Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante, qui exerçait également des fonctions au sein du syndicat, a allégué que le défendeur avait menacé de prendre des mesures disciplinaires à son égard pour avoir exercé ses droits en vertu de la partie II du Code - la plaignante avait exercé son droit de refuser un travail dangereux - un enquêteur de la sécurité a conclu qu’il n’y avait pas de danger, et la plaignante a fait appel de la décision auprès du Tribunal de santé et de sécurité au travail Canada (TSSTC) - le TSSTC a ordonné que l'audience soit tenue à huis clos et qu’il soit expressément interdit de divulguer tout élément de preuve présenté - la plaignante a fourni des renseignements cotés <<Protégé B>> à son avocat - la divulgation de ces renseignements sans autorisation et sans encryptage a suscité des préoccupations chez l’employeur car l’employeur jugeait qu’il s’agissait d’une infraction à sa Politique en matière de sécurité de la gestion de l’information - une enquête des normes professionnelles a été ouverte - durant l’enquête, un membre de la haute direction a tenu une conversation par courriel avec l’enquêteur au cours de laquelle il a émis des commentaires négatifs au sujet de la plaignante, notamment une référence au fait qu’elle a [traduction] <<exercé un refus de travailler>> et une référence à la [traduction] <<cause qu’elle défend à titre de représentante du SDI>>, et a recommandé à l’enquêteur de réaliser une vérification supplémentaire du compte courriel de la plaignante pour s’assurer qu’elle n’avait pas envoyé d’autres renseignements protégés sans autorisation - l’enquête a conclu que la plaignante avait contrevenu à la politique, et elle s’attendait à faire l’objet de sanctions disciplinaires - au lieu de cela, elle a été appelée à participer à une [traduction] <<conversation formative>> avec son représentant syndical - aucun témoin n’avait jamais entendu parler d’une telle notion auparavant, et les éléments de preuve ont révélé, qu’au sein de l'ASFC, la pratique la plus prédominante voulait que des mesures disciplinaires soient imposées aux employés qui avaient été impliqués dans des enquêtes des normes professionnelles - à la demande des parties, la Commission a ordonné que le rapport d’enquête complet soit mis sous scellés, mais une version caviardée a été classée dans le dossier - le rapport pourrait entacher la réputation des individus qui n’ont pas comparu devant la Commission et qui n’ont pas eu la possibilité de se défendre - la Commission a conclu que le fait d'instituer une enquête afin d'examiner un cas possible de contravention à une politique de l’employeur ne constitue pas en soi une menace d'imposition de mesures disciplinaires, compte tenu du fait qu’un employeur a tous les droits d’imposer des mesures disciplinaires pour les manquements aux politiques - toutefois, la conversation de la haute direction avec l’enquêteur a clairement établi un lien entre l’exercice par la plaignante de ses droits et l’enquête des normes professionnelles - l’employeur était contrarié par l’exercice par la plaignante de ses droits et il voulait qu’elle cesse de s’intéresser à la question - il espérait que l’imposition de mesures disciplinaires refroidirait ses élans en ce qui a trait aux questions touchant à la santé et la sécurité - les activités de la haute direction tentant d’influencer l’orientation de l’enquête étaient directement liées à une tentative visant à empêcher la plaignante d'exercer son droit de refuser un travail dangereux - la [traduction] <<conversation formative>> était un stratagème destiné à occulter tout lien entre une sanction disciplinaire et l’exercice par la plaignante de ses droits, et constituait, à tout le moins, une menace d'autres mesures disciplinaires à l'avenir dans le dessein de modifier le comportement de la plaignante. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-04-12
  • Dossier:  560-02-78
  • Référence:  2013 CRTFP 40

Devant une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique


ENTRE

EUGENIA MARTIN-IVIE

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
Martin-Ivie c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour la plaignante:
Michael Fisher, avocat

Pour le défendeur:
Martin Desmeules, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 6 et 7 février 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1  La plaignante, Eugenia Martin-Ivie (la « plaignante »), a allégué que le défendeur, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») avait menacé de prendre des mesures disciplinaires à son égard pour avoir exercé ses droits en vertu de la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le « Code »), et qu’il avait violé les articles 133 et 147 du Code en entreprenant une enquête sur les normes professionnelles (l’« enquête ») relativement à la production par la plaignante de documents protégés de l’ASFC lors d’une audience devant le Tribunal de santé et sécurité au travail (le « TSST ») à l’appui de son argument que son refus de travailler était justifié.

II. Résumé de la preuve

2 Au début de l’audience, les parties ont présenté l’énoncé conjoint des faits suivant exposant les faits à l’origine de la plainte en l’espèce :

[Traduction]

  1. La plaignante, Eugenia Martin-Ivie, travaille à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») à titre d’agente des services frontaliers (ASF). Après avoir travaillé comme étudiante et avoir ensuite été affectée à des fonctions d’ASF, elle a été nommée pour une période indéterminée au poste d’ASF en avril 1997 au point d’entrée de Coutts, un poste frontalier terrestre situé à Coutts, en Alberta. (En mars 2011, Mme Martin-Ivie a commencé une affectation à Ottawa, à un poste classifié au groupe et niveau FB-04 au sein de l’équipe de l’initiative du Manifeste électronique et, depuis novembre 2012, occupe à titre intérimaire un poste classifié au groupe et niveau FB-06 à Ottawa. Son poste d’attache est toujours celui dans la région des Prairies.)
  2. Le 10 novembre 2005, Mme Martin-Ivie et sept de ses collègues du point d’entrée de Coutts ont refusé de travailler, invoquant l’article 128 du Code canadien du travail.
  3. Le 11 novembre 2005, un agent de santé et de sécurité […] a effectué une enquête à ce sujet, conformément aux dispositions de l’article 129 du Code canadien du travail.
  4. Le formulaire d’enregistrement d’un refus de travailler indique que Mme Martin-Ivie et ses collègues soulevaient trois préoccupations : la nécessité d’assurer une présence armée accrue au poste frontalier; le fait que des sujets armés et dangereux n’étaient pas signalés dans les avis de surveillance tant à l’échelle locale qu’à l’échelle nationale; le fait que les agents ne recevaient pas la formation nécessaire pour traiter avec des sujets armés et dangereux.
  5. Le 11 novembre 2005, après avoir achevé son enquête, […], l’agent de santé et de sécurité affecté au dossier a conclu à l’absence de danger.
  6. Le 21 novembre 2005, Mme Martin-Ivie a contesté la décision de l’agent de santé et de sécurité auprès d’un agent d’appel du Tribunal de santé et de sécurité au travail Canada.
  7. Le 12 octobre 2010, le Tribunal a ordonné que l’audience soit tenue à huis clos et que toute la preuve présentée à l’audience soit expressément frappée d’une interdiction de publication […]
  8. Le 2 novembre 2010, Mme Martin-Ivie a fourni, par courriel, au cabinet d’avocats qui la représentait, Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l., des renseignements de l’ASFC cotés « Protégé B », dans le cadre de son appel. Elle a également remis en personne au cabinet d’avocats précité d’autres renseignements de l’ASFC cotés « Protégé B ».
  9. Ces documents ont été produits en preuve, par consentement ou dans le cadre des témoignages, durant l’audience devant le Tribunal qui s’est tenue sur une période de deux semaines au mois de novembre 2010.
  10. Le 24 novembre 2010, alors que l’audience était en cours, un employé de l’ASFC en poste à Coutts, en Alberta, a télécopié à l’avocate de Mme Martin-Ivie un document renfermant des renseignements de l’ASFC cotés « Protégé B ». Le même jour, son avocate a présenté ce document lors du contre-interrogatoire d’un témoin de l’ASFC, M. Dan Badour, à l’époque directeur de la Division du développement du renseignement et du soutien aux régions.
  11. Par la suite, M. Badour a soulevé auprès de l’unité des enquêtes sur les normes professionnelles ses préoccupations au sujet de la manière dont certains documents cotés « Protégé B » étaient diffusés. Une enquête a alors été lancée relativement à la communication de certains documents de l’ASFC, notamment des télécopies, des courriels et d’autres pièces produites en preuve dans le cadre de l’audience.
  12. À la fin de la dernière journée d’audience, le 26 novembre 2010, le Tribunal a reporté sa décision.
  13. Le 17 février 2011, M. Kevin Hewson, directeur du district du Sud de l’Alberta, ASFC, agissant au nom de l’unité des enquêtes sur les normes professionnelles, a rencontré Mme Martin-Ivie au sujet des courriels qu’elle avait transmis à son avocate le 2 novembre 2010 et l’a avisée que l’unité des enquêtes sur les normes professionnelles communiquerait sans doute avec elle.
  14. Le 13 avril 2011, Mme Franca Passannante, enquêteuse principale à la Division de la sécurité du personnel et des normes professionnelles, a informé par courriel Mme Martin-Ivie qu’elle faisait l’objet d’une enquête sur les normes professionnelles pour avoir « […] illégalement communiqué des renseignements de l’ASFC au cabinet d’avocats Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck […] », violant ainsi la politique de l’ASFC et l’article 107 de la Loi sur les douanes […]
  15. Le 14 avril 2011, M. S. Cadieux, agent d’appel, a rendu sa décision, confirmant la décision de M. Gould qu’il n’y avait pas de danger et rejetant l’appel de Mme Martin-Ivie. La décision expurgée n’a toutefois été communiquée qu’un mois après la date précitée […]
  16. Le 19 avril 2011, Mme Martin-Ivie a assisté à une audience d’enquête, présidée par Mme Passannante. À cette occasion, Mme Martin-Ivie a présenté une lettre à l’enquêteur dans laquelle elle exposait sa position relativement à l’affaire […]
  17. Le 18 janvier 2012, Mme Martin-Ivie a reçu une copie expurgée du rapport d’enquête sur les normes professionnelles […]. L’enquêteur y conclut que, en raison de la manière dont les renseignements de l’ASFC cotés « Protégé B » avaient été communiqués à son avocate, Mme Martin-Ivie avait contrevenu à la politique sur la sécurité de l’ASFC.
  18. Le 24 janvier 2012, dans le cadre d’une conférence téléphonique avec M. Gary Selk, directeur des opérations, district du Sud de l’Alberta, M. Kevin Hewson, directeur, district du Sud de l’Alberta et M. Jason McMichael, agent des services frontaliers et premier vice-président national du Syndicat des Douanes et de l’Immigration, Mme Martin-Ivie a été avisée, en guise de réponse aux conclusions du rapport, des attentes de l’ASFC quant au recours au cryptage lors de la communication de renseignements.

3 Plusieurs pièces ont été déposées en preuve par consentement, dont une version intégrale du rapport d’enquête. Les parties ont conjointement demandé que ce document (pièce 3) soit mis sous scellés, puisqu’il contient les allégations, les éléments de preuve et les conclusions se rapportant à des allégations similaires à l’encontre de trois autres fonctionnaires de l’ASFC également impliqués dans la production des documents présentés devant le TSST.

4 Étant donné que ces fonctionnaires ne sont pas des parties à la plainte dont je suis saisie, j’ai conclu, après avoir pris connaissance du rapport, que d’en permettre la diffusion au public causerait préjudice aux autres employés qui y sont mentionnés. Les informations contenues dans le rapport, si elles n’étaient pas mises sous scellés, pourraient porter atteinte à la réputation d’individus qui ne sont pas en cause dans la plainte dont je suis saisie et qui n’ont pas consenti à la publication des conclusions de l’enquête sur leurs activités respectives ou n’ont pas eu l’occasion de se défendre devant moi relativement à ces conclusions. De plus, il n’est pas dans l’intérêt de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») ni des parties comparaissant devant celle-ci que soient diffusés publiquement des renseignements personnels au-delà de ceux requis aux fins de la décision en l’instance. Pour ces motifs, et eu égard aux critères « Dagenais/Mentuck », j’ordonne que la pièce 3 soit mise sous scellés. La version caviardée du rapport, déposée à titre de pièce 1, onglet E, ne sera pas mise sous scellés. Cela suffira pour satisfaire aux exigences d’ouverture, de transparence et d’accessibilité de la Commission dans le cadre du dénouement de la plainte dont je suis saisie.

5 M. Dan Badour, directeur, Renseignement et exécution de la loi, région du Sud de l’Ontario, ASFC, a témoigné pour le compte de l’ASFC. Il participe au programme de renseignement de l’ASFC depuis 1993 et a témoigné à titre d’expert en matière de sécurité pour le compte de l’ASFC devant le Tribunal de santé et sécurité au travail.

6 En vue de l’audience, M. Badour a rencontré l’avocat du Secrétariat du Conseil du Trésor (le « SCT ») et le conseiller en relations de travail de l’administration centrale de l’ASFC affectés au dossier afin d’étudier la documentation destinée à être communiquée par le défendeur à la plaignante. Il a examiné les documents divulgués par l’avocate de la plaignante se rapportant aux procédures en matière d’avis de surveillance et de renseignement. Parmi ces documents, il y avait des bulletins de renseignement et des avis de surveillance lesquels contiennent des renseignements qui visent à informer les diverses composantes de l’ASFC au sujet des enquêtes policières, des enquêtes de l’ASFC, des enquêtes d’organismes partenaires et des avis de sécurité des agents et qui ont pour but d’informer les personnes concernées des problèmes de sécurité en cours. Les renseignements contenus dans ces avis ont une cote « Protégé B », car ils comprennent des noms de suspects, des renseignements relatifs aux plaques d’immatriculation, la description des véhicules et un exposé des faits de la nature de l’enquête.

7 M. Badour a passé en revue les documents communiqués par la plaignante afin de s’assurer que les « avis de surveillance » se rapportaient spécifiquement aux questions qui avaient motivé son refus de travailler. Il a également examiné d’autres documents divulgués par la plaignante afin de s’assurer que leur divulgation ne posait pas de risque à la sécurité des opérations, ce qui serait le cas si les documents se rapportaient à une enquête active de l’ASFC ou à une enquête policière active. Le cas échéant, la communication de ces documents à l’extérieur de l’ASFC pourrait compromettre la santé et la sécurité des agents procédant à ces enquêtes, le succès de ces enquêtes, ainsi que les relations avec les organismes externes à l’ASFC et les rapports de confiance établis avec eux en ce qui a trait aux renseignements de sécurité fournis par ces organismes à l’ASFC. Parmi ces organismes partenaires, il y a les services de police locaux, la police provinciale, la Gendarmerie royale du Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité, ainsi que des organismes internationaux, notamment le département de la Sécurité intérieure des États-Unis de même que d’autres agences frontalières.

8 Les « avis de surveillance » se trouvent principalement dans deux systèmes de l’ASFC. Les agents des services frontaliers (ASF) en première ligne y ont accès par voie électronique. Il arrive qu’ils leur soient remis en format papier. Si c’est le cas, ils peuvent être transmis à l’agent du renseignement de sécurité affecté à la région puis remis au poste frontalier destinataire. Lorsqu’ils sont fournis en format papier, ils peuvent être affichés dans les salles de réunion. La version électronique de ces avis peut aussi être consultée sur le babillard électronique auquel les ASF ont accès. Ils peuvent également être transmis au surintendant régional. Enfin, uniquement les employés possédant une cote de fiabilité approfondie (ou supérieure) valide ont accès aux avis de surveillance.

9 La plaignante a transmis des documents cotés « Protégé B » à son avocate sans les avoir cryptés, tel qu’il est requis. Si un document coté « Protégé B » est transmis sans être crypté, il risque d’y avoir une perte de contrôle sur sa diffusion et la manière dont il peut être reçu par un destinataire. Il n’y a aucun contrôle sur l’ampleur de la diffusion d’un document non crypté dans le domaine public. Vers l’époque de l’appel de Mme Martin-Ivie auprès du TSST, le réseau de nouvelles CNN avait diffusé un avis de surveillance dans le cadre d’un de ses reportages sans rapport avec la plaignante, ce qui avait nettement mis l’ASFC dans l’embarras.

10 En contre-interrogatoire lors de l’audience devant le TSST, l’avocate de Mme Martin-Ivie a présenté à M. Badour un avis de surveillance coté « Protégé B » à titre de preuve. Il y était notamment indiqué qu’il y avait une enquête en cours effectuée par le Bureau du renseignement de l’ASFC de Vancouver. Ce document étant donné comme exemple, M. Badour a été interrogé sur la façon dont un document de ce genre était produit.

11 Or, ce document ne faisait pas partie des documents divulgués par l’avocat de la plaignante et n’avait pas été examiné lors de la réunion antérieure. Il y était indiqué qu’il avait été transmis par télécopieur à partir du bureau du point d’entrée de Coutts, en Alberta. Le défendeur avait consenti à la communication des avis de surveillance qui avaient été examinés par M. Badour aux fins de l’audience de l’appel. Aucun consentement n’avait cependant été donné quant à l’utilisation de l’avis de surveillance qui lui avait été montré durant l’audience. Sa première réaction a été de se demander qui avait autorisé sa communication et comment il avait été transmis.

12 Après son témoignage, M. Badour s’est entretenu avec Mme Tammy Edwards, directrice, Direction de la santé et de la sécurité au travail, ASFC. Mme Edwards était présente à l’audience. M. Badour lui a communiqué ses inquiétudes quant à la façon dont l’avis de surveillance en question avait été consulté, transmis puis divulgué. De retour à son bureau situé à Ottawa, il a consulté le Système automatisé de surveillance et conclu que l’avis de surveillance qui lui avait été présenté lors de son contre-interrogatoire avait été consulté au bureau du point d’entrée de Coutts, en Alberta, peu avant son témoignage. Il était d’avis qu’il s’agissait là d’une violation de la [traduction] « Politique nationale sur les avis de surveillance » de l’ASFC, qui découle de la [traduction] « Politique en matière de sécurité de la gestion de l’information » de l’ASFC, et de l’article 107 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e supplément).

13 Mme Edwards ne semblait pas connaître les politiques se rapportant à l’utilisation et à la diffusion des avis de surveillance. M. Badour l’a alors informée des règles sur le partage et la divulgation des renseignements protégés. À titre de suivi à cet égard, il lui a envoyé un courriel (pièce 6) lui expliquant sommairement les modalités de la [traduction] « Politique en matière de sécurité de la gestion de l’information » en plus de lui fournir des extraits de cette politique et de la législation pertinente.

14 En mai 2011, l’enquêteur des normes professionnelles affecté à l’enquête entreprise à la suite des préoccupations formulées par M. Badour, Mme Franca Passannante,enquêteuse principale, direction des normes professionnelles et des enquêtes, ASFC, a communiqué avec M. Badour. Il lui a envoyé la pièce 6 aux fins de son enquête sur la consultation, la communication et la transmission inappropriées de renseignements cotés « Protégé B » par quatre personnes ayant participé à l’arrêt de travail et visées par l’appel, directement ou indirectement.

15 M. Badour a décrit son rôle dans le déroulement de l’enquête comme étant plutôt périphérique. Il avait formulé ses préoccupations, envoyé un courriel à Mme Edwards puis parlé à M. Kevin Hewson, directeur, district du Sud de l’Alberta, ASFC, au sujet de ses inquiétudes. Il a été interrogé dans le cadre de l’enquête sur les normes professionnelles. Il n’a pas participé à la préparation du rapport ni à ses conclusions après avoir été interrogé. Il n’était pas au courant du contenu de la pièce 14, soit l’avis d’incident faisant état de la violation alléguée des dispositions du « Code de conduite - Confidentialité et communication de renseignements ». Lavis déclare ce qui suit :

[Traduction]

Il est allégué que, vers la fin de l’année 2010, des employés ont facilité et transmis des renseignements cotés « Protégé A », « B » et des renseignements appartenant à des tiers, à un cabinet d’avocats privé, et ce, sans autorisation. Ces renseignements ont été utilisés par les défendeurs dans le cadre d’une audience du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada en décembre 2010. Ces renseignements ont été transmis de manière indue et en violation de la politique à cet égard au moyen d’un courriel non crypté et d’un document télécopié de façon non sécurisée.

16 En contre-interrogatoire, M. Badour a admis avoir partagé ses préoccupations avec d’autres personnes que Mme Edwards. Lorsqu’il a parlé à Mme Edwards, elle était accompagnée de Mme Maureen Noble, surintendante au point d’entrée de Coutts. Il ne se souvenait pas que M. Richard Fader, l’avocat du SCT affecté à l’instance en appel, ait aussi été présent à cette occasion, bien qu’il ait admis que cela soit possible. Il était surtout préoccupé à ce moment-là par l’accès à l’avis de surveillance qui lui avait été présenté lors de son contre-interrogatoire et par la transmission cet avis, ainsi que par le rôle du superviseur au point d’entrée qui aurait télécopié le document. Il a averti les personnes présentes qu’il entendait faire enquête à ce sujet.

17 Le lendemain, M. Badour a téléphoné à M. Fader et lui a demandé une copie du document produit en preuve afin d’obtenir les informations concernant la transmission par télécopie. Il a ensuite interrogé le Système intégré d’exécution des douanes afin d’établir qui avait accès à l’avis de surveillance en question. Une semaine plus tard, il a envoyé la pièce 6.

18 M. Badour a avoué qu’il était préoccupé par le recours à l’enquête à ce sujet alors que la décision du Tribunal de santé et sécurité au travail était en délibéré, tel que l’a démontré la pièce 10. Son rôle dans le lancement de l’enquête s’était limité à la présentation des faits à Mme Edwards. L’enquête des normes professionnelles a été entreprise par la suite.

19 M. Badour a témoigné qu’il était au courant que les employés visés par l’enquête pouvaient encourir des mesures disciplinaires selon les conclusions du rapport d’enquête. Il a toutefois précisé que cela était néanmoins qu’une des possibilités. Il n’aurait pas été surpris si le défendeur avait envisagé de prendre des mesures disciplinaires.

20 Mme Passannante a témoigné qu’elle était chargée de procéder à une enquête en cas d’allégation d’inconduite visant des employés de l’ASFC. Il peut s’agir notamment d’allégations de violation d’une politique de l’ASFC, d’une conduite de nature criminelle, ou encore de toute conduite pouvant porter atteinte à la réputation de l’ASFC ou compromettre ses relations avec des partenaires externes. Sur la base des éléments de preuve qu’elle avait recueillis durant son enquête, elle avait conclu ce qui suit :

[Traduction]

62. L’allégation que Eugenia MARTIN-IVIE aurait violé la Politique en matière de sécurité de l’ASFC, notamment le paragraphe 2 du « Chapitre 9 : Protection des renseignements et des biens classifiés et protégés en dehors du lieu de travail », lorsqu’elle a transmis à un destinataire externe, au moyen d’un courriel non crypté, des renseignements cotés « Protégé B », est fondée.

21 Une enquête sur les normes professionnelles est une affaire très grave. Mme Passannante enquête au sujet de tous les genres d’inconduite, y compris en cas de violation de la politique de l’ASFC en matière de sécurité. Cette dernière n’est toutefois pas chargée de décider s’il y a lieu de prendre ou non des mesures disciplinaires, ni le type de mesure qui s’impose dans les circonstances, le cas échéant. Elle ne savait pas s’il y avait eu des mesures disciplinaires dans ce cas, mais elle savait que dans la plupart des cas, les enquêtes sur les normes disciplinaires aboutissaient à une mesure disciplinaire.

22 En contre-interrogatoire, Mme Passannante a été interrogée au sujet de conversations qu’elle aurait pu avoir avec des membres de la direction de l’ASFC au sujet de la portée de son enquête. Elle a témoigné que les discussions s’étaient déroulées entre son directeur général et l’administration régionale. Ce sont eux qui décident de la portée d’une enquête. Elle n’avait reçu aucune consigne particulière de son supérieur immédiat en ce qui a trait à l’enquête. À la question de savoir si elle avait eu des entretiens avec l’administration de la région des Prairies, elle a répondu que non. Cependant, lorsqu’on lui a présenté les pièces 16 et 17, elle a admis avoir eu des conversations avec M. Hewson au sujet de l’enquête, de son objet et d’une vérification visant le compte courriel de la plaignante. Le 21 février 2010, tel qu’il est démontré par la pièce 16, M. Hewson avait avisé Mme Passannante que Mme Martin-Ivie avait [traduction] « […] exercé un refus de travailler en vertu de la partie II du CCT le mardi 15 février 2011 […] ».  Il avait alors recommandé à Mme Passannante qu’en raison de ce fait, elle devrait procéder à une autre vérification du compte courriel de Mme Martin-Ivie.

23 Dans la pièce 17, soit un courriel envoyé par M. Hewson le 1er mars 2011, ce dernier a recommandé une vérification des accès et de l’espace du disque dur de l’ordinateur de la plaignante afin de [traduction] « […] trouver des preuves supplémentaires […] » démontrant qu’elle avait passé en revue tous les avis de surveillance afin d’établir si leur désignation devait être changée à la désignation [traduction] « armés et dangereux ». M. Hewson a décrit les actions de la plaignante comme semblant [traduction] « […] représenter la cause qu’elle défend à titre de représentante du Syndicat des douanes et de l’Immigration dans son milieu de travail, et son appel auprès du TSST en est une autre preuve […] ». Le 2 mars 2010, Mme Passannante a répondu à M. Hewson que la plaignante [traduction] « […] ne devrait pas passer en revue tous les avis de surveillance afin de repérer ceux qu’elle considère comme étant préoccupant au plan de la santé et de la sécurité […] ».

24 La plaignante a témoigné pour son propre compte. Elle a témoigné avoir envoyé des courriels contenant des avis de surveillance à son avocate afin qu’elle s’en serve dans le cadre de l’audience devant le TSST. Ils lui avaient été transmis par un autre ASF sans avoir été cryptés. Selon la plaignante, il n’était pas pratique courante au point d’entrée de crypter les courriels. Cela l’était seulement pour les gestionnaires. Elle n’était pas préoccupée par le fait qu’elle envoyait des courriels à l’extérieur de l’ASFC destinés à son avocate, car elle croyait qu’ils étaient alors assujettis au secret professionnel entre un client et son avocat. Elle a soutenu qu’il était de son devoir en vertu du Code de fournir à son avocate des éléments de preuve suffisants afin de soutenir sa cause en appel devant le TSST.

25 La plaignante n’était pas préoccupée par la teneur des documents qu’elle avait envoyés par courriel à son avocate parce qu’ils ne lui avaient pas été envoyés encryptés. Elle les avait transmis en tenant pour acquis qu’ils étaient protégés en vertu du secret professionnel entre un client et son avocat. Elle lui a également remis en mains propres des documents dont elle ne possédait pas la version électronique. Elle n’a pas demandé de permission pour communiquer ces documents. Il lui incombait et elle était tenue de fournir autant d’information et autant d’exemples que possible au soutien de sa défense en lien avec l’appel concernant son refus de travailler. Les documents qu’elle avait fournis à son avocate étaient destinés à démontrer que le motif de son refus de travailler subsistait au moment de l’audience devant le TSST.

26 Selon la plaignante, il s’agit de négligence lorsqu’un ASF ne prend pas connaissance des avis de surveillance. Elle prend connaissance de tous les avis de surveillance qui lui sont transmis. Il lui incombe d’être au courant de tous les avis de surveillance qui pourraient avoir été communiqués durant son quart de travail. Il ne s’agissait pas de sa [traduction] « cause » à titre de représentante syndicale comme M. Hewson l’avait affirmé dans le courriel qui suit (pièce 17) :

[Traduction]

[…]

« Lors d’un entretien avec deux de mes surintendants hier, il m’est apparu évident que la défenderesse regarde tous les avis de surveillance, les signalements ou BOLO et les examine afin d’établir s’il y a lieu d’en changer le statut à celui de ‘Armé et dangereux’. Cela semble représenter la cause qu’elle défend à titre de représentante du Syndicat des douanes et de l’Immigration dans son milieu de travail et son appel auprès du TSST en est une autre preuve, en plus de son récent refus de travailler exercé en vertu de la Partie II du CCT le 15 février 2011. »

[…]

27 La plaignante a affirmé que si elle estime que le travail est dangereux et doit être signalé comme tel, alors elle le fait. Elle a présenté ses refus de travailler à titre d’employée et non à titre de représentante syndicale. Elle examine tous les avis de surveillance qui lui sont envoyés afin de s’assurer qu’il n’y a pas de divergence entre les renseignements fournis par la source et ceux figurant dans l’avis de surveillance. Cela constituerait un problème de santé et de sécurité au travail de ne pas le faire, car un agent non armé intervient de manière différente lorsqu’il ou elle est devant une personne dont le nom figure dans un avis de surveillance. Elle s’est dite préoccupée à juste titre lorsque la mention [traduction] « Armé et dangereux » n’apparaît pas dans un avis de surveillance.

28 Lorsqu’elle a été avisée par courriel (pièce 2, onglet B) qu’elle faisait l’objet d’une enquête des normes professionnelles, elle a craint que cela ait des répercussions négatives sur sa carrière. Elle craignait également qu’elle puisse faire l’objet de mesures disciplinaires, sachant que le groupe des relations de travail de l’administration régionale utilisait de tels rapports d’enquête afin de décider des mesures disciplinaires à prendre, le cas échéant. Elle savait qu’une violation de l’article 107 de la Loi sur les douanes pouvait entraîner son licenciement. Mme Martin-Ivie avait été avisée le 18 janvier 2012 qu’elle avait été reconnue coupable des allégations qui la visaient. Elle s’attendait à des mesures disciplinaires à tout moment à partir de cette date.

29 Le 24 juin 2012, elle a eu un entretien avec la direction de l’ASFC du district du Sud de l’Alberta dans le cadre d’une conférence téléphonique, à laquelle assistait également M. Jason McMichael, actuel premier vice-président national du Syndicat des Douanes et de l’Immigration. On l’a informée qu’elle y assistait afin de participer à une [traduction] « conversation formative », une notion dont elle n’avait jamais entendu parler auparavant, au lieu de subir les mesures disciplinaires auxquelles elles s’attendaient.

30 M. McMichael a témoigné qu’il avait participé à titre de représentant syndical à plus d’une vingtaine d’enquêtes sur les normes professionnelles et que toutes ces enquêtes, sauf celle-ci, avaient entraîné des mesures disciplinaires à l’égard de l’employé visé. Ces enquêtes sont très sérieuses et portent sur des allégations parmi les plus importantes, allant des manquements à une politique à des enquêtes criminelles. Il n’avait jusqu’alors jamais participé à une [traduction] « conversation formative ».

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

31 La présente affaire vise à établir s’il y a eu contravention aux articles 133 et 147 du Code. Au paragraphe 133(1), il est question de manquement à l’article 147. Le critère établi afin de décider s’il y a eu contravention à l’article 147 a été énoncé aux paragraphes 62 et 64 de Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52 :

62 La question à résoudre en l’instance est de déterminer si le plaignant a été victime de représailles en conséquence de sa dénonciation des conditions dangereuses de travail dans lesquelles il s’est retrouvé […]

[…]

64 Le plaignant devait donc démontrer :

a. qu’il a exercé ses droits en vertu de la partie II du CCT (l’article 147);

b. qu’il a subi des représailles (articles 133 et 147 du CCT);

c. que ces représailles sont de nature disciplinaire telles que définies dans le CCT (l’article 147);

d. qu’il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures subies.

32 En l’espèce, la plaignante a satisfait à la première partie du critère. Elle a exercé ses droits en vertu de la partie II du Code. Elle devait ensuite établir qu’elle avait subi des représailles et que celles-ci étaient de nature disciplinaire. Sinon, la plainte doit être rejetée. S’il a été établi qu’elle a subi des représailles de nature disciplinaire, il faut qu’il existe un lien entre l’exercice de ses droits en vertu de la partie II du Code et les mesures disciplinaires prises par le défendeur (voir Gaskin c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 96, au paragraphe 62, et Tanguay c. Opérations des enquêtes statistiques, 2005 CRTFP 43, au paragraphe 14).

33 En l’espèce, la plaignante n’a pas été licenciée, mise en disponibilité ni rétrogradée. Il n’y a aucune preuve d’une sanction pécuniaire, ni d’une menace de mesures disciplinaires. Au paragraphe 19 de Tanguay, le commissaire accepte à titre de définition de « mesure disciplinaire » une « peine ou récompense prévue pour assurer l’exécution d’un acte » ou une « peine établie ou infligée par une loi ou une autorité quelconque pour réprimer un acte défendu ». La plaignante n’a pas été punie pour avoir exercé ses droits en vertu du Code. Aucun fait ne peut être invoqué par la plaignante pouvant établir qu’elle ait subi des représailles ou des mesures disciplinaires en raison de l’exercice par celle-ci de ses droits en vertu de la partie II du Code.

34 La question de savoir si la plaignante a subi une sanction est une question de fait. À la suite d’une enquête, elle a participé à une conversation formative, ce qui ne constitue ni une sanction ni une punition.

35 Le fait de procéder à une enquête ne constitue pas une mesure disciplinaire. Il s’agit d’une entreprise de recherche des faits. Aucune conclusion n’a été tirée en l’espèce. Cela donne l’occasion au plaignant de clarifier une situation. Le fait de s’attendre à subir des mesures disciplinaires à l’issue d’une enquête n’est pas une menace de mesures disciplinaires tel qu’il est interdit par l’article 147 du Code (voir Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 130, au paragraphe 95). Le simple fait de mener une enquête n’équivaut pas à une mesure disciplinaire ou à une menace de mesures disciplinaires.

36 Brown et Beatty, dans Canadian Labour Arbitration, 4e édition, traitent de la nature des mesures disciplinaires au paragraphe 7:4210. Pour décider si un employé a subi ou non des mesures disciplinaires, l’arbitre de grief ou de différend doit tenir compte de l’objet et des effets des actions de l’employeur. C’est la volonté de corriger un mauvais comportement qui caractérise une mesure disciplinaire. L’assurance donnée par l’employeur qu’il n’avait pas voulu que ses actions soient disciplinaires suffit souvent, mais pas toujours, à régler la question. Une mesure disciplinaire doit au moins avoir le potentiel d’avoir un effet préjudiciable envers l’employé en cause.

37 Or, comment une conversation formative peut-elle constituer une mesure disciplinaire, alors qu’il ne s’agit même pas d’un avertissement d’une mesure disciplinaire à venir? La plaignante n’a subi aucune sanction, pas plus que le défendeur n’a eu l’intention de la sanctionner. La conversation formative n’avait pas non plus le potentiel de l’affecter négativement. Elle n’a fait l’objet d’aucune réprimande ni d’aucun avertissement; aucune mention n’a d’ailleurs été inscrite à son dossier. Rien non plus ne suggère que le défendeur l’ait avertie qu’un défaut de se conformer de sa part à l’avenir pourrait entraîner une mesure disciplinaire.

38 La possibilité d’une mesure disciplinaire pouvant résulter d’une enquête ne constitue pas pour autant une menace. Personne n’a menacé la plaignante qu’elle subirait une mesure disciplinaire. Le défendeur était surtout préoccupé des agissements d’un autre fonctionnaire, celui qui avait transmis par télécopieur des renseignements protégés à un tiers à l’externe. La plaignante a pu supposer ou s’attendre à ce qu’elle fasse l’objet d’une mesure disciplinaire en raison de sa communication de renseignements protégés à son avocate, mais il ne s’agit pas là d’une menace.

39 La preuve a démontré que, malgré l’enquête, la plaignante a continué à occuper à titre intérimaire un poste supérieur à son poste d’attache à titre d’ASF. Ses perspectives de carrière n’ont pas été mises en péril. Elle n’a pas subi quelque désavantage à la suite de l’enquête. De manière générale, la preuve n’établit aucunement qu’elle ait subi quelque sanction, ni qu’elle ait fait l’objet de quelque menace de mesure disciplinaire, ni implicitement ni explicitement. Pour ces motifs, elle n’a satisfait à aucune des exigences liées au critère énoncé dans Vallée. Puisque la plaignante n’a pas réussi à satisfaire à ces exigences, sa plainte doit être rejetée.

B. Pour la plaignante

40 La plaignante a exercé ses droits en vertu de la partie II du Code. En conséquence, le défendeur l’a menacée de mesures disciplinaires. Il ne s’agit pas d’une menace explicite. L’enquête sur les normes professionnelles aurait pu mener à une mesure disciplinaire. Il est évident que le défendeur avait envisagé de prendre des mesures disciplinaires en lançant une enquête sur les normes professionnelles (pièce 18). Une mesure disciplinaire demeurait toujours possible jusqu’au moment où on a informé la plaignante qu’au lieu d’une mesure disciplinaire elle devait participer à une conversation formative. L’enquête sur les normes professionnelles avait été entreprise en raison de la communication par la plaignante de renseignements de l’ASFC à son avocate avant l’audience devant avoir lieu devant le TSST. Si elle n’avait pas communiqué ces renseignements, il n’y aurait pas eu d’enquête. Le défendeur ne peut prétendre qu’une enquête sur les normes professionnelles est simplement une démarche administrative de recherche des faits alors que, s’il est établi que le ou la fonctionnaire qui fait l’objet d’une enquête a contrevenu à une de ses politiques ou à quelque autre politique, des mesures disciplinaires peuvent en résulter. Il ne peut être permis au défendeur, non plus, de contourner le Code en choisissant de ne pas sanctionner la fonctionnaire, mais plutôt d’y substituer une nouvelle modalité sous la forme d’une conversation formative. Ce qui est pertinent en l’espèce c’est la menace de mesures disciplinaires.

41 Si on s’en tient à Chamberlain, l’enquête n’était pas disciplinaire. Cependant, constituait-elle une menace? L’existence d’une menace est une question de fait. Il est indiqué à la pièce 2, onglet B, que la plaignante a fait l’objet d’une enquête sur les normes professionnelles pour avoir [traduction] « […] illégalement communiqué des renseignements de l’ASFC au cabinet d’avocats Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck […] ». Les témoins du défendeur ont reconnu la gravité des allégations. La pièce 6 fait état des sanctions qui auraient pu en résulter dans l’éventualité où la plaignante avait été reconnue coupable des allégations formulées à son égard. Il est raisonnable de conclure qu’elle aurait fait l’objet de mesures disciplinaires dans de telles circonstances.

42 L’ASFC a été très sélective dans le choix de ses cibles. Seuls les fonctionnaires visés dans la plainte concernant le refus de travailler en vertu de la partie II du Code ont fait l’objet d’une enquête. Le fait que la plaignante n’ait pas fait l’objet de mesures disciplinaires est sans importance. La question ici n’est pas de déterminer ce que l’ASFC a fait ou n’a pas fait à la suite des conclusions formulées dans son rapport d’enquête. Le simple fait que les personnes qui étaient parties à la plainte aient fait l’objet d’une enquête sur les normes professionnelles suffit pour dissuader des fonctionnaires d’exercer leurs droits en vertu du Code. La preuve est que la plaignante devra dorénavant y penser deux fois avant de se prévaloir des prérogatives que le Code confère aux fonctionnaires. Le fait que la plaignante ait continué à réussir dans sa carrière malgré l’enquête sur les normes professionnelles ne remet aucunement en question sa volonté d’exercer ses droits. C’est justement ce genre de représailles que le Code cherche à empêcher.

43 Selon le témoignage de M. Badour, celui-ci se disait préoccupé du fait que certains documents lui aient été présentés dans le cadre de son témoignage devant le Tribunal de santé et sécurité au travail. L’enquête sur les normes professionnelles était fondée sur ses préoccupations à cet égard. S’il était principalement préoccupé par le document transmis par télécopie, il était également préoccupé par d’autres documents (voir le paragraphe 11 de l’exposé conjoint des faits). Dans son récit de ses préoccupations (pièce 9), il a relevé deux autres types de documents, notamment ceux envoyés par courriel et ceux remis en main propre par la plaignante à son avocate. La divulgation de ces documents a motivé le lancement de l’enquête sur les normes professionnelles. Bien qu’il n’ait pas nécessairement le pouvoir d’ordonner la tenue d’une telle enquête, il a tenté d’influencer son déroulement. Même sans la télécopie, ce qu’il affirmait être sa préoccupation principale, l’enquête sur la communication par la plaignante de renseignements de l’ASFC aurait quand même été lancée.

44 Les pièces 10 et 11 démontrent que le défendeur s’inquiétait de la perception du fait que l’on procède à l’enquête sur les normes professionnelles dans la foulée de l’audience devant le TSST. Les pièces 16 et 17 démontrent l’impression négative du défendeur à l’égard de la plaignante, de ses activités syndicales et de l’exercice de ses droits en vertu du Code.

45 Dans Tanguay, quatre interdictions de nature générale sont énoncées. Par ailleurs, le paragraphe 133(6) du Code impose au défendeur le fardeau d’établir qu’il n’a pas contrevenu aux interdictions formulées dans le Code. Les raisons de cette inversion du fardeau de la preuve sont explicitées dans Lequesne, 2004 CCRI 276, aux paragraphes 73 et 77, comme suit :

73 En imposant le fardeau de la preuve à l’employeur, le Code crée une importante exception à la règle générale selon laquelle le fardeau de la preuve incombe au plaignant. L’inversion du fardeau de la preuve repose sur le principe selon lequel les employés doivent être libres d’exercer leurs droits légitimes sans en être entravés par une coercition de l’employeur.

[…]

77 La décision du Conseil à l’égard d’une plainte est prise à l’issue d’un processus comprenant deux étapes. Dans un premier temps, le Conseil doit déterminer si le plaignant a agi conformément à la Partie II du Code lorsqu’il a exercé son refus de travailler. S’il est convaincu que le droit de refuser de travailler a été exercé en conformité avec le Code, le Conseil doit, dans un deuxième temps, déterminer si la décision de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire au plaignant était motivée par des facteurs qui sont liés, même de loin, au droit de l’employé de refuser de travailler. En d’autres termes, l’employeur doit démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, la mesure disciplinaire a été imposée pour des motifs autres que l’employé avait invoqué son droit de refuser de travailler.

46 Dans Chaney, 2000 CCRI 47, au paragraphe 28, on met en relief le principe voulant que si l’exercice par un employé de ses droits constitue une cause immédiate de l’imposition de mesures disciplinaires, et pas nécessairement la seule raison de l’imposition de telles mesures, il sera statué qu’il y a eu violation du Code :

28. […] Si l’exercice par un employé de ses droits en vertu du Code constitue une cause immédiate de mesures disciplinaires imposées, le Conseil statuera que l’employeur a violé le Code […]

47 Ce principe a été appliqué par le Conseil canadien des relations industrielles notamment dans Steve Kasper, 90 di 130, à la page 6, et adopté également par la Commission dans Pruyn c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2002 CRTFP 17, au paragraphe 55.

48 Après avoir étudié la preuve, s’il appert qu’il est le plus probable qu’une des raisons motivant l’imposition d’une mesure disciplinaire ou la menace d’imposer une mesure disciplinaire constituait l’exercice des droits d’un employé en vertu du Code, cela suffit pour accueillir la plainte. En l’espèce, l’enquête sur les normes professionnelles a découlé de l’audience devant le TSST. Il s’agit d’une cause immédiate pour que la plainte soit accueillie.

49 En supposant que la conversation formative ne soit pas une mesure disciplinaire, comme le prétend le défendeur, cela ne change pas le fait que l’enquête sur les normes professionnelles comportait la menace de mesures disciplinaires, ce qui constitue en soi une violation de l’article 147 du Code. Dans Ladouceur c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 160-02-43 (19920730), le plaignant, un agent correctionnel, a rencontré les membres de son unité de négociation et les a informés que des munitions avaient été découvertes dans une cellule pendant une fouille de l’établissement carcéral. À la suite de cette réunion, les agents correctionnels ont exercé leur droit de refuser de travailler. Lorsque l’agent responsable de la sécurité est arrivé, le plaignant a été pris à part et avisé qu’il pourrait subir des mesures disciplinaires en raison de ses actions. L’employeur a fait valoir que le plaignant n’avait pas fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir exercé ses droits en vertu du Code, mais plutôt pour avoir communiqué des renseignements confidentiels, c’est-à-dire les renseignements au sujet des munitions trouvées dans une cellule. Il a été statué qu’il s’agissait là d’une menace de mesures disciplinaires en vertu de l’article 147 du Code.

50 Dans Beaudoin c. Conseil du Trésor, dossiers de la CRTFP 160-02-19 à 23 (19871116), la Commission a statué qu’il y avait eu violation du Code en raison de la menace de mesures disciplinaires au motif d’insubordination qui étaient clairement liées à la tentative de l’employeur d’obliger les fonctionnaires à reprendre le travail après qu’ils aient exercé leur droit de refuser de travailler en vertu de la partie II du Code.

51 La menace de mesures disciplinaires ne doit pas être manifeste; elle peut être voilée (voir Antonia Di Palma, 100 di 89) ou même perçue, comme c’était le cas dans Gaskin. Dans un tel cas, il incombe à l’employeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’avait jamais eu l’intention de menacer le plaignant.

52 En résumé, la plaignante a fait l’objet d’une enquête sur les normes professionnelles en raison de son utilisation de renseignements protégés de l’ASFC, cette enquête comportant une menace de mesures disciplinaires. L’enquête a été lancée à la suite d’un appel interjeté auprès du TSST, lequel était fondé sur la conviction sincère de la plaignante que des conditions de travail dangereuses étaient en place dans son milieu de travail. Elle a divulgué des renseignements, lesquels étaient protégés par le secret professionnel entre un client et son avocat, qui étaient destinés à être utilisés dans le cadre d’une audience à huis clos portant sur le bien-fondé de ses préoccupations. Toute inquiétude au sujet des avis de surveillance en cause était écartée, de par la procédure même.

53 La seule conclusion qui s’impose est que la raison pour laquelle il y a eu une enquête sur les normes professionnelles était le recours par la plaignante aux avis de surveillance pour justifier son refus de travailler en vertu de la partie II du Code.

54 La plaignante a demandé une déclaration affirmant que le défendeur avait violé l’article 147 du Code et une ordonnance de cesser et de se retirer de ce type d’activités. Elle a également demandé une ordonnance enjoignant au défendeur d’afficher la décision en l’espèce sur les babillards de tous ses lieux de travail pendant une période de six mois.

IV. Motifs

55 Les articles pertinents du Code en l’espèce sont les articles 133 et 147. L’article 133 prévoit ce qui suit :

133. (1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

56 Par ailleurs, l’article 147 du Code est libellé comme suit :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[Je souligne]

57 La plaignante a allégué avoir été menacée de se faire imposer des mesures disciplinaires en raison de l’exercice par celle-ci de son droit de refuser d’effectuer ce qui constituait à son avis un travail dangereux, en vertu de l’article 128 du Code.

58 Le défendeur devait démontrer que la plaignante n’avait pas fait l’objet de mesures disciplinaires en raison de l’exercice légitime de son droit de refuser de travailler. Les parties ont convenu que la plaignante avait exercé ses droits en vertu de l’article 128 du Code en novembre 2005. À la suite de son refus de travailler, elle a interjeté appel de la décision de l’agent de santé et sécurité au travail en s’adressant au TSST. Au soutien de son appel, elle a fourni à son avocate certains documents protégés de l’ASFC, par courriel et aussi en lui remettant en main propre d’autres documents en format papier. Ces documents ont été utilisés dans le cadre de l’audience du TSST et présentés à M. Badour, le témoin expert du défendeur en matière de sécurité. Il a fait part de son malaise devant l’utilisation de ces documents auprès de l’avocat et du représentant des ressources humaines du défendeur présents à l’audience. En raison de ses préoccupations à cet égard, une enquête sur les normes professionnelles a été lancée.

59 Si l’affaire s’était arrêtée là, je n’aurais aucun scrupule à statuer en faveur du défendeur. Le fait d’instituer une enquête afin d’examiner un cas possible de contravention à une politique de l’employeur ne constitue pas en soi, à mon avis, une menace d’imposition de mesures disciplinaires. Un employeur jouit certes du droit d’imposer des mesures disciplinaires envers un employé qui contrevient à ses politiques. La plaignante ne peut alors utiliser comme prétexte l’exercice de ses droits en vertu du Code pour éviter des mesures disciplinaires découlant d’une violation du code de conduite de l’employeur de sa part.

60 M. Badour visait particulièrement le manquement aux règles en matière de sécurité, ce qui constitue une violation de l’une des politiques du défendeur. Il n’avait pas d’opinion particulière quant au forum dans lequel la violation aux règles de sécurité s’était produite. Il n’a fait qu’exprimer ses inquiétudes à cet égard. Il n’exerçait aucun rôle de gestion ou de supervision à l’égard de la plaignante. En se fondant sur la manifestation de ses préoccupations, un avis d’incident (pièce 14) a été émis par la section des enquêtes sur les normes professionnelles de la Division de la sécurité du personnel et des normes professionnelles de l’ASFC, indiquant qu’il avait signalé que l’infraction avait trait à la communication de renseignements protégés par [traduction] « plusieurs employés. »

61 La participation de M. Badour à titre de catalyseur du lancement de l’enquête sur les normes professionnelles s’est arrêtée là. Par la suite, M. Hewson, par l’entremise de Mme Yvonne Bremault, directrice générale régionale par intérim, région des Prairies, a communiqué avec M. Roger Lavergne, le 16 décembre 2010, pour solliciter l’aide de la Division de la sécurité du personnel et des normes professionnelles de l’ASFC afin d’enquêter au sujet d’une contravention aux règles en lien avec la communication de documents. L’enquête a alors pris une tout autre allure, tel qu’il est démontré par les pièces 16 et 17. L’audience du TSST avait lieu le 26 novembre 2010, soit trois semaines avant que la demande de procéder à l’enquête sur les normes professionnelles ne soit faite par la direction de la région des Prairies.

62 La pièce 16 fait état des communications entre M. Hewson et l’enquêteur des normes professionnelles Ce qui est particulièrement préoccupant à mes yeux est ce courriel émanant de M. Hewson daté du 21 février 2011, qui se lit comme suit :

[Traduction]

De : Hewson, Kevin

Envoyé le : 21 février 2011, 13 h 57

À : Passannante, Franca

Objet : Fw: Renseignements au sujet des avis de surveillance […]

Bonjour Franca,

Gina a exercé un refus de travailler en vertu de la partie II du CCT le mardi 15 février 2011 en invoquant que cet avis de surveillance ne portait pas la mention ‘Armé et dangereux’.

Voir le courriel suivant.

Gina a télécopié certains documents à un numéro de téléphone dans le code régional 613, mais le numéro ne semble pas correspondre au numéro du cabinet d’avocats de l’AFPC.

Je recommande que son compte courriel soit vérifié à nouveau pour s’assurer qu’elle n’a pas envoyé des renseignements protégés sans autorisation.

Kevin

_________________________

Envoyé via mon téléphone portable Blackberry.

63 Cet autre courriel envoyé également par M. Hewson à Mme Passannante, cette fois le 2 mars 2011 (pièce 17), est tout aussi préoccupant; il se lit comme suit :

[Traduction]

De : Hewson, Kevin

Envoyé le : 1er mars 2011, 23 h 30

À : Miller, Gary; Passannante, Franca

Cc : Badour, Dan; Bremault, Yvonne

Objet : Examen de la boîte de réception des courriels, re PS 10-290

Bonjour Franca,

Lors d’un entretien avec deux de mes surintendants hier, il m’est apparu que la défenderesse regarde tous les avis de surveillance, les signalements ou BOLO et les examine afin d’établir s’il y a lieu d’en changer le statut à celui de ‘Armé et dangereux’. Cela semble représenter la cause qu’elle défend à titre de représentante du Syndicat des douanes et de l’Immigration dans son milieu de travail et son appel auprès du TSST en est une autre preuve, en plus de son récent refus de travailler exercé en vertu de la partie II du CCT le 12 février 2011.

Je suis sûr que si tu vérifiais dans SIED, le lecteur H de son ordinateur et ses courriels, tu pourrais trouver des preuves supplémentaires à cet égard.

N’hésite pas à communiquer avec moi si tu as des questions à ce sujet.

Kevin

[Je souligne]

64 Il convient de noter ici que la mention [traduction] « PS 10-290 » renvoie à l’enquête sur les normes professionnelles visant quatre personnes ayant un lien, directement ou indirectement, avec l’appel de la plaignante devant le TSST, y compris la plaignante.

65  En réponse au courriel de M. Hewson, Mme Passannante a envoyé le message qui suit :

[Traduction]

De : Passannante, Franca

Envoyé le : 2 mars 2011, 9 h 50

À : Hewson, Kevin; Miller, Gary

Cc : Bremault, Yvonne

Objet : Examen de la boîte de réception des courriels, re PS 10-290

Bonjour Kevin,

Merci pour l’information. J’ai effectivement demandé une deuxième vérification du compte courriel après notre dernière conversation. Notre analyste l’a examiné et j’attends de recevoir les résultats de son analyse.

Elle ne devrait pas passer en revue tous les avis de surveillance afin de repérer ceux qu’elle juge problématiques au plan de la santé et de la sécurité. Les avis de sécurité ne sont pas émis à ces fins […] seulement à des fins strictement nécessaires pour l’exercice de son travail. Elle fera valoir que c’était pour l’exercice de son travail, mais les avis de surveillance sont émis pour permettre aux inspecteurs en première ligne de repérer et d’intercepter les personnes présentant un risque et les personnes d’intérêt et pas pour quelque autre fin.

Je vais demander une vérification du SIED, ce qui me dira exactement ce qu’elle a consulté et à quel moment.

Je passe en revue les transcriptions de la cour cette semaine et tente de déchiffrer tout ça.

[…]

Merci!

Franca

66 M. Hewson n’a pas témoigné pour le compte du défendeur, donc ses courriels sont à prendre tels quels. Il m’apparaît clairement, de par leur ton et leur teneur, qu’il était contrarié par le fait que la plaignante ait exercé ses droits en vertu de l’article 128 du Code et qu’il voulait qu’elle cesse de s’intéresser à la question des avis de surveillance. Je conclus que, ce faisant, il espérait que l’imposition de mesures disciplinaires refroidirait ses élans en ce qui a trait aux questions touchant à la santé et la sécurité, si les résultats de l’enquête de Mme Passannante indiquaient qu’il y avait eu contravention au « Code de conduite » de l’ASFC par la plaignante. M. Hewson a clairement fait un lien entre l’enquête sur les normes professionnelles et l’exercice par la plaignante de ses droits en vertu du Code et a témoigné d’un sentiment antisyndical lorsqu’il a décrit l’examen systématique des avis de surveillance par la plaignante dans son échange de courriels avec Mme Passannante.

67 Le défendeur a choisi de ne pas faire témoigner M. Hewson au sujet de la teneur de ses courriels produits en preuve. Je dois donc évaluer ses actions à la lumière de ses communications par courriel. Par conséquent, j’ai conclu que les activités de M. Hewson, en tentant d’influencer l’orientation de l’enquête sur les normes professionnelles, étaient directement en lien avec une tentative visant à empêcher la plaignante d’exercer son droit de refuser un travail dangereux en vertu du Code.

68 Mme Passannante a nié avoir eu des conversations ou avoir reçu des directives de quiconque autre que son gestionnaire en ce qui concerne l’enquête, alors que ses courriels indiquent qu’il en est autrement. Dans ces courriels, elle fait le lien entre l’enquête et l’exercice par la plaignante de ses droits en vertu de l’article 128 du Code, en passant en revue les transcriptions de l’audience du TSST et en avisant M. Hewson que la plaignante consultait et utilisait sans autorisation des documents de l’ASFC, une autre allégation qui, si elle avait été prouvée, aurait pu entraîner l’imposition de mesures disciplinaires. Le mandat de Mme Passannate se limitait en principe aux allégations portant sur la communication inappropriée de renseignements protégés, et ses commentaires devaient se limiter à cela. Elle n’aurait pas dû aller au-delà de son mandat en formulant des commentaires au sujet de l’examen continu par la plaignante des avis de surveillance afin d’établir s’ils étaient bien classifiés. Ses commentaires établissent un lien entre son enquête et le fait que la plaignante ait exercé ses droits et ils n’ont rien à voir avec son mandat.

69 Par conséquent, en me fondant sur les pièces produites en preuve et en l’absence du témoignage de M. Hewson, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, l’enquête sur les normes professionnelles était intrinsèquement liée à l’exercice par la plaignante de ses droits en vertu de la partie II du Code. Il m’apparaît clairement des courriels de M. Hewson qu’il voulait que la plaignante cesse de prétendre que l’exercice de ses fonctions à titre d’agente des services frontaliers au point d’entrée de Coutts n’était pas sécuritaire en raison d’une classification erronée des avis de surveillance, et qu’il a tenté du mieux qu’il pouvait d’influencer sur l’enquête en communiquant à Mme Passannante ses opinions au sujet des activités syndicales de la plaignante. L’enquête sur les normes professionnelles servirait ainsi de véhicule par lequel il espérait que son message lui soit effectivement communiqué.

70 Alors que la plainte initiale déposée par M. Badour concernant la communication de renseignements protégés était essentiellement de nature sécuritaire, l’enquête a pris une orientation tout autre. La nature de l’enquête a été modifiée, ou du moins influencée, par l’implication de M. Hewson dans le dossier, tel qu’il a été démontré par ses courriels.

71 Ayant conclu que l’enquête sur les normes professionnelles avait été menée au moins en partie pour des raisons directement liées au fait que la plaignante a exercé ses droits en vertu de l’article 128 du Code, je dois maintenant décider si l’enquête était de nature disciplinaire ou constituait une menace d’imposition de mesures disciplinaires, l’un ou l’autre constituant une violation de l’article 147. Je conclus qu’il existe davantage qu’une cause immédiate, telle qu’il est décrit dans Chaney, entre l’exercice par la plaignante de ses droits en vertu de l’article 128 et la nature de l’enquête de normes professionnelles ou la manière dont elle a été menée.

72 Selon le témoignage de la plaignante, elle n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires, du moins pas au sens traditionnel. Elle a été reconnue coupable d’avoir communiqué des renseignements protégés de l’ASFC sans y avoir été autorisée et en procédant d’une manière non sécurisée. Pour ces manquements, elle a été astreinte à participer à une conversation formative, au cours de laquelle on a passé en revue avec elle les éléments des politiques régissant la communication des renseignements. Tant la plaignante que M. McMichael ont témoigné que, dans leurs fonctions de représentants syndicaux, ils n’avaient jamais entendu parler d’une conversation formative, et encore moins après qu’un individu a été reconnu coupable d’avoir contrevenu au « Code de conduite » de l’ASFC ou à quelque autre politique. M. McMichael a témoigné qu’en treize ans de service au sein de l’ASFC, il avait participé à plus d’une vingtaine d’enquêtes sur les normes professionnelles afin d’y assister des syndiqués. Dans tous les cas, sauf celui-ci, une conclusion disant que le fonctionnaire avait contrevenu au « Code de conduite » de l’ASFC ou à quelque autre politique avait entraîné l’imposition de mesures disciplinaires. Avant la présente affaire, il n’avait jamais entendu parler d’une « conversation formative », ni dans quelque autre contexte.

73 À mon avis, le recours à une conversation formative constituait un stratagème savamment choisi, destiné à occulter tout lien entre une quelconque mesure disciplinaire pouvant résulter des conclusions de l’enquête sur les normes professionnelles et l’exercice par la plaignante de ses droits en vertu de l’article 128 du Code. J’assimile ce procédé à une réprimande verbale destiné à sanctionner le comportement d’un fonctionnaire sans pour autant lui imposer une mesure disciplinaire plus sérieuse, qui aurait été assujettie à la procédure de règlement des griefs. De plus, il ressort clairement de la pièce 18 que des mesures disciplinaires avaient été envisagées tout au long de l’enquête des normes professionnelles, bien qu’en fin de compte l’imposition de telles mesures n’ont pas été recommandées par les Ressources humaines de l’ASFC en raison du défaut de la part du défendeur lui-même de ne pas veiller à l’application rigoureuse des règles régissant la diffusion des renseignements protégés de l’ASFC au point d’entrée de Coutts, du moins jusqu’à la tenue de l’audience du TSST.

74 Si la direction avait voulu, à la suite de l’enquête, simplement corriger la situation prévalant au point d’entrée de Coutts en ce qui a trait à la pratique de ne pas crypter les renseignements de nature délicate, elle aurait très bien pu le faire sans violer les dispositions du Code. L’envoi d’une note de service à l’intention de tous les employés du point d’entrée de Coutts, leur rappelant leur obligation de s’assurer de crypter tous les renseignements protégés, aurait pu rectifier la situation en sauvegardant les intérêts de la direction tout en évitant d’imposer une mesure disciplinaire à la plaignante ou de menacer de le faire. Je conclus qu’en traitant la plaignante différemment de tous les autres fonctionnaires travaillant au point d’entrée de Coutts, et en la convoquant à une réunion accompagnée de son représentant syndical afin qu’elle participe à une soi-disant « conversation formative », la direction a agi de manière inappropriée.

75 Ayant conclu qu’une mesure disciplinaire avait été imposée en raison du fait que la plaignante se soit prévalue de ses droits en vertu de l’article 128 du Code, je conclus qu’elle a établi la preuve de tous les éléments du critère énoncé dans Vallée. Même si je n’avais pas conclu que la conversation formative était de nature disciplinaire, ma décision aurait été la même. Le moins que l’on puisse dire est que la conversation formative constituait une menace d’autres mesures disciplinaires à l’avenir dans le dessein de modifier le comportement de la plaignante. La conversation au cours de laquelle M. Gary Selk, directeur des opérations, district du Sud de l’Alberta, ainsi que M. Hewson ont rappelé à la plaignante, en présence de son représentant syndical, signalait la perception d’une menace de mesures disciplinaires, si ce n’est une mesure disciplinaire comme telle. S’il s’agissait d’une simple occasion de lui donner quelques conseils, pourquoi était-il alors nécessaire qu’elle soit accompagnée d’un représentant syndical? Le droit d’être accompagné par un représentant syndical figure dans la convention collective des agents des services frontaliers à la section traitant des mesures disciplinaires.

76 M. Hewson espérait que l’enquête sur les normes professionnelles mette fin à la pratique de la plaignante de passer en revue les avis de surveillance pour établir si les sujets qui en font l’objet auraient dû être désignés comme étant armés et dangereux, s’il y avait lieu. Comme je l’ai mentionné, ma conclusion aurait été différente si l’enquête s’était concentrée sur les préoccupations de M. Badour en matière de sécurité, au lieu de s’aventurer dans les enjeux évoqués dans les échanges de courriel entre M. Hewson et Mme Passannante, car alors les motifs visés par l’enquête auraient également été différents. Le lien de causalité requis aurait été absent. Or, en l’espèce, l’enquête a été orientée vers le fait que la plaignante se préoccupait systématiquement des problèmes liés à la santé et à la sécurité en lien avec les avis de surveillance émanant du défendeur, qu’elle avait [traduction] « exercé un [autre] refus de travailler », et qu’elle avait utilisé les avis de surveillance pour étayer ses allégations que le travail était dangereux. Par conséquent, le lien de causalité existe effectivement.

77 Ultimement, l’enquête sur les normes professionnelles aura effectivement réussi à convaincre la plaignante de réfléchir à l’exercice de ses droits en vertu de l’article 128 du Code à l’avenir. Bien qu’elle ait été seulement astreinte à participer à une conversation formative à la suite des conclusions de l’enquête sur les normes professionnelles, elle a cru tout au long du processus qu’on lui imposerait des mesures disciplinaires. Le fait de vivre, pendant la durée de l’enquête, avec la perception d’une menace de se voir imposer des mesures disciplinaires et la crainte de l’effet de ces mesures sur sa carrière constituaient une mesure dissuasive suffisamment forte pour qu’elle y pense à deux fois avant d’exercer à nouveau ses droits en vertu du Code, une conséquence que l’article 147 vise justement à prévenir.

78 Par conséquent, je déclare que le défendeur a violé l’article 147 de la partie II du Code en imposant une mesure disciplinaire ou en menaçant d’imposer une mesure disciplinaire à l’égard de la plaignante pour avoir exercé ses droits en vertu de l’article 128 du Code.

79 La demande de la plaignante voulant que j’ordonne l’affichage de cette décision dans tous les lieux de travail du défendeur pour une période de six mois est rejetée. Cette décision est un document public que toute personne intéressée peut consulter à sa guise. Il n’est pas nécessaire d’en afficher un exemplaire dans les lieux de travail.

80 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

81 La plainte est accueillie.

82 La pièce 3 sera mise sous scellés.

Le 12 avril 2013.

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique

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