Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée en mars 2011 à son retour d’un congé prolongé non payé qui avait été précédé d’un congé de maladie payé - lors du licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, l’employeur a allégué qu’elle avait été en congé non autorisé de novembre 2007 à janvier 2011 et qu’elle avait abandonné son poste - la fonctionnaire s’estimant lésée a dit qu’elle n’avait jamais eu de sanction disciplinaire, qu’elle n’avait jamais été avisée que son poste était menacé, et que la correspondance de 2009 attestait qu’elle était en congé autorisé - l’arbitre de grief a conclu que même si la Loi sur la réforme de la fonction publique (1992) a abrogé la disposition qui autorisait expressément l’administrateur général à licencier un employé pour un motif d’abandon, les dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques en question prévoient un vaste pouvoir de licenciement d’un employé pour motif d’abandon - l’employeur a l’obligation d’agir équitablement et de bonne foi lorsqu’il licencie un employé pour des motifs non disciplinaires, et les principes de notification, de renonciation et de tolérance peuvent s’appliquer - selon l’arbitre de grief, aucun fondement raisonnable ne permettait de conclure que la fonctionnaire s’estimant lésée avait abandonné son poste - les actions de la fonctionnaire s’estimant lésée indiquent qu’elle avait l’intention de poursuivre la relation d’emploi - la direction n’a jugé que la fonctionnaire s’estimant lésée avait abandonné son poste que lorsqu’il était trop tard pour un tel jugement - par ses actions, la direction a sciemment traité la relation d’emploi comme étant continue jusqu’au licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée - le fait de ne pas avoir avisé la fonctionnaire s’estimant lésée qu’elle pourrait être réputée avoir abandonné son poste était arbitraire et déraisonnable dans les circonstances. Le grief est accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-03-21
  • Dossier:  566-02-6636
  • Référence:  2013 CRTFP 27

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MICHELE LAYE

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE ET DE L’AGROALIMENTAIRE)

employeur

Répertorié
Laye c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
David Olsen, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
les 16, 17, 18 et 19 octobre et le 7 décembre 2012.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1  Le présent renvoi à l’arbitrage concerne un grief portant sur le licenciement par l’employeur de Michelle Laye, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), agente principale de programmes de groupe et de niveau PM-02 à la Direction des programmes du revenu agricole du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (l’« employeur »), à Winnipeg, au Manitoba.

2 La fonctionnaire a été licenciée en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline. La lettre de licenciement, datée du 22 mars 2011 et signée par Rita Moritz, sous-ministre adjointe au ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, était formulée en partie de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

Bien que vous ayez demandé et que l’on vous ait accordé un congé de maladie non payé pour la période s’étendant du 20 février 2006 au 2 avril 2006, la direction n’a pas autorisé d’autres périodes d’absence après cette date. Toutefois, selon la preuve et l’information recueillies, l’employeur a décidé d’autoriser votre période d’absence allant du 3 avril 2006 au 16 novembre 2007 en la considérant comme un congé de maladie non payé.

Cela étant dit, votre période d’absence après le 16 novembre 2007 n’a pas été autorisée. Au cours de la réunion visant à établir les faits, il a été déterminé que vous étiez au courant de votre obligation de maintenir des contacts réguliers et directs avec votre employeur; cependant, après le 16 novembre 2007, vous n’avez pas respecté cette obligation.

Vous avez finalement communiqué avec la direction le 5 janvier 2011, après avoir reçu la dernière lettre que l’employeur vous a envoyée, le 23 décembre 2010, dans laquelle on vous informait que vous pourriez être licenciée si vous ne vous présentiez pas au travail et ne fournissiez aucune raison satisfaisante.

À la suite de la réunion visant à établir les faits, à laquelle vous avez assisté, l’employeur n’est pas convaincu que vous aviez des raisons de ne pas vous conformer à la directive légitime de l’employeur de justifier votre absence durant la période s’étendant de novembre 2007 à janvier 2011. Vous n’avez présenté aucune circonstance atténuante pour expliquer votre absence non autorisée ou votre défaut de communiquer avec l’employeur. En conséquence, l’employeur a conclu que vous aviez abandonné votre poste.

[…]

3 Cinq témoins ont témoigné et neuf pièces ont été produites en preuve.

Résumé de la preuve

4 Pour l’essentiel, les faits qui ont conduit au licenciement de la fonctionnaire ne sont pas contestés et peuvent être résumés ainsi :

5 La fonctionnaire a commencé à travailler pour l’employeur en 1999 en tant que CR-04. En 2002, elle a posé sa candidature à un poste de PM-02, a réussi le concours et a été nommée au poste. Elle travaillait à la Division du traitement des services à la clientèle. Elle avait la responsabilité d’accorder les approbations en vertu de l’article 34; elle devait donc traiter les demandes de paiement dans le cadre du Programme de revenu agricole.

6 Elle a déclaré avoir subi de nombreuses blessures dans un accident d’automobile survenu en mars 2006, à la suite duquel elle était incapable de travailler. Elle était sous les soins d’un médecin et d’autres professionnels de la santé.

7 Elle a déclaré avoir fourni des notes de médecins, des demandes de congé et d’autres renseignements à plusieurs personnes dans son lieu de travail, dont Lincoln Smith, son conseiller à la paye, et Martin Bidzinski, son directeur, ainsi que, plus tard, Fred Retzlaff et Bryan Yusishen. Elle a aussi fourni diverses notes de médecins à Nancy Grant, sa chef d’équipe.

8 Elle a dit que certaines des notes de médecins couvraient des périodes d’absence précises déterminées par les médecins; cependant, l’une d’entre elles ne précisait pas de période parce que son médecin n’était pas capable de prévoir une date pour son retour au travail. Elle a souligné que ces notes de médecins avaient été approuvées par sa superviseure. Elle a aussi déclaré avoir fourni des formulaires remplis par son physiothérapeute et d’autres professionnels de la santé.

9 Elle a dit que son médecin la traitait pour de fortes douleurs au cou et au bas du dos ainsi que pour des problèmes à la mâchoire causés par une blessure par coup de fouet. Elle avait dû consulter un dentiste pour ses problèmes à la mâchoire. À cause de la douleur, elle souffrait de troubles du sommeil et subissait un stress considérable parce qu’elle n’était pas capable de travailler et manquait d’argent.

10 M. Yusishen était directeur de la Division du traitement des services à la clientèle du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire pendant la période s’étendant de juillet 2007 au 1er octobre 2010, et il a repris ce poste en septembre 2012. Lorsque M. Yusishen a pris en charge la responsabilité de la division en juillet 2007, la fonctionnaire n’était pas de retour au travail. Le directeur général a demandé à M. Yusishen de rencontrer un responsable des Ressources humaines à propos de plusieurs cas, dont celui de la fonctionnaire. M. Yusishen a eu des discussions avec M. Retzlaff, l’ancien directeur, et a obtenu de l’information générale sur l’absence de la fonctionnaire. Il a pris connaissance de plusieurs lettres qui avaient été versées à son dossier personnel et qui concernaient son congé non autorisé, ainsi que de notes de médecin ne précisant pas de date pour le retour au travail. Il a aussi appris qu’on avait de la difficulté à maintenir le contact avec la fonctionnaire. À la suite de son examen des documents, il a décidé de rencontrer la fonctionnaire en personne.

11 Durant le contre-interrogatoire, il a reconnu avoir été avisé que l’absence de la fonctionnaire était en rapport avec la maladie.

12 Cindy-Lou Zallack travaillait aux Ressources humaines, à la Dotation et aux Relations de travail. Elle a travaillé sur le dossier de la fonctionnaire à l’été 2007. Elle a essayé de communiquer avec la fonctionnaire parce que cette dernière n’était pas de retour au travail et Mme Zallack voulait savoir si la fonctionnaire prévoyait reprendre son poste. Elle a eu un certain nombre de conversations téléphoniques avec la fonctionnaire et a assisté à une réunion portant sur le dossier de la fonctionnaire.

13 Pendant une discussion téléphonique, le 29 juillet 2007, la fonctionnaire a informé Mme Zallack qu’elle prévoyait revenir au travail en septembre de cette même année. On lui a répondu qu’elle devrait obtenir une évaluation de son aptitude au travail par son médecin avant que son retour au travail soit autorisé, étant donné la durée de son absence.

14 Une réunion a eu lieu le 14 août 2007, à laquelle ont assisté la fonctionnaire, Bryan Yusishen, Mme Zallack, M. Retzlaff et Linda Brown, une experte-conseil. Durant la réunion, la fonctionnaire a dit qu’elle pensait être prête à revenir au travail en septembre. On lui a remis les documents concernant l’évaluation de son aptitude au travail, qu’elle devrait faire remplir par son médecin. M. Yusishen a dit qu’il avait été convenu que les formulaires d’aptitude au travail seraient remplis avant le 15 septembre 2007.

15 Durant la réunion, M. Retzlaff a dit à la fonctionnaire que les documents médicaux qu’elle avait fournis pour justifier son absence jusqu’à cette date étaient insuffisants, car la section du formulaire sur la durée de l’absence n’indiquait pas de date de fin. M. Yusishen se souvenait qu’à la réunion du 14 août, la fonctionnaire avait fourni un certificat médical qui indiquait la date de début de l’absence, mais pas de date de fin.

16 La fonctionnaire a aussi été avertie durant la réunion qu’elle ne respectait pas son obligation de garder le contact avec le ministère. On lui a dit qu’elle était tenue de communiquer avec le ministère aux deux semaines.

17 La fonctionnaire a dit avoir assisté à la réunion du 14 août 2007 et avoir fourni une note de médecin et un formulaire de congé. Le formulaire de congé indiquait la date du début de l’absence et la date de l’accident; il n’indiquait pas de date de fin parce que la fonctionnaire n’était pas certaine de la date où elle pourrait revenir au travail et donner son plein rendement, même si elle avait confiance qu’elle y parviendrait.

18 L’employeur a déposé en preuve une note datée du 4 avril 2007, apparemment signée par un médecin, dont voici un extrait :

[Traduction]

Durée de l’absence selon la patiente

Du 29/03/06 au _____ inclusivement.
  1. En me fondant sur l’information qui m’a été donnée, je confirme que la personne nommée ci-dessus est apte à retourner au travail.

    Oui Non X
  2. Selon l’examen que j’ai fait de la maladie de la patiente, je conclus que cette dernière aurait dû être en congé pendant la période précisée ci-dessus.

    ----------------------- examen limité aux antécédents
    -----X---------------- preuves objectives confirmées

19 La fonctionnaire a dit qu’on lui a demandé de produire des formulaires d’évaluation de son aptitude au travail remplis par son médecin.

20 Pendant son témoignage, Mme Zallack a également reconnu qu’il y avait peut-être eu d’autres documents signés par un physiothérapeute qui indiquaient que la fonctionnaire ne pouvait pas revenir au travail; toutefois, de l’avis du ministère, ces documents n’étaient pas suffisants.

21 Le 10 septembre 2007, la fonctionnaire a téléphoné à Mme Zallack et lui a laissé un message pour lui dire qu’elle devrait modifier la date de son retour au travail, prévu pour septembre, parce qu’elle n’avait pas encore réussi à rencontrer son médecin. Elle a laissé un autre message à Mme Zallack le 28 septembre pour l’informer qu’elle n’avait pas encore pu rencontrer son médecin.

22 Le 26 octobre 2007, M. Yusishen a envoyé à la fonctionnaire une lettre qui était formulée en partie ainsi :

[Traduction]

Vous êtes absente du travail depuis le 20 février 2006. Le 14 août 2007, vous avez assisté à une rencontre avec Fred Retzlaff, des Ressources humaines, et moi. À cette réunion, vous avez dit que vous seriez prête à revenir au travail à la mi-septembre. On vous a avisée que vous devriez produire une évaluation de votre aptitude au travail remplie par votre médecin et téléphoner au ministère chaque semaine pour rendre compte de vos progrès. Vous devez également soumettre des formulaires de congé à jour et des notes du médecin à l’appui.

[…]

[…] Il s’agit ici de ma dernière directive à votre endroit. Vous devez venir me rencontrer et me remettre une évaluation de votre aptitude au travail […] d’ici le 5 novembre 2007 à 10 h. Si vous ne vous conformez pas à cette directive, nous devrons recommander votre licenciement motivé.

[…]

23 Mme Zallack et la fonctionnaire se sont parlé le 30 octobre. Mme Zallack a alors informé la fonctionnaire qu’il était essentiel qu’elle obtienne une note du médecin pour justifier son absence. La fonctionnaire a répondu qu’elle aurait besoin de deux semaines pour obtenir cette note.

24 La fonctionnaire a dit que lorsqu’elle a rencontré son médecin en novembre 2007, ce dernier ne se sentait pas à l’aise de remplir l’évaluation de l’aptitude au travail, parce que la fonctionnaire n’était pas prête à retourner au travail. Cette dernière a transmis cette information aux Ressources humaines.

25 Le 16 novembre 2007, la fonctionnaire a laissé un message à Mme Zallack pour lui dire qu’elle obtiendrait une note du médecin le 23 novembre. Dans ce message, elle n’a rien dit de l’évaluation de son aptitude au travail et de son retour au travail. Après avoir écouté ce message, Mme Zallack avait le sentiment que la fonctionnaire ne reviendrait pas au travail à ce moment.

26 Le 29 novembre 2007, Mme Zallack a laissé un message à la fonctionnaire pour lui demander de lui téléphoner. La fonctionnaire n’a pas rappelé Mme Zallack.

27 En janvier 2008, n’ayant pas reçu de nouvelles de la fonctionnaire, M. Yusishen a rencontré un responsable des Relations de travail, et on a pris la décision d’attendre jusqu’au deuxième anniversaire du début du congé de maladie de la fonctionnaire, soit le 26 février 2008. À cette date, si on n’avait pas reçu d’autres nouvelles de la fonctionnaire, le ministère prendrait des mesures pour mettre fin à son emploi.

28 En avril 2008, on a demandé à Mme Zallack de préparer une note de synthèse. Mme Zallack a aussi essayé de communiquer avec la fonctionnaire pour savoir si cette dernière serait d’accord pour rencontrer un responsable de la Rémunération afin d’examiner différentes options.

29 Mme Zallack a tenté de joindre la fonctionnaire par téléphone, mais elle a été informée que son téléphone était hors service. Elle a donc essayé de trouver le numéro d’un membre de la famille de la fonctionnaire et a laissé un message pour que la fonctionnaire la rappelle. Cette dernière ne l’a pas rappelée.

30 La fonctionnaire a déclaré qu’au cours des trois années qui ont suivi, sa condition physique ne s’est pas améliorée; au contraire, la douleur causée par ses blessures est devenue plus prononcée. Elle n’avait aucun revenu et elle avait la responsabilité financière de sa famille. Elle voyait ses médecins, mais ils ne pouvaient pas faire grand-chose pour soulager ses douleurs. Elle a continué à souffrir de troubles du sommeil et d’une mobilité réduite. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas communiqué avec son employeur parce qu’elle n’était pas encore apte à retourner au travail.

31 Mme Zallack a reconnu durant le contre-interrogatoire que même si le ministère espérait que la fonctionnaire revienne au travail, on envisageait de prendre des mesures et il y a eu des discussions avec M. Yusishen à propos des options relatives à un licenciement possible. On a demandé à Mme Zallack quelles mesures avaient été prises. Elle a répondu n’avoir pris aucune mesure à ce moment-là, car il y avait d’autres priorités et on lui avait confié d’autres dossiers.

32 Mme Zallack n’a plus travaillé sur le dossier de la fonctionnaire après avril 2008, parce qu’elle est passée à un autre secteur de responsabilité.

33 M. Yusishen a déclaré que comme le ministère était incapable de joindre la fonctionnaire, on a transféré son dossier à la Représentation des employés en donnant la directive de préparer une note de synthèse et la chronologie des événements en vue d’éventuelles discussions avec le Conseil du Trésor au sujet du licenciement de la fonctionnaire.

34 Durant le contre-interrogatoire, on a demandé à M. Yusishen à quel moment l’employeur avait pris la décision de licencier la fonctionnaire. Il a répondu que la décision avait été prise après qu’il soit parti pour son congé d’études, soit après octobre 2010.

35 M. Yusishen a reconnu durant le contre-interrogatoire avoir recommandé à son directeur général le licenciement de la fonctionnaire. Il a ajouté que le directeur général n’avait pas donné suite à sa recommandation; on ne lui a jamais expliqué pour quelle raison. Il a déclaré toutefois qu’il avait l’impression que l’on travaillait encore sur ce dossier avant qu’il parte pour son congé d’études.

36 La fonctionnaire a déclaré avoir été consternée d’entendre M. Yusishen dire qu’il avait envisagé de la licencier après novembre 2007. Elle a dit n’avoir jamais eu de sanction disciplinaire ni reçu d’information selon laquelle son poste était menacé.

37 Le 9 février 2009, M. Yusishen a écrit à la fonctionnaire pour lui rappeler l’obligation des fonctionnaires de se conformer au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique pendant un congé autorisé.

38 Voici un extrait de cette lettre :

[Traduction]

Je vous écris afin de vous rappeler vos obligations en tant que fonctionnaire fédérale pendant que vous êtes en congé non payé (CNP) autorisé. Lorsque vous demandez un CNP qui comporte un étalement du revenu, vous demeurez une fonctionnaire et avez le droit de reprendre votre poste après votre congé. Lorsqu’un CNP vous est accordé, votre poste est maintenu. En conséquence, vous conservez vos responsabilités en tant qu’employée de la fonction publique fédérale.

39 Dans la lettre, M. Yusishen parlait aussi du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique et rappelait à la fonctionnaire qu’elle ne devait pas s’engager dans des activités susceptibles de la placer dans des situations où elle serait en violation du code. Elle était invitée, si elle le désirait, à discuter de ces exigences avec M. Yusishen à n’importe quel moment durant son congé.

40 L’avocate a demandé à M. Yusishen si la lettre décrivait correctement le statut d’emploi de la fonctionnaire. Il a répondu que non. Il a dit qu’elle était en congé non autorisé. Il a expliqué que la lettre indiquait qu’elle était en congé autorisé parce qu’on l’avait rédigée au bureau du directeur général avec l’intention de l’envoyer à quelque 60 employés de la Direction qui étaient en congé. De plus, tous les employés actifs étaient tenus d’assister à des réunions sur les valeurs et l’éthique.

41 M. Yusishen a vu la lettre avant qu’elle soit envoyée à la fonctionnaire; il a remarqué qu’il y avait une erreur et a informé le bureau du directeur général que la personne n’était pas en congé autorisé. On lui a dit que la lettre devait être envoyée telle quelle.

42 Quand Mme Laye a reçu et lu la lettre, elle a pensé que la lettre décrivait bien son statut d’emploi et qu’elle était en congé autorisé. Elle n’a pas cru nécessaire de discuter avec M. Yusishen de l’exigence de ne pas s’engager dans des activités susceptibles de la placer dans des situations où elle serait en violation du Code de valeurs et d’éthique. Elle a convenu qu’elle était encore tenue de suivre le Code.

43 Le 24 juin 2009, le directeur général a écrit à la fonctionnaire à propos des négociations concernant le transfert de la prestation du programme de stabilité aux provinces de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan. Il s’agissait du transfert aux provinces d’une grande partie du travail qui était exécuté dans la Division, ce qui aurait des répercussions importantes pour la main-d’œuvre. On mentionnait dans la lettre que le ministère en était aux premières étapes du processus de transfert.

44 Voici un extrait de la lettre :

[Traduction]

Il y a de nombreuses circonstances dans lesquelles un employé nommé pour une période indéterminée peut être en congé pour une longue période. Pour faire en sorte que tous les employés nommés pour une période indéterminée qui sont en congé pour une longue période soient traités de manière équitable et raisonnable, chaque cas sera géré individuellement. Nous nous engageons à vous tenir au courant de l’évolution de la situation dans le lieu de travail. Nous vous transmettrons donc des renseignements supplémentaires au fur et à mesure.

Nous vous rappelons que même si vous êtes actuellement en congé pour une longue période, vous pouvez avoir accès aux services du PAE en tout temps […]

45 À la lecture de cette lettre, la fonctionnaire a cru qu’on lui rappelait qu’elle était en congé autorisé non payé et que son poste était maintenu.

46 M. Yusishen a parlé de l’incidence sur les opérations de l’absence de la fonctionnaire, faisant remarquer que son absence pourrait obliger l’employeur à embaucher des employés occasionnels ou à augmenter le budget des heures supplémentaires afin de maintenir les normes de service.

47 Jon Friesen était directeur par intérim de la direction générale de la planification des programmes et de l’intégration des politiques administratives entre octobre 2010 et août 2012; il remplaçait M. Yusishen. Lorsqu’il a accepté ce poste, il ne connaissait pas la situation de la fonctionnaire et n’était pas au courant des circonstances liées à ce dossier. Quelques questions ont été portées à son attention, dont plusieurs dossiers des ressources humaines qui ne contenaient pas suffisamment de documentation sur les fonctionnaires qui étaient en congé.

48 Il a demandé que l’on réexamine le dossier de la fonctionnaire et que l’on tente encore une fois de prendre contact avec elle. Les efforts se sont révélés infructueux.

49 Le 3 décembre 2010, il a écrit une lettre à la fonctionnaire, dont voici un extrait :

[Traduction]

[…]

Depuis le 3 avril 2006, vous êtes absente du travail sans que l’on vous ait accordé de congé autorisé.

Nous avons tenté plusieurs fois de communiquer avec vous à votre dernière adresse, à votre dernier numéro de téléphone et à votre dernière adresse de courriel. Nous avons également tenté de vous joindre en faisant une recherche sur le site Canada 411. Malgré tous ces essais, nous n’avons pas réussi à vous joindre.

Il est essentiel que vous communiquiez avec moi au plus tard le vendredi 10 décembre 2010, avant l’heure de fermeture des bureaux, au sujet de la poursuite de votre lien d’emploi […]

Votre défaut de communiquer avec moi avant la fermeture des bureaux le 10 décembre 2010 pourrait entraîner la recommandation de mettre fin à votre emploi à Agriculture et Agroalimentaire Canada.

50 Il a envoyé la lettre par poste prioritaire; toutefois, il n’a reçu aucune réponse. Il a alors décidé d’envoyer la lettre par courrier ordinaire. Durant le contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il n’avait jamais eu de problème à communiquer avec la fonctionnaire; il était plus facile de la joindre par courrier ordinaire, car elle se rendait rarement au bureau de poste local pour aller chercher le courrier recommandé envoyé par poste prioritaire.

51 Le 23 décembre 2010, il a envoyé une autre lettre par courrier ordinaire. Cette lettre était formulée ainsi :

[Traduction]

Objet : Congé non autorisé

Vous êtes absente du travail sans congé autorisé depuis le 3 avril 2006. La lettre ci-jointe vous a été envoyée le 3 décembre, mais vous n’êtes pas passée la chercher au bureau de poste. En conséquence, je vous envoie la présente lettre par courrier ordinaire à votre dernière adresse postale connue.

Il est essentiel que vous communiquiez avec moi au plus tard le vendredi 31 décembre 2010, avant l’heure de fermeture des bureaux, au sujet de la poursuite de votre statut d’emploi […]

Votre défaut de communiquer avec moi avant la fermeture des bureaux le 31 décembre 2010 pourrait entraîner la recommandation de mettre fin à votre emploi à Agriculture et Agroalimentaire Canada.

52 On a questionné M. Friesen au sujet de la mention dans la lettre de la poursuite du statut d’emploi. Il a répondu que, selon le ministère, la fonctionnaire était en congé non autorisé; toutefois, il ne comprenait pas le point de vue de la fonctionnaire et il voulait obtenir ses explications rapidement.

53 La fonctionnaire n’a pas communiqué avec lui avant le 31 décembre 2010; toutefois, en réponse à sa lettre, elle a laissé un message téléphonique dans la boîte vocale de M. Friesen le 5 janvier 2011.

54 M. Friesen a parlé à la fonctionnaire par téléphone le jour suivant. Il a commencé par lui poser des questions sur la nature de son congé, car il voulait avoir son avis. Il l’a informée que les dossiers du ministère indiquaient qu’elle n’était pas en congé autorisé. Elle était d’avis qu’il y avait eu un malentendu et qu’elle était bien en congé autorisé. Il lui a demandé quelle était la nature de son congé et qui l’avait autorisé. Elle a répondu qu’elle était en congé de maladie et que ce congé avait été autorisé oralement à sa dernière réunion avec la direction en août 2007.

55 Ils ont aussi parlé des intentions de la fonctionnaire; elle a indiqué qu’elle était prête à retourner au travail à ce moment. Il lui a dit qu’on avait réduit les effectifs de l’organisation et que les employés qui étaient en congé depuis une longue période devaient subir une évaluation.

56 Il a informé la fonctionnaire qu’il y aurait une enquête visant à établir les faits au sujet du statut de son congé et qu’il pourrait y avoir des conséquences disciplinaires à la suite de cette recherche des faits.

57 Selon ses souvenirs de la discussion, la fonctionnaire croyait qu’elle retournerait au travail, parce que M. Friesen lui avait demandé de retourner au travail. Elle ne croyait pas qu’il y avait des questions à régler.

58 M. Friesen lui a demandé de se rendre au travail le lundi suivant et de se présenter à la réception. Selon ses dires, il voulait obtenir plus de détails et discuter de la situation avec la fonctionnaire, en personne, afin de déterminer si elle était prête à reprendre le travail.

59 Après la conversation téléphonique, il a appris que l’attestation de sécurité de la fonctionnaire était échue. Il a alors téléphoné à la fonctionnaire pour l’en informer et lui a demandé de se présenter au travail le lundi suivant dans le but de remplir les formulaires pour renouveler son attestation de sécurité. Il a dit qu’il fallait plusieurs mois pour obtenir une attestation de sécurité. Il a aussi déclaré que son intention était d’attendre que la fonctionnaire ait obtenu son attestation de sécurité avant de régler la question du statut du congé de la fonctionnaire. Il estimait que si la fonctionnaire n’obtenait pas son attestation de sécurité, il n’aurait pas à régler la question de la poursuite de l’emploi.

60 La fonctionnaire s’est présentée au travail comme on le lui avait demandé, a rempli les formulaires pour renouveler son attestation de sécurité, puis on lui a dit de retourner chez elle.

61 On a demandé à la fonctionnaire d’assister à une réunion sur le réaménagement des effectifs le 26 janvier 2011, ce qu’elle a fait. Elle a aussi assisté à deux autres réunions portant sur le même sujet.

62 Elle a également participé à des séminaires animés par les Ressources humaines le 26 janvier, le 1er février et le 8 février 2011.

63 Comme le processus de renouvellement de l’attestation de sécurité prenait un temps excessif, M. Friesen a décidé de tenir sa réunion visant à établir les faits. Il voulait se pencher sur trois questions : le congé non autorisé, les directives précises relativement aux documents concernant le congé et le maintien des contacts avec la direction. Il souhaitait obtenir le point de vue de la fonctionnaire.

64 Le 4 mars 2011, il a envoyé à la fonctionnaire une lettre intitulée [traduction] « Réunion obligatoire pour discuter de l’absence non autorisée »; en voici un extrait :

[Traduction]

À la suite de notre conversation téléphonique du 4 mars 2011, vous êtes tenue par les présentes de vous présenter à une réunion durant laquelle il sera question de votre absence non autorisée, ainsi que de votre défaut de vous conformer à nos directives concernant votre absence et de maintenir des contacts et communications acceptables avec votre employeur. Il s’agit d’une réunion visant à établir les faits au cours de laquelle vous aurez la possibilité d’expliquer vos actions. Vous devrez apporter les documents qui appuient vos explications. Comme toute décision subséquente à cette réunion peut entraîner une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, je vous encourage à vous faire accompagner par un représentant syndical […] Si vous décidez de ne pas vous présenter à la réunion à la date fixée, nous examinerons les questions en nous fondant sur les renseignements disponibles, sans délai supplémentaire.

65 La fonctionnaire a déclaré avoir été très surprise d’être invitée à une réunion obligatoire dans le but de discuter de son absence non autorisée, car elle s’attendait à être rappelée au travail lorsqu’elle aurait obtenu son attestation de sécurité.

66 M. Friesen a fixé la réunion au 9 mars 2011. La fonctionnaire était présente à la réunion, ainsi que Lindsay Sparks, sa représentante syndicale, Charlene Desjarlais et M. Friesen.

67 M. Friesen a dit qu’il voulait avoir l’occasion de s’entretenir avec la fonctionnaire. Il a confirmé que jusqu’à ce moment, aucune mesure disciplinaire n’avait été imposée. Il a demandé à la fonctionnaire d’expliquer la situation depuis le début de son absence en février 2006.

68 Elle lui a dit avoir été impliquée dans un accident d’automobile au début de 2006. Elle a décrit les interactions qu’elle avait eues avec la direction par la suite et a indiqué qu’elle avait continué à se rétablir depuis novembre 2007. Elle était en train de recouvrer la santé lorsqu’elle a reçu la lettre de M. Friesen en décembre 2010. Elle lui a dit avoir été très surprise à la lecture de la lettre et s’être inquiétée de devoir prendre des mesures pour trouver un service de garde.

69 M. Friesen a souligné que la direction était préoccupée du fait que la note du médecin de 2007 ne précisait pas la date de retour au travail.

70 Il a aussi parlé de la demande du ministère que la fonctionnaire prenne contact avec le bureau toutes les deux semaines durant son absence. La fonctionnaire a répondu qu’elle était d’avis que cette exigence constituait du harcèlement et qu’elle lui causait un stress considérable.

71 Elle lui a dit qu’elle estimait que son congé était reconnu et autorisé par la direction, puisqu’elle avait reçu deux lettres pendant son absence, l’une portant sur les valeurs et l’éthique et l’autre concernant le transfert du programme Agri-stabilité aux provinces, et qu’on y mentionnait qu’elle était en congé autorisé.

72 M. Friesen a dit que la fonctionnaire a fourni une note du médecin lors de la réunion visant à établir les faits; cette note mentionnait qu’elle était maintenant apte au travail et qu’elle avait été absente pendant la période en question en raison d’un accident d’automobile. M. Friesen a reconnu durant le contre-interrogatoire qu’il n’avait pas mis en doute la validité de la note ni demandé un examen médical indépendant. Il a reconnu que la note disait que la fonctionnaire avait été absente depuis 2006 jusqu’à la date de l’entrevue ou à peu près à cette date. M. Friesen était d’accord, mais a dit qu’elle n’avait pas fourni de documents durant la période qui a suivi le 16 novembre 2007.

73 Il ne s’est pas informé au sujet de la nécessité d’une évaluation de l’aptitude au travail. Il n’a pas été question de ce sujet.

74 M. Friesen a dit que la réunion avait duré environ deux heures. Il a conclu la réunion en demandant à la fonctionnaire si elle avait d’autres arguments à faire valoir, et il lui a répété que toute décision serait prise en fonction des arguments présentés au cours de la réunion.

75 La fonctionnaire a dit que, durant la réunion, il n’avait pas été question de l’abandon de son poste. La préoccupation de l’employeur était qu’il était nécessaire que la fonctionnaire justifie son absence. La fonctionnaire a dit avoir fourni la note du médecin qui concernait la période qui s’était écoulée depuis la date de l’accident jusqu’à la date de la réunion. Elle a ajouté que M. Friesen n’avait pas indiqué qu’il contestait la validité de la note.

76 Par la suite, des notes de la réunion ont été préparées et il y a eu des discussions avec les Relations de travail. Du point de vue de M. Friesen, la question principale était l’absence de la fonctionnaire depuis le 16 novembre 2007. Avant cette date, il y avait eu quelques contacts avec la fonctionnaire et cette dernière avait fourni des renseignements médicaux, bien que sous une autre forme que celle requise par le ministère. Après le 16 novembre 2007, lorsque la fonctionnaire a laissé un message téléphonique pour dire qu’elle ne reviendrait pas au travail et qu’elle obtiendrait une note du médecin à l’appui, elle n’avait fourni aucune note et soumis aucune demande de congé. M. Friesen a dit avoir été incapable de confirmer si la fonctionnaire disait vrai lorsqu’elle affirmait avoir essayé de communiquer avec le ministère à plusieurs occasions.

77 Il a décidé de donner à la fonctionnaire le bénéfice du doute et d’autoriser son congé jusqu’au 16 novembre 2007; il n’était toutefois pas prêt à autoriser un congé après cette date. Il a recommandé à son directeur général de mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire parce que cette dernière avait abandonné son poste le 16 novembre 2007. Le directeur général a approuvé cette recommandation et l’a transmise, accompagnée d’une lettre de licenciement, à la sous-ministre adjointe. Son directeur général l’a informé que la recommandation avait été acceptée.

78 Durant le contre-interrogatoire, on a demandé à M. Friesen s’il avait informé le directeur général de la note du médecin qui avait été produite à la réunion du 16 mars. Il a répondu qu’il avait indiqué qu’une note du médecin avait été produite, mais qu’elle était rétroactive.

79 Le 22 mars 2011, la sous-ministre adjointe a écrit à la fonctionnaire la lettre suivante :

[Traduction]

La présente lettre est pour vous informer que nous mettons fin à votre emploi à Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) en date du 22 mars 2011. Cette décision est prise conformément à l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline.

Le mercredi 9 mars 2011, on a tenu une réunion visant à établir les faits afin de discuter de votre absence non autorisée ainsi que de votre défaut de vous conformer à nos directives concernant votre absence et de maintenir des contacts et communications acceptables avec votre employeur.

Bien que vous ayez demandé et que l’on vous ait accordé un congé de maladie non payé pour la période s’étendant du 20 février 2006 au 2 avril 2006, la direction n’a pas autorisé d’autres périodes d’absence après cette date. Toutefois, selon la preuve et l’information recueillies, l’employeur a décidé d’autoriser votre période d’absence allant du 3 avril 2006 au 16 novembre 2007 en la considérant comme un congé de maladie non payé.

Cela étant dit, votre période d’absence après le 16 novembre 2007 n’a pas été autorisée. Au cours de la réunion visant à établir les faits, il a été déterminé que vous étiez au courant de votre obligation de maintenir des contacts réguliers et directs avec votre employeur; cependant, après le 16 novembre 2007, vous n’avez pas respecté cette obligation.

Vous avez finalement communiqué avec la direction le 5 janvier 2011, après avoir reçu la dernière lettre que l’employeur vous a envoyée, le 23 décembre 2010, dans laquelle on vous informait que vous pourriez être licenciée si vous ne vous présentiez pas au travail et ne fournissiez aucune raison satisfaisante.

À la suite de la réunion visant à établir les faits, à laquelle vous avez assisté, l’employeur n’est pas convaincu que vous aviez des raisons de ne pas vous conformer à la directive légitime de l’employeur de justifier votre absence durant la période s’étendant de novembre 2007 à janvier 2011. Vous n’avez présenté aucune circonstance atténuante pour expliquer votre absence non autorisée ou votre défaut de communiquer avec l’employeur. En conséquence, l’employeur a conclu que vous aviez abandonné votre poste.

80 On a laissé entendre durant le contre-interrogatoire que M. Friesen avait pris des mesures pour mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire en décembre 2010 et que le dernier avertissement était dépourvu de sens, puisque quoi que fasse la fonctionnaire – qu’elle se présente au travail ou non –, on allait quand même mettre fin à son emploi. M. Friesen a dit que cela n’était pas vrai; il n’avait pas conclu avant la réunion de recherche des faits que la fonctionnaire avait abandonné son poste.

81 Finalement, M. Friesen a reconnu que la fonctionnaire était en congé autorisé de janvier 2011 jusqu’à la date de son licenciement.

82 On a interrogé M. Friesen sur les lettres du ministère qui indiquaient que la fonctionnaire était en congé autorisé. Il a répondu que ces lettres contenaient une erreur et qu’il s’agissait de lettres génériques. On lui a demandé s’il avait été informé par M. Yusishen ou le directeur général – ou s’il s’était informé auprès d’eux – que les lettres contenaient une erreur. Il a dit qu’il ne s’attendait pas à ce que le directeur général soit au courant de la nature du congé de la fonctionnaire.

83 Il a reconnu que l’employeur n’avait pas pris de mesure disciplinaire à l’égard de la fonctionnaire pour son absence après novembre 2007 et n’avait pas émis de relevé d’emploi. On lui a fait observer que l’employeur avait fermé les yeux sur le comportement de la fonctionnaire. Il a dit avoir pris des mesures à propos de son absence, même si c’était trois ans plus tard. Il n’a pas été capable d’expliquer pourquoi cela avait pris trois ans avant que ce dossier soit réglé. Il a dit qu’il y avait beaucoup de dossiers et qu’on n’avait pas porté suffisamment d’attention à ce dossier-là. Il ne savait pas s’il y avait eu des recommandations de licencier la fonctionnaire avant décembre 2010. Il a souligné qu’il n’en était pas arrivé à la conclusion que la fonctionnaire avait abandonné son poste avant la réunion de recherche des faits, puisqu’il aurait pu y avoir des circonstances atténuantes.

84 Il a reconnu qu’après l’avertissement donné à la fonctionnaire dans la lettre du 23 décembre 2010, il n’y avait pas eu d’indication selon laquelle elle avait abandonné son poste.

85 Il a reconnu avoir exigé que la fonctionnaire revienne au travail le 10 janvier ou vers cette date. Il a laissé entendre que son statut était celui d’une employée en situation incertaine. Finalement, il a reconnu n’être pas capable de confirmer que la fonctionnaire n’était pas une employée après le 10 janvier 2011.

86 La fonctionnaire a déclaré n’avoir jamais dit à personne qu’elle ne retournerait pas au travail et n’avoir pris aucune mesure pour nettoyer son bureau, enlever ses souvenirs de famille ou vider son armoire-vestiaire. Elle n’a commencé à chercher un emploi qu’après avoir appris qu’on ne lui permettait pas de retourner au travail. Elle a d’abord œuvré comme bénévole dans certains milieux de travail, puis elle a trouvé un emploi à l’été 2011.

Arguments de l’employeur

87 La première question qu’il faut régler est de déterminer si l’employeur peut licencier un employé pour abandon de poste, étant donné l’abrogation de la disposition expresse de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique qui portait sur l’abandon. L’employeur prétend qu’il a maintenant le pouvoir de mettre fin à la relation d’emploi dans ces circonstances en vertu des dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques.

88 Comme autre option, l’employeur allègue que dans le cadre de la common law, il a le pouvoir de mettre fin à un emploi pour motif d’abandon.

89 L’article 27 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique prévoyait ce qui suit :

L’administrateur général peut conclure à l’abandon de poste par un fonctionnaire lorsque celui-ci s’absente pendant au moins une semaine sans pouvoir lui faire valoir des raisons indépendantes de sa volonté ou sans qu’il s’agisse d’un cas autorisé ou prévu par une loi fédérale ou sous son régime. Il notifie l’abandon de poste à la Commission et le fonctionnaire perd dès lors sa qualité de fonctionnaire.

90 L’article 18 de la Loi sur la réforme de la fonction publique (LRFP), qui a été sanctionnée le 17 décembre 1992, a abrogé l’article 27 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

91 L’article 81 de la LRFP a abrogé l’alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques et l’a remplacé par les alinéas f) et g). L’alinéa f) permettait au Conseil du Trésor d’établir des normes de discipline dans la fonction publique, et l’alinéa g) lui permettait de prévoir le licenciement pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline.

92 Les alinéas f) et g) sont formulés ainsi :

  1. établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d’être appliquées pour manquement à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;
  2. prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur des personnes employées dans la fonction publique et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

93 L’article 81 de la Loi prévoyait ce qui suit :

81. Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation effectués en application des alinéas (2)f) ou g) doivent être motivés.

94 L’article 68 de la LRFP a modifié de la façon suivante le paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la version antérieure de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui portait sur les questions pouvant être renvoyées à l’arbitrage :

92(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

95 La combinaison de ces modifications donne le pouvoir de licencier des employés pour d’autres raisons qu’un manquement à la discipline et fournit un recours à l’arbitrage des griefs aux employés qui ont été licenciés. Le licenciement doit être motivé.

96 L’abrogation de l’article 27 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique avait pour effet de supprimer de cette loi le pouvoir de licenciement par abandon et de le placer sous le régime de la Loi sur la gestion des finances publiques. L’employeur a prétendu que ses arguments étaient étayés par l’ensemble des modifications suggérées au projet de loi C-26 préparées par la Direction de la recherche de la Bibliothèque du Parlement pour le comité législatif de la Chambre des communes et portant sur la Loi sur la réforme de la fonction publique, document que l’employeur a présenté en preuve.

97 Ce document indique que le comité envisageait soit de modifier l’article 27 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique pour éliminer l’obligation que l’administrateur général écrive à la Commission de la fonction publique pour l’informer d’un abandon de poste, soit de supprimer l’article 27.

98 La suppression de l’article 27 a effectivement éliminé l’obligation pour l’administrateur général d’aviser la Commission de la fonction publique de l’abandon d’un poste et a laissé le pouvoir de décision entre les mains de l’administrateur général. Comme la Loi sur la réforme de la fonction publique a modifié la Loi sur la gestion des finances publiques pour permettre à l’administrateur général de licencier un fonctionnaire pour d’autres raisons qu’un manquement à la discipline, il n’était plus nécessaire de conserver l’article 27 dans la Loi. Le pouvoir de licencier un fonctionnaire pour abandon de poste est passé de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique à la Loi sur la gestion des finances publiques, et le fonctionnaire pouvait avoir un recours.

99 Subsidiairement, l’employeur a allégué que le pouvoir de l’administrateur général de licencier un fonctionnaire pour abandon de poste existe dans la common law. Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S 190, la Cour suprême du Canada a reconnu aux paragraphes 95, 96 et 97 que la plupart des fonctionnaires ont un lien d’emploi contractuel. La common law s’applique donc encore, à moins qu’un contrat ou une loi ait la priorité sur elle. Sous le régime de la common law, les fonctionnaires avaient la responsabilité de se présenter au travail; s’ils ne le faisaient pas en temps opportun, cela constituait un manquement non autorisé à l’une de leurs obligations implicites. Sous le régime de la common law, les employeurs étaient justifiés de licencier les fonctionnaires qui ne se présentaient pas au travail. Voir Lucking v. Thomas, [1919] S.J. no 104.

100 En supposant que l’employeur a le pouvoir de mettre fin au lien d’emploi pour abandon de poste, en fonction de quelle norme l’arbitre de grief doit-il examiner cette décision? L’employeur a allégué qu’il fallait utiliser le critère du caractère raisonnable, c’est-à-dire déterminer si l’administrateur général a agi de manière raisonnable lorsqu’il a conclu que la fonctionnaire avait abandonné son poste. Ce critère est appuyé par analogie avec l’article 230 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

101 L’article 230 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique stipule ce qui suit :

230. L’arbitre de grief saisi d’un grief individuel portant sur le licenciement ou la rétrogradation pour rendement insuffisant d’un fonctionnaire de l’administration publique centrale ou d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe 209(3) doit décider que le licenciement ou la rétrogradation étaient motivés s’il conclut qu’il était raisonnable que l’administrateur général estime le rendement du fonctionnaire insuffisant.

102 Dans Raymond c. Conseil du Trésor, 2010 CRTFP 23, la fonctionnaire s’estimant lésée avait été rétrogradée d’un poste de niveau EX-01 à un poste de niveau AS-06 en raison de son rendement insuffisant. S’appuyant sur l’article 230, l’arbitre de grief avait conclu que « l’arbitre saisi d’un grief à l’encontre d’un licenciement ou d’une rétrogradation pour rendement insuffisant doit trancher la question suivante : Était-il raisonnable, à la lumière de la preuve, que l’administrateur général estime que le rendement du fonctionnaire en cause était insuffisant? »

103 L’avocate de l’employeur prétend, par analogie, qu’on devrait appliquer le critère du caractère raisonnable afin de déterminer si la décision de l’administrateur général de licencier un fonctionnaire pour abandon de poste est motivée. L’administrateur général a-t-il agi de manière raisonnable en concluant que le ou la fonctionnaire a abandonné son poste? Dans les circonstances qui nous occupent, était-il raisonnable que M. Yusishen conclue que la fonctionnaire avait abandonné son poste? De même, l’opinion de M. Friesen était-elle empreinte d’un caractère raisonnable?

104 Dans le secteur privé, lorsqu’un employé est réputé avoir abandonné son poste, le critère à appliquer est un critère objectif : [traduction] « c’est-à-dire que, si l’on regarde les circonstances de façon objective, une personne raisonnable aurait-elle compris, selon les paroles et les actions de l’employé, qu’il ou elle avait abandonné le contrat […] » Pereira v. Business Depot Ltd., 2011 BCCA 361, page 14. Dans le secteur public fédéral, le critère, par analogie avec les dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques, consiste à déterminer si l’opinion de l’administrateur général qu’un fonctionnaire a abandonné son poste est raisonnable ou pas.

105 Les faits sont clairs. La fonctionnaire a été absente de son travail pendant une longue période. Le dernier contact de la fonctionnaire avec l’employeur a été en novembre 2007, lorsqu’elle a laissé un message pour dire qu’elle obtiendrait une note de son médecin. Par la suite, l’employeur n’a rien reçu d’elle. Elle n’a pas non plus essayé de maintenir le contact avec l’employeur, jusqu’à ce qu’elle réponde à la lettre de M. Friesen au début de janvier 2011.

106 M. Friesen était d’avis qu’il devait tenir une réunion de recherche des faits sur l’absence de la fonctionnaire. Une présomption d’abandon de poste peut être réfutée par un employé. L’employeur a jugé, selon l’information fournie durant la réunion visant à établir les faits de mars 2011, que la fonctionnaire avait pu justifier une certaine période de son absence, mais n’avait pas pu fournir d’explication raisonnable pour son absence depuis novembre 2007. En conséquence, M. Friesen n’était pas disposé à autoriser son congé entre novembre 2007 et décembre 2010.

107 Il n’était pas raisonnable que la fonctionnaire se fie aux deux lettres que l’employeur lui avait envoyées en 2009 pour croire que son absence avait été autorisée; elle connaissait bien ses obligations à l’égard de l’employeur.

108 Les faits sont ce qu’ils sont. La présentation de la note du médecin durant la réunion de recherche des faits rappelle la décision rendue dans Pachowski, [2000] A.C.F. no 1679.

Arguments de la fonctionnaire s’estimant lésée

109 La majorité de la preuve produite par l’employeur relativement aux événements survenus avant novembre 2007 n’est pas pertinente. Elle est préjudiciable et n’a pas d’effet probant, puisque l’employeur avait autorisé le congé de la fonctionnaire jusqu’à cette date.

110 Son dossier ne contenait aucune sanction disciplinaire et, jusqu’à la lettre du 13 décembre 2010, lorsqu’on l’a avisée que l’omission de communiquer avec l’employeur pourrait entraîner une recommandation de la licencier de son poste au ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, la fonctionnaire n’avait reçu aucun avertissement indiquant que son emploi était menacé. Elle a bel et bien communiqué rapidement avec l’employeur et est retournée au travail en janvier 2011 pour renouveler son attestation de sécurité. On lui a dit de demeurer chez elle en attendant l’approbation de cette attestation.

111 Elle a reconnu que la note du médecin fournie en août 2007 ne précisait pas de date de fin, mais l’employeur savait qu’elle était malade. Elle était au courant des préoccupations de l’employeur, mais jusqu’en décembre 2010, celui-ci n’a pris aucune mesure à son endroit, que ce soit en lui imposant une sanction disciplinaire ou en l’avisant que son emploi était menacé. L’employeur connaissait très bien tous les faits dès novembre 2007, mais il a décidé de ne rien faire en rapport avec la situation d’emploi de la fonctionnaire. M. Yusishen allait lui imposer une sanction disciplinaire, mais il a finalement décidé de ne pas le faire. Il a signé une lettre indiquant qu’elle était en congé autorisé après avoir mentionné sa situation à son superviseur, qui lui a dit d’envoyer la lettre telle quelle.

112 L’absence de la fonctionnaire entre novembre 2007 et décembre 2010 n’a pas entraîné de dépenses importantes et n’a pas constitué un fardeau pour l’employeur, puisque la fonctionnaire était en congé non payé.

113 En décembre 2010, M. Friesen a envoyé une lettre d’avertissement à la fonctionnaire, dans laquelle il lui disait de retourner au travail, à défaut de quoi elle serait renvoyée. Elle est retournée au travail. Rien ne laissait entendre qu’elle avait abandonné son poste. À la réunion de recherche des faits du 11 mars, elle a remis une note du médecin. Il n’a jamais été mentionné qu’il y avait un problème avec cette note du médecin. Il n’a pas été avancé que la fonctionnaire avait abandonné ou quitté son emploi. Elle n’a pas eu l’occasion de formuler des commentaires sur une allégation d’abandon.

114 L’employeur affirme qu’il devrait avoir le droit de supposer qu’elle avait abandonné son poste depuis novembre 2007. Les lettres qui lui ont été envoyées par l’employeur en 2009 indiquaient qu’elle était en congé autorisé. Elle est retournée au travail en janvier 2011 et est demeurée en congé autorisé jusqu’à son licenciement, le 22 mars 2011.

115 La législation et la convention collective ne prévoient aucune disposition ni aucun pouvoir permettant à l’employeur de licencier un fonctionnaire pour abandon réputé. L’employeur a effectivement le droit de licencier un employé pour des motifs autres que disciplinaires, mais il ne peut créer des règles applicables rétroactivement.

116 Aucune preuve n’indique que la fonctionnaire a démissionné de son poste, ce qui est le critère, dans le secteur privé, pour conclure à une démission réputée. Il n’y a aucune preuve subjective révélant une intention de démission ni de comportement objectif confirmant qu’il y a eu démission.

117 Peu importe les droits et privilèges conférés à l’employeur par la common law relativement au contrat d’emploi, dès qu’il existe une convention collective, celle-ci dicte les modalités d’emploi de tous les employés de l’unité de négociation.

118 La norme à appliquer en vue de l’examen d’une décision d’un administrateur général de licencier un employé pour abandon de son poste, supposant qu’un tel droit existe, est la norme du bien-fondé.

119 Cependant, avant d’appliquer le critère du bien-fondé, l’employeur doit avertir l’employé que son poste est menacé en raison d’un abandon présumé. Rien n’autorise l’administrateur général à licencier un employé sans motif.

120 On a remis un avertissement à la fonctionnaire. On lui a dit qu’elle devait retourner au travail, sans quoi elle devrait en subir les conséquences. Elle est bel et bien retournée au travail. Rien, après son retour au travail, n’indique qu’elle avait l’intention de démissionner. La direction a le devoir d’agir équitablement. En mars 2011, sans avertir la fonctionnaire qu’on supposait qu’elle avait abandonné son poste, la direction a jugé qu’elle avait abandonné son poste plus de trois ans plus tôt.

Questions

121 La radiation de la disposition législative expresse autorisant l’administrateur général à considérer qu’un employé a abandonné son poste empêche-t-elle l’employeur de licencier un employé en fonction de ce motif? Dans l’affirmative, l’employeur a-t-il le droit en vertu de la common law de licencier un employé pour motif d’abandon?

122 Si l’on suppose que la réponse à la première question est non, et que l’administrateur général a le pouvoir de licencier un employé pour abandon en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques pour des motifs non disciplinaires, quelles sont les principales caractéristiques d’un abandon en l’absence d’une définition prévue par la loi ou par contrat?

123 En fonction de quelle norme un arbitre de grief peut-il examiner la décision d’un administrateur général de licencier un employé pour des motifs non disciplinaires autres qu’un rendement insatisfaisant?

124 L’employeur, compte tenu de sa conduite et du temps qu’il a pris avant de licencier la fonctionnaire pour motif d’abandon, a-t-il fermé les yeux sur la conduite de la fonctionnaire ou a-t-il renoncé à son pouvoir de la licencier?

Analyse

125 La radiation de la disposition législative expresse autorisant à considérer qu’un employé a abandonné son poste empêche-t-elle l’employeur de licencier un employé en fonction de ce motif?

126 Comme indiqué dans l’argumentation de l’employeur, la Loi sur la réforme de la fonction publique (1992) a abrogé l’article 27 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, qui autorisait expressément l’administrateur général à déclarer qu’un employé avait abandonné son poste pour les motifs énoncés dans l’article, ce qui faisait en sorte que l’employé n’était plus considéré comme étant un employé.

127 Cependant, l’employeur soutient qu’il conserve le pouvoir de licencier un employé pour des motifs d’abandon en vertu des dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui a été modifiée par la Loi sur la réforme de la fonction publique afin de permettre au Conseil du Trésor de prévoir le licenciement pour des motifs autres que disciplinaires. Il prétend que le pouvoir de licencier un employé pour un motif d’abandon a été annulé dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et rétabli dans la Loi sur la gestion des finances publiques et que, parallèlement, cette modification a permis à l’employé concerné d’exercer un recours.

128  Cette interprétation est appuyée par l’ensemble des modifications proposées au projet de loi C-26, rédigé pour le comité législatif de la Chambre des communes par la Direction de la recherche de la Bibliothèque du Parlement, et qui indique que le Parlement avait l’intention de supprimer la nécessité, pour l’administrateur général, d’aviser la Commission de la fonction publique d’un abandon de poste et de faire en sorte que le pouvoir décisionnel appartienne uniquement à l’administrateur général.

129 La fonctionnaire soutient que compte tenu de l’annulation du pouvoir explicite de l’administrateur général de licencier un employé pour motif d’abandon, il n’y a ni disposition ni pouvoir, que ce soit en vertu des lois applicables ou dans la convention collective, permettant à l’employeur de licencier un employé pour motif d’abandon, et que, par conséquent, l’employeur ne peut pas invoquer un départ réputé ou une démission réputée. S’il souhaite invoquer une réelle démission, il doit présenter une preuve que la fonctionnaire avait cette intention et l’a communiquée. Selon la règle pratique qui est bien établie dans le secteur privé syndiqué, l’action de quitter un emploi est assortie d’un élément subjectif ainsi que d’un élément objectif. Un employé qui souhaite ne plus travailler pour une entreprise doit d’abord décider de quitter son emploi, puis doit poser un geste pour que sa décision entre en vigueur. Ce geste peut consister en l’émission d’un avis ou en un comportement, comme accepter un autre emploi, ce qui est incompatible avec le fait de demeurer employé par l’entreprise. La fonctionnaire a appuyé son affirmation en mentionnant la décision de 1949 dans U.E. Local 512 v. Anchor Cap and Closure Corp. of Canada Ltd., 1 L.A.C. 222 à 223.

130 Je conclus que même si le pouvoir explicite de l’administrateur général de licencier un employé pour motif d’abandon a été annulé par la Loi sur la réforme de la fonction publique de 1992, les dispositions de la même loi qui autorisent expressément l’administrateur général à licencier un employé pour des motifs non disciplinaires incluent dans cette large autorisation le pouvoir de licencier un employé pour motif d’abandon.

131 Je considère que l’ensemble des modifications proposées au projet de loi C-26, rédigé par la Direction de la recherche de la Bibliothèque du Parlement pour le comité législatif de la Chambre des communes, indique que l’abrogation de l’article 27 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique visait à supprimer la nécessité, pour l’administrateur général, d’aviser la Commission de la fonction publique d’un abandon de poste, et ainsi à faire en sorte que le pouvoir décisionnel appartienne uniquement à l’administrateur général. J’estime que ce document est utile pour déterminer l’objet législatif des modifications. Voir R. Sullivan, Construction of Statutes, 5e édition (2008), à la page 272.

132 Quelles sont les principales caractéristiques d’un abandon en l’absence d’une définition prévue par la loi ou par contrat?

133 L’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques autorise l’administrateur général à prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique.

134  Le terme « abandon » n’a pas été défini par la loi, comme c’était le cas dans la disposition abrogée dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, et le terme n’a pas non plus été défini dans la convention collective entre les parties. Le Conseil du Trésor a publié des lignes directrices concernant : le licenciement ou la rétrogradation pour rendement insatisfaisant; le licenciement ou la rétrogradation pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite; le licenciement en cours de stage. Les lignes directrices portent expressément sur le rendement insatisfaisant au travail, les situations d’inaptitude pour des raisons médicales et les licenciements pendant la période de stage. Il n’existe pas de lignes directrices concernant le licenciement pour abandon de poste.

135 La disposition abrogée énonçait certaines conditions qui devaient être remplies avant qu’un employé puisse être licencié, à savoir : l’employé devait s’être absenté pendant au moins une semaine sans pouvoir faire valoir des raisons qui étaient, selon l’administrateur général, indépendantes de sa volonté ou sans qu’il s’agisse d’un cas autorisé ou prévu par une loi fédérale ou sous son régime.

136 Un certain nombre de conventions collectives entre employeurs et autres agents négociateurs du secteur public fédéral comprennent des dispositions liées à l’abandon. Invariablement, ces clauses incluent certaines conditions préalables, comme l’absence du travail sans raison valable pour des périodes de temps variables, sans en aviser l’employeur.

137 Dans Lindsay c. Agence des services frontaliers du Canada, 2009 CRTFP 62, l’arbitre de grief a statué sur un grief portant sur un licenciement pour motif d’abandon. En mai 2000, la fonctionnaire s’estimant lésée a quitté le travail. Elle a tenté d’obtenir un congé autorisé afin de poursuivre des études postsecondaires et de se retirer de l’atmosphère régnant dans le milieu de travail. L’employeur a refusé de lui accorder un congé payé, mais a accepté de lui octroyer un congé non payé ou une autre affectation. La fonctionnaire s’estimant lésée a continué de chercher à obtenir un congé payé, malgré le fait qu’elle avait été informée que ce n’était pas une solution à sa disposition. Elle s’est inscrite à un programme universitaire de quatre ans. L’employeur lui a envoyé une lettre l’avisant qu’elle serait licenciée si elle ne retournait pas au travail. Malgré qu’elle ait été expressément avertie du fait que son emploi était compromis, la fonctionnaire s’estimant lésée n’est pas retournée au travail. En décembre 2001, l’employeur l’a licenciée.

138 L’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait, effectivement, abandonné son poste. Il a affirmé au paragraphe 93 :

[93] Un employeur a pleinement le droit de s’attendre à ce qu’un employé se présente au travail. Il s’agit d’un élément intrinsèque de la relation d’emploi et d’un contrat d’emploi. L’employé doit avoir une autorisation préalable pour s’absenter du travail. Cette autorisation est donnée en conformité avec les règles établies dans la convention collective. Les seules exceptions à cette logique fondamentale seraient les situations où l’employé ne peut pas, pour des motifs impérieux, communiquer avec l’employeur pour obtenir une autorisation. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, l’employeur avait le droit de licencier la fonctionnaire pour des motifs administratifs, à savoir que la fonctionnaire n’était pas disponible pour travailler.

139 L’arbitre de grief a étoffé son argumentation au paragraphe 97 :

[97] L’employeur n’est pas tenu de prouver que la fonctionnaire voulait abandonner son poste pour conclure qu’elle a abandonné son poste. Un employeur peut conclure qu’un employé a abandonné son poste lorsque celui-ci s’est absenté du travail sans autorisation, alors que les circonstances relevaient de son contrôle […]

140 Par conséquent, je conclus, d’après la jurisprudence, que même en l’absence d’une définition expresse de l’abandon de poste dans les dispositions législatives, les lignes directrices de l’employeur ou la convention collective, un employé peut quand même être réputé avoir abandonné son poste dans des circonstances où il s’est absenté du travail pendant une longue période sans en avoir obtenu l’autorisation et sans raisons valables, alors que les circonstances relevaient de son contrôle, et sans en avoir avisé l’employeur, à moins que l’employé montre qu’il était incapable d’aviser l’employeur en raison de circonstances exceptionnelles.

141 En fonction de quelle norme un arbitre de grief peut-il examiner la décision d’un administrateur général de licencier un employé pour des motifs non disciplinaires autres qu’un rendement insatisfaisant?

142 Par analogie avec les dispositions de l’article 230 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, où il est indiqué que l’arbitre de grief saisi d’un grief individuel portant sur le licenciement ou la rétrogradation pour rendement insuffisant doit décider que la mesure était motivée s’il conclut qu’il était raisonnable que l’administrateur général estime le rendement du fonctionnaire insuffisant, l’employeur fait valoir que le critère du caractère raisonnable devrait être appliqué pour déterminer si la décision de l’administrateur général de licencier l’employé pour abandon est motivée.

143 Le paragraphe 12(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques indique ce qui suit :

12(1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable,

[…]

d) prévoir le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique dans les cas où il est d’avis que son rendement est insuffisant;

e) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique;

[…]

144 Il a été expressément prévu par le Parlement que les arbitres de grief doivent déterminer si les licenciements ou les rétrogradations pour rendement insatisfaisant sont motivés s’ils jugent que l’avis de l’administrateur général est raisonnable. Les administrateurs généraux exercent ce pouvoir en vertu de l’alinéa 12(1)d) mentionné ci-dessus.

145 L’alinéa 12(1)e) permet à l’administrateur général d’exercer son pouvoir de licencier un employé pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, lesquelles, à mon avis, incluent l’abandon de poste. Il n’y a aucune disposition expresse dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui charge un arbitre de grief de décider qu’un licenciement pour motif d’abandon est motivé s’il est déterminé que l’avis de l’administrateur général était raisonnable.

146 Néanmoins, un examen de la jurisprudence sur la question de l’abandon soutient l’affirmation de l’employeur selon laquelle sa décision devrait être examinée en fonction de son caractère raisonnable. La décision de l’employeur est raisonnable si, considérant la situation de fait en cause, il décide que le comportement de l’employée, observé objectivement, permet de conclure qu’il y a eu abandon de poste. Dans Pereira v. Business Depot Ltd., un cas de congédiement injustifié d’un employé qui a été licencié le 22 mars 2011 après que son employeur a conclu qu’il aurait supposément abandonné son emploi, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a décrit le critère permettant de déterminer si un employé a abandonné son poste. La Cour a affirmé que les paroles et les gestes d’un employé devraient être examinés objectivement afin de déterminer si celui-ci a abandonné son contrat de travail.

147 En plus de déterminer si la conclusion de l’employeur était raisonnable, on doit aussi prendre en considération certaines questions. L’employeur a-t-il l’obligation d’agir équitablement et de bonne foi lorsqu’il licencie un employé pour des motifs non disciplinaires? Notamment, les principes de notification, de renonciation et de tolérance s’appliquent­ils? Dans l’affirmative, l’employeur a-t-il fermé les yeux sur la conduite de la fonctionnaire ou a-t-il renoncé à son pouvoir de la licencier?

148 Dans Lindsay c. Agence des services frontaliers du Canada, l’arbitre de grief Paquet a déterminé que l’employeur a l’obligation d’agir équitablement et de bonne foi lorsqu’il licencie un employé pour des motifs non disciplinaires. Voir aussi Nicholson v. Haldimand Regional Board of Police Commissioners (1978), 88 D.L.R. (3e) 671.

149 Dans York Finch General Hospital v. O.P.S.E.U., Local 565 (1980), 27 L.A.C (2e) 142, l’arbitre de différends Adams devait statuer sur une situation où il y avait une disposition sur un licenciement réputé et il devait déterminer si l’employeur avait l’obligation d’aviser l’employé de la disposition sur un licenciement réputé. L’arbitre de différends Adams a indiqué aux pages 151 et 152 :

[Traduction]

Compte tenu des répercussions majeures de la disposition, il semblerait raisonnable de conclure que les parties n’avaient pas l’intention que l’article soit appliqué de façon arbitraire ou déraisonnable. Nous concluons que le fait de ne pas avoir avisé le fonctionnaire de sa situation délicate était arbitraire et déraisonnable dans les circonstances.

150  Dans Sure-Way Transport Ltd. v. Canadian Union of Heavy Haulers and Maintenance Workers (1994), 45 L.A.C (4e) 193, l’arbitre de différends Brent a statué sur la question de la renonciation. Dans ce cas, le fonctionnaire s’estimant lésé, un camionneur, souffrait de crises épileptiques, lesquelles ont entraîné la suspension de son permis de conduire. Il a informé l’entreprise que son permis de conduire serait probablement suspendu pendant un an. En juillet 1992, le fonctionnaire a été informé par le ministère des Transports que son permis était de nouveau valide. Le fonctionnaire a communiqué avec son employeur au sujet de son retour au travail, et on l’a avisé qu’il n’était plus un employé et qu’il avait été réputé licencié en décembre 1991.

151 L’arbitre de différends Brent a invoqué les arguments suivants à la page 204 :

[Traduction]

L’entreprise savait également qu’elle avait certains droits en vertu de l’article 4.11, lesquels ont été cristallisés le 14 décembre 1991 ou vers cette date. Nous estimons qu’elle n’a pas exercé ces droits à ce moment, et n’a pas eu l’intention de les exercer avant la fin de juillet 1992, lorsque le retour au travail possible du fonctionnaire est devenu une réalité plutôt qu’un espoir. À notre avis, l’intervalle de temps est déraisonnable et a servi à faire croire au fonctionnaire qu’un emploi de camionneur l’attendait une fois qu’il aurait regagné son permis.

À notre avis, compte tenu des dures conséquences de l’article 4.11, il serait déraisonnable d’accorder à un employeur une aussi longue période pour décider s’il exercera ou non ses droits en vertu de la clause. Le fait de continuer à traiter une personne comme un employé d’une manière qui est incompatible avec un licenciement équivaut, selon nous, à ne pas exercer ce droit au moment opportun. Nous concluons donc que l’entreprise n’a pas exercé son droit de licencier le fonctionnaire au moment opportun, qu’elle a continué de le traiter comme un employé en congé autorisé, et que si, dans ces circonstances, l’entreprise était autorisée à exercer ses droits en vertu de l’article 4.11 environ six à sept mois après le moment où elle savait que ces droits avaient été cristallisés, il s’agirait d’une interprétation déraisonnable de la convention collective. […] Nous jugeons par conséquent que, dans ces circonstances, l’entreprise a effectivement renoncé à son droit d’invoquer l’article 4.11, et que le fonctionnaire n’a jamais été licencié en vertu de cette disposition.

152 Dans Horizon Poultry Inc. v. Schneider Employees’ Association (1993), 34 L.A.C. (4e) 7, l’arbitre de différends Brent, en statuant sur un cas de démission réputée, a affirmé, à la page 12 :

[Traduction]

L’entreprise peut renoncer à son droit de considérer quelque chose comme étant une démission réputée et, une fois qu’elle a adopté un plan d’action qui est incompatible avec ce droit, il devrait être considéré qu’elle a renoncé à ce droit […]

153 Je conclus, en me fondant sur la jurisprudence arbitrale, que l’employeur a l’obligation d’agir équitablement et de bonne foi lorsqu’il licencie un employé pour des motifs non disciplinaires et que, si cela convient, les principes de notification, de renonciation et de tolérance peuvent s’appliquer.

154 J’examinerai les gestes posés par la fonctionnaire au cours de la période précédant immédiatement le 6 novembre 2007 et jusqu’à la date de son licenciement, étant donné que l’employeur a reconnu que son absence jusqu’à cette date avait été autorisée.

155 En août 2007, il y a eu une rencontre entre la direction et la fonctionnaire, au cours de laquelle cette dernière a indiqué qu’elle pensait être prête à retourner au travail en septembre. On lui a remis des formulaires d’évaluation de son aptitude au travail qui devaient être remplis par son médecin. Lors de la rencontre, elle a fourni un certificat médical daté du 4 avril 2007. Celui-ci indiquait que le 29 mars 2006 était la date de début de son absence et qu’elle n’était pas apte à retourner au travail à ce moment. Le certificat médical ne contenait pas de date de fin, parce que la fonctionnaire n’était pas certaine du moment où elle serait en mesure de retourner au travail à plein rendement. La direction a affirmé qu’il avait été convenu que les formulaires d’aptitude au travail seraient remplis d’ici le 15 septembre 2007. Par conséquent, à l’automne 2007, l’employeur ne pouvait que penser que la fonctionnaire avait l’intention de retourner au travail. Bien que l’employeur puisse avoir été mécontent de la manière dont la fonctionnaire s’était comportée pendant son absence, il était impossible de croire que la fonctionnaire avait abandonné son poste ou que l’employeur aurait pu conclure raisonnablement qu’elle avait abandonné son poste.

156 En septembre 2007, la fonctionnaire a avisé l’employeur qu’elle aurait à reporter son retour au travail prévu, parce qu’elle n’était pas en mesure de voir son médecin. Néanmoins, la fonctionnaire a indiqué clairement à l’employeur qu’elle avait l’intention de reprendre son poste dès qu’elle obtiendrait le certificat médical nécessaire, et elle a aussi indiqué que l’obtention de ce certificat était imminente.

157 Le 26 octobre 2007, M. Yusishen a envoyé une lettre à la fonctionnaire faisant mention de l’entente qui avait été conclue lors de la rencontre du mois d’août et du fait qu’elle devait fournir des évaluations de son aptitude au travail, des formulaires à jour d’absence autorisée et des notes à l’appui rédigées par des médecins. La lettre se terminait, en partie, comme suit : [traduction] « Il s’agit ici de ma dernière directive à votre endroit. Vous devez venir me rencontrer et me remettre une évaluation de votre aptitude au travail d’ici le 5 novembre 2007 à 10 h. Si vous ne vous conformez pas à cette directive, nous devrons recommander votre licenciement motivé. » Bien qu’il puisse avoir été justifié que l’employeur reproche à la fonctionnaire de ne pas avoir respecté ce qui avait été convenu selon lui, et peut-être qu’il prenne à juste titre des mesures à cet égard, les faits n’indiquent pas que l’employée avait abandonné son poste.

158 Le 16 novembre 2007, la fonctionnaire a laissé un message à l’intention de la direction qui disait qu’elle obtiendrait une note du médecin le 23 novembre. À ce moment, les renseignements transmis à l’employeur lui indiquaient très clairement que la fonctionnaire tentait toujours de retourner au travail, ce qui ne lui fournissait aucun fondement raisonnable lui permettant de conclure qu’elle avait abandonné son poste. Cependant, encore une fois, la fonctionnaire n’a pas obtenu la note promise et, comme il n’avait pas de nouvelles d’elle, l’employeur a recommandé au directeur général, en janvier 2008, de la licencier. Le directeur général, cependant, n’a pas donné suite à cette recommandation. Apparemment, M. Yusishen n’a reçu aucune explication de la raison pour laquelle sa recommandation n’avait pas été acceptée. Mme Zallack, qui avait été chargée de préparer les documents relatifs au licenciement, n’a pas travaillé à la préparation du dossier après avril 2008 étant donné qu’elle a changé de secteur de responsabilité. Il semble que le dossier de la fonctionnaire a stagné pendant un peu plus d’un an.

159 La communication suivante entre l’employeur et la fonctionnaire semble avoir eu lieu en février 2009, quand, à la demande de son directeur général, M. Yusishen a envoyé une lettre à la fonctionnaire qui portait sur l’obligation des fonctionnaires de se conformer au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique; cette lettre indiquait expressément que la fonctionnaire était en congé autorisé non payé.

160 Une lettre subséquente envoyée par le directeur général en juin 2009 et qui portait sur le transfert du programme Agri-stabilité a encore une fois confirmé à la fonctionnaire qu’elle était en congé prolongé.

161 L’employeur affirme que je ne devrais pas tenir compte de la mention du statut de la fonctionnaire contenue dans ces lettres, soit une employée en congé autorisé. Bien que je convienne que ces lettres ne permettent pas de déterminer son statut d’employée, je ne peux pas ne pas en tenir compte en ce sens que j’estime qu’elles appuient l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle, selon ce qu’elle en savait, elle était autorisée à être en congé et conservait son statut d’employée. Pour elle, les lettres confirmaient qu’il n’y avait aucun problème lié à son statut ou à son congé et qu’elle n’avait aucune raison de communiquer avec l’employeur. Cette situation a cependant changé à l’automne 2010, après que M. Friesen est devenu directeur par intérim. À ce moment, le dossier de ressources humaines de la fonctionnaire a été porté à son attention.

162 Le 23 décembre 2010, M. Friesen a envoyé une lettre à la fonctionnaire pour l’aviser du fait qu’elle était absente de son lieu de travail depuis avril 2006 sans que son congé soit autorisé. La lettre indiquait qu’il était crucial qu’elle communique avec lui avant la fermeture des bureaux le vendredi 31 décembre 2010 au sujet de la poursuite de son statut d’emploi. La lettre indiquait expressément : [traduction] « […] Votre défaut de communiquer avec moi avant la fermeture des bureaux le 31 décembre 2010 pourrait entraîner la recommandation de mettre fin à votre emploi à Agriculture et Agroalimentaire Canada. »

163 Encore une fois, l’employeur a permis à la fonctionnaire de dépasser une date limite qui avait été fixée. La fonctionnaire n’a communiqué avec M. Friesen que le 5 janvier 2011. Ils se sont parlé le jour suivant et, à ce moment, la fonctionnaire a avisé M. Friesen qu’elle était prête à retourner au travail. Il lui a demandé de se présenter au travail le lundi suivant. Elle s’est rendue sur le lieu du travail, comme on le lui avait demandé, afin de renouveler son attestation de sécurité. On lui a demandé de retourner chez elle jusqu’à ce que son attestation de sécurité soit renouvelée. Son comportement, ce jour-là, indique clairement qu’elle avait l’intention de retourner au travail et va manifestement à l’encontre de la conclusion selon laquelle elle avait abandonné son poste.

164 M. Friesen a affirmé que, puisqu’il fallait plusieurs mois pour renouveler une attestation de sécurité, il avait l’intention d’attendre pour voir si cette attestation serait approuvée, et il se disait que, si elle ne l’était pas, il n’aurait pas à prendre une décision sur la situation d’emploi de la fonctionnaire. M. Friesen a reconnu qu’elle était encore une employée pendant cette période.

165 La fonctionnaire s’est présentée sur le lieu du travail à l’hiver 2011 pour assister à diverses réunions sur le réaménagement des effectifs et à d’autres séminaires animés par des responsables des Ressources humaines, ce qui constitue une autre indication de sa part qu’elle n’avait pas abandonné son poste.

166 Trois mois plus tard, l’employeur a changé d’avis et, plutôt que d’attendre le résultat concernant l’attestation de sécurité, M. Friesen a envoyé en mars une lettre à la fonctionnaire lui demandant de se présenter à une rencontre obligatoire visant à discuter de son absence non autorisée du milieu de travail ainsi que du fait qu’elle ne s’était pas conformée aux directives de l’employeur, selon lesquelles elle devait maintenir des communications acceptables. La lettre contenait le passage suivant : [traduction] « […] Comme toute décision subséquente à cette réunion peut entraîner une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, je vous encourage à vous faire accompagner par un représentant syndical […] »

167 La fonctionnaire a témoigné qu’elle était très surprise de recevoir cette lettre, car elle croyait que la prochaine communication de l’employeur viserait à lui indiquer qu’elle avait obtenu son attestation de sécurité et à préciser les détails de son retour au bureau. Elle a assisté à la rencontre, comme demandé, ce qui indiquait encore une fois qu’elle n’avait pas abandonné son poste. Lors de la rencontre du 9 mars 2011, M. Friesen a soulevé les questions de la note du médecin de 2007, qui n’avait pas de date de fin, et de la demande de communiquer avec l’employeur toutes les deux semaines pendant son absence. La fonctionnaire a fourni une nouvelle note du médecin indiquant qu’elle avait été absente pendant la période allant jusqu’à la rencontre en raison d’un accident d’automobile. M. Friesen n’a pas mis en doute la validité de la note. Il n’a pas été question de la nécessité de procéder à une évaluation de l’aptitude au travail et il n’y a eu ni avis ni discussion à savoir si elle avait abandonné son poste.

168 À la suite de la rencontre, l’employeur a pris position et a ensuite envoyé à la fonctionnaire la lettre de licenciement. D’après les faits décrits ci-dessus, j’estime qu’il n’y avait aucun motif raisonnable sur lequel l’employeur pouvait s’appuyer pour conclure que la fonctionnaire avait abandonné son poste. Le respect, par la fonctionnaire, des exigences liées aux documents était loin d’être parfait, mais ses gestes indiquent manifestement qu’elle avait l’intention de poursuivre la relation d’emploi. Elle a parlé à plusieurs occasions d’obtenir un certificat médical l’autorisant à retourner au travail, elle a assisté à des rencontres lorsqu’on le lui a demandé et elle s’est conformée à la demande de l’employeur selon laquelle elle devait remplir les documents nécessaires au rétablissement de son attestation de sécurité. Les faits indiquent que la fonctionnaire avait manifestement l’impression qu’elle ne faisait qu’attendre l’obtention de son attestation de sécurité et qu’elle rependrait ensuite ses fonctions. Les actions de l’employeur soutiennent aussi une telle conclusion. Le fait de demander à la fonctionnaire de participer à des réunions de travail afin de mettre à jour ses connaissances et d’obtenir son attestation de sécurité indique la présence d’une relation continue avec une employée qui a l’intention de retourner au travail dans un avenir rapproché et n’indique pas que l’employeur croyait qu’elle avait abandonné son poste.

169 La lettre de licenciement mentionne un certain nombre de faits sur lesquels l’employeur a fondé sa conclusion selon laquelle la fonctionnaire avait abandonné son poste. Ces facteurs étaient son congé non autorisé ainsi que le fait qu’elle n’ait pas communiqué régulièrement avec l’employeur. Pour ce qui est de la question de son congé non autorisé après novembre 2007, et comme je l’ai déjà énoncé, la preuve appuie la conclusion selon laquelle elle croyait raisonnablement qu’elle était en congé autorisé, compte tenu de la correspondance envoyée en 2009 par l’employeur, qui confirmait son statut d’employée. La preuve appuie également la conclusion selon laquelle l’employeur était au courant de ce qu’elle croyait et des motifs pour lesquels elle le croyait, motifs qu’elle a réitérés à l’employeur pendant la dernière rencontre avec celui-ci, le 9 mars 2011. Bien que l’employeur puisse avoir eu des préoccupations quant au respect de ses demandes par la fonctionnaire, il ne pouvait entretenir aucune illusion au sujet de son intention de reprendre son emploi.

170 La fonctionnaire a été licenciée le 22 mars 2011 d’après la conclusion de l’administrateur général selon laquelle elle avait abandonné son poste. M. Friesen, le directeur par intérim de la direction, a recommandé qu’elle soit licenciée au motif qu’elle avait abandonné son poste en date du 16 novembre 2007.

171 Pendant la période suivant immédiatement novembre 2007, l’employeur avait tout à fait le droit d’être préoccupé par la manière dont la fonctionnaire interagissait avec les membres de son personnel. Elle n’a manifestement pas respecté l’obligation qu’elle avait de les tenir au courant de sa situation médicale et de la façon de la joindre. Ce comportement pourrait avoir constitué un motif suffisant pour justifier l’imposition de mesures disciplinaires, mais, peu importe la raison, l’employeur a choisi de ne pas prendre de mesures à cet égard à ce moment.

172 Le fait qu’elle ne pouvait pas aviser l’employeur du moment exact où elle serait en mesure de retourner au travail pourrait avoir constitué le fondement de la décision de la licencier pour des motifs d’incapacité parce qu’il semblait, à ce moment, que les possibilités d’un retour au travail dans un avenir assez rapproché étaient minces ou qu’on ne pouvait raisonnablement envisager une telle perspective. Encore une fois, cependant, l’employeur n’a pas agi au bon moment.

173 Comme je l’ai expliqué, un employé peut être réputé avoir abandonné son poste dans des circonstances où il a été absent du travail pendant une longue période sans y avoir été autorisé et sans motifs valables, alors que les circonstances relevaient de son contrôle. Bien que la fonctionnaire ait été absente du lieu de travail pendant une période prolongée après novembre 2007, la preuve révèle non seulement qu’elle avait une raison valable justifiant son absence, mais aussi que l’employeur l’a acceptée. Il savait qu’elle avait eu un accident de voiture et qu’elle n’était pas en mesure de travailler pendant une longue période et il n’a pas, et ce, même au cours de la dernière rencontre de mars 2011, mis en doute la sincérité de ce qu’elle a affirmé concernant sa situation médicale. En réalité, il semble que, pour la direction, le problème central concernant la fonctionnaire était les documents visant à consigner sa situation plutôt que la véracité de cette situation, étant donné qu’elle a autorisé son congé pour la période allant de mars 2006 à novembre 2007.

174 La raison pour laquelle l’employeur a rejeté le certificat médical pour la période postérieure à novembre 2007 n’est pas claire, mais elle semble être fondée sur le fait qu’il était « rétroactif ». L’employeur n’a pas indiqué, dans son argumentation, pourquoi la note du médecin comportait des lacunes et n’a pas expliqué pourquoi il avait refusé de l’accepter pour la période postérieure à novembre 2007.

175 Les faits qui pourraient appuyer l’affirmation selon laquelle la fonctionnaire a abandonné son poste se sont produits pendant la période suivant immédiatement novembre 2007. Cependant, la direction n’a pas estimé que la fonctionnaire avait abandonné son poste avant qu’il ne soit trop tard pour qu’elle le fasse. Au contraire, par ses actions, la direction a sciemment considéré la relation d’emploi comme étant ininterrompue, et ce, jusqu’au licenciement de la fonctionnaire en mars 2011. Pendant la période en question, le directeur général a choisi de ne pas donner suite à la recommandation de licencier la fonctionnaire et a sciemment demandé à M. Yusishen de confirmer à cette dernière qu’elle était en congé autorisé. Dans sa correspondance, le directeur général a aussi confirmé son statut d’employée.

176 Dans la lettre du 23 décembre 2010, l’employeur la traitait sans aucun doute comme une employée et l’informait que le fait de ne pas communiquer avec lui pourrait entraîner une recommandation de la licencier. Elle a bel et bien communiqué avec l’employeur et a indiqué qu’elle était prête à retourner au travail. Elle s’est rendue sur le lieu de travail afin de renouveler son attestation de sécurité et a assisté à un certain nombre de réunions. La direction l’a considérée comme étant une employée pendant cette période, lui a demandé d’assister à une rencontre obligatoire en mars afin de discuter de son absence et a recommandé qu’elle soit accompagnée par un représentant syndical étant donné que les décisions subséquentes pouvaient mener à des mesures disciplinaires allant jusqu’au licenciement. En somme, la preuve ne soutient pas la conclusion selon laquelle la fonctionnaire était en congé non autorisé de novembre 2007 à mars 2011.

177 Je conclus, par conséquent, après avoir examiné objectivement les faits, que l’employeur n’a pas démontré qu’il avait un motif raisonnable lui permettant de conclure que la fonctionnaire avait abandonné son poste. Je conclus également que les actions de l’employeur, qui a continué de traiter la fonctionnaire comme une employée de novembre 2007 à mars 2011, sont incompatibles avec l’exercice de son droit de juger qu’un employé a abandonné son poste. Par conséquent, en plus de déterminer que la conclusion de l’employeur selon laquelle la fonctionnaire avait abandonné son poste était déraisonnable, je conclus aussi que l’employeur a renoncé à ce droit conformément à la jurisprudence mentionnée.

178 Dans la lettre dans laquelle l’employeur demandait à la fonctionnaire d’assister à la rencontre obligatoire de mars 2011, celui-ci ne l’a pas informée qu’elle pourrait être réputée avoir abandonné son poste, mais plutôt qu’il souhaitait discuter avec elle de son absence non autorisée et du fait qu’elle n’avait pas maintenu des communications acceptables, ce qui pouvait mener à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. De plus, aucun avertissement n’a été formulé lors de la rencontre du 11 mars sur le fait qu’elle pourrait être licenciée parce qu’elle avait abandonné son poste. On ne lui a pas donné la possibilité de faire de commentaires sur cette question. Je conclus que le fait de ne pas avoir avisé la fonctionnaire qu’elle pourrait être réputée avoir abandonné son poste était arbitraire et déraisonnable dans les circonstances.

179 Je ferais preuve de négligence si je n’exprimais pas une certaine sympathie envers M. Friesen, qui a tenté de gérer un difficile dossier de ressources humaines dont il a hérité, lequel semble ne pas avoir été traité comme il se doit pendant une longue période. Sa capacité à gérer ce dossier a été entravée par les actions ou l’inaction de ses prédécesseurs, qui lient l’employeur.

180 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

181 Pour ces motifs, j’accueille le grief et j’ordonne que la question du redressement soit renvoyée aux parties pour qu’elles la règlent dans un délai de 60 jours.

182 Je demeure saisi de l’affaire pour statuer sur le redressement si les parties sont incapables de régler la question à leur satisfaction.

Le 21 mars 2013.

Traduction de la CRTFP

David Olsen,
arbitre de grief

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