Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a fait l’objet d’une plainte déposée en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (LPFDAR) - un rapport a été publié à la suite d’une enquête, et la fonctionnaire s’estimant lésée a fait l’objet d’une sanction disciplinaire, y compris la rétrogradation de son poste de cadre à un poste noncadre - une semaine plus tard, la fonctionnaire s’estimant lésée a démissionné de son poste - elle a alors déposé un grief, alléguant avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé et avoir injustement été rétrogradée et injustement sanctionnée - une conférence préparatoire à l’audience a été tenue afin de régler certaines questions - la première était celle de la compétence de l’arbitre de grief à la suite de la démission de la fonctionnaire s’estimant lésée - l’employeur a soutenu qu’un fonctionnaire qui démissionne n’avait pas le droit de déposer un grief et que par conséquent l’arbitre de grief n’avait aucune compétence pour instruire le grief - la fonctionnaire s’estimant lésée a plaidé que sa démission était forcée plutôt que volontaire et que sa démission pourrait ne pas avoir la même signification ou le même effet, sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique si, d’un point de vue juridique, elle avait fait l’objet d’un congédiement déguisé - la fonctionnaire s’estimant lésée a soutenu que la question de la compétence comportait deux aspects: la preuve et le droit - l’employeur a soutenu que, même si la démission avait été forcée, l’arbitre de grief n’avait pas davantage compétence pour instruire le grief car le grief n’avait pas soulevé la question - l’employeur a de plus soutenu que la mesure disciplinaire en l’espèce était bien une rétrogradation, et non un congédiement déguisé - la deuxième question portait sur la mesure dans laquelle peut se fonder un arbitre de grief sur le rapport produit dans le cadre de l’enquête réalisée sous le régime de la LPFDAR - l’employeur croyait avoir le droit de se fonder sur les conclusions formulées dans le rapport, alors que la fonctionnaire s’estimant lésée a fait valoir qu’elle pouvait aller au-delà du rapport - la troisième question consistait à savoir si l’arbitre de grief devait disposer des questions de compétence et s’il devait scinder l’audience - l’arbitre de grief a conclu que l’approche la plus juste et la plus efficiente serait de scinder l’audience - les faits et les questions se rapportant à l’allégation de congédiement déguisé et de contrainte sont séparés et distincts des faits et des questions se rapportant à la sanction disciplinaire - l’arbitre de grief a conclu que dans un premier temps, il entendrait les témoignages et l’argumentation des parties sur la question du congédiement déguisé, de la contrainte et de son droit d’aller au-delà du rapport - dans l’éventualité où il conclurait à la fin de cette étape qu’il avait compétence pour instruire le grief, il procèderait alors à la deuxième étape. Instructions données.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-03-22
  • Dossier:  566-02-7020
  • Référence:  2013 CRTFP 29

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SHELLEY HASSARD

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire portant sur un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Augustus Richardson, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Stephen Moreau, avocat

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate, Conseil du Trésor

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
les 21 et 22 février 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Conférence préparatoire à l’audience – décision en matière de scission d’une audience

1 L’audience de la présente affaire était fixée aux 21 et 22 février 2013, à Toronto (Ontario). Peu avant l’audience, les avocats des parties ont demandé la tenue d’une conférence préparatoire à l’audience afin de discuter de diverses préoccupations dont la résolution pourrait avoir une incidence sur la durée et la nature de l’audience.

2 J’ai présidé la conférence préparatoire à l’audience le 21 février 2013 à Toronto. J’y ai entendu les arguments et les observations des avocats relativement au contexte du grief ainsi que les préoccupations, tant sur le plan de la compétence que de la procédure à suivre, soulevées par le grief en l’espèce. Je désire souligner que tout renvoi dans la présente décision préliminaire aux « faits » ne doit pas être interprété comme étant une conclusion de fait. Je n’en ai tiré aucune. Il s’agit simplement de points de repère afin d’expliquer la nécessité de rendre ces décisions et les décisions elles-mêmes.

II. Contexte factuel

3 Au début de 2011, Mme Shelley Hassard, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), occupait le poste de directrice de l’Unité de surveillance renforcée au sein du Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur »). Elle comptait environ 36 années de service à ce moment-là.

4 À cette époque, une plainte a été déposée en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. (2005), ch. 46 (la « LPFDAR »), communément connue comme étant la [traduction] « loi des dénonciateurs ». La plainte portait sur la conduite alléguée de Mme Hassard, ou concernait sa conduite alléguée.

5 À la suite du dépôt de la plainte en vertu de la LPFDAR, le processus d’enquête prévu par la loi a été engagé. Peu après le dépôt de la plainte, Mme Hassard a pris un congé de maladie. L’enquête interne amorcée dans le cadre de la LPFDAR a été confiée à deux enquêteurs employés ou engagés par l’employeur. Mme Hassard a été rencontrée à au moins une reprise dans le cadre de l’enquête.

6 L’enquête s’est conclue par un rapport, lequel a été publié vers le 25 août 2011 (le « rapport »). Mme Hassard a reçu un exemplaire du rapport environ une journée plus tard. Une semaine lui a été accordée pour y répondre. Mme Hassard a alors retenu les services d’un avocat, M. Stephen Moreau, qui n’a pas pu la rencontrer avant le 26 septembre 2011. Tout d’abord Mme Hassard, puis M. Moreau, ont demandé une prolongation des délais pour répondre aux conclusions du rapport. Une prolongation a été accordée jusqu’au 6 octobre 2011.

7 Le 6 octobre 2011, M. Moreau a communiqué à l’employeur un document de dix à quinze pages en guise de réponse. Le lendemain, Mme Hassard a rencontré Mme Macdonald, la directrice régionale adjointe du SCC pour l’Ontario.

8 Vers le 14 octobre 2011, Mme Macdonald a imposé des mesures disciplinaires à Mme Hassard. Entre autres mesures disciplinaires, elle a été rétrogradée de son poste de cadre à un poste opérationnel. Cette rétrogradation a notamment entraîné une baisse de sa rémunération de l’ordre de 16 %, ou d’environ 20 000 $. De plus, elle ne devait plus avoir de contact avec les délinquants. Il s’agissait, tel qu’il a été présenté dans les arguments de M. Moreau, d’une [traduction] « rétrogradation importante ». Il a précisé que cela correspondait ni plus ni moins au congédiement déguisé de la fonctionnaire.

9 Entre la publication du rapport et le milieu ou la fin du mois d’octobre 2011, diverses communications auraient eu lieu entre Mme Hassard et Mme Macdonald. Il s’agissait essentiellement de courriels et, si j’ai bien compris, de quelques brèves rencontres.

10 Mme Hassard a démissionné de son poste vers le 21 octobre 2011. Il n’est pas nécessaire aux fins des présentes que je détermine si sa démission est entrée en vigueur sur le champ ou le 10 novembre 2011, la date apparente d’entrée en vigueur.

11 Le 17 novembre 2011, M. Moreau a signé, au nom de Mme Hassard, un grief présenté en vertu des alinéas 209(1)b) et c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2(la « LRTFP »). Dans son grief, elle a notamment allégué ce qui suit :

  1. elle a été rétrogradée de manière injuste;
  2. sa rétrogradation constitue un congédiement déguisé;
  3. elle a injustement fait l’objet de mesures disciplinaires et d’une rétrogradation en raison de l’enquête et elle a été traitée de manière inéquitable durant l’enquête.

12 Il s’agit là du grief qui a par la suite été renvoyé à l’arbitrage auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP »), et dont je suis saisi.

13 Ayant tous ces faits à l’esprit, j’aborderai maintenant les diverses questions, tant sur le fond que sur le plan de la procédure, qui émanent du contexte factuel précité.

III. Préoccupations

14 Après avoir entendu les avocats des parties et discuté avec ceux-ci lors de la conférence préparatoire à l’audience tenue le 21 février 2013, il m’a semblé reconnaître trois groupes principaux en ce qui concerne les préoccupations.

A. Question 1 : Démission et compétence

15 Tout d’abord, il y a la question de la compétence découlant de la démission de Mme Hassard.

16 L’avocate de l’employeur, Mme Caroline Engmann, a soutenu qu’un fonctionnaire qui démissionne n’avait pas le droit de présenter un grief aux termes de la LRTFP. Dès qu’elle a démissionné, Mme Hassard a perdu son droit légal de présenter un grief. Puisque c’est le cas, je n’ai pas compétence pour instruire ce grief.

17 M. Moreau a convenu que, si Mme Hassard avait effectivement démissionné volontairement, je n’aurais pas compétence pour instruire l’affaire. Il a toutefois soutenu que la situation est différente si la démission a été effectuée sous la contrainte en raison d’une rétrogradation qui constituait un congédiement déguisé. Il a en outre fait valoir que la jurisprudence avait reconnu que l’arbitre de grief avait compétence pour instruire un grief présenté par un ex-fonctionnaire qui avait été contraint à démissionner ou à prendre sa retraite. Partant, si les circonstances de la démission de Mme Hassard étaient telles que sa démission était forcée plutôt que volontaire, on ne pourrait pas alors prétendre qu’elle a démissionné. Elle aurait alors été contrainte à démissionner et, dans un tel cas, j’aurais effectivement compétence pour instruire son grief. Par ailleurs, sa démission pourrait ne pas avoir la même signification ou le même effet, sous le régime de la LRTFP si, selon la loi, elle avait déjà fait l’objet d’un congédiement déguisé.

18 M. Moreau a soutenu que la question de la compétence comportait deux aspects : la preuve et le droit. En ce qui a trait à la preuve, il faudrait que je prenne en compte les considérations suivantes :

  1. les communications entre Mme Macdonald et Mme Hassard (et possiblement son avocat et l’employeur) durant la période comprise entre la réception du rapport par Mme Hassard au mois d’août 2011 et sa démission, en octobre 2011;
  2. le témoignage de Mme Hassard quant à sa réaction au rapport et aux allégations qu’on y retrouve, et possiblement le témoignage de Mme Macdonald (bien qu’il ait laissé à l’avocate de l’employeur le soin de prendre cette décision);
  3. le rapport, afin de situer la preuve précitée dans son contexte.

19 Les questions de droit consisteraient en des arguments fondés sur les dispositions législatives et la jurisprudence pertinentes. M. Moreau pensait que le tout ne prendrait que deux ou trois jours, tout au plus.

20 Mme Engmann n’était pas d’accord avec l’argument de M. Moreau selon lequel une conclusion de démission forcée m’habiliterait à instruire le grief. Elle a fait valoir que puisque la question de la démission forcée n’avait pas été soulevée dans le grief, je n’avais pas compétence pour instruire cette affaire. Je suppose que son argumentation était fondée sur les arrêts rendus par la Cour d’appel fédérale dans Shneidman c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 192, et Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 CF 109 (C.A.). Elle a également soutenu que la mesure disciplinaire en l’espèce était bel et bien une rétrogradation, et non un congédiement déguisé qui aurait constitué un licenciement.

21 Mme Engmann a convenu que la preuve se rapportant à la question de la démission forcée nécessiterait le type de preuve évoquée par M. Moreau dans ses arguments.

22 Je tiens à préciser qu’en exposant les arguments de Mme Engmann (ainsi que celui des arguments de M. Moreau, quant à cela), je ne veux pas laisser entendre qu’ils ne se limitent qu’à ceux que j’ai évoqués. Les discussions sur les diverses questions à trancher ont évolué de manière plutôt impromptue. Pour cette raison, il ne serait pas juste de ma part de limiter les avocats relativement aux objections ou aux argumentations qu’ils voudraient bien formuler à l’avenir.

B. Question 2 : Recevabilité du rapport

23 Cette question porte sur la confiance que peut accorder un arbitre de grief et, plus précisément, l’employeur, aux conclusions et aux recommandations formulées dans un rapport d’enquête réalisée sous le régime de la LPFDAR.

24 Essentiellement, selon Mme Engmann, l’employeur avait le droit de se fonder sur les conclusions formulées dans un tel rapport. Il n’avait pas à s’interroger sur ce qu’il y avait derrière le rapport. Il n’était pas tenu de mener sa propre enquête relativement aux événements ou aux faits figurant dans le rapport. Cette conclusion découlait des dispositions de la LPFDAR.

25 M. Moreau n’était pas d’accord avec l’idée que Mme Hassard ou moi-même étions liés par les conclusions du rapport. Il a fait valoir que la fonctionnaire était en droit d’aller au-delà du rapport et, essentiellement, d’obliger l’employeur à établir le bien-fondé des mesures disciplinaires prises à son égard. Il a toutefois reconnu que la question était juridique. La résolution de celle-ci ne nécessitait pas d’éléments de preuve. Il suffisait d’analyser les dispositions pertinentes de la LPFDAR et de la LRTFP ainsi que la jurisprudence.

C. Question 3 : À quel moment ces décisions doivent-elles être prises?

26 Cette question porte sur le moment opportun et la façon de trancher les questions de compétence soulevées par les parties, notamment par l’employeur.

27 La compétence d’un arbitre de grief est limitée par les dispositions de la LRTFP. Lorsque la compétence d’un arbitre de grief pour instruire une affaire est contestée par une des parties, l’arbitre de grief a tendance à y répondre de l’une des deux façons suivantes. Il arrive parfois que l’arbitre de grief réserve sa décision jusqu’à ce que toute la preuve ait été entendue. Il en est souvent ainsi, par exemple lorsqu’il s’agit de décider si le licenciement d’un fonctionnaire en cours de stage a été effectué de mauvaise foi. À d’autres occasions, l’arbitre de grief décidera de n’entendre que la preuve nécessaire, s’il en est, pour trancher la question de sa compétence.

28 M. Moreau a convenu qu’il pouvait arriver qu’il soit opportun, tant pour des raisons de temps que d’efficience, de scinder une audience afin d’avoir, d’un côté, la preuve et les arguments requis pour trancher une question de compétence, et de l’autre côté, la preuve et les arguments se rapportant aux questions de fond à trancher dans l’éventualité où il y aurait compétence pour instruire un grief sur le fond; toutefois, il a soutenu que ce n'était pas le cas en l'espèce.

29 M. Moreau a fait valoir qu’en ce qui a trait à la question de la démission forcée, il voudrait interroger Mme Hassard relativement à son historique et à ses antécédents professionnels avec l’employeur. Il voudrait également l’interroger sur les diverses conclusions formulées dans le rapport et sur sa réaction à ces conclusions. Il a indiqué qu’afin de pouvoir apprécier sa réaction, il me faudrait en savoir davantage au sujet de l’enquête et des conclusions de celle-ci. Qui plus est, si je devais décider que j’avais effectivement compétence pour instruire l’affaire, il faudrait alors reprendre à nouveau une bonne partie de la preuve déjà présentée, ce qui ne constituerait pas une utilisation profitable du temps de la Commission et des parties. Il serait donc mieux d’entendre toute la preuve avant de trancher la question de la compétence.

30 Par conséquent, M. Moreau a suggéré que l’audience procède de la manière suivante :

  1. Je déciderais tout d’abord de la question du rapport et de son statut. Dans l’éventualité où je conclurais que la fonctionnaire est en droit d’aller au-delà du rapport, je me pencherais alors sur les questions pouvant être soulevées quant à la mise sous scellés ou au caractère confidentiel de certains éléments de preuve;
  2. J’entendrais la preuve jugée appropriée, compte tenu de ma décision au sujet du rapport;
  3. Je trancherais la question de la démission forcée.

31 Mme Engmann n’était pas d’accord avec cette façon de procéder ni avec l’idée que la scission de l’audience ne soit pas appropriée. Elle a fait valoir, dans ses arguments, que la question de compétence en lien avec la démission de Mme Hassard était justement le type de question qui se prêtait particulièrement bien à la scission de l’audience. La preuve et le droit se rapportant à la question à trancher étaient circonscrits et distincts. La preuve concernant la démission de Mme Hassard et l’éventualité qu’elle ait été forcée, était une question séparée et distincte des questions et de la preuve ayant trait au bien-fondé de la décision de l’employeur de sanctionner son comportement en lui imposant une rétrogradation. La preuve se rapportant à ce dernier élément (en particulier si je devais conclure que la fonctionnaire pouvait aller au-delà du rapport) pouvait se révéler à la fois longue et fastidieuse.

32 Selon Mme Engmann, l’audience devrait procéder comme suit :

  1. J’entendrais la preuve et l’argumentation relativement à la question de savoir si la démission avait été forcée (c’est-à-dire, si j’ai effectivement compétence pour instruire le grief);
  2. J’entendrais et je trancherais ensuite, s’il y a lieu, la question du rapport et si la fonctionnaire était en droit d’aller au-delà du rapport;
  3. Selon ma décision sur ces deux premières questions, je rendrais les décisions qui s’imposent quant à la mise sous scellés ou au caractère confidentiel de certains éléments de preuve pouvant être soulevés quant à l’établissement du bien-fondé du grief.

IV. Décision

33 Ce grief soulève des enjeux et des questions juridiques complexes. À partir de ce que l’ai pu saisir du contexte factuel de cette affaire, il m’apparaît que j’aurai à trancher plusieurs questions, que l’on peut toutefois regrouper. Le premier groupe de questions serait celui-ci :

  1. Est-ce que la doctrine de la common law du congédiement déguisé s’applique à l’emploi du fonctionnaire?
  2. Si oui, est-ce que sa rétrogradation constitue un licenciement au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, ce qui m’habiliterait à instruire le grief?
  3. Une deuxième question, en lien avec ce qui précède, serait de savoir si sa démission avait été forcée ou si elle était tellement liée à sa rétrogradation ou son congédiement déguisé (si cela était effectivement le cas) que cela ne changeait en rien sa situation juridique alléguée, à savoir celle d’une fonctionnaire licenciée.

34 Ces questions sont liées entre elles tant sur le plan des principes que des faits en cause. Elles sont essentiellement juridiques. Dans la mesure où une certaine preuve est requise à cet égard, une telle preuve serait essentiellement limitée à établir ce qui s’est produit après la publication du rapport en août 2011.

35 Si, à la fin de cette démarche, je conclus que j’ai compétence, je me pencherai ensuite sur le deuxième groupe de questions, à savoir si la fonctionnaire ou l’arbitre de grief était en droit d’aller au-delà du rapport.

36 Si le rapport ne suffit pas de lui-même, et si la fonctionnaire est en droit de remettre en cause sa fiabilité, j’aborderai alors le troisième groupe de questions à savoir si les actes de la fonctionnaire justifiaient les mesures disciplinaires prises à son égard et si l’employeur peut justifier les mesures disciplinaires en se fondant sur le rapport ou s’il est tenu, ou en droit, de démontrer à nouveau le bien-fondé de son cas. Cette étape pourrait nécessiter le témoignage de plusieurs témoins et soulever des questions de privilège, de confidentialité et ainsi de suite.

37 Cela dit, j’aborderai maintenant la question de la scission de l’audience.

38 Force est d’admettre qu’il y a [traduction] « […] une certaine réticence chez les arbitres de grief à scinder les audiences »; voir à cet effet Bakery, Confectionery, Tobacco Workers and Grain Millers International Union, Local 446 v. Citadel Halifax Hotel, 2009 Carswell NS 459, au paragraphe 35. Cependant, la décision ultime est prise sur la base [traduction] « […] de l’équité envers les parties, de la valeur concrète de la démarche et du gain de temps escompté »; voir Toronto (City) v. CUPE, Loc. 79 (2004), 128 L.A.C. (4e) 217, au paragraphe 220; Canadian Broadcasting Corp. v. CUPE (Broadcast Council) (1991), 22 L.A.C. (4e) 9, aux paragraphes 24 et 25; Ontario Liquor Boards Employees’ Union v. Ontario (Liquor Control Board) (2005), 142 L.A.C. (4e) 442, au paragraphe 13; School District No. 27 (Cariboo-Chilcotin) v. Cariboo-Chilcotin Teachers’ Assn (1994), 46 L.A.C. (4e) 385, aux paragraphes 386 et 387.

39 Cela étant, qu’elle est alors la meilleure marche à suivre par un arbitre de grief lorsqu’il songe à une demande de scission d’une audience? Afin de trancher cette question, je me fie à la jurisprudence arbitrale et à la pratique dans le secteur privé. Il a été proposé par Gorsky, Brandt et Usprich, dans Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration, partie III, section 7.2, aux paragraphes 7-4 à 7-6, qu’en dépit de la pratique antérieure des arbitres de grief d’entendre à la fois les objections préliminaires et le fond d’une affaire dans le cadre d’une seule et même audience, la position la plus [traduction] « orthodoxe », qui était en place dès les années 1970 et qui constitue dorénavant [traduction] « la meilleure façon de procéder », consiste à scinder ces questions; voir Nova Scotia v. NSGEU (1999), 83 LAC (4e) 218, aux paragraphes 220 et 221. À l’appui de cette proposition, les auteurs précités renvoient notamment à Hiram Walker & Sons Ltd. v. Distillery Workers, Local 61, (1973) 3 L.A.C. (2e) 203, dans laquelle l’arbitre de grief a mentionné, au paragraphe 6, qu’il n’y avait pas lieu d’accorder une demande de scission à moins que les conditions suivantes soient satisfaites :

  1. la partie demandant la scission de l’audience a avisé l’autre partie, avant l’audience, de son intention de demander la scission de l’audience afin que l’autre partie ait l’occasion d’avertir ses témoins de ne pas se présenter;
  2. le fond de l’affaire semble pouvoir être dissocié de la question de l’arbitrabilité ;
  3. le retard occasionné n’aura pas d’incidence appréciable sur la disponibilité des témoins; 
  4. aucun autre préjudice important et non susceptible de réparation pécuniaire ne s’ensuivra.

40 En appliquant ces principes aux faits devant moi, je suis convaincu que la scission de l’audience constitue la meilleure façon de procéder. Les faits et les questions consistant à déterminer si la doctrine du congédiement déguisé s’applique en vue de convertir une rétrogradation en un licenciement, ou si la démission ultérieure a été forcée, sont séparés et distincts des faits et des questions consistant à déterminer si la mesure disciplinaire imposée à Mme Hassard était justifiée et appropriée. Ces deux groupes de questions ont très peu en commun. Le nombre de témoins et les documents requis pour fournir un contexte factuel aux arguments légaux se rapportant au premier groupe de questions se limite tout au plus à deux témoins et à quelques documents pertinents. Par contre, si j’ai compétence pour instruire l’affaire et si la fonctionnaire est également en droit d’aller au-delà du rapport, alors je m’attends à ce qu’il y ait un plus grand nombre de témoins. Leurs témoignages porteraient sur une période distincte et séparée et pourraient soulever des questions complexes en matière de non-divulgation et de confidentialité. Le fait d’entendre tous les témoignages et puis de décider ensuite, à titre de question de droit, que je n’ai pas compétence pour instruire l’affaire, constituerait un emploi inefficace du temps. Cela imposerait en outre aux parties des coûts importants en argent, en temps et en ressources, particulièrement en ce qui concerne la fonctionnaire s’estimant lésée.

41 À mon avis, l’approche la plus juste et la plus efficiente serait de scinder l’audience en deux étapes distinctes.

42 Lors de la première étape, j’entendrais les témoignages et l’argumentation des parties portant sur les questions suivantes :

  1. Est-ce que la doctrine de la common law du congédiement déguisé s’applique à un grief régi par la LRTFP de telle sorte qu’elle puisse convertir la rétrogradation de la fonctionnaire en un licenciement au sens de la LRTFP?
  2. Est-ce que la démission de la fonctionnaire a été forcée et, si oui, est-ce que cela m’habilite à instruire le grief sur le fond?
  3. Est-ce que la fonctionnaire est en droit d’aller au-delà du rapport, ou est-ce que cette dernière et moi-même sommes tenus d’accepter les conclusions de ce rapport comme étant des conclusions de fait?

43 La première étape sera ensuite ajournée, le temps que je rende mes décisions sur les trois questions précitées.

44 Dans l’éventualité où je conclurais que j’ai compétence pour instruire l’affaire, je procéderais alors à la deuxième étape, soit celle qui portera sur le fond du grief (sans restreindre aucunement le droit des avocats des parties de formuler quelque objection ou argumentation qu’ils jugent à propos dans le cadre de l’instruction d’un grief disciplinaire sur le fond).

45 Avant d’entreprendre la deuxième étape, je convoquerai une conférence téléphonique avec les avocats des parties afin de discuter des dates d’audience pour la deuxième partie de l’audience, ainsi que de toute question ayant trait à la preuve dans la mesure où ces questions ont une incidence sur ma décision consistant à déterminer si la fonctionnaire est en droit d’aller au-delà du rapport.

Le 22 mars 2013

Traduction de la CRTFP

Augustus Richardson,
arbitre de grief

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