Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée était en arrêt de travail pour cause de maladie- l’administrateur général a demandé un rapport d’évaluation de l’aptitude au travail avant de l’autoriser à retourner au travail- la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté un grief selon lequel cette décision était un congédiement implicite ou déguisé- l’administrateur général a soulevé une objection relative à la compétence d’un arbitre de griefpour entendre le grief - la fonctionnaire s’estimant lésée ne s’est pas présentée à l’audience- l’arbitre de grief a conclu que la preuve démontrait que la décision d’exiger un rapport d’évaluation de l’aptitude au travail avant d’autoriser le retour au travail de la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait aucun caractère disciplinaire- en outre, la preuve établissait que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas été licenciée- par conséquent, l’arbitre de grief a conclu qu’elle n’avait pas la compétence pour statuer sur le bien-fondé du grief. Objection accueillie. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-12-18
  • Dossier:  566-02-4578
  • Référence:  2013 CRTFP 163

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JOY THEAKER

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Justice)

défendeur

Répertorié
Theaker c. Administrateur général (ministère de la Justice)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Elle-même

Pour le défendeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Edmonton (Alberta),
le 7 mai et le 22 octobre 2013.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 La fonctionnaire s'estimant lésée (la « fonctionnaire ») allègue avoir fait l'objet d'un congédiement déguisé ou d'une mesure disciplinaire déguisée de la part de l'employeur, lorsque ce dernier lui a demandé de fournir un rapport d'évaluation de son aptitude au travail établi par son médecin avant de l'autoriser à reprendre son poste au ministère de la Justice (l'« employeur ») après un congé de maladie de longue durée.

Résumé de la preuve

2 À l'origine, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'« agent négociateur ») avait renvoyé huit griefs à l'arbitrage. Ces griefs ont par la suite été mis en suspens en attente de la décision qui serait rendue relativement à une plainte déposée par la fonctionnaire à l'encontre de l'agent négociateur et d'un représentant de celui-ci pour manquement au devoir de représentation équitable. Un autre membre de cette Commission a entendu cette plainte, et l'a rejetée. J'ai été nommée à titre d'arbitre de grief afin de trancher les questions demeurées en suspens dans ces griefs.

3 Avant l'audience du 7 mai 2013, l'agent négociateur avait retenu les services d'un avocat indépendant qui représenterait la fonctionnaire relativement à tous les griefs ayant été renvoyés à l'arbitrage. L'avocat n'était pas disponible pour comparaître à l'audience aux dates prévues en mai et il a présenté une demande de report d'audience, laquelle a été refusée. L'agent négociateur a par la suite retenu les services d'un autre avocat qui a pu participer aux conférences préparatoires à l'audience et qui a présenté des observations au nom de la fonctionnaire.

4 La fonctionnaire a remis un certificat médical et demandé un report de l'audience prévue pour le 7 mai 2013. Le certificat médical en question étant trop vague, l'arbitre de grief a demandé que lui soit remis un certificat plus détaillé, ce qu'a fait l'avocat. Le certificat précisait que la fonctionnaire n'était pas apte à comparaître à l'audience prévue du 7 au 10 mai 2013, mais qu'elle le serait dans un délai de quatre à six mois, après avoir suivi un traitement continu. Du fait que plusieurs questions préliminaires étaient demeurées en suspens, notamment des objections concernant la compétence, l'audience allait tout de même avoir lieu le 7 mai 2013, en l'absence de la fonctionnaire, mais en présence de son avocat, afin d'examiner ces questions.

5 Le prononcé de la décision relative aux questions de compétence a été remis à plus tard, en attendant que toute la preuve puisse être fournie. Compte tenu du certificat médical, de la disponibilité de l'avocat et de celle de l'arbitre de grief, il a été décidé de renvoyer à la semaine du 22 octobre 2013 l'audience portant sur toutes les questions en suspens.

6 Peu de temps après, le service des Opérations du greffe de la Commission a été informé que l'agent négociateur avait retiré son appui relativement à tous les griefs que lui avait présentés la fonctionnaire. Cette dernière pouvait néanmoins donner suite aux allégations de congédiement déguisé ou de mesure disciplinaire déguisée sans l'approbation ou le consentement de l'agent négociateur. À la même période environ, le service des Opérations du greffe de la Commission a été informé que l'avocat nommé pour représenter la fonctionnaire s'était retiré des dossiers et que cette dernière se représenterait désormais elle-même.

7 La fonctionnaire a présenté une deuxième plainte à l'encontre de l'agent négociateur pour manquement au devoir de représentation équitable et elle a demandé la suspension de l'audience relative au grief de congédiement déguisé ou de mesure disciplinaire déguisée en attendant qu'une décision soit rendue relativement à la deuxième plainte déposée pour ce même motif. Elle a fait valoir que c'est exactement ce qu'avait fait le président de la Commission lorsqu'elle avait déposé sa première plainte pour manquement au devoir de représentation équitable et donc qu'il ne devait pas y avoir de problème à le faire de nouveau.

8 Le défendeur a refusé tout délai supplémentaire, affirmant qu'un autre délai lui porterait préjudice. Étant donné que l'audience était prévue dans les délais proposés par le médecin en avril 2013 et que l'affaire n'avait pas de lien avec les motifs de la plainte pour manquement au devoir de représentation équitable présentée par la fonctionnaire, cette dernière a été informée que l'arbitre de grief avait ordonné que l'audience ait lieu comme prévu, soit en octobre. Le service des Opérations du greffe de la Commission lui a également fait savoir que les autres dossiers, desquels l'agent négociateur s'était retiré, avaient été classés. Je ne suis pas saisie de la plainte pour manquement au devoir de représentation équitable et, étant donné que le service des Opérations du greffe de la Commission a classé les dossiers de griefs, il ne me reste qu'à trancher le grief alléguant le congédiement déguisé ou la mesure disciplinaire déguisée.

9 La fonctionnaire a porté en appel devant la Cour fédérale la décision concernant le report de l'audience et la décision de classer les autres dossiers. À la date de l'audience, la Cour fédérale n'avait pas émis d'ordonnance visant à en empêcher la tenue. La Commission n'avait pas non plus reçu d'autres demandes de report de la part de la fonctionnaire. L'avocate de l'employeur s'est présentée au moment et à l'endroit prévus; elle était prête à débattre de la question de la compétence remise depuis l'audience du mois de mai 2013, ainsi que de son bien-fondé. La fonctionnaire était absente, et personne ne l'a représentée.

10 Il se dégage clairement de l'examen du dossier que le service des Opérations du greffe de la Commission avait informé la fonctionnaire, tant par lettre que par courrier électronique, de l'heure et de l'endroit auxquels l'audience aurait lieu. Après la tenue de l'audience, la fonctionnaire a avisé le service des Opérations du greffe qu'elle savait que l'audience avait eu lieu et qu'elle avait en sa possession des certificats médicaux pour excuser son absence. Elle a informé le service des Opérations du greffe qu'elle les présenterait, ce qu'elle a fini par faire. Il convient de souligner qu'au moins un des certificats portait une date antérieure de deux semaines à la date de l'audience et que, malgré tout, la fonctionnaire n'a pas demandé de report ni présenté le certificat médical en question au service des Opérations du greffe de la Commission avant la tenue de l'audience.

11 L'audience a donc eu lieu en l'absence de la fonctionnaire, comme elle en avait été informée.

12 L'employeur a affirmé que je n'avais pas la compétence pour entendre l'affaire, car pour que je puisse exercer ma compétence, il faut qu'il y ait eu une mesure disciplinaire entraînant le licenciement ou une sanction pécuniaire afin que la fonctionnaire puisse aller de l'avant sans le concours de l'agent négociateur. Ce ne sont pas toutes les répercussions d'ordre financier qui constituent une sanction pécuniaire, et le fait de demander un certificat médical à l'employé ne constitue pas non plus une sanction.

13 Paul Shenher a témoigné pour le compte de l'employeur. Tout au long de la période visée par la présente affaire, il occupait le poste de directeur général régional par intérim de la région des Prairies, au ministère de la Justice. Il était responsable des opérations du ministère de la Justice dans toutes les provinces des Prairies et délégataire des principaux pouvoirs en matière de ressources humaines et de finances pour la région. La fonctionnaire travaillait alors au Service des finances, au bureau régional du ministère de la Justice. Elle relevait de l'agente principale des finances, Roberta Luk. La relation entre la fonctionnaire et ses collègues était tumultueuse, tout comme sa relation avec Mme Luk.

14 Mme Luk rencontrait M. Shenher toutes les deux semaines pour discuter du fonctionnement du Service des finances. Lors de ces réunions, ils avaient eu l'occasion de parler des problèmes que connaissait la fonctionnaire au travail et de son absence pour cause de maladie en 2009. La fonctionnaire a présenté un certificat médical daté du 22 mai 2009, expliquant qu'elle n'était pas apte au travail depuis le 15 mai 2009 et que la date de son retour n'était pas déterminée (pièce 12). Le 27 mai 2009, la fonctionnaire a présenté une demande de congé de maladie (payé et non payé) devant prendre fin le 31 mars 2010 (pièce 11). Le 14 août 2009, elle a envoyé un courriel à Mme Luk pour lui annoncer qu'elle avait un billet du médecin disant qu'elle pourrait reprendre le travail le lundi suivant, soit le 17 août 2009 (pièces 10 et 13).

15 Mme Luk a consulté M. Shenher pour lui demander comment aborder la situation, compte tenu de la relation tumultueuse que la fonctionnaire entretenait au travail, de l'absence de préavis et des rapports contradictoires du médecin. M. Shenher a convenu avec Mme Luk qu'il fallait obtenir d'autres renseignements médicaux avant d'autoriser la fonctionnaire à retourner au travail. Il était nécessaire d'obtenir ces renseignements pour veiller à ce que le retour au travail de la fonctionnaire se déroule bien, tant pour elle que pour ses collègues. M. Shenher et Mme Luk ont consulté le Service des ressources humaines au sujet du plan d'action qu'ils envisageaient de mettre en œuvre. On leur a fait savoir que ce plan était approprié, vu les changements qui étaient brusquement survenus et l'absence de détails sur le billet du médecin.

16 La fonctionnaire a finalement fourni les détails demandés et a été réintégrée à la liste de paye en septembre 2009. Elle n'est cependant pas retournée au travail et a été admise par la suite au titre de l'assurance-invalidité. Depuis, elle est une employée en congé sans solde qui touche des prestations d'invalidité.

17 En 2009, il fallait obtenir l'approbation du sous-ministre pour pouvoir licencier un fonctionnaire nommé pour une période indéterminée. Si l'intention avait été de congédier la fonctionnaire, M. Shenher aurait dû participer activement aux discussions et au processus. Il aurait dû demander l'approbation du sous-ministre avant de pouvoir procéder à un licenciement. Selon le protocole en place à l'époque, il aurait dû faire parvenir sa demande au sous-ministre par l'entremise d'un sous-ministre adjoint. Or, il n'a jamais présenté une telle demande. Il n'y avait aucune intention de congédier la fonctionnaire. M. Shenher ne se rappelle pas qu'il ait été question de prendre des mesures disciplinaires à l'encontre de la fonctionnaire, ni à l'époque ni depuis lors.

18 M. Shenher ne sait pas si le poste qu'occupait la fonctionnaire existe toujours, le programme de réaménagement des effectifs annoncé en mars 2013 ayant eu des répercussions sur le Service des finances. À sa connaissance, la fonctionnaire reçoit encore des prestations d'invalidité.

Résumé de l'argumentation

19 Dans le cadre de l'arbitrage des griefs, le fardeau de la preuve incombe normalement au fonctionnaire s'estimant lésé. Dans les cas d'allégations de mesures disciplinaires, il revient à l'employeur de justifier, d'une part, les motifs pour lesquels il a imposé de telles mesures et, d'autre part, le caractère approprié de la sanction imposée; il n'est pas appelé à prouver une thèse négative. Il incombe au fonctionnaire s'estimant lésé de persuader l'arbitre de grief qu'il a fait l'objet d'un licenciement ou de mesures disciplinaires (voir : Gorsky, Usprich, Brandt et Wilson, Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration [1994], volume 1, aux pages 9 à 19). En cas de litige concernant l'existence d'une mesure disciplinaire, le critère qui s'applique au fonctionnaire s'estimant lésé consiste à prouver qu'il a bel et bien fait l'objet d'une mesure disciplinaire. En l'espèce, Mme Theaker n'ayant fourni aucun élément probant permettant d'établir un tel fait, il n'y a pas de mesure disciplinaire.

20 En vertu de l'article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la Loi), la fonctionnaire devait avoir fait l'objet d'une mesure disciplinaire de la part de l'employeur pour que l'arbitre de grief puisse être saisie du grief. L'employeur a établi que la fonctionnaire n'a pas fait l'objet de mesures disciplinaires ni d'un congédiement. Dans la situation contraire, M. Shehner aurait eu un rôle à jouer. Or, ce dernier a prouvé, sans que sa preuve soit réfutée, que tel n'a pas été le cas.

21 L'employeur n'avait pas l'intention de prendre des mesures disciplinaires lorsqu'il a demandé à la fonctionnaire de fournir des détails d'ordre médical avant de l'autoriser à reprendre ses fonctions. Ce ne sont pas toutes les mesures prises par l'employeur qui constituent des mesures disciplinaires. L'intention de l'employeur est un des facteurs essentiels à évaluer pour déterminer si un fonctionnaire a fait l'objet d'une mesure disciplinaire. Pour déterminer qu'un fonctionnaire a fait l'objet d'une mesure disciplinaire déguisée, il convient d'examiner les effets sur le fonctionnaire des mesures prises par l'employeur. Si l'incidence est disproportionnée par rapport aux fins administratives recherchées, la décision peut être considérée comme une mesure disciplinaire. Cependant, lorsque la justification de l'employeur se fonde sur des facteurs purement opérationnels, ce critère n'est pas rempli (voir : Canada [Procureur général] c. Frazee, 2007 CF1176, aux paragr. 19 à 24).

22 Dans Frazee,la Cour fédéralea défini au paragr. 25 d'autres facteurs à prendre en considération pour déterminer si l'employeur a pris une mesure disciplinaire. En l'espèce, les mesures prises par l'employeur reposent sur un désir réel de faire en sorte que le retour au travail de la fonctionnaire se déroule efficacement. Elle s'était en effet absentée pendant un certain temps et allait revenir au travail plus tôt que prévu. La demande de l'employeur n'avait aucun effet sur les chances d'avancement de la fonctionnaire. Il n'y a eu aucune conduite coupable ou à rectifier de la part de la fonctionnaire, et l'employeur n'avait pas l'intention de corriger la conduite de celle-ci.

23 Dans Canada (Procureur général) c. Basra, 2008 CF 606, la Cour fédérale s'est penchée sur ce qui constitue une mesure disciplinaire dans le contexte du travail et ce qui n'en constitue pas. La Cour a conclu que l'arbitre de grief avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l'intention de l'employeur de suspendre le fonctionnaire. La Cour d'appel fédérale a confirmé cette décision dans Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24.

24 Lorsqu'il a demandé d'autres renseignements médicaux, l'intention de l'employeur était d'obtenir suffisamment d'information pour veiller à ce que le retour au travail de la fonctionnaire se déroule bien. Le fait de demander des renseignements médicaux supplémentaires et de ne pas autoriser la fonctionnaire à retourner au travail avant de les avoir obtenus ne constitue pas une mesure disciplinaire. Il n'est pas déraisonnable que des professionnels sans formation médicale demandent des preuves d'ordre médical concernant l'aptitude au travail lorsqu'un fonctionnaire était en congé de maladie pendant une période prolongée et que celle-ci est subitement modifiée. Les questions concernant la santé des employés ne constituent pas des mesures disciplinaires (voir : Hood c. Agence canadienne d'inspection des aliments, 2013 CRTFP 49).

25 Dans Ho c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 114, l'arbitre de grief s'est penchée sur sa compétence de trancher le grief lorsque le fonctionnaire a soutenu que la décision de l'employeur de ne pas lui accorder une avance de congé de maladie sans preuve médicale devrait être considérée comme une mesure disciplinaire déguisée. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait présenté à l'employeur un billet du médecin ne renfermant aucun détail. L'employeur a demandé des renseignements supplémentaires. Le fonctionnaire ne les lui a fournis que plusieurs semaines plus tard. Le fonctionnaire a reçu une paye à partir de la date à laquelle il avait fourni les renseignements demandés. En rejetant le grief, l'arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé devait démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les mesures prises par l'employeur visaient à lui imposer une sanction disciplinaire (voir les paragr. 48 et 56). En l'espèce, Mme Theaker ne s'est pas acquittée de ce fardeau.

26 Les fonctionnaires sont des personnes nommées à un poste pour une période indéterminée, contrairement aux employés du secteur privé, qui signent un contrat de travail (voir : Canada [Procureur général] c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, aux pages 633 et 634). À l'article 57 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, il est précisé que la durée des fonctions d'un fonctionnaire est indéterminée, sauf si l'administrateur général a prévu une durée déterminée. Dans le présent cas, la fonctionnaire a été embauchée pour une période indéterminée. La Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, prévoit aux articles 11.1 et 12 la manière dont un administrateur général peut licencier un fonctionnaire. La relation qui existe entre l'employeur et le fonctionnaire est donc de nature législative et pas de nature contractuelle.

27 Une mesure visant un congédiement déguisé est liée à un contrat (voir : Harris, Wrongful Dismissal [1989], volume 1, aux pages 3-32.19 à 3.32-26). Une telle mesure ne peut pas s'appliquer à un fonctionnaire (voir : Caron, Employment in the Federal Public Service, à la page 7-73). La Commission a établi qu'on est en droit de se demander si la notion de congédiement déguisé peut s'appliquer à la fonction publique (voir : Gaskin c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 96, au paragr. 69).

28 En common law, la bonne façon d'intenter une poursuite pour congédiement déguisé ou mesure disciplinaire déguisée consiste à poursuivre l'employeur pour lui réclamer des dommages (voir : Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, aux paragr. 33 et 34). En vertu de l'article 236 de la Loi, un fonctionnaire ne peut pas poursuivre l'État (voir : Rinaldi c. Conseil du Trésor [Agence spatiale canadienne], dossiers de la CRTFP 166-02-26927, 26928 et 27383 [19981005], à la page 23). Un fonctionnaire qui n'est pas satisfait de la décision prise par l'employeur doit épuiser les recours internes.

29 En l'espèce, l'arbitre de grief ne dispose d'aucun élément de preuve indiquant un congédiement déguisé ou tout autre type de congédiement. De même, il n'existe aucun élément de preuve indiquant la prise de mesures disciplinaires à l'encontre de la fonctionnaire. Cette dernière a reçu un salaire une fois les renseignements médicaux obtenus en septembre 2009. Par la suite, elle a touché des prestations d'invalidité, et les touche encore, par l'entremise de la société qui fournit les services d'assurance-invalidité de longue durée à la fonction publique. Elle fait toujours partie de l'effectif de l'employeur, à titre de fonctionnaire en congé sans solde.

Motifs

30 L'article 209 de la Loi énonce les questions qui peuvent faire l'objet d'un renvoi à l'arbitrage, comme suit :

Renvoi à l'arbitrage

209. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l'interprétation ou l'application, à son égard, de toute disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s'il est un fonctionnaire de l'administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l'alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l'insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, s'il est un fonctionnaire d'un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

31 La représentante de l'employeur a raison de dire que l'article cité ci-dessus est la source de ma compétence et, à moins que la fonctionnaire puisse établir que les mesures prises par l'employeur constituent une sanction disciplinaire ou correspondent à une des situations mentionnées dans cet article, je n'ai pas la compétence pour rendre une décision en l'espèce. L'employeur m'a convaincue qu'il n'était pas animé par le désir de prendre des sanctions disciplinaires à l'encontre de la fonctionnaire lorsqu'il a appliqué les mesures qui ont retardé sa réinscription sur la liste de paye. Il se peut que le délai qui s'est écoulé entre le moment où l'évaluation de l'aptitude au travail a été demandée et celui où elle a été reçue ait eu des conséquences financières pour la fonctionnaire; à mon avis cependant, une telle demande constitue une réaction raisonnable compte tenu du fait que la fonctionnaire avait avisé subitement l'employeur qu'elle reprendrait le travail sept mois au moins avant la fin prévue de son congé de maladie selon la demande de congé qu'elle avait présentée (pièce 12).

32 Il n'y a en l'espèce aucun indice de mesure disciplinaire, qui est un critère essentiel pour que je sois habilitée à trancher la présente affaire. La fonctionnaire n'a pas fait l'objet d'une suspension pendant que l'employeur attendait les renseignements médicaux demandés. Elle est restée en congé de maladie sans solde, tout comme elle l'avait été immédiatement avant de faire parvenir l'avis annonçant son retour imminent. Une fois les renseignements reçus attestant son aptitude à retourner au travail, elle a été réinscrite sur la liste de paye. Rien n'indique que l'employeur avait l'intention de la punir pour une conduite inacceptable et coupable. Tout comme dans Hood, l'employeur avait de bonnes raisons de demander d'autres renseignements médicaux de sorte que la réintégration dans le milieu de la fonctionnaire se déroule bien et avec succès.

33 Conformément au raisonnement tenu dans Frazee, Hood et Ho, j'ai conclu que l'employeur n'avait pris aucune mesure disciplinaire, déguisée ou camouflée, à l'égard de laquelle je pourrais exercer ma compétence. À la lumière de cette seule conclusion, je n'ai pas la compétence en l'espèce; je me pencherai cependant aussi sur la question de savoir s'il y a eu un licenciement, à l'égard duquel je pourrais exercer ma compétence.

34 La preuve documentaire et le témoignage de M. Shenher établissent clairement que l'employeur n'a pas licencié la fonctionnaire. M. Shenher a décrit une situation professionnelle qui a causé un stress important à la fonctionnaire et à ses collègues. Après un long congé de maladie lié au stress, l'employeur, tout comme l'employeur dans Hood, était fondé, pour des motifs opérationnels, à demander des éclaircissements au médecin de la fonctionnaire afin de s'assurer qu'elle était apte à retourner au travail et de pouvoir prendre les mesures d'adaptation requises, au besoin, pour un retour au travail réussi.

35 Rien n'indique que les mesures prises par l'employeur étaient de nature particulière ou extraordinaire, et rien n'indique non plus qu'elles ont modifié de façon importante les conditions d'emploi de la fonctionnaire. On s'attend à ce que tous les employés collaborent avec l'employeur pour réussir leur réintégration au travail après un long congé de maladie. En outre, rien ne prouve qu'on avait l'intention de modifier un comportement inacceptable manifesté par la fonctionnaire. De fait, les éléments de preuve fournis par M. Shenher indiquent que la fonctionnaire n'avait pas fait l'objet d'une mesure disciplinaire.

36 Rien n'établit que la fonctionnaire a fait l'objet d'un licenciement justifiant que je sois saisie de l'affaire. Une analyse du dossier, les documents fournis par la fonctionnaire ou fournis en son nom et les éléments de preuve présentés par l'employeur, de vive voix et par écrit, sont autant d'éléments qui me convainquent que tel n'est pas le cas.

37 L'employeur a présenté suffisamment d'éléments probants pour me convaincre que je n'ai pas la compétence pour instruire cette affaire.

38 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

39 Le grief est rejeté.

Le 18 décembre 2013.

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,
arbitre de grief

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