devrait obtenir sa désignation d’ing. Il a reconnu qu’il n’avait pas reçu d’ultimatum à cet égard, mais il estimait néanmoins que cela constituait une exigence. Il a cependant convenu qu’il avait accompli les mêmes fonctions sans être titulaire d’une désignation ing. qu’il avait accompli par la suite alors qu’il l’avait obtenue. Il a toutefois souligné qu’au fil des ans, d’autres ministères se fiaient de plus en plus à son expertise, et que le fait de posséder cette désignation renforçait leur confiance envers les renseignements qu’il leur fournissait.

15 Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait demandé qu’on lui rembourse les frais en lien avec l’obtention de sa désignation ing. et les cotisations y afférentes le 20 mars 2011 (pièce G-10). Mme Fadaie lui a dit qu’il fallait qu’elle demande des directives à cet égard. Finalement, sa demande a été rejetée le 25 mars 2011 (pièce G‑10).

16 Mme Fadaie a témoigné que le poste occupé par le fonctionnaire exigeait que son titulaire possède un diplôme en ingénierie ou un autre diplôme universitaire en sciences, avec spécialisation en mathématiques ou en physique, ou dans une autre discipline liée à la science des mesures. Elle a précisé toutefois qu’aucune désignation professionnelle ou autre n’était requise. La norme de classification du sous-groupe EN‑SUR indiquait au titre des exigences en matière d’études l’obtention d’un diplôme d’une université reconnue avec une spécialisation en arpentage ou dans une discipline connexe, notamment en géomatique, en techniques géodésiques ou en télédétection. Un agrément professionnel n’était requis que pour les postes de supervision; dans un tel cas, il est précisé que le ou la titulaire doit être agréé en tant qu’arpenteur fédéral (A.F.). Le fonctionnaire n’occupait pas un poste de supervision, et à ce que Mme Fadaie sache le fonctionnaire n’avait jamais demandé d’occuper un tel poste.

17 Mme Fadaie a également témoigné qu’il n’était pas nécessaire de posséder un permis d’exercice pour accomplir les fonctions du poste occupé par le fonctionnaire ou pour être admis à titre de témoin-expert. Le fonctionnaire avait d’ailleurs témoigné à titre de témoin-expert en 2009 ainsi qu’en 2010, avant d’avoir obtenu son permis d’exercice d’ingénieur. Par ailleurs, les analystes techniques qui sont également des ingénieurs en levés géodésiques sont aussi souvent appelés à témoigner. Les deux personnes qu’elle a embauchées après le détachement du fonctionnaire auprès d’un autre organisme effectuent le même travail qu’il effectuait, y compris témoigner en cour, et aucun des deux n’est titulaire d’une désignation ing., bien qu’ils soient tous les deux des ingénieurs.

18 Mme Fadaie a affirmé que le fonctionnaire avait lui-même rédigé les objectifs énoncés dans son évaluation de rendement (pièce G-7) et son plan d’apprentissage (pièce G-8) et qu’elle avait signé ces deux documents. Elle a ajouté qu’elle l’avait encouragé à obtenir sa désignation ing. tout comme elle l’avait incité à suivre une formation en français langue seconde. Les objectifs n’étaient pas contraignants et aucune cote ne leur était attribuée. Elle a précisé qu’elle avait clairement dit au fonctionnaire que l’obtention de sa désignation ing. n’était pas obligatoire, mais que cela serait sans doute bénéfique pour sa carrière. Elle a ajouté que s’il ne l’avait pas obtenue, cela n’aurait pas eu de conséquence pour son travail. Il n’aurait pas perdu son emploi et aurait continué à accomplir les mêmes fonctions que celles qu’il accomplissait jusqu’alors.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

19 Le fonctionnaire a fait valoir que son travail avait évolué au fil du temps. Il est raisonnable de s’attendre à ce que, au fur et à mesure qu’un employé se perfectionne et acquiert de l’expérience et des connaissances, son poste évolue également et que les attentes et les exigences de son employeur évoluent également. Bien que lors de son embauche il n’était pas requis qu’il possède une désignation ing., la nécessité d’obtenir une telle désignation s’est affirmée au fil du temps jusqu’à devenir une exigence du poste.

20 L’exigence que le fonctionnaire obtienne sa désignation ing. s’est cristallisée lorsque l’employeur a établi cette obligation par l’entremise des objectifs inscrits dans son évaluation de rendement. Une fois cet objectif établi, cette exigence était également établie. Il n’y avait aucune autre raison d’inclure un tel objectif dans son évaluation de rendement si cela ne faisait pas partie des attentes de l’employeur à son égard. Si cela n’avait été qu’un objectif personnel du fonctionnaire, cela n’aurait pas alors dû y figurer.

21 Il a été établi en preuve que si le fonctionnaire avait exercé la profession d’ingénieur sans permis, il s’exposait à des sanctions. Malgré cela, à titre d’ingénieur en géomatique, le fonctionnaire accomplissait des fonctions qui s’inscrivaient effectivement dans les paramètres du travail accompli dans le domaine de l’ingénierie. Il mettait en péril sa carrière s’il n’obtenait pas la désignation ing.; or, l’employeur refuse de reconnaître cet état de fait.

22 Le fonctionnaire m’a renvoyée à Harper c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2002 CRTFP 87. Il a souligné que dans ce cas, la fonctionnaire s’estimant lésée ne pouvait accomplir ses fonctions qu’en se conformant aux normes de sa profession, exigeant notamment qu’elle obtienne un permis d’exercice pour ce faire. De manière analogue, dans le présent cas, le fonctionnaire devait obtenir son permis d’exercice puisque cela était exigé à titre d’objectif inscrit dans son évaluation de rendement.

23 Bien qu’il ne soit pas nécessaire que le fonctionnaire possède une désignation ing. pour accomplir toutes les fonctions de son poste, cela peut être nécessaire parfois. L’employeur sous-estimait la valeur de la désignation ing. Tout ce que demandait le fonctionnaire, c’était que l’employeur lui rembourse ses cotisations professionnelles, puisqu’il l’avait encouragé à l’obtenir et l’avait soutenu dans ses objectifs de rendement, et que cela rejaillissait en plus sur la réputation de son employeur en raison de la crédibilité accrue que la désignation ing. apportait à ses travaux. Pour tous ces motifs, le fonctionnaire demande que son grief soit accueilli et que l’employeur lui rembourse ses cotisations professionnelles.

B. Pour l’employeur

24 L’employeur a soutenu qu’un arbitre de grief de la Commission des relations de travail dans la fonction publique était astreint au libellé de l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et ne pouvait donc pas changer, ni modifier les dispositions de la convention collective. La question en l’espèce est de savoir si l’employeur a violé l’article 21 de la convention collective, le fonctionnaire ayant le fardeau d’établir la preuve d’une telle contravention, le cas échéant. Toute décision à cet égard ne peut être rendue qu’en se fondant sur le libellé de la convention collective. L’employeur m’a renvoyée aux décisions suivantes : Rosendaal et al. c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), dossiers de la CRTFP 166-2-22291, 23143 et 23144 (19930506); Muller c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2002 CRTFP 19; Berthiaume et al. c. Conseil du Trésor (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2007 CRTFP 5; Coupal et al. c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 80.

25 Dans le présent cas, la convention collective prévoit que l’employeur a l’obligation de rembourser les cotisations professionnelles versées par un employé uniquement lorsque l’admissibilité à l’affiliation à un organisme ou à un ordre professionnel fait partie des exigences du poste occupé par l’employé. L’obligation n’existe que lorsque l’affiliation à un organisme ou à un ordre professionnel fait partie des qualités requises dans les normes de qualification du groupe auquel appartient l’employé visé. Par ailleurs, l’employeur jouit d’un droit exclusif pour déterminer les qualités requises pour les postes dans la fonction publique. L’employeur m’a renvoyée aux décisions Katchin c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2004 CRTFP 26, Rosendaal et al. et Muller.

26 Il a été établi en preuve que l’employeur n’exigeait pas que le fonctionnaire obtienne une désignation ing., et qu’aucune des tâches inscrites à sa description de travail n’exigeait qu’il détienne une telle désignation. Il était le seul ingénieur en levés géodésiques titulaire d’un permis d’exercice, mais il effectuait le même travail que les autres qui ne possédaient pas ce permis. Le fonctionnaire a reconnu qu’il accomplissait les mêmes fonctions au fil des ans et qu’il n’y avait pas eu tellement de changements à cet égard, et qu’il a obtenu sa désignation ing. huit ans après sa nomination à ce poste. Il a reconnu par ailleurs qu’on ne lui avait jamais dit que l’obtention de la désignation ing. était obligatoire ou qu’il perdrait son emploi s’il ne l’obtenait pas.

27 L’employeur a fait valoir que le fait que l’évaluation du rendement et le plan d’apprentissage du fonctionnaire mentionnent sa désignation ing. comme objectif ne signifiait pas pour autant que cela constituait une exigence. Les objectifs de rendement constituent des résultats souhaités et non des exigences d’emploi. Mme Fadaie avait inclus cet objectif dans l’évaluation du rendement du fonctionnaire afin de l’encourager et de l’appuyer dans l’atteinte de ses aspirations professionnelles. Elle a témoigné qu’il n’était nullement de son intention d’en faire une exigence professionnelle et que le fonctionnaire n’aurait pas pu perdre son emploi s’il n’avait pas obtenu sa désignation ing.

28 Par ailleurs, bien que le fonctionnaire pouvait être requis de témoigner en cour à l’occasion à titre d’expert en analyse géodésique, son expertise ne résultait pas du fait qu’il possédait une désignation ing., mais de son expérience et de ses connaissances en la matière. Alors que son agrément professionnel pouvait ajouter à la crédibilité de son témoignage, cela n’était pas requis comme tel. Au soutien de sa prétention selon laquelle un agrément professionnel pouvait être bénéfique, mais qu’il n’était une exigence d’emploi, l’employeur a renvoyé aux décisions Rosendaal et al. et Muller.

29 L’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’avait pas établi qu’une désignation professionnelle était une exigence de son poste. Bien qu’une telle désignation puisse être avantageuse, la désignation doit, selon le libellé de la convention collective, être indispensable pour les fonctions de l’employé ou faire partie des qualités requises dans les normes professionnelles. La preuve a établi qu’il n’en est rien. Bien que le fonctionnaire ait été inquiet de la responsabilité qu’il contractait s’il exerçait sans permis la profession d’ingénieur, ses craintes étaient uniquement fondées sur des suppositions à cet égard.

30 L’employeur a affirmé que la décision Harper avait mis l’accent sur la nécessité d’établir en preuve qu’un agrément professionnel était requis pour exercer certaines fonctions énoncées à la description de travail ou en vertu d’une disposition législative. Cette décision a établi que pour considérer qu’une désignation est une exigence d’un poste, il faut constater que seule une personne possédant une telle désignation peut exercer cet emploi.

31 L’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’a pas établi que l’obtention d’une désignation ing. était une exigence pour occuper son poste, et donc son grief devait être rejeté.

C. Réplique du fonctionnaire s’estimant lésé

32 Le fonctionnaire a soutenu qu’il était trompeur d’exiger dans les objectifs de rendement qu’il obtienne une désignation ing. si cela ne constituait pas une exigence de son poste.

IV. Motifs

33 Le fonctionnaire a déposé un grief contestant le refus de l’employeur de lui rembourser le montant de ses cotisations professionnelles. Les parties ont convenu que le grief concernait la violation alléguée de l’article 21 de la convention collective, qui se lit comme suit :

Article 21
DROITS D’INSCRIPTION

21.01 L’Employeur rembourse à l’employé les cotisations ou les droits d’inscription qu’il a versés à un organisme ou à un conseil d’administration lorsqu’un tel versement est indispensable à l’exercice continu des fonctions de l’employé.

**

21.02 Lorsque le paiement de cette cotisation n’est pas une exigence pour la poursuite des fonctions du poste d’un employé, mais que l’admissibilité à l’affiliation à un organisme ou à un ordre professionnel fait partie des qualités requises dans les Normes de qualification des groupes professionnels du groupe NR, l’Employeur rembourse à l’employé, sur réception d’une preuve de paiement, la cotisation annuelle qu’il a versée à l’organisme ou à l’ordre professionnel. Le remboursement prévu par le présent article exclut les cotisations impayées pour les années antérieures.

34 Je suis liée par le libellé de la convention collective, prévoyant notamment que le fonctionnaire doit établir que l’affiliation à l’OIO « […] est indispensable à l’exercice continu des fonctions de l’employé […] » ou que l’admissibilité à l’affiliation à l’OIO fait partie des qualités requises dans les normes de qualification du groupe professionnel dont le fonctionnaire fait partie. Je suis d’avis que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

35 Le libellé de la convention collective est clair. L’affiliation à un ordre professionnel ne peut pas être simplement un élément rehaussant l’aptitude d’un employé à accomplir son travail, mais doit être nécessaire à l’accomplissement de son travail à un point tel que, sans une telle affiliation, l’employé ne peut pas continuer à exercer les fonctions de son poste. La jurisprudence soutient cette interprétation. Les décisions Muller et Rosendaal et al. sont particulièrement pertinentes, eu égard aux circonstances du présent grief, car dans ces deux cas, comme dans le présent cas, l’importance de la désignation professionnelle en vue de l’admission à titre de témoin‑expert avait été invoquée au soutien d’une réclamation visant le remboursement de cotisations professionnelles.

36 Les demandes de remboursement dans Muller et Rosendaal et al. n’ont d’ailleurs pas été accueillies, au motif que malgré le fait que la désignation professionnelle pouvait ajouter un certain poids ou de la crédibilité au témoignage des fonctionnaires s’estimant lésés à titre de témoins-experts, il n’en résultait pas pour autant qu’il s’agisse d’une exigence pour occuper leur poste respectif. Ainsi, à titre d’exemple, dans Muller, l’arbitre de grief a observé que la preuve établissait qu’au moins un des fonctionnaires s’estimant lésés avait exercé les fonctions de son poste pendant un certain temps sans détenir une désignation professionnelle, et cela sans mettre son emploi en péril. Une preuve analogue a été établie en ce qui a trait au présent grief.

37 Le fonctionnaire avait été embauché au poste d’ingénieur en géomatique en 2002. Ni l’affichage du concours ni la lettre d’offre qu’il avait reçue n’exigeaient qu’il soit membre de l’OIO pour occuper ce poste. En 2002, le fonctionnaire n’avait pas encore obtenu sa désignation ing. Il ne l’a obtenue qu’en 2010. Ainsi, pendant huit des neuf années pendant lesquelles il a occupé son poste, le fonctionnaire a exercé les fonctions de son poste sans être membre de l’OIO. Aucune preuve n’a été présentée voulant que l’employeur ait à quelque moment dit au fonctionnaire qu’il devait obtenir sa désignation ing. pour ne pas prendre le risque de perdre son emploi.

38 Le fonctionnaire a témoigné que son travail avait évolué au fil des ans. Cependant, il a occupé le même poste d’attache de 2002 à 2011, alors qu’il a accepté un détachement auprès d’un autre organisme. Il a reconnu que les fonctions essentielles de son poste à titre d’ingénieur en géomatique n’avaient pas changé entre 2002 et 2011, bien qu’il ait indiqué que ses fonctions étaient devenues plus complexes lorsqu’il a assumé la responsabilité de préparer des rapports d’expert et de témoigner à titre de témoin-expert à la suite de la retraite de son ancien superviseur en 2004. Pourtant, il a témoigné en cour à titre de témoin-expert en 2008, 2009 et 2010 sans être membre de l’OIO.

39 Le fonctionnaire a fait valoir que la mention de l’objectif d’obtenir sa désignation ing. dans son évaluation du rendement et son plan d’apprentissage de 2009 à 2010 signifiait que cela constituait une exigence du poste. Cela étant, même si j’acceptais qu’en incluant cet objectif dans son évaluation du rendement l’employeur avait par là eu l’intention d’en faire une exigence de son poste, cela ne signifie pas pour autant que le défaut de l’obtenir affecterait l’aptitude du fonctionnaire à continuer dans son poste.

40 Dans son témoignage, le fonctionnaire a reconnu qu’il pensait que la conséquence du défaut d’atteindre cet objectif de rendement n’aurait été qu’une évaluation négative. Il a admis en toute franchise que son emploi n’aurait pas été en péril. J’estime par ailleurs qu’il est important ici d’ajouter que je ne crois pas que Mme Fadaie ait eu l’intention de faire de l’obtention d’une désignation ing. une exigence du poste, pas plus qu’elle n’en a eu pour faire de l’obtention d’un agrément A.F. ou de l’amélioration de ses compétences linguistiques en français une exigence du poste. Tous ces éléments relevaient du perfectionnement professionnel et non de quelque exigence pour la poursuite des fonctions du poste par le fonctionnaire. Je l’ai crue aussi lorsqu’elle a affirmé qu’elle voulait simplement soutenir le fonctionnaire dans la poursuite de ses aspirations professionnelles.

41 Il n’existe tout simplement rien pour me permettre de conclure que l’affiliation à l’OIO est requise aux fins de la poursuite des fonctions du poste du fonctionnaire. Il a été clairement établi en preuve que, sur les neuf années qu’il a passées dans son poste d’ingénieur en géomatique, il a pu exercer les fonctions de son poste pendant huit ans sans être membre de l’OIO. Il n’a présenté aucune preuve qu’on lui ait fait part de quelque conséquence négative, ou qu’on lui adressé quelque ultimatum pour qu’il devienne membre de l’OIO, sinon son poste serait en péril. En fait, son superviseur l’a plutôt décrit comme étant une [traduction] « vedette » et l’appuyait dans ses démarches de perfectionnement professionnel.

42 Le fonctionnaire a soutenu qu’il mettrait sa carrière en péril s’il exerçait la profession d’ingénieur sans permis. Au soutien de cet argument, il a produit une lettre (pièce G-9) adressée par l’OIO à un négociateur syndical. Je note que la lettre est rédigée en des termes plutôt généraux, et ne porte pas précisément sur les fonctions exercées par le fonctionnaire. Ni l’auteur de cette lettre ni son destinataire n’ont témoigné quant aux circonstances visées par cette lettre. Le fonctionnaire n’a pas présenté quelque autre preuve pour étayer sa prétention que cela mettait sa carrière en péril s’il exerçait les fonctions de son poste sans détenir un permis d’exercice. Compte tenu de ces faits, je me vois incapable de conclure que le fonctionnaire exerçait la profession d’ingénieur sans permis d’exercice ou qu’il mettait par là sa carrière en péril et, partant, je n’estime pas nécessaire de décider si les exigences pour l’attribution d’un permis d’un organisme externe seraient suffisantes pour établir l’existence d’une exigence d’un poste.

43 Malgré tout le respect que m’inspirent la motivation et la détermination du fonctionnaire à vouloir obtenir sa désignation d’ingénieur, je ne peux conclure que l’affiliation à l’OIO était requise pour poursuivre les fonctions du poste du fonctionnaire. Je ne peux pas davantage conclure que la norme professionnelle du groupe professionnel dont fait partie le fonctionnaire nécessitait qu’il soit titulaire de la désignation d’ingénieur. Pour ces motifs, je ne peux conclure que l’employeur a enfreint l’article 21 de la convention collective.

44 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

45 Le grief est rejeté.

Le 26 septembre 2013.

Traduction de la CRTFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

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