Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été déclaré excédentaire - il a choisi une option en vertu du réaménagement des effectifs qui prévoyait le remboursement des frais de scolarité appuyés par des reçus - la Politique sur le réaménagement des effectifs (PRE) faisait partie de la convention collective - la convention collective et la PRE ne prévoyaient pas de délai pour la présentation de demandes de remboursement de frais de scolarité - en 2006 et en 2007, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté quatre demandes de remboursement de frais de scolarité que l’employeur a acceptées - l’employeur a rejeté une cinquième demande de remboursement que le fonctionnaire s’estimant lésé a présentée en 2010, soit plus de cinq ans après sa démission - le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que l’employeur avait violé la PRE - il a aussi fait valoir que l’employeur avait l’obligation d’informer les employés du délai restreint pour la présentation de demandes de remboursement de frais de scolarité - l’employeur a fait valoir qu’il était implicite qu’une demande de remboursement de frais de scolarité devait être présentée dans un délai raisonnable, et que la cinquième demande de remboursement n’avait pas été présentée dans un délai raisonnable - l’arbitre de grief n’a trouvé aucun motif permettant de conclure à l’existence d’une condition implicite voulant que le remboursement soit demandé dans un délai raisonnable - un plafond financier avait été établi relativement aux frais de scolarité - il n’y avait aucun effet appréciable sur la situation budgétaire ou financière de l’employeur - le moment de la présentation de la demande n’avait aucune incidence sur quelque autre aspect des activités de l’employeur - faute de preuves suffisantes, l’arbitre de grief n’a pas rendu de décision sur la question de savoir si l’employeur avait l’obligation d’informer les employés du délai restreint. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-02-20
  • Dossier:  566-23-4727
  • Référence:  2013 CRTFP 15

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SOL PERELMUTER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

BUREAU DU SURINTENDANT DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES

employeur

Répertorié
Perelmuter c. Bureau du surintendant des institutions financières

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michael Bendel, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Maeve Sullivan, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Sean J. Kelly, avocat, ministère de la Justice

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
le 6 décembre 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Le grief et les faits

1 Le grief de Sol Perelmuter, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), qui était auparavant superviseur principal de groupe et niveau RE‑5, porte sur le droit au remboursement des frais de scolarité prévu dans la Politique sur le réaménagement des effectifs (la « Politique ») du Bureau du surintendant des institutions financières (l’« employeur »), cette politique faisant partie intégrante de la convention collective pertinente intervenue entre l’employeur et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») pour le groupe Employés professionnels (la « convention collective ») et dont la date d’échéance était le 31 mars 2006. Il est plus particulièrement allégué dans le grief que l’employeur aurait contrevenu à l’alinéa 6.3.1 c) de la Politique, qui se lit comme suit :

[Traduction]

Seul l’employé optant qui ne reçoit pas une offre d’emploi raisonnable de son administrateur général aura le choix entre les options suivantes :

c) une indemnité d’études, qui correspond à la mesure de soutien à la transition (MST) (voir option b) ci-dessus) plus un montant n’excédant pas 8 000 $ pour le remboursement des frais de scolarité d’un établissement d’enseignement et les frais de livres et d’équipement requis, appuyés par un reçu. L’employé qui retient cette optionchoisit de démissionner du BSIF et recevra une indemnité de départ au taux de mise en disponibilité le jour de sa cessation d’emploi.

2 L’employeur a refusé de rembourser les frais de scolarité réclamés par le fonctionnaire au seul motif que sa demande de remboursement a été présentée plus de cinq ans après la cessation de son emploi. Bien que la Politique ne précise pas le délai dans lequel le remboursement de cette indemnité doit être demandé, l’employeur a soutenu que la Politique exigeait, de manière implicite, que les fonctionnaires devaient présenter une telle demande de remboursement dans un délai raisonnable, ce que le fonctionnaire n’avait pas fait.

3 Les faits ne sont pas contestés. À cet égard, les parties ont déposé un « Énoncé conjoint des faits », qui se lit comme suit :

[Traduction]

1.  L’employeur est un organisme distinct. Il est le principal organisme de surveillance et de réglementation des institutions de dépôts, des sociétés d’assurances et des régimes de retraite privés fédéraux.

2.  Le fonctionnaire s’estimant lésé est entré au service de la fonction publique fédérale vers le 4 avril 1974.

3.  En 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé occupait un poste de superviseur principal. Ce poste était classé aux groupe et niveau RE‑5. Il s’agit d’un poste syndiqué, assujetti à la convention collective intervenue entre l’employeur et l’agent négociateur pour le Groupe des employés professionnels (ayant comme date d’échéance le 31 mars 2006) […]

4.  Dans une lettre datée du 26 octobre 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a été avisé qu’il était déclaré excédentaire et qu’il n’y avait pas de garantie d’une offre d’emploi raisonnable […] Le fonctionnaire s’estimant lésé avait 56 ans au moment où il a reçu cette lettre.

5.  Le fonctionnaire s’estimant lésé a alors choisi l’option « C » prévue à l’alinéa 6.3.1 (c) de la Politique sur le réaménagement des effectifs du BSIF (la « Politique ») […]

6.  Le fonctionnaire s’estimant lésé a ensuite démissionné, sa démission prenant effet le 18 février 2005 […]

7.  L’employeur a fourni au fonctionnaire s’estimant lésé les sommes brutes suivantes :

a) un paiement forfaitaire d’environ 78 000,00 $ à titre de mesure de soutien à la transition, conformément à la Politique;

b) une indemnité de départ d’environ 50 000,00 $, conformément à la convention collective;

c) le remboursement des frais de conseils en matière de planification financière (à concurrence de 400,00 $), conformément à la Politique;

d) le remboursement des frais de scolarité d’un établissement d’enseignement et les frais de livres et d’équipement requis, appuyés par un reçu (le tout à concurrence de 8 000,00 $), conformément à la Politique.

8. Le 18 février 2005, le fonctionnaire s’estimant lésé et l’employeur ont eu un échange de courriels […]

9.  Vers le 15 mars 2005, le fonctionnaire s’estimant lésé a commencé à fournir des services à titre de comptable autonome à diverses entreprises et organisations dans le cadre de mandats à durée limitée. Le fonctionnaire s’estimant lésé continue jusqu’à ce jour à travailler comme comptable à titre de travailleur autonome.

10. Le 14 février 2006, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande de remboursement au montant de 2 247,00 $ pour des frais se rapportant à divers cours de perfectionnement professionnel de l’Association des comptables généraux accrédités suivis en 2006. Le 21 mars 2006, l’employeur lui a remboursé ces montants réclamés à l’occasion de cette première demande de remboursement.

11. Vers le mois de juillet ou le mois d’août 2006, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté deux autres demandes de remboursement, totalisant cette fois un montant de 1 460,95 $ (soit une deuxième demande de remboursement, au montant de 524,70 $ et une troisième demande de remboursement de 936,25 $) pour des cours de mise à jour en fiscalité en 2006. Le 13 novembre 2006, l’employeur lui a versé une somme totalisant 1 460,95 $ en règlement de ces deux autres demandes de remboursement.

12. Le 21 mai 2007, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une quatrième demande de remboursement, cette fois au montant de 1 325,00 $. […] L’employeur lui a réglé cette quatrième demande de remboursement vers le 8 juin 2007.

13. Le 18 juin 2010, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une cinquième demande de remboursement de frais de scolarité, cette fois au montant de 1 680 $, pour un cours d’examinateur en matière de fraude (la « cinquième demande de remboursement »).

14. Par un courriel daté du 20 août 2010, l’employeur a rejeté la cinquième demande de remboursement […]

15. Le 27 août 2010, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief contestant le rejet de la cinquième demande de remboursement […]

16. Par une lettre datée du 28 septembre 2010, l’employeur a rejeté le grief […]

4 La lettre du 28 septembre 2010 rejetant le grief, signée par Gary Walker, surintendant auxiliaire, Secteur des services intégrés, se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…] L’indemnité d’études prévue dans la Politique sur le réaménagement des effectifs en vigueur au moment de votre départ à la retraite n’était pas assortie d’une disposition indiquant dans quel délai les demandes de remboursement devaient être présentées. Ainsi, ma réflexion sur le bien-fondé de votre grief a été axée sur l’examen des précédents et de ce qui pourrait être qualifié de raisonnable en l’espèce.

Afin d’établir ce qui pouvait constituer un délai raisonnable, j’ai confirmé que le Conseil du Trésor (CT) fournissait une indemnité d’études à titre de « mesure de soutien transitoire », afin de procurer aux fonctionnaires touchés « la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences et de nouvelles connaissances pour les aider à trouver un autre emploi ». Lors de notre rencontre, vous avez indiqué que vous aviez pris votre retraite du BSIF et choisi d’exercer à titre de consultant indépendant, fonctions que vous exercez depuis votre retraite. Par conséquent, je m’interroge sur le fait que l’on puisse toujours être considéré comme étant en transition près de cinq années et demie après être devenu admissible à un tel soutien, en particulier lorsqu’on exerce les mêmes fonctions depuis tout ce temps. Par ailleurs, la période maximale prévue pour le versement du soutien financier de transition est d’une année en vertu de la politique. Il convient de constater que, par coëncidence, votre dernière demande de remboursement avant le mois de juin 2010 a été présentée environ un an après le mois de février 2005, date du début de votre admissibilité, et ce, malgré le fait que vous ayez continué à suivre une formation par la suite afin de rester à jour dans votre discipline.

J’ai également tenu compte de la question des précédents. Je me suis enquis des pratiques existant tant au BSIF qu’au CT afin de déterminer la pratique courante quant au versement des indemnités d’études. L’examen des dossiers a révélé qu’aucune demande de remboursement de frais de scolarité n’avait été présentée plus de deux ans après le début de l’admissibilité. En fait, le CT a transmis au BSIF une fiche d’information publiée en 1998 dans laquelle il est clairement précisé qu’une période de trois ans serait un délai maximal acceptable pour la présentation d’une demande de remboursement et que, à sa connaissance, cela n’avait jamais été remis en cause.

[…]

5 En plus de l’alinéa 6.3.1c) de la Politique, les parties ont renvoyé dans leurs arguments écrits à diverses autres clauses de cette politique, notamment aux dispositions suivantes :

[Traduction]

Dispositions générales

[…]

Convention collective

À l’exception des dispositions dont la Commission de la fonction publique (CFP) est chargée, la présente politique est considérée comme faisant partie des conventions collectives conclues entre les parties. Les employés doivent pouvoir la consulter facilement.

[…]

1.1.29 Le BSIF doit fournir aux employés touchés ou excédentaires une orientation et des renseignements, les plus complets possible et au plus tôt, et tout au long du processus, en affectant à cette fin une personne-ressource à chaque employé touché ou excédentaire. L’orientation comprend des explications et de l’aide en ce qui concerne :

[…]

b) la Politique sur le réaménagement des effectifs;

[…]

f) les droits et obligations de l’employé;

[…]

h) les autres possibilités offertes à l’employé ([…] indemnité d’études […]);

[…]

j) la signification d’une […] indemnité d’études;

[…]

4.1.3  Sous réserve des dispositions du paragraphe 4.1.2, le surintendant peut autoriser jusqu’à deux années de recyclage.

[…]

6.1.1  L’employé n’ayant pas reçu une garantie d’offre d’emploi raisonnable du surintendant dispose d’une période de 120 jours pour examiner les trois options ci-dessous et prendre une décision.

[…]

6.3.3  L’indemnité versée en remplacement de la partie non expirée de la période de priorité d’excédentaire et l’indemnité d’études ne se cumulent avec aucune autre indemnité en vertu de la Politique sur le réaménagement des effectifs du BSIF.

[…]

Les parties ont également renvoyé à la clause 30.01 de la convention collective, qui se lit en partie comme suit :

30.01  Les politiques suivantes font partie de la convention collective :

[…]

4) la Politique sur le réaménagement des effectifs.

II. Argumentation des parties

6 La représentante du fonctionnaire a soutenu que l’employeur devait, dans le cadre du présent arbitrage, s’en tenir uniquement aux motifs invoqués dans la lettre signée par M. Walker datée du 28 septembre 2010 rejetant le grief. Elle s’est opposée à l’affirmation de M. Walker voulant que l’employeur [traduction] « […]fournissait une indemnité d’études à titre de “Mesure de soutien transitoire”, afin de procurer aux fonctionnaires touchés “la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences et de nouvelles connaissances pour les aider à trouver un autre emploi ” ». À son avis, l’indemnité d’études avait été négociée entre l’employeur et l’agent négociateur et n’était pas [traduction] « fournie » unilatéralement par l’employeur. La mention dans la lettre de M. Walker à l’acquisition de [traduction] « […] nouvelles compétences et de nouvelles connaissances pour les aider à trouver un autre emploi […] » n’est pas issue du libellé de la Politique ni de la convention collective, et ne pouvait donc pas servir à circonscrire l’indemnité d’études. M. Walker avait également tort, de l’avis de la représentante du fonctionnaire, de décrire l’indemnité d’études comme constituant une mesure de soutien à la transition, puisque la Politique établissait clairement (dans les dispositions 1.1.29, 6.3.1c) et 6.3.3) qu’il s’agissait de deux mesures distinctes.

7 La représentante du fonctionnaire a observé que la Politique précisait divers délais (en particulier aux paragraphes 4.1.3 et 6.1.1), tout comme dans la convention collective. Elle a soutenu que l’on pouvait déduire de la mention de ces délais que, conformément au raisonnement tenu à cet égard dans Canadian Union of Public Employees, Local 2316 v. Children’s Aid Society of Toronto, [2009] O.L.A.A. no 286 (QL), l’omission de tout délai à l’alinéa 6.3.1c) était délibérée.

8 Selon la représentante du fonctionnaire, l’employeur n’a pas réussi à prouver qu’il subirait un préjudice en accueillant des réclamations comme celles présentées par le fonctionnaire. Elle a de plus renvoyé à la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C‑50, laquelle établit un délai de prescription de six ans, une telle période devant à son avis servir de guide à l’établissement d’une période raisonnable pour la présentation d’une demande de remboursement des frais de scolarité dans le cadre de la Politique.

9 L’avocat de l’employeur a fait valoir que la seule question à trancher était celle de savoir si l’employeur avait contrevenu à la Politique. À son avis, les réponses données précédemment par l’employeur relativement au grief n’étaient pas pertinentes, car il s’agit d’une nouvelle audience et non d’une révision des motifs fournis par l’employeur pour rejeter le grief.

10 L’avocat de l’employeur a aussi soutenu que, bien que la Politique n’énonce pas de délai pour la présentation d’une demande de remboursement comme celle présentée par le fonctionnaire, l’arbitre de grief devrait conclure à l’existence d’une condition implicite, selon laquelle une telle demande devait être présentée à l’intérieur d’un délai raisonnable. En effet, lorsqu’une entente prévoit qu’une partie doit exécuter une prestation et ne prévoit pas de délai à l’intérieur duquel cette prestation doit être exécutée, la loi fera présumer d’un délai d’exécution raisonnable dans l’entente : Ring Contracting Ltd. v. Aecon Construction Group Inc. 2006 BCCA 304; Skipper Online Services (SOS) Inc. (c.o.b. Boaterexam.com) v. 2030564 Ontario Inc. (c.o.b. Boatsmart Canada), 2012 ONSC 1852 (accueilli dans 2012 ONCA 606); Halsbury’s Laws of England, vol. 97, 5e éd. (2010), au paragr. 349; Chitty on Contracts, 27e éd. (1994), au paragr. 21‑017. Les arbitres de différends et arbitres de grief ont appliqué ce principe de façon régulière dans le cadre de leurs décisions : Union of Canadian Correctional Officers ‑ Syndicat des agents correctionnels ‑ CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 120; Canadian Pacific Railway Co. Mechanical Services v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada (CAW‑Canada), Local 101, [2004] C.L.A.D. no 9 (QL); Hamilton‑Wentworth (Regional Municipality) Police Services Board v. Hamilton‑Wentworth Police Association (2002), 105 L.A.C. (4e) 139; Public Service Employee Relations Commission v. British Columbia Government and Service Employees Union, [1996] B.C.C.A.A.A. no 418 (QL).

11 De l’avis de l’avocat de l’employeur, les parties ont dû envisager que la formation entreprise par un ancien employé, comme dans le cas du fonctionnaire, devait s’achever à l’intérieur d’un délai raisonnable. Si les parties avaient étudié la question, elles auraient sans hésitation souscrit à une telle proposition. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’on connaît l’objectif évident de l’indemnité d’études prévue dans la Politique, qui est d’aider les anciens employés à trouver un nouvel emploi, un objectif qui n’aurait aucun sens s’il fallait envisager plusieurs années pour y arriver. La prétention de l’agent négociateur à cet égard mènerait à une absurdité, un résultat que l’on doit éviter lorsqu’on cherche à interpréter les conventions collectives : Catherine Billett c. Conseil du Trésor (ministère des Anciens combattants), 2006 CRTFP 28, et CSA International v. Canadian Union of Public Employees, [2001] O.L.A.A. no 605 (QL).

12 L’avocat de l’employeur a fait valoir qu’une période de cinq ans et demi constituait une période supérieure à la période implicitement convenue entre les parties pour présenter une demande de remboursement des frais de scolarité. Une période raisonnable devrait être établie au cas par cas, en tenant compte notamment de l’âge du fonctionnaire, de ses années de service, de sa position et de son aptitude à obtenir un autre emploi, en plus de la nature et de la disponibilité du type de formation à acquérir. Il serait également pertinent d’examiner l’historique des demandes de remboursement présentées pour le remboursement des frais de scolarité dans le cadre de la Politique. Il en ressort alors clairement qu’une période de cinq ans et demi n’était pas raisonnable dans les circonstances.

13 En réplique à l’argumentation, la représentante du fonctionnaire a souligné que si le fonctionnaire avait été avisé du fait que l’employeur cesserait de le rembourser après un certain temps, il aurait agi en conséquence. Il était donc injuste de la part de l’employeur d’avoir omis de donner un tel préavis au fonctionnaire. Cette observation était également renforcée par le paragraphe 1.1.29 de la Politique qui oblige l’employeur à informer les fonctionnaires de leurs droits et obligations sous le régime de la Politique. Qui plus est, contrairement aux arguments de l’employeur, la Politique ne subordonnait pas le droit au remboursement des frais de scolarité à la recherche d’un autre emploi. La représentante du fonctionnaire a de plus souligné que le fonctionnaire n’était pas une partie à la convention collective, mais simplement un bénéficiaire de celle-ci, et a demandé si un arbitre de grief pouvait à bon droit conclure qu’une entente comprenait une condition implicite pouvant opérer au détriment d’un tel bénéficiaire.

III. Motifs

14 Je souscris à l’argument de l’employeur voulant que mon rôle n’est pas de réviser ou de remettre en question les motifs donnés par M. Walker pour rejeter le grief, mais plutôt de décider si l’employeur avait contrevenu à la Politique en rejetant la demande en remboursement de la somme de 1 680,00 $ présentée par le fonctionnaire en juin 2010.

15 Les deux parties ont convenu qu’en l’absence d’un délai implicite, le grief devrait être accueilli. L’avocat de l’employeur a fait valoir que le critère pertinent pour établir si la Politique contenait un délai implicite pour la présentation d’une demande de remboursement d’une indemnité d’études avait été énoncé par un arbitre de grief dans Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels ‑ CSN. Dans cette décision, l’arbitre a fait sien le critère élaboré dans McKellar General Hospital v. Ontario Nurses’ Assn. (1986), 24 L.A.C. (3e) 97, à la page 107. Selon cette dernière décision, le pouvoir de déclarer un délai implicite ne devait être exercé qu’en présence des deux conditions suivantes :

[Traduction]

[…]

1) s’il est nécessaire d’admettre une condition implicite pour rendre un contrat « efficace au plan commercial et de la convention collective » autrement dit, pour faire en sorte que la convention collective puisse être exécutée;

2) si, après avoir pris connaissance de l’omission de la condition, les parties conviennent sans hésitation de l’inclure.

[…]

16 J’ai deux observations à faire au sujet du critère énoncé dans McKellar General Hospital.

17 En premier lieu, comme j’en ai fait part aux parties durant leur argumentation, le critère élaboré dans McKellar General Hospital vise à établir si un contrat doit être réputé contenir ou non une condition implicite. Or, en l’espèce, l’employeur me demande d’établir s’il existe une condition implicite non pas dans un contrat, mais dans la Politique. Bien qu’aucun élément de preuve n’ait été présenté à cet égard, on suppose que la Politique, dont il a été déclaré qu’elle faisait partie intégrante de la convention collective, tant dans la convention que dans la Politique, avait peut-être été diffusée unilatéralement par l’employeur, après consultation avec l’agent négociateur. On ne m’a renvoyé à aucun ouvrage de doctrine portant sur l’interprétation de telles politiques ni, en particulier, sur les conditions implicites dans telles politiques. Par ailleurs, il est clair que l’approche à adopter pour établir l’existence de conditions implicites diffère selon qu’il s’agisse d’une disposition d’un contrat ou d’un texte de loi. Voir, à titre d’illustration, Murphy c. Welsh; dans Stoddard c. Watson, [1993] 2 R.C.S. 1069, la Cour suprême du Canada a écrit ce qui suit au sujet du pouvoir d’établir l’existence de conditions implicites dans le cadre de l’interprétation des lois (à 1078 et 1079) :

[…] En vertu des règles d’interprétation, il ne convient pas d’ajouter des mots à moins que l’ajout ne précise l’intention implicite du législateur. Comme Pierre‑André Côté l’affirme dans Interprétation des lois (2e éd. 1990), aux pp. 257 à 259 :

La fonction du juge étant d’interpréter la loi et non de la faire, le principe général veut que le juge doive écarter une interprétation qui l’amènerait à ajouter des termes à la loi : celle‑ci est censée être bien rédigée et exprimer complètement ce que le législateur entendait dire :

[…]

Cette présomption contre l’addition de mots doit être appliquée avec prudence, car la communication légale est, comme toute autre communication, composée de deux éléments, l’exprès (la formule) et l’implicite (le contexte global de l’énonciation). La présomption étudiée insiste uniquement sur l’élément exprès de la communication. Elle dit que le juge qui ajoute des mots légifère, usurpe la fonction du législateur. Or, dans la mesure où le juge ajoute des mots pour rendre explicite ce qui est implicite dans le texte, on ne peut pas dire qu’il s’écarte de sa mission d’interprète. La question, dans les cas d’espèce, n’est donc pas tellement de savoir si le juge peut ajouter ou non des mots, mais si les mots qu’il ajoute ont un autre effet que d’expliciter l’élément implicite de la communication légale.

[…]

18 Pendant l’argumentation, j’ai demandé aux représentants des parties si, à leur avis, une disposition législative intégrée à une convention collective en vertu du raisonnement élaboré dans Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, devrait être interprétée selon les règles d’interprétation des lois ou les règles d’interprétation des contrats. La réponse à cette question me paraît toutefois évidente : ayant été formulée pour la première fois en tant que disposition législative, la disposition devait être interprétée comme étant un texte de loi et ce, malgré son intégration ultérieure dans la convention collective. Les parties ne m’ont pas présenté d’arguments quant à savoir si la Politique devait être interprétée selon les critères se rapportant aux lois, ou selon ceux se rapportant aux contrats, ou encore selon quelque autre critère.

19 Ma deuxième observation a trait à l’évaluation de la jurisprudence dans le domaine des conditions implicites en général. À cet égard, la décision de la Cour suprême du Canada dans Nouveau-Brunswick c. O’Leary, [1995] 2 R.C.S. 967, a été considérée par beaucoup comme ayant formulé une approche différente en ce qui a trait aux conditions implicites dans les conventions collectives; voir à cet effet la discussion de cette question dans l’ouvrage de Palmer et Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada, 4e édition, (2009), aux pages 32 à 36.

20 Cela dit, j’ai décidé d’employer le critère élaboré dans McKellar General Hospital, un critère qui demeure encore celui suivi. Comme mentionné précédemment, l’employeur m’a invité à appliquer la décision rendue dans Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels – CSN, une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publiquedans laquelle on fait état du critère élaboré dans McKellar General Hospital, afin de décider s’il existe une condition implicite relativement au délai prévu pour demander le remboursement de l’indemnité des frais de scolarité sous le régime de la Politique.

21 Ainsi, j’ai conclu qu’il n’y avait aucune base permettant de conclure à l’existence d’une condition implicite voulant que le remboursement doive être demandé à l’intérieur d’un délai raisonnable.

22 Tout d’abord, il convient de noter que la responsabilité de l’employeur en ce qui a trait aux frais de scolarité est limitée à un plafond de 8 000,00 $ par fonctionnaire optant. Il s’agit d’une somme importante, mais pas suffisamment au point que le délai dans le remboursement d’une telle somme ait un effet appréciable sur la situation budgétaire ou financière de l’employeur.

23 Ensuite, en plus de n’avoir aucun effet sur la situation budgétaire ou financière de l’employeur, un délai dans le remboursement des frais de scolarité n’aurait aucune incidence sur quelque autre aspect des activités de l’employeur. En bref, l’employeur n’a pas précisé quelque raison particulière pouvant justifier pourquoi, à son avis, une demande de remboursement d’une telle indemnité devait être présentée à l’intérieur d’un délai raisonnable. Cela distingue en outre la présente affaire de certaines autres décisions auxquelles l’employeur a renvoyé au soutien de sa position, notamment la décision rendue dans Hamilton‑Wentworth (Regional Municipality) of Police Services Board, dans laquelle le retard à donner un avis des changements aux congés aurait pu avoir des répercussions sur la dotation, et aussi la décision Public Service Employee Relations Commission, dans laquelle un retard dans la réfutation de la présomption voulant qu’un poste avait été abandonné aurait pu avoir une incidence sur la capacité de l’employeur à combler le poste. Or, dans l’affaire qui nous occupe, l’employeur n’a pu faire valoir quelque problème opérationnel pouvant résulter du délai dans la présentation d’une demande de remboursement des frais de scolarité, et il est effectivement difficile d’imaginer quels auraient pu être les problèmes que cela pourrait occasionner.

24 Je ne suis pas convaincu, à la lecture de quelque autre décision à laquelle m’a renvoyé l’avocat de l’employeur, qu’il y ait lieu de conclure à l’existence de quelque condition implicite sur un délai raisonnable pour la présentation d’une demande de remboursement de frais de scolarité. Ainsi, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels ‑ CSN portait sur la prétention du syndicat selon laquelle l’employeur aurait dû être tenu à verser la rémunération des heures supplémentaires effectuées par les employés dans un délai raisonnable. L’arbitre de grief s’est rangé à l’opinion du syndicat, sans doute en se fondant sur le bon sens voulant que la plupart des employés comptent sur leur rémunération pour le paiement de leurs dépenses courantes et qu’ils subissent des désagréments ou un préjudice sérieux en raison d’un retard dans le versement de leur rémunération. Pour ce qui est de Canadian Pacific Railway Co. Mechanical Services, l’arbitre n’a conclu nécessairement que l’indemnité de réinstallation devait être réclamée dans un délai raisonnable, mais plutôt qu’en raison de l’interprétation donnée à la convention collective, il devait exister [traduction] « […] un lien raisonnable entre la réinstallation et le droit à l’indemnité offerte […] » (au paragr. 10 de cette décision).

25 En réalité, l’absence de la condition implicite invoquée par l’employeur en l’espèce ne lui occasionne pas de problème particulier. Le seul effet qu’aurait l’existence d’une telle condition implicite serait de priver le fonctionnaire d’un paiement auquel il a par ailleurs droit en vertu des dispositions expressément énoncées dans la Politique. L’employeur n’en tirerait aucun avantage autre que celui d’économiser l’argent réclamé par le fonctionnaire. Selon McKellar General Hospital, avant qu’un arbitre de grief puisse conclure à juste titre à l’existence d’une condition implicite, il doit lui être démontré qu’il est [traduction] « […] nécessaire d’admettre une condition implicite pour rendre un contrat "efficace au plan commercial et de la convention collective" autrement dit, pour faire en sorte que la convention collective puisse être exécutée […] ». Je suis convaincu qu’une telle nécessité n’existe pas dans l’affaire qui nous occupe.

26 Bien que ces considérations soient suffisantes en soi pour étayer la conclusion voulant que le grief soit accueilli, je me dois d’ajouter que je suis porté à souscrire à l’argument de la représentante du fonctionnaire quant à la pertinence du paragraphe 1.1.29 de la Politique, prévoyant notamment que l’employeur ait l’obligation d’informer et de conseiller les fonctionnaires au sujet, entre autres, de [traduction] « la signification d’une […] « indemnité d’études ». L’employeur a prétendu qu’il existait des délais à respecter pour la présentation d’une demande de remboursement de tels frais, alors que ces délais n’ont jamais été communiqués au fonctionnaire avant le rejet de sa demande qui fait l’objet du présent grief. Si, contrairement à ce que j’ai conclu, il existait une condition implicite relativement au délai pour présenter une demande de remboursement des frais de scolarité, il me semble alors que l’employeur aurait ainsi contrevenu au paragraphe 1.1.29, ayant fait défaut d’en informer le fonctionnaire au moment opportun, et le fonctionnaire aurait alors droit à un dédommagement en raison d’un tel manquement. Par ailleurs, il m’apparaît également qu’il incomberait alors au fonctionnaire d’établir qu’il n’avait pas été informé à cet égard, alors que l’« Énoncé conjoint des faits » ne mentionne pas que l’employeur ait omis d’informer le fonctionnaire à cet égard. Par conséquent, il n’y a pas de motif suffisant permettant de conclure à une contravention par l’employeur au paragraphe 1.1.29.

27 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

28 Le grief est accueilli. Il est ordonné à l’employeur de payer sans délai la somme de 1 680,00 $ au fonctionnaire.

Le 20 février 2013.

Traduction de la CRTFP

Michael Bendel
arbitre de grief

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