Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a travaillé comme agente des services frontaliers (ASF) dans le cadre d’une suite de nominations à durée déterminée - la nomination était conditionnelle à ce qu’elle réussisse au programme d’évaluation des agents des services frontaliers - la fonctionnaire s’estimant lésée est tombée enceinte et a pris un congé de maternité de 88 jours, après quoi elle est retournée au travail et a obtenu d’autres nominations à durée déterminée - une place s’est enfin libérée au programme de formation, mais la fonctionnaire s’estimant lésée a échoué aux examens et a été licenciée - au moment de son licenciement, il lui manquait 14 jours de service cumulé pour atteindre le seuil de 1 095 jours requis pour que l’Agence des services frontaliers (ASFC) soit tenue de convertir son statut à celui d’une employée nommée pour une période indéterminée - si elle avait acquis ce statut, l’ASFC aurait alors été obligée de lui offrir tout autre poste disponible pour lequel elle était qualifiée au lieu de la licencier - elle n’avait pas accumulé le nombre de jours requis à cause de son congé de maternité - au moment où elle a commencé son congé de maternité, la politique de l’employeur prévoyait que toute interruption de service de plus de 60 jours devait être exclue du calcul - en 2008, le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) a rendu une décision portant sur cette même politique et statué qu’elle était discriminatoire - le Conseil du Trésor a modifié la politique de manière à se conformer à l’ordonnance du TCDP, sans demander un contrôle judiciaire de la décision, ne l’appliquant toutefois pas de manière rétroactive au cas de la fonctionnaire s’estimant lésée, invoquant que son congé de maternité avait eu lieu avant la décision rendue par le TCDP - l’employeur s’est opposé à ce que la fonctionnaire s'estimant lésée puisse invoquer la clause 38.01 (Congé de maternité non payé) de la convention collective, car cette clause n’avait pas été expressément mentionnée dans le grief - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que la clause 38.01 ait été discutée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et a donc donné droit à l’opposition de l’employeur - la question véritable consistait à savoir si la politique était discriminatoire et, le cas échéant, si un effet rétroactif pouvait être donné à la décision du TCDP - même si l’arbitre de grief ne s’est pas considéré lié par la décision du TCDP, il a néanmoins conclu qu’elle devrait être considérée comme déterminante pour ce qui est de la question de savoir si la politique devrait être considérée comme discriminatoire - ce serait un abus de procédure de permettre à l’ASFC de remettre en litige la même question - dans l’éventualité qu’il ait erré à cet égard, l’arbitre de grief s’est dit convaincu que le raisonnement dans la décision du TDCP devrait être suivi en l’espèce - par conséquent, il a conclu que la politique était discriminatoire et que cette conclusion devait avoir un effet rétroactif, à l’instar de la décision rendue par le TCDP - une telle conclusion ne serait pas inéquitable envers l’ASFC, alors qu’une décision contraire serait inéquitable envers la fonctionnaire s’estimant lésée - la fonctionnaire s’estimant lésée avait le droit d’obtenir une déclaration disant qu’elle était une employée nommée pour une durée indéterminée et que, en omettant de lui offrir un autre emploi disponible, l’ASFC avait violé les obligations lui incombant en vertu de la convention collective - la fonctionnaire s’estimant lésée ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’elle avait subi une perte, atténué ses pertes ni que d’autres postes étaient disponibles - l’arbitre de grief a conclu qu’il ne serait pas approprié en l’espèce d’ordonner le versement d’une indemnité en compensation de la perte de salaire et d’avantages - la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas établi qu’elle avait droit à des dommages généraux en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), n’ayant pas présenté de preuve à cet égard - elle n’a pas non plus établi son droit aux dommages prévus au paragraphe 53(3) de la LCDP en raison d’un acte délibéré ou inconsidéré de la part de l’ASFC - la politique n’a pas été appliquée de mauvaise foi par l'employeur - ni l’une ni l’autre des parties n’ayant présenté de preuve au sujet de ce qui se serait produit si la fonctionnaire s’estimant lésée avait acquis le statut de fonctionnaire nommée pour une période indéterminée, l’arbitre de grief a donné instruction aux parties d’examiner le dossier et d’établir la situation dans laquelle la fonctionnaire s’estimant lésée aurait été si son statut avait été celui d’une employée nommée pour une période indéterminée et de mettre en œuvre le résultat de cet examen - l’arbitre de grief est demeuré saisi de l’affaire dans l’éventualité où les parties ne parviendraient pas à s'entendre sur les mesures de redressement. Dossier de grief 566-02-4645 retiré; dossier clos par ordonnance. Dossiers de griefs 566-02-4646 à 4648 accueillis en partie; instructions données.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-03-25
  • Dossier:  566-02-4645 à 4648
  • Référence:  2013 CRTFP 30

Devant un arbitre de grief


ENTRE

KAREN GRIERSON-HEFFERNAN

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Grierson-Heffernan c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Augustus Richardson, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Douglas Hill, agent aux griefs et à l’arbitrage, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate, Conseil du Trésor

Affaire entendue à Fredericton (Nouveau-Brunswick),
du 29 au 31 janvier 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Introduction

1  Les quatre dossiers dont je suis saisi portent essentiellement sur des questions de droit plutôt que de fait. De plus, ils soulèvent certaines questions délicates quant aux mesures de redressement.

2 Les parties ont convenu que la convention collective en vertu de laquelle ces quatre griefs ont été présentés (malgré sa date d’échéance) est celle conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (groupe Services des programmes et de l’administration) qui venait à  échéance le 20 juin 2007 (la « convention collective », pièce U2).

3 En 2007, la fonctionnaire s’estimant lésée, Karen Grierson-Heffernan (la « fonctionnaire »), était une agente des services frontaliers (« ASF ») classifiée au groupe et niveau FB-03. Elle avait commencé à travailler au service de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») en 2004 à titre d’inspectrice des douanes, et est ensuite devenue une ASF. Tout au long de cette période, elle était embauchée par l’intermédiaire d’une série de nominations pour une période déterminée. Sa nomination à titre d’ASF était conditionnelle à ce qu’elle réussisse le programme d’évaluation des agents des services frontaliers à Rigaud (Québec) (le « programme de Rigaud »; pièce E1, onglet 20), une exigence liée à sa nomination.

4 La fonctionnaire a suivi le programme de Rigaud durant l’été 2007. Elle a échoué. Le 28 août 2007, en raison de son échec, elle a été licenciée de son emploi au sein de l’ASFC (pièce E1, onglet 20).

5 Au moment de son licenciement, la fonctionnaire cumulait 1 081 jours de service. Si sa période cumulative de travail avait été de 1 095 jours ou plus, elle aurait été considérée comme une employée nommée pour une période indéterminée. Si elle avait eu ce statut le 28 août 2007, l’ASFC aurait été obligée de lui offrir n’importe quel poste disponible pour lequel elle possédait les qualifications requises à titre de remplacement de son emploi d’ASF.

6 Il n’est pas contesté par les parties que la raison pour laquelle la fonctionnaire ne cumulait pas 1 095 jours ou plus de service au 28 août 2007 était qu’elle avait pris un congé de maternité en juillet 2005. À cette époque, la « Politique sur l’emploi pour une période déterminée » (la « Politique ») du Conseil du Trésor (pièce E1, onglet 7), prévoyait que toute interruption de service de plus de soixante (60) jours civils consécutifs devait être exclue dans le calcul de la période cumulative de travail. Comme l’ASFC n’a pas inclus le congé de maternité de la fonctionnaire dans le calcul, la date à laquelle elle aurait acquis le statut d’employée nommée pour une période indéterminée était le 11 septembre 2007 (la « date de titularisation » de la fonctionnaire). Or, si son congé de maternité avait été pris en compte dans le calcul, sa date de titularisation aurait été le 15 juin 2007 (pièce E19). Dans un tel cas, elle aurait pu se prévaloir du statut d’employée nommée pour une période indéterminée le 28 août 2007, et l’ASFC aurait alors été obligée d’essayer de lui trouver un autre poste au lieu de simplement la licencier.

7 C’est dans ce contexte que s’inscrivent les quatre griefs que la fonctionnaire a présentés pour les motifs exposés ci-après :

  1. son licenciement était arbitraire, déraisonnable et injustifié, notamment en raison de lacunes alléguées dans le programme de Rigaud (dossier de la CRTFP 566-02-4645);
  2. le défaut de l’ASFC de prendre en compte son congé de maternité dans le calcul de sa période cumulative de travail était discriminatoire et contrevenait à l’article 19 de la convention collective (dossier de la CRTFP 566-02-4646);
  3. l’ASFC a agi de manière discriminatoire à son égard et a violé l’article 19 de la convention collective en procédant à son licenciement (dossier de la CRTFP 566-02-4647);
  4. l’ASFC a agi de manière discriminatoire à son égard et a violé l’article 19 ainsi que diverses autres dispositions pertinentes de la convention collective en procédant à son licenciement (dossier de la CRTFP 566-02-4648).

8 Le 3 janvier 2013, lors d’une conférence téléphonique avec les représentants des parties, j’ai porté à leur attention la décision que j’avais rendue dans Baranyi c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 55. Baranyi traitait d’allégations au sujet du programme de Rigaud qui étaient similaires à celles formulées dans le dossier de la CRTFP 566-02-4645. Puisque je connaissais déjà le fonctionnement du programme de Rigaud, on espérait que les parties n’auraient pas à citer à comparaître autant de témoins. Les discussions ont également porté sur les similitudes entre les plaintes dans les trois autres dossiers et le fait qu’elles portaient plutôt sur des questions de droit et non des questions de fait. Les parties ont été encouragées à tenter de s’entendre, préalablement à l’audience, sur les faits en l’espèce et les questions à trancher.

9 Au début de l’audience, le représentant de la fonctionnaire m’a informé que le grief relatif au programme de Rigaud était retiré (dossier de la CRTFP 566-02-4645). Par ailleurs, les parties n’ont pas pu s’entendre sur la formulation d’un exposé conjoint des faits. Cependant, reconnaissant la nature essentiellement juridique des questions à trancher, elles ont été en mesure de limiter la preuve requise.

10 Voici les témoins qui ont comparu au nom de la fonctionnaire et dont j’ai entendu les témoignages :

  1. elle-même;
  2. Jennifer Campbell, actuellement surintendante de l’ASFC au poste frontalier d’Andover (Nouveau-Brunswick), et supérieure immédiate de la fonctionnaire pendant toutes les périodes pertinentes;
  3. Matthew Demerchant, un ASF actuellement affecté au port de Centreville (Nouveau-Brunswick);
  4. Steve Brawn, un ASF actuellement affecté au port de Woodstock (Nouveau-Brunswick);
  5. Darren Scott, actuellement surintendant des opérations liées aux échanges commerciaux de l’ASFC au port de Woodstock.

11 Voici les témoins qui ont comparu au nom de l’ASFC et dont j’ai entendu les témoignages :

  1. John Dolimount, directeur de district, district du Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick, ASFC;
  2. Sylvia Gunn, actuellement conseillère en rémunération, région de l’Atlantique, ASFC.

12 Je désire souligner que tous les témoins ont témoigné de manière tout à fait transparente. Les faits n’étaient pas vraiment contestés en l’espèce. Certains éléments des témoignages, en particulier ceux de MM. Brawn et Scott, n’étaient pas pertinents et portaient surtout sur ce qu’ils pensaient de la politique de l’ASFC en matière de congé de maternité ou encore de l’argumentation de la fonctionnaire en l’espèce. Comme je l’ai expliqué durant l’audience, une telle preuve d’opinion n’était pas pertinente.

II. Les faits

13 La fonctionnaire est âgée de 41 ans. Elle est mariée. Le moment exact où la fonctionnaire a commencé à travailler à l’ASFC n’a pas été précisé par la preuve. Il a été question d’un travail d’été, à titre d’étudiante. Quoi qu’il en soit, la première lettre d’offre d’emploi officielle présentée en preuve concernait un emploi occasionnel comme inspectrice des douanes (groupe et niveau PM-02) du 23 novembre 2004 au 31 décembre 2004 (pièce E1, onglet 9). Elle a ensuite été nommée à plusieurs reprises pour une période déterminée. Chacune de ses nominations était pour un mandat précis (pièce E1, onglets 10 -19).

14 La fonctionnaire est tombée enceinte vers la fin de l’année 2004. Mme Campbell, sa superviseure de l’époque, a témoigné que, vers le mois de mars 2005, la grossesse de la fonctionnaire était avancée au point qu’il lui était devenu difficile, voire impossible, de porter la ceinture de fonction qui faisait partie de l’uniforme des ASF. Elle a discuté avec la fonctionnaire et les Ressources humaines de l’ASFC au sujet des solutions de rechange. Elle a témoigné que la fonctionnaire n’avait fait aucune demande de mesure d’adaptation particulière. De toute façon, il n’y avait aucun poste dont les fonctions consistent en du travail de bureau disponible dans son district. Les seuls postes disponibles étaient des postes d’ASF, où l’on devait obligatoirement porter la ceinture de fonction. Finalement, avec l’accord des Ressources humaines de l’ASFC, Mme Campbell a décidé d’accorder un congé de maladie à la fonctionnaire pour aussi longtemps que cela était possible. Le congé de maladie a pris fin le 6 juillet 2005. La fonctionnaire a alors pris son congé de maternité dans le cadre du régime d’assurance-emploi (pièce U7).

15 La fille de la fonctionnaire, son premier enfant, est née le 19 juillet 2005. Tout juste avant, la fonctionnaire travaillait dans un magasin de fleurs qui lui appartenait et qu’elle gérait. Aucune preuve n’a été présentée quant au moment où elle a acheté cette entreprise, combien de journées par semaine et combien d’heures par jour elle y travaillait, ou si elle avait des employés qui pouvaient prendre sa relève en son absence. Elle a témoigné qu’elle avait vendu la boutique de fleurs quelques mois après la naissance de sa fille.

16 La fonctionnaire a été en congé de maternité pendant 88 jours. Elle a recommencé à travailler à l’ASFC parce qu’elle était de nouveau capable de porter la ceinture de fonction. Sa nomination pour une période déterminée était toujours en vigueur, et elle voulait faire bonne impression.

17 La fonctionnaire a continué d’obtenir des nominations pour une période déterminée après son retour de congé de maternité. La dernière lettre d’offre d’emploi portait sur la prolongation de la précédente nomination, du 1er avril 2007 au 29 mars 2008 (pièce E1, onglet 19). La lettre d’offre au sujet de la nomination pour une période déterminée précédente était datée du 29 mars 2006 (pièce E1, onglet 16).

18 Au début de 2007, une place semblait être disponible pour la fonctionnaire au programme de Rigaud, et ce, pour l’été. La fonctionnaire savait que sa date de titularisation devrait en principe avoir lieu au cours de l’année 2007. Elle-même, Mme Campbell et les Ressources humaines en avaient parlé. Je suis convaincu, au vu du témoignage de Mme Campbell et des éléments de preuve, qu’à la fin de février 2007, la fonctionnaire comprenait que la position de l’ASFC était que sa date de titularisation était le 12 septembre 2007 (pièce U8).

19 Tel qu’il a été noté, une des conditions d’emploi de la fonctionnaire au poste d’ASF était qu’elle réussisse le programme de Rigaud. Au milieu des années 2000, il y avait une accumulation considérable de demandes au sujet du programme de Rigaud. Il arrivait souvent que des fonctionnaires occupant un poste d’ASF doivent patienter des années avant de pouvoir participer à cette formation. La réussite du cours était, et demeure, une condition de leur emploi auprès de l’ASFC.

20 Le 5 juillet 2007, la fonctionnaire a été avisée officiellement qu’on lui offrait une place dans le programme de Rigaud. Elle a de plus été informée qu’après avoir réussi la formation, elle serait nommée à un poste d’ASF au groupe et niveau FB-03. Elle a également été avisée que si elle échouait la formation, l’offre [traduction] « […] devenait nulle et non avenue, et qu’[elle] ne pourrait plus alors continuer à travailler à titre d’agent des services frontaliers » (pièce U9).

21 Il ressort de la preuve produite à l’audience que la participation de la fonctionnaire au programme de Rigaud n’était peut-être pas absolument nécessaire au moment où elle l’a fait. Elle aurait pu attendre; si elle avait attendu, elle serait arrivée à sa date de titularisation du mois de septembre. Il appert toutefois du témoignage de M. Dolimount qu’il y avait une forte concurrence pour les places au programme de Rigaud. Aussi, plusieurs points d’entrée de son district (notamment celui de Four Falls, au Nouveau-Brunswick, où la fonctionnaire travaillait) étaient de petite taille et saisonniers. Il n’était pas facile de composer avec la charge de travail des effectifs en place afin de compenser l’absence d’un employé qui est en formation à Rigaud. De plus, la fonctionnaire exerçait les fonctions d’un ASF depuis quelque temps déjà; elle avait déjà beaucoup d’expérience pratique. Compte tenu de tous ces éléments, je suis convaincu que la fonctionnaire n’avait pas pensé qu’elle pourrait échouer le programme de Rigaud. Elle ne voulait pas courir le risque d’avoir à attendre une année supplémentaire ou même plus longtemps avant d’être admise au programme de Rigaud. Tant qu’elle était une employée nommée pour une période déterminée, son statut d’emploi était loin d’être sûr. J’étais donc convaincu qu’en arrivant à cette décision, la fonctionnaire n’avait pas été trompée de quelque manière par l’ASFC.

22 À partir de ces faits, je dois conclure que, lorsque la fonctionnaire a entrepris le programme de Rigaud, elle savait que sa date de titularisation n’arriverait pas avant qu’elle ait terminé le programme. Elle savait aussi qu’en cas d’échec, il serait mis fin à son emploi. Elle croyait tout simplement qu’elle n’échouerait pas. Or, elle a échoué.

23 Le 28 août 2007, la fonctionnaire a été avisée par le personnel de Rigaud qu’elle avait échoué. Elle devait partir immédiatement.

24 Le 31 août 2007, M. Dolimount, alors directeur du District Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick, a écrit à la fonctionnaire. Il lui a rappelé que la réussite du programme de Rigaud était une condition de son emploi et que, par conséquent, son échec signifiait qu’il n’était plus en mesure de lui offrir un emploi au sein de l’ASFC. La fonctionnaire a été licenciée. Il a ajouté qu’elle pourrait [traduction] « […] poser à nouveau sa candidature à des concours pour des postes d’agent des services frontaliers […] [mais qu’elle ne serait] pas admissible à participer à la formation obligatoire du programme de Rigaud avant le 28 août 2009, conformément à la politique interne du ministère […] » (pièce U10).

25 Lors de l’audience, M. Dolimount a témoigné que, si la fonctionnaire avait été une employée nommée pour une période indéterminée plutôt que pour une période déterminée, il aurait écrit une lettre différente. En contre-interrogatoire, il a expliqué que [traduction] « […] notre obligation à titre d’employeur aurait été différente [envers quelqu’un qui aurait dépassé la date de titularisation] […] le contenu de la lettre aurait renvoyé à notre obligation d’offrir à la fonctionnaire un autre emploi parmi ceux disponibles ». Il a également témoigné que [traduction] « […] si elle avait dépassé le seuil de trois ans, mon obligation était de lui trouver un autre emploi […] c’est ce que je comprenais de mon obligation ».

26 À l’audience, un exemple d’une telle situation a été fourni lors du témoignage de M. Demerchant. M. Demerchant travaillait à titre d’ASF lorsqu’il est devenu un employé nommé pour une période indéterminée au printemps de l’année 2007. Il est allé à Rigaud en mai 2007. Il a échoué au cours. Cependant, comme il avait déjà été nommé pour une période indéterminée, il n’a pas été licencié de toute opportunité d’emploi. Pendant quelques mois, il a été affecté à des travaux divers au bureau de l’ASFC à Woodstock. On lui a ensuite offert un poste parmi trois postes ouverts à Halifax. En août 2007, il a accepté un poste à l’Unité de formation et d’apprentissage de l’ASFC, à Halifax. Après deux ans, il a de nouveau posé sa candidature à un poste d’ASF, a été accepté, et envoyé à Rigaud. Il a réussi. Il travaille depuis comme ASF.

27 En ce qui concerne le témoignage de M. Dolimount, il a affirmé qu’à partir des informations qu’il avait obtenues des Ressources humaines de l’ASFC, il avait cru comprendre que la fonctionnaire n’avait pas encore atteint sa date de titularisation. Par conséquent, il n’a pas inclus dans la lettre de licenciement une offre d’emploi relativement à un autre poste. Il a simplement mis fin à sa nomination, tout en précisant également (comme il le faisait dans chacune de ces lettres) qu’elle pouvait s’inscrire de nouveau au programme de Rigaud dans deux ans.

28 En août 2007, à la suite de son licenciement, la fonctionnaire a touché des prestations d’assurance-emploi pendant environ un an. Elle a travaillé comme enseignante suppléante pendant un certain temps, mais elle n’a pas aimé ça. Elle a témoigné que son premier « vrai » emploi après août 2007 était un emploi de directrice générale au Castle Inn, à Perth-Andover (Nouveau-Brunswick). Elle pense avoir commencé cet emploi environ deux ans et demi avant l’audience, donc vers l’automne 2010. Toutefois, en contre-interrogatoire, elle a admis que cela aurait aussi bien pu être en 2011.

29 Je conclus que la fonctionnaire n’a pas occupé un travail de manière soutenue entre août 2007 et 2011, où elle aurait commencé à travailler au Castle Inn. Elle a cherché du travail durant cette période mais, comme elle l’a affirmé, [traduction] « […] il n’y a pas beaucoup d’emplois à Perth-Andover ». À partir de cette affirmation, je conclus qu’elle ne cherchait que des emplois localisés à une distance raisonnable de Perth-Andover.

30 La fonctionnaire a témoigné qu’elle était retournée à l’université en 2011.

31 Son deuxième enfant, une fille, est né le 24 avril 2012.

III. La question principale et Lavoie

32 La question principale, dans tous les trois griefs, concerne la version de la politique qui était en vigueur entre le 1er avril 2003 et le 20 juin 2008. Elle prévoyait en outre ce qui suit :

  1. les fonctionnaires peuvent être embauchés en vertu d’un contrat pour une période déterminée;
  2. le recours à l’emploi pour une période déterminée ne doit pas servir de substitut à la dotation de postes pour une période indéterminée;
  3. un employé nommé pour une période déterminée qui a cumulé trois (3) ans (ou 1 095 jours) sans interruption de service de plus de soixante (60) jours civils consécutifs, doit être nommé « […] pour une période indéterminée au niveau égal à celui de son poste d’attache […] » (pièce E1, onglet 7, clause 7.1).

33 Lors de l’application de la Politique, les ministères devaient notamment prendre en compte le fait « [qu]’une période de congé non rémunéré de plus de soixante (60) jours civils consécutifs ne constitue pas une interruption de service, et elle ne sera pas prise en compte dans le calcul de la période de travail cumulative pour une nomination à un poste pour une période indéterminée […] ». (pièce E1, onglet 7, clause 7.2a)). Les parties ont convenu que cela signifiait, en pratique, que quiconque a pris un congé de maternité de plus de 60 jours ne pourrait pas comptabiliser ces journées (c’est-à-dire ses journées d’absence du travail) dans le calcul de la période de travail cumulative.

34 Dans le cas de la fonctionnaire, le libellé de la Politique faisait en sorte que sa date de titularisation aurait été le 11 septembre 2007. Par contre, si elle avait pu comptabiliser ses journées de congé de maternité, sa date de titularisation aurait été le 15 juin 2007.

35 La politique de l’ASFC compte ses détracteurs. Le 19 janvier 2004, Mme Brigitte Lavoie a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien des droits de la personne (le « TCDP »), alléguant que la Politique, en particulier le fait que les jours de congé de maternité ne soient pas comptabilisés, était discriminatoire à l’égard des sexes. Les audiences ont eu lieu les 24, 25, 27 et 28 septembre 2007, et du 21 au 25 janvier 2008. Le TCDP a rendu sa décision le 20 juin 2008 (Lavoie c. Conseil du Trésor du Canada, 2008 TCDP 27). Il a accueilli la plainte de Mme Lavoie. Il est statué, au paragraphe 6, qu’en ne comptabilisant pas le congé de maternité ni le congé parental, la Politique « […] défavorise en cours d’emploi (article 7 de la Loi) les femmes employées à durée déterminée qui prennent un congé de maternité et/ou parental et est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement de ces employées en raison de leur sexe (article 10 de la Loi) ».

36 À titre de mesures de redressement, Mme Lavoie et la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») ont demandé au Tribunal :

  1. d’ordonner au Conseil du Trésor de modifier sa Politique pour en éliminer les aspects discriminatoires;
  2. d’ordonner le dédommagement de Mme Lavoie pour les pertes d’avantages et de salaires dues à la Politique;
  3. le versement d’une indemnité spéciale;
  4. les intérêts.

37 Le TCDP a accordé les quatre mesures de redressement demandées. Les indemnités compensatoires ont couvert des pertes remontant jusqu’en 2002 et 2003 (voir Lavoie, aux paragraphes 185 -197).

38 Le Conseil du Trésor n’a pas interjeté appel de la décision, ni demandé un contrôle judiciaire. Il a modifié la Politique de manière à se conformer à l’ordonnance dans Lavoie. Dans un premier temps, dans un courriel daté du 9 janvier 2009, le Conseil du Trésor a avisé les ministères qu’ils devaient, conformément à Lavoie, [traduction] « […] commencer à comptabiliser, à compter du 20 juin 2008 [date à laquelle la décision dans Lavoie a été rendue], la période de congé de maternité/de congé parental des employées de sexe féminin nommées à un poste pour une période déterminée, dans le calcul de la période cumulative de travail de trois (3) ans » (pièce E1, onglet 5).

39 Dans un deuxième temps, le Conseil du Trésor a procédé à une révision officielle de la Politique. Le 25 novembre 2011, le Conseil du Trésor a avisé le TCDP qu’il [traduction] « […] avait modifié la Politique sur l’emploi pour une période déterminée conformément à l’ordonnance du Tribunal canadien des droits de la personne » dans Lavoie (pièce E3). Le libellé de la nouvelle politique (diffusée le 15 novembre 2011) prévoit notamment qu’une période de congé non rémunéré de plus de soixante (60) jours civils consécutifs ne sera pas prise en compte dans le calcul de la période de travail cumulative pour une nomination à un poste pour une période indéterminée à moins que :

  1. l’employé se soit prévalu de ce congé le 20 juin 2008 ou plus tard;
  2. le défaut de prendre en compte cette période entraîne un acte de discrimination fondé sur un motif illicite, aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1986, ch. H – 6 (pièce E1, onglet 6, paragraphe 7.2a)).

40 Pendant ce temps, les griefs de la fonctionnaire cheminaient lentement dans la procédure de règlement des griefs. Dans sa réponse au premier palier de la procédure de règlement de griefs (datée du 1er novembre 2007), l’ASFC a simplement renvoyé à la politique existante et nié qu’elle allait à l’encontre de [traduction] « […] l’article 19 ou de quelque autre disposition pertinente de la convention collective » (pièce E1, onglet 4). La réponse au deuxième palier de la procédure (datée du 4 décembre 2007) et la réponse au dernier palier de la procédure (datée du 11 janvier 2008), ne faisaient que reprendre l’énoncé formulé dans la réponse au premier palier (pièce E1, onglet 4).

41 Or, le 19 mars 2010, alors que la réponse au dernier palier de la procédure était communiquée, la décision dans Lavoie avait été rendue et le Conseil du Trésor avait déjà modifié la Politique afin d’en supprimer les aspects discriminatoires identifiés dans Lavoie.

42 La réponse au dernier palier de la procédure reprenait le contexte des griefs et le fait que la politique applicable à l’époque ne permettait pas de comptabiliser les congés de plus de soixante (60) jours civils consécutifs. L’employeur a également affirmé ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Vous alléguez que cette mesure a affecté le statut de votre emploi. On m’a avisé que même si votre congé de maternité non payé avait été comptabilisé, votre période cumulative de travail de trois (3) ans n’aurait été atteinte qu’en novembre 2007. Ainsi, votre statut d’emploi n’a pas été affecté par la Politique sur l’emploi pour une période déterminée.

Il convient de noter qu’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du SCT était discriminatoire sur la base des genres. Le SCT a donc modifié la Politique en vigueur le 20 juin 2008, afin d’y inclure les jours de congé de maternité et du congé parental non payés dans le calcul de la période cumulative de travail. Toutefois, puisque votre congé de maternité non payé était du 7 juillet 2005 au 3 octobre 2005, la Politique sur l’emploi pour une période déterminée modifiée ne s’applique pas dans votre cas.

À la lumière de ce qui précède, vos griefs sont rejetés et les mesures correctives demandées ne seront pas accordées.

[…]

43 Je me permets ici de noter qu’à la lumière de la preuve présentée par l’ASFC, telle qu’elle a été acceptée par la fonctionnaire, il y a eu une erreur dans la réponse fournie au dernier palier de la procédure de règlement de griefs par l’employeur. Si le congé de maternité avait été pris en compte, la date de titularisation de la fonctionnaire aurait été le 15 juin 2007, et non en novembre 2007 (pièce E19).

44 Il est évident, et j’en conclus ainsi, que si les modifications ordonnées dans Lavoie avaient été en vigueur en juillet 2005, lorsque la fonctionnaire a entrepris son congé de maternité, elle aurait acquis le statut d’employé nommé pour une période indéterminée le 15 juin 2007. Ceci étant, il ressort également clairement de la preuve que l’ASFC aurait traité son échec à Rigaud en août 2007 d’une manière différente. Au lieu de la licencier, il lui aurait trouvé un autre emploi au sein de l’ASFC.

IV. Objection préliminaire de l’employeur

45 Tant au début de l’audience que lors de ses arguments à la fin de l’audience, l’avocate de l’ASFC s’est opposée à ce que le représentant de la fonctionnaire puisse invoquer la clause 38.01 (Congé de maternité non payé) de la convention collective, plus précisément l’alinéa g) de cette clause, qui se lit comme suit :

Le congé accordé en vertu du présent paragraphe est compté dans le calcul de la durée de l’« emploi continu » aux fins de l’indemnité de départ et dans le calcul du « service » aux fins du congé annuel. Le temps consacré à ce congé est compté aux fins de l’augmentation d’échelon de rémunération.

46 La représentante de l’ASFC a fait valoir que l’article 38 de la convention collective n’était pas expressément mentionné dans les griefs. Les griefs n’évoquent que [traduction] « […] l’article 19 [Élimination de la discrimination] ainsi que diverses autres dispositions pertinentes ». Les termes [traduction] « diverses autres dispositions pertinentes » ne suffisent pas pour établir que les griefs puissent être réputés fondés sur la clause 38.01 de la convention collective. Si la clause sur les congés de maternité ne faisait pas partie des discussions durant la procédure de règlement des griefs, alors aucun arbitre de grief n’a compétence pour en tenir compte en l’espèce; voir Shneidman c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 192; Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.); Baranyi, aux paragraphes 100 et 122.

47 Dans son exposé introductif, la représentante de l’ASFC a admis que, en l’espèce, il me faudrait entendre l’ensemble de la preuve avant de trancher. Elle a réitéré son objection durant sa plaidoirie. J’aborderai cette objection dans mes motifs de décision.

V. Arguments pour le compte de la fonctionnaire

48 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que l’ASFC avait contrevenu à la Politique en omettant d’aviser la fonctionnaire par écrit de l’éventualité de son licenciement.

49 Le représentant de la fonctionnaire a de plus soutenu que l’ASFC avait manqué à son obligation de fournir des mesures d’adaptation à la fonctionnaire durant sa grossesse. L’employeur ne lui a pas offert un emploi de bureau ou un autre emploi qui ne nécessitait pas le port de la ceinture de fonction qui fait partie de l’uniforme des ASF. Il a fait valoir que si elle avait bénéficié de telles mesures, elle aurait travaillé jusqu’à la date prévue et aurait été de retour au travail après l’accouchement, soit à l’intérieur du délai de soixante (60) jours prescrit par la Politique.

50 Le représentant de la fonctionnaire a ensuite invoqué la clause 38.01g) de la convention collective (Congé de maternité non payé), qui prévoit ce qui suit :

Le congé accordé en vertu du présent paragraphe est compté dans le calcul de la durée de l’« emploi continu » aux fins de l’indemnité de départ et dans le calcul du « service » aux fins du congé annuel. Le temps consacré à ce congé est compté aux fins de l’augmentation d’échelon de rémunération.

51 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que les parties à la convention collective sont réputées ne pas avoir eu l’intention d’agir de manière discriminatoire. Partant, le terme « service » employé à la clause 38.01g) de la convention collective doit être interprété de sorte à inclure les congés de maternité. La limite de 60 jours, ou quelque limite que ce soit, relative au nombre de journées de congé de maternité pouvant être comptabilisé aux fins du calcul du « service », n’est mentionnée nulle part. Cela signifie donc que le congé de maternité devait être comptabilisé dans toutes les circonstances. La clause 38.01g), à titre de disposition de la convention collective, ne pouvait pas être tronquée, restreinte ou modifiée de façon unilatérale par l’ASFC. La Politique de l’ASFC constituait pourtant une telle tentative. Cette politique ne peut être maintenue, du moins pas dans la mesure où elle aurait pour effet de limiter les droits conférés par ailleurs en vertu de la clause 38.01g). Bien que l’ASFC soit en droit d’élaborer des politiques visant à régir ses activités, ce droit ne permet pas pour autant d’instaurer des politiques qui ont des conséquences discriminatoires et qui contredisent une clause de la convention collective.

52 Le représentant de la fonctionnaire s’est fortement appuyé sur Lavoie. Il a fait valoir que la Politique en cause avait été jugée discriminatoire, et que les droits de la fonctionnaire devaient être interprétés à la lumière de cette décision. Il a soutenu que je devrais aller dans le sens de cette décision.

53 En ce qui concerne l’objection préliminaire de l’ASFC voulant que les griefs ne mentionnent pas expressément les dispositions sur les congés de maternité énoncées à la clause 38.01 de la convention collective ou qu’elles ne se rapportent pas directement à elles, le représentant de la fonctionnaire a fait valoir qu’il ressortait clairement de l’historique des griefs que l’incidence du congé de maternité et son traitement par l’ASFC étaient une question centrale. Les deux griefs aussi bien que les réponses reçues renvoyaient aux termes [traduction] « diverses autres dispositions pertinentes » de la convention collective; l’emploi de cette tournure, dans les circonstances, était suffisamment large pour englober la clause 38.01, même s’il n’y a pas été expressément renvoyé.

54 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que je devrais accueillir les griefs et ordonner les mesures de redressement qui suivent :

  1. que les jours de congé de maternité de la fonctionnaire soient comptabilisés et déclarer qu’en conséquence la fonctionnaire avait le statut d’employée nommée pour une période indéterminée à compter du 15 juin 2007;
  2. que l’ASFC cesse sa pratique discriminatoire et trouve un emploi à la fonctionnaire au sein de la fonction publique fédérale, dont l’ASFC, au groupe et niveau PM-03 ou supérieur;
  3. que la fonctionnaire soit dédommagée pour la perte de salaire et d’avantages, au groupe et niveau PM-03, à compter de la date de son licenciement, soit le 28 août 2007, jusqu’à la date de ma décision, déduction faite du revenu gagné par la fonctionnaire durant cette période;
  4. que les avantages pouvant être dus par ailleurs à la fonctionnaire en vertu de la convention collective lui soient remboursés, y compris les congés annuels, les cotisations de retraite et les occasions perdues d’effectuer des heures supplémentaires de travail, durant la période visée;
  5. que le versement de dommages au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, soit effectué comme suit :
    1. 20 000,00 $ à titre de dommages généraux,
    2. 20 000,00 $ pour avoir sciemment contrevenu à la Loi;
  6. que des intérêts soient payés sur toutes les sommes précitées au taux d’intérêt de la Banque du Canada à compter du 28 août 2007 jusqu’à la date de la présente décision;
  7. que toute autre mesure de redressement que j’estime convenable afin que la fonctionnaire soit indemnisée intégralement soit mise en place;
  8. que je demeure saisi de l’affaire.

VI. Arguments pour le compte de l’employeur

55 L’avocate de l’ASFC a soutenu que je n’étais pas lié par Lavoie et que si je l’étais ou que si je décidais de suivre cette décision, je devrais conclure qu’il était raisonnable de limiter l’effet de la décision au 20 juin 2008. À l’appui de cet argument, elle m’a renvoyé à la décision de la Cour suprême du Canada dans Procureur général du Canada c. Hislop et al., 2007 CSC 10.

56 Selon l’avocate de l’ASFC, si je devais conclure que la Politique était discriminatoire, à compter du 15 juin 2007 ou à compter du 28 août 2007, alors je n’aurais pas compétence pour ordonner qu’un poste soit fourni à la fonctionnaire au groupe et niveau PM-03 au sein de la fonction publique fédérale. Si j’ai compétence en la matière, celle-ci ne peut s’exercer qu’à l’égard de postes sous la responsabilité de l’administrateur général de l’ASFC. Par ailleurs, je n’ai pas compétence pour nommer la fonctionnaire à un poste particulier au sein de l’ASFC. Une telle décision relève du pouvoir exclusif de l’administrateur général.

57 L’avocate de l’ASFC a de plus fait valoir que, même si on supposait que la fonctionnaire était devenue une employée nommée pour une période indéterminée à compter du mois de juin 2007, elle travaillait toujours dans le cadre d’une nomination pour une période déterminée devant prendre fin le 31 mars 2008. Si l’ASFC n’avait pas réussi à lui trouver un poste avant cette date, elle aurait alors pu la licencier. Cela étant, toute mesure de redressement que je pourrais ordonner ne devrait viser que le nombre de jours compris entre le 28 août 2007 et le 31 mars 2008.

58 En ce concerne les dommages, l’avocate de l’ASFC a fait savoir que le peu de preuve présentée à l’égard des postes disponibles provenait du témoignage de M. Demerchant. Au mieux, il pourrait être conclu qu’en date du 28 août 2007, trois postes à des échelons inférieurs étaient possiblement disponibles à Halifax. Il a pris l’un de ces postes; il en restait donc deux. Or, il n’existe aucune preuve voulant que la fonctionnaire ait été disposée à déménager à Halifax ou soit en mesure de le faire. De même, il n’existe aucune preuve que la fonctionnaire aurait déménagée à Halifax si elle avait été une employée nommée pour une période indéterminée en août 2007.

59 Quant à savoir s’il y a lieu d’accorder des dommages en l’espèce et, le cas échéant, dans quelle mesure, l’avocate de l’ASFC m’a renvoyée à Montreuil c. Comité des griefs des Forces canadiennes, 2007 TCDP 53, Germain c. Groupe Major Express Inc., 2008 TCDP 33, et Cole c. Bell Canada, 2007 TCDP 7, au soutien de la proposition voulant que, bien que je puisse avoir la possibilité d’accorder des dommages, cela ne signifie pas que je sois tenu d’en accorder. Il faut qu’il y ait une preuve de perte ou d’un préjudice attribuables à la mesure discriminatoire. En l’absence d’une telle preuve, aucun dommage ne devrait être ordonné à moins d’un montant minimal.

VII. Analyse et décision

60 En premier lieu, je traiterai la question de l’objection préliminaire.

61 Je suis d’accord que je n’ai pas compétence pour tenir compte de la partie du cas fondée sur la clause 38.01 de la convention collective. Le renvoi passe-partout dans ses griefs aux termes [traduction] « diverses autres dispositions pertinentes » ne suffit pas pour établir, suivant les faits présentés en l’espèce, qu’il a été question de la clause 38.01g) dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Aucune preuve ne m’a été présentée laissant entendre qu’il en avait été question. Bien que je convienne que, de manière générale, la présente affaire porte sur la question des congés de maternité, cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse de « congé de maternité » tel qu’il en est traité dans la clause précitée. La question véritable consiste à savoir si la Politique de l’ASFC contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). En d’autres termes, il s’agit de savoir si l’exercice par l’ASFC de son droit de gestion du milieu de travail contrevenait à la Charte et, le cas échéant, si effet rétroactif découlant de Lavoie pourrait être donné à la fonctionnaire.

62 Même si j’avais compétence, je ne suis pas convaincu que la clause 38.01g) de la convention collective s’applique dans le cas de la fonctionnaire. La clause 38.01g) traite, selon le libellé même de cette disposition, du calcul effectué aux fins de l’indemnité de départ, du congé annuel et de l’augmentation salariale. Il n’y est pas question du cumul des jours de service aux fins de la conversion du statut d’employé pour une période déterminée à celui d’un employé pour une période indéterminée.

63 En ce qui a trait aux arguments de fond formulés par le représentant de la fonctionnaire, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit ici d’une affaire de manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ou, si cela était le cas, que ce soit pertinent en l’espèce. Tout d’abord, il n’y a aucune preuve du fait que la fonctionnaire aurait demandé des mesures d’adaptation en 2005, au moment où elle n’était plus capable de porter la ceinture de fonction des ASF. Ensuite, même en présence d’une telle demande, le fait de lui confier un travail de bureau, par exemple, n’aurait rien changé à sa situation en ce qui concerne la période cumulative de travail. Elle n’aurait pas atteint le nombre de jours requis en vertu de la Politique, et ce, même si elle avait demandé et obtenu des mesures d’adaptation.

64 Je vais aborder maintenant le fond des trois griefs.

65 En l’espèce, trois questions fondamentales sont soulevées :

  1. Est-ce que la conclusion dans Lavoie selon laquelle la Politique comporte des aspects discriminatoires s’applique aux faits et aux griefs en l’espèce?
  2. Si oui, est-ce que cette décision a un effet rétroactif, ou devrait être considérée comme ayant un effet rétroactif, avant sa date de publication, soit avant le 20 juin 2008?
  3. Si oui, quelles mesures de redressement devraient être accordées à la fonctionnaire?

66 J’examinerai ces questions dans l’ordre précité.

A. Est-ce que je suis lié par la décision dans Lavoie?

67 Je ne me considère pas lié par Lavoie au sens strict de la loi. Le TCDP n’a pas été investi de compétence particulière ni de pouvoirs d’examen en appel relativement à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») ou ses arbitres de grief. Aucune disposition de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne prévoit que les arbitres de grief seraient liés aux décisions d’un autre tribunal, peu importe le caractère spécialisé de ce tribunal.

68 Cela dit, je suis convaincu que Lavoie doit être considérée comme étant déterminante lorsqu’il est question de déterminer si la Politique est discriminatoire ou non. J’en suis arrivé à cette conclusion pour deux raisons.

69 En premier lieu, je suis d’avis qu’il s’agit ici d’une situation où il convient d’appliquer le principe de préclusion non mutuel. Ce serait certes un abus de procédure dans les circonstances en l’espèce de permettre à l’ASFC de remettre en litige la même question qui a justement fait l’objet d’une décision défavorable dans Lavoie. L’ASFC s’est fermement opposée à l’allégation voulant que la règle des soixante jours, du moins dans son application à l’égard de ses fonctionnaires de sexe féminin qui prenaient un congé de maternité, soit discriminatoire. Voilà la question que je dois trancher. L’ASFC a perdu la partie, a choisi de ne pas contester cette décision, et a mis en œuvre l’ordonnance formulée dans cette décision. Alors que la fonctionnaire n’était certes pas une partie dans Lavoie, son intérêt et son statut sont, en pratique, les mêmes que ceux de Mme Lavoie : voir à ce sujet, de manière générale, Stevenson c. Bomac Construction, [1986] S.J. no 89 (CA), et Toronto c. SCFP, 2003 CSC 63.

70 Deuxièmement, si je me suis trompé, je suis convaincu pour les mêmes raisons que le raisonnement dans Lavoie devrait être suivi relativement aux faits en l’espèce. On ne ferait pas œuvre utile en ressassant les mêmes enjeux et les mêmes arguments, surtout que l’ASFC, par ses propres actes, a accepté le résultat dans Lavoie.

71  Par conséquent, je conclus que la Politique, tel qu’elle a été appliquée à l’égard de la fonctionnaire, a eu des effets discriminatoires. Partant, elle violait non seulement la Loi canadienne sur les droits de la personne (pour les motifs exposés dans Lavoie) mais également la clause 19.01 de la convention collective, laquelle prévoit en outre ce qui suit :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de […] son sexe […].

72 Je vais aborder maintenant la question plus litigieuse, qui consiste à déterminer si ma décision devrait avoir un effet rétroactif et, en particulier, si elle devrait s’appliquer à une revendication se rapportant à des événements survenus avant le 20 juin 2008.

B. La rétroactivité

73 À mon avis, en me fondant sur les faits propres à ce cas, je suis convaincu que ma conclusion selon laquelle la politique visée était discriminatoire, devrait avoir un effet rétroactif. Ainsi, il en résulterait la décision que la fonctionnaire aurait dû être nommée pour une période indéterminée à compter du 20 juin 2007.

74 Plusieurs raisons justifient une telle conclusion.

75 Tout d’abord, en pratique, c’est exactement ce qui s’est produit dans Lavoie. La plainte de Mme Lavoie portait sur des allégations de discrimination pour des faits remontant à 2002 et 2003. La décision du TCDP, publiée le 20 juin 2008, lui a accordé à titre de mesure de redressement un dédommagement compensatoire pour des pertes survenues bien avant juin 2008. En fait, le redressement remonte jusqu’en 2002.

76 Je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas lieu d’arriver au même résultat en l’espèce. Le fait que ma décision soit rendue en 2013 ne signifie pas que le redressement qui s’impose devrait être refusé relativement à une discrimination ayant eu lieu en 2005 ou en 2007. La politique discriminatoire était en vigueur durant cette période. Elle a eu des répercussions néfastes sur la fonctionnaire (soit le report de la transition vers un statut d’employée nommée pour une période indéterminée). S’il n’y avait pas eu ces répercussions, elle serait demeurée une fonctionnaire le 28 août 2007, malgré son échec au programme de Rigaud.

77 Par ailleurs, une telle conclusion ne serait pas inéquitable envers l’ASFC. La fonctionnaire a présenté ses griefs dans les délais impartis. En outre, elle les a présentés quelques jours seulement avant le début de l’audience de Lavoie. Bien qu’il n’y ait pas eu de preuve directe à cet égard, j’ai du mal à croire que l’ASFC ne savait pas, à un quelconque niveau de sa structure organisationnelle, que les griefs de la fonctionnaire étaient quasi identiques à celui de Mme Lavoie. D’ailleurs, l’ASFC a reconnu que ces deux affaires étaient étroitement apparentées dans sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

78 Je n’ai pas été convaincu par l’argument voulant que Hislop fasse obstacle à ce que ma décision puisse avoir un effet rétroactif antérieur au 20 juin 2008. Hislop n’a pas infirmé le principe général voulant que les jugements ou les décisions judiciaires soient habituellement considérés comme ayant un effet rétroactif. Il a d’ailleurs été reconnu et confirmé dans Hislop qu’une déclaration d’invalidité constitutionnelle en vertu des paragraphes 24(1) et 52(1) et (2) de la Charte valait à la fois pour le passé et pour l’avenir (Hislop, paragraphes 81 et 82). Bien que la règle générale soit que les décisions puissent avoir un effet rétroactif, dans les cas mettant en cause la Charte et portant sur l’invalidité constitutionnelle d’une loi, il est aussi arrivé qu’un tribunal puisse être appelé à limiter la portée de sa décision à l’avenir seulement. Il ressort de ma lecture de Hislop que les facteurs suivants évoqués par la Cour suprême pourraient faire pencher la balance contre la décision de conférer un effet rétroactif à un redressement fondé sur la Charte :

  1. si la déclaration d’invalidité constitutionnelle représente une modification fondamentale du droit;
  2. si on s’était raisonnablement appuyé sur la loi jusqu’à l’époque visée;
  3. si les personnes appliquant la loi jusqu’à l’époque visée ont agi de bonne foi;
  4. l’équité envers les parties;
  5. le respect du rôle du législateur dans l’élaboration des lois et la pondération des besoins des individus au sein de la société.

79 À mon avis, ces facteurs ne s’appliquent pas en l’espèce. Ce litige ne met pas en cause une loi d’application générale qui nécessiterait une pondération judicieuse entre des besoins et des intérêts au sein de la société. Il s’agit ici d’une entente librement négociée entre les parties, bref, d’un contrat. Il s’agit aussi d’une conclusion voulant qu’une des parties ait contrevenu au contrat, fût-ce de bonne foi, ou en raison d’une erreur raisonnable quant au sens à donner à une de ses dispositions, n’a pas normalement pour effet de dénier à la partie subissant le préjudice tout droit à la rétroactivité du redressement qui s’impose. Autrement, cela accorderait à la partie fautive quelque chose auquel les parties ont convenu, par définition, qu’elle n’avait pas droit. Un tel résultat ne confirmerait pas les principes du droit contractuel : au contraire, il en ferait fi.

80 En l’espèce, la Politique de l’ASFC constituait l’exercice de ses droits en vertu de la convention collective; il s’agissait d’un contrat. Ainsi, les parties avaient convenu à la clause 6.01 de la convention collective (Responsabilités de la direction) que, « [s]auf dans les limites indiquées, la présente convention ne restreint aucunement l’autorité des personnes chargées d’exercer des fonctions de direction dans la fonction publique ». Or, il appert qu’en l’occurrence une disposition restreint l’autorité de l’ASFC d’exercer des fonctions de direction en ce qui a trait à la question en litige. Il s’agit de la clause 19.01 de la convention collective, dans laquelle l’ASFC a convenu qu’il n’y aurait « aucune discrimination » à l’égard d’un employé du fait, notamment, de son sexe. L’ASFC a contrevenu à cette disposition lorsqu’elle a formulé une politique dont l’effet est discriminatoire en raison du sexe d’un individu. L’ASFC n’avait aucun droit d’agir ainsi en vertu de la convention collective. Ceci étant, il ne serait ni juste ni raisonnable de refuser à la fonctionnaire le redressement qu’elle recherche au simple motif qu’il s’agirait d’une mesure rétroactive.

81 Je ne puis non plus souscrire à la prétention de l’avocate de l’ASFC voulant qu’une telle décision ouvre la voie à une kyrielle de demandes. Les seuls demandeurs dont les cas pourraient être touchés par cette décision sont ceux où les demandes ont été déposées dans les délais prescrits pour présenter un grief en vertu de la convention collective. Si ces demandes sont déjà en instance, alors la présente décision n’en change pas le nombre. Si elles ne le sont pas, c’est-à-dire si les demandeurs éventuels ont dépassé les délais prescrits pour présenter un grief, alors la présente décision ne leur confère pas davantage le droit de présenter de nouvelles demandes.

82 Par conséquent, je suis convaincu que la fonctionnaire a le droit d’obtenir une déclaration disant qu’elle a acquis le statut d’employée nommée pour une période indéterminée à compter du 15 juin 2007 et que, en omettant de lui offrir un autre emploi disponible le ou après le 28 août 2007, l’ASFC a violé les obligations lui incombant en vertu de la convention collective.

83 Cette déclaration nous amène à la troisième question, la plus épineuse sans doute, soit celle de décider des mesures de redressement qu’il conviendrait d’ordonner en raison de la déclaration précitée.

C. Quel redressement serait approprié?

84 Je traiterai en premier lieu de la question des dommages pécuniaires en lien avec toute perte d’emploi occasionnée par la conduite de l’ASFC.

85 Le témoignage de M. Dolimount était sans équivoque. Le 28 août 2007, si la fonctionnaire avait été une employée nommée pour une période indéterminée, il lui aurait trouvé un autre emploi au sein de sa division. Il considérait qu’il s’agissait là d’une obligation de sa part. Il reste donc à savoir ce qui se serait passé dans ces circonstances et comment cela tranche avec ce qui s’est effectivement passé.

86 Il incombait à la fonctionnaire d’établir la perte qu’elle a subie. Il fallait au moins qu’elle établisse qu’il y avait ou qu’il aurait pu y avoir d’autres postes disponibles auxquels elle aurait pu être affectée après le 28 août 2007. Toute perte qu’elle pourrait établir à ce titre devrait ensuite être contrebalancée par tout revenu qu’elle a gagné ou aurait pu gagner après le 28 août 2007, s’acquittant ainsi de l’obligation qui lui incombait d’atténuer ses pertes. En l’espèce, je n’ai pas été convaincu que la fonctionnaire avait établi la perte qu’elle aurait subie, selon la prépondérance des probabilités. À cet égard, j’ai également été convaincu que l’ASFC avait démontré qu’elle n’avait pas raisonnablement cherché à atténuer au moins une partie de sa perte.

87 En ce qui concerne la question de la perte, il n’y a aucune preuve quant aux postes qui étaient disponibles, selon le cas, dans la région de l’Atlantique de l’ASFC, à compter du mois d’août 2007. Tout ce que l’on sait, c’est que vers la même époque que le licenciement de la fonctionnaire, trois postes étaient disponibles à Halifax. M. Demerchant a comblé un de ces postes. Toutefois, même en tenant pour acquis que les autres postes étaient encore disponibles à compter du 28 août 2007, aucune preuve n’a été présentée par la fonctionnaire qu’elle aurait accepté un ou l’autre de ces postes. L’acceptation de l’un ou l’autre de ces postes aurait nécessité qu’elle déménage à Halifax. Elle avait un jeune enfant et était mariée. Il n’y a aucune preuve selon laquelle elle aurait déraciné sa famille afin d’occuper un de ces postes, ou encore qu’elle y serait allée sans sa famille. Je note également qu’à une question au sujet de ses recherches d’emploi après son licenciement, elle avait répondu qu’il n’y avait pas beaucoup d’emplois à Perth-Andover, ce qui laisse entendre qu’elle n’était pas disposée à regarder plus loin, du moins pas à une distance telle qu’il aurait alors fallu qu’elle déménage. Or, si elle n’était pas disposée à déménager, l’ASFC n’aurait pas été dans l’obligation de la rémunérer pendant qu’elle attendait qu’un autre poste devienne disponible.

88 En ce qui a trait à l’obligation de la fonctionnaire d’atténuer ses pertes, la preuve au sujet de ses activités postérieures au 28 août 2007 est plutôt ténue. Elle était incertaine quant au moment où elle a commencé à travailler à l’auberge Castle Inn. Aussi, il n’y a aucune preuve de quelque tentative de sa part de postuler à un poste d’ASF après le 27 août 2009, date à compter de laquelle il lui aurait été possible de le faire. Cela me paraît particulièrement significatif, d’autant plus que M. Demerchant avait postulé à un tel poste et avait achevé avec succès le programme de Rigaud et obtenu un poste d’ASF. Tout cela mène à la conclusion que la fonctionnaire n’a pas été persistante et constante dans ses efforts visant à atténuer ses pertes. Toute perte attribuable à son défaut d’atténuer le préjudice ne peut être alors indûment réclamée à l’ASFC.

89 Enfin, un fait incontournable demeure, à savoir que toute perte financière subie par la fonctionnaire doit être contrebalancée par le revenu qu’elle a gagné de septembre 2007 à la date de ma décision.

90 Tout cela m’amène à conclure qu’il ne serait pas approprié d’ordonner le versement d’une indemnité pécuniaire pour la perte de salaire et d’avantages du 27 août 2007 à la date de ma décision. La fonctionnaire n’a pas établi le montant de la perte subie. Et même si elle l’avait fait, une partie sinon la totalité de cette perte était attribuable au défaut de sa part d’atténuer ses pertes ou aurait été nécessairement réduite par le montant du revenu qu’elle a gagné, selon la preuve présentée, jusqu’à la date d’audience.

91 Plus précisément, je n’ai pas décidé qu’il était trop compliqué d’évaluer les pertes subies par la fonctionnaire. La difficulté d’évaluer une perte démontrée en preuve n’est jamais un motif suffisant pour ne pas en arriver à une quantification de la perte. Ma décision est fondée sur le fait que la fonctionnaire n’a pas démontré qu’elle avait subi une perte, tel qu’il lui incombait. La situation aurait pu être différente si elle avait démontré qu’en août ou septembre 2007 un autre poste existait qu’elle aurait accepté. J’aurais alors eu la preuve du revenu qu’elle aurait pu gagner, n’eût été son licenciement. Mais, comme je l’ai indiqué précédemment, il n’y a aucune preuve à cet égard.

92 En ce qui a trait à l’attribution de dommages généraux en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans Lavoie, la demanderesse a eu droit à une somme de 5 000,00 $. Pour en arriver à cette somme, le TCDP a observé, au paragraphe 195 que, « […] bien que la preuve ne soit pas étoffée quant aux répercussions morales que les actes l’intimé ont eu sur la plaignante, il est évident par son témoignage que ces événements ont indéniablement affecté Mme Lavoie et ont porté atteinte à sa dignité ». De tels éléments de preuve n’ont pas été présentés à cet égard en l’espèce. Le stress ou l’insécurité financière vêcu par la fonctionnaire est plus directement attribuable à son licenciement découlant de son échec au programme de Rigaud. Cela l’a certes perturbé, et des éléments de preuve à ce sujet ont été présentés par la fonctionnaire. Cependant, ce stress n’était que le résultat indirect de la pratique discriminatoire de l’ASFC à son égard. À mon avis, un minimum de courage doit être attendu des individus, du moins lorsque la pratique discriminatoire visée – une politique se rapportant au calcul d’une période cumulative de jours de travail aux fins de la conversion du statut de l’employée visée – ne constitue pas une attaque frontale personnelle contre les sentiments et la dignité d’un individu. En l’espèce, je conclus que la fonctionnaire n’a pas démontré qu’elle avait droit à un redressement en dommages au titre de l’alinéa 53(2)e).

93 La fonctionnaire n’a pas démontré son droit aux dommages prévus au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne en raison d’un acte délibéré ou malicieux de la part de l’ASFC. Bien que l’effet de la politique de l’ASFC ait été jugé discriminatoire, celle-ci n’a pas été appliquée ni élaborée de mauvaise foi par l’ASFC. L’opinion de l’employeur voulant qu’il soit justifié de s’inspirer de Lavoie pour établir la date d’entrée en vigueur des mesures n’était pas un acte délibéré ou malicieux au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

94 J’aborderai maintenant la question de savoir dans quelle mesure ou comment ma déclaration voulant que la fonctionnaire soit considérée comme étant une employée nommée pour une période indéterminée à compter du 15 juin 2007 devrait être limitée ou appliquée. Il s’agit d’une question à laquelle il m’est difficile de répondre.

95 Je vais examiner cette question en tenant compte du contexte suivant :

  1. n’eût été la violation par l’ASFC de l’article 19 de la convention collective, la fonctionnaire aurait été une employée nommée pour une période indéterminée à compter du 15 juin 2007;
  2. l’ASFC a licencié la fonctionnaire le 28 août 2007 plutôt que de lui offrir un autre poste, comme elle l’avait fait dans le cas de M. Demerchant;
  3. selon la preuve déposée par M. Dolimount, si la fonctionnaire avait été une employée nommée pour une période indéterminée, il se serait senti dans l’obligation de lui trouver un autre poste à l’intérieur de son district;
  4. M. Demerchant a accepté un autre poste à Halifax, à un niveau inférieur, et travaillé jusqu’à ce que deux années se soient écoulées; il s’est alors inscrit de nouveau au programme de Rigaud, qu’il a passé. Enfin, il est devenu un ASF  pour une période indéterminée;
  5. Aucune preuve n’a été présentée voulant que la fonctionnaire aurait accepté quelque poste disponible à Halifax après le mois d’août 2007;
  6. Aucune preuve n’a été présentée établissant ce qui arriverait à un fonctionnaire embauché dans le cadre d’un contrat pour une période déterminée (comme l’était la fonctionnaire en juin 2007), qui devient un employé nommé pour une période indéterminée; il se pourrait que son emploi se termine à la fin du terme prévu, malgré son statut de fonctionnaire nommé pour une période indéterminée, ou qu’on lui trouve un autre poste ou qu’un autre poste s’ouvre à son intention dans l’éventualité où l’emploi qu’il ou elle occupe pour une période déterminée prendrait fin à l’échéance du terme prévu au contrat;
  7. aucun argument n’a été fait ni aucune preuve présentée en ce qui a trait aux différences substantielles entre le libellé des dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (2002), ch. 22, art. 12 et 13, en date du mois d’août 2007, et leur libellé actuel.

96 Il ne saurait être juste ni approprié de priver la fonctionnaire de la possibilité d’un autre emploi qu’elle aurait eue le 28 août 2007, à cause de l’exercice discriminatoire par l’ASFC de ses pouvoirs de gestion. Par contre, il ne serait pas approprié de ma part de la placer dans une meilleure situation que celle dans laquelle elle aurait été si elle avait effectivement été une fonctionnaire nommée pour une période indéterminée en date du 15 juin 2007 ou encore, si l’ASFC avait accueilli son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs après la publication de Lavoie. Ni l’une ni l’autre des parties n’a présenté de preuve au sujet de ce qui se serait produit au mois de juin 2007 si la fonctionnaire avait acquis le statut de fonctionnaire nommée pour une période indéterminée alors qu’elle travaillait dans le cadre d’une nomination pour une période déterminée. Il est vrai que la représentante de l’ASFC a avancé que la situation aurait alors été différente, mais aucune preuve n’a été présentée à cet égard.

97 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VIII. Ordonnance

98 Le grief dans le dossier de la CRTFP 566-02-4645 est retiré et j’ordonne le dossier classé.

99 Les griefs dans les dossiers de la CRTFP 566-02-4646, 4647 et 4648 sont accueillis en partie.

100 Il est ordonné :

  1. que la fonctionnaire soit déclarée avoir acquis le statut d’employée nommée pour une période indéterminée relevant de la compétence de l’administrateur général de l’ASFC à compter du 15 juin 2007;
  2. qu’il soit déclaré que le licenciement de la fonctionnaire en date du 28 août 2007 constituait un manquement aux pouvoirs de l’ASFC en vertu de la convention collective et qu’il est annulé;
  3. qu’il soit déclaré que l’ASFC aurait dû désigner et traiter la fonctionnaire à titre d’employée nommée pour une période indéterminée au sein de la division du Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick de l’ASFC, et ce, à compter du 15 juin 2007;
  4. qu’instruction soit donnée aux parties de mener une enquête et d’établir la situation dans laquelle la fonctionnaire aurait été si son statut avait été celui d’une employée nommée pour une période indéterminée à compter du 15 juin 2007, en tenant compte des conclusions formulées en l’espèce, dans un délai de soixante (60) jours de la date de la présente décision;
  5. qu’instruction soit donnée aux parties de mettre en œuvre le résultat de l’examen précité, sinon d’en arriver à une solution de rechange convenable à la mise en œuvre de ce résultat, dans un délai de quatre-vingt-dix (90) jours de la date de la présente décision.
  6. que je demeure saisi de cette affaire pour une période de quatre-vingt-dix (90) jours afin de donner aux parties le temps de convenir des mesures pertinentes et de les mettre en œuvre de manière appliquer la présente ordonnance. Dans l’éventualité où les parties ne parviendraient pas à mettre en œuvre des mesures convenables aux deux parties dans les délais impartis, j’entendrai les parties quant aux mesures appropriées à prendre pour assurer la mise en œuvre de la présente ordonnance.

Le 25 mars 2013

Traduction de la CRTFP

Augustus Richardson,
arbitre de grief

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