Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé est un analyste des politiques d’Environnement Canada qui travaille sur les questions de revendications territoriales autochtones - il a été suspendu pour cinq jours après avoir participé à une manifestation anti-olympique, lors de laquelle il a pris la parole au nom de l’Olympic Resistance Network (ORN), un groupe qui prétendait que les Jeux Olympiques étaient organisés sur une terre autochtone volée - avant l’incident, l’employeur avait organisé trois réunions avec le fonctionnaire s’estimant lésé au cours desquelles les superviseurs du fonctionnaire s’estimant lésé, incluant la directrice de la Direction des valeurs, intégrité et divulgation, avaient informé le fonctionnaire s’estimant lésé qu'il devait cesser de parler publiquement au nom de l'ORN et de participer à des manifestation publiques où il pouvait être identifié - l’employeur estimait qu’il s’agissait d’un conflit d’intérêts évident et d’une violation de la neutralité de la fonction publique - l’arbitre a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est rendu coupable d’une inconduite délibérée - le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que la mesure disciplinaire imposée violait sa liberté d’expression - l’arbitre de grief a rejeté cet argument - la liberté d’expression des fonctionnaires n’est pas absolue, et doit être contrebalancée par leur devoir de loyauté envers l’employeur, découlant de l’intérêt public légitime à l’égard de l’impartialité et de l’efficacité de la fonction publique - toute restriction à la liberté d’expression d’un employé doit être logiquement liée à l’emploi de l’employé et ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’impartialité et d’efficacité de la fonction publique - l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé était en situation de conflit d’intérêts - la négociation de traités et les revendications territoriales sont des questions délicates, et l’expression publique d’une opinion partisane par le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas conforme à son rôle d'employé de la fonction publique - la suspension de cinq jours n’était pas excessive. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-03-12
  • Dossier:  566-02-5021
  • Référence:  2013 CRTFP 21

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GARTH MULLINS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de l’Environnement)

défendeur

Répertorié
Mullins c. Administrateur général (ministère de l’Environnement)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Bertrand Myre, Association canadienne des employés professionnels

Pour le défendeur :
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 3 au 5 octobre 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Garth Mullins, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») est un analyste des politiques classifié au groupe et niveau EC-03. Il est un employé de la direction générale des Affaires autochtones et des intervenants autochtones du ministère de l’Environnement (l’« employeur ») à Vancouver, en Colombie-Britannique. À toutes les périodes pertinentes, il était assujetti à la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des employés professionnels pour l’unité de négociation du groupe Économique et services des sciences sociales (la « convention collective »), qui est expirée depuis le 21 juin 2011.

2 Le 6 avril 2010, le fonctionnaire a écopé d’une suspension de cinq jours pour inconduite découlant de sa participation à une manifestation antiolympique, au cours de laquelle il a parlé publiquement. Lors du même événement, il a été identifié comme un organisateur antiolympique dans une vidéo de l’événement affichée sur Internet.

3 Le fonctionnaire a déposé un grief alléguant qu’on lui avait imposé une sanction disciplinaire sans motif valable. À titre de mesure corrective, il a demandé que la mesure disciplinaire soit annulée, que toute référence à celle-ci soit supprimée de son dossier, que ses cinq jours de suspension lui soient remboursés, et qu’il soit indemnisé intégralement. À la suite d’un consentement mutuel entre les parties, le premier palier de la procédure de règlement de griefs a été contourné. Le 20 août 2010, le grief a été rejeté au deuxième palier de la procédure de règlement de griefs. Le 17 décembre 2012, le grief a été rejeté au dernier palier de la procédure. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 10 janvier 2011 en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

II. Résumé de la preuve

4 L’employeur a cité Robin Hare, Steven Wright et Okenge Yuma Morisho à témoigner; il a présenté 14 documents comme éléments de preuve. Le fonctionnaire n’a cité aucun témoin et n’a pas témoigné.

5 En juin 2009, Mme Hare a été nommée directrice par intérim de la direction des Affaires indiennes et des intervenants autochtones du ministère de l’Environnement. La direction offre des conseils, effectue des analyses et assure la coordination en matière de politiques sur des questions liées à l’environnement, notamment des évaluations environnementales qui touchent les collectivités autochtones. Le fonctionnaire était l’un des 13 employés de la direction et il relevait de Mme Hare. Toutefois, il exerçait aussi des fonctions dans deux autres directions, soit la direction générale de la Protection de l’environnement et la direction générale de l’Intendance environnementale. Pour cette raison, il avait un rapport hiérarchique fonctionnel avec trois directeurs, dont Mme Hare. Le fonctionnaire se trouvait à Vancouver, mais Mme Hare travaillait à Ottawa, en Ontario.

6 Selon Mme Hare, une des tâches du fonctionnaire consistait à fournir de l’information et des conseils au sujet des négociations sur les revendications territoriales et les ententes d’autonomie gouvernementale des autochtones dans le cadre du processus des traités de la Colombie-Britannique. Le fonctionnaire participait aussi à un groupe national de gestionnaires au sein du ministère de l’Environnement où il donnait des conseils d’expert sur l’élaboration de lignes directrices utilisées par les négociateurs dans le cadre de négociations fédérales portant sur des questions d’autonomie gouvernementale et de revendications territoriales. Dans le cadre de l’élaboration et de l’examen d’évaluations environnementales, il devait consulter un grand nombre de groupes autochtones. Le fonctionnaire participait également à des réunions nationales portant sur des questions autochtones à titre de représentant de la Couronne. La relation entre les groupes autochtones et la Couronne est importante et unique. Mme Hare a indiqué que l’obligation de fiduciaire de la Couronne signifie que l’honneur de la Couronne est de la plus haute importance. Elle a déclaré que l’histoire et la culture des Autochtones doivent être comprises et respectées, parce que les affaires autochtones occupent une place constitutionnelle et juridique unique au pays.

7 Lorsque Mme Hare est devenue directrice par intérim et superviseure du fonctionnaire en juin 2009, elle a été informée de l’implication du fonctionnaire à un groupe de manifestation antiolympique, l’Olympics Resistance Network (l« ORN »). Selon l’ORN, les Jeux Olympiques étaient tenus sur une terre autochtone volée. Mme Hare a examiné le dossier préparé par le conseiller en relations de travail de la région, qui contenait des copies de notes prises durant une réunion et de courriels échangés entre le fonctionnaire et l’ancien directeur, Kevin Guérin, à propos des activités du fonctionnaire. Après avoir lu les courriels (pièce E-2), Mme Hare semblait comprendre que le 26 février 2009, le fonctionnaire avait accepté par écrit de ne plus être le porte-parole de l’ORN ni son représentant dans les communications médiatiques et que, s’il souhaitait participer à cette organisation comme simple citoyen, il faudrait que ce soit fait discrètement, après les heures de travail et sans utiliser les ressources du gouvernement.

8 Le 8 juillet 2009, le bureau de la sécurité de l’employeur a fait parvenir à Mme Hare des copies de deux articles de journaux dans lesquels le fonctionnaire était identifié comme membre de l’ORN. Les photographies du fonctionnaire apparaissaient dans les deux articles, où il était identifié et cité à titre de membre de l’ORN (pièces E-3 et E-4). Mme Hare a affirmé qu’au moment où elle a vu ces articles, elle était préoccupée par le fait que le fonctionnaire n’avait pas respecté l’engagement qu’il avait pris auprès de M. Guérin. Elle était aussi troublée qu’un employé soit associé à des activités antiolympiques, étant donné que l’ensemble du gouvernement fédéral, plus particulièrement l’employeur, était activement impliqué dans les Jeux Olympiques et les appuyait.

9 En raison de ses préoccupations relatives au rôle continu du fonctionnaire au sein de l’ORN, Mme Hare a organisé une réunion d’une demi-journée avec le fonctionnaire. La réunion a eu lieu à Vancouver, le 14 septembre 2009. Mme Hare a indiqué au fonctionnaire qu’elle était la nouvelle directrice, qu’elle savait que son travail était exemplaire, et qu’elle souhaitait se présenter à lui. Mme Hare souhaitait aussi discuter du fait qu’il avait violé l’entente conclue avec son ancien directeur. Enfin, elle voulait examiner le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique (le « Code »)(pièce E-6) et encourager le fonctionnaire à remplir le formulaire d’évaluation des conflits d’intérêts. Ce formulaire doit être soumis par les employés qui prennent part à des activités extérieures et qui peuvent constituer un conflit d’intérêts avec leur emploi. Le fonctionnaire n’avait pas encore rempli ce formulaire. Mme Hare a indiqué que la réunion n’était pas de nature disciplinaire, mais qu’elle visait entre autres à renforcer la directive antérieure que lui avait donnée l’employeur.

10 Mme Hare a allégué qu’elle souhaitait que le fonctionnaire reconnaisse qu’il s’était engagé par écrit à ne pas paraître dans les médias et qu’il n’avait pas respecté cet engagement. Le fonctionnaire a reconnu avoir pris cet engagement et ne pas l’avoir respecté. Mme Hare a affirmé que le fonctionnaire avait essayé de justifier ses actes en expliquant qu’il se sentait obligé de corriger les conceptions du public à son égard et à l’égard de l’ORN. Le fonctionnaire a déclaré à Mme Hare qu’il sentait qu’il devait dissiper tout doute que l’ORN serait perturbatrice, illégale ou menaçante, puisqu’il ne voulait pas que l’on croie qu’il avait commis des actes illégaux. Mme Hare a affirmé lui avoir dit qu’il se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts potentiel et qu’il devait absolument remplir un formulaire d’évaluation des conflits d’intérêts. Elle a examiné le Code avec lui. Elle a indiqué qu’elle lui avait lu à haute voix les sections précises du Code qui s’appliquaient à ses circonstances et qu’elle lui avait laissé la copie annotée.

11 Après la réunion, Mme Hare a rédigé des notes résumant les principaux points discutés (pièce E-5). Elle les a envoyées au fonctionnaire aux fins d’examen et d’approbation. Après avoir émis quelques commentaires et apporté quelques modifications, le fonctionnaire a signé la copie définitive. Mme Hare a déclaré qu’elle estimait que le fonctionnaire comprenait bien les préoccupations et les directives de l’employeur, de même que la gravité de la situation. En se remémorant la réunion, elle a affirmé que le fonctionnaire semblait sincèrement désolé et préoccupé par son emploi. Selon elle, ses directives à l’égard du fonctionnaire ne pouvaient être plus claires.

12 Bien que Mme Hare n’ait pas vu le formulaire de conflit d’intérêts du fonctionnaire qui a été envoyé à la Direction de valeurs, intégrité et divulgation, elle a vu la réponse de la directrice, Aëda Warah. Elle a aussi été témoin d’un échange de courriels entre le fonctionnaire et un conseiller principal en matière d’éthique, Jason Evans, concernant l’avis de Mme Warah selon laquelle le fonctionnaire était en conflit d’intérêts en raison de ses activités dans trois organisations externes (pièce E-7). Mme Hare a affirmé qu’à la lecture de la réponse de la directrice, elle avait compris que le fonctionnaire devait renoncer à critiquer publiquement les Jeux Olympiques dans tous les médias, que ce soit les médias électroniques ou écrits, la radio ou la télévision, incluant Internet et les réseaux sociaux. On a informé le fonctionnaire qu’il ne devait pas accorder d’entrevue ni participer à des conférences de presse ou à des manifestations où l’on pourrait l’identifier ou lui demander d’émettre des commentaires. Mme Hare a aussi reçu de l’information de la part de M. Evans le 9 février 2010. Ainsi, elle savait que le fonctionnaire avait contesté certains aspects de la décision de Mme Warah et qu’il avait été informé que la décision s’appliquait (pièces E-7 et E-8).

13 Le 12 février 2010, Mme Hare a vu une séquence vidéo où l’on pouvait apercevoir le fonctionnaire alors qu’il assistait à une manifestation antiolympique (pièce E-9). Elle a indiqué qu’elle avait du mal à le croire, parce que la présence du fonctionnaire sur la vidéo était évidente et que cela allait directement à l’encontre de ses directives. Elle a affirmé qu’il avait ouvertement participé à une activité à laquelle, selon les directives, il ne devait pas participer; selon Mme Hare, cela était irrespectueux. De plus, le fonctionnaire a outrepassé ses droits d’employé et s’est placé en situation de conflit d’intérêts. Selon Mme Hare, il était impossible que le fonctionnaire s’adresse à un public à l’aide d’un microphone sans savoir exactement ce qu’il faisait.

14 Mme Hare a reconnu que le fonctionnaire n’était pas identifié comme un employé de la fonction publique fédérale dans la vidéo, mais qu’il était possible que ce soit découvert. Selon elle, les actions du fonctionnaire pouvaient embarrasser le ministre et le gouvernement. De plus, le fonctionnaire acceptait un chèque de paye du gouvernement, et l’une de ses tâches principales était de rencontrer des groupes autochtones pour discuter de questions relatives aux terres. Malgré cela, il était un membre visible et porte-parole d’un groupe qui remettait en question le titre de propriété de la Couronne dans le contexte des questions foncières relatives aux autochtones. Essentiellement, selon Mme Hare, il s’agissait d’une critique à l’endroit du gouvernement ainsi que d’un conflit d’intérêts direct.

15 Steven Wright était le directeur régional par intérim de la direction générale de la Protection de l’environnement de l’employeur durant les événements en question; il travaillait à Vancouver. Le fonctionnaire relevait directement de Mme Hare, mais il avait aussi une relation hiérarchique fonctionnelle avec M. Wright par l’entremise d’un autre gestionnaire, Barry Jeffrey. Plus précisément, le fonctionnaire appuyait les employés de la direction qui effectuaient des examens environnementaux et offraient des conseils à ceux qui consultaient les groupes autochtones. Son rôle était important, puisqu’il existe un grand nombre de revendications territoriales non résolues en Colombie-Britannique et que l’employeur avait l’obligation de consulter les groupes autochtones à propos des questions relatives aux évaluations environnementales.

16 M. Wright était au courant des directives de Mme Warah au fonctionnaire (pièce E-7). C’est la raison pour laquelle M. Jeffrey a eu une discussion avec le fonctionnaire le 9 février 2010. M. Wright voulait s’assurer que le fonctionnaire comprenait ce qu’il avait à faire afin de respecter les directives de Mme Warah. Il a fait valoir que la principale raison d’être de la réunion avec le fonctionnaire était de souligner les restrictions qui lui étaient imposées et de lui expliquer à quel point il lui était facile de les violer simplement en étant présent et identifié à une manifestation. M. Wright a reconnu qu’il n’avait pas dit au fonctionnaire de ne pas participer à une manifestation, mais qu’il lui avait plutôt dit ce qu’il risquait s’il y participait et qu’il y était identifié publiquement.

17 Selon M. Wright, le fonctionnaire comprenait parfaitement les directives données, étant donné qu’une grande partie de la conversation avait porté sur les tiraillements du fonctionnaire entre ses obligations à l’égard de ses collègues de l’ORN et son travail. M. Wright a affirmé que le fonctionnaire n’avait pas parlé de son futur rôle auprès de l’ORN, mais qu’il remettait clairement en question son implication.

18 M. Wright a confirmé qu’en janvier 2010, il avait approuvé une demande de congé payé du fonctionnaire pour le 12 février 2010. M. Wright ne connaissait pas la raison du congé, puisqu’il n’était pas tenu de la demander. Tout ce qu’il devait savoir afin d’approuver la demande était si le fonctionnaire avait suffisamment de congés et s’il y avait de besoins opérationnels ce jour-là. La demande de congé a été approuvée avant que Mme Warah ne rende son jugement concernant les activités du fonctionnaire.

19 M. Yuma Morisho était le directeur général par intérim des Affaires intergouvernementales et des relations avec les intervenants de l’employeur durant la période pertinente. La superviseure directe du fonctionnaire, Mme Hare, relevait de lui. Tout comme Mme Hare, M. Yuma Morisho travaillait à Ottawa.

20 M. Yuma Morisho a affirmé que la réunion entre Mme Hare et le fonctionnaire en septembre 2009 avait été organisée à sa demande. Il voulait que Mme Hare rencontre le fonctionnaire en personne afin de lui communiquer en termes très clairs les directives et les attentes de la direction à l’égard de son comportement. M. Yuma Morisho a dit s’être inquiété lorsqu’il a appris que le fonctionnaire n’avait pas respecté l’engagement qu’il avait pris avec son ancien superviseur. Plus particulièrement, on l’avait informé que le fonctionnaire avait été cité dans la presse dans le contexte de l’ORN.

21 M. Yuma Morisho a déclaré que ses préoccupations étaient fondées sur sa conviction que les actions du fonctionnaire posaient des problèmes clairs en matière de valeurs et d’éthique. Il a fait valoir que le respect du Code est une condition d’emploi des employés de la fonction publique fédérale et que celui-ci les oblige à veiller à la neutralité de la fonction publique et à éviter les apparences de conflit d’intérêts. Compte tenu du rôle du gouvernement fédéral dans les Jeux Olympiques, il était clair pour lui que les déclarations du fonctionnaire à la presse en juin 2009 n’étaient pas conformes à l’obligation de neutralité des employés de la fonction publique fédérale.

22 M. Yuma Morisho a souligné que les Jeux Olympiques n’avaient pas été organisés à Vancouver par hasard. Le Canada a dû présenter une soumission, et le gouvernement fédéral avait participé de très près à la soumission, qu’il appuyait. Lorsque la soumission du Canada a été choisie, l’ensemble du gouvernement fédéral, incluant l’employeur, a donné son appui. Pour l’employeur, plus précisément, les prévisions météorologiques des Jeux étaient très importantes, puisqu’on s’y fiait entre autres pour choisir les lieux et planifier les événements. L’ensemble du gouvernement fédéral a fourni des ressources afin d’assurer le succès des Jeux.

23 M. Yuma Morisho était au courant de la décision de Mme Warah; il savait que le fonctionnaire avait reconnu cette décision. Mme Warah a rendu sa décision alors que d’autres directives avaient été données au fonctionnaire. Toutes les fois, le fonctionnaire reconnaissait les préoccupations de l’employeur et s’engageait à se conformer aux directives. Selon M. Yuma Morisho, les directives de l’employeur ne comportaient pas d’ambiguëté. Plus précisément, les directives de M. Warah comprenaient un contexte, une justification et des conseils et établissaient des limites à l’intérieur desquelles le fonctionnaire pouvait poursuivre ses activités dans la mesure où celles-ci étaient menées de façon appropriée.

24 Étant donné tous les conseils et toutes les directives qui ont été donnés au fonctionnaire, M. Yuma Morisho a affirmé avoir été choqué et déçu lorsqu’on lui a remis une copie de la vidéo du discours du fonctionnaire à la manifestation antiolympique du 12 février 2010. Il a indiqué que la décision du fonctionnaire de participer à la manifestation et de prononcer un discours devant la foule allait à l’encontre de toutes les décisions qui avaient été prises et de toutes les directives qui lui avaient été données.

25 Le 5 mars 2010, une conversation téléphonique a eu lieu entre M. Yuma Morisho, Mme Hare et le fonctionnaire. L’objectif de cette conversation était de clairement établir les faits de l’incident. M. Yuma Morisho souhaitait établir sans aucun doute qu’il s’agissait bien du fonctionnaire sur la vidéo. Il souhaitait aussi situer le contexte dans lequel ils se trouvaient à la lumière des discussions qui avaient précédemment eu lieu avec le fonctionnaire. Il a affirmé que le fonctionnaire ne s’était pas excusé, mais qu’il avait tenté d’expliquer les motifs de ses actes en déclarant qu’il était déchiré entre sa loyauté envers son employeur et sa loyauté envers ses collègues de l’ORN. M. Yuma Morisho a dressé un compte-rendu de la conversation, qu’il a envoyé au fonctionnaire et à Mme Hare (pièce E-11). Dans son compte-rendu, il a donné d’autres directives au fonctionnaire. Il a expliqué qu’il voulait que le fonctionnaire comprenne clairement qu’il devait s’abstenir d’émettre des critiques publiques ou des commentaires politiques liés à ses tâches officielles. Cela incluait la suppression de sa signature de courriel de la mention de [traduction] « Territoire des Salishs de la côte », mention qui, selon M. Yuma Morisho, constituait un commentaire politique.

26 Le 17 mars 2010, M. Yuma Morisho a tenu une autre téléconférence avec le fonctionnaire, son représentant syndical et deux spécialistes des relations de travail. La téléconférence avait pour objectif d’établir les faits des événements du 12 février 2010 afin de s’assurer qu’il n’y avait eu aucun malentendu entre la direction et le fonctionnaire. Durant la téléconférence, le fonctionnaire a affirmé qu’il avait dit à M. Wright qu’il participerait à l’événement du 12 février et qu’il était en congé autorisé. M. Yuma Morisho a encore une fois envoyé des notes de la réunion au fonctionnaire et à son représentant syndical (pièce E-12).

27 Le 24 mars 2010, M. Yuma Morisho a envoyé un courriel au fonctionnaire dans lequel il lui demandait d’assister à une réunion disciplinaire le 26 mars 2010, qui devait se tenir par téléconférence. Une liste des allégations dont l’employeur prévoyait discuter était jointe au courriel (pièce E-13). On a informé le fonctionnaire qu’il pouvait être accompagné de son représentant syndical.

28 Le 16 avril 2010, M. Yuma Morisho a pris une mesure disciplinaire contre le fonctionnaire en lui imposant une suspension de cinq jours. Il a affirmé qu’il a imposé une mesure disciplinaire au fonctionnaire parce qu’il n’avait pas d’autres choix. Le fonctionnaire avait reçu des avertissements clairs. Les conséquences de ses actes lui avaient été expliquées. Mme Warah lui avait donné des directives claires avec un contexte et des explications. L’employeur avait tout essayé. Malgré tout, le fonctionnaire continuait à contrevenir aux ententes qu’il avait conclues avec l’employeur, dans le cadre desquelles il s’engageait à cesser ses activités publiques au sein de l’ORN. Sa décision de participer à la manifestation de février 2010 allait à l’encontre de toutes les décisions qui avaient été prises et de toutes les directives qui lui avaient été données.

29 M. Yuma Morisho a souligné qu’il ne prétendait pas savoir quelle était la mesure disciplinaire qui s’imposait. C’est pourquoi il a reçu les conseils des experts en relations de travail de l’employeur relativement à la durée de la suspension à imposer; ces conseils étaient accompagnés de précédents et de justifications. Il a suivi ces recommandations et imposé une suspension de cinq jours (pièce E-14).

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

30 L’employeur a allégué qu’il s’agissait d’un cas d’insubordination. Par conséquent, il devait établir qu’une directive avait été donnée, qu’elle était légitime, que le fonctionnaire l’avait comprise et qu’il ne l’avait pas respectée. En l’espèce, tous les éléments d’une insubordination ont été établis par la preuve.

31 La préoccupation de l’employeur concernant les activités du fonctionnaire découle du rôle du fonctionnaire, à titre de représentant de la Couronne, qui consiste à consulter les communautés autochtones à propos de questions délicates liées aux revendications territoriales. Sa participation à une manifestation antiolympique était directement liée à cette question, puisqu’elle portait sur une allégation que les Jeux Olympiques se tenaient sur une terre autochtone volée. De plus, le gouvernement fédéral appuyait et finançait les Jeux Olympiques, et l’employeur participait directement aux principales activités des Jeux Olympiques. L’employeur était préoccupé par le fait que l’un de ses employés affichait publiquement un profil antiolympique, d’où les directives qu’il a données au fonctionnaire selon lesquelles il ne pouvait être la figure publique d’une manifestation antiolympique et que ni son nom si sa photo ne devait paraître dans les nouvelles en lien avec un tel événement.

32 L’employeur a donné des directives claires au fonctionnaire. Mme Hare a rencontré le fonctionnaire en septembre 2009 et a discuté avec lui des préoccupations de l’employeur. Elle l’a informé que sa participation à des manifestations publiques portant sur des revendications territoriales pouvait le placer en situation de conflit d’intérêts. Elle lui a dit que son nom et sa photographie ne devaient plus paraître dans les nouvelles en lien avec une manifestation antiolympique. Elle a affirmé que le fonctionnaire reconnaissait que le fait que sa photographie soit présentée dans les nouvelles en juin 2009 constituait une violation de l’entente qu’il avait conclue avec l’employeur en février 2009.

33 À la suite de sa réunion avec Mme Hare en septembre 2009, le fonctionnaire a établi un rapport de ses activités à l’intention de Mme Warah, la directrice en matière de valeurs et d’éthique de l’employeur. Après avoir examiné ce rapport, elle lui a donné des directives claires, qu’il s’est engagé à respecter. Il n’a pas contesté cette décision.

34 Le 9 février 2010, M. Wright a aussi donné des directives claires au fonctionnaire. Il a affirmé qu’il avait rencontré le fonctionnaire afin de s’assurer que ce dernier comprenait que, même s’il se faisait photographier dans une manifestation, il contreviendrait à la directive. Il a indiqué qu’il ne faisait aucun doute que le fonctionnaire comprenait les directives et qu’il était déchiré entre ses obligations envers ses collègues antiolympiques et ses obligations envers son employeur.

35 M. Wright a aussi indiqué qu’il avait approuvé la demande de congé du fonctionnaire avant que Mme Warah ne rende sa décision. Il ne savait pas que le fonctionnaire projetait de participer à la manifestation durant son congé.

36 M. Yuma Morisho a déclaré que lorsqu’il a appris que le fonctionnaire était monté sur scène dans le cadre d’une manifestation antiolympique malgré les directives de l’employeur, il a estimé qu’il n’avait d’autre choix que d’agir. Il a affirmé que l’employeur avait tout essayé afin d’amener le fonctionnaire à respecter les directives, notamment au moyen de réunions en personne et de directives écrites. Le fonctionnaire avait dit qu’il respecterait les directives, mais il ne l’a pas fait. Il est clair que l’employeur devait agir, parce que le fonctionnaire avait violé une directive légitime.

37 L’employeur a fait valoir que l’adage « obéir d’abord, se plaindre ensuite » s’appliquait. Il a soutenu que si le fonctionnaire n’avait pas adhéré à la décision concernant le conflit d’intérêts, il aurait pu la contester, même si un tel grief n’avait pas nécessairement été arbitrable. L’employeur m’a renvoyé à Assh c. Conseil du Trésor (ministère des Anciens Combattants), 2005 CRTFP 152, qui a suivi la décision de la Cour fédérale (2005 CF 734) annulant la décision rendue précédemment par l’arbitre de grief.

38 Citant Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration (4e éd.), au paragraphe 7:3610, l’employeur a noté que le refus d’un employé de suivre des directives peut mener à une conclusion d’insubordination, même si les directives sont liées à des activités se déroulant à l’extérieur du travail. Dans Association of Management, Administrative and Professional Crown Employees of Ontario v. Ontario (Ministry of Health and Long-Term Care) (2006), 153 L.A.C. (4e) 385, le refus d’un employé de mettre fin à sa participation à un organisme de bienfaisance qui formulait des critiques potentielles à l’endroit des politiques gouvernementales a été considéré comme étant de l’insubordination. Dans cette affaire, une apparence de conflit d’intérêts, par opposition à un conflit réel, était suffisante pour que l’arbitre juge que la directive de l’employeur à l’égard de l’employé était raisonnable et que, par conséquent, le refus de suivre la directive constituait une forme d’insubordination.

39 L’employeur a allégué que le droit des employés de la fonction publique de s’exprimer n’est pas sans entrave. Depuis Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455, il est reconnu qu’il existe un intérêt public important à l’égard du maintien de l’impartialité de la fonction publique. En conséquence, le droit des employés de la fonction publique d’adopter des comportements qui peuvent remettre en question la neutralité ou l’impartialité de la fonction publique peut être sujet à des restrictions. Comme l’objectif d’impartialité et de neutralité est légitime, il l’emporte sur l’intérêt privé. L’employeur a aussi cité Chopra et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2011 CRTFP 99; Read c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 283; Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), [2001] 2 C.F. 82; Gendron c. Conseil du Trésor (ministère du Patrimoine canadien), 2006 CRTFP 27; Labadie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 85; Laboucane c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada) dossiers de la CRTFP 166-02-16086 à 16088 (19870219); Scott c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 82; Goyette et Guidon c. Conseil du Trésor (Commission d’assurance-chômage, ministère de la main-d’œuvre et de l’Immigration), dossiers de la CRTFP 166-02-2914 et 2915 (19770428).

40 L’employeur a cité Duske c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 94 à l’appui de son affirmation qu’il avait un intérêt légitime à veiller à ce que les employés n’adoptent pas des comportements qui pourraient donner une impression de conflit d’intérêts, et que le non-respect d’une telle directive constitue de l’insubordination. Dans cette affaire, l’arbitre de grief a jugé que rien ne prouvait que les tâches du fonctionnaire étaient affectées par ses activités ou qu’elles constituaient un réel conflit d’intérêts. La simple apparence de conflit d’intérêts était suffisante pour légitimer la directive de l’employeur.

41 L’employeur a noté que dans Duske, le comportement du fonctionnaire était prémédité et répétitif, et que le fonctionnaire n’éprouvait aucun remords. Cela a été pris en considération dans l’évaluation de la suspension de 10 jours qui a été examinée et maintenue. Dans cette affaire, la nature répétitive du comportement, qui a été prouvée, a aussi été prise en considération dans l’imposition de la sanction. De plus, le fonctionnaire n’a pas démontré qu’il éprouvait des remords.

42 L’employeur a allégué que la sanction imposée dans l’affaire en l’espèce se situait au bas de l’échelle en terme de sévérité d’une sanction dans un tel cas. Par conséquent, elle devrait être maintenue. Malgré les directives répétées de cesser d’être la figure publique des manifestations antiolympiques, le fonctionnaire a adopté un comportement qui, comme il savait ou aurait dû le savoir, ferait l’objet d’une couverture médiatique. Le fonctionnaire serait de mauvaise foi s’il prétendait qu’il ne savait pas qu’il ferait parler de lui lorsqu’il a pris le microphone le 12 février. Compte tenu de ces faits, l’employeur a soutenu que la mesure disciplinaire était justifiée, qu’une suspension de cinq jours était totalement raisonnable et que le grief devrait être rejeté.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

43 Le fonctionnaire a affirmé que les faits relatifs à son grief étaient clairs. Il a soutenu que l’employeur n’avait pas démontré qu’il avait commis une inconduite justifiant une sanction disciplinaire. L’employeur avait le fardeau de démontrer qu’il avait adopté une conduite répréhensible ou illicite de manière préméditée et intentionnelle. Cependant, bien que l’employeur ait dit au fonctionnaire qu’il ne devait pas être identifié dans les médias, il n’a présenté aucune preuve démontrant qu’il avait intentionnellement ou délibérément demandé à être identifié publiquement dans la vidéo. En fait, les preuves ont démontré que le fonctionnaire avait envoyé un courriel à sa superviseure le 26 février 2009 dans lequel il acceptait de ne pas agir à titre de porte-parole de l’ORN.

44 Pour appuyer sa mesure disciplinaire, l’employeur a soutenu que le fonctionnaire avait fait preuve d’insubordination. Toutefois, le terme [traduction] « insubordination » n’apparaît pas dans la lettre disciplinaire. Dans les faits, la seule raison donnée pour justifier la mesure disciplinaire est l’inconduite alléguée que le fonctionnaire avait commise en étant identifié dans une manifestation antiolympique. Il a allégué que l’employeur avait introduit un nouveau motif à l’audience pour appuyer sa mesure disciplinaire. Citant Brown et Beatty, au paragraphe 7:2200, le fonctionnaire a affirmé qu’il n’était pas approprié de modifier les motifs liés à une mesure disciplinaire, et que l’employeur devait s’en tenir aux motifs énoncés dans la lettre du 16 avril 2010.

45 Le fonctionnaire a souligné que les trois témoins avaient expliqué de façon assez détaillée leurs rencontres avec lui visant à renforcer la position de l’employeur relativement à ses activités personnelles. Plus précisément, il a noté que l’employeur lui avait demandé de ne plus être le porte-parole de l’ORN et qu’il s’était engagé à ne plus l’être. Malgré le fait qu’il ait renoncé à son rôle de porte-parole, l’employeur, lorsqu’il s’est rendu compte qu’il participait toujours aux activités de l’ORN, a renouvelé ses efforts pour que le fonctionnaire cesse de participer à ces activités. On a informé le fonctionnaire que ni son nom ni sa photographie ne devaient paraître dans des articles de journaux contestant les Jeux Olympiques. Il était clair que l’employeur n’était pas à l’aise avec les opinions personnelles du fonctionnaire.

46 Le fonctionnaire a indiqué que la décision de Mme Warah était d’une portée générale et restrictive, et qu’elle ne fournissait pas de justification sur la manière dont ses activités violaient le Code ou nuisaient à sa capacité d’exercer ses fonctions objectivement. Cependant, l’employeur s’est appuyé sur cette décision pour justifier sa position.

47 Le fonctionnaire a noté qu’on ne lui avait pas dit qu’il ne devait pas participer à la manifestation. En effet, son congé avait été autorisé. Au cours de la réunion du 9 février avec MM. Wright et Jeffrey, il a été informé qu’il ne devait pas être identifié dans les médias, mais il n’a pas été mentionné qu’il ne pouvait pas participer à une manifestation.

48 Toutes les directives ont été données au fonctionnaire dans le cadre de réunions non disciplinaires. Le fonctionnaire n’a jamais été informé qu’il pouvait être accompagné de son représentant syndical à ces réunions. Ainsi, l’employeur ne pouvait s’appuyer sur ces réunions pour justifier toute mesure disciplinaire ultérieure. De plus, bien que, lors de ces réunions, l’employeur était au courant du comportement du fonctionnaire, il ne lui a pas imposé de sanction disciplinaire, et ce, malgré la suggestion de Mme Warah selon laquelle une mesure devait être prise. Ainsi, on doit juger que l’employeur tolérait le comportement du fonctionnaire. Le fait de prendre en considération tous les incidents antérieurs allégués afin de déterminer la sanction disciplinaire applicable à un seul événement est contraire à l’objet de la sanction disciplinaire.

49 Le fonctionnaire a allégué que le cœur du problème réside dans l’équilibre entre ses droits fondamentaux et son devoir de loyauté envers son employeur. Il a fait valoir qu’il n’avait jamais critiqué publiquement son employeur ou ses programmes. Il a fait l’objet de mesures disciplinaires à cause d’une apparition dans une séquence vidéo de 29 secondes où il tient un microphone devant une foule. Il a affirmé que ce comportement ne constituait pas un manquement disciplinaire, parce qu’il n’avait jamais critiqué publiquement son employeur ni été identifié comme un employé de l’employeur.

50 Selon le fonctionnaire, l’employeur n’a aucune autorité ni compétence relativement aux activités d’un employé à l’extérieur des heures de travail, ni aucun droit de dicter sa volonté en ce qui concerne les organisations ou les groupes auxquels un employé peut appartenir, à moins qu’il ne réussisse à démontrer que ses intérêts opérationnels légitimes sont compromis de quelque façon. Afin de justifier une sanction disciplinaire pour une inconduite commise à l’extérieur des heures de travail, l’employeur doit prouver que le comportement en question a eu un effet négatif sur sa réputation, a rendu l’employé inapte à remplir adéquatement ses obligations ou a nui à la capacité de l’employeur de gérer et de diriger efficacement ses activités. En l’espèce, aucune preuve correspondant à ces critères n’a été présentée. Le fonctionnaire a cité Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41 (C.A.) et Gendron à l’appui de son affirmation. Il a souligné qu’il était impossible de conclure qu’il existait un lien entre les Jeux Olympiques et son emploi.

51 Le fonctionnaire a soutenu que le seul vrai problème était qu’il avait publiquement exprimé son opinion sur un sujet avec lequel l’employeur n’était pas à l’aise. Il a affirmé que son droit fondamental de liberté d’expression devait être protégé. Il a demandé que le grief soit accueilli et qu’on lui rembourse le salaire et les avantages qu’il a perdus en raison de la mesure disciplinaire.

C. Réfutation de l’employeur

52 L’employeur a déclaré que les motifs disciplinaires n’avaient pas été modifiés. L’inconduite mentionnée dans la lettre disciplinaire doit être évaluée dans le contexte de toutes les directives données au fonctionnaire, tel qu’il est indiqué dans la lettre. L’employeur a cité la lettre disciplinaire mentionnée au paragraphe 56 de Duske à titre d’exemple d’une approche similaire utilisée dans un cas d’insubordination lors de circonstances semblables.

53 L’employeur a aussi noté l’engagement du fonctionnaire, tel qu’il est énoncé dans la pièce E-2; cette pièce doit être lue intégralement. Le fonctionnaire a promis de cesser d’être la figure publique de l’ORN.

54 L’employeur a déclaré que pour déterminer si le comportement du fonctionnaire était délibéré, il fallait conclure qu’il savait exactement ce qu’il faisait. Il a démontré, tant par ses actes que par ses aveux, que sa loyauté était divisée.

55 L’article 35 de la convention collective renvoie à une réunion disciplinaire. Il ne comprend pas toutes les réunions que les gestionnaires peuvent organiser avec leurs employés pour donner des directives. Par conséquent, l’employeur n’avait pas à accorder le droit au fonctionnaire d’être accompagné d’un représentant syndical toutes les fois qu’il le rencontrait pour lui donner des directives.

IV. Motifs

56 Les faits en l’espèce ne sont pas contestés. Le fonctionnaire a choisi de ne pas témoigner et de ne présenter aucune preuve. En conséquence, les faits sont ceux établis par le témoignage des témoins de l’employeur.

57 Les preuves ont démontré que le fonctionnaire est un analyste des politiques et que ses fonctions incluent notamment la prestation de conseils et d’information relativement aux revendications territoriales et aux ententes d’autonomie gouvernementale des autochtones dans le cadre du processus de traités de la Colombie-Britannique, et la prestation de conseils sur l’élaboration de lignes directrices pour les négociateurs dans le cadre de négociations fédérales sur des questions d’autonomie gouvernementale et de revendications territoriales. À l’extérieur du travail, il était impliqué activement, à titre de porte-parole, auprès de l’ORN, un groupe qui déclarait publiquement que les Jeux Olympiques étaient tenus sur une terre autochtone volée. Lorsque l’employeur a été informé de l’activité du fonctionnaire en dehors des heures de travail, il a été préoccupé par l’apparence d’un conflit d’intérêts et a ordonné au fonctionnaire de cesser ses activités publiques au sein de l’ORN.

58 Le 12 février 2010, le fonctionnaire a participé à une manifestation antiolympique et s’est adressé à la foule. La participation du fonctionnaire a été captée par vidéo et la partie de cette vidéo dont il est l’objet a été publiée sur Internet. Son nom a été cité. En raison de sa participation à la manifestation, le fonctionnaire a reçu une suspension de cinq jours. Alors que la lettre disciplinaire caractérisait simplement l’infraction d’inconduite, l’employeur a allégué à l’audience qu’il s’agissait d’un pur cas d’insubordination, étant donné que le fonctionnaire avait violé une directive légale.

59 Le fonctionnaire a soutenu qu’en qualifiant l’infraction d’insubordination à l’audience, l’employeur avait modifié les motifs liés aux mesures disciplinaires. Il croyait que l’inconduite mentionnée dans la lettre disciplinaire concernait uniquement sa participation à une manifestation, non pas son défaut de se conformer à la directive de ne pas y participer, qui aurait été de l’insubordination. Il a allégué que l’employeur devrait s’en tenir aux motifs disciplinaires démontrés dans la lettre disciplinaire et ne devrait pas pouvoir invoquer l’insubordination pour justifier la sanction.

60 Le terme inconduite est un terme assez général qui peut englober l’insubordination. J’estime que la lettre disciplinaire faisait état de tous les éléments de l’insubordination. Il renvoie à la fois à l’acte de participer publiquement à une manifestation et aux directives antérieures de ne pas être la figure publique de l’ORN. Bien que je ne crois pas que l’employeur ait modifié les motifs liés à la mesure disciplinaire à l’audience, la distinction qui est contestée par le fonctionnaire n’importerait que si je décidais que sa participation à la manifestation n’était pas une inconduite.

61 Le fonctionnaire a aussi allégué que, pour justifier la sanction pour inconduite, l’employeur devait démontrer qu’il avait adopté un comportement inadéquat ou illégal de manière préméditée et intentionnelle. Il a affirmé que rien ne prouvait que son comportement était prémédité ou intentionnel, puisque l’employeur n’avait pas démontré qu’il avait demandé à être cité dans les médias.

62 Selon moi, qu’il s’agisse d’insubordination ou d’inconduite, la participation du fonctionnaire à la manifestation du 12 février 2010 était inappropriée. Je n’accepte pas son affirmation selon laquelle rien ne prouve que son comportement était intentionnel. Le fonctionnaire n’a peut-être pas demandé à être identifié dans la vidéo, mais il possède assez d’expérience à titre de porte-parole de l’ORN pour me permettre de conclure qu’il savait ou qu’il aurait dû savoir qu’en montant sur scène et en s’adressant à la foule, il s’exposait à une visibilité qu’il avait été ordonné d’éviter. Ainsi, je conclus que son comportement était délibéré.

63 Comme il a été noté, le fonctionnaire n’a pas contesté les faits en l’espèce, même s’il a remis en question leur qualification. Le vrai problème entre les parties est la légitimité de la directive de cesser d’être le porte-parole de l’ORN. Le fonctionnaire a prétendu que l’employeur ne pouvait le sanctionner pour un comportement adopté en dehors des heures de travail, à moins que des preuves ne démontrent que son comportement nuisait à ses activités ou à sa capacité de remplir les obligations liées à son emploi. Il a également soutenu que la directive de mettre fin à sa participation publique au sein de l’ORN constituait une violation de son droit fondamental de liberté d’expression. Il a affirmé qu’il n’avait jamais critiqué publiquement l’employeur, et qu’il n’avait jamais été identifié comme un employé de la fonction publique. De plus, il n’était pas en position d’autorité et ne jouait aucun rôle dans l’élaboration de politiques.

64 L’employeur a allégué que le droit à la liberté d’expression du fonctionnaire n’était pas inconditionnel et qu’il devait faire la balance entre son devoir de loyauté et son obligation de veiller à ce que ses actions personnelles ne nuisent pas à l’apparence publique d’impartialité et de neutralité dans l’exercice de ses fonctions. L’employeur a prétendu que la directive de cesser d’être la figure publique de l’ORN qu’il a donnée au fonctionnaire était raisonnable et justifiable.

65 En règle générale, les tribunaux ont jugé que le droit de liberté d’expression d’un employé de la fonction publique n’est pas absolu, et qu’il doit être en équilibre avec le devoir de loyauté concomitant de l’employé à l’endroit de l’employeur, soit le gouvernement du Canada, découlant de l’intérêt public légitime relativement à l’impartialité et à l’efficacité de la fonction publique (voir, notamment, Fraser, Haydon, Read, Chopra et Gendron). Même si la liberté d’expression d’un employé de la fonction publique n’est pas absolue, il est clair que toute restriction à celle-ci doit être logiquement liée à l’emploi de l’employé et ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’impartialité et d’efficacité de la fonction publique. Comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada dans Fraser, au paragraphe 34, « [une] règle absolue interdisant toute participation et discussion publique par tous les fonctionnaires aurait pour effet d’interdire des activités qu’aucune personne sensée dans une société démocratique ne voudrait interdire ».

66 C’est un fait que le fonctionnaire n’a pas expressément critiqué l’employeur et qu’il n’a pas été identifié comme un employé de la fonction publique. Si la question en l’espèce concernait simplement l’opposition d’un employé de la fonction publique aux Jeux Olympiques, le résultat aurait pu être quelque peu différent. Je ne crois pas que le fait de critiquer les Jeux Olympiques constitue une critique de l’employeur ou de ses politiques, malgré l’appui du gouvernement fédéral à l’égard des Jeux Olympiques. À mon avis, le fait de laisser entendre qu’un employé d’Environnement Canada ne peut pas critiquer les Jeux Olympiques parce qu’Environnement Canada fournit les prévisions météorologiques pour les Jeux Olympiques ou parce que le gouvernement fédéral offre de l’aide financière aux Jeux Olympiques restreint trop la liberté d’expression. Pour justifier une telle restriction d’un droit protégé par la Constitution, il doit y avoir un lien quelconque avec l’emploi du fonctionnaire et un motif raisonnable de croire que l’employé de la fonction publique n’a pas été impartial. Sans cet élément, j’estime que cela rentre dans la catégorie des discussions publiques acceptables par les employés de la fonction publique, comme un chauffeur d’autobus municipal qui parle contre un règlement de zonage lors d’une réunion du conseil municipal (exemple tiré de la décision de la Cour Suprême du Canada dans Fraser).

67 Cependant, la présente affaire va plus loin que l’opposition du fonctionnaire aux Jeux Olympiques. Le motif de cette opposition est la vraie préoccupation. Les preuves présentées à l’audience par Mme Hare et M. Yuma Morisho indiquaient que la principale préoccupation de l’employeur découlait du fait que l’ORN remettait publiquement en question le droit de propriété de la Couronne relativement à la terre sur laquelle les Jeux Olympiques avaient lieu en affirmant qu’il s’agissait d’une terre autochtone volée. Compte tenu du rôle du fonctionnaire à titre de conseiller de la Couronne dans les négociations de traités relatifs aux titres fonciers, l’employeur croyait que la participation publique du fonctionnaire à l’ORN entraînait une apparence de conflit d’intérêts. Mme Warah a confirmé cette croyance. Elle a rendu une décision basée sur le Code de valeurs (pièce E-8), où elle a conclu que la participation du fonctionnaire à l’ORN et à d’autres organisations donnait lieu à un conflit d’intérêts. Elle a donné des directives explicites au fonctionnaire, dont ce dernier aurait dû tenir compte.

68 Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Threader, l’employeur est autorisé à protéger l’impartialité et la neutralité de la fonction publique en ordonnant à ses employés d’éviter les situations de conflits d’intérêts réels ou apparents. La Cour a posé la question suivante, au paragraphe 56 :

Est-ce qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le fonctionnaire, consciemment ou non, sera influencé par les considérations d’intérêt personnel dans l’exercice de ses fonctions officielles?

69 J’estime qu’il est raisonnable de conclure qu’un employé, embauché notamment pour donner des conseils au gouvernement sur les revendications territoriales et la négociation de traités, qui participe publiquement à un groupe dont l’une des croyances est que les Jeux Olympiques ont lieu sur une terre autochtone volée, et dont la signature de courriel pour la correspondance officielle du gouvernement contient une référence au [traduction] « Territoire des Salishs de la côte » est en conflit d’intérêts. La négociation de traités et les revendications territoriales sont de questions délicates, et l’expression publique d’une telle opinion partisane de la part du fonctionnaire n’était pas conforme à son rôle d’employé de la fonction publique.

70 En exprimant une telle opinion partisane en public, j’estime que la situation du fonctionnaire est analogue à celle de la fonctionnaire s’estimant lésée dans Gendron. Dans ce cas, la fonctionnaire s’estimant lésée était administratrice de programmes pour la Direction des langues officielles de Patrimoine canadien, laquelle direction est responsable de la promotion de l’unité canadienne. La fonctionnaire s’estimant lésée est devenue la présidente d’une organisation visant à promouvoir la souveraineté du Québec. Dans ce cas, l’arbitre de grief a conclu que les intérêts personnels de la fonctionnaire la plaçaient en situation de conflit d’intérêts. L’arbitre de grief a indiqué ce qui suit, au paragraphe 176 :

[176] Aucun fonctionnaire n’a l’obligation de faire siennes les convictions de l’employeur. Il s’agit d’un choix personnel pour le fonctionnaire d’accepter un poste qui fait évoluer des valeurs et des intérêts « corporatifs » qui peuvent être en contradiction avec ses valeurs et intérêts personnels. Toutefois, un fonctionnaire ne peut, par devoir de loyauté, laisser ses propres actions affecter de façon néfaste l’accomplissement de son travail ou la crédibilité des actions de son employeur, directement ou indirectement, ou créer une telle perception. En effet, selon la convention constitutionnelle reconnue par la Cour suprême du Canada dans les affaires Fraser et Osborne, un fonctionnaire a le devoir de préserver une perception réelle et apparente d’une fonction publique impartiale et efficace. C’est pour cette raison que des limites légitimes à certaines activités peuvent être imposées aux fonctionnaires, comme à tout autre employé.

71 J’estime que l’employeur a agi dans les limites de ses droits lorsqu’il a demandé au fonctionnaire de cesser ses fonctions publiques au sein de l’ORN. Il s’agit clairement d’une situation dans laquelle l’intérêt public l’emporte sur les intérêts personnels du fonctionnaire. Lorsque le fonctionnaire est monté sur scène le 12 février 2010, il savait qu’il violait la directive qu’il avait reçue et qu’il existait un risque raisonnable qu’il apparaisse de nouveau dans les nouvelles à titre de meneur de l’ORN. Cela ne l’a pas empêché d’agir. Par conséquent, je conclus que l’employeur a démontré que le fonctionnaire avait commis une inconduite pour laquelle il a été sanctionné.

72 Le fonctionnaire a reçu une suspension de cinq jours pour son action. Je ne crois pas que l’employeur, en n’imposant pas de mesures disciplinaires pour les activités antérieures du fonctionnaire à l’ORN, ait toléré le comportement du fonctionnaire. L’employeur a rencontré le fonctionnaire à trois occasions distinctes pour lui expliquer sa position et lui donner des directives. À chaque fois, le fonctionnaire a indiqué qu’il comprenait les directives de l’employeur, et qu’il était d’accord avec ses directives. Comme aucune sanction n’a été discutée ou imposée, je ne considère pas ces réunions comme étant disciplinaires. Je ne crois pas non plus que le fonctionnaire ait eu des raisons de croire que sa participation publique à l’ORN était tolérée. Il est clair que les réunions visaient à fournir de l’information et à mettre le fonctionnaire en garde contre ses comportements futurs. Pour ces motifs, et en prenant en considération la nature de l’infraction et le fait que le fonctionnaire savait qu’il se plaçait en situation de conflit d’intérêts, je conclus qu’une suspension de cinq jours n’était pas excessive.

73 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

74 Le grief est rejeté.

Le 12 mars 2013.

Traduction de la CRTFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

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