Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les agents négociateurs ont déposé des griefs de principe distincts contestant la manière dont l’employeur appliquait les dispositions sur le réaménagement des effectifs (ARE/ERE) de leurs conventions collectives en ce qui concerne la question d’échange de postes, un processus par lequel un fonctionnaire qui a été désigné aux fins d’une éventuelle mise en disponibilité accepte d’échanger son poste avec celui d’un fonctionnaire qui n’a pas été sélectionné pour une mise en disponibilité - étant donné que l’ARE et l'ERE des deux agents négociateurs étaient pour l’essentiel identiques et que les deux griefs ont soulevé des questions identiques, les griefs ont été joints pour l’audience - les parties ont également convenu de poser certaines questions à l’arbitre de grief - l’arbitre de grief a répondu aux quatre questions, permettant aux parties de régler la totalité ou la plupart de leurs conflits - il est demeuré saisi de l’affaire pendant 90 jours afin de régler toute autre question. Instructions données.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-04-09
  • Dossier:  569-02-111 et 113
  • Référence:  2013 CRTFP 37

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

agents négociateurs

et

CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA

employeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada et Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor du Canada

Affaire concernant des griefs de principe renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michael Bendel, arbitre de grief

Pour l'Alliance de la Fonction publique du Canada:
Andrew Raven, avocat

Pour l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada:
Karyn Ladurantaye, représentante régionale

Pour l'employeur:
Richard E. Fader, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 15 janvier 2013.
(Traduction de la CRTFP)

Les griefs

1 L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC ») et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC ») (les « agents négociateurs ») ont présenté des griefs de principe distincts contestant la manière dont le Conseil du Trésor (l’« employeur ») applique l’« appendice sur le réaménagement des effectifs » (dans le cas de l’AFPC) et l’« entente sur le réaménagement des effectifs » (dans le cas de l’IPFPC) en ce qui concerne la question des échanges de postes. L’appendice sur le réaménagement des effectifs fait partie des conventions collectives conclues entre l’AFPC et l’employeur pour les unités de négociation PA, SV, TC, EB et FB, dont les dates d’expiration respectives sont le 20 juin 2014, le 4 août 2014, le 21 juin 2011, le 30 juin 2014, et le 20 juin 2011. En ce qui concerne l’entente sur le réaménagement des effectifs, elle est incorporée dans toutes les conventions collectives conclues entre l’IPFPC et l’employeur.

2 Même si davantage de détails seront fournis plus loin dans cette décision au sujet de l’échange de postes, il serait peut-être utile à ce stade d’expliquer brièvement et en termes généraux en quoi consiste un échange de postes. L’appendice sur le réaménagement des effectifs et l’entente sur le réaménagement des effectifs (appelés collectivement l’« ARE/ERE » en l’espèce) établissent certaines procédures que l’employeur doit suivre dans toutes les situations de réaménagement des effectifs, et ce, dans le but d’optimiser les possibilités d’emploi pour les employés touchés et de réduire les répercussions d’un réaménagement des effectifs sur chaque employé. Une des possibilités prévues par l’ARE/ERE est l’échange de postes, processus par lequel un employé qui a été désigné aux fins d’une éventuelle mise en disponibilité (l’« employé optant ») accepte d’échanger son poste avec un employé ayant des compétences similaires qui n’a pas été sélectionné pour une mise en disponibilité (le « remplaçant »). Cet échange de postes permet aux deux employés de se substituer l’un à l’autre relativement à la continuité de l’emploi et aux mesures destinées à atténuer les conséquences de la mise en disponibilité. Les avantages qu’offre l’échange de postes aux deux employés sont évidents : l’employé optant poursuit sa carrière de la même façon que s’il avait été affecté à un autre poste, et le remplaçant reçoit un incitatif financier pour avoir libéré le poste. En principe, un échange de postes n’engendre pas de coûts additionnels pour l’employeur, et ne nuit pas à son objectif de réduction de la taille de l’effectif.

3 Toutes les parties ont convenu que, étant donné que l’ARE et l’ERE des deux agents négociateurs étaient pour l’essentiel identiques et que les deux griefs soulevaient des questions très similaires, les griefs devaient être regroupés pour l’audience. Ils ont également convenu de demander à l’arbitre de grief, en premier lieu, de rendre sa décision sur certaines questions liées à l’interprétation de l’ARE/ERE, et ce, en vue de faciliter le règlement des griefs. Ils ont notamment convenu de poser les questions suivantes à l’arbitre de grief :

[Traduction]

1. L’employeur est-il tenu aux termes de l’ARE/ERE d’établir un système d’échange de postes ou d’établir des systèmes et des processus en vue de faciliter les possibilités d’échange de postes? [« Question 1 » en l’espèce]

2. Y a-t-il violation de l’ARE/ERE si un ministère informe les employés qu’il n’est pas encore prêt à examiner les demandes d’échange de postes, ou les ministères disposent-ils d’une période raisonnable pour mettre en place leurs pratiques et procédures? Dans les cas où un ministère est réputé être en violation de la procédure, quelles sont les conséquences de la conformité à une date ultérieure? [« Question 2 » en l’espèce]

3. Quel est le sens de « participer » dans le paragraphe 6.2.1 de l’ARE/ERE? [« Question 3 » en l’espèce]

4. L’administrateur général a-t-il le droit de ne pas approuver un échange avec un poste non touché qu’il n’a pas l’intention de pourvoir à cause, par exemple, de :

a. une retraite ou une démission prévue, peu importe que l’employé ait manifesté ou non son intention;

b. une future réorganisation ou une réduction des effectifs? [« Question 4 » en l’espèce]

En ce qui concerne ces quatre questions, l’ARE et l’ERE sont identiques.

4 Bon nombre des dispositions de l’ARE/ERE ont été invoquées dans les arguments. Les dispositions suivantes, tirées de l’appendice sur le réaménagement des effectifs, en sont les principales :

[…]

Objectifs

L’Employeur a pour politique d’optimiser les possibilités d’emploi pour les employé-e-s nommés pour une période indéterminée en situation de réaménagement des effectifs, en s’assurant que, dans toute la mesure du possible, on offre à ces employé-e-s d’autres possibilités d’emploi. On ne doit toutefois pas considérer que le présent appendice assure le maintien dans un poste en particulier, mais plutôt le maintien d’emploi.

[…]

Définitions

[…]

Employé-e touché […] Employé-e nommé pour une période indéterminée qui a été avisé par écrit que ses services pourraient ne plus être requis en raison d’une situation de réaménagement des effectifs.

Échange de postes […] Un échange a lieu lorsqu’un employé-e optant (non excédentaire) qui préférerait rester dans l’administration publique centrale échange son poste avec un employé-e non touché (le remplaçant) qui désire quitter l’administration publique centrale avec une mesure de soutien à la transition ou une indemnité d’études.

[…]

Personne mise en disponibilité […] Personne qui a été mise en disponibilité conformément au paragraphe 64(1) de la LEFP et pouvant toujours être nommée en priorité en vertu du paragraphe 41(4) et de l’article 64 de la LEFP.

[…]

Employé-e optant […] Employé-e nommé pour une période indéterminée dont les services ne seront plus requis en raison d’une situation de réaménagement des effectifs et qui n’a pas reçu de l’administrateur général de garantie d’une offre d’emploi raisonnable. L’employé-e a cent vingt (120) jours pour envisager les options offertes à la section 6.3 du présent appendice.

[…]

Employé-e excédentaire […] Employé-e nommé pour une période indéterminée et que l’administrateur général dont il relève a officiellement déclaré excédentaire par écrit.

[…]

Partie I

Rôles et responsabilités

1.1 Ministères ou organisations

1.1.1 Étant donné que les employé-e-s nommés pour une période indéterminée qui sont touchés par un réaménagement des effectifs ne sont pas eux-mêmes responsables de cette situation, il incombe aux ministères ou aux organisations de veiller à ce qu’ils ou elles soient traités équitablement et à ce qu’on leur offre toutes les possibilités raisonnables de poursuivre leur carrière dans la fonction publique, dans la mesure du possible.

1.1.2 Les ministères ou les organisations réalisent une planification efficace des ressources humaines afin de réduire au minimum les répercussions d’un réaménagement des effectifs sur les employé-e-s nommés pour une période indéterminée, sur le ministère ou l’organisation et sur la fonction publique.

1.1.3 Les ministères ou les organisations établissent au besoin des comités chargés du réaménagement de leurs effectifs.

1.1.4 Les ministères ou les organisations d’attache collaborent avec la CFP et avec les ministères ou les organisations d’accueil pour réaffecter leurs employé-e-s excédentaires et leurs personnes mises en disponibilité.

1.1.5 Les ministères ou les organisations établissent des systèmes facilitant la réaffectation ou le recyclage de leurs employé-e-s touchés et excédentaires et de leurs personnes mises en disponibilité.

[…]

1.1.17 Les ministères ou les organisations d’attache nomment le plus grand nombre de leurs employé-e-s touchés ou excédentaires ou de leurs personnes mises en disponibilité ou trouvent d’autres postes vacants ou devant le devenir pour lesquels les intéressés peuvent être recyclés.

[…]

1.1.30 Les ministères ou les organisations d’accueil collaborent avec la CFP et les autres ministères ou organisations en acceptant de nommer ou de recycler le plus grand nombre possible d’employé-e-s touchés ou excédentaires et de personnes mises en disponibilité d’autres ministères ou organisations.

[…]

Partie VI

Options offertes aux employé-e-s

6.1 Généralités

[…]

6.1.2 L’employé-e qui ne reçoit pas de garantie d’offre d’emploi raisonnable de l’administrateur général aura cent vingt (120) jours pour envisager les trois options mentionnées plus bas avant de devoir prendre une décision.

6.1.3 L’employé-e optant doit présenter par écrit son choix de l’une des options énumérées à la section 6.3 du présent appendice pendant la période de cent vingt (120) jours de réflexion. L’employé-e ne peut changer d’option lorsqu’il ou elle a fait son choix par écrit.

6.1.4 Si l’employé-e n’a pas fait de choix à la fin de la période de réflexion de cent vingt (120) jours, il ou elle sera réputé avoir choisi l’option a), priorité d’employé-e excédentaire d’une durée de douze mois pour trouver une offre d’emploi raisonnable.

[…]

6.2 Échange de postes

6.2.1 Tous les ministères ou les organisations doivent participer au processus d’échanges de postes.

6.2.2 Un échange a lieu lorsqu’un employé-e optant qui préférerait rester dans l’administration publique centrale échange son poste avec un employé-e non touché (le remplaçant) qui désire quitter l’administration publique centrale, conformément aux dispositions de la partie VI du présent appendice.

6.2.3 Seul l’employé-e optant, et non celui dont le poste a été déclaré excédentaire, peut être affecté à un poste non touché d’une durée indéterminée au sein de l’administration publique centrale

6.2.4 Un employé-e nommé pour une période indéterminée qui souhaite quitter l’administration publique centrale peut manifester l’intérêt d’échanger son poste avec celui de l’employé-e optant. Il incombe cependant à la direction de décider si l’employé-e optant répond aux exigences du poste du remplaçant et aux besoins de l’administration publique centrale.

6.2.5 Tout échange de postes doit se traduire par l’élimination d’une fonction ou d’un poste de façon permanente.

6.2.6 L’employé-e optant qui prend la place d’un employé-e non touché doit satisfaire aux exigences du poste de ce dernier ou cette dernière, y compris les exigences linguistiques. L’employé-e (le remplaçant) qui prend la place d’un employé-e optant doit satisfaire aux exigences du poste de ce dernier, sauf s’il ou elle n’effectue pas les fonctions de ce poste. L’employé-e remplaçant sera rayé de l’effectif dans les cinq (5) jours suivant l’échange de postes.

6.2.7 Un échange de postes devrait habituellement avoir lieu entre des employé-e-s de mêmes groupe et niveau. Deux (2) employé-e-s qui ne sont pas des mêmes groupes et niveaux peuvent échanger leurs postes à condition que leurs groupes et niveaux soient considérés comme équivalents. C’est le cas lorsque l’écart entre le taux de rémunération maximal du poste assorti d’un traitement plus élevé et le taux de rémunération maximal du poste assorti d’un traitement moins élevé ne dépasse pas six pour cent (6 %).

[…]

6.3 Options

6.3.1 Seul l’employé-e optant qui ne reçoit pas une garantie d’offre d’emploi raisonnable de son administrateur général aura le choix entre les options suivantes :

a.

i. Une priorité d’employé-e excédentaire d’une durée de douze mois pour trouver une offre d’emploi raisonnable. Si une offre d’emploi raisonnable n’est pas faite au cours de ces douze (12) mois, l’employé-e sera mis en disponibilité conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. L’employé-e qui exerce cette option ou qui est présumé l’exercer est excédentaire.

ii. À la demande de l’employé-e, ladite période de priorité d’excédentaire d’une durée de 12 mois sera prolongée à l’aide de la partie inutilisée de la période de cent vingt (120) jours mentionnée à l’alinéa 6.1.2 qui reste valide dès que l’employé-e a choisi par écrit l’option a).

iii. Lorsqu’un employé-e excédentaire qui a choisi, ou est réputé avoir choisi, l’option a) propose de démissionner avant la fin de sa période de priorité d’excédentaire de douze mois, l’administrateur général peut autoriser le versement d’un montant forfaitaire égal à sa rémunération normale pendant le reste de la période de priorité d’excédentaire jusqu’à un maximum de six (6) mois. Le montant forfaitaire de rémunération en remplacement de la période de priorité d’excédentaire ne dépasserait pas le maximum que l’employé-e aurait touché s’il ou elle avait choisi l’option b), mesure de soutien à la transition.

iv. Les ministères ou les organisations feront tout effort raisonnable pour placer un employé-e excédentaire au cours de sa période de priorité d’excédentaire dans son secteur préféré de mobilité.

b. une mesure de soutien à la transition (MST), à savoir un montant forfaitaire versé à l’employé-e optant. Le montant est calculé selon le nombre d’années de service au sein de la fonction publique (voir l’annexe B). L’employé-e qui choisit cette option doit démissionner mais il ou elle aura droit à une indemnité de départ au taux de mise en disponibilité;

ou

c. une indemnité d’études, qui correspond à la MST (voir l’option b) ci-dessus) plus un montant n’excédant pas dix mille dollars (10 000 $) pour le remboursement des frais de scolarité d’un établissement d’enseignement et des frais de livres et d’équipement requis, appuyés par un reçu […]

[…]

Arguments des parties

5 En ce qui concerne la Question 1, les agents négociateurs ont soutenu que les clauses 1.1.5, 1.1.30 et 6.2.1 de l’ARE/ERE soulevait l’obligation de l’employeur d’établir un système d’échange de postes ainsi que des systèmes et processus en vue de faciliter les possibilités d’échange de postes. Selon les agents négociateurs, l’interprétation de la clause 1.1.5 devrait inclure l’échange de postes et l’interprétation de la clause 1.1.30 devrait inclure l’obligation de faciliter les échanges de postes. La clause 6.2.1 exige la participation de tous les ministères ou organisations au processus d’échange de postes. L’objectif principal de l’ARE/ERE était de tenter d’assurer la continuité de l’emploi dans la fonction publique fédérale pour les employés touchés, tel qu’il a été indiqué par l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») dans Bonia c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada) 2002 CRTFP 88, au paragraphe 83.

6 Même si l’ARE/ERE exigeait clairement aux ministères d’établir des systèmes, le Conseil du Trésor, selon les agents négociateurs, était obligé de surveiller la conformité des ministères aux conventions collectives. Cette obligation, qui découle du rôle du Conseil du Trésor en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, a été reconnue dans Panacci c. Procureur général du Canada, 2010 CF 114. En outre, l’ancienne Commission a conclu, dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 161‑02‑791 et 169‑02‑584 (19960426), que les versions antérieures de l’ARE/ERE prévoyaient un « rôle de partenariat » pour les agents négociateurs et le Conseil du Trésor en ce qui concerne l’échange de postes. Ayant signé les conventions collectives comprenant l’ARE/ERE, l’employeur était responsable de s’assurer de la mise en œuvre des dispositions de l’ARE/ERE et devait rendre compte de toute violation de ses dispositions.

7 En ce qui concerne la Question 2, les agents négociateurs ont fait valoir qu’il y aurait violation de l’ARE/ERE si, après avoir reçu les instructions de l’employeur de mettre en œuvre les dispositions de l’ARE/ERE, un ministère omettait de le faire promptement. Il reviendrait à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») de déterminer s’il y avait une explication valable pour tout retard de la part d’un ministère. Il serait approprié que la Commission applique la norme du raisonnable lors de l’évaluation d’un retard de la part d’un ministère; cette approche serait conforme à Van der Veen c. Conseil du Trésor (ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources), dossier de la CRTFP 166‑02‑18051 (19890302).

8 Les agents négociateurs ont également soutenu qu’aucune disposition de l’ARE/ERE ne permettait aux ministères de limiter le processus d’échange de postes à des échanges intraministériels. Même si l’ARE/ERE est muette sur la question des échanges de postes interministériels, le fait de conclure à une telle restriction en vertu de l’ARE/ERE serait incompatible avec l’obligation explicite des ministères à l’égard de l’ARE/ERE. Selon les agents négociateurs, il faut également souligner que les ministères devaient agir de bonne foi lors de l’évaluation consistant à déterminer si un employé optant était qualifié pour être affecté au poste d’un employé non touché.

9 Les agents négociateurs ont souligné qu’aux termes de l’ARE/ERE, un employé disposait d’un délai de 120 jours pour prendre les dispositions nécessaires en vue d’un échange de postes. Selon les agents négociateurs, si un ministère n’est pas prêt à examiner une demande d’échange de postes, la période de 120 jours ne devrait débuter qu’une fois que le ministère est en parfaite conformité avec l’ARE/ERE. La non-conformité des ministères aurait comme conséquence de réduire les droits d’un employé en vertu d’une convention collective, ce qui pourrait être difficilement justifiable.

10 En ce qui concerne la Question 3, les agents négociateurs ont soutenu que l’obligation imposée aux ministères de participer au processus d’échange de postes s’entend d’une participation significative. Par exemple, ils étaient tenus de s’assurer que les employés non touchés avaient la possibilité de faire connaitre leur désir d’effectuer un échange de postes, de rendre les renseignements disponibles aux employés optants et de répondre aux demandes d’échange de postes de bonne foi, d’une manière efficace et raisonnable et sans égard aux facteurs qui ne sont pas expressément mentionnés dans l’ARE/ERE. Cette interprétation serait conforme à l’esprit et aux objectifs de l’ARE/ERE et serait en conformité avec des décisions arbitrales comme Giant Yellowknife Mines Ltd. v. C.A.S.A.W., (1990), 15 L.A.C. (4e) 52, laquelle a soutenu qu’une obligation contractuelle de consulter exigeait une consultation significative. En outre, l’employeur ne pouvait pas se soustraire à ses obligations en matière de réaménagement des effectifs en démontrant qu’il était dispendieux de s’y conformer, ce qui était implicite dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2002 CRTFP 23.

11 En réponse à la Question 4, les agents négociateurs ont affirmé que l’arbitre de grief devrait souligner que seuls les cas où les compétences nécessaires à un poste ne sont pas retenues constitueraient une raison valable justifiant le refus d’un échange. Toutefois, les agents négociateurs ont convenu qu’il serait justifié qu’un ministère rejette une demande d’échange de postes dans le cas où le remplaçant a déclaré son intention de démissionner ou de prendre sa retraite à une date ultérieure précise; aucune autre situation ne justifierait le rejet d’une demande d’échange de postes. Plus particulièrement, un ministère ne devrait pas être autorisé à rejeter une demande au seul motif qu’il planifiait une réorganisation future, même s’il serait raisonnable pour ce ministère d’aviser l’employé optant du fait que le poste risque d’être supprimé à la longue.

12 L’avocat de l’employeur a rappelé à l’arbitre de grief les principes de base de l’interprétation de la convention collective, tels qu’ils sont énoncés dans Collective Agreement Arbitration in Canada, 4e édition, (2009), de Palmer et Snyder aux pages 21 à 54. Les principes selon lesquels (i) l’intention des parties devait être déterminée par le libellé de la convention, (ii) il fallait donner au libellé son sens habituel, (iii) les conventions devaient être interprétées dans leur ensemble et (iv) les dispositions particulières primaient les dispositions générales, sont particulièrement pertinents.

13 À titre d’observation générale, l’employeur a soutenu que le processus d’échange de postes était un processus [traduction] « pris en charge par l’employé », et non [traduction] « hiérarchique ». Rien dans l’ARE/ERE ne donnait à penser le contraire.

14 En ce qui concerne la Question 1, l’employeur a soutenu qu’il n’avait aucune obligation d’établir un processus d’échange de postes. Une telle obligation ne découle pas de l’ARE/ERE. Les obligations des différents acteurs sont précisées de façon détaillée dans l’ARE/ERE; presque toutes les obligations étaient imposées aux employés ou aux ministères. L’employeur n’a aucun rôle dans le processus d’échange de postes. Il n’était pas légitime de se fonder sur les objectifs généraux de l’ARE/ERE pour créer des obligations à cet égard pour l’employeur. Quant à la clause 1.1.5, elle exige simplement que les ministères « […] établissent des systèmes facilitant la réaffectation ou le recyclage de leurs employé-e-s touchés et excédentaires et de leurs personnes mises en disponibilité »; il n’est pas légitime d’interpréter la « réaffectation » comme étant l’équivalent d’un échange de postes.

15 En ce qui concerne la Question 2, l’employeur a fait remarquer que la clause 6.1.3 de l’ARE/ERE accordait aux employés optants un délai de 120 jours pour faire un choix parmi les options qui leur étaient offertes. Il s’agissait de la période où les employés avaient l’occasion de prendre les dispositions pour les échanges de postes et de faire approuver ces échanges. Il incombait à la direction de décider, en vertu de la clause 6.2.4, s’il fallait approuver l’échange de postes. Sous réserve qu’elle donne une réponse dans le délai de 120 jours, la direction respectait l’ARE/ERE. Il n’était pas requis d’être en mesure de rendre une décision sur l’acceptabilité d’un échange de postes proposé au début du délai.

16 L’employeur a également fait valoir, à titre subsidiaire, que si un ministère contrevenait aux dispositions, la mesure de redressement appropriée serait d’indemniser l’employé en fonction des dommages découlant de la violation du contrat. Cela signifierait que l’arbitre de grief pourrait ordonner que l’employé soit mis dans la situation dans laquelle il aurait été si le contrat avait été scrupuleusement exécuté. Plus précisément, la seule situation où le recours à une mesure de redressement est possible, selon l’employeur, se présenterait si un employé choisissait de demeurer en poste et d’utiliser la période excédentaire. Si un tel employé était en mesure de démontrer qu’une demande valide d’échange de postes avait été rejetée par le ministère du fait que celui-ci n’avait pas de pratique en place, et si le ministère ne remédiait pas à ce manquement dans le délai de 120 jours, il conviendrait d’accorder à l’employé un nouveau délai de 120 jours ou un délai allant jusqu’à la fin de la période excédentaire (selon la première des deux éventualités) pour soumettre une demande d’échange de postes même si, normalement, les échanges de postes ne peuvent pas avoir lieu durant la période excédentaire.

17 En ce qui concerne la Question 3, l’employeur a affirmé que la participation des ministères au processus d’échange de postes signifiait simplement qu’ils devaient examiner toute demande d’échange de postes soumise par des employés optants. Leur obligation, aux termes de l’ARE/ERE, de participer au processus d’échange de postes ne leur imposait rien de plus.

18 En ce qui concerne la Question 4, l’employeur a souligné qu’un échange de postes pouvait avoir lieu uniquement entre un employé touché et un employé non touché pendant la période de réflexion. Cela démontre l’objectif évident de l’échange de postes, qui consiste à assurer la continuité de l’emploi pour l’employé touché et à permettre la suppression d’un poste. Par conséquent, les ministères ne devraient pas approuver un échange de postes lorsqu’ils savent que l’employé optant propose d’occuper un poste qui deviendra vacant dans peu de temps à la suite d’une retraite prévue ou d’une future réduction des effectifs. L’objectif de l’ARE/ERE était d’assurer la continuité de l’emploi, et non de permettre aux employés de se livrer à des [traduction] « tours de passe-passe ». Le but de l’élaboration du processus d’échange de postes était de permettre aux ministères de maintenir les employés dans des postes qui devaient exister de façon permanente. Approuver une demande d’échange de postes qui mènerait à une nouvelle situation de réaménagement des effectifs ne constituerait pas une planification efficace des ressources humaines et contreviendrait ainsi à la clause 1.1.2. La clause 1.1.17 de l’ARE/ERE exige que les ministères prévoient les conditions futures. La clause 6.2.4 avait clairement pour objet d’éviter l’absurdité découlant du fait d’autoriser un employé optant à échanger son poste avec un employé dont le poste serait également éliminé. Toutefois, selon l’employeur, les ministères ne pourraient refuser un échange de postes pour cette raison que s’ils étaient en mesure d’affirmer avec suffisamment de certitude qu’une démission ou une réorganisation était prévue.

Motifs

19 J’ai demandé aux parties, lors de la présentation des arguments, si les règles d’interprétation de l’ARE/ERE étaient les mêmes que celles qui s’appliquaient aux conventions collectives, aux lois ou à quelque chose d’autre. Je considère que cette question est importante, puisqu’il est bien établi que les règles d’interprétation diffèrent selon la nature du document en question, même si elles auront nécessairement beaucoup de points en commun avec les règles qui s’appliquent à d’autres types de documents. Comme l’a affirmé l’arbitre de grief dans Sudbury Mine Mill & Smelter Workers, Local 598 v. Falconbridge Nickel Mines (1955), 6 L.A.C. 56, au paragraphe 58 :

[Traduction]

[…] [I]l existe une distinction fondamentale, pour ne pas dire évidente, entre une convention collective ou tout autre document consensuel ayant pour objet d’appuyer l’accord des parties à la négociation, et une loi qui énonce une politique législative. Il se peut que des règles d’interprétation similaires ou des types de documents semblables soient appliquées à des conventions et à des lois lorsque l’on tente d’expliquer leur signification, mais elles ont des origines et des objectifs différents, lesquels sont des facteurs primordiaux dans l’évaluation du sens.

En réponse à ma question, les parties ont toutes convenu que l’ARE/ERE faisait partie intégrante des conventions collectives pertinentes et que le présent différend devait être traité strictement comme un problème d’interprétation des conventions collectives.

20 Dans la Question 1, selon mon interprétation des arguments présentés, les parties ont, en fait, posé deux questions :

a) Par opposition aux ministères, quelle est la responsabilité de l’employeur en vertu de l’ARE/ERE dans des domaines où des responsabilités spécifiques sont imposées aux ministères par l’ARE/ERE?

b) En vertu de l’ARE/ERE, l’employeur (ou des ministères) est-il tenu d’établir un système d’échange de postes ou d’établir des systèmes et des processus en vue de faciliter les occasions d’échange de postes?

21 En ce qui concerne la relation entre le Conseil du Trésor et les ministères aux fins de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, je tiens à souligner qu’il s’agit d’un sujet qui a été examiné à plusieurs occasions. Par exemple, dans une affaire antérieure entendue devant l’ancienne Commission, soit Institut professionnel du Service public du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe de l’économique, de la sociologie et de la statistique - Catégorie scientifique et professionnelle), dossier de la CRTFP 172-02-31 (19710714), l’ancienne Commission a déclaré ce qui suit :      

L’un des problèmes auxquels doivent faire face les législateurs quand ils définissent un régime de conventions collectives pour des fonctionnaires de l’État, dans n’importe quelle administration, est celui d’identifier la personne ou le groupe qu’on doit investir du pouvoir de parler et d’agir au nom de l’employeur. D’après la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, le groupe devant tenir ce rôle pour les éléments du service public mentionnés dans la Partie I de l’annexe A est le Conseil du Trésor. À cette fin, le Conseil du Trésor est le comité du Conseil privé de la Reine pour le Canada, établi par l’article 3 de la Loi sur l’administration financière, dont les paragraphes pertinents s’énoncent comme il suit :

(1) Est établi un comité du Conseil privé de la Reine pour le Canada appelé le Conseil du trésor auquel préside le président du Conseil du trésor, nommé par commission sous le grand sceau.

(2) Le comité qui forme le Conseil du Trésor se compose, en plus du président du Conseil du Trésor, du ministre des Finances et de quatre autres membres du Conseil privé de la Reine pour le Canada, que le gouverneur en conseil peut nommer à l’occasion.

C’est ce comité qui parle et agit au nom de la reine, c’est-à-dire qui « représente » la Reine, aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Mais ceci n’empêche aucunement que Sa Majesté soit l’employeur […]

[…]

À mon avis, conformément à cette décision, le Conseil du Trésor est le seul responsable en vertu de la loi de toute violation des conventions collectives par la direction dans les secteurs de la fonction publique où il est chargé de conclure ces conventions au nom de Sa Majesté. Il n’échappe pas à la responsabilité envers les employés ou les agents négociateurs pour ces violations en déléguant des fonctions aux ministères, peu importe que la délégation soit mentionnée ou non dans la convention collective. La responsabilité à l’égard de l’exécution des obligations imposées aux ministères dans les conventions collectives revient au Conseil du Trésor. Seul le Conseil du Trésor est habilité à recevoir les allégations de violation de convention collective portées par les employés ou les agents négociateurs. Le système établi par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne peut pas tenir compte de l’idée que les ministères, en vertu des conventions collectives, aient un rôle indépendant de celui du Conseil du Trésor. À mon avis, il s’ensuit que, même si l’ARE/ERE définit les différentes tâches et fonctions des ministères, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le Conseil du Trésor, est la seule responsable en vertu de cette loi de la conformité de la direction à l’égard de l’ARE/ERE.

22 De plus, en ce qui concerne la Question 1, les agents négociateurs ont allégué que l’employeur était tenu en vertu de l’ARE/ERE d’établir un système d’échange de postes ou d’établir des systèmes et des processus en vue de faciliter les possibilités d’échange de postes. Selon les agents négociateurs, ces obligations sont créées aux termes des clauses 1.1.5, 1.1.30 et 6.2.1 de l’ARE/ERE.

23 Les dispositions invoquées par les agents négociateurs ont été citées précédemment en l’espèce. Je ne suis pas convaincu que les clauses 1.1.30 et 6.2.1 font progresser le cas des agents négociateurs. Quant à la clause 1.1.30, elle n’exige l’établissement d’aucun système; elle exige seulement des ministères qu’ils coopèrent avec la Commission de la fonction publique et d’autres ministères afin de placer les employés touchés. Bien que je ne rejette pas la possibilité que la clause 1.1.30 s’applique aux échanges de postes, elle n’exige certainement pas des ministères qu’ils mettent en place des systèmes. De la même façon, la clause 6.2.1 n’impose aucune obligation d’établir des systèmes; elle exige seulement des ministères qu’ils participent au processus d’échange de postes. J’en dirai plus au sujet de la qualité et de la portée de la participation requise en vertu de la clause 6.2.1 lors de l’élaboration de mes motifs concernant la Question 3, mais je ne peux pas interpréter cette clause, seul ou en tenant compte d’autres dispositions, comme exigeant que les ministères établissent un système ou un processus quelconque pour faciliter les échanges de postes.

24 Cependant, selon la clause 1.1.5, l’établissement de systèmes « […] facilitant la réaffectation ou le recyclage [des…] employé-e-s touchés et excédentaires et [des…] personnes mises en disponibilité » est exigé. Le terme [traduction] « réaffectation » n’est utilisé dans aucune loi pertinente et il ne s’agit pas d’un terme technique (bien que le terme [traduction] « mutation » soit défini dans le paragraphe 2(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13). Le sens ordinaire du terme [traduction] « réaffectation » dans le dictionnaire, à mon avis, est le fait [traduction] « d’affecter (les troupes militaires, les employés ou les ressources) à un nouveau lieu ou à une nouvelle tâche » (voir www.oxforddictionaries.com). La question sur laquelle je dois me pencher est de savoir si le terme [traduction] « réaffectation » était censé inclure les échanges de postes. Je souscris à l’argument de l’employeur selon lequel ce serait une erreur, en principe, de donner au terme [traduction] « réaffectation » le sens d’« échange de postes ». Toutefois, dans un échange de postes, plusieurs événements se produisent : l’employé optant et le remplaçant se retrouvent; le ministère procède à l’examen de l’échange de postes proposé; puis les deux employés échangent leurs postes, l’employé optant occupera alors le poste qui est à conserver, et le remplaçant occupera le poste devant être supprimé. À mon avis, le terme [traduction] « réaffectation », bien que n’étant pas un synonyme d’« échange de postes », permet de décrire une partie de la notion d’échange de postes, à savoir le processus dans lequel deux employés échangent leurs postes. Il convient de rappeler que l’objectif même de l’ARE/ERE est de régler la question des mises en disponibilité et des éventuelles mises en disponibilité dans une situation de réaménagement des effectifs, et qu’il s’agit du contexte dans lequel les parties utilisent le terme [traduction] « réaffectation ». Je souligne également que les systèmes que les ministères doivent établir sont ceux qui permettront de faciliter la réaffectation, entre autres, des [traduction] « employés touchés », expression comprenant les employés optants. Je suis donc convaincu que la clause 1.1.5 s’applique au processus d’échange de postes.

25 L’obligation imposée à l’employeur dans la clause 1.1.5 est d’« […établir] des systèmes facilitant la réaffectation […] de [ses] employé-e-s touchés […] ». Étant donné le peu d’arguments que j’ai reçu relativement à la Question 1, je n’ai pas l’intention d’énoncer dans la présente décision provisoire les paramètres de cette obligation. Il me suffit de déclarer que l’obligation englobe le fait d’aider les employés optants à échanger leurs postes avec des remplaçants.

26 Dans la Question 2, les parties ont demandé si le fait qu’un ministère informe les employés qu’il n’est pas encore prêt à examiner les demandes d’échange de postes constitue une violation de l’ARE/ERE.

27 L’ARE/ERE ne contient aucune disposition explicite selon laquelle les employés désirant échanger leurs postes disposent d’un délai de 120 jours pour le faire. Toutefois, il n’y a aucun désaccord entre les parties quant au fait que, puisque seuls les « employés optants » peuvent échanger leurs postes (clause 6.2.3) et qu’un employé acquiert le statut d’employé optant dès qu’il a été informé qu’il ne recevra pas de garantie d’offre d’emploi raisonnable (clause 6.1.2), et puisque le statut de l’employé optant expire après 120 jours (clause 6.1.4), un échange de postes ne peut avoir lieu que pendant la période de 120 jours suivant la date où l’employé est réputé employé optant. Avant la fin de cette période, un employé qui désire échanger son poste doit non seulement prendre les dispositions auprès d’un employé non touché, mais aussi soumettre sa demande à la direction aux fins d’examen. De toute évidence, une fois le compte à rebours commencé, les employés ont tout intérêt à rechercher des échanges de postes proposés dans les plus brefs délais après avoir été informés qu’ils ne recevront pas de garantie d’offre d’emploi raisonnable.

28 Plusieurs problèmes éventuels découlant du délai accordé pour les échanges de postes sont envisageables. À titre d’exemple important, il me semble, mentionnons les occasions où un ministère ne dispose pas de suffisamment de temps pour examiner la demande et y répondre, soit parce que l’employé n’a soumis la demande pour approbation que tard au cours de la période de 120 jours ou à cause du temps requis au ministère pour rendre une décision.

29 Cependant, à la Question 2, les parties n’ont pas posé de question au sujet de la situation exposée au paragraphe précédent. Ils se sont plutôt questionnés à savoir si un ministère violait l’ARE/ERE lorsqu’il déclarait qu’il n’était pas encore prêt à examiner les demandes d’échange de postes. À la Question 2, les agents négociateurs ont suggéré que les ministères devraient peut-être disposer d’une période raisonnable, après la déclaration d’une situation de réaménagement des effectifs, pour prendre les dispositions nécessaires à l’approbation des échanges de postes.

30 Aux termes de l’ARE/ERE, tous les ministères doivent « participer au processus d’échanges de postes » (clause 6.2.1). Si un ministère n’est pas prêt à répondre avant la fin du délai de 120 jours aux demandes d’échanges de postes qui ont été présentées en temps opportun, il me semble qu’il n’a pas réussi à se conformer à cette obligation. Cependant, à mon avis, si un ministère informe les employés qu’il n’est pas encore prêt à examiner ces demandes, mais qu’il réussit quand même à répondre dans le délai de 120 jours, il n’y a aucune violation.

31 Dans leurs arguments, les parties ont abordé les mesures de redressement qui pourraient être accordées aux employés dont les carrières ont été durement touchées par ces manquements occasionnés par les ministères. De façon générale, je souscris à l’argument de l’employeur selon lequel même si un ministère tarde à établir les procédures d’approbation des échanges de postes, il ne contrevient pas à l’ARE/ERE s’il est en mesure d’examiner soigneusement une demande d’échange de postes et de prendre une décision avant la fin du délai de 120 jours. Je suis également d’accord avec l’argument de l’employeur selon lequel, dans le cas où une réparation pécuniaire est appropriée, le montant des dommages correspondrait à celui qui s’applique en cas de rupture de contrat. En outre, je ferais simplement remarquer que les arbitres de grief ont un large pouvoir de redressement. J’hésiterais énormément, dans la présente décision provisoire, à essayer d’énumérer toutes les situations possibles à la portée de la Question 2 qui pourraient être soulevées et les réparations qui pourraient être appropriées pour chaque cas.

32 Dans la Question 3, les parties ont demandé à connaitre la nature de la participation des ministères requise dans un processus d’échanges de postes.

33 J’ai mentionné précédemment, en ce qui concerne la Question 1, que la clause 1.1.5 de l’ARE/ERE exigeait d’établir des systèmes visant à aider les employés optants à échanger leurs postes avec des remplaçants. Comme je l’ai indiqué en réponse à la Question 2, les ministères doivent aussi être prêts à recevoir les demandes d’échange de postes et à y faire suite dans un délai de 120 jours. De façon plus générale, la participation ne peut être symbolique ni de pure forme : il doit y avoir une volonté réelle d’aider les employés désirant échanger leurs postes et d’examiner les demandes d’échange de postes, mais il faut y procéder dans le cadre de l’ARE/ERE. Je ne crois pas qu’il serait utile aux parties que je donne un avis plus précis sur la nature de la participation requise en vertu de la clause 6.2.1 : tout différend quant à la conformité de l’employeur à la clause 6.2.1 devrait être examiné attentivement au cas par cas.

34 Dans la Question 4, les parties ont demandé si un ministère avait le droit de rejeter une demande d’échange avec un poste qu’il n’a pas l’intention de pourvoir.

35 En vertu de la clause 6.2.4, la direction décide si « […] l’employé-e optant répond aux exigences du poste du remplaçant et aux besoins de l’administration publique centrale ». Cette disposition implique manifestement que, si la demande d’échange proposée risque de ne pas avoir comme résultat la rétention des compétences requises, la direction peut refuser l’échange de postes envisagé. La disposition permet, d’abord et avant tout, l’examen des aptitudes de l’employé optant à assumer les fonctions du poste qu’il propose d’occuper. Toutefois, elle donne aussi à la direction une grande marge de manœuvre pour évaluer « […les] exigences du poste […] et [les] besoins de l’administration publique centrale ».

36 Mis à part la clause 6.2.4, l’ARE/ERE ne donne à la direction aucune latitude pour rejeter une demande d’échange de postes qui est conforme aux dispositions portant sur l’échange de postes. Aux termes de l’ARE/ERE, un échange « […] a lieu lorsqu’un employé-e optant qui préférerait rester dans l’administration publique centrale échange son poste avec un employé-e non touché (le remplaçant) qui désire quitter l’administration publique centrale, conformément aux dispositions de la partie VI du présent appendice » (clause 6.2.2). À part la clause 6.2.4, il n’y a aucune exigence d’obtenir l’approbation de la direction ni aucun pouvoir discrétionnaire expressément conféré à la direction lui permettant de rejeter une demande d’échange de postes, pourvu que l’échange soit conforme aux dispositions de la partie VI de l’ARE/ERE.

37 L’employeur a soutenu que la clause 1.1.2, en vertu de laquelle il doit « [réaliser] une planification efficace des ressources humaines », est également pertinente à l’évaluation par l’employeur des demandes d’échanges de postes puisqu’il lui permettrait de rejeter les demandes qui iraient à l’encontre de l’objectif de planification efficace des ressources humaines. Je ne suis pas d’accord avec cet argument puisque, selon le libellé exprès de l’article 1.1.2, l’exigence de réaliser une planification efficace des ressources humaines vise à « […] réduire au minimum les répercussions d’un réaménagement des effectifs sur les employé‑e‑s nommés pour une période indéterminée, sur le ministère ou l’organisation et sur la fonction publique ». Je suis donc convaincu que l’employeur ne peut pas invoquer la nécessité de réaliser une planification efficace des ressources humaines comme un motif indépendant pour rejeter les demandes d’échanges de postes.

38 Dans la Question 4, les parties ont envisagé un scénario particulier, soit celui où le ministère n’aurait pas l’intention de pourvoir le poste du remplaçant proposé une fois qu’il est vacant. Selon ma compréhension de la question, les parties veulent savoir si un ministère a le droit, en vertu de l’ARE/ERE, de rejeter une demande d’échange de postes visant à occuper un poste qui, à la connaissance du ministère, sera vacant dans peu de temps et ne sera pas doté par la suite. Les exemples que les parties ont donnés à la Question 4 correspondent à des situations où le remplaçant aurait l’intention de démissionner ou de prendre sa retraite, ou à des situations où l’on prévoit une réorganisation ou une réduction des effectifs.

39 À mon avis, la clause 6.2.4 n’a aucun rapport avec la possibilité du refus d’une demande d’échange de postes dans ce scénario. La disposition porte sur la nécessité de s’assurer que tout « […] employé-e optant répond aux exigences du poste du remplaçant et aux besoins de l’administration publique centrale ». Selon mon interprétation de cette clause, la préoccupation soulevée par les parties au moyen de l’utilisation du libellé mentionné ci-dessus réside dans la conservation des compétences requises au sein de la fonction publique. La clause 6.2.4 autorise le ministère à refuser un échange de postes proposé seulement s’il est convaincu que l’échange entre l’employé optant et le remplaçant risque d’entraîner une perte des compétences requises. Je ne peux l’interpréter comme l’expression d’une préoccupation liée au fait que, au moyen de l’échange de postes proposé, la fonction publique risque de se retrouver avec des employés dont les compétences ou les services ne sont pas requis de façon continue. Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire accordé au ministère en vertu de cette clause ne peut pas être utilisé pour s’assurer que la fonction publique ne se retrouve pas avec des employés excédentaires par rapport aux exigences présentes ou prévues, ce qui semble être l’idée que les parties avaient relativement à la Question 4.

40 Même si l’employeur, dans ses arguments, ne m’a pas demandé expressément de conclure à l’existence de dispositions implicites dans l’ARE/ERE, c’était, à mon avis, essentiellement le thème de ses arguments relativement à la Question 4. Selon ma compréhension de ses arguments, il a tacitement reconnu que la réponse qu’il voulait que je donne à cette question ne se fondait pas sur les dispositions formelles de l’ARE/ERE, lesquelles ne pouvaient justifier la réponse qu’il cherchait à obtenir. Ainsi, selon moi, je dois examiner si une telle disposition implicite existe.

41 Je dois préciser que j’ai l’intention de m’appuyer sur Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels - CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 120, relativement à la question du critère permettant de déceler les dispositions implicites dans les conventions collectives. Dans cette décision, l’arbitre de grief a cité et approuvé McKellar General Hospital v. Ontario Nurses’ Assn. (1986), 24 L.A.C. (3e) 97, où, à la page 107, l’arbitre de grief a affirmé que le pouvoir de déclarer l’existence d’une disposition implicite ne devait être exercé qu’en présence des deux conditions suivantes :

[Traduction]

(1) s’il est nécessaire de laisser entendre une disposition afin de rendre un contrat « efficace au plan commercial et de la convention collective » autrement dit, pour faire en sorte que la convention collective puisse être exécutée;

(2) si, après avoir pris connaissance de l’omission de la disposition, les deux parties à l’entente conviennent sans hésitation de l’inclure.

Je reconnais que la décision de la Cour suprême du Canada dans Nouveau-Brunswick c. O’Leary, [1995] 2 R.C.S. 967, a été considérée dans certaines décisions arbitrales comme établissant une approche permissive en ce qui a trait aux dispositions implicites dans les conventions collectives : voir, par exemple, la discussion dans Palmer et Snyder, aux pages 32 à 36. Toutefois, il me semble difficile de croire que la Cour suprême du Canada voulait conférer aux arbitres de différend et de grief le pouvoir absolu de déclarer l’existence de dispositions implicites dans les conventions collectives chaque fois qu’ils estimaient raisonnable ou souhaitable de le faire. Le fait de conférer aux arbitres de grief et de différends un vaste pouvoir discrétionnaire leur donnant une marge de manœuvre pour ajouter ou soustraire des éléments des dispositions des conventions collectives négociées à la table de négociation est susceptible de porter tellement préjudice à l’institution de la négociation collective qu’il me faudrait une ordonnance beaucoup plus claire à cet égard d’une cour supérieure pour me convaincre qu’il faut abandonner l’approche traditionnelle et restrictive adoptée en vue de déceler les dispositions implicites, tel qu’il est énoncé, par exemple, dans McKellar General Hospital.

42 Il convient de noter que les agents négociateurs ont reconnu dans leurs arguments qu’il serait légitime pour un ministère de refuser un échange de postes proposé si le remplaçant prévu avait déjà donné un préavis de démission ou de départ à la retraite, prenant effet à une date précise, et si le ministère avait pris la décision de ne pas pourvoir le poste une fois vacant. Puisque ce critère n’est mentionné nulle part dans l’ARE/ERE, je crois comprendre que la position des agents négociateurs est qu’ils admettent que l’existence d’une disposition implicite à cet égard serait raisonnable.

43 Mis à part ce que les agents négociateurs ont admis, y a-t-il un fondement approprié pour conclure à l’existence d’une disposition implicite accordant à l’employeur le pouvoir de refuser un échange de postes proposé au motif qu’il n’a pas l’intention de pourvoir le poste? Je ne suis pas convaincu que je suis autorisé à déceler ces dispositions implicites. Comme je l’ai mentionné précédemment, une partie qui propose qu’une disposition implicite doive être décelée doit démontrer la nécessité de la disposition sur le plan de l’efficacité de la convention collective. Dans le contexte du scénario exposé par les parties dans la Question 4, je peux comprendre qu’une telle disposition puisse être raisonnable, en ce sens que, si les parties en avaient fait une disposition expresse, on aurait pu facilement comprendre sa place dans l’entente et son rôle dans le système d’échange de postes. Cependant, les arguments de l’employeur n’ont pas indiqué que l’absence de cette disposition implicite était susceptible de lui créer d’importants problèmes. Tout au plus, selon les arguments de l’employeur, l’employé optant risquait-il d’être muté involontairement du poste en question pour se retrouver dans une nouvelle situation de réaménagement des effectifs, ce qui ne constituerait guère une planification efficace de la main-d’œuvre et ne saurait être souhaitable. Cette préoccupation de l’employeur, bien que légitime, ne me convainc pas qu’il est nécessaire de trouver une disposition implicite pour le bon fonctionnement de la convention collective.

44 Par conséquent, en réponse à la Question 4, je conclus que la seule situation où un ministère pourrait refuser un échange de postes proposé (autres que les situations expressément prévues dans l’ARE/ERE) serait celle où le remplaçant prévu a déjà donné un préavis de démission ou de départ à la retraite, prenant effet à une date précise, et où le ministère avait pris la décision de ne pas pourvoir le poste une fois vacant.

45 Grâce aux réponses données plus tôt en l’espèce aux questions que les parties m’ont soumises, je suis persuadé qu’ils seront en mesure de résoudre la totalité ou la plupart de leurs conflits concernant l’échange de postes. Je demeure saisi de ces deux griefs pour statuer sur tout litige y afférent que les parties ne parviendront pas à résoudre. Les parties disposeront d’un délai de 90 jours à compter de la date de la présente décision pour déterminer toute autre question pour laquelle ils veulent obtenir une décision. Si de telles questions sont déterminées, des directives seront données.

Le 9 avril 2013

Traduction de la CRTFP

Michael Bendel,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.