Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée conteste son renvoi en cours de stage alléguant qu’il était sans motif juste et suffisant - dans sa lettre de renvoi, l’employeur a indiqué que la fonctionnaire s’estimant lésée ne rencontrait pas les objectifs de son poste en ce qui concerne la maîtrise de l’équipement sécuritaire et des postes sécuritaires, la capacité d’apprentissage ainsi que la capacité de réaction à un incident critique - l’employeur lui a fait reprendre la période de familiarisation - selon le rapport de cette deuxième période, elle n’avait pas les compétences requises - l’employeur lui a reproché de ne pas s’intégrer à l’équipe et de ne pas avoir réagi correctement lors de deux incidents - il lui a aussi reproché d’avoir perdu une clé de menottes, d’avoir offert une alarme portative à un détenu, de ne pas savoir comment opérer une barrière et d’avoir des problèmes de communication par radio - l’employeur n’avait pas, au moment du licenciement, versé l’indemnité tenant lieu de préavis - plusieurs mois après le renvoi, l’employeur lui a versé une indemnité équivalente à deux semaines de salaire, soit une pratique erronée - à l’audience, il s’est engagé à corriger cette pratique et à lui verser deux semaines additionnelles - l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief car il s’agit d’un renvoi en cours de stage - la preuve a démontré que l’employeur croyait de bonne foi que la fonctionnaire s’estimant lésée était incapable d’occuper les fonctions d’agent correctionnel - il n’a pas utilisé le renvoi en cours de stage comme subterfuge ou pour camoufler un autre motif de renvoi - il n’a pas agi de mauvaise foi même s’il a manqué à son devoir de transparence en ne confrontant pas la fonctionnaire au sujet de ses lacunes dans son travail - l’erreur de l’employeur sur la question de l’indemnité tenant lieu de préavis n’invalide pas le renvoi car le paragraphe 62(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ne donne pas de droit substantif - l’arbitre de grief n’avait pas compétence pour entendre le grief. Dossier fermé.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-02-27
  • Dossier:  566-02-1560
  • Référence:  2013 CRTFP 19

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ODA KAGIMBI

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Kagimbi c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Aymar Missakila, avocat

Pour le défendeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 27 au 29 novembre 2012 et le 24 janvier 2013.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 La fonctionnaire s'estimant lésée, Oda Kagimbi a été embauchée par le Service correctionnel du Canada (l' « administrateur général » ou l' « employeur ») comme agente correctionnelle (CX-01) à l'établissement de Cowansville, le 19 décembre 2006. L'employeur l'a alors avisée qu'elle serait assujettie à une période de stage d'une durée de 12 mois. Le 17 septembre 2007, Mme Kagimbi a été renvoyée en cours de stage.

2 Le 18 septembre 2007, Mme Kagimbi a déposé un grief à l'encontre de son renvoi en cours de stage. Elle y allègue que le licenciement a été effectué sans motif juste et suffisant. Elle demande d'être réintégrée dans son poste et de se faire rembourser le salaire et les indemnités qui lui sont dus. Elle demande aussi d'être remboursée pour les dommages encourus, le tout avec intérêts.

3 Le grief de Mme Kagimbi a été entendu une première fois à l'arbitrage en mars 2010. Le 19 mai 2010, l'arbitre de grief Michele A. Pineau a rendu la décision Kagimbi c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 67. Dans cette décision, l'arbitre de grief Pineau a rejeté le grief de Mme Kagimbi. Cette dernière a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. La Cour a accordé la demande et renvoyé le grief à un autre arbitre pour qu'une nouvelle décision soit rendue. L'extrait suivant de la décision résume les motifs de la Cour :

[…]

[42] Enfin, la demanderesse prétend que l'arbitre a erré en concluant que cette dernière « n'a pas nié les incidents qui lui sont reprochés » alors qu'elle nie en fait la survenance même de certains de ces incidents. Dans sa décision, l'arbitre conclut, au paragraphe 74:

Par ailleurs, la fonctionnaire n'a pas nié les incidents qui lui sont reprochés, mais plutôt leur interprétation. L'employeur dispose d'une grande marge de manœuvre quant à l'interprétation des faits puisqu'il est celui qui vivra avec les conséquences de sa décision. L'employeur n'a pas à être exact dans son interprétation des faits, en autant que ces faits soient réellement liés à l'emploi, au rendement ou à la conduite du fonctionnaire (…)

[43] La Cour constate que l'arbitre a erré en écrivant que la demanderesse n'a pas nié les incidents alors que cette dernière affirme le contraire. En effet, l'arbitre écrit précisément dans sa décision que la fonctionnaire n'est justement pas d'accord avec les incidents retenus contre elle :

Tout d'abord, M. Leduc a demandé la production de rapports, mais n'a pas pris la peine de vérifier les faits de sorte que son évaluation des incidents a été arbitraire. (…). Les rapports étaient truffés d'affirmations gratuites et les incidents étaient exagérés. Le deuxième stage et les rapports qui ont suivi n'ont servi qu'à fonder la décision de l'employeur de la licencier. (…) Les rapports sur lesquels se fondent le licenciement ont été rédigés à son insu et elle n'a pas eu l'occasion de les contester ou de rétablir les faits. (…). La fonctionnaire a soutenu que les incident rapportés par certains employés n'étaient que du ouï-dire et ne lui ont jamais été communiqués. (…). La fonctionnaire a soutenu que l'affirmation de l'employeur qu'elle « semble manquer d'assurance » est un jugement de valeur qui n'est soutenu par aucun fait. La fonctionnaire n'est pas d'accord qu'elle requiert une supervision constante parce qu'elle travaille souvent seule pendant une patrouille, lorsqu'elle travaille à la tour au contrôle centre ou à l'entrée principale. (Décision de l'arbitre aux para 42, 43 et 44).

[44] Malgré que l'arbitre présente ainsi la position de la demanderesse, elle affirme que cette dernière ne contestait pas, à proprement parler, les faits qui lui étaient reprochés. La Cour considère que cette erreur est fatale dans les circonstances car l'arbitre fonde ses motifs sur la prémisse erronée que la demanderesse ne contestait pas les incidents reprochés.

[45] À la lecture de la décision, l'on constate que l'arbitre n'a pas jugé nécessaire d'évaluer la crédibilité de certains témoignages, ni de soupeser la force probante de certains éléments de preuve comme les rapports d'observation et le rapport de l'évaluation de rendement dans lesquels on retrouve les motifs et les incidents qui ont conduit au licenciement de la demanderesse. En fait, ces éléments de preuve documentaire décrivent, à propos de la demanderesse, son « incapacité à atteindre les objectifs attendus en ce qui concerne, notamment, la maîtrise de l'équipement sécuritaire, la maîtrise des postes sécuritaires, la capacité d'apprentissage ainsi que la capacité de réaction à un incident critique». L'arbitre ne se prononce pas sur le contexte dans lequel ces rapports ont été rédigés, ni sur le moment de leur rédaction ou sur les circonstances dans lesquelles ils ont été demandés aux employés.

[46] La Cour n'a pas à déterminer quelle aurait dû être la conclusion de l'arbitre quant à la valeur de ces éléments de preuve à l'encontre de la demanderesse. L'arbitre aurait néanmoins dû prendre en considération les objections de la demanderesse quant aux contenus de ces éléments de preuve et en établir la force probante plutôt que de tout simplement prendre pour acquis leur bien fondé et leur contenu. Le défaut de tenir compte des objections de la demanderesse rend arbitraire la conclusion principale de l'arbitre à l'effet que « ces faits sont réellement liés à l'emploi, au rendement ou à la conduite du fonctionnaire ».

[47] Ainsi, la conclusion de l'arbitre que la demanderesse n'a pas fait la démonstration requise pour faire droit à sa demande repose sur une erreur fondamentale, soit celle de considérer que la demanderesse admet la survenance de l'ensemble des incidents qui lui sont reprochés alors que tel n'est pas le cas. Cela constitue une erreur manifeste, qui remet en cause la raisonnabilité de la décision sous contrôle judiciaire et force l'intervention de la Cour.

[…]

[49] La Cour ne peut présumer de ce qu'aurait été la décision de l'arbitre n'eut été de cette erreur. Pour ces motifs, il y a lieu d'annuler la décision rendue le 19 mai 2010, par l'arbitre Michèle A. Pineau, et de renvoyer l'affaire devant un autre arbitre afin qu'il rende une nouvelle décision.

[…]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

4 À la suite de ma nomination comme arbitre de grief dans ce dossier, et à la lumière des conclusions de la Cour, il fut entendu avec les parties de reprendre l'affaire du début.

II. Résumé de la preuve

5 Mme Kagimbi a témoigné. Les parties ont aussi appelé France Poisson, Mario Martel, Nicolas Matte, Alex Brunelle, Pascal Falardeau, Frank Perrotti, Benoît Leduc et Gaétan Blanchard comme témoins. En 2007, tous ces témoins travaillaient à l'établissement de Cowansville. Mme Poisson était la directrice de l'établissement et M. Falardeau était mécanicien-électricien. MM. Martel, Blanchard, Matte et Brunelle étaient des agents correctionnels alors que MM. Perrotti et Leduc étaient des surveillants correctionnels. M. Leduc était le surveillant correctionnel attitré à Mme Kagimbi. L'employeur a aussi appelé Mathieu Ladouceur comme témoin. M. Ladouceur est conseiller en relations de travail pour l'employeur. Les parties ont présenté 39 documents en preuve. Enfin, Mme Kagimbi a appelé Johanne Bergeron comme témoin. Mme Bergeron est experte certifiée en écriture et documents. Lors de l'audience, j'ai statué que Mme Bergeron est une experte dans ces domaines.

6 Dans sa lettre datée du 17 septembre 2007, Mme Poisson décrit les motifs de l'employeur pour renvoyer Mme Kagimbi en cours de stage. Les extraits suivants de la lettre contiennent ces motifs :

[…]

Dès votre arrivée en établissement, plusieurs faits rapportés ont indiqué que vous avez éprouvé des difficultés dans l'accomplissement de vos fonctions. Pour ces motifs, nous vous avons fait suivre un deuxième stage de formation complet de deux semaines en mars 2007. Malgré ces deux semaines supplémentaires de formation, aucune amélioration au niveau de votre rendement ne fût notée. Vous ne rencontrez pas les objectifs attendus en ce qui concerne, entre autres, la maîtrise de l'équipement sécuritaire, la maîtrise des postes sécuritaires, la capacité d'apprentissage ainsi que la capacité de réaction à un incident critique.

Vous avez été rencontrée à quelques occasions depuis le début de votre stage. Vous avez été informée des lacunes et de ce qui était attendu de votre part. De plus, nous vous avons offert de l'aide, laquelle vous n'avez pas sollicitée malgré le fait que votre rendement ne s'est jamais amélioré.

Après une analyse faite de bonne foi de votre aptitude à remplir vos fonctions, il ressort clairement que vous n'êtes pas apte à occuper le poste pour lequel vous avez été engagée. J'en arrive donc à la conclusion que vous êtes incapable de satisfaire aux exigences de l'emploi d'un agent de correction.

Conséquemment, en vertu des paragraphes 61(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, j'ai décidé de vous renvoyer pendant votre période de stage. Celui-ci sera effectif le 17 septembre 2007, à compter de 12 h 00.

Sachez que vous avez le droit de présenter un grief si vous estimez avoir été traité de façon injuste ou si vous vous sentez lésée par cette décision.

[…]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

7 Rien dans cette lettre ne fait état d'un préavis de mise à pied donné à Mme Kagimbi ou des sommes payées pour compenser l'absence d'un tel préavis.

8 La preuve qui m'a été présentée concerne une série d'incidents ou d'événements impliquant Mme Kagimbi et qui sont liés à la décision de l'employeur de la renvoyer en cours de stage. On a aussi présenté de la preuve sur le préavis donné à Mme Kagimbi. C'est à partir de ces incidents et de la question du préavis que je résumerai la preuve qui m'a été présentée.

A. Deuxième période de familiarisation de Mme Kagimbi

9 Avant l'embauche, les futurs agents correctionnels suivent une formation collégiale à temps plein d'une durée de 13 semaines. Mme Kagimbi a complété cette formation avec succès, obtenant une note de 101/140 alors que la note de passage était de 84/140. Puis, à son arrivée à l'établissement, tout comme c'est le cas pour les nouveaux agents correctionnels, Mme Kagimbi a été placée sous une période de familiarisation d'une dizaine de jours au cours de laquelle, avec d'autres nouveaux agents, elle devait observer des agents en fonction à différents postes de travail, question pour elle de voir concrètement la mise en pratique des connaissances acquises lors de la formation de 13 semaines. À la fin de cette période, le surveillant correctionnel Marc-André Boutin a avisé Mme Kagimbi qu'elle avait réussi sa période de familiarisation et qu'elle pouvait maintenant occuper les fonctions pour lesquelles elle avait été embauchée.

10 Entre le 23 décembre 2006 et le 16 janvier 2007, Mme Kagimbi n'a reçu aucune rétroaction négative de l'employeur quant à son travail. À son arrivée au travail, le 18 janvier 2007, le surveillant Benoît Leduc l'a appelée dans la salle du poste de coordination. Il était accompagné de M. Boutin. M. Leduc lui a offert de se faire accompagner d'un représentant syndical mais Mme Kagimbi n'en a pas vu la pertinence. La discussion s'est fait debout et a duré cinq minutes. M. Leduc a demandé à Mme Kagimbi si elle était à l'aise avec tous les postes. Elle a répondu qu'elle n'était pas encore à l'aise avec tous les postes. M. Leduc ne l'a blâmée sur rien de particulier lors de la rencontre. Il lui a suggéré de bien communiquer par radio et de répondre chaque fois que la situation la concernait. Il lui a suggéré d'avoir plus confiance en elle et de se mêler plus aux autres agents. Puis, quelques jours plus tard, il a appelé Mme Kagimbi pour l'informer qu'elle devrait refaire sa « période de stage », c'est-à-dire la période de familiarisation d'une dizaine de jours. Mme Kagimbi était réticente à se soumettre de nouveau à cette période de familiarisation car elle n'en voyait pas la nécessité. Elle a quand même accepté de le faire même si elle se sentait humiliée.

11 La deuxième période de familiarisation de Mme Kagimbi a eu lieu du 9 au 20 février 2007. Mme Kagimbi était alors en compagnie de deux nouveaux agents et la familiarisation était coordonnée ou supervisée par M. Matte, lui-même agent correctionnel à l'emploi depuis le début 2005. M. Matte avait auparavant travaillé comme agent correctionnel dans le système carcéral québécois. M. Matte avait auparavant supervisé à quelques reprises les activités de familiarisation de nouveaux agents.

12 Le 2 mars 2007, M. Matte a rempli un rapport d'observation qu'il a remis à M. Leduc pour faire part de ses inquiétudes au sujet de Mme Kagimbi. M. Matte a dit qu'il se sentait mal à l'aise d'écrire un tel rapport contre une collègue de travail. La déclaration contenue dans ce rapport se lit comme suit :

[…]

Mr. Boutin, j'aimerais avec ce rapport vous faire part de mes inquiétudes par rapport à l'agente CX-1, Oda Kagimbi. Selon moi Mme. Kagimbi a profitée de la 2ème formations que nous lui avons fournis et les améliorations à ses connaissances générales du travail CX sont visible, mais je demeure préoccupé par plusieurs points par rapport à son manque de connaissances sécuritaires. Il est de mon opinion que les problèmes vécu par Mme. Kagimbi sont attribuables à un grand manque de confiance en elle, un manque de connaissances générale du milieu ainsi qu'un manque de compréhension de la langue, et plusieurs circonstances vécu lors de la formation m'ont démontrées qu'elle n'a pas, selon moi, les compétences requise pour le travail CX et même que sa présence sur plusieurs postes compromettent la sécurité de l'établissement. Après les 12 semaines de formation initiale du collège du personnelle, 10 semaines de travail comme CX-1 et une deuxième formation de recrue de 10 jours, je crois sincèrement que Mme Kagimbi n'est pas prête a prendre des postes sécuritaires seule, et je ne comprend pas comment que les gens du collège ont pu croire que Mme Kagimbi avais les qualifications et les compétences pour le travail de CX.

Pour plus d'informations je reste a votre disponibilité. Nicolas Matte, Formation recrue.

[…]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

13 Mme Kagimbi n'a pas reçu de copie de ce rapport à ce moment-là et n'en a pris connaissance qu'en 2010. Après avoir lu le rapport, M. Matte croit que M. Boutin lui a demandé d'en écrire un autre et d'être plus précis dans ces commentaires. M. Leduc a témoigné qu'il avait demandé à M. Matte d'écrire le second rapport. M. Matte a écrit ce second rapport le 23 mars 2007. Mme Kagimbi n'a pris connaissance du second rapport qu'en 2010. On n'a pas discuté du contenu des deux rapports avec Mme Kagimbi. La déclaration de M. Matte contenue dans le second rapport se lit comme suit :

[…]

Des exemples de comportements ou de situations me portant a écrire le rapport du 2007-03-02 par rapport à l'agente Kagimbi.

1. Au long de la formation l'agente Kagimbi m'a posée très peu de questions (moins de 5) par rapport au poste que nous révisions et j'ai du lui demander a plusieurs reprises si elle comprenait ce que je disais, sur les 10 jours elle m'a adressée la parole très peut.

2. Mme. Kagimbi ne semblait pas vouloir participer aux exemples démonstrative que je proposais laissant toujours le stagiaire Nicolas Leblond faire les simulations/démonstrations. Pour voir si elle avait les bonnes techniques je lui ai demandé de faire quelques démonstrations et elle semblait très nerveuse et cafouillait souvent. Lors d'explications ou de simulation elle se tenait toujours en retrait et semblait pas vouloir s'impliquer.

3. A plusieurs reprises lors de simulations, que je lui es imposé, Mme Kagimbi a démontrée qu'elle ne maîtrisait aucunement le matériel sécuritaire, par exemple, vérification du revolver .38, utilisation du détecteur de métal Garette a l'entrée principale, manutention des entraves.

4. Sur plusieurs postes du stage j'ai réalisé que Mme. Kagimbi ne semblait pas comprendre le contexte sécuritaire général du travail de cx ou être trop gêner pour pouvoir agir sécuritairement.
Lors de la formation du détecteur de métal à l'entrée des visiteurs Mme. Kagimbi ne voulait pas passer le Garett sur les employés qui entrent à l'établissement préfèrant laisser le stagiaire Leblond les fouiller, après approximativement 45 minutes le stagiaire Leblond a remis le Garett à Mme. Kagimbi ne lui laissant pas le choix de le passer sur les gens qui entrent, pendant que Mme kagimbi tentait de fouiller les gens elle ne leurs adressent jamais la paroles, préférant se tenir à l'écart, quand le détecteur sonnait elle laissait passer les gens comme si de rien était, si les gens ne s'arrêtent pas elle les laissait passer. Même après deux formations et quelque mois d'expérience n'importe qui aurait pu rentrer avec n'importe quoi.

[…]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

14   Mme Kagimbi n'est pas d'accord avec le contenu de ces deux rapports. Elle a témoigné que c'était sa deuxième période de familiarisation et qu'elle a posé très peu de questions car elle comprenait bien ce qui était présenté ou ce qu'elle observait. Elle a témoigné que personne ne lui avait fait des commentaires négatifs sur son comportement lors de cette période de familiarisation ou sur son rendement et sa performance au travail dans les semaines ou les mois qui ont suivi.

15 Pour sa part, M. Matte a témoigné qu'il aurait aimé commencer son premier rapport sur une note positive, mais qu'il n'avait rien eu de positif à écrire sur Mme Kagimbi. Selon M. Matte, Mme Kagimbi était très distante lors de la période de familiarisation. Il a aussi dit qu'il n'est pas psychologue, mais qu'il lui semble que Mme Kagimbi manque de confiance en elle-même. Il base cette opinion sur le fait qu'elle ne voulait pas s'impliquer dans les fouilles simulées de détenus et sur le fait qu'elle était gênée. M. Matte avait aussi l'impression qu'elle aurait ouvert les portes du pénitencier à n'importe qui et que, si elle avait à faire usage de la force pour contrôler un détenu, elle n'aurait pas été prête ou n'aurait pas su comment réagir.

16   M. Matte a témoigné que Mme Kagimbi ne comprenait pastoujours ce que les agents disaient sur les ondes des radios internes. Selon M. Matte, les agents s'expriment de façon professionnelle mais ils ont un accent. Il pense que Mme Kagimbi ne comprenait pas bien le « joual » québécois. Lors de l'audience, Mme Kagimbi a semblé comprendre toutes les questions qui lui ont été posées, n'a pas fait répéter ses interlocuteurs et a répondu aux questions sans hésitation dans un français qui m'a paru impeccable. Je n'ai pas relevé de fautes de français dans les documents qu'elle a rédigés et qui ont été soumis en preuve.

17 M. Matte a témoigné que Mme Kagimbi n'avait pas les qualifications pour être agente correctionnelle. Il ne sait pas comment elle a pu réussir ses examens collégiaux lors de la formation de 13 semaines. Il a témoigné que Mme Kagimbi n'était pas capable de faire la vérification en sept points des armes à feu. Par contre, M. Matte ne se souvient plus si Mme Kagimbi a fait la fouille de détenus lors de sa deuxième période de familiarisation. Mme Kagimbi a témoigné qu'elle connaissait bien les procédures pour vérifier les armes et pour faire les fouilles. Elle n'est pas d'accord avec le contenu des rapports rédigés par M. Matte.

B. Incident impliquant le détenu RC

18 Le 18 mai 2007, le détenu RC rencontrait le médecin à l'infirmerie de l'établissement. À un certain moment lors de l'examen médical, le détenu est devenu agité, il s'est levé brusquement, s'est dirigé vers la sortie de la salle d'examen, puis s'est ravisé, est allé s'asseoir sur une autre chaise que la sienne dans la salle pour après retourner s'asseoir près du médecin sur invitation de celui-ci. Selon Mme Kagimbi, qui était alors l'agente en poste juste à la porte de l'infirmerie, l'incident a duré moins d'une minute.

19 Les infirmières CL et AR ont rédigé des rapports au sujet de cet incident. Au moment de l'incident, l'infirmière CL était dans une salle attenante à la salle d'examen d'où elle pouvait voir ce qui se passait. L'infirmière AR était assise juste à côté du détenu et du médecin lors de l'incident. Dans son rapport, l'infirmière CL a écrit que le détenu était agité, parlait fort et s'était levé et que Mme Kagimbi ne s'était pas avancé dans la salle d'examen pour tenter de le calmer ou d'appeler des renforts. L'infirmière CL a alors appelé des renforts. L'agent Plante faisait partie de ces renforts. Il a écrit dans son rapport d'observation que lorsqu'il est arrivé sur les lieux avec deux de ses collègues, le détenu RC était assis et il s'entretenait avec le médecin. Le détenu RC a mal réagi à l'arrivée des renforts. Les trois agents se sont alors écartés de la porte de la salle d'examen et ont quitté les lieux un peu plus tard. Le rapport de l'infirmière AR corrobore les détails de l'incident mais ne fait aucune mention du fait que Mme Kagimbi n'avait pas appelé les renforts ou tenté de calmer le détenu.

20 Mme Kagimbi a témoigné que le détenu RC n'est pas sorti de la salle d'examen lors de l'incident. Quand il est arrivé à l'endroit où Mme Kagimbi était, il est retourné s'asseoir. Elle croit qu'elle a fait ce qu'elle devait faire lors de l'incident. Ni l'agent Plante, ni les infirmières CL ou AR ont témoigné lors de l'audience.

C. Incident impliquant le détenu CO

21 Le 22 mai 2007, Mme Kagimbi et l'agent Brunelle ramassaient les plats après le souper aux cellules de détention. Mme Kagimbi ouvrait les guichets des cellules et M. Brunelle récupérait les cabarets, puis Mme Kagimbi fermait les guichets. Le détenu CO était à la cellule 22. Dans un rapport d'observation daté du 23 mai 2007 et qui, selon l'employeur, porte la signature de Mme Kagimbi, il est écrit que M. Brunelle, en regardant le détenu à travers le hublot de sa cellule et en constatant qu'il avait le visage crispé, lui avait demandé ce qui n'allait pas, puis qu'il était allé téléphoner pour demander de l'aide. Il est aussi écrit que M. Brunelle avait dit à Mme Kagimbi que le détenu avait avalé des lames de rasoir.

22 Mme Kagimbi a nié avoir écrit ce rapport. Elle a d'ailleurs fait témoigner une experte pour attester que ce rapport n'était pas le sien. Je reviendrai sur cette question. Ce même rapport contient deux ajouts écrits à la main qu'elle n'a pas initialés ce qui était contraire à ses habitudes. Qui plus est, il contient un crochet manuscrit au lieu du « X » dactylographié qu'elle utilisait toujours. M. Perrotti a témoigné qu'il était possible qu'il avait fait les ajouts, mais il n'en était pas certain. Mme Kagimbi a ajouté que, d'où elle était lors de l'incident, elle ne voyait pas l'intérieur de la cellule. Elle a aussi témoigné que, à la suite de l'incident, le détenu avait été escorté à l'infirmerie et que M. Brunelle lui avait dit que le détenu voulait se suicider.

23 Le jour même, M. Brunelle a lui aussi rédigé un rapport d'observation de l'incident impliquant le détenu CO. Ce rapport n'a pas été présenté en preuve. Le surveillant Leduc a dit à M. Brunelle que son rapport n'était pas assez complet et qu'il devrait en rédiger un autre. Une semaine après l'incident, M. Brunelle a écrit son deuxième rapport d'observation de l'incident impliquant le détenu CO. Il a écrit au début de ce rapport qu'il désirait faire un retour sur les événements car il avait le sentiment que « tout s'est déroulé très vite et que le support disponible sur place n'est pas venu ». Il a aussi écrit que le détenu était adossé à la fenêtre, avait le visage crispé, et avait un cordon noir près de l'oreille. Il a alors dit à Mme Kagimbi que le détenu essayait de « s'accrocher ». Il a écrit que Mme Kagimbi l'avait regardé sans rien dire et qu'il avait couru appeler du renfort. Il a écrit que lorsqu'il est revenu à la cellule, le détenu s'était « accroché » et que Mme Kagimbi continuait de ramasser des cabarets. Il a aussi fait état de sa conversation avec Mme Kagimbi sur le fait que le détenu aurait avalé des lames de rasoir.

24 M. Brunelle a ajouté dans son témoignage que le détenu avait un lacet de soulier enfoncé autour de la gorge pour s'étouffer et arrêter sa circulation sanguine. M. Brunelle ne savait pas trop sur quoi le lacet était attaché, mais le visage du détenu était mauve. Il a témoigné que quand il a dit à Mme Kagimbi que le détenu tentait de « s'accrocher », elle n'a pas réagi. M. Brunelle a dit que pendant qu'il téléphonait, il voyait Mme Kagimbi et elle ne réagissait pas à l'incident. M. Brunelle croyait que Mme Kagimbi aurait alors dû surveiller le détenu. À la place, elle n'a pas demandé de précisions sur ce qui se passait, ni n'a offert son aide ou tenté d'aller voir le détenu.

25 Mme Kagimbi a dit n'avoir jamais vu le rapport écrit par M. Brunelle avant 2010. Elle n'est pas d'accord avec le contenu du rapport. Elle a témoigné que M. Brunelle ne lui avait dit qu'une vingtaine de minutes après l'incident que le détenu CO avait essayé de se suicider. Elle a témoigné qu'elle avait une bonne relation avec M. Brunelle en tant que collègues de travail.

26   M. Perrotti était le superviseur en poste lors de cet incident. Il a rédigé un rapport d'observation et il a témoigné à l'audience. Dans son rapport écrit le 23 mai 2007, M. Perrotti confirme que M. Brunelle l'a appelé pour lui dire que le détenu CO tentait de se pendre dans la cellule de détention. M. Perrotti a alors envoyé deux agents en renfort. Peu après, M. Brunelle l'a rappelé pour lui dire qu'il n'y avait plus d'urgence car le détenu s'était décroché. Dans son rapport, M. Perrotti a fourni d'autres détails sur l'incident, mais il n'a fait aucune mention de Mme Kagimbi.

27 Selon M. Perrotti, on peut voir la cellule 22 quand on est au téléphone à partir du poste où M. Brunelle l'avait appelé. Selon M. Blanchard, qui a travaillé à cet établissement pendant 35 ans, il n'est pas possible de voir la cellule 22 de l'endroit où M. Brunelle a appelé. M. Blanchard a aussi témoigné qu'il était impossible pour un détenu de « s'accrocher » dans la cellule 22 ou dans une des cellules de détention car il n'y avait absolument aucun endroit pour le faire, la finition de la fenêtre et de son contour étant lisse.

28 M. Leduc ne se souvenait pas d'avoir discuté avec Mme Kagimbi des rapports d'observation traitant de cet incident, ni de lui avoir parlé de l'incident.

D. Perte de la clé des menottes

29 Le 6 août 2007 vers 17 h, Mme Kagimbi a constaté qu'elle n'avait plus la clé des menottes. Cette clé était habituellement accrochée à sa ceinture. Elle a alors avisé son surveillant de l'incident et elle est retournée où elle avait circulé en compagnie d'un autre agent dans le but de retrouver la clé. Vers 17 h 25, Mme Kagimbi a retrouvé la clé qui était par terre près d'une guérite. À la demande de M. Leduc, Mme Kagimbi a rédigé un rapport d'observation pour rapporter l'incident.

30 En 2007, les clés des menottes étaient très petites. Selon Mme Kagimbi, elles avaient une taille d'à peu près 2 ou 3 centimètres. Elle a d'ailleurs produit une photo en preuve. Tous les témoins questionnés sur ce sujet ont d'ailleurs confirmé que les clés utilisées en 2007 étaient très petites et qu'elles ont depuis été changées pour des clés plus grosses. Les témoins ont confirmé qu'il arrivait, même si ce n'était pas fréquent, que des agents égaraient les clés des menottes. Pour des raisons assez évidentes, il s'agit d'incidents assez sérieux en milieu carcéral.

E. Incident à la barrière

31   M. Falardeau a témoigné qu'il se rappellait du rapport d'observation qu'il avait rédigé le 23 mai 2007 relativement à un incident impliquant des problèmes avec la fermeture d'une barrière le 15 mai 2007. Ce jour-là, M. Falardeau effectuait des travaux sur une barrière à une trentaine de mètres d'une tour de surveillance où se trouvait un agent correctionnel. Il n'a pas vu l'agent dans la tour, mais il s'est souvenu quand il a communiqué avec l'agent que c'était une femme. Il a écrit dans son rapport que l'agent dans la tour semblait confus avec les commandes d'ouverture et de fermeture de la barrière de sorte que l'agent a fermé la barrière dans son dos. M. Falardeau a dû se tasser pour ne pas se faire écraser. Plus tard, alors qu'il redressait la barrière no 1 avec un bélier mécanique, l'agent a fermé la barrière no 2 sur le bélier mécanique par erreur. Dans son rapport, M. Falardeau écrit qu'il a été obligé de communiquer avec l'officier de la guérite pour qu'il communique avec l'officier de la tour pour faire ouvrir la barrière no 2. M. Perrotti a témoigné que les portes des barrières s'ouvrent et se ferment très lentement.

32 M. Falardeau ne se souvenait pas pourquoi il avait attendu huit jours avant de rédiger son rapport. M. Leduc a témoigné que c'est lui qui avait demandé à M. Falardeau de rédiger le rapport. M. Falardeau a témoigné que ce n'était pas lui qui avait écrit à la fin du rapport la mention : « (officière en poste à la tour # 2 – Oda Kagimbi) ». M. Leduc a témoigné qu'il avait ajouté lui-même cette mention au bas du rapport de M. Falardeau sans pour autant y apposer ses initiales. Il a témoigné que s'il avait ajouté cette mention, c'est parce qu'il était assez certain que c'était Mme Kagimbi qui était dans la tour.

33 La forme du formulaire du rapport d'observation de M. Falardeau était différente de la forme de tous les autres rapports d'observation soumis en preuve. M. Falardeau a expliqué que le formulaire en question lui avait été remis par le commis aux services techniques de l'établissement. Il remplit rarement ces rapports et il ne peut expliquer si la forme de celui-ci était différente des autres. M. Leduc a témoigné qu'il arrive que les rapports d'observation aient cette forme.

F. Le PPAS

34 Le 23 mai 2007, le surveillant correctionnel Marc Côté a écrit un rapport d'observation contenant la déclaration suivante :

[…]

Alors que j'occupais les fonctions d'ARS, j'ai demandé à deux détenus du comité de se présenter à mon bureau afin de m'entretenir avec eux. À leur arrivée à mon bureau vers 13H30 les détenus étaient dans tout leurs états et un d'entre eux m'a dit « Ton officière dans le contrôle est pas mêlée à peu près… Quand je lui ai dit que je voulais voir l'ARS elle s'est retourné et m'a tendu un PPAS… Je lui ai alors dit « NON NON je veux voir Côté l'ARS !!! ». Après vérification, l'officière en poste était Mme Oda Kagimbi.

[…]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

35 L'acronyme ARS désigne un agent de renseignement de sécurité et PPAS un objet qui est une alarme portative. Dans la section du rapport où l'on doit indiquer la date et l'heure de l'incident, M. Côté a inscrit que l'incident s'était produit en février 2007, mais au lieu d'indiquer le jour, il a plutôt inscrit « xx ». Le rapport est contresigné par M. Leduc, qui indique l'avoir reçu le 23 mai 2007.

36 M. Côté n'a pas témoigné à l'audience. Mme Kagimbi a témoigné qu'elle ne se reconnaissait pas dans le rapport rédigé par M. Côté. Elle a aussi noté que le rapport avait été écrit trois mois après les faits en question à une date où M. Côté n'était plus un ARS. M. Leduc a témoigné que les ARS connaissent bien les détenus et savent à qui ils peuvent se fier. De plus, ils n'écrivent jamais la date d'un événement sur leurs rapports d'observation.

G. Communications radio

37 En 2007, le personnel de l'établissement utilisait deux systèmes pour les communications vocales, l'un étant d'utilisation plus générale, l'autre étant réservé aux patrouilles et aux surveillants. Il arrivait à l'occasion qu'un utilisateur demande à un autre de répéter quand les messages ou la transmission n'étaient pas claires.

38 Le 16 juin 2007, le surveillant M. Nadeau a écrit le rapport d'observation suivant :

[…]

Signalement de situation concernant l'officière Oda Kagimbi.

Le 16 juin sur le quart de soir Oda est sur la patrouille {Charlie #08}, et je lui demande.

- S/C --Charlie #12 à Charlie #08 appel moi au 2930.

- Oda --Pouvez-vous répéter.

- S/C --Appel moi au 2930

- Oda --Je n'ai pas compris, pouvez répéter.

- S/C --Téléphone au 2-9-3-0.

- Oda --Vous voulez que je vous appel au 2-9-3-0.

- S/C --C'est cela, appel moi.

J'ai vérifié avec d'autres officiers afin de savoir si les ondes coupaient quand je parlais. Ils m'ont dit que c'était très clair sur les ondes.

Qu'est-ce que ce sera s'il s'agit d'un appel d'urgence?

Je parlais clairement et lentement, mais elle ne comprenait pas.

[…]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

39 M. Nadeau n'a pas témoigné à l'audience. Mme Kagimbi a témoigné que le rapport ne reflète pas correctement la conversation radio qu'elle a eue avec M. Nadeau le 16 juin 2007. Elle n'a pas précisé en quoi le rapport de M. Nadeau était inexact. M. Leduc a témoigné qu'en général les agents comprennent bien les messages radio mais qu'il arrivait plus souvent à Mme Kagimbi qu'aux autres de faire répéter les messages. M. Leduc et M. Blanchard ont témoigné que les agents utilisent leur langage de tous les jours pour communiquer sur les ondes radio.

H. Évaluation du rendement et renvoi de Mme Kagimbi

40 Mme Kagimbi a témoigné que M. Leduc l'avait appelée le 16 septembre 2007 pour vérifier si elle était de retour de vacances le lendemain. Il lui a dit qu'elle recevrait alors son évaluation du rendement. Vers 11 h, M. Leduc a demandé à Mme Kagimbi de se rendre à une rencontre au cours de laquelle elle pouvait se faire accompagner d'un représentant syndical. Au début de la rencontre, Mme Poisson a remis le rapport d'évaluation du rendement du 17 septembre 2007 à Mme Kagimbi. Elle a dit qu'elle n'était pas d'accord avec ce rapport. Puis, Mme Poisson lui a remis la lettre de renvoi, elle aussi datée du 17 septembre 2007. Mme Kagimbi a témoigné que M. Leduc lui avait alors dit qu'il n'avait rien contre les femmes ou les « Noirs ». Mme Kagimbi a aussi témoigné qu'on lui avait demandé de remettre son équipement et par la suite, elle a quitté l'établissement. Elle était sous le choc et ne comprenait pas trop ce qui s'était passé. L'employeur ne lui avait jamais dit qu'il était insatisfait d'elle. Le lendemain, elle a demandé l'aide du syndicat et elle a déposé un grief.

41 M. Leduc a témoigné qu'il s'était principalement basé sur les rapports d'observation qu'il avait pour écrire le rapport d'évaluation du 17 septembre 2007 sur le rendement de Mme Kagimbi. M. Leduc a témoigné que les gestionnaires ne pouvaient pas faire confiance à Mme Kagimbi car elle n'était pas à l'aise dans son poste d'agent correctionnel. Selon M. Leduc, Mme Kagimbi avait de la difficulté à s'intégrer à l'équipe et elle se tenait à l'écart. M. Leduc a témoigné qu'en 2007, il en était à ses débuts comme surveillant correctionnel et qu'il est maintenant d'avis qu'il aurait pu rencontrer Mme Kagimbi et discuter avec elle beaucoup plus qu'il ne l'avait fait en 2007.

42 Dans le rapport d'évaluation du 17 septembre 2007, M. Leduc a écrit que Mme Kagimbi avait de la difficulté à accomplir ses fonctions, qu'elle semblait manquer d'assurance et qu'elle requérait une supervision constante. Il a indiqué qu'elle ne satisfaisait pas aux objectifs du poste. Il a écrit ce qui suit pour justifier son évaluation :

[…]

  1. Peu de communication avec les autres membres du personnel. Elle semble souvent s'isoler des autres employés.
  2. L'employée n'a pas démontré qu'elle était en contrôle de l'équipement sécuritaire (ex: perte de sa clé de menotte, remise de PPAS à un détenu alors qu'elle était au contrôle central).
  3. L'employée n'a pas démontré qu'elle était en plein contrôle lors de sa présence à différents poste sécuritaire. (ex: difficulté à contrôler les grilles de l'entrée de service, difficulté avec les communications radio).
  4. Malgré deux semaines supplémentaires de stage de formation et presque neuf mois d'expérience, l'employée éprouve encore beaucoup de difficulté à accomplir ses fonctions.
  5. Il a été clairement démontré à quelques reprise que l'employée n'est pas capable de réagir efficacement lors d'incident (ex: aucune réaction lors d'une pendaison d'un détenu et aussi lors de la désorganisation d'un autre détenu à l'hôp. int.)

[…]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

43 Mme Poisson a témoigné qu'on avait porté à son attention le fait que Mme Kagimbi avait des difficultés au travail et qu'on avait décidé de la soumettre à une deuxième période de familiarisation. Environ sept mois après l'embauche de Mme Kagimbi, la directrice adjointe des opérations, Suzanne Legault, a mentioné à Mme Poisson que « ça n'allait pas » avec Mme Kagimbi. Selon Mme Poisson, la sécurité est une affaire d'équipe dans laquelle chaque employé doit être impliqué et proactif. Lors de son témoignage, Mme Poisson a commenté le rapport d'évaluation du rendement rédigé par M. Leduc le 17 septembre 2007. C'est sur la base de ce rapport qu'elle a décidé de renvoyer Mme Kagimbi. Mme Poisson a confirmé que les rapports d'observation faisant état du rendement de Mme Kagimbi n'ont pas été remis à Mme Kagimbi lors de la rencontre au cours de laquelle elle a été renvoyée.

I. Préavis de fin d'emploi

44 Mme Poisson reconnaît que la lettre de renvoi du 17 septembre 2007 ne fait pas référence à un préavis de fin d'emploi. Elle ne sait pas si une indemnité tenant lieu de préavis a été payée à Mme Kagimbi. Cela ne relève pas d'elle.

45 En décembre 2007, Magali Peries du bureau central de l'employeur a écrit à Mme Poisson pour lui demander, entre autres choses, si Mme Kagimbi avait bénéficié d'un préavis avant d'être renvoyée ou si on lui avait payé une indemnité. Le 21 janvier 2008, Mme Peries a de nouveau écrit à Mme Poisson qu'il convenait de payer à Mme Kagimbi une indemnité équivalente à deux semaines de salaire car le préavis ne lui avait pas été donné. Le 28 janvier 2008, la directrice adjointe, Mme Legault, a rédigé une note de service pour que l'indemnité équivalente à deux semaines de salaire soit payée à Mme Kagimbi. À la suite de cette note, un chèque daté du 14 février 2008 a été émis et envoyé à Mme Kagimbi. Ce chèque équivalait à deux semaines de salaire.

46 M. Ladouceur a témoigné qu'après avoir fait plusieurs vérifications, il a constaté que la pratique dans la région du Québec était de payer deux semaines de préavis dans les cas de renvoi en cours de stage. Il a admis que cette pratique était erronée et que selon le Règlement fixant la période de stage et le délai de préavis en cas de renvoi en période de stage, DORS/2005-375, l'employeur aurait dû donner un préavis d'un mois à Mme Kagimbi ou lui verser une indemnité équivalente à un mois de salaire. Il s'est engagé à faire rectifier cette pratique et à ce que l'employeur verse à Mme Kagimbi les sommes qui lui étaient dues.

J. Autres éléments de preuve

47 Dans son témoignage, Mme Bergeron, experte en écriture et documents, a remis en question la validité ou l'intégrité de deux documents. Le premier est le rapport d'observation que Mme Kagimbi avait apparemment signé le 23 mai 2007 relativement à l'incident impliquant le détenu CO. Mme Kagimbi a nié être l'auteure de ce rapport (voir paragraphes 21 à 28). Mme Bergeron a conclu qu'il y avait une très forte probabilité que Mme Kagimbi n'ait pas rédigé ce rapport. Elle a fondé sa conclusion sur le fait que, selon elle, le document comporte des différences sur le vocabulaire habituellement utilisé par Mme Kagimbi pour désigner les autres employés et par des altérations qui ont été apportées au document. Le deuxième document analysé par Mme Bergeron est le rapport d'observation de M. Falardeau daté du 23 mai 2007 (voir paragraphes 31 à 33). Mme Bergeron a conclu qu'il y avait une très forte probabilité que le document ait été altéré par l'ajout d'une dernière ligne écrite par une tierce personne. Cette conclusion confirme le témoignage de M. Falardeau qui dit ne pas avoir écrit cette ligne et celui de M. Leduc qui dit l'avoir lui-même écrite.

48 M. Blanchard a témoigné au sujet de la bonne qualité du travail de Mme Kagimbi lors d'une patrouille qu'il avait faite avec elle impliquant un incident avec un détenu qui était très malade. Il a aussi expliqué comment les rapports d'observation étaient rédigés. Enfin, il a témoigné au sujet des procédures de remise et de vérification des armes.

49 Un rapport d'observation signé par la surveillante S. Gagnon le 15 août 2007 a aussi été déposé en preuve. Elle fait état de la réaction de Mme Kagimbi qui disait ne pas avoir été relevée de son poste de travail à temps. Mme Gagnon n'a pas témoigné à l'audience. L'employeur ne fait pas référence à cette information dans l'évaluation du rendement de Mme Kagimbi.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour l'employeur

50 L'employeur a argumenté que je n'avais pas compétence pour entendre le grief car il s'agissait d'un renvoi en cours de stage fait aux termes de l'article 61 et du paragraphe 62(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP). L'article 211 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») empêche le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur un licenciement fait sous le régime de la LEFP.

51 La seule question devant l'arbitre de grief est de savoir s'il s'agit ou non d'un renvoi en cours de stage. Le rôle de l'arbitre de grief n'est pas d'examiner l'équité du processus ou la justesse de la décision de l'employeur de renvoyer l'employé en cours de stage. L'arbitre de grief ne peut juger ou interpréter les faits liés à la compétence de l'employé. Cette évaluation appartient à l'employeur. L'arbitre de grief n'a pas compétence non plus pour déterminer si le préavis de renvoi a été donné ou si les sommes payées tenant lieu du préavis étaient les bonnes. Sur ce point, l'employeur a d'ailleurs reconnu son erreur et s'est engagé à verser les sommes manquantes à Mme Kagimbi.

52 L'employeur a démontré que l'emploi de Mme Kagimbi comportait une période de stage et que celle-ci a été renvoyée pendant cette période de stage. L'employeur a agi de bonne foi en mettant fin au stage de Mme Kagimbi. Le renvoi en cours de stage n'était pas un subterfuge ou un camouflage d'une autre raison pour mettre fin à l'emploi. L'employeur a mis fin au stage parce qu'il était insatisfait du rendement de Mme Kagimbi. Dans la lettre de renvoi, l'employeur a indiqué en quoi il était insatisfait du rendement de Mme Kagimbi.

53 Selon l'employeur, Mme Kagimbi a eu de la difficulté à s'intégrer au groupe. Elle était à l'écart et se tenait en retrait. L'employeur lui a offert une deuxième période de familiarisation. Elle a continué à éprouver des difficultés au travail. Elle a perdu les clés des menottes, elle a voulu remettre une alarme portative à un détenu, elle faisait répéter les messages sur les ondes radio, elle a fermé la barrière quand on lui avait demandé de l'ouvrir et elle tardait à réagir dans des situations difficiles avec des détenus.

54 L'employeur était en droit de renvoyer Mme Kagimbi pendant sa période de stage parce qu'il croyait de bonne foi qu'elle n'avait pas les capacités pour faire son travail.

55 L'employeur m'a renvoyé aux décisions suivantes : Burchill c. Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.); Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 72; Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] A.C.F. no 461 (C.A) (QL); Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529; Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225 (1er inst.) (QL); Maqsood c. Conseil du Trésor (ministère de l'Industrie), 2009 CRTFP 175; Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134; Warman c. dministrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 103; Premakanthan c. Administrateur général (Conseil du Trésor), 2012 CRTFP 67; Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Services correctionnels), 2004 CRTFP 109; Owens c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2003 CRTFP 33; Boyce c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2004 CRTFP 39; Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 33; Bilton c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 39; Dyck c. Administrateur général (ministère des Transports), 2011 CRTFP 108.

B. Pour Mme Kagimbi

56 Mme Kagimbi a soumis que l'arbitre de grief a compétence pour entendre son grief et qu'il devrait l'accueillir en raison du fait que l'employeur a agi de mauvaise foi, de façon arbitraire et n'a pas agi de façon équitable avec Mme Kagimbi.

57 Compte tenu des conséquences graves qu'implique la rupture du lien d'emploi pour un employé, les employeurs, incluant ceux du secteur public, ont une obligation de bonne foi et de traitement équitable lorsqu'ils mettent fin à l'emploi d'un employé. Le pouvoir d'un employeur n'est pas sans limite et l'arbitre de grief peut annuler toute décision de l'employeur qui est de nature arbitraire ou discriminatoire ou qui est prise de mauvaise foi.

58 L'employeur n'a pas respecté les obligations que lui impose la LEFP en matière de préavis de licenciement. À lui seul, ce manquement justifie l'annulation du renvoi de Mme Kagimbi. La lettre de renvoi signée par Mme Poisson ne contient aucune mention d'un préavis et lors de son renvoi, Mme Kagimbi n'a pas été informée de son droit à un préavis ou à une indemnité. Ce n'est qu'en février 2008, soit six mois après son renvoi, que Mme Kagimbi a reçu une indemnité pour une période de deux semaines au lieu des 30 jours auxquels elle avait droit.

59 La preuve révèle que l'employeur n'a jamais avisé Mme Kagimbi clairement et de manière transparente des normes de rendement, des lacunes qu'elle présentait et du fait qu'elle devait s'améliorer. Les divers rapports d'observation qui ont été écrits contre elle ne lui ont jamais été montrés et leur contenu n'a pas été discuté avec elle, incluant les deux rapports rédigés par M. Matte à la suite de la seconde période de familiarisation.

60 En plus de n'avoir jamais été partagés avec Mme Kagimbi, certains des rapports d'observation utilisés pour évaluer son rendement contiennent des faussetés et d'autres ont été altérés ou ne sont pas écrits sur les bons formulaires ou ont été soumis longtemps après les faits. M. Leduc a avoué lors de son témoignage qu'il aurait dû parler à Mme Kagimbi de ses lacunes au travail mais il ne l'a jamais fait. Il disait qu'elle requerrait une surveillance constante, mais il ne lui en a pas donné.

61 Tous les faits pris dans leur ensemble démontrent que l'employeur a agi de mauvaise foi, a fait preuve d'iniquité de traitement et de camouflage. Par conséquent, l'arbitre de grief devrait accueillir le grief.

62 Mme Kagimbi m'a renvoyé aux décisions suivantes : Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701; Dhaliwal ; Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2010 CRTFP 83; Tello; Bergeron c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2011 CRTFP 103; Doucet c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 145.

63 Mme Kagimbi m'a aussi renvoyé aux différentes dispositions législatives qui régissent le renvoi en cours de stage ainsi qu'aux lignes directrices de l'employeur en matière de licenciement, incluant le renvoi en cours de stage.

IV. Motifs

64 Mme Kagimbi a été embauchée de l'extérieur de la fonction publique au poste d'agente correctionnelle le 19 décembre 2006. Elle a été informée par écrit lors de son embauche qu'elle serait en stage pour une période de 12 mois. L'employeur l'a renvoyée le 17 septembre 2007 avant la fin de son stage de 12 mois.

65 Les dispositions suivantes de la LEFP confèrent à l'employeur le droit d'imposer une période de stage et de renvoyer un employé au cours de cette période :

[…]

61. (1) La personne nommée par nomination externe est considérée comme stagiaire pendant la période :

a) fixée, pour la catégorie de fonctionnaires dont elle fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d'une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

[…]

Renvoi

62. (1) À tout moment au cours de la période de stage, l'administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d'une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

[…]

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

[…]

66 Le délai dont il est question au paragraphe 62(1) de la LEFP est d'un mois. Les parties reconnaissent toutes deux que la durée du délai est d'un mois et le fait qu'elle n'a pas été respectée. L'employeur s'est engagé à réparer l'erreur qu'il a commise. Selon Mme Kagimbi, le non-respect du délai devrait avoir pour effet d'annuler le congédiement. Je reviendrai sur cette question.

67   Conformément à l'article 211 de la Loi, un grief portant sur un renvoi en cours de stage en vertu de la LEFP ne peut pas être renvoyé à l'arbitrage. L'arbitre de grief n'a donc pas la compétence pour l'instruire. L'article 211 de la Loi est libellé comme suit :

211. L'article 209 n'a pas pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique;

[…]

68 Même s'il n'a pas la compétence pour entendre un grief concernant un renvoi en cours de stage, un arbitre de grief doit d'abord, avant d'en arriver à une telle conclusion, déterminer si le renvoi est bel et bien un renvoi en cours de stage. Il doit s'assurer que l'employeur n'a pas eu recours au motif du stage comme subterfuge ou camouflage pour cacher un autre motif de renvoi et que le motif du renvoi était lié aux aptitudes de l'employé d'occuper son emploi.

69 Dès 1978, la Cour suprême du Canada dans Jacmain c. Procureur général du Canada et al., [1978] 2 R.C.S. 15, a statué que le droit de l'employeur de renvoyer un employé en cours de stage était très large et que ce droit est inattaquable à moins que l'employeur ait agi de mauvaise foi. La Cour s'exprime ainsi à la page 37 de sa décision :

[…]

Le droit appartenant à l'employeur de renvoyer un employé au cours du stage est très large. Pour employer les mots de l'art. 28 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique précité, il suffit qu'il y ait un motif, une raison. L'avocat de l'appelant a loyalement reconnu à l'audition que le texte, à première vue, permet à l'employeur d'invoquer à peu près n'importe quel motif et que sa décision est inattaquable pourvu que sa conduite ne soit pas entachée de mauvaise foi.

[…]

70 En 1989, la Cour fédérale, dans Penner, concluait qu'un arbitre de grief ne pouvait examiner un renvoi en cours de stage dès qu'il avait devant lui une preuve satisfaisante que l'employeur avait agi de bonne foi sur la base qu'il croyait que l'employé ne convenait pas au poste. Dans Leonarduzzi, la Cour fédérale a réaffirmé qu'un arbitre de grief ne peut examiner la justesse d'un renvoi en cours de stage et que, un dans un tel cas, l'employeur n'a qu'à produire un minimum de preuve que le renvoi en période de stage est lié à l'emploi et non pas à un autre motif. Sur ces points la Cour s'exprime ainsi :

[…]

[31] Je partage l'avis du procureur général que l'objectif du législateur en adoptant le paragraphe 92(3) de la LRTFP était d'interdire l'arbitrage par la Commission des renvois en cours de stage. Toutefois, le législateur n'a pas interdit à un arbitre d'examiner la question de savoir si un renvoi en cours de stage a été réellement fait en vertu de la LEFP.[…]

[32] Au vu du grief du défendeur, qui prétend qu'il y a eu mauvaise foi dans son renvoi en cours de stage, l'arbitre saisi de l'affaire a demandé à l'employeur de présenter une preuve qui lui permettrait de déterminer si le licenciement avait été effectué en vertu de la LEFP, ce qui fait qu'il n'aurait pas compétence, ou s'il était motivé par des facteurs qui n'ont rien à voir avec la LEFP, ce qui lui accorderait compétence en vertu de l'article 92 de la LRTFP. L'autorité de l'arbitre de se saisir du grief dépend entièrement de cette conclusion de fait.

[…]

[37] Je partage le point de vue du défendeur en partie, savoir comme l'a exprimé le vice-président dans les motifs de la Commission en l'instance. Plus spécifiquement, l'employeur n'a pas à produire une preuve prima facie d'un motif déterminé valable, mais seulement à produire un minimum de preuve que le renvoi est lié à l'emploi et non à un autre motif.

[…]

71 Ces décisions des tribunaux établissent clairement que l'arbitre de grief sous la Loi n'a pas compétence pour entendre sur le fond un grief qui porte sur un renvoi en cours de stage. Son rôle se limite à constater si oui ou non le renvoi est un renvoi en cours de stage. Dès que l'arbitre de grief constate qu'il s'agit d'un renvoi en cours de stage, il perd sa compétence. S'il constate par contre que l'employeur a agi de mauvaise foi, a renvoyé l'employé pour un motif qui n'est pas lié à sa capacité d'occuper les fonctions ou que le renvoi en cours de stage est un subterfuge ou un camouflage d'un autre motif de renvoi, l'arbitre de grief peut avoir la compétence d'entendre le grief. L'employeur ne peut utiliser le motif du renvoi en cours de stage pour enlever à l'employé un droit de recours qu'il aurait si les vrais motifs du renvoi étaient utilisés.

72 La preuve démontre que la période de stage de Mme Kagimbi s'étendait du 19 décembre 2006 au 18 décembre 2007. Au moment où elle a été renvoyée, soit le 17 septembre 2007, Mme Kagimbi était encore en stage. À partir de là, il me reste à déterminer si l'employeur a agi de bonne foi et l'a renvoyée parce qu'il croyait qu'elle ne convenait pas au poste (Penner) ou sur la base d'un motif lié à l'emploi (Leonarduzzi) ou encore si le renvoi s'est fait pour un autre motif qui n'était pas lié à l'emploi.

73 La preuve qui m'a été présentée par l'employeur est non équivoque: l'employeur croyait que Mme Kagimbi était incapable d'occuper les fonctions d'agent correctionnel. Cette preuve est principalement constituée des témoignages de Mme Poisson et de M. Leduc ainsi de la lettre de renvoi signée par Mme Poisson et du rapport d'évaluation du rendement signé par M. Leduc. Je conclus, à la suite de l'examen de la preuve, que l'employeur n'a pas utilisé le renvoi en cours de stage comme subterfuge pour camoufler un autre motif de renvoi. Mme Kagimbi ne m'a d'ailleurs soumis aucun élément de preuve qui pourrait me le laisser croire.

74 La preuve révèle que l'employeur et ses représentants n'ont pas confronté Mme Kagimbi en lui faisant part des lacunes dans son travail. Ce n'est que le 17 septembre 2007, le jour de son renvoi, qu'on l'a fait. Elle n'a donc jamais su ce qui n'allait pas et n'a pas eu la chance de corriger la situation. On l'a plutôt renvoyée. Cependant, mon rôle n'est pas de décider si l'employeur a agi de façon équitable envers Mme Kagimbi dans la gestion de ses prétendues lacunes au travail ou si les pratiques de gestion des surveillants correctionnels étaient adéquates.

75 Mme Kagimbi prétend que l'employeur n'a pas agi de bonne foi. Je ne suis pas d'accord. Certes, l'employeur a mal géré la période de stage de Mme Kagimbi et il a manqué de transparence avec elle. Je n'en conclus cependant pas qu'il a agi de mauvaise foi et surtout, à partir de la preuve soumise, qu'il n'était pas insatisfait des capacités démontrées par Mme Kagimbi à occuper le poste d'agent correctionnel.

76 Mme Kagimbi n'est pas d'accord avec la preuve soumise par l'employeur quant à ses lacunes au travail. Elle croît qu'elle a agi correctement lors des incidents impliquant les détenus RC et CO. Elle admet avoir perdu la clé des menottes et avoir demandé de répéter à un interlocuteur sur les ondes radio. Elle prétend cependant que de tels incidents arrivent à d'autres à l'occasion. Elle nie l'incident de la barrière et celui de l'alarme portative. Même en écartant les incidents niés par Mme Kagimbi, l'employeur s'est quand même acquitté de son fardeau de preuve. Ma tâche n'est pas de déterminer avec précision si Mme Kagimbi a agi correctement dans les différentes situations qui m'ont été présentées. Le fardeau de l'employeur est de me prouver que Mme Kagimbi était en stage et qu'il était insatisfait de ses capacités à occuper le poste d'agent correctionnel. Il s'est acquitté de ce fardeau.

77 Mme Kagimbi m'a renvoyé à Wallace où la Cour suprême du Canada rappelle que la perte d'un emploi est toujours un événement traumatisant pour un employé et que les employeurs doivent alors « assumer une obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le mode de congédiement ». Cette mention doit être placée dans son contexte car la Cour examinait alors le processus ou la façon de congédier un employé. Quoiqu'il en soit, dans le cas d'un renvoi en cours stage, l'employeur doit être de bonne foi dans sa prise de décision de mettre fin à l'emploi en cours de stage. Il ne peut utiliser le renvoi en cours de stage pour camoufler une autre forme de renvoi. Cependant, cela ne veut pas dire que l'employeur est tenu d'être transparent avec l'employé au cours de son stage et de l'informer de ses lacunes au travail afin de lui donner la chance de se corriger. Le gros bon sens et les bonnes pratiques de gestion le voudraient mais le droit ne l'exige pas.

78 Mme Kagimbi a soulevé les erreurs de l'employeur dans la gestion du préavis de la fin de la période de stage. Tout d'abord, l'employeur n'a fait aucune mention du préavis dans la lettre de renvoi et il a renvoyé Mme Kagimbi sur le champ le 17 septembre 2007. Puis, il lui a payé deux semaines de salaire en guise de préavis six mois après l'avoir renvoyée. Enfin, lors de l'audience soit plus de cinq ans après le renvoi, l'employeur admet qu'il aurait dû lui payer un mois de salaire en guise de préavis. Il ne fait de doute que Mme Kagimbi a droit à un mois de salaire en guise de préavis et que l'employeur doit lui payer ces sommes. L'employeur a d'ailleurs admis son erreur lors de l'audience et s'est engagé à payer à Mme Kagimbi ce qu'il lui doit.

79 Cette erreur de l'employeur n'invalide pas pour autant le renvoi en cours de stage. Le paragraphe 62(1) de la LEFP prévoit que l'employeur peut mettre fin au stage au terme du délai et que l'employé perd sa qualité de fonctionnaire au terme du délai. Le paragraphe 62(2) de la LEFP prévoit que l'employeur peut aussi verser une indemnité monétaire équivalente à la valeur du préavis. Il est clair que l'employeur n'a pas respecté la LEFP mais ce manquement ne donne pas d'autre droit substantif que d'obtenir le paiement du préavis tel qu'il aurait dû être fait au départ. Le paiement du préavis n'a rien à voir avec la justesse de la décision de renvoi et, s'il n'est pas correctement payé, cela n'entraîne pas l'annulation du renvoi. Le préavis fournit plutôt à l'employé une période de temps pour l'aider à s'ajuster à sa nouvelle situation et le soutenir financièrement. S'il y a eu des délais ou des erreurs dans le paiement du préavis, l'obligation de l'employeur se limite à corriger pleinement et adéquatement ces erreurs.

80 Mme Kagimbi m'a renvoyé aux lignes directrices de l'employeur n matière de licenciement, incluant le renvoi en cours de stage. Je ne commenterai pas ces lignes directrices qui n'ont pas force de loi et qui ne servent que de guide aux gestionnaires de l'employeur dans leur travail. Il importe peu dans la présente affaire de les examiner en relation avec les faits présentés, car l'employeur n'a aucune obligation de s'y conformer.

81 Je n'ai pas compétence pour entendre ce grief.

82 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

83 J'ordonne la fermeture du dossier.

Le 27 février 2013.

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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