Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante demandait des dommages par suite de l’omission de l’employeur de mettre en œuvre les dispositions d’une décision arbitrale dans le délai prescrit de 90 jours - la Commission a conclu qu’une déclaration selon laquelle l’employeur avait contrevenu à la Loi ne dissuaderait pas ce dernier d’adopter un tel comportement et a accordé des dommages de 7500$. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-11-13
  • Dossier:  561-02-604
  • Référence:  2013 CRTFP 139

Devant une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique


ENTRE

ASSOCIATION DES CHEFS D'ÉQUIPE DES CHANTIERS MARITIMES DU
GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié
Association des chefs d'équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c.
Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour la plaignante:
Ronald A. Pink, avocat

Pour le défendeur:
Zorica Guzina, avocate

Décision rendue sur la base d'arguments écrits,
déposés les 6 et 25 juin et le 2 juillet 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 L'Association des chefs d'équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (le « syndicat ») est l'agent négociateur accrédité des employés du ministère de la Défense nationale qui composent l'unité de négociation des chefs d'équipe et superviseurs et superviseures de la production de la réparation des navires (Est). Ces employés sont visés par la convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor (l'« employeur ») et le syndicat dont la date d'expiration était le 31 mars 2011 (« la convention collective »).

2 Le 4 mars 2013, le syndicat a déposé une plainte en vertu de l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), dans laquelle il allègue que l'employeur n'a pas appliqué les conditions d'une décision arbitrale rendue le 15 octobre 2012 et d'une décision arbitrale supplémentaire rendue le 26 novembre 2012 dans le délai de 90 jours prescrit à l'article 157 de la LRTFP. À titre de mesure corrective, le syndicat a demandé qu'il soit déclaré que l'employeur n'a pas appliqué les conditions de la décision arbitrale dans les 90 jours, ce qui contrevient aux dispositions de la LRTFP, des intérêts payables à chaque membre de l'unité de négociation sur les montants dus pour la partie salariale de la décision arbitrale et tout autre redressement qui est juste et nécessaire dans les circonstances. Dans des arguments ultérieurs, la plaignante a précisé que, en ce qui concerne les autres redressements, elle demandait des dommages généraux de 100 $ payables à chaque membre de l'unité de négociation pour manquement à l'article 157.

3 Comme il n'y avait pas de véritable désaccord sur les faits entre les parties, il a été convenu que la plainte serait traitée au moyen d'arguments écrits selon l'échéancier établi par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP ou la « Commission »), en consultation avec les parties.

II. Contexte

4 Les parties ont convenu que l'unité de négociation était composée d'environ 74 employés. Il s'agit de superviseurs de premier niveau de gens de métier qui travaillent dans le secteur de la réparation, de l'entretien et de la modification de navires à l'Installation de maintenance de la Flotte Cape Scott à Halifax (Nouvelle-Écosse).

5 Les négociations en vue de la nouvelle convention collective ont commencé en décembre 2010. Le 2 décembre 2011, le syndicat a soumis à l'arbitrage les questions qui demeuraient en litige. Le 15 octobre 2012, le conseil d'arbitrage a rendu une décision qui réglait les questions de l'indemnité de départ, des augmentations salariales et des primes d'équipe autonome. Toutefois, les parties ont demandé des précisions au conseil d'arbitrage concernant les primes d'équipe autonome. Une décision supplémentaire a été rendue le 26 novembre 2012.

6 Les parties ont convenu que la période de 90 jours prescrite par l'article 157 de la LRTFP pour l'application des décisions arbitrales avait pris fin le ou vers le 25 février 2013. L'employeur a reconnu que la décision n'avait pas été mise en œuvre dans le délai prescrit. Plus particulièrement, les augmentations salariales et les primes d'équipe autonome n'ont pas été appliquées; les paiements rétroactifs liés à ces montants n'ont pas été faits non plus dans le délai de 90 jours.

7 Dans ses arguments, l'employeur a indiqué qu'il avait tenu le syndicat :

[Traduction]

[…] pleinement informé de la situation et du besoin de suivre des processus internes afin de pleinement mettre en œuvre la décision. Ce cas a pu être la conséquence fâcheuse de l'application d'une procédure d'autorisation gouvernementale, surtout pendant les vacances de Noël.

8 Les taux de rémunération accordés par le conseil d'arbitrage ont été mis en œuvre le 22 mai 2013, et toutes les autres conditions de la décision arbitrale ont été mises en œuvre avant la fin de juin 2013.

9 Comme l'employeur a admis avoir contrevenu à l'article 157 de la LRTFP, la seule question en litige entre les parties est le redressement approprié. Pour cette raison, seuls les arguments portant sur le redressement seront résumés.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour le syndicat

10 Le syndicat a fait valoir qu'une formation de la CRTFP peut se fonder sur le pouvoir général que lui confère le paragraphe 192(1) pour remédier à un manquement à l'article 157 de la LRTFP en rendant toute ordonnance que la formation estime indiquée. L'attribution d'un pouvoir de redressement aussi étendu est conforme à l'article 36, qui confère à la CRTFP le pouvoir de mettre en œuvre la loi et d'exercer les pouvoirs nécessaires à la réalisation de ses objets. Le syndicat a fait valoir que le pouvoir que confèrent à la CRTFP les articles 36 et 192 comprend le pouvoir d'adjuger des intérêts sur le salaire rétroactif et les indemnités payables à ses membres, comme le précise la présente plainte.

11 Se fondant sur les décisions Canada (Procureur général) c. Rosin [1991] 1 C.F. 391 (C.A.) et Canada (Procureur général) c. Morgan [1992] 2 C.F. 401 (C.A.), le syndicat a soutenu que des intérêts pouvaient être adjugés contre la Couronne si la loi ou la convention collective permet de conclure à l'existence du pouvoir d'ordonner des intérêts. Dans le cas des affaires citées, le pouvoir d'ordonner des intérêts a été inféré d'un pouvoir général d'accorder une indemnisation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP).

12 Le syndicat a affirmé que l'approche adoptée par la Cour d'appel fédérale dans Rosin et Morgan était conforme à l'approche adoptée par d'autres ressorts. Par exemple, dans Nova Scotia Public Service Commission v. Nova Scotia Government and General Employees Union, 2004 NSCA 55, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a statué qu'un pouvoir implicite découlant de la loi ou d'une convention collective suffit à établir l'existence du pouvoir d'ordonner des intérêts contre la Couronne.

13 Le syndicat a pris acte de la jurisprudence de la CRTFP d'après laquelle les arbitres de grief n'ont pas la compétence pour adjuger des intérêts. Plus particulièrement, le syndicat a cité Dahl c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossier de la CRTFP 166-2-25535 (19950621); Puxley c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-2-22284 (19940705); Nantel c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 66 (confirmée dans 2008 CF 84 et 2008 CAF 351).

14 Le syndicat a soutenu que, parce que ces cas portaient sur l'arbitrage de griefs, ils doivent être distingués des circonstances du présent cas. Les pouvoirs de redressement d'un arbitre de grief à l'égard d'un grief déposé en vertu de la LRTFP diffèrent des pouvoirs de redressement d'une formation de la Commission qui doit statuer sur une plainte déposée en vertu de l'article 190. Aux termes du paragraphe 192(1), qui confère le pouvoir de remédier aux manquements à la LRTFP qui constituent l'objet des plaintes déposées en vertu de l'article 190, une formation de la Commission a le pouvoir de rendre toute ordonnance qu'elle juge nécessaire pour remédier à ces manquements.

15 Le syndicat a souligné que Eaton c. Canada [1972] C.F. 185 (1re inst.), confirmée dans [1972] C.F. 1257 (C.A.), et l'une des décisions faisant autorité en ce qui concerne le pouvoir de l'ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique d'ordonner des intérêts, était fondée sur l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1970) (2e suppl.), ch. 10, qui prévoyait que des intérêts ne pouvaient être adjugés contre la Couronne à moins qu'une disposition législative l'autorise expressément. Comme l'article 36 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, permet d'adjuger des intérêts avant et après jugement dans des décisions de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale, le syndicat a soutenu que Eaton serait tranchée différemment si elle était entendue aujourd'hui.

16 En plus de demander que des intérêts calculés au taux des obligations d'épargne du Canada soient accordés sur tous les montants dus aux membres de l'unité de négociation du 25 février 2013 jusqu'à la date à laquelle la décision arbitrale a été intégralement mise en œuvre, le syndicat a aussi exigé des dommages généraux de 100 $ pour chaque membre de l'unité de négociation. Le syndicat a fait valoir que l'adjudication de dommages généraux était nécessaire étant donné qu'une déclaration ne suffirait pas à elle seule à reconnaître que le manquement à la LRTFP entraîne des conséquences et n'accorderait pas réparation au syndicat ou à ses membres.

17 Le syndicat a également soutenu que l'employeur avait manifesté un mépris total pour la LRTFP. Il n'a pas respecté le délai de mise en œuvre d'une décision arbitrale prescrit à l'article 157 et a omis de demander une prorogation de ce délai. Le respect de la LRTFP et des procédures qu'elle met en place est nécessaire à l'harmonie des relations de travail. La loi doit être appliquée de manière uniforme par les deux parties et les parties doivent avoir l'assurance que ses dispositions seront appliquées avec uniformité. Ni l'une ni l'autre des parties ne peut être autorisée à s'écarter unilatéralement des dispositions de la LRTFP. Le délai prescrit à l'article 157 veille à ce que les employés reçoivent en temps opportun la rémunération et les avantages qui leur sont dus par suite d'une décision arbitrale. L'employeur ne peut pas retarder ces paiements à son avantage. Le syndicat a déclaré que, pour ces motifs, il croyait que le redressement qu'il a demandé était raisonnable et conforme aux objets de la loi.

B. Pour l'employeur

18 L'employeur a fait valoir que le libellé du paragraphe 192(1) de la LRTFP ne donne pas carte blanche à l'arbitre de grief en ce qui a trait à l'adjudication d'intérêts. En fait, le pouvoir d'ordonner des intérêts est conféré expressément à l'alinéa 226(1)i) seulement dans les cas portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Si l'intention du législateur était de conférer aux arbitres de grief le pouvoir d'adjuger des intérêts dans d'autres cas, il l'aurait prévu, ce qu'il n'a pas fait. L'employeur a invoqué Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, et Nantel. Plus particulièrement, l'employeur a cité la Cour d'appel fédérale qui, au paragraphe 7 de Nantel, a souligné que le législateur a écarté la règle de common law de l'immunité de la Couronne contre l'adjudication d'intérêts sur des sommes dues dans des circonstances particulières en vertu de la LRTFP, ce qui a mené à la conclusion que le législateur avait l'intention d'appliquer la règle dans tous les autres cas.

19 L'employeur a souligné qu'une jurisprudence bien établie appuie le principe de common law selon lequel les arbitres de grief de la CRTFP n'ont pas la compétence d'ordonner des intérêts en l'absence d'une disposition législative ou d'une clause de convention collective explicite. Il s'est appuyé sur Eaton; Ogilvie c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord), dossier de la CRTFP 166-2-14268 (19840703); Dahl et Guest c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 89, et a souligné que la Cour fédérale ainsi que la Cour d'appel fédérale ont confirmé le principe en 2008 dans Nantel.

20 L'employeur a fait valoir que ni la convention collective ni l'article 192 de la LRTFP ne prévoient explicitement le paiement d'intérêts dans les circonstances de l'espèce. De plus, se fondant sur la décision de la Cour fédérale dans Nantel, au paragraphe 17, l'employeur a soutenu qu'il n'y a pas non plus de pouvoir implicite permettant d'adjuger des intérêts.

21 L'employeur a fait remarquer que les décisions Rosin et Morgan, citées par le syndicat, portent sur l'adjudication d'intérêts sur des dommages accordés pour violations de la LCDP. Comme l'a affirmé la Cour fédérale dans Nantel, ces cas se distinguent du présent cas parce que la LCDP renferme une disposition portant sur l'indemnisation aux termes de laquelle des intérêts peuvent être adjugés, contrairement à la LRTFP, qui ne contient pas pareille disposition.

22 L'employeur a fait valoir que le syndicat n'avait produit aucune preuve ou jurisprudence pour appuyer sa demande de dommages. En outre, bien que l'employeur ait admis qu'il n'avait pas respecté le délai prescrit, il a soutenu qu'il avait tenu le syndicat pleinement informé et qu'il avait finalement mis en œuvre la décision, démontrant ainsi qu'il avait agi de bonne foi. S'appuyant sur ses arguments, l'employeur a demandé que le redressement demandé par le syndicat soit rejeté.

C. Réplique du syndicat

23 Le syndicat a souligné que, même si les conditions de la décision arbitrale ont finalement été appliquées, la mise en œuvre a eu lieu près de 7 mois après le prononcé de la décision et presque 4 mois après l'expiration du délai de 90 jours prescrit à l'article 157 de la LRTFP. L'employeur n'a offert aucune véritable explication concernant le retard, si ce n'est que la période des vacances de Noël aurait entravé la mise en œuvre. Le syndicat a également souligné que l'employeur n'a fourni aucune explication quant à savoir pourquoi il n'avait pas demandé de prorogation du délai de mise en œuvre de la décision. Le syndicat a déclaré que le seul fait de le tenir [traduction] « informé » de la situation ne suffisait pas à respecter les exigences de l'article 157.

24 Le syndicat a soutenu que l'on peut établir une distinction entre les décisions Nantel et Eaton, et les circonstances de l'espèce, soit en se fondant sur les faits ou sur les modifications apportées à la loi. Par conséquent, elles ne sont pas déterminantes.

25 Le syndicat a déclaré que le manquement à l'article 157 de la LRTFP devait entraîner des conséquences. Une ordonnance pour le versement d'intérêts et de dommages symboliques est nécessaire pour faire respecter les exigences de la LRTFP et relève de la compétence de l'arbitre de grief.

26 Le syndicat a réitéré ses demandes de déclaration selon laquelle l'employeur a contrevenu à l'article 157 de la LRTFP, d'intérêts payables à chaque membre de l'unité de négociation sur les montants qui leur sont dus pour la période allant de la fin du délai de 90 jours prescrit par l'article 157 et la date à laquelle la décision arbitrale a finalement été mise en œuvre, calculés selon le taux d'intérêt applicable aux obligations d'épargne du Canada, et de dommages généraux de 100 $ pour chaque membre de l'unité de négociation pour manquement à la LRTFP.

IV. Motifs

27 Il s'agit d'une plainte déposée en vertu de l'alinéa 190(1)e) de la LRTFP, qui allègue que l'employeur n'a pas appliqué les dispositions dans le délai prescrit à l'article 157, qui est ainsi libellé :

          157. Sous réserve de l'affectation, par le Parlement ou sous son autorité, des crédits dont l'employeur peut avoir besoin à cette fin, les parties commencent à appliquer les conditions d'emploi sur lesquelles statue la décision arbitrale dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à compter de laquelle la décision arbitrale lie les parties ou dans le délai plus long dont celles-ci peuvent convenir ou que la Commission peut, sur demande de l'une d'elles, accorder.

28 Il est acquis que la décision arbitrale a été rendue le 15 octobre 2012, et qu'une décision arbitrale supplémentaire a été rendue le 26 novembre 2012. Les parties conviennent qu'elle est devenue exécutoire le ou vers le 25 février 2013. Nul ne conteste non plus que la décision n'a pas été entièrement appliquée avant la fin de juin 2013, soit quelque sept mois après que la décision a été rendue et quatre mois après qu'elle aurait dû être mise en œuvre, conformément aux dispositions de l'article 157 de la LRTFP. De plus, il n'y a aucune preuve ou indication que l'employeur a tenté de proroger le délai de mise en œuvre de la décision arbitrale. Rien n'indique non plus qu'un problème est survenu concernant l'affectation par le Parlement des crédits nécessaires à l'application de la décision et, donc, je considère que le délai de mise en œuvre prescrit à l'article 157 était impératif. Par conséquent, l'employeur a clairement contrevenu à la LRTFP, ce qu'il a admis, et la seule question à trancher est le redressement qu'il convient d'accorder à la lumière de ce manquement.

29 Le syndicat a demandé une déclaration selon laquelle l'employeur n'a pas appliqué les conditions de la décision arbitrale dans le délai prescrit à l'article 157 de la LRTFP, des intérêts calculés selon le taux applicable aux obligations d'épargne du Canada sur les montants dus aux termes de la décision arbitrale pour la durée du manquement et payables à chaque membre de l'unité de négociation, ainsi que des dommages généraux de 100 $ pour chaque membre de l'unité de négociation.

30 Bien que l'employeur ne se soit pas opposé au prononcé d'une déclaration, il a contesté l'adjudication d'intérêts et une ordonnance de dommages généraux. Il a fait valoir qu'une jurisprudence bien établie appuie le principe selon lequel les arbitres de grief et les formations de la Commission n'ont pas la compétence d'adjuger des intérêts, sauf dans les circonstances particulières prévues à l'alinéa 226(1)i) de la LRTFP. L'employeur a aussi soutenu que le syndicat n'a établi le bien-fondé des dommages généraux en se fondant sur la preuve ou la jurisprudence.

31 Le syndicat a soutenu que l'on pouvait établir une distinction entre la jurisprudence citée par l'employeur et les circonstances de la présente affaire, à la lumière des faits et des modifications apportées à la loi. Le syndicat a aussi fait valoir que l'adjudication de dommages généraux était nécessaire pour encourager l'observation et le respect des processus établis par la LRTFP.

32 Le syndicat a laissé entendre que le pouvoir de redressement conféré à la Commission par le paragraphe 192(1) et l'article 36 de la LRTFP comprend implicitement le pouvoir d'adjuger des intérêts, et qu'il a préséance sur la jurisprudence qui découle de l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l'ancienne LRTFP). Je ne partage pas ce point de vue. Il me semble que si le législateur avait eu l'intention de conférer à la Commission le pouvoir d'adjuger des intérêts sur ses décisions, il l'aurait fait expressément lorsqu'il a adopté la nouvelle loi, comme il l'a fait à l'alinéa 226(1)i). Comme aucune des dispositions de la LRTFP n'attribue expressément le pouvoir d'ordonner des intérêts, à l'exception de l'alinéa 226(1)i), force m'est de conclure que le législateur n'avait pas l'intention de conférer le pouvoir d'adjuger des intérêts dans les autres circonstances. Sur ce point, il me semble que la décision de la Cour d'appel fédérale dans Nantel est très claire. La Cour a souscrit à la décision du tribunal d'instance inférieure selon laquelle l'ancienne LRTFP ne prévoyait pas d'exception au principe de l'immunité de la Couronne contre le paiement d'intérêts et a déterminé que les modifications apportées à la LRTFP n'auraient rien changé à la décision du tribunal d'instance inférieure. Aux paragraphes 6 et 7, elle a écrit ce qui suit :

6  Il n'est pas nécessaire d'aborder cette question parce que selon nous, les modifications apportées par la nouvelle LRTFP, entrée en vigueur le 1er avril 2005 (2003, ch. 22, art. 2), rendent la conclusion retenue par le juge Pinard incontournable et ce, quelle que soit la norme de contrôle applicable à la révision de la décision de l'arbitre. En effet, la nouvelle LRTFP prévoit à son alinéa 226(1)i) que l'arbitre peut « dans le cas du grief portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire [nous soulignons] adjuger des intérêts au taux ou pour la période qu'il estime justifiée ».

7 Cette modification, lorsque considérée à la lumière de la jurisprudence constante dont fait état le juge Pinard dans ses motifs laquelle, sans exception, interprète la LRTFP de la même façon depuis plus de trente ans, démontre sans équivoque que le législateur fédéral était bien conscient de l'état du droit sous la LRTFP, et qu'il a choisi de renoncer au bénéfice de la règle de Common-Law, à compter du 1er avril 2005, dans les cas précis prévus à l'alinéa 226(1)i). Il s'ensuit que la règle de Common-Law demeure pour le reste. L'amendement ne peut être interprété autrement.

33 Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que je n'ai pas la compétence d'adjuger des intérêts sur une décision rendue en vertu du paragraphe 192(1) de la LRTFP. Selon moi, la règle de common law selon laquelle des intérêts ne peuvent être adjugés contre la Couronne demeure dans les circonstances de l'espèce.

34 Toutefois, le syndicat a aussi présenté une demande à l'égard de dommages, qu'il a qualifiés de « généraux » ou de « symboliques », de 100 $ pour chaque membre de l'unité de négociation pour manquement à la LRTFP, aux motifs que de tels dommages sont nécessaires pour assurer le respect de la LRTFP à l'avenir, pour favoriser le respect de ses procédures et pour offrir au syndicat et à ses membres un redressement pour ce manquement. Le syndicat a soutenu qu'une déclaration ne suffirait pas à elle seule à atteindre ces objectifs.

35 Dans le contexte des relations de travail, les dommages sont le plus souvent fondés sur le concept qui consiste à replacer le fonctionnaire s'estimant lésé dans sa situation antérieure et sont donc habituellement de nature compensatoire. Toutefois, des décisions rendues dans d'autres ressorts appuient l'adjudication de dommages généraux par des arbitres du travail en cas de pertes non pécuniaires. Dans Canada Safeway Ltd. v. United Food and Commercial Workers, 2001 ABQB 120, au paragraphe 49, la Cour a confirmé la décision d'un arbitre de différend d'adjuger des dommages généraux à titre d'indemnisation pour la [traduction] « valeur intrinsèque du droit de ne pas faire l'objet de discrimination ».

36 Des dommages ont aussi été ordonnés dans des décisions arbitrales rendues dans d'autres ressorts afin de décourager les manquements à l'obligation de donner un préavis ou à l'obligation de consulter. Voir, à titre d'exemple, B.C. Rail Ltd. v. United Association, Local 170, Metal Trades Division (2004), 135 L.A.C. (4e) 399; Western Canada Council of Teamsters v. Canadian Freightways 2013 CanLII 19947 (Alta G.A.A.); Calgary (City) v. Calgary Firefighters Association, 2010 ABQB 226; Canadian Airlines International Ltd. v. International Association of Machinists and Aerospace Workers (1999), 82 L.A.C. (4e) 81. L'un des principes qui a été reconnu dans chacun de ces cas est la notion selon laquelle les dommages devraient être suffisamment significatifs pour offrir un incitatif à l'égard de comportements futurs, sans toutefois être punitifs.

37 Des dommages pour pertes non pécuniaires ont aussi été accordés pour violation de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme l'indique Waddams dans Law of Damages, au paragraphe 10-50, les dommages accordés dans ces cas ont pour objet à la fois la défense d'un droit et la dissuasion. Les dommages dans le présent contexte ont été décrits comme étant « symboliques », peu importe le montant des dommages ordonnés.

38 Qu'ils soient décrits comme étant « généraux » ou « symboliques », des dommages pour pertes non pécuniaires ont été adjugés lorsqu'il existe un droit important et intrinsèque à protéger ou à appliquer, ou lorsque la dissuasion est un facteur important. J'estime que les circonstances de l'espèce satisfont à ces exigences. Il est impossible d'établir des relations patronales-syndicales harmonieuses, ce qui est l'un des objets de la LRTFP, lorsque l'une des parties n'hésite pas à faire fi des dispositions de la LRTFP, lesquelles visent à assurer la paix dans les relations de travail. Je souscris à l'argument du syndicat selon lequel il faut décourager un tel comportement. Ni l'une ni l'autre des parties ne devrait se sentir à l'aise de faire délibérément fi des dispositions législatives qui régissent leur relation. À mon avis, l'adjudication de dommages dans les circonstances de l'espèce est nécessaire pour bien faire comprendre aux parties que les dispositions de la LRTFP doivent être respectées et que leur violation entraîne des conséquences. Une déclaration n'aura tout simplement pas cet effet.

39 J'estime que le paragraphe 192(1) de la LRTFP me confère la compétence d'adjuger des dommages pour une perte non pécuniaire, puisqu'il prévoit que si une plainte est fondée, je peux rendre toute ordonnance que j'estime indiquée dans les circonstances. L'article 36 prévoit également que la Commission « […] exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou qu'implique la réalisation de ses objets […] ». Il importe également de signaler que le préambule de la LRTFP reconnaît l'importance de l'intérêt public dans les relations de travail harmonieuses et fructueuses. Le respect des dispositions de la LRTFP n'est pas seulement une question de relations de travail internes, mais une question d'intérêt public.

40 Dans les circonstances du présent cas, je souscris à l'argument du syndicat selon lequel des dommages sont indiqués. L'employeur disposait d'options qui lui auraient permis d'éviter un manquement à l'article 157, mais il a choisi de ne pas s'en prévaloir. Il aurait pu demander au syndicat une prorogation du délai ou aurait pu présenter une demande de prorogation à la CRTFP. Il ne l'a pas fait.

41 En outre, je suis influencée par la nature du manquement en l'espèce. Comme la décision arbitrale n'a pas été mise en œuvre en temps opportun, les employés de l'unité de négociation n'ont pas reçu les augmentations de salaire et d'avantages sociaux au moment où ils auraient dû les recevoir. Il s'agit de l'essence même de la relation entre les parties, et le défaut de corriger ce manquement de manière significative pourrait engendrer du cynisme à l'égard des relations patronales-syndicales et miner la capacité du syndicat de représenter efficacement ses membres.

42 Vu la taille de l'organisation de l'employeur, son expérience et sa compétence en matière de relations de travail, ainsi que le fait que son manquement à l'article 157 de la LRTFP s'est poursuivi pendant environ quatre mois, j'estime que les dommages doivent être suffisamment importants pour décourager un tel comportement à l'avenir. Par conséquent, j'ordonne à l'employeur de verser au syndicat des dommages de 7 500 $, qui représentent à peu près le montant demandé par le syndicat au nom de ses membres. Je crois que ce montant est suffisant pour souligner l'importance du respect de la LRTFP, sans qu'il soit punitif.

43 Comme l'effet dissuasif de ces dommages est important, il convient de s'assurer que toutes les parties en cause comprennent bien que tout manquement à la LRTFP entraîne des conséquences. Il ne faut surtout pas engendrer le cynisme. Pour cette raison, je crois qu'il est nécessaire d'afficher une copie de mon ordonnance dans les lieux de travail.

44 Pour ces motifs, la Commission rend l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

45 La présente plainte est accueillie et je déclare que l'employeur et le secrétaire du Conseil du Trésor ont contrevenu à l'article 157 de la LRTFP du fait qu'ils n'ont pas appliqué la décision arbitrale dans le délai de 90 jours.

46 J'ordonne à l'employeur et au secrétaire du Conseil du Trésor de verser au syndicat des dommages de 7 500 $ dans les 60 jours de la présente décision.

47 J'ordonne à l'employeur et au secrétaire du Conseil du Trésor d'afficher immédiatement une copie complète de la présente décision dans tous les lieux de travail de l'employeur auxquels s'applique la convention collective, dans des endroits bien en vue où elle est susceptible d'attirer l'attention des employés de l'unité de négociation, pendant au moins 60 jours.

48 Je demeurerai saisie de la présente affaire pendant 60 jours au cas où les parties auraient de la difficulté à mettre à exécution les présentes ordonnances.

Le 13 novembre 2013.

Traduction de la CRTFP

Kate Rogers,
une formation de la Commission des
relations de travail dans la fonction publique

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