Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé réclame une rémunération rétroactive à un niveau plus élevé - l’employeur a soulevé une objection préliminaire concernant la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief au motif qu’il ne relevait pas du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et ne découlait pas d’une interprétation de la convention collective, mais d’un protocole d’entente intervenu entre l’employeur et son syndicat - en avril 2008, l’employeur et le syndicat, à la suite d’une plainte de pratique déloyale de travail déposée par le syndicat alléguant un manque à l’obligation de négocier de bonne foi et les dispositions sur le gel, ont signé un protocole d’entente - le nom du fonctionnaire s’estimant lésé figurait à l’appendice B de l’entente, qui lui donnait droit à un salaire rétroactif pour des périodes pendant lesquelles il avait assumé les fonctions du niveau supérieur mais selon une preuve documentaire jugée satisfaisante par l’employeur - selon l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé avait satisfait aux critères d’admissibilité à la rétroactivité pour une certaine période mais il ne satisfaisait pas aux critères pour une période d’environ trois ans - le fonctionnaire s’estimant lésé ne nie pas qu’il ne satisfaisait pas à deux critères établis par l’employeur - selon le fonctionnaire s’estimant lésé, les critères d’admissibilité étaient aléatoires et allaient à l’encontre du protocole d’entente - selon lui, il était en droit de demander l’exécution et la mise en œuvre de l’entente - le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu une rémunération rétroactive pendant les 25 jours précédant la présentation de son grief - la réclamation du fonctionnaire s’estimant lésé ne satisfaisait pas aux critères de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP puisqu’elle ne découlait pas d’une infraction de la convention collective, mais plutôt d’un droit découlant d’un protocole d’entente conclu entre son syndicat et l’employeur - le fonctionnaire s’estimant lésé a reconnu ceci et même le fait que dans un tel cas, la mesure corrective ne pouvait viser une période allant au-delà des 25 jours précédant le grief - le fonctionnaire s’estimant lésé réclamait des prestations conférées par un protocole d’entente qui avait été conclu dans une autre affaire et ne tentait pas de faire rouvrir, ni son propre grief ni la plainte de pratique déloyale - le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas une partie au protocole d’entente sur lequel il fondait sa réclamation - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’avait pas la compétence pour instruire le grief. Objection accueillie, dossier fermé.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-03-28
  • Dossier:  566-02-2910
  • Référence:  2013 CRTFP 32

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MARCEL COSSETTE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Transports)

employeur

Répertorié
Cossette c. Conseil du Trésor (ministère des Transports)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Normand Audet

Pour l'employeur:
Pierre-Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
les 17 et 18 mai 2012 et les 6, 7 et 8 février 2013.

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a présenté un grief le 17 juin 2008, dans lequel il réclame une rémunération rétroactive. Au moment du dépôt du grief, le fonctionnaire était un inspecteur d’aéronefs classifié AO-CAI-02 et visé par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et l’Association des pilotes fédéraux du Canada (l’« APFC ») pour le groupe Navigation aérienne, qui expirait le 25 janvier 2008 (la « convention collective »). Bien que le fonctionnaire ne soit plus au service de l’employeur depuis le 25 juillet 2008, date à laquelle il a pris sa retraite, il réclame une rémunération rétroactive à un niveau plus élevé soit le niveau AO-CAI-03 pour la période du 28 septembre 2002 au 5 avril 2005.

2 L’employeur a soulevé une objection préliminaire concernant la compétence d’un arbitre de grief de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») pour entendre ce grief au motif que le grief ne relève pas du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP »). Il a ajouté que le grief ne découlait pas d’une interprétation de la convention collective mais d’un protocole d’entente intervenu entre l’employeur et l’APFC en juillet 2008.

3 Afin de m’assurer d’avoir bien saisi l’objet du litige entre les parties, j’ai accepté d’entendre l’ensemble de la preuve et des arguments, tant sur l’objection préliminaire de l’employeur que sur le fond de l’affaire. Pour les motifs qui suivent, j’ai accueilli l’objection préliminaire de l’employeur et conclu que je n’avais pas compétence pour instruire ce grief.

II. Résumé de la preuve

4 Lors de l’audience, j’ai entendu les témoignages des personnes suivantes: le fonctionnaire; Greg Holbrook, un inspecteur des Opérations aériennes du ministère des Transports; Frédéric Prillieux, un chef d’entreprise technique, Opérations aériennes, ministère des Transports; Ken Graham, un chef d’équipe pour la représentation de l’employeur au Conseil du Trésor; Diane Desmarais qui, au moment du dépôt du grief, était directrice générale de la Division de l’aviation civile pour la région du Québec au ministère des Transports.

5 Le fonctionnaire occupait, durant la période pour laquelle il réclame une rémunération rétroactive, un poste d’inspecteur des transporteurs aériens (petits avions) classifié AO-CAI-02, et cela depuis 1988. Selon lui, les inspections des gros aéronefs étaient jadis effectuées par des inspecteurs classifiés AO-CAI-03. Cependant, en 2000, quatre postes classifiés AO-CAI-03 sont devenus vacants et le travail des inspecteurs classifiés AO-CAI-03 était régulièrement effectué par des inspecteurs classifiés AO-CAI-02, incluant le fonctionnaire. Le fonctionnaire a affirmé qu’il effectuait les tâches d’un AO-CAI-03 depuis au moins 1995 et qu’il avait souvent fait valoir que sa description de tâche ne reflétait pas le travail qu’il était régulièrement appelé à effectuer. Il a ajouté que son poste aurait dû être reclassifié au niveau AO-CAI-03 dès le début des années 2000. Toutefois, il a indiqué durant son témoignage qu’il n’avait jamais, jusqu’à maintenant, présenté un grief relativement à une description de tâches ou à une rémunération provisoire.

6 Ce n’est qu’en avril 2008 que ces questions ont été abordées par l’employeur et l’APFC, à la suite d’une plainte de pratique déloyale de travail dans laquelle l’APFC alléguait que l’obligation de négocier de bonne foi et les dispositions sur le gel de la LRTFP avaient été violées par l’employeur. Cette plainte a été déposée après que l’employeur a nommé pour une période déterminée 22 pilotes de niveau AO-CAI-02 à un poste de niveau AO-CAI-03 et qu’il leur a offert un salaire rétroactif. Ces pilotes étaient affectés à temps plein à un poste d’inspecteur de ligne ou d’inspecteur principal de l’exploitation pour les opérations de vol des « gros aéronefs » de l’aviation commerciale et d’affaires dépassant une certaine catégorie de poids. Il est à noter que l’employeur et l’APFC étaient en négociation collective au moment de la proposition de nomination de l’employeur.

7 Le 16 juillet 2008, la plainte de pratique déloyale de travail a fait l’objet d’un protocole d’entente confidentiel, dont les modalités réglaient les questions concernant les 22 pilotes de gros aéronefs affectés à un poste d’inspecteur qui avaient été initialement sélectionnés par l’employeur pour un poste classifié à un niveau plus élevé. Trois noms ont été ajoutés à cette liste à la suite du protocole. Les 25 employés visés étaient tous identifiés à l’annexe A du protocole d’entente. De plus, 14 autres pilotes de gros aéronefs affectés à un poste d’inspecteur qui avaient déjà assumé les fonctions en question étaient identifiés à l’annexe B, incluant le fonctionnaire. Essentiellement, l’employeur s’est engagé à nommer 25 employés à un poste classifié AO-CAI-03 pour une période indéterminée et à leur offrir un salaire rétroactif à partir de la date de leur changement de fonctions (ceux identifiés à l’annexe A du protocole d’entente). Il s’est également engagé à octroyer un salaire rétroactif aux employés pour les périodes où ils avaient assumé ces fonctions dans le passé (ceux identifiés à l’annexe B du protocole d’entente), selon une preuve documentaire jugée satisfaisante par l’employeur.

8 Après avoir révisé les documents fournis par le fonctionnaire dans le but de démontrer qu’il avait effectué des tâches d’un poste classifié AO-CAI-03, l’employeur a déterminé que celui-ci avait effectivement rencontré les critères d’admissibilité à la rétroactivité salariale pour la période du 23 décembre 1995 au 27 septembre 2002 et du 6 avril 2005 au 25 juillet 2008, date à laquelle le fonctionnaire a pris sa retraite. Toutefois, selon l’employeur, le fonctionnaire n’a pas répondu aux critères d’admissibilité du 28 septembre 2002 au 5 avril 2005. Il s’agit là de l’objet du litige. Selon le fonctionnaire, les critères d’admissibilité de l’employeur étaient aléatoires et allaient à l’encontre du protocole d’entente exécuté le 16 juillet 2008.

9 Le fonctionnaire a décrit de façon détaillée les tâches qu’il avait effectuées de septembre 2002 à avril 2005. Compte tenu des motifs qui suivent concernant ma compétence et du fait que l’employeur ne conteste pas le témoignage du fonctionnaire à ce sujet, je n’ai pas reproduit cette partie de son témoignage. Bref, l’employeur ne nie pas que le fonctionnaire consacrait entre 5 à 10 % de son temps à l’inspection de gros aéronefs durant cette période. Le fonctionnaire n’a pas nié qu’il ne répondait pas aux deux critères établis par l’employeur afin d’établir l’admissibilité à la rémunération rétroactive au niveau AO-CAI-03, soit qu’il n’était pas inspecteur principal d’un exploitant aérien commercial ou d’affaire possédant des aéronefs dont la masse maximale au décollage était supérieure à 35 000 lb pour les appareils turboréacteurs et supérieure à 100 000 lb pour tous les autres aéronefs ou qu’il ne possédait pas, à ce moment-là, un certificat validant ses compétences techniques pour ces types d’appareils. Les parties ne s’entendent pas sur la légitimité de ces deux critères.

10  Pour des raisons similaires, je n’ai pas reproduit les témoignages de M. Holbrook et de M. Prillieux puisque ceux-ci n’ont fourni aucune preuve pertinente pouvant m’aider dans ma détermination, à l’exception du fait qu’ils ont présenté un certain contexte entourant la plainte de pratique déloyale de travail déposée par l’APFC en avril 2008 et qu’ils ont soutenu la thèse du fonctionnaire voulant que les critères d’admissibilité de l’employeur étaient aléatoires et allaient à l’encontre du protocole d’entente.

11 Durant son témoignage, M. Graham a indiqué que le protocole d’entente du 16 juillet 2008 avait fait l’objet d’un nouvel examen par les parties concernées en décembre 2009 afin de reconsidérer certaines questions en suspens, ce qui a mené à une nouvelle entente entre l’APFC et l’employeur le 21 décembre 2009. Selon M. Graham, l’objectif principal de cette nouvelle entente était de régler les questions en suspens incluant, entre autres, l’ajout de nouveaux noms à la liste des employés admissibles et le paiement d’une rémunération additionnelle ayant trait à certaines heures supplémentaires applicables. Mr. Graham a ajouté que lors de la deuxième négociation qui a mené à l’entente du 21 décembre 2009, l’APFC et l’employeur ont décidé de ne pas régler la réclamation du fonctionnaire et de le laisser poursuivre le processus de grief prévu par la convention collective et la LRTFP. Un échange de correspondance entre M. Graham et le procureur de l’APFC a confirmé le témoignage de M. Graham à ce sujet.

12 Selon M. Graham, la réclamation du fonctionnaire n’a jamais fait l’objet d’un règlement quelconque, que ce soit au moyen du protocole d’entente ou de l’entente subséquente.

13 Lors de son témoignage, Mme Desmarais a indiqué que les critères d’admissibilité à la rémunération AO-CAI-03 avaient été présentés aux employés en avril 2008 et qu’ils étaient connus de tous avant la signature du protocole d’entente du 16 juillet 2008. De plus, selon elle, le protocole en question prévoyait clairement que l’éligibilité à cette rémunération serait déterminée sur la base de documentation établissant, à la satisfaction de l’employeur, que les critères d’admissibilité avaient été rencontrés pour la ou les période(s) applicable(s).

14 Dans le cas du fonctionnaire, Mme Desmarais a confirmé que, dans un premier temps, il avait rencontré les critères d’admissibilité du 23 décembre 1995 au 27 septembre 2002. En effet, la documentation produite par le fonctionnaire a démontré qu’il était à ce moment-là inspecteur principal d’un exploitant aérien commercial ou d’affaire possédant des aéronefs dont la masse maximale au décollage était supérieure à 35 000 lb pour les appareils turboréacteurs et supérieure à 100 000 lb pour tous les autres aéronefs. Elle a également confirmé, dans un deuxième temps, qu’à partir du 6 avril 2005, le fonctionnaire détenait un certificat validant ses compétences techniques pour ces types d’appareils, signifiant qu’il répondait au deuxième critère d’admissibilité, et cela jusqu’à sa retraite. Toutefois, puisque le fonctionnaire ne répondait à aucun des deux critères du 28 septembre 2002 au 5 avril 2005, il n’était donc pas, selon elle, éligible à une rémunération rétroactive au niveau AO-CAI-03 pour cette période. Selon Mme Desmarais, seulement les employés qui répondait à ces deux critères avaient jusqu’à maintenant reçu la rémunération rétroactive en question, un fait qui n’a pas été contesté par le fonctionnaire.

15 Mme Desmarais a également précisé que le fonctionnaire n’avait pas reçu la rémunération rétroactive du 29 juillet 2005 au 31 août 2005, du 5 janvier 2006 au 31 août 2006 et du 28 novembre 2006 au 26 août 2007 puisque celui-ci était, durant ces périodes de temps, en congé de maladie et qu’il n’effectuait donc pas les tâches d’un poste classifié AO-CAI-03. Ce fait n’a également pas été contesté par le fonctionnaire. En fait, aucune réclamation n’a été faite par le fonctionnaire pour ces périodes de temps.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

16 Le fonctionnaire, par le biais de son représentant, a reconnu qu’il ne s’agissait pas ici d’un grief de rémunération provisoire fondé sur la convention collective et que même si tel était le cas, la mesure corrective demandée par le fonctionnaire ne pourrait aller au-delà des 25 jours précédant le grief (Coallier c. Office national du film - dossier de la CRTFP 166-8-13465 (19830308); Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. 813), soit une période durant laquelle il a déjà reçu une rémunération rétroactive au niveau AO-CAI-03. Le grief doit donc, selon lui, être fondé sur l’obligation contractuelle découlant du protocole d’entente convenu entre l’employeur et l’APFC le 16 juillet 2008.

17 Le fonctionnaire a soutenu qu’un arbitre de grief de la Commission avait compétence pour déterminer si un protocole d’entente était définitive et exécutoire et si une des parties avait dérogé aux conditions de cette entente. Il m’a renvoyé à Amos c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 74, infirmé par la Cour fédérale dans 2009 CF 1181, puis confirmé par la Cour d’appel fédérale dans 2011 CAF 38, pour appuyer son argument selon lequel le pouvoir de redressement des arbitres de grief a été étendu par l’article 236 de la LRTFP et que les processus d’exécution et de mise en œuvre des protocole d’ententes étaient essentiels à la réalisation de relations de travail harmonieuses. De plus, il a souligné que dans Amos, la Cour d’appel fédérale avait conclu qu’il serait injuste et inefficace d’exiger d’un fonctionnaire qu’il dépose un nouveau grief pour demander l’exécution d’une obligation découlant du règlement d’un grief antérieur et qu’une telle exigence ne serait pas en accord avec l’objectif de la LRTFP visant la résolution efficace des différends. Dans Amos, le fonctionnaire demandait l’application d’un règlement négocié et voulait que la Commission continue d’être saisie de son grief, parce que son employeur n’avait pas respecté ses obligations découlant de l’entente de règlement.

18 Dans ce cas-ci, le fonctionnaire a demandé une rémunération rétroactive du 28 septembre 2002 au 5 avril 2005 au motif qu’il avait effectué des tâches sur des gros aéronefs durant cette période et que ces tâches correspondaient à celles normalement effectuées par les détenteurs de poste AO-CAI-03. De plus, celui-ci a ajouté que le paragraphe 5 du protocole d’entente prévoyait clairement qu’il avait droit à cette rémunération du 23 décembre 1995 jusqu’à la date de sa nomination à un poste AO-CAI-03, et cela de façon continue.

19 Le fonctionnaire a maintenu que les critères d’admissibilité de l’employeur afin de déterminer s’il était éligible à une rémunération rétroactive étaient totalement aléatoires et allaient clairement à l’encontre du protocole d’entente exécuté par son syndicat le 16 juillet 2008. Selon lui, il est visé par ce protocole d’entente et est en droit de demander son exécution et sa mise en œuvre.

20  En guise de conclusion, le fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait violé les dispositions du protocole d’entente en appliquant des critères d’admissibilité à la rémunération rétroactive non prévus par le protocole d’entente et en refusant de le rémunérer au niveau AO-CAI-03 durant la période pertinente, c’est-à-dire du 28 septembre 2002 au 5 avril 2005, contrairement aux dispositions du protocole.

B. Pour l’employeur

21 L’employeur a soutenu que ce grief visait uniquement l’exécution d’une obligation contractuelle découlant non pas de la convention collective, mais plutôt du protocole d’entente. De plus, l’employeur a fait valoir que la plainte du syndicat qui a éventuellement menée au protocole d’entente, portait sur des allégations de négociation de mauvaise foi et de violation des dispositions sur le gel de la LRTFP, plus particulièrement les alinéas 190(1)b) et c), des dispositions qui, selon l’employeur, ne donnent pas lieu à des droits individuels. Selon l’employeur, les droits décrits dans la plainte sont strictement des droits syndicaux. Il a ajouté que le protocole d’entente conclu entre le syndicat et l’employeur ne modifiait d’aucune façon la convention collective.

22 L’employeur a maintenu qu’un arbitre de grief de la Commission n’avait pas compétence pour exécuter des règlements ne faisant pas partie d’une convention collective applicable en vertu de la LRTFP. À l’appui de cette position, il m’a renvoyé à Pelletier-Chabot et Perron-Croteau c. Conseil du Trésor (Archives publiques du Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-11948 et 11949 (19820713), et MacLean et al. c. Conseil du Trésor (Musée des beaux-arts du Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-23640 à 23646 (19930720).

23 L’employeur a établi une distinction entre les faits en l’espèce et ceux dans Amos. Dans le présent grief, le fonctionnaire n’est pas inclus dans le règlement dont il demande l’application et il n’est pas une partie de ce protocole d’entente. L’employeur a soutenu que ce n’est pas le grief du fonctionnaire qui a fait l’objet d’un protocole d’entente mais plutôt la plainte de son syndicat. Selon l’employeur, le fonctionnaire n’est qu’une tierce partie pouvant potentiellement bénéficier de la mise en œuvre du protocole d’entente.

24 L’employeur a soutenu que même si le fonctionnaire avait été une partie au protocole d’entente, je ne pouvais faire fi de certains facteurs pertinents : 1) bien que les critères d’admissibilité étaient connus des parties au protocole avant son exécution, ils ne sont pas précisés dans le protocole; 2) le protocole accorde à l’employeur un large pouvoir discrétionnaire concernant l’admissibilité à la rémunération rétroactive; 3) le fonctionnaire n’a jamais été nommé dans un poste AO-CAI-03; 4) le fonctionnaire n’est pas inclus dans l’annexe A du protocole mais plutôt dans l’annexe B; 5) son grief n’a jamais été réglé et les parties au protocole ont expressément prévu qu’il serait éventuellement tranché par la Commission; 6) le fonctionnaire a reçu une rémunération au niveau AO-CAI-03 pendant les 25 jours précédant la présentation de son grief (voir Coallier).

25 L’employeur a également cité Wray et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Transports) 2012 CRTFP 64, dont les faits et l’objet du litige étaient, selon lui, presque identiques. Il m’a invité à tirer les mêmes conclusions que celles de l’affaire Wray.

26 Enfin, l’employeur a soutenu qu’un grief portant sur un droit à un salaire rétroactif en vertu d’un protocole d’entente auquel le fonctionnaire n’est pas partie devrait être rejeté pour faute de compétence.

IV. Motifs

27 Il est reconnu qu’un arbitre de grief de la Commission n’a pas de compétence inhérente et qu’il tire sa compétence uniquement de la LRTFP. Dans le cas d’un grief individuel présenté par un fonctionnaire de l’administration publique centrale, ce qui est le cas en espèce, le paragraphe 209(1) de la LRTFP limite la compétence d’un arbitre de grief aux trois circonstances suivantes : (i) un grief qui porte sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective applicable à un employé (alinéa 209(1)a)); (ii) une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension, la rétrogradation ou une sanction pécuniaire (alinéa 209(1)b)), ou (iii) la rétrogradation ou le licenciement pour rendement insuffisant ou pour d’autres raisons non disciplinaires qui ne sont pas visées par d’autres lois ou sur la mutation sans le consentement de l’employé (alinéa 209(1)c)).

28 En l’espèce, puisqu’il n’est pas question de mesure disciplinaire, de rétrogradation, de licenciement ou de mutation, le seul alinéa qui pourrait s’appliquer est l’alinéa 209(1)a). Ayant considéré l’ensemble de la preuve, telle qu’elle a été présentée par les témoins, ainsi que la documentation déposée en appui de celle-ci, il m’apparait évident que la réclamation de salaire rétroactif présentée dans le présent grief ne satisfait pas aux critères de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP puisqu’elle ne découle pas d’une infraction à la convention collective, mais plutôt d’un droit découlant d’un protocole d’entente conclue entre l’APFC et l’employeur concernant une plainte de pratique déloyale de travail.

29 Le représentant du fonctionnaire a reconnu que le grief en question n’était pas fondé sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective et que même si tel était le cas, la mesure corrective demandée par le fonctionnaire ne pourrait viser une période allant au-delà des 25 jours précédant le grief (voir Coallier). Il a aussi reconnu que le fonctionnaire avait reçu une rémunération au niveau AO-CAI-03 durant ces 25 jours. Toutefois, me renvoyant à Amos, il a soutenu que le grief du fonctionnaire pouvait quand même être renvoyé à l’arbitrage puisqu’un arbitre de grief a non seulement le pouvoir, mais aussi l’obligation d’interpréter et de faire appliquer des ententes conclues relativement à des questions soumises à la Commission (voir Amos).

30 Bien que j’accepte la position du fonctionnaire voulant que la Commission ait déjà statué à quelques reprises qu’un arbitre de grief avait compétence pour interpréter et faire exécuter des protocoles d’ententes, je rejette son allégation que j’ai compétence pour interpréter et faire appliquer, dans son cas, un protocole d’entente conclu entre l’APFC et l’employeur sur une plainte de pratique déloyale de travail. Sur ce point, je souscris entièrement aux commentaires de l’arbitre de grief Rogers dans Wray :

[25] Or, l’argumentation des fonctionnaires ne tient pas compte d’un fait essentiel. Dans Amos et Thom, la question de la compétence des arbitres de grief a été soulevée dans le contexte où les fonctionnaires s’estimant lésés ont demandé la réouverture de leurs griefs initiaux à la suite de ce qu’ils estimaient être un manquement de la part de leurs employeurs respectif à leur obligation d’honorer leur entente de règlement. Ce n’est pas le cas dans l’affaire qui nous occupe. Les fonctionnaires réclament les avantages conférés par une entente qui a été conclue dans une tout autre affaire. Ils ne tentent pas de faire rouvrir la plainte de pratique déloyale de travail qui a donné lieu à l’entente et ils ne pourraient pas le faire, car ils n’étaient pas parties à la plainte ni à son règlement.

[…]

[28] À mon avis, l’argument avancé par les fonctionnaires s’appuyant sur Amos et Thom étendrait la compétence d’un arbitre de grief au-delà des limites fixées par le paragraphe 209(1) de la LRTFP. Je ne crois pas que les décisions citées aient cet effet. De fait, elles ont conclu qu’un arbitre de grief n’était pas dessaisi d’une affaire à partir du moment où une entente était conclue, mais qu’il conservait sa compétence à l’égard du grief initial pour déterminer si l’entente avait été respectée et pour émettre toute ordonnance appropriée dans les circonstances.

31 Comme c’était le cas dans Wray, l’argument du fonctionnaire ne tient aucunement compte de certains faits essentiels à Amos. Le fonctionnaire réclame les bénéfices conférés par un protocole d’entente qui a été conclu dans une autre affaire, il ne tente pas de faire rouvrir son propre grief puisque celui-ci n’a jamais été réglé, et il ne peut pas faire rouvrir la plainte de pratique déloyale de travail qui a donné lieu au protocole d’entente puisqu’il n’était pas partie à cette plainte. Je ne vois vraiment pas comment ce grief se distingue de Wray et pourquoi je devrais conclure différemment.

32 Il est aussi important de préciser que le protocole d’entente en question a été rouvert par les parties concernées en décembre 2009 (pièce F-20). A ce moment, l’APFC et l’employeur ont cru bon non seulement de revoir le protocole d’entente du 16 juillet 2008 afin de reconsidérer certaines questions en suspens, mais ils ont aussi négocié une nouvelle entente le 21 décembre 2009 afin de régler ces questions, notamment l’ajout de nouveaux noms à la liste des employés admissibles et le paiement d’une rémunération additionnelle ayant trait à des heures supplémentaires. Ceci démontre clairement quelles étaient les parties au protocole d’entente et indique le processus qui aurait dû être suivi au nom des fonctionnaires affectés par ce protocole d’entente. En fait, dans le cas en espèce, lors de leur deuxième négociation qui a mené à l’entente du 21 décembre 2009, l’APFC et l’employeur se sont entendus de ne pas régler la réclamation du fonctionnaire et de le laisser poursuivre le processus de grief prévu par la convention collective et la LRTFP, ce qui laisse entendre que la réclamation du fonctionnaire n’a jamais fait l’objet d’un règlement et que la situation dans Amos est loin de s’appliquer ici. De plus, tel qu’il est mentionné ci-dessus, le fonctionnaire n’était pas partie au protocole d’entente sur lequel il fonde sa réclamation.

33 J’estime qu’il est également pertinent de souligner que le fonctionnaire n’a jamais déposé un grief de rémunération provisoire, qu’il n’a jamais été nommé dans un poste AO-CAI-03, que bien que les critères d’admissibilités étaient connus des parties au protocole avant son exécution, ceux-ci ne sont pas clairement prescrit dans le protocole et que le protocole accorde à l’employeur un certain pouvoir discrétionnaire concernant l’admissibilité à la rémunération rétroactive en question. De plus, le fonctionnaire a reçu une rémunération au niveau AO-CAI-03 pendant les 25 jours précédant la présentation de son grief et, finalement, le grief du fonctionnaire n’a jamais été réglé, les parties au protocole d’entente préférant plutôt attendre la décision d’un arbitre de la Commission sur le bien-fondé du grief.

34 Pour tous ces motifs, je conclus que je n’ai pas compétence pour instruire le grief du fonctionnaire puisqu’il se rapporte uniquement à une revendication salariale rétroactive fondée sur un protocole d’entente qui ne tirait pas son origine du grief du fonctionnaire et auquel celui-ci n’était pas partie.

35 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

36 L’objection préliminaire de l’employeur concernant la compétence est accueillie.

37 J’ordonne la fermeture du dossier.

Le 28 mars 2013.

Stephan J. Bertrand,
arbitre de grief

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