Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la suspension du travail qui lui a été imposée dans l’attente d’une évaluation médicale indépendante attestant son aptitude au travail - elle a allégué que la suspension avait été imposée sans motif raisonnable et de mauvaise foi, et qu’elle constituait une mesure disciplinaire déguisée - l’employeur l’a tout d’abord suspendu avec salaire et, devant le refus de la fonctionnaire s’estimant lésée de se soumettre à une évaluation médicale, l’a ensuite suspendu sans salaire - l’employeur avait d’abord exigé qu’elle se soumette à une évaluation médicale indépendante, pour ensuite accepter que le médecin de la fonctionnaire s’estimant lésée puisse réaliser l’évaluation médicale - l’employeur a soulevé une objection préliminaire à la compétence de l’arbitre de grief d’entendre et de trancher le grief, au motif que la suspension de la fonctionnaire était de nature administrative et non disciplinaire - l’employeur a affirmé qu’il était inquiet de l’état de santé de la fonctionnaire s’estimant lésée - elle avait pris congé pour cause de stress, était sujette à de fréquentes crises émotives au travail, envoyait des courriels qui étaient incompréhensibles et confus à ses collègues, était incapable de travailler en harmonie avec ses collègues, était improductive au travail, et avait été vue alors qu’elle photographiait des participants à une réunion à laquelle elle n’avait pas été invitée - selon la fonctionnaire s’estimant lésée, sa plainte de harcèlement à l’égard de son gestionnaire n’avait pas été réglée à sa satisfaction, bien qu’une de ses allégations ait été admise, et a témoigné qu’elle avait été isolée et marginalisée et obligée de travailler dans un environnement de travail toxique - elle a contesté les allégations concernant son rendement au travail - l’arbitre de grief a conclu que la preuve avait révélé des comportements et des affirmations de la part de la fonctionnaire pouvant soulever des préoccupations légitimes quant à son état de santé - l’employeur avait l’obligation de veiller à la santé et à la sécurité des employés dans leur milieu de travail - l’employeur avait raison d’exiger que la fonctionnaire passe un examen médical indépendant - l’employeur a tenté d’intervenir de la façon la moins contraignante possible, et elle a été suspendue sans salaire seulement lorsqu’elle a refusé catégoriquement de se soumettre à l’évaluation demandée, et ce, même lorsqu’il a été accepté que cette évaluation soit effectuée par son propre médecin - les suspensions n’étaient pas de nature disciplinaire - l’employeur était motivé par des préoccupations quant à la santé de la fonctionnaire s’estimant lésée. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-05-02
  • Dossier:  566-32-4289 et 5054
  • Référence:  2013 CRTFP 49

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ROSEMARY HOOD

fonctionnaire s'estimant lésée

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
Hood c. Agence canadienne d'inspection des aliments

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Elle-même

Pour l'employeur:
Martin Desmeules, avocat

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
du 6 au 9 décembre 2011 et du 18 au 21 septembre 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Rosemary Hood, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), occupait un poste de vétérinaire classifié VM-03. Elle travaillait pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA ou l’« employeur »), à titre d’agente de projets spéciaux, au Centre national des maladies animales exotiques (CNMAE), Direction générale des sciences, à Winnipeg (Manitoba).

2 Le 8 janvier 2010, la fonctionnaire a été suspendue avec salaire dans l’attente d’une évaluation médicale indépendante attestant de son aptitude au travail. Le 26 avril 2010, la fonctionnaire a été mise en congé non payé, l’employeur alléguant qu’elle continuait à refuser de se soumettre à une évaluation de l’aptitude au travail. Le 16 septembre 2010, la fonctionnaire a été licenciée.

3 Le 13 janvier 2010, la fonctionnaire a déposé un grief contre la suspension avec salaire imposée le 8 janvier 2010. Elle a prétendu que la suspension avait été imposée sans motif raisonnable et de mauvaise foi, et qu’elle constituait une mesure disciplinaire déguisée. Comme mesure corrective, elle a demandé que l’obligation de se soumettre à un examen médical soit retirée, qu’elle soit autorisée à retourner au travail immédiatement et que son salaire et ses avantages sociaux soient rétablis. Le 27 mai 2010, elle a déposé un second grief contre la décision de l’employeur de la mettre en congé non payé, alléguant que cette mesure avait été imposée sans motif raisonnable et qu’elle constituait une mesure disciplinaire déguisée. Elle a demandé les mêmes mesures correctives que pour le grief du 13 janvier 2010.

4 Le 19 juillet 2010, l’employeur a répondu aux deux griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Les deux griefs ont été rejetés, et ils ont été renvoyés à l’arbitrage le 26 août 2010. Ce sont les seuls griefs que je dois trancher. Bien qu’on ait produit à l’audience certains éléments de preuve démontrant que la fonctionnaire a déposé un grief contre le licenciement, je ne suis pas saisie de ce grief.

II. Questions préliminaires

5 Les deux parties ont soulevé des questions à propos de témoins. L’employeur souhaitait appeler comme témoin le Dr Marc Couturier. Ce dernier avait fourni une évaluation médicale en août 2010, à la demande de l’employeur, en se fondant sur un examen du dossier de la fonctionnaire. Comme cette évaluation a été effectuée près de huit mois après la décision initiale de l’employeur de suspendre la fonctionnaire, on a contesté sa pertinence par rapport à l’affaire. Finalement, le Dr Couturier n’a pas témoigné.

6 La fonctionnaire souhaitait appeler à témoigner un certain nombre de personnes dont le témoignage se rapportait au bien-fondé de plusieurs questions qu’elle avait soulevées durant les années précédant ses suspensions. Ces questions concernaient des plaintes relatives à des évaluations ergonomiques, à la santé et à la sécurité, ainsi qu’au harcèlement. Comme la pertinence de leurs témoignages par rapport à la question dont je suis saisie n’a pas été démontrée, ces personnes n’ont pas témoigné.

7 La fonctionnaire a aussi demandé qu’on cite à comparaître le Dr Soren Alexandersen, le directeur exécutif du CNMAE. L’employeur s’y est opposé, alléguant que le témoignage du Dr Alexandersen ne serait, au mieux, qu’accessoirement pertinent et que le Dr Alexandersen aurait de la difficulté à se libérer pour assister à l’audience. Après avoir entendu les parties sur cette question, j’ai décidé que son témoignage serait pertinent. Du temps lui a été dégagé pour lui permettre de témoigner.

8 La fonctionnaire s’est représentée elle-même tout au long de l’audience. Avec le consentement de l’employeur, j’ai essayé de lui donner certaines indications sur le processus; j’ai plus particulièrement tenté de lui expliquer les différentes étapes de l’audience et la différence entre un élément de preuve et un argument. Néanmoins, l’audience a présenté de nombreuses difficultés pour elle, comme pour de nombreuses personnes qui se représentent elles-mêmes. Elle a trouvé difficile de comprendre qu’un élément de preuve doit être pertinent quant aux questions en litige. Pour elle, tout ce qui était arrivé pendant sa période d’emploi entre 2007 et le moment de sa suspension en janvier 2010 était pertinent, et elle a eu de la difficulté à se limiter aux questions soulevées dans les deux griefs dont je suis saisie. La fonctionnaire a aussi eu du mal à admettre la différence entre élément de preuve et argument. Pour l’essentiel, l’employeur lui a permis de présenter son cas comme elle le souhaitait, sans soulever d’objection, ce qui a facilité le déroulement de l’audience.

9 Au début de l’audience, l’employeur s’est opposé ma compétence pour entendre les griefs au motif que les suspensions de la fonctionnaire étaient de nature administrative plutôt que disciplinaire. Il a été convenu que les parties présenteraient tous leurs éléments de preuve et que l’employeur pourrait faire valoir en détail son objection à ma compétence dans l’argumentation finale.

III. Résumé de la preuve

10 L’employeur a cité comme témoins Greg McLean, le Dr John Copps, le Dr Primal Silva et le Dr Shane Renwick, et il a produit en preuve 47 documents. La fonctionnaire a témoigné pour elle-même et a appelé à témoigner la Dre Margaret Morrison, le Dr John Pasick, la Dre Cecilia Basic, le Dr Chris Kranendonk, le Dr Corne Van Rensburg, Kevin Smith et le Dr Alexandersen. Elle a produit en preuve 82 documents.

11 Bien que les griefs portent sur les décisions prises par l’employeur le 8 janvier et le 26 avril 2010 de suspendre la fonctionnaire, d’abord avec rémunération puis sans rémunération, les deux parties ont présenté beaucoup d’éléments de preuve sur des événements survenus auparavant afin de situer les griefs en contexte. Compte tenu de ce fait, il est plus logique de présenter ces éléments de preuve de manière chronologique que dans l’ordre dans lequel ils ont été présentés par les témoins.

12 La fonctionnaire est vétérinaire. Elle a commencé à travailler pour l’employeur en 2001; à titre de chercheuse, elle étudiait la maladie débilitante chronique à l’unité de surveillance des maladies animales de l’ACIA à Ottawa (Ontario). Son superviseur était le Dr John Kelleher. Elle a dit qu’au début, elle avait un réseau étendu dans tout le pays et participait à de nombreuses réunions de son secteur d’activité ainsi qu’à des rencontres internationales où elle présentait des communications. Elle a dit qu’elle était la seule vétérinaire de son unité à être allée à Washington (D.C.) et à avoir présenté des idées aux Centres d’excellence. Selon elle, son succès suscitait la jalousie au sein de son groupe de travail.

13 En 2004, en raison d’une éclosion de grippe aviaire, les autres membres de l’unité se sont dispersés, car ils ont été envoyés à différents endroits touchés par la flambée de maladie. La fonctionnaire a dit être restée seule à l’unité, sans adjoint administratif. Pendant cette période, elle a contracté le syndrome du canal carpien, car elle devait scanner de nombreux rapports sur les maladies animales et envoyer des messages concernant des interventions contre l’éclosion à environ 500 personnes.

14 Selon la fonctionnaire, l’éclosion a amené une prise de conscience de la nécessité d’avoir avec les provinces des mécanismes communs d’intervention contre les épidémies. On a donc mis sur pied le Réseau canadien de surveillance zoosanitaire (RCSZ). Le RCSZ relie les systèmes de données des provinces, de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) et de l’ACIA.

15 En août 2005, on a demandé à la fonctionnaire de se joindre au projet du RCSZ. À cette époque, elle travaillait encore à Ottawa, mais le projet avait sa base à Winnipeg. Elle a dit qu’un de ses anciens collègues, le Dr Wayne Lees, était devenu vétérinaire en chef du Manitoba et qu’il était responsable de la promotion du projet pour la province. Un autre collègue, le Dr Paul Kitching, était le responsable du projet pour l’ACIA. La fonctionnaire est allée à Winnipeg pendant une courte période pour travailler à ce projet; elle travaillait alors à l’ASPC. Elle est ensuite retournée à Ottawa, puis elle est déménagée à Winnipeg en 2006 pour travailler à temps plein au RCSZ; son bureau était situé dans l’immeuble d’Agriculture, Alimentation et Initiatives rurales Manitoba, à l’Université du Manitoba.

16 La fonctionnaire a déclaré que le Dr Kelleher, son superviseur à l’unité de surveillance des maladies animales, a pris sa retraite en 2005 et a été remplacé par la Dre Christine Power. Lorsque la fonctionnaire est déménagée à Winnipeg en 2006, elle a été détachée auprès du RCSZ, et son poste d’attache est demeuré à Ottawa. Elle a dit qu’elle avait commencé à avoir des problèmes dans ses relations avec la Dre Power, problèmes qu’elle attribuait au ressentiment causé par son départ pour Winnipeg. Elle a déposé une plainte de harcèlement contre la Dre Power; cette plainte a été réglée au moyen de la médiation. Toutefois, à cause de ces problèmes, elle a demandé d’être nommée de façon permanente au poste d’agente de projets spéciaux à Winnipeg, où elle relèverait du Dr Kitching.

17 M. McLean est actuellement le chef des services de gestion pour le CNMAE de l’ACIA; son bureau est situé au laboratoire de Winnipeg. Il est responsable de l’administration financière, des ressources humaines, des achats et des contrats pour les différents laboratoires du CNMAE. Bien qu’il n’occupe ce poste que depuis un an, il fournit des services de ce genre au laboratoire de Winnipeg depuis 2006 et, à ce titre, il a fait la connaissance de la fonctionnaire. Il a aussi été nommé responsable financier du projet du RCSZ.

18 M. McLean a déclaré avoir établi une amitié professionnelle avec la fonctionnaire lorsqu’elle est arrivée à Winnipeg. Il a dit qu’au début, elle était très emballée par le projet du RCSZ, mais qu’au fil du temps, son enthousiasme avait diminué. Elle a commencé à se plaindre de la façon dont elle estimait être traitée et elle s’inquiétait du fait que le Dr Kitching cédait au Manitoba le rôle de l’ACIA dans le RCSZ.

19 M. McLean a expliqué que la fonctionnaire travaillait au laboratoire provincial et qu’elle pouvait avoir des contacts étroits avec le personnel qui travaillait au RCSZ. La fonctionnaire a toutefois commencé à se plaindre qu’elle n’obtenait pas de soutien et qu’elle était exclue des discussions et des réunions. Elle s’est plainte auprès de lui que ses idées n’étaient pas acceptées, mais que plus tard d’autres les présentaient comme les leurs, et qu’elle était exclue du réseau des anciens.

20 La Dre Morrison travaille pour l’employeur comme vétérinaire spécialiste de programme dans la section des maladies animales exotiques. Elle a connu la fonctionnaire en 2006 lors d’un cours de formation en Saskatchewan. La fonctionnaire s’intéressait beaucoup au travail de la Dre Morrison; cette dernière a donc intégré la fonctionnaire à divers groupes de travail composés d’experts de partout au pays qui travaillaient tous à la mise en place de systèmes communs d’information pour l’échange d’information et à la création d’un langage commun. Elle estimait que la fonctionnaire et elle avaient une bonne relation de collaboration.

21 La Dre Morrison a dit que durant l’été 2007, on avait organisé un exercice pour mettre à l’épreuve le Système canadien de gestion des interventions en cas d’urgence (SCGIU). Elle et la fonctionnaire estimaient que ce serait une bonne occasion de mettre à l’épreuve la gestion des données et la relation du RCSZ avec le SCGIU, mais cet aspect de l’exercice n’a pas été approuvé. L’exercice a été tenu à la fin d’août 2007 à l’immeuble d’Agriculture, Alimentation et Initiatives rurales Manitoba, à Winnipeg. La fonctionnaire était présente, mais on lui avait dit de ne parler à personne. La Dre Morrison a trouvé l’environnement bizarre. Elle a observé que les collègues de la fonctionnaire étaient impolis envers la fonctionnaire et que le bureau de cette dernière était comme un placard. Elle a ajouté qu’à la fin de 2007, elle a reçu un courriel de la fonctionnaire qui l’informait qu’elle avait été retirée du projet du RCSZ. La Dre Morrison a dit qu’elle ne savait pas vraiment ce qui se passait, mais qu’elle avait attribué cela à l’environnement de la fonctionnaire et au manque de soutien.

22 La fonctionnaire a indiqué que dès l’été 2007, elle était exclue des réunions et qu’il y avait des frictions dans son milieu de travail. Elle a dit avoir été évincée de son poste par le Dr Lees qui, selon elle, assumait l’entière responsabilité de tout. Elle a précisé que sa relation avec le Dr Kitching s’était détériorée au point où elle croyait qu’il l’avait en quelque sorte « congédiée » en confiant tout son travail à un autre collègue, le Dr Harold Kloeze. Cette situation l’avait tellement bouleversée qu’elle l’avait vécue comme une sensation d’explosion et une blessure psychologique.

23 M. McLean a déclaré qu’effectivement, la fonctionnaire avait été réaffectée à la recherche au Centre des communications. Il a fait observer que les partenaires provinciaux du RCSZ avaient dit que la fonctionnaire créait de la confusion. On a pensé que la recherche constituerait un bon projet pour elle parce qu’elle était brillante; toutefois, en raison de sa nouvelle affectation, elle avait moins de contacts avec les partenaires provinciaux du RCSZ. La fonctionnaire a dit à M. McLean qu’elle voulait continuer à travailler dans le domaine de l’épidémiologie. Il a reconnu ne pas savoir si l’on avait eu recours à un processus administratif officiel pour modifier son affectation.

24 En décembre 2007, la fonctionnaire est partie en congé de maladie à cause du stress. Le 17 janvier 2008, elle a envoyé un courriel (pièce E-1) à M. McLean dans lequel elle disait qu’elle reviendrait au travail le 21 janvier 2008. Elle a joint une copie d’un courriel envoyé au Dr Kitching dans lequel elle expliquait les raisons de son congé, entre autres choses, et lui demandait de le rencontrer lorsqu’elle reviendrait au travail. Le 18 janvier, M. McLean, le Dr Kitching et Joanne Sigfusson, qui représentait l’un des partenaires de l’industrie du RCSZ, se sont rencontrés pour discuter des préoccupations relatives à l’état émotif et mental de la fonctionnaire. On a alors prévu de rencontrer la fonctionnaire et son représentant syndical lors de son retour au travail, parce que le Dr Kitching voulait qu’elle subisse une évaluation de son aptitude au travail.

25 Le 21 janvier 2008, M. McLean a rencontré la fonctionnaire et son représentant syndical à la demande du Dr Kitching. Le Dr Copps, qui était directeur adjoint du CNMAE et travaillait à Winnipeg, a aussi participé à la rencontre. Le Dr Copps a dit dans son témoignage qu’il ne travaillait pas normalement avec la fonctionnaire. Sa seule expérience de travail avec elle avait été durant l’été 2007, lorsqu’ils avaient travaillé ensemble pendant une courte période durant une éclosion de grippe aviaire. Il a raconté qu’à ce moment, il s’était produit un incident; elle avait réagi en jurant contre lui lorsqu’il lui avait suggéré comment elle pourrait présenter de l’information. Il avait été perturbé par cet incident et lui avait demandé de quitter son bureau. Il avait aussi signalé cet incident au Dr Kitching. Il ne savait pas si le Dr Kitching y avait donné suite. Après cet événement, il n’avait pas eu de véritable relation de travail avec la fonctionnaire, mais on lui a demandé d’assister à la réunion de janvier 2008 pour prendre des notes et agir comme témoin.

26 Les notes de M. McLean et du Dr Copps ont été produites en preuve (pièces E-3 et E-11). Bien que la fonctionnaire ait présenté un certificat médical attestant qu’elle était apte au travail, on lui a dit que le Dr Kitching voulait qu’elle subisse une évaluation de son aptitude au travail. M. McLean lui a expliqué que le Dr Kitching était préoccupé parce qu’avant qu’elle parte en congé pour cause de stress, elle était sujette à de fréquentes dépressions émotives au travail, elle pleurait devant ses collègues, elle envoyait de nombreux courriels qui étaient incompréhensibles et confus, elle semblait incapable de travailler en harmonie avec ses collègues, et elle semblait incertaine et désorientée à propos du projet du RCSZ, entre autres. M. McLean a dit que bien que la fonctionnaire ait hésité à accepter l’évaluation de son aptitude au travail, elle a tout de même signé le formulaire de consentement sous l’impulsion du moment, même s’il lui a conseillé d’y réfléchir d’abord (pièce E-3).

27 La fonctionnaire a dit avoir signé le formulaire de consentement parce qu’elle souhaitait revenir au travail. Toutefois, elle croyait que le Dr Kitching voulait qu’elle subisse l’évaluation parce qu’il voulait se débarrasser d’elle. Elle a dit que si elle était émotive et pleurait au travail, c’était à cause du traitement qu’elle subissait. Elle a contesté les raisons données pour étayer la demande, déclarant que personne ne lui avait jamais dit qu’il y avait des problèmes dans les communications qu’elle envoyait par courriel. À son avis, il était complètement faux qu’elle ne pouvait pas travailler en harmonie avec les autres.

28 Même si la fonctionnaire a signé le formulaire de consentement pour l’évaluation de son aptitude au travail, cette évaluation n’a jamais eu lieu. Elle et M. McLean ont dit que le Dr Kitching avait changé d’idée à propos de l’évaluation parce que la fonctionnaire maintenait qu’elle était apte. Il a confirmé dans un courriel qu’il croyait qu’il n’était plus utile que la fonctionnaire subisse cette évaluation (pièce E-4).

29 En mars 2008, la fonctionnaire a déposé une longue plainte contenant de nombreuses allégations de harcèlement par le Dr Kitching (pièce G-57). Les allégations portaient entre autres sur le fait que le Dr Kitching avait fait à plusieurs reprises des insinuations de nature sexuelle lorsqu’il s’adressait à elle, qu’il avait toléré et exercé des préjugés sexistes et de la discrimination basée sur le sexe à son égard, qu’il avait affaibli sa position parce qu’elle était une femme, qu’il avait ravalé sa position et qu’il l’avait rabaissée publiquement à de nombreuses occasions, et qu’il l’avait retirée du projet du RCSZ de façon injustifiée, entre autres. La fonctionnaire a cité plus de 40 exemples à l’appui de ses allégations, dont de nombreux concernaient le RCSZ et ses membres. En raison de la plainte, on lui a attribué de nouvelles tâches de sorte qu’elle n’ait plus à interagir avec lui ou les autres membres du projet du RCSZ (pièce G-48). Immédiatement après le dépôt de sa plainte de harcèlement, la fonctionnaire relevait de M. McLean; par la suite, elle relevait de la Dre Judith Bossé, vice-présidente de la Direction générale des sciences.

30 La fonctionnaire a déclaré que les détails de la plainte ont été communiqués aux membres du projet du RCSZ. Elle a dit que l’environnement de travail est devenu toxique et qu’elle était isolée et marginalisée. Par exemple, Mme Sigfusson, l’une des partenaires du secteur privé dans le projet, appuyait activement le Dr Kitching (pièces G-56 et G-72). La fonctionnaire a dit qu’elle se sentait paralysée et désorientée pendant la période qui a suivi le dépôt de sa plainte de harcèlement (pièce G-49).

31 Le 27 juillet 2008, il y a eu une réunion pour le financement du projet du RCSZ, à laquelle ont assisté le Dr Kitching et d’autres personnes participant au projet. La fonctionnaire voulait y assister même si, comme l’a dit M. McLean, elle ne travaillait plus à ce projet. On lui a dit qu’elle ne devait pas assister à la réunion. Pendant la tenue de la réunion, on a vu la fonctionnaire prendre des photos à proximité de la salle de réunion. L’employeur a cru qu’elle prenait des photographies des participants. Elle a aussi pris une photographie de M. McLean. Ce dernier a dit qu’elle ne lui avait pas expliqué pourquoi elle prenait sa photo. La fonctionnaire a déclaré avoir pris ces photos pour prouver qu’elle était bien au travail, car le Dr Kitching avait dit apparemment qu’il ne savait pas quand elle travaillait.

32 Cet incident et d’autres, comme une plainte alléguée d’un collègue provincial au sujet d’un courriel incohérent envoyé par la fonctionnaire, ont amené l’employeur à croire que le comportement de la fonctionnaire se détériorait (pièce E-7). Après l’incident du 27 juillet 2008, la fonctionnaire a pris deux jours de congé de maladie. Elle a dit que l’incivilité qui régnait dans le lieu de travail faisait qu’elle se sentait constamment menacée.

33 Le vendredi 1er août 2008, la Dre Bossé a ordonné à la fonctionnaire de prendre congé jusqu’à ce qu’une évaluation de l’aptitude au travail soit effectuée (pièce G-58). Les inquiétudes concernant l’état de santé mentale de la fonctionnaire semblent avoir entraîné des inquiétudes au sujet de la sécurité. Dans sa plainte de harcèlement, la fonctionnaire avait décrit avec des détails très précis et troublants comment elle croyait que le Dr Kitching l’avait agressée psychologiquement. L’employeur a transmis à son service de sécurité l’extrait qui suit de cette description, ainsi qu’une demande de retirer à la fonctionnaire l’accès à l’immeuble (pièce G-39) :

[Traduction]

J’ai vécu cela comme une agression et un préjudice psychologiques. J’ai eu la sensation physique de recevoir dans le front une balle tirée à bout portant.

En réaction, j’ai eu la sensation et j’ai visualisé que ma cervelle se répandait dans toute la pièce jusqu’aux murs derrière moi. Cette sensation semblait réelle, comme une explosion dans ma tête. Je suis alors entrée dans une période de ce que j’appellerais un trauma (choc, stress) psychologique. J’étais incapable de comprendre (abasourdie et en état de confusion) ce qui venait d’arriver, et pourquoi c’était arrivé […]

34 On a aussi surveillé l’accès à distance de la fonctionnaire à son ordinateur au cas où elle ferait quelque chose de malencontreux pendant sa période de suspension (pièce G-28). La fonctionnaire était d’avis qu’en fait, on tentait de l’exclure complètement.

35 La Dre Basic a témoigné pour le compte de la fonctionnaire. Elle a expliqué qu’entre septembre 2007 et juin 2009, elle travaillait à l’ASPC à Winnipeg. Son bureau était à deux portes de celui de la fonctionnaire, et elles ont fait connaissance. Elle a expliqué que leur travail se chevauchait en partie et que la fonctionnaire lui avait parlé de son milieu de travail. La fonctionnaire lui avait raconté certaines difficultés qu’elle avait, y compris les problèmes liés à l’ergonomie et au harcèlement. Elle a dit que la fonctionnaire était émotive et qu’elle pleurait facilement, mais qu’elle se rétablissait rapidement. Selon la Dre Basic, les manifestations émotives de la fonctionnaire étaient pour elle une façon de réagir au stress.

36 En août 2008, la Dre Basic a remarqué que la fonctionnaire avait été escortée à l’extérieur de son bureau. Elle a vu la fonctionnaire s’éloigner dans le corridor, portant un bac de rangement, suivie d’un homme. La Dre Basic ne savait pas ce qui se passait, mais durant l’automne, elle a remarqué que la fonctionnaire n’était plus au travail depuis une longue période. Lorsqu’elle a téléphoné à la fonctionnaire, elle a appris qu’on l’avait mise en congé. Elle a dit que d’après son expérience et ce qu’elle avait observé de la fonctionnaire dans le lieu de travail, elle était d’avis que la fonctionnaire réagissait extrêmement bien aux circonstances. Les histoires que la fonctionnaire lui avait racontées à propos de sa situation l’avaient horrifiée. Elle croyait que la fonctionnaire travaillait dans un environnement toxique, selon ce que cette dernière lui avait dit.

37 La fonctionnaire a été en congé du 5 août 2008 au 27 janvier 2009. Pendant cette période, plusieurs discussions ont eu lieu au sujet de la personne qui effectuerait l’évaluation de l’aptitude au travail de la fonctionnaire. L’employeur voulait que la fonctionnaire soit évaluée par un spécialiste de la santé mentale, alors que la fonctionnaire voulait que ce soit ses propres médecins qui fassent l’évaluation. Finalement, aucune évaluation n’a été faite.

38 Le Dr Silva a dit qu’en septembre 2008, il est devenu directeur exécutif des Stratégies scientifiques (maintenant la Direction de la santé des animaux), Direction générale des sciences, et qu’il relevait de la Dre Bossé. Les Drs Mohit Baxi et Renwick, ainsi qu’un autre directeur, relevaient de lui. Son bureau était situé à Ottawa. À ce moment, aucun employé de l’extérieur d’Ottawa ne relevait de lui. Peu après son entrée en fonction, lui et la Dre Bossé ont discuté d’une nouvelle affectation pour la fonctionnaire. La Dre Bossé lui a dit qu’elle voulait trouver un nouvel environnement de travail pour la fonctionnaire et lui assigner un nouveau superviseur, afin qu’on puisse passer à autre chose. Elle avait décidé de ne pas insister sur l’évaluation de l’aptitude au travail qu’elle avait demandée en août 2008. Elle espérait plutôt qu’une nouvelle affectation et un nouvel environnement de travail permettraient de résoudre les problèmes en suspens. Selon le Dr Silva, le désir profond de l’employeur était d’en arriver à une résolution de ce qui était arrivé dans le passé sans porter de jugement.

39 Bien qu’on ait commencé à discuter d’une nouvelle affectation pour la fonctionnaire à l’automne 2008, la fonctionnaire n’est retournée au travail qu’en janvier 2009. Elle a dit qu’elle avait eu une chirurgie au poignet à l’automne et que même si elle était assez bien remise pour retourner au travail et si elle avait essayé le 10 décembre 2008, on ne lui avait pas permis de revenir travailler avant le 27 janvier 2009.

40 À son retour au travail en janvier 2009, la fonctionnaire relevait directement du Dr Baxi, qui travaillait à Ottawa. Le Dr Silva a dit que la fonctionnaire avait été affectée à un projet qui consistait à recueillir des données sur les maladies animales nouvelles et réémergentes afin de déterminer comment on faisait face à ces problèmes à l’échelle internationale. L’étude dont il s’agissait était importante, car son objectif était d’aider l’ACIA à élaborer des politiques pour réagir aux maladies que le Canada ne connaissait pas encore et pour protéger le pays.

41 En mars 2009, le Dr Silva a invité la fonctionnaire à assister à une rencontre à Ottawa afin de discuter du projet et, en particulier, de ses attentes par rapport à la réalisation du projet. Il a dit que la fonctionnaire avait de la difficulté à laisser derrière elle les problèmes du passé. Il souhaitait prendre un nouveau départ et définir des buts précis, mais à mesure que le temps passait, il se rendait compte que la fonctionnaire continuait de revenir aux problèmes qu’elle estimait non résolus.

42 La fonctionnaire, dans son témoignage, a expliqué que lorsqu’elle s’est rendue à Ottawa en mars 2009, elle avait appris par le personnel de soutien que son superviseur, le Dr Baxi, allait quitter le bureau à la fin du mois. Elle a dit que personne en autorité ne lui avait parlé de ce changement dans les rapports hiérarchiques et qu’elle n’avait aucune idée de la personne de qui elle relèverait après le départ du Dr Baxi.

43 Le 1er avril 2009, le Dr Renwick a remplacé le Dr Baxi comme directeur de la Division de la santé des animaux. Il est devenu le superviseur immédiat de la fonctionnaire. Il a dit que, comme la fonctionnaire travaillait à Winnipeg alors que lui était à Ottawa, ses interactions avec elle se faisaient principalement par courriel. Les éléments de la relation de supervision qui nécessitaient une interaction en personne étaient gérés par les gestionnaires qui étaient sur place.

44 Le Dr Renwick a dit que la tâche initiale de la fonctionnaire était de commencer un examen des ouvrages sur les maladies infectieuses et, en particulier, sur les nouvelles maladies. Ce travail était jugé très important. Il a dit que ce qu’il voulait avant tout était d’amorcer le projet, ce qui requérait que la fonctionnaire prépare une ébauche du projet. Toutefois, à la fin d’août 2009, le Dr Renwick n’avait encore rien reçu (pièce E-29).

45 Le 21 août 2009, la fonctionnaire a envoyé plusieurs courriels qui ont préoccupé le Dr Renwick. Dans l’un de ces courriels, elle se plaignait qu’on ait embauché un gestionnaire étranger pour le laboratoire, ce que le Dr Alexandersen, qui était devenu le directeur du CNMAE en août 2008, croyait être une allusion peu flatteuse à lui-même (pièce E-30). Dans un autre courriel, elle se plaignait de vivre constamment du harcèlement, de faire l’objet d’impolitesse et de dédain, et d’avoir été exclue d’un dîner de travail auquel, à son avis, elle aurait dû participer. Elle estimait que son environnement de travail était toxique et elle trouvait la situation intolérable (pièce E-33).

46 Préoccupé par les courriels et par le fait que la fonctionnaire n’avait pas respecté les délais fixés pour son travail, le Dr Renwick a amorcé un processus disciplinaire (pièce E-33), qui s’est soldé par une réprimande écrite pour insubordination (pièce E-34). Il espérait que la réprimande inciterait la fonctionnaire à redresser la situation.

47 La fonctionnaire continuait d’être préoccupée par la plainte de harcèlement qu’elle avait déposée contre le Dr Kitching, qui avait pris la retraite et qui avait commencé à travailler pour un gouvernement provincial. Un peu plus tôt en août 2009, elle avait déposé un rapport d’incident de sécurité qui portait sur sa plainte contre le Dr Kitching et sur le fait qu’elle croyait que la plainte n’avait jamais été réglée (pièce G-36). Le 3 septembre 2009, la Dre Martine Dubuc, qui avait remplacé la Dre Bossé à titre de vice-présidente de la Direction générale des sciences, a répondu à la plainte de harcèlement de la fonctionnaire (pièce G-50). La Dre Dubuc a retenu seulement une des nombreuses allégations de la fonctionnaire contre le Dr Kitching, concluant qu’il avait agi de façon inappropriée en lui disant de [traduction] « la fermer ». Elle a aussi conclu que la procédure de règlement des plaintes n’avait pas été respectée, car le contenu de la plainte avait été communiqué à d’autres personnes de façon inconvenante. Toutefois, comme l’a dit la fonctionnaire, aucune mesure de redressement n’accompagnait la conclusion de harcèlement; il n’y avait que la déclaration selon laquelle une allégation était retenue.

48 La fonctionnaire a dit qu’à l’automne 2009, elle trouvait que le milieu de travail était difficile. Elle se sentait constamment menacée. Même si son médecin avait recommandé un changement d’environnement de travail en juillet 2009, elle estimait que rien n’était fait pour l’aider (pièce E-37). Le Dr Renwick a dit n’avoir pas été informé de la recommandation du médecin avant qu’on la porte à son attention plus tard au cours de l’automne. Il a dit qu’il n’était au courant d’aucune mesure d’adaptation qui aurait été prise à la suite de cette recommandation. Il a ajouté qu’il était d’avis que la recommandation du médecin pourrait ouvrir la voie à une demande d’évaluation de l’aptitude au travail de la fonctionnaire, étant donné que le stress émotif pourrait avoir expliqué son comportement et son rendement improductif au travail.

49 Même si la fonctionnaire trouvait que le milieu de travail était difficile, elle estimait que le travail qu’elle produisait était excellent. Elle travaillait sans recevoir d’aide du Dr Renwick et sans communiquer avec lui. Elle a dit qu’il annulait des téléconférences le jour même où elles devaient avoir lieu. Il avait modifié le projet en octobre et lui en avait confié un nouveau, avec un délai fixé au 31 décembre 2009, même s’il était d’avis qu’il s’agissait du même projet. Elle estimait aussi que l’imposition d’un délai n’était pas acceptable, car une personne créative travaillant dans un environnement toxique ne peut pas se plier à un délai. Elle estimait qu’il était impossible d’accomplir quoi que ce soit dans un milieu de discipline et de réprimandes. Elle a prétendu que l’accès à la bibliothèque, où elle devait se rendre pour ses recherches, lui était refusé. Toutefois, durant le contre-interrogatoire, elle a reconnu que seul l’accès après les heures de bureau lui était refusé. Le 21 septembre 2009, en réponse à un courriel du Dr Renwick lui demandant de lui fournir un aperçu du projet, la fonctionnaire a répondu ce qui suit (pièce G-68) :

[Traduction]

Veuillez ne pas m’envoyer des courriels négatifs sur un ton de domination, car je suis au milieu d’un processus de règlement d’une plainte de harcèlement et cela me heurte personnellement sur les plans émotif et motivationnel, créant chez moi des dommages constants – durant cette période où je subis constamment du harcèlement à l’ACIA et où ces problèmes ne sont pas encore réglés […]

50 Vers la fin de novembre 2009, le Dr Silva s’inquiétait parce que la fonctionnaire ne répondait pas aux attentes de l’employeur quant à l’avancement du projet et qu’elle avait des griefs en instance. Il voulait comprendre ce qui se passait. Il a donc prévu une rencontre d’une journée complète, le 1er décembre 2009, avec la fonctionnaire, son représentant syndical, le Dr Renwick et lui-même. Le Dr Renwick et la fonctionnaire ont dit que l’avocat de la fonctionnaire était aussi présent.

51 Selon le Dr Silva, l’un des objectifs de la rencontre était de trouver un moyen de rétablir l’équilibre dans le milieu de travail et de faciliter l’avancement du projet de la fonctionnaire. À ces fins, les personnes présentes ont parlé des obstacles et ont essayé de trouver des moyens d’aider la fonctionnaire. On en est arrivé à une entente sur la façon dont la fonctionnaire pourrait commander des fournitures, sur le règlement de ses problèmes ergonomiques et sur le rétablissement des communications. On a également discuté des attentes de l’employeur relativement au projet et on a fixé des délais pour diverses étapes du projet.

52 Toutefois, plus tard au cours de la réunion du 1er décembre, la situation est devenue plus difficile, car, selon le Dr Silva, la fonctionnaire est devenue émotive et ne se concentrait plus sur les questions abordées. Le Dr Silva a expliqué qu’elle parlait de questions qui ne concernaient pas la réunion ou le projet. Dans son témoignage, la fonctionnaire a reconnu que la réunion s’était mal terminée, ce qu’elle a attribué au fait que le Dr Silva avait soulevé l’incident de la prise de photos en 2008. Elle a dit que cela avait déclenché chez elle une réaction émotive si intense qu’elle avait dû quitter la réunion. Elle a dit qu’il était pénible pour elle que des collègues répandent des renseignements erronés, et elle était d’avis que le Dr Silva avait soulevé l’incident seulement pour l’humilier et l’abaisser.

53 Le 14 décembre 2009, la fonctionnaire a envoyé un courriel au Dr Renwick pour lui demander de reporter la date à laquelle elle devait lui rendre la première ébauche de son projet (pièce E-39). Elle disait que son impossibilité d’avoir accès à la bibliothèque après les heures de travail avait retardé son travail. Le Dr Renwick a refusé sa demande, faisant remarquer que la date avait déjà été reportée. Il jugeait qu’elle avait eu amplement de temps pour terminer un projet qui en était à l’étape de la planification depuis des mois et il lui a dit qu’il considérerait comme un acte d’insubordination le fait qu’elle ne respecte pas le délai fixé.

54 Le 17 décembre 2009, la fonctionnaire a soumis une ébauche du projet. Dans un courriel au Dr Renwick (pièce E-40), elle a écrit qu’elle jugeait qu’il s’agissait d’un brouillon et qu’elle le lui avait remis seulement à cause de sa menace d’insubordination. Elle a fait remarquer qu’elle avait demandé une prolongation de délai à cause du stress causé par ses problèmes de ressources humaines. Elle a aussi souligné que la réunion du 1er décembre l’avait perturbée pendant plusieurs semaines, car elle avait dû expliquer et revivre des événements du passé.

55 Le 21 décembre 2009, la fonctionnaire a dit à Benoit Lamarche, conseiller en ressources humaines, qu’elle était [traduction] « fatiguée de tout ce stress et de tous ces conflits non résolus, de la confusion et de l’information erronée qui circulait, de tout ce tourbillon. C’est comme demander à une personne qui est en train de se noyer de chanter » (pièce E-41). En réponse, M. Lamarche et le Dr Renwick lui ont suggéré de prendre une période de congé, mais elle a refusé (pièce E-43), estimant qu’on jugerait qu’il s’agirait de ce qu’elle a décrit comme un [traduction] « congé de maladie forcé ».

56 La fonctionnaire a dit qu’elle avait travaillé pendant la période de Noël et qu’elle avait rédigé un document de 100 pages qu’elle ne voulait montrer à personne parce qu’elle estimait qu’il s’agissait d’un brouillon. Elle a demandé au Dr Renwick une autre prolongation de délai, mais il a refusé de la lui accorder. Elle a dit avoir été préoccupée parce que le scientifique à qui elle avait demandé de l’encadrer, le Dr Harvey Artsob, allait prendre sa retraite à la fin de janvier 2010 et elle avait besoin de cette prolongation de délai afin de pouvoir profiter de son aide.

57 Les 4 et 5 janvier 2010, la fonctionnaire a envoyé plusieurs courriels à Eleanor Percy, l’infirmière en santé au travail de l’ASPC qui avait effectué une évaluation ergonomique de l’espace de travail de la fonctionnaire en 2007. Elle voulait obtenir des copies de l’évaluation ergonomique et d’un rapport d’incident critique qu’elle croyait avoir déposé en août 2008. Dans un premier courriel envoyé par la fonctionnaire à Mme Percy, daté du 18 décembre 2009, la fonctionnaire avait simplement demandé des copies du rapport de l’évaluation ergonomique et du rapport d’incident critique. Dans un deuxième courriel, daté du 4 janvier 2010, dans lequel la fonctionnaire répondait à Mme Percy qui lui avait écrit qu’elle n’avait pas en main les rapports demandés, la fonctionnaire a écrit qu’elle croyait que Mme Percy était tenue de conserver les rapports pendant cinq ans. Elle a écrit : [traduction] « Ce défaut de suivre la procédure établie et de répondre à la demande d’une employée constitue une violation de la loi sur la santé et la sécurité ». Elle a aussi souligné que sa demande s’inscrivait dans le cadre d’une procédure juridique. Dans un troisième courriel envoyé à Mme Percy, aussi daté du 4 janvier 2010, la fonctionnaire lui a fait remarquer que c’était elle qui avait procédé à l’évaluation et qu’elle siégeait au comité de la santé et de la sécurité. La fonctionnaire se demandait pourquoi, compte tenu du rôle de Mme Percy, cette dernière n’avait pas donné suite au rapport de l’évaluation ergonomique et elle lui a fait remarquer qu’elle avait envoyé plusieurs courriels pour lui demander de s’occuper de la question. Elle a demandé à Mme Percy qui l’avait autorisée à ne pas respecter la procédure et elle lui a aussi demandé de lui expliquer le processus.

58 L’échange de courriels au sujet de la demande de la fonctionnaire a donné lieu à la présentation d’une plainte par la superviseure de l’infirmière, Catherine Robertson, au Dr Copps (pièce G-2). Dans sa plainte, Mme Robertson faisait remarquer qu’on s’inquiétait du niveau croissant de colère et de frustration de la fonctionnaire, qu’on se préoccupait pour sa santé et qu’on craignait que [traduction] « la situation ne s’aggrave » dans le milieu de travail.

59 La fonctionnaire a déclaré que le 5 janvier 2010, elle a eu une rencontre disciplinaire avec le Dr Renwick à propos du ton de ses courriels. Elle a dit que le Dr Renwick estimait que son ton était grossier et contraire au code de conduite. Selon elle, les préoccupations du Dr Renwick étaient anodines comparativement au fait que le contenu de la plainte de harcèlement qu’elle avait déposée avait été communiqué à plusieurs personnes et qu’on la considérait à tort comme atteinte d’une maladie mentale. Elle a déclaré qu’on lui interdisait de discuter avec les autres et de fréquenter ses collègues. Elle a ajouté qu’elle était traitée comme une enfant méchante par un homme plus jeune qu’elle et que cela lui était intolérable.

60 Le 5 janvier 2010, la fonctionnaire a soumis un « Rapport d’enquête de situation comportant des risques » (RESCR) (pièce G-64). Dans ce rapport, elle a décrit l’incident de la façon suivante :

[Traduction]

Le harcèlement est une attaque personnelle qui inflige un traumatisme psychologique. 1) défaut de prendre des mesures d’adaptation relativement au syndrome du canal carpien signalé dans le rapport de l’évaluation ergonomique du 22 juin 2007; 2) directive orale, telle une agression – a causé un choc psychologique – changement de travail non documenté et inexpliqué; 3) invitée à prendre un congé de maladie; au retour, on demande une évaluation de l’aptitude au travail; 4) marginalisée, exclue des réunions; 5) victime de railleries et de bavardages – après le 14 mars 2008 plainte écrite officielle de harcèlement « Protégé B » (1-4); 6) diffamation écrite (AIPRP); 7) mesure de représailles malveillantes – mise à la porte le 1er août 2008 pour 6 mois, pas de document – on invoque le contenu confidentiel de la plainte de harcèlement; 8) allégation de l’inaptitude au travail pendant tout ce temps; 9) aucune supervision et changement d’emploi coercitif; 10) isolement – aucun contact avec le personnel de l’ACIA, en cours, courriel à tout le personnel – directive de Soren Alexandersen – ne pas communiquer avec Rosemary Hood.

61 Le RESCR a été soumis au Dr Alexandersen et au conseiller de la santé et de la sécurité au travail. Le Dr Alexandersen l’a transmis au Dr Renwick et à un conseiller en RH (pièce G-23). Il a fait remarquer que bien qu’il soit identifié comme le superviseur de la fonctionnaire dans le RESCR, il ne l’était pas. Dans un courriel envoyé plus tard au cours de la même journée à M. McLean et au Dr Copps, il a aussi souligné qu’à son avis, la situation s’aggravait. Dans son témoignage, il a dit qu’en utilisant le mot « s’aggraver », il faisait allusion à toutes les plaintes et à tous les courriels de la fonctionnaire, ainsi qu’à la plainte de Mme Robertson à l’égard du courriel de la fonctionnaire. Il a dit qu’il considérait que le comportement de la fonctionnaire s’inscrivait dans une suite de comportements qui remontaient à l’automne et il croyait qu’il pourrait être justifié d’imposer une mesure disciplinaire.

62 À la suite des courriels envoyés par la fonctionnaire à Mme Percy au sujet de l’évaluation ergonomique effectuée en 2007, les Drs Silva et Renwick ont demandé au Dr Copps de vérifier quelle mesure avait été prise pour donner suite aux recommandations énoncées dans l’évaluation. Le 6 janvier 2010, le Dr Copps et M. McLean se sont rendus au bureau de la fonctionnaire, avec en main une copie de l’évaluation ergonomique, afin de déterminer quel matériel prévu dans l’évaluation avait été fourni à la fonctionnaire. Le Dr Copps a dit qu’avant de se rendre au bureau de la fonctionnaire avec M. McLean, il lui avait téléphoné et lui avait laissé un message pour lui dire ce qu’ils se préparaient à faire. M. McLean et le Dr Copps ont fait l’inventaire du bureau de la fonctionnaire en se fondant sur l’évaluation ergonomique, et le Dr Copps a envoyé le document aux Drs Silva et Renwick. Le Dr Copps a dit qu’il avait aussi informé le Dr Alexandersen de ce qu’il avait fait.

63 La fonctionnaire a dit dans son témoignage qu’elle avait appris que M. McLean et le Dr Copps étaient entrés dans son bureau pendant qu’elle dînait avec M. McLean ce jour-là. Il lui a dit ce qu’ils avaient fait et qu’elle pouvait aller acheter du nouveau matériel. Elle estimait qu’il aurait dû y avoir des dispositions administratives pour l’aider à acheter du matériel, car elle avait déjà fait des achats dans le passé et elle savait que le processus de commande de matériel était compliqué.

64 Le matin du 7 janvier 2010, la fonctionnaire est allée au bureau du Dr Copps. Ce dernier a dit dans son témoignage que la fonctionnaire est demeurée dans le corridor, à la porte de son bureau, et lui a demandé de lui expliquer pourquoi il était entré dans son bureau sans sa permission. Il lui a expliqué qu’il avait vérifié son matériel de bureau pour le Dr Silva et le Dr Renwick. Après qu’il lui eut dit cela, elle a commencé à hausser le ton, lui demandant encore une fois pourquoi lui et M. McLean étaient entrés dans son bureau. Selon le Dr Copps, la fonctionnaire est devenue incohérente et a commencé à crier que c’était de sa faute à lui et qu’il n’avait aucune compassion ni compréhension. Elle s’est ensuite éloignée dans le corridor, puis elle est revenue et a encore crié après lui. Elle a pointé son doigt vers lui, ce qui l’a effrayé. Il a dit qu’il avait essayé de ne pas avoir de réaction ou d’expression qui pourrait être mal interprétée. Après le départ de la fonctionnaire, il a demandé à M. McLean et à un commis, qui travaillaient près de son bureau, de prendre des notes sur ce qu’ils avaient entendu. Il a dit qu’il s’était senti perturbé par cette rencontre et qu’il en était encore ébranlé durant l’après-midi. Il a pris des notes de la conversation et les a envoyées au Dr Renwick et à d’autres (pièce E-14).

65 M. McLean a déclaré que la fonctionnaire était très agitée et en colère pendant son échange avec le Dr Copps. Il a dit que même si le Dr Copps a répété plusieurs fois à la fonctionnaire de discuter de la question avec son superviseur, elle continuait à concentrer son attention sur lui. Il a remis les notes de ses observations au Dr Alexandersen, au Dr Renwick et à d’autres (pièce E-9).

66 La fonctionnaire a dit qu’elle s’était dirigée vers sa boîte à lettres près du bureau du Dr Copps le matin du 7 janvier. Ayant remarqué que sa porte était entrouverte, elle a frappé. Il était en train de parler à sa femme, qui se tenait derrière la porte. Mme Copps est partie, mais la fonctionnaire est restée dans le corridor parce que le bureau était petit. Elle lui a demandé pourquoi il était entré dans son bureau, et il lui a répondu de s’adresser au Dr Silva ou au Dr Renwick. Elle a dit qu’à ce moment, elle s’était rendu compte que c’était le Dr Copps qui lui rendait les choses si difficiles.

67 La fonctionnaire s’est ensuite dirigée vers sa boîte à lettres dans le corridor en essayant de penser à ce qu’elle lui dirait. Elle est retournée vers le bureau du Dr Copps et lui a demandé quelles seraient les prochaines étapes. Le Dr Copps a commencé à se montrer irrespectueux à son égard. Elle trouvait difficile d’accepter d’être rabaissée. Pour le défier, elle a levé les mains. Elle a nié avoir pointé son doigt vers lui. Elle a déclaré lui avoir dit qu’elle avait extrêmement souffert et lui a demandé pourquoi il ne comprenait pas sa situation. Elle était irritée parce qu’il ne la traitait pas avec amabilité. Elle a indiqué qu’il l’avait harcelée et rabaissée pendant cette conversation. Elle était d’avis que c’était lui qui avait créé la situation de façon à se débarrasser d’elle. Lorsqu’il lui a dit qu’il était occupé et qu’il n’avait pas le temps de lui parler, elle est partie. Elle a reconnu qu’elle était fâchée contre le Dr Copps. Elle a déclaré qu’elle en avait assez de lui, parce qu’il ne lui avait pas parlé depuis deux ans et qu’il était entré dans son bureau verrouillé et refusait de lui en expliquer la raison. Il ne la respectait pas. Elle a envoyé un courriel à la Dre Dubuc pour lui exprimer qu’elle était en colère parce que le Dr Copps était entré dans son bureau sans la prévenir et n’avait pas donné suite au rapport de l’évaluation ergonomique (pièce G-80).

68 Le Dr Chris Kranendonk a témoigné. Il est coordonnateur du diagnostic et de la formation au CNMAE. Il connaît la fonctionnaire depuis de nombreuses années. Il a expliqué que le 7 janvier 2010, la fonctionnaire est venue le voir pour avoir des conseils sur du matériel ergonomique. Il lui a fait faire le tour du bureau pour qu’elle puisse regarder du matériel ergonomique spécial. Comme l’un de ses employés souffrait du syndrome du canal carpien, le bureau avait été équipé en conséquence. La fonctionnaire lui a dit qu’elle envisageait d’acheter du matériel ergonomique. Il a déclaré ne pas être au courant de l’incident entre la fonctionnaire et le Dr Copps.

69 Le Dr Silva a déclaré avoir été avisé de la situation entre le Dr Copps et la fonctionnaire. Il était d’avis qu’il s’agissait d’un incident important qui nécessitait une réaction de la direction. Il estimait avoir la responsabilité d’assurer la sécurité des travailleurs ainsi que celle de la Dre Hood, étant donné l’état émotif de cette dernière. Il a déclaré que l’employeur devait pouvoir compter sur des personnes comme le Dr Copps pour la gestion du laboratoire et que toute perturbation de la fonction du laboratoire mettrait le pays en danger en empêchant le laboratoire de fournir des conseils et des interventions en temps opportun. Il était d’avis qu’il était important de rétablir l’équilibre. Il a demandé au Dr Copps de retirer la fonctionnaire du lieu de travail. Il voulait que le Dr Copps le fasse le 7 janvier, mais la fonctionnaire n’était plus dans l’immeuble. Il a donc pris des dispositions pour que cela se fasse le jour suivant. Les Drs Silva et Renwick ont dit que la décision de retirer la fonctionnaire du lieu de travail avait été prise collectivement, mais que l’exécution de cette décision incombait aux gestionnaires sur les lieux.

70 Le 8 janvier 2010, le Dr Copps, M. McLean, Chad Pucknel, chef de la sécurité, et un autre agent de sécurité se sont rendus au bureau de la fonctionnaire. Le Dr Copps a dit à la fonctionnaire de téléphoner au Dr Silva et de mettre le haut-parleur pour que tous puissent entendre la conversation. La fonctionnaire a dit durant son témoignage qu’elle a aussi invité un ami à assister à la conversation afin d’avoir un témoin. Le Dr Silva a dit à la fonctionnaire qu’en raison de son comportement récent, dont ses courriels et l’incident avec le Dr Copps, elle devait réunir ses objets personnels et être escortée à l’extérieur de l’immeuble immédiatement. La fonctionnaire est devenue très contrariée. Selon le Dr Copps, elle a commencé à crier après lui, et il a quitté la pièce. Après quelque temps, durant lequel la fonctionnaire a emballé ses objets personnels, elle a été escortée jusqu’à l’extérieur de l’immeuble.

71 Le Dr Pasick a témoigné. Il travaille au CNMAE. Il a déclaré qu’on lui avait demandé, le 7 janvier 2010, d’assister à titre de témoin au retrait de la fonctionnaire de l’immeuble. Il a dit qu’il était tard dans la journée et qu’il avait demandé qu’on trouve quelqu’un d’autre parce qu’il n’avait pas le temps.

72 M. Smith a témoigné. Il est le directeur par intérim du programme de sécurité régional pour l’ASPC et Santé Canada. Il a confirmé que la carte de proximité de la fonctionnaire, qui lui permettait d’entrer dans l’immeuble, avait été désactivée le 8 janvier 2010. Son accès à Internet a aussi été désactivé.

73 Le Dr Silva a déclaré que la décision de faire retirer la fonctionnaire du lieu de travail avait pour objectif d’apaiser les craintes des employés d’être menacés. Lorsqu’on lui a demandé qui se sentait menacé, il a dit que le Dr Copps avait peur et se sentait menacé et que sa capacité de travailler en était affectée. Le Dr Silva a dit que selon lui, l’incident qui s’était produit avec le Dr Copps s’inscrivait dans une série de comportements semblables de la fonctionnaire. Par conséquent, lorsqu’il a demandé une évaluation de l’aptitude au travail de la fonctionnaire, son intention était de déterminer s’il y avait des obstacles à la capacité de la fonctionnaire de travailler en harmonie avec ses collègues et si des mesures d’adaptation étaient nécessaires. Il était d’avis qu’une évaluation de cette nature était nécessaire parce que les autres mesures prises n’avaient pas permis de régler la cause profonde des problèmes. Le Dr Renwick, qui a rédigé la lettre de suspension de la fonctionnaire avec rémunération (pièce E-17), a déclaré que l’employeur voulait obtenir une évaluation médicale complète du bien-être physique et psychologique de la fonctionnaire.

74 Le 12 janvier 2010, la fonctionnaire a demandé la permission d’assister à une conférence au lieu de travail, mais le Dr Renwick a refusé sa demande (pièce G-11). Il a déclaré que sa décision de ne pas lui permettre de revenir au lieu de travail reposait sur une politique qui était en place à ce moment ainsi que sur le désir des gestionnaires locaux, qui se disaient inquiets et incertains au sujet de son comportement dans le milieu de travail. Il a dit que c’était le Dr Copps qui s’inquiétait du comportement de la fonctionnaire.

75 Le Dr Silva a déclaré qu’à la suite de la première lettre du 8 janvier 2010, qui annonçait à la fonctionnaire qu’elle était suspendue avec rémunération, l’employeur lui a envoyé d’autres lettres pour lui demander de se soumettre à une évaluation de son aptitude au travail. Le 25 février 2010, après une intervention du représentant syndical de la fonctionnaire, l’employeur a accepté que la fonctionnaire fasse faire l’évaluation par son propre médecin (pièce E-18). Le 10 mars 2010, le Dr Silva a réitéré qu’il était d’accord pour que le médecin de la fonctionnaire fasse l’évaluation, à condition que cette évaluation soit fondée sur les questions que le Dr Silva souhaitait porter à l’attention du médecin (pièce E-21). Il a aussi expliqué qu’il n’avait pas voulu accepter le certificat médical qu’elle avait fourni le 3 mars parce qu’il n’avait pas pu discuter de ses préoccupations avec le médecin (pièce E-19). Le 17 mars 2010, la fonctionnaire a avisé l’employeur, par l’entremise de son représentant syndical, qu’elle ne voulait pas se soumettre à une évaluation de son aptitude au travail (pièce E-22). À cause de ce refus, l’employeur a converti sa suspension avec salaire en suspension sans salaire (pièces E-23 et E-24) à compter du 26 avril 2010. Le 14 septembre 2010, l’employeur a avisé la fonctionnaire qu’elle était congédiée à compter du 16 septembre 2010 à cause de son refus de se soumettre à une évaluation de son aptitude au travail (pièce E-26).

76 La fonctionnaire a déclaré qu’elle ne voulait pas consulter un psychiatre. Elle était d’avis qu’on lui demandait une évaluation de son aptitude au travail pour la harceler. D’après elle, l’allégation selon laquelle elle avait des problèmes psychiatriques était fausse et avait déjà été rejetée dans un protocole d’entente qu’elle avait négociée avec le Dr Silva. Les allégations relatives à ses problèmes psychiatriques étaient toutes mensongères. Elle a aussi déclaré avoir fourni de nombreux certificats médicaux qui précisaient qu’elle était apte à travailler.

77 Le Dr Van Rensburg est le médecin de famille de la fonctionnaire. Il a déclaré qu’il lui avait fourni des certificats médicaux. Le 8 juillet 2009, il a fourni un certificat (pièce G-15), à la demande de la fonctionnaire, dans lequel il disait : [traduction] « La Dre Hood subit un stress émotionnel important en raison de son environnement de travail. Elle retirerait un grand avantage d’un changement de milieu de travail. »

78 Le 22 février 2010, il a signé un formulaire type certifiant que la fonctionnaire était apte à retourner au travail (pièce G-16). Le 5 avril 2010, il a signé un autre formulaire certifiant que la fonctionnaire était [traduction] « physiquement et mentalement apte à retourner au travail » (pièce G-17). Il a signé des formulaires semblables en mai et en octobre 2010 (pièces G-18 et G-19) et a reçu un certificat du psychologue de la fonctionnaire, le Dr Shore, daté du 30 mars 2010, qui certifiait que la fonctionnaire pouvait fonctionner dans un environnement de travail [traduction] « axé sur la collaboration » (pièce G-22). Le Dr Van Rensburg a déclaré qu’il n’avait pas parlé au Dr Shore. Il a aussi reconnu qu’il n’était pas spécialisé en psychiatrie ni en psychologie et qu’il n’avait pas soumis la fonctionnaire à des tests psychologiques. Il a dit qu’il avait remis les certificats médicaux à la fonctionnaire, à sa demande, et non à l’employeur et qu’il ne connaissait de l’environnement de travail de la fonctionnaire que ce qu’elle lui en avait dit. Il n’a jamais vu la lettre que l’employeur lui avait envoyée, ainsi qu’au Dr Shore, qui contenait de l’information précise sur les préoccupations de l’employeur et qui demandait des réponses aux questions concernant l’aptitude de la fonctionnaire au travail en fonction de l’information fournie (pièce E-21).

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

79 L’employeur a allégué que ces deux griefs se rapportent à une suspension qui a été imposée parce que la fonctionnaire refusait de se soumettre à une évaluation de son aptitude au travail. Pour les trois premiers mois, la suspension était avec rémunération puis, après plusieurs demandes et des avertissements répétés que la suspension serait sans rémunération si la fonctionnaire continuait à refuser de se soumettre à une évaluation de son aptitude au travail, on a converti la suspension en une suspension sans salaire. L’employeur a déclaré qu’il était en droit de s’attendre à ce que ses employés donnent un certain rendement et que, dans ce cas, aucun rendement n’était offert. Pour cette raison, il a imposé une suspension sans salaire.

80 Dans le cas qui nous occupe, la suspension était de nature administrative, et non disciplinaire. Par conséquent la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) n’a pas compétence pour entendre les griefs. En vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), seuls les griefs portant sur une suspension découlant d’une mesure disciplinaire peuvent être renvoyés à l’arbitrage.

81 L’employeur a allégué que pour déterminer si une suspension est de nature administrative ou disciplinaire, il faut examiner quelle était l’intention de l’employeur lorsqu’il a imposé la suspension. Dans le présent cas, on a produit de nombreux éléments de preuve détaillés pour établir le contexte dans lequel l’employeur a déterminé qu’il était nécessaire de demander à la fonctionnaire de se soumettre à une évaluation de son aptitude au travail. Toutes les preuves se rapportant à des incidents passés ont permis d’établir le schème de comportements adopté par la fonctionnaire qui a mené à l’incident avec le Dr Copps, le 8 janvier 2010, événement qui a persuadé l’employeur qu’une évaluation de l’aptitude au travail était nécessaire.

82 En résumant sa preuve, l’employeur a fait remarquer qu’à la fin de 2007, la fonctionnaire avait pris un congé pour des raisons qui ne sont pas très claires, mais qui, selon l’exposé de l’employeur, avaient rapport au fait qu’elle se sentait accablée et stressée. Lorsque la fonctionnaire est revenue au travail en janvier 2008, l’employeur l’a rencontrée pour discuter de certains comportements qui avaient été la source de préoccupations. À la réunion du 21 janvier 2008, l’employeur a demandé pour la première fois une évaluation de l’aptitude au travail. Cette demande avait deux objectifs. Premièrement, la fonctionnaire revenait d’un congé lié au stress et l’employeur voulait s’assurer qu’elle était complètement remise. Deuxièmement, l’employeur voulait savoir s’il existait une affection sous-jacente qui pourrait expliquer le comportement de la fonctionnaire et les difficultés qu’elle semblait éprouver dans ses relations avec les autres. L’employeur devait savoir si des mesures d’adaptation étaient nécessaires pour aider la fonctionnaire dans son lieu de travail, et seul un médecin pourrait le lui dire.

83 Après la rencontre de janvier 2008, la fonctionnaire a déposé une plainte de harcèlement contre son superviseur, le Dr Kitching. L’employeur a soutenu qu’il était important de prendre note que sur les 47 ou 48 allégations présentées dans la plainte, une seule était fondée. Il est également important de prendre note que la fonctionnaire a présenté en preuve une description de comment elle s’était sentie lorsque le Dr Kitching lui avait dit qu’elle ne travaillerait plus sur le projet du RCSZ. Cette description a soulevé des questions légitimes sur le bien-être de la fonctionnaire. L’incident de la prise de photos, les sautes d’humeur de la fonctionnaire, le fait qu’elle pleurait au travail et ses comportements émotifs ont amené l’employeur à se demander si elle était en bonne santé.

84 En 2009, l’employeur a essayé d’offrir à la fonctionnaire un nouveau début en modifiant les rapports hiérarchiques et en lui affectant un nouveau superviseur. L’employeur a prétendu que cette mesure n’avait pas porté fruit. La fonctionnaire ne respectait pas les délais et n’était pas productive. Elle a été réprimandée deux fois pour le ton employé dans ses courriels. Il était évident, dans ses courriels à son superviseur et à d’autres personnes, qu’elle était stressée. Le Dr Renwick lui a conseillé de prendre un congé, mais elle a refusé. À ce moment-là, le Dr Renwick était inquiet de l’état mental de la fonctionnaire.

85 Durant la première semaine de janvier 2010, les préoccupations de l’employeur se sont accrues. On a reçu des plaintes à propos du ton que la fonctionnaire employait dans ses courriels. Des inquiétudes ont été soulevées à propos de sa santé et on craignait que la situation ne s’aggrave, parce que la fonctionnaire semblait de plus en plus fâchée et frustrée. Pour ajouter à tous ces éléments, la fonctionnaire a confrontée le Dr Copps. L’employeur a allégué qu’indépendamment du fait que la fonctionnaire avait peut-être des motifs légitimes d’être frustrée à propos du matériel qui lui avait été fourni, ses préoccupations n’excusaient pas son comportement perturbateur.

86 L’employeur aurait pu invoquer le mauvais rendement de la fonctionnaire dans les circonstances, étant donné qu’elle ne produisait pas le travail demandé. Il aurait aussi pu imposer une mesure disciplinaire pour répondre au comportement perturbateur et troublant de la fonctionnaire dans le bureau du Dr Copps. Mais il voulait d’abord savoir s’il y avait une raison médicale pouvant expliquer le comportement et le mauvais rendement de la fonctionnaire. L’employeur était inquiet du fait que depuis plusieurs années, ses relations de travail ne semblaient jamais positives. Par conséquent, en tenant compte de tous ces facteurs, y compris la déclaration de la fonctionnaire quand elle se disait épuisée et se sentait menacée, l’employeur l’a suspendue avec rémunération en attendant les résultats d’une évaluation de son aptitude au travail, plutôt que de lui imposer une sanction disciplinaire.

87 L’employeur a cité Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, et, en particulier, a fait remarquer que la cour avait conclu que toute mesure qui a un effet préjudiciable sur l’employé n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. Pour déterminer si une mesure est de nature disciplinaire, le principal facteur à prendre en considération est l’intention de l’employeur. Dans le présent cas, les Drs Silva et Renwick ont déclaré clairement qu’ils étaient motivés par leur souci de la santé et du bien-être de la fonctionnaire et des autres employés, et qu’il n’était pas dans leur intention de corriger le comportement de la fonctionnaire au moyen de la discipline. L’employeur a aussi cité Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, et Lindsay c. Canada (Procureur général), 2010 CF 389.

88 L’employeur a déclaré que même s’il avait pu avoir des raisons d’imposer une sanction disciplinaire à la fonctionnaire, il ne l’a pas fait. La suspension était de nature administrative, et non de nature disciplinaire. De plus, la fonctionnaire a reçu plusieurs avertissements avant que la suspension avec salaire soit convertie en une suspension sans salaire. C’est elle qui a pris la décision de ne pas fournir une évaluation de son aptitude au travail. Elle ne pouvait pas simplement faire fi de la demande de l’employeur et continuer à être rémunérée indéfiniment.

89 L’employeur a demandé que les griefs soient rejetés pour le motif que les suspensions n’étaient pas de nature disciplinaire et que, par conséquent, la CRTFP n’a pas compétence pour les entendre.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

90 La fonctionnaire a déclaré que la question à laquelle il faut répondre est : où faut-il tirer la ligne? Qu’est-ce qui est raisonnable dans les circonstances? Elle a allégué qu’il faut retourner au début, lorsqu’il s’est produit une [traduction] « erreur d’attribution » si grave que cela a causé un problème. En raison de sa plainte de harcèlement non résolue, qui n’est pas encore réglée, l’environnement de travail est devenu tellement toxique que la situation était inacceptable. Le défaut de régler sa plainte de harcèlement a marqué le début de l’histoire.

91 La fonctionnaire a prétendu que M. McLean était responsable en grande partie de l’injustice dont elle a été victime, parce qu’il lui a donné de mauvais conseils. Il a donc agi de façon inappropriée. Il assistait aussi à la réunion en janvier 2008, lorsqu’on lui a dit que son retour au travail était soumis à une condition. Elle a alors compris qu’il s’agissait d’une autre tactique de contrôle de la part de l’employeur, qui venait en fait de la congédier. La fonctionnaire a dit que sa décision de déposer la plainte de harcèlement était fondée sur sa compréhension que la mesure de dotation qui avait entraîné son [traduction] « congédiement » était une mesure disciplinaire déguisée et était inappropriée.

92 La fonctionnaire a prétendu qu’elle travaillait au sein d’une équipe inefficace et qu’elle abattait un beaucoup plus grand volume de travail que les autres. Elle a déclaré qu’elle faisait les choses trop rapidement. Les concepts qu’elle présentait ne faisaient pas que constituer une propriété intellectuelle pour le gouvernement du Canada, mais permettaient aussi de construire des liens et des ponts qui n’avaient jamais été érigés auparavant à l’ACIA. La fonctionnaire a dit qu’elle était un modèle sur le plan des réalisations et qu’elle avait dirigé avec succès et harmonie des équipes à Ottawa et à Winnipeg. Pour cette raison, elle était le bouc émissaire et était jugée peu coopérative et non productive.

93 La fonctionnaire a prétendu que le Dr Kitching confiait les activités de l’ACIA à des gens de l’extérieur qui ne connaissaient pas vraiment les exigences et les enjeux de l’Agence. Elle a déclaré que l’on ne tenait pas compte du mandat du RCSZ, puis qu’on l’avait cédé à la province du Manitoba. Elle était d’avis que la direction de l’ACIA à Ottawa ne comprenait pas ce qui se passait et qu’on ne comprenait pas pourquoi elle refusait de remettre son travail à un employé de l’extérieur de l’ACIA.

94 La fonctionnaire a allégué que les actions du Dr Copps n’étaient pas raisonnables non plus. Elle était d’avis qu’il l’avait étiquetée comme instable pour se débarrasser d’elle. Elle a dit qu’il avait outrepassé ses responsabilités et qu’il ne l’avait pas bien traitée. Il est entré dans son bureau sans la prévenir, violant ainsi une loi sur la santé et la sécurité et les parties 2 et 3 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2. Elle avait le droit de travailler dans un milieu de travail sûr, exempt de harcèlement psychologique. L’histoire que le Dr Copps a racontée était fausse, mais il pouvait s’en tirer à bon compte parce qu’il était directeur et qu’il avait reçu le feu vert du Dr Alexandersen.

95 La fonctionnaire a prétendu qu’il y avait de la discrimination systémique dans le milieu de travail sous la forme d’esclavage et que cela devait cesser. Elle a déclaré que la direction n’avait aucun contrôle, qu’elle ne suivait pas ses propres politiques et qu’elle prenait des décisions partiales. On l’a déclarée coupable, et elle ne pouvait rien y faire. Elle a allégué que l’esprit de la loi est de régler les problèmes le plus rapidement possible, en tenant compte du critère de raisonnabilité.

96 La fonctionnaire a prétendu que les actions du Dr Copps n’ont pas respecté le critère de raisonnabilité parce qu’il n’a pas suivi le processus approprié. Elle a allégué que le Dr Copps était à la fois l’instigateur du problème et l’exécutant. Il l’a retirée de son emploi en prétextant son [traduction] « comportement ». Il s’est excusé auprès des autres, mais pas auprès d’elle. La fonctionnaire a soutenu qu’il n’avait pas respecté le critère de raisonnabilité parce qu’il ne s’était pas excusé auprès d’elle et ne lui avait pas offert la possibilité de s’excuser, même si c’était elle qui avait été traumatisée. La fonctionnaire a maintenu que le rapport du Dr Copps qui a été envoyé à Ottawa faisait partie d’une stratégie pour se débarrasser d’elle en la piégeant.

97 La fonctionnaire a fait remarquer que l’employeur a la responsabilité de maintenir un climat de civilité dans le milieu de travail, et pourtant le Dr Copps a demandé à des personnes de la retirer du lieu de travail devant les autres personnes présentes. Personne n’avait vu cela comme un acte de discrimination ou de harcèlement, mais la fonctionnaire était d’avis que la façon dont elle était traitée au travail était un crime haineux en évolution et que cela constituait du harcèlement criminel. Il était évident, selon elle, que son environnement de travail répondait à la définition d’un milieu de travail dangereux.

98 La fonctionnaire a soutenu qu’elle travaillait dans une atmosphère d’isolement et que l’isolement est une forme de violence. Elle a allégué qu’on lui refusait le droit de se faire entendre et qu’elle avait été punie sévèrement pour l’avoir fait. Elle a été punie pour avoir utilisé des noms de famille dans ses courriels, et elle a été punie pour avoir fait des demandes raisonnables à l’employeur afin d’obtenir des conditions de travail normales. On a banalisé sa plainte de harcèlement. L’enquête n’a pas été effectuée correctement et n’a pas respecté le critère de raisonnabilité. Aucune mesure corrective n’a été imposée pour assurer son bien-être et celui de l’employeur.

99 La fonctionnaire a déclaré que ses griefs concernaient des mesures disciplinaires déguisées. Le Dr Copps lui avait imposé des mesures disciplinaires pour des questions futiles. Il avait réagi outre mesure et personne ne s’en souciait. Elle a soutenu que l’employeur devait déguiser les mesures disciplinaires, parce qu’il n’aurait pas gagné sa cause dans un grief s’il avait usé directement de mesures disciplinaires. Elle estimait que l’employeur avait eu recours à l’approche indirecte plutôt qu’à une approche directe parce qu’il devait cacher le fait qu’il était coupable de ne pas fournir un milieu de travail sûr. Elle a déclaré qu’il était évident que les suspensions étaient de nature disciplinaire, étant donné qu’on exigeait d’elle qu’elle subisse une évaluation de son aptitude au travail.

C. Réfutation de l’employeur

100 L’employeur a fait remarquer que tout ce qu’on avait demandé à la fonctionnaire était de se soumettre à une évaluation de son aptitude au travail. La situation était entièrement sous son contrôle. L’employeur a attendu un mois après que la fonctionnaire eut indiqué son refus de subir une évaluation avant de convertir la suspension en une suspension sans salaire. L’employeur voulait lui donner toutes les chances de se conformer à l’exigence demandée.

V. Motifs

101 Les deux griefs dont je suis saisie ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, qui prévoit ce qui suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

[…]

102 Le premier grief concerne la décision de l’employeur de suspendre la fonctionnaire avec rémunération en attendant le résultat d’une évaluation médicale complète. L’employeur a suspendu son accès au lieu de travail et son accès par voie électronique. La lettre qui informait la fonctionnaire de cette décision était rédigée en partie ainsi (pièce E-17) :

[Traduction]

[…]

À titre de gestionnaire, j’ai la responsabilité d’assurer la santé et la sécurité des employés. Des incidents récents ont causé des inquiétudes dans votre milieu de travail. Pour pouvoir vous fournir ainsi qu’aux autres employés un environnement de travail sain, je vais demander un rendez-vous pour que vous subissiez une évaluation médicale complète afin que nous puissions déterminer les prochaines étapes.

Jusqu’à ce que le rendez-vous soit fixé, vous devrez demeurer à la maison avec rémunération. Nous communiquerons avec vous pour confirmer les détails de votre rendez-vous le plus tôt possible.

Lorsque votre évaluation sera terminée et que nous aurons plus d’information, nous serons en mesure de déterminer quelles seront les prochaines étapes du projet sur lequel vous travailliez.

Entre-temps, nous suspendons votre accès au milieu de travail ainsi que vos comptes de TI.

[…]

103 Le deuxième grief concerne la décision de l’employeur de convertir la suspension avec rémunération en une suspension sans salaire. Le 26 avril 2010, l’employeur a écrit ceci à la fonctionnaire (pièce E-25) :

[Traduction]

[…]

La présente fait suite à ma lettre du 19 mars 2010 dans laquelle nous vous invitions à reconsidérer votre refus de vous soumettre à une évaluation de votre aptitude au travail. Par la suite, vous m’avez envoyé un courriel, le 31 mars 2010, dans lequel vous m’informiez de votre refus de subir cette évaluation. Par conséquent, vous êtes suspendue sans salaire à compter du 26 avril 2010.

Je vous incite à reconsidérer ma demande et à consentir à une évaluation de votre aptitude au travail. Je dois vous aviser que le défaut de donner votre consentement pourrait entraîner votre licenciement de l’Agence canadienne d’inspection des aliments pour des motifs non disciplinaires.

[…]

104 La fonctionnaire a déposé un grief relatif à la première lettre le 13 janvier 2010, et un grief relatif à la deuxième lettre le 27 mai 2010. Dans les deux griefs, elle alléguait que les mesures imposées étaient des suspensions et constituaient des mesures disciplinaires déguisées.

105 À l’audience, l’employeur a contesté ma compétence pour entendre les deux griefs, affirmant que ses actions n’étaient pas de nature disciplinaire, mais qu’il s’agissait plutôt de suspensions administratives. Selon l’employeur, ses actions n’étaient donc pas visées par les motifs valables de renvoi à l’arbitrage énumérés au paragraphe 209(1) de la LRTFP. L’argument de l’employeur à ce sujet était essentiellement que la mesure initiale, c’est-à-dire la suspension avec salaire, était motivée par la nécessité d’assurer la santé et la sécurité de ses employés, y compris la fonctionnaire, et que la deuxième mesure n’était qu’une conséquence de l’inaptitude continue de la fonctionnaire à fournir du travail ou du rendement parce qu’elle refusait de se soumettre à l’évaluation de l’aptitude au travail exigée par l’employeur. Selon l’employeur, ces deux mesures étaient de nature purement administrative.

106 Les deux suspensions sont survenues dans le cadre de la demande par l’employeur que la fonctionnaire se soumette à une évaluation médicale visant à établir si elle était apte à travailler. La fonctionnaire a soutenu que cette demande était une mesure disciplinaire déguisée visant à lui imposer une suspension et, ultimement, à la licencier d’une façon qu’elle ne pourrait contester.

107 Pour être arbitrables, les griefs doivent être liés à des suspensions disciplinaires. On ne peut conclure que les suspensions étaient de nature administrative, et donc non arbitrables, simplement parce que l’employeur les a qualifiées ainsi. Dans Grover c. Conseil national de recherches du Canada, 2005 CRTFP 150 (décision confirmée dans Canada (Procureur général) c. Grover, 2007 CF 28 et dans 2008 CAF 97), l’arbitre a fait remarquer, au paragraphe 120, que :

[…] le simple fait que l’employeur a qualifié ses actions de mesures administratives en invoquant une politique administrative ou une prérogative de la direction ne les rend pas automatiquement telles. L’analyse des faits et du contexte est déterminante.

108 Je dois déterminer si, sur le fond, les actions de l’employeur peuvent être qualifiées de disciplinaires. Il s’agit essentiellement d’une analyse des faits. Une mesure disciplinaire vise à punir une conduite jugée inacceptable et coupable par l’employeur. Les sanctions disciplinaires visent généralement à corriger un comportement et suivent donc une progression, commençant par des avertissements pour progresser vers des sanctions plus importantes. Mais comme l’employeur l’a soutenu, les actions affectant négativement un employé ne sont pas toutes des mesures disciplinaires. Il est également vrai que des actes commis par l’employeur apparemment pour des raisons administratives peuvent se révéler être, dans les faits, des mesures disciplinaires déguisées, comme l’allègue la fonctionnaire dans ce cas.

109 Il est impossible de déterminer quelle était l’intention de l’employeur lorsqu’il a suspendu la fonctionnaire sans d’abord examiner sa demande qu’elle subisse une évaluation médicale de son aptitude au travail, notamment en raison du fait qu’il a reconnu qu’il aurait pu avoir des motifs pour imposer des mesures disciplinaires à la fonctionnaire, mais qu’il ne l’a pas fait. Si l’employeur n’avait pas de motif légitime pour demander cette évaluation, cela rend plus discutable le motif sur lequel il s’est appuyé pour suspendre la fonctionnaire en attendant les résultats de cette évaluation.

110 Les employeurs n’ont pas le droit absolu de demander à leurs employés de subir des examens médicaux. La Cour fédérale a affirmé, au paragraphe 64 de Grover, que le « […] principe de base est que les employés jouissent d’un droit élevé en matière de vie privée, pour ce qui concerne leur intégrité corporelle et le recours à un médecin; il y a donc intrusion si un employé est examiné contre sa volonté ». Cependant, comme la Cour l’a aussi indiqué au paragraphe suivant, les employeurs ont aussi l’obligation d’assurer la santé et la sécurité des employés, et ils ont donc le droit de demander des renseignements médicaux sur un employé s’il existe « […] des motifs raisonnables et probables de croire que l’employé constitue un risque pour la santé ou la sécurité en milieu de travail ».

111 Comme l’a souligné la Cour fédérale dans Grover, l’employeur doit trouver un équilibre entre les droits d’un employé en matière de vie privée et le besoin d’assurer la sécurité dans le milieu de travail. Pour ce faire, il doit employer le moyen le moins intrusif possible pour obtenir l’information requise. De plus, si l’employeur n’est pas disposé à accepter le certificat médical du médecin d’un employé, il doit expliquer en quoi ce certificat n’est pas suffisant et préciser de quelle information il a besoin. La Cour a affirmé que les demandes d’examens médicaux indépendants ne doivent survenir que dans de rares cas et seulement dans des circonstances exceptionnelles où l’on peut en établir clairement la nécessité. La Cour a déclaré ce qui suit :

[…]

[70] De nombreux précédents font état de l’obligation de prouver qu’un examen médical est « nécessaire » en raison d’un « doute légitime ». La charge de la preuve repose sur l’employeur, lequel doit être disposé à produire une « preuve convaincante » au soutien de sa position. La nécessité d’un examen médical est décrite comme une « mesure drastique », qui doit reposer sur un « solide fondement » et qui ne sera requise que dans de « rares cas » […]

[…]

112 Dans le présent cas, la demande voulant que la fonctionnaire subisse une évaluation médicale par un médecin sélectionné par l’employeur afin d’établir l’aptitude au travail de la fonctionnaire a été motivée par une confrontation orageuse entre la fonctionnaire et le Dr Copps. Le Dr Copps a affirmé lors de son témoignage que l’incident du 7 janvier 2010 l’a secoué et terrifié. Dans ses notes manuscrites, il a décrit le comportement de la fonctionnaire comme [traduction] « agressif, frénétique et hors de contrôle » (pièce E-14).

113 Outre l’incident avec le Dr Copps, l’employeur s’est appuyé sur d’autres incidents et problèmes pour justifier sa demande d’examen médical indépendant. Le Dr Silva a affirmé que l’incident avec le Dr Copps semblait s’inscrire dans le cadre d’une tendance comportementale qui préoccupait l’employeur. Cet incident avec le Dr Copps était le seul qualifié de menaçant par l’employeur, mais des preuves indiquaient que l’échange de courriels avec Mme Percy, en décembre 2009 et au début de janvier 2010, a aussi soulevé des préoccupations quant au fait que la colère et la frustration de la fonctionnaire [traduction] « s’aggravaient ».

114 La lettre envoyée aux médecins de la fonctionnaire le 10 mars 2010 (pièce E-21) décrivait en détail les préoccupations de l’employeur concernant l’aptitude au travail de la fonctionnaire. Elle décrivait en particulier l’incident survenu en août 2008, lorsque la fonctionnaire aurait pris en photo des employés pendant que ces derniers assistaient à une réunion à laquelle elle n’avait pas été invitée. La fonctionnaire aurait également crié à son travail et accusé d’autres personnes de crier. La lettre mentionnait aussi que les réprimandes qui ont été données à la fonctionnaire pour avoir utilisé un ton déplacé dans ses courriels, ainsi que pour son mauvais rendement et pour ne pas avoir respecté ses échéanciers, étaient des sources de préoccupation pour l’employeur. On indiquait dans la lettre que la fonctionnaire et ses représentants syndicaux avaient aussi exprimé des préoccupations liées à la santé de la fonctionnaire. Enfin, il était question dans la lettre de l’incident du 7 janvier 2010 avec le Dr Copps.

115 L’employeur a présenté beaucoup de preuves à l’audience sur le comportement de la fonctionnaire depuis 2007 dans le but d’établir le contexte de sa décision de la suspendre en janvier 2010. Il ne fait aucun doute que les preuves devant moi contiennent des exemples de conduites et de déclarations de la fonctionnaire qui pourraient soulever des préoccupations légitimes sur son bien-être. La description frappante dans sa plainte de harcèlement de 2008 de sa réaction quand elle a été réaffectée, c’est-à-dire que la nouvelle avait été pour elle comme recevoir une balle dans la tête, est un exemple saisissant et troublant de comportement inquiétant. Mais je dois noter que rien ne prouve que cette déclaration, par exemple, a été prise en considération dans la décision de demander une évaluation médicale et psychologique indépendante.

116  Cependant, à l’audience et dans ses communications avec les Drs Silva et Renvick, la fonctionnaire a également établi des liens entre des incidents survenus avant 2009 et les incidents ayant mené à sa suspension, en janvier 2010. Elle croyait fermement que sa plainte de harcèlement, qui a été déposée en mars 2008 et a reçu une réponse en septembre 2009, n’était toujours pas réglée. Le Dr Silva a déclaré que, lors d’une réunion en mars 2009, la fonctionnaire avait de la difficulté à tourner la page sur des questions du passé. En août 2009, la fonctionnaire a indiqué dans un courriel qu’elle était victime d’un harcèlement continu (pièce E-33). Elle a présenté un rapport d’incident de sécurité qui se rapportait à la plainte qu’elle avait déposée contre le Dr Kitching, lequel avait pris sa retraite de l’ACIA. Aussi, en septembre 2009, elle a écrit au Dr Renwick et lui a dit qu’elle était [traduction] « au milieu d’un processus de règlement d’une plainte de harcèlement » (pièce G-68). Elle a déclaré que, lors d’une réunion tenue le 1er décembre 2009, le Dr Silva avait mentionné le fait que la fonctionnaire avait pris des photos, ce qui l’avait ébranlée au point où elle avait dû quitter la pièce. Dans un courriel qu’elle a envoyé au Dr Renwick le 17 décembre 2009, la fonctionnaire a mentionné son trouble émotionnel provoqué par la réunion du 1er décembre pour justifier son incapacité de terminer son travail, et elle a demandé une prolongation de son échéancier en raison du stress qu’elle subissait à cause de ses problèmes de ressources humaines (pièce E-40).

117 Le portrait que les preuves dressent est celui d’une employée qui était soumise à un niveau de stress très élevé au travail, et ce depuis longtemps. La fonctionnaire montrait clairement des signes qu’elle était perturbée. Elle a déclaré qu’elle trouvait son milieu de travail difficile et qu’elle se sentait constamment menacée. En juillet 2009, son psychologue a recommandé à la fonctionnaire un changement d’environnement de travail en raison du stress qu’elle subissait (pièce E-37). À la réunion du 1er décembre 2009, la fonctionnaire est devenue si émotive qu’elle avait dû quitter la pièce. Plus tard au cours du même mois, elle a écrit à un conseiller en ressources humaines et lui a dit qu’elle était [traduction] « fatiguée » en raison de tout le stress qu’elle subissait (pièce E-41). Le 5 janvier 2010, elle a présenté un RESCR, dans lequel elle indiquait que son environnement de travail équivalait à un [traduction] « isolement » et donnait une liste de problèmes qui démontraient clairement pourquoi elle se sentait isolée, marginalisée et stressée (pièce G-64).

118 La plupart des employeurs ne sont pas des docteurs, des psychologues ou des psychiatres. Ils n’ont pas tous les outils nécessaires pour aider les employés qui montrent des signes de détresse au travail. Et pourtant, la Cour fédérale a statué dans Grover que les employeurs ont l’obligation de voir à la santé et à la sécurité des employés dans leur milieu de travail. Un des outils dont disposent les employeurs est le droit d’exiger d’un employé qu’il se soumette à une évaluation de l’aptitude au travail. Dans Grover, la Cour fédérale a indiqué que cet outil ne devait pas être utilisé à la légère ou pour punir un employé, mais seulement s’il y avait « […] des motifs raisonnables et probables de croire que l’employé constitue un risque pour la santé ou la sécurité en milieu de travail ». À mon avis, on doit aussi procéder à cette évaluation s’il est raisonnable de penser que l’employé en question présente un risque pour lui-même. Je ne crois pas qu’un employeur responsable aurait pu ignorer les signes de stress et d’instabilité montrés par la fonctionnaire pendant les mois précédant sa suspension, le 8 janvier 2010. Je conclus donc que l’employeur a eu raison d’exiger que la fonctionnaire passe un examen médical indépendant pour déterminer son aptitude au travail.

119 Quand il a suspendu la fonctionnaire, le 8 janvier 2010, l’employeur ne lui a pas enlevé son salaire. Au départ, l’employeur voulait que la fonctionnaire consulte un professionnel choisi par l’employeur, mais à la demande du représentant syndical de la fonctionnaire, il a accepté le 25 février 2010 que le médecin de la fonctionnaire effectue l’évaluation. On a expliqué pourquoi on a jugé qu’un certificat médical émis précédemment par le médecin de la fonctionnaire ne satisfaisait pas aux exigences de l’employeur. Ces exigences avaient été clairement établies. Par conséquent, je conclus que l’employeur a tenté d’intervenir de la façon la moins intrusive possible. La fonctionnaire n’a été suspendue sans salaire qu’à compter du 26 avril 2010, lorsqu’elle a refusé catégoriquement de se soumettre à l’évaluation demandée, même si cette évaluation était effectuée par son médecin.

120 Les suspensions de la fonctionnaire peuvent-elles être qualifiées de disciplinaires? Je ne le crois pas. Les indices de discipline, c’est-à-dire que l’intention doit être de punir et de corriger un comportement, ne sont pas présents en l’espèce. Bien que l’employeur ait réprimandé la fonctionnaire à l’automne 2009 pour le ton qu’elle avait utilisé dans ses courriels, rien ne prouve que des mesures disciplinaires continues ou de plus en plus sévères ont été prises. En exigeant de la fonctionnaire qu’elle se soumette à une évaluation médicale, l’employeur n’avait pas en tête de lui imposer une mesure disciplinaire. Il était plutôt motivé par des préoccupations légitimes quant à la santé de la fonctionnaire. Le salaire de la fonctionnaire a été maintenu pendant plus de trois mois après sa suspension initiale, et ce n’est que lorsqu’il a appris qu’elle ne passerait pas l’évaluation de son aptitude au travail, même si cette évaluation devait être effectuée par son médecin, que l’employeur a envoyé la fonctionnaire en congé non payé selon le principe « pas de travail, pas de salaire ». Je peux comprendre que la fonctionnaire considère que cette décision était punitive, mais je conclus tout de même qu’il ne s’agissait pas d’une mesure disciplinaire. Comme je conclus que la suspension avec salaire du 8 janvier 2010 et la suspension sans salaire du 26 avril 2010 étaient des mesures administratives plutôt que disciplinaires, je conclus que je n’ai pas compétence pour entendre les deux griefs dont je suis saisie.

121 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

122 Les griefs sont rejetés.

Le 6 mai 2013.

Traduction de la CRTFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.