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Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que le défendeur avait violé son obligation de négocier de bonne foi, contrevenant ainsi à l'alinéa 190(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<Loi>>), lorsque celui-ci a omis de divulguer ou de notifier de quelque façon que ce soit la décision à venir de fermer dix centres dirigés par la Garde côtière canadienne - le défendeur a soulevé une objection préliminaire quant à la compétence de la Commission à trancher la plainte au motif qu'elle avait été déposée après le délai prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi - les parties étaient en cours de négociation et, dans le cadre des réunions, le plaignant a demandé au défendeur s’il avait la moindre intention de fermer ou de réduire le nombre de centres de Services de communication et de trafic maritime (CSCTM) qu’il exploite dans l’ensemble du Canada - le plaignant a indiqué qu'il souhaitait négocier une augmentation de la rémunération de ses membres en retour d’un appui à un quelconque regroupement - le défendeur a répliqué à chaque fois qu’il ne pouvait pas répondre à la question car de tels projets étaient soumis aux règles du secret ministériel - pendant les négociations, le ministère était soumis à un examen stratégique dont les progrès faisaient l’objet de discussions lors de chaque réunion patronale-syndicale - durant les négociations, le défendeur a annoncé le regroupement de deux CSCTM - après avoir finalisé les négociations, mais avant la signature de la convention collective, le syndicat a été informé de la fermeture de plusieurs CSCTM, touchant 184 membres de l’unité de négociation - le plaignant a déposé cette plainte - la formation de la Commission a conclu que l’objet de la plainte consistait à savoir si le défendeur s'était acquitté de son obligation d'informer le plaignant, au cours des négociations, des changements importants qui auraient des répercussions sur l'unité de négociation - la preuve a démontré que le plaignant était au courant des fermetures imminentes des CSCTM - son objectif était de connaître l’ampleur des répercussions sur l’unité de négociation - on n’a pas empêché le plaignant de participer pleinement et efficacement au processus de négociation collective - par conséquent, la plainte a été déposée hors du délai prescrit par la Loi. Dossier clos par ordonnance.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-04-18
  • Dossier:  561-02-575
  • Référence:  2013 CRTFP 42

Devant une formation de la
Commission des relations de
travail dans la fonction publique


ENTRE

SYNDICAT NATIONAL DE L’AUTOMOBILE, DE L’AÉROSPATIALE, DU TRANSPORT
ET DES AUTRES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU CANADA, 2182
(TCA-CANADA 2182)

plaignant

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Pêches et des Océans)

défendeur

Répertorié
Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada, 2182 (TCA-Canada 2182) c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et Océans)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour le plaignant:
Anthony Dale, avocat

Pour le défendeur:
Sean F. Kelly, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 14 février 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 21 juin 2012, le plaignant, le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada, 2182 (TCA-Canada 2182), a déposé une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), alléguant que le défendeur, le Conseil du Trésor, n’avait pas négocié de bonne foi, contrevenant ainsi à l’alinéa 190(1)b) de la Loi. Selon l’allégation, l’employeur a omis de divulguer ou de notifier de quelque façon que ce soit la décision à venir de fermer dix centres des Services de communication et de trafic maritime (les « CSCTM ») dirigés par la Garde côtière canadienne (la « GCC »), touchant ainsi 184 membres de l’unité de négociation.

2 Le défendeur s’est opposé à ma compétence au motif que la plainte était irrecevable au regard de la loi étant donné qu’elle avait été déposée en dehors du délai obligatoire de 90 jours prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi.

3 Le 10 août 2012, j’ai ordonné que la présente affaire soit mise au rôle afin d’entendre les arguments quant au respect des délais pour le dépôt de la plainte avant qu’elle puisse être instruite sur le fond.

II. Résumé de la preuve

4 Les parties se sont entendues sur le fait que le plaignant avait signifié un avis de négocier au défendeur le 7 janvier 2011. La convention collective applicable prenait fin le 30 avril 2011. Au cours de réunions qui ont eu lieu les 22 et 23 février 2011, le plaignant a demandé au représentant du défendeur à la table de négociation si le défendeur avait l’intention de fermer ou de réduire le nombre de CSCTM qu’il dirigeait dans l’ensemble du Canada. Le plaignant a déclaré avoir posé la question parce qu’il n’était pas au courant de l’existence de tels plans. Le défendeur a refusé de répondre à la question et a déclaré que de tels plans étaient soumis aux règles du secret ministériel.

5 Les parties ont aussi convenu que le plaignant avait posé la même question au défendeur le 9 novembre 2011. La réponse du défendeur a été la même, soit que de tels plans étaient soumis aux règles du secret ministériel.

6 Les parties se sont rencontrées de nouveau en décembre 2011. Le plaignant a souligné que, selon lui, si d’importants changements concernant le personnel devaient être mis en œuvre, alors les économies devaient se traduire par une augmentation de la rémunération pour les membres restants de l’unité de négociation. Un accord de principe a été conclu le 7 mars 2012, ratifié le 25 avril 2012 et signé le 25 mai 2012.

7 Le 14 mai 2012, le défendeur a annoncé au plaignant que la GCC, un organisme de service spécial du ministère des Pêches et des Océans (le « MPO »), regrouperait les 22 CSCTM restants en 11 centres. Lors des négociations du 13 octobre 2011, le défendeur avait annoncé le regroupement des CSCTM d’Inuvik et d’Iqaluit.

8 Michel Vermette, sous-commissaire, Approvisionnement des navires de la GCC, a témoigné au nom du défendeur. À l’époque pertinente, il détenait la responsabilité fonctionnelle du programme des CSCTM dirigés par la GCC à 22 endroits au Canada. Les CSCTM fournissent aux navigateurs des services de gestion du trafic maritime et des services lors de situations de détresse, et jouent un rôle en ce qui concerne la protection environnementale des eaux canadiennes.

9 En 2011, le MPO était soumis à un examen stratégique, dans le cadre duquel on lui a demandé d’examiner tous les programmes qu’il gérait. L’objet de cet examen était de reconnaître les programmes les moins prioritaires qui pourraient être réduits ou supprimés au profit de programmes de plus grande importance. Le MPO a fourni au défendeur des propositions aux fins d’examen par le Cabinet. La soumission de ces propositions a été suivie par un examen stratégique et fonctionnel, qui est devenu peu après le « plan d’action pour la réduction du déficit », annoncé dans le budget du gouvernement fédéral du 24 juin 2011.

10 On a demandé à tous les ministères de désigner les programmes à faible priorité et de soumettre des propositions pour la réduction des dépenses globales. M. Vermette a dirigé l’examen au nom du MPO. Les propositions présentées au défendeur étaient visées par le secret ministériel, et personne n’a su ce que le Cabinet avait approuvé avant l’annonce du budget, le 29 mars 2012. En juin 2012, le MPO a divulgué des précisions à savoir quelles propositions allaient être mises en œuvre. L’une des propositions acceptées consistait en la fermeture de 11 des 22 CSCTM restants.

11  Pendant la période visée, M. Vermette a assisté à des réunions syndicales-patronales tant à la GCC qu’au MPO. Martin Grégoire, président du plaignant, était à chacune de ces réunions, à l’exception de la réunion de la GCC tenue le 4 octobre 2011 (voir pièce 1, onglets 2, 3, 4, 7 et 8). Le procès-verbal de chacune des réunions a été fourni aux membres des comités, dont M. Grégoire.

12 Lors de chaque réunion, il a été question des progrès de l’examen stratégique et fonctionnel. On a expliqué aux personnes présentes qu’on procédait actuellement à une réaffectation des ressources des programmes, en fonction de l’importance des priorités, laquelle serait plus claire après l’annonce du budget. En attendant, les propositions demeureraient secrètes. Les syndicats seraient avisés avant que des annonces soient faites.

13 Alex Li était directeur, Systèmes de sécurité et d’intervention environnementale, Services maritimes, GCC, à l’époque pertinente. Il a également témoigné au nom du défendeur. Il a représenté la GCC à la table de négociation avec le plaignant en 2011 et 2012. Il était présent lorsque les parties se sont rencontrées les 22 et 23 février 2011, les 7 et 8 novembre 2011, les 6, 7 et 8 décembre 2011 ainsi que les 6, 7 et 25 mars 2012.

14 Lors des réunions des 22 et 23 février 2011, on a discuté des CSCTM. Le 22 février, le plaignant a demandé à M. Li s’il y aurait des fermetures de CSCTM. Le plaignant a indiqué qu’il souhaitait négocier une augmentation de la rémunération de ses membres en échange de son soutien au regroupement des CSCTM. M. Li a refusé de répondre à la question en invoquant les règles du secret ministériel.

15 Le 27 février 2011, M. Li a reçu un courriel de M. Grégoire au sujet des demandes du groupe Radiotélégraphie (RO) visant à obtenir des indemnités ou des augmentations supplémentaires (pièce 1, onglet 5). M. Grégoire y abordait la question de la justification pour les augmentations de salaire plus élevées que la moyenne en ce qui concerne le groupe RO et y mentionnait le regroupement de CSCTM et les économies qui seraient réalisées.

16 Encore une fois, le 9 novembre 2011, soit après l’annonce d’octobre 2011 du regroupement des CSCTM d’Inuvik et d’Iqaluit, la même question a été posée à M. Li. Celui-ci a répété sa réponse antérieure selon laquelle il ne pouvait pas confirmer si une telle proposition était présentée aux fins d’examen par le Cabinet, étant donné que les propositions de ce type étaient visées par le secret ministériel. La question n’a jamais été soulevée de nouveau par le plaignant.

17 Le plaignant n’a présenté aucune preuve.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

18 Le défendeur a fait valoir que la plainte avait été déposée en retard. Le MPO a commencé son examen stratégique en 2010 et 2011. Le plaignant était au courant que le MPO participait au processus et savait ce qui pourrait en découler. Lorsque la négociation accélérée a commencé entre les parties en février 2011, le plaignant avait eu ou aurait dû avoir connaissance du fait que des CSCTM fermeraient leurs portes. C’est pourquoi il a expressément posé la question. Cette affirmation est corroborée par le courriel provenant du président du plaignant (pièce 1, onglet 5). Le plaignant ne savait pas précisément ce qui allait se produire, mais il savait que quelque chose allait se produire; autrement, il aurait cité M. Grégoire comme témoin. M. Grégoire était dans la salle lors de l’audience.

19 Le plaignant n’a rien fait lorsqu’il n’a reçu aucune réponse à la question qu’il avait posée en février 2011, au cours des négociations, à savoir si des CSCTM seraient fermés. Il a continué d’assister à des réunions syndicales-patronales, où l’on discutait d’examens stratégiques et d’examens stratégiques et fonctionnels. Il a continué d’assister aux séances de négociation. Encore une fois, après l’annonce du regroupement des CSCTM d’Inuvik et d’Iqaluit, en octobre 2011, le plaignant n’a rien fait. En novembre 2011, la question a de nouveau été posée, puis la même réponse a été formulée et, encore une fois, le plaignant n’a rien fait. À ce moment, le plaignant avait l’avantage d’être au courant des discussions sur l’examen stratégique et fonctionnel, de la redistribution des ressources des programmes en fonction de l’importance des priorités, des deux refus de fournir les renseignements demandés et du regroupement des CSCTM d’Inuvik et d’Iqaluit, et il n’a pourtant rien fait.

20 Au début de mars 2012, les parties ont conclu un règlement au moyen de la médiation, en sachant que d’autres mesures de réduction des coûts seraient annoncées dans le budget prévu pour le 29 mars 2012. Le plaignant savait que des décisions sur l’examen stratégique et fonctionnel étaient imminentes et il s’est empressé de signer la nouvelle convention collective. La pièce 1, à l’onglet 13, énonce ce qui suit :

[Traduction]

« Le comité de négociation croyait qu’il était important de négocier une convention collective avec cet employeur difficile avant la publication du budget fédéral par le gouvernement Harper, le 29 mars », a dit Martin Grégoire, président de la section locale 2182 des TCA. « Il est certain que le budget comprendra d’autres mesures d’austérité qui auront des conséquences négatives sur les travailleurs de l’ensemble de la fonction publique fédérale », a-t-il ajouté.

21 Aucune plainte n’a été déposée après la conclusion de l’accord de principe. Le 14 mai 2012, le plaignant a été informé de la fermeture de 11 des 22 CSCTM restants et il n’a rien fait. Le 25 mai 2012, l’accord de principe a été signé. Un mois plus tard, le plaignant a déposé la plainte.

22 Selon un principe bien établi de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), le délai de 90 jours prescrit par la Loi est obligatoire et ne peut pas être prolongé. Voir Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 106; Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98; Dumont et al. c. Ministère du Développement social, 2008 CRTFP 15; Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, 2010 CRTFP 7.

23 Pour déterminer la date de début du délai prescrit, il faut d’abord déterminer l’essence de la plainte, puis l’événement déclencheur (voir Boshra, 2011 CAF 98, au paragraphe 40). L’essence de la présente plainte correspond au fait que le défendeur n’a pas divulgué de renseignements qui peuvent avoir eu des répercussions importantes sur les négociations en cours.

24 Le plaignant savait qu’il était possible que des CSCTM ferment leurs portes, tel qu’il a été démontré par la pièce 1, onglet 5, et le fait que M. Grégoire n’a pas témoigné au nom du plaignant. Le plaignant ne connaissait peut-être pas les détails, mais il disposait de renseignements généraux à ce sujet. Un plaignant ne doit pas avoir un degré minimal ou maximal de connaissance avant de déposer une plainte (voir Éthier, au paragraphe 21).

25 Les fermetures de CSCTM ne constituent pas l’essence de la plainte en l’espèce. Celle-ci porte plutôt sur le refus du défendeur de répondre aux questions du plaignant lors du processus de négociation collective. Le plaignant savait, en février 2011, qu’il n’obtiendrait pas les renseignements demandés. Le défendeur a encore une fois refusé de les lui fournir en novembre 2011. C’est le refus de fournir les renseignements demandés qui déclenche le départ du délai prescrit. Voir Larocque c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 77. Aucun mensonge n’a été proféré et aucun renseignement douteux n’a été fourni. Le défendeur a catégoriquement refusé de fournir les renseignements demandés.

26 Malgré les deux refus de fournir les renseignements demandés, le plaignant a continué de négocier avec le défendeur et il a ultimement signé une nouvelle convention collective. Les discussions en cours n’avaient pas pour effet de prolonger le délai prescrit; voir International Brotherhood of Electrical Workers, Local 424 v. Jim Pattison Sign Company, [1987] Alta. L.R.B.R. 313 (QL).

27 Les décisions du Conseil canadien des relations industrielles (le « CCRI ») ne s’appliquent pas en l’espèce, car l’approche du CCRI est incompatible avec les décisions de la Commission et de la Cour d’appel fédérale rendues en vertu de l’article 190 de la Loi. La Loi ne peut pas être violée perpétuellement. Le CCRI a le pouvoir discrétionnaire de prolonger les délais pour le dépôt de plaintes, ce qui n’est pas le cas de la Commission. Voir England c. Taylor et al., 2011 CRTFP 129, au paragraphe 16.

B. Pour le plaignant

28 Le défendeur a adopté le mauvais point de vue en prenant en considération des mesures isolées au lieu des circonstances dans leur ensemble. L’obligation de négocier de bonne foi est permanente et continue. Comme la Commission n’a rendu aucune décision sur l’obligation de négocier de bonne foi, l’acte législatif se rapprochant le plus d’une telle décision doit être examiné. En l’espèce, les sources appropriées fournissant des orientations sont les décisions du CCRI rendues en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2.

29 Pour déterminer la nature même de la plainte en l’espèce, il est important de préciser la nature des allégations. Une fois que celle-ci a été circonscrite, la Commission peut ensuite établir le moment où le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des circonstances donnant lieu aux allégations. Voir Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 13, au paragraphe 24.

30 En l’espèce, l’essence de la plainte réside dans la non-divulgation de la décision du défendeur de fermer les CSCTM. Cette non-divulgation est devenue importante seulement lors de l’annonce des fermetures, le 14 mai 2012. La fermeture du CSCTM d’Inuvik et les réunions syndicales-patronales n’ont eu aucune incidence sur les décisions liées à la sécurité d’emploi. Étant donné que la sécurité d’emploi est une question très importante pour le plaignant et qu’elle aurait eu une forte incidence sur la façon dont il a négocié, il s’attendait à ce qu’on lui fournisse les renseignements. C’est pourquoi il a posé la question. Sans les renseignements, le plaignant n’avait pas la possibilité de négocier pleinement avec le défendeur.

31 Ces renseignements essentiels ont été divulgués seulement après la signature de la nouvelle convention collective. Le fait que les renseignements n’aient pas été communiqués n’est devenu significatif que le 14 mai 2012, lors de l’annonce des fermetures de CSCTM.

32 Dans Iberia, Lignes aériennes d’Espagne (1990), 80 di 165, le prédécesseur du CCRI, le Conseil canadien des relations du travail, a estimé que le fait de forcer une partie à déposer une plainte afin de s’assurer que les délais prescrits étaient respectés chaque fois qu’elle recevait une réponse qu’elle n’aimait pas ne constituait pas des relations de travail efficaces. Une telle pratique ne contribuerait pas à l’efficacité du processus de négociation. Par conséquent, une plainte peut être déposée dans les 90 jours suivant la fin du processus de négociation collective. Selon cette approche, le défendeur a manqué à son obligation de négocier de bonne foi jusqu’à la ratification de la convention collective, soit au moins jusqu’au 15 avril 2012.

33 Selon Air Canada Pilots Association v. Air Canada (1996), 60 L.A.C. (4e) 176, le délai prescrit commence à courir à la date à laquelle un syndicat a connaissance du fait qu’il a un motif de plainte. En l’espèce, cette date était le 14 mai 2012. Si la Commission juge que la plainte concernant le refus de répondre aux questions a été déposée en retard, elle devrait entendre la preuve sur les questions visant à déterminer si l’obligation d’y répondre a continué d’être en vigueur jusqu’à la fin du processus de négociation collective, c’est-à-dire jusqu’à la date de la signature de la convention collective, le 25 mai 2012; voir Transport Rapide International D.H.L. Ltée, CCRI, décision 20608-C. Dans cette affaire, le CCRI a examiné une preuve déposée après le délai prescrit de 90 jours afin de déterminer si on avait manqué au devoir de représentation équitable.

IV. Motifs

34 Le plaignant voudrait que je lui donne gain de cause en me fondant sur ce qu’il a affirmé, c’est-à-dire que le défendeur n’a pas divulgué de renseignements, ce qui, selon le plaignant, l’a empêché de participer pleinement au processus de négociation collective. Le défendeur voudrait que je lui donne gain de cause en me fondant sur le fait qu’il a opposé un refus clair et net aux demandes de renseignements du plaignant pendant le processus de négociation collective.

35 Ces motifs portent directement sur la première tâche que je dois accomplir afin de déterminer si la plainte a été déposée à l’intérieur du délai prescrit. Au paragraphe 40 de Boshra, la Cour d’appel fédérale a indiqué clairement le processus permettant de déterminer le point de départ du délai pour le dépôt de plaintes en vertu de l’article 190 de la Loi. Dans ses propres mots, la Cour d’appel fédérale a indiqué que la Commission « […] devait définir "la plainte" et décider si [le plaignant] avait eu — ou aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu », lorsqu’elle évaluait si une plainte avait été déposée à l’intérieur du délai prescrit de 90 jours.

36 En ce qui concerne la plainte en l’espèce, il s’agit de déterminer si le défendeur s’est acquitté ou non de son obligation d’informer le plaignant, au cours des négociations, des changements importants qui auraient des répercussions sur l’unité de négociation pour laquelle il négocie. Plus précisément, le défendeur a-t-il informé les représentants de l’unité de négociation des fermetures possibles des CSCTM?

37 Je conclus que l’essence de la présente plainte réside dans le fait que le défendeur n’a pas fourni les renseignements dont le plaignant croyait avoir besoin pour participer pleinement aux négociations collectives. Il est bien établi par la loi que le défendeur a l’obligation de divulguer les renseignements qui auront des répercussions importantes sur la négociation collective. Bien que, en l’espèce, le défendeur n’ait pas été entièrement transparent dans le cadre de ses communications avec le plaignant au sujet des fermetures de CSCTM, il a été communiqué, dans la mesure du possible, dans les diverses tribunes auxquelles les représentants syndicaux ont assisté, que des réductions de service étaient inévitables.

38 J’ai examiné tous les documents produits dans la pièce 1. J’ai aussi écouté attentivement le témoignage oral du défendeur au sujet de ce que le plaignant savait, en particulier son président, M. Grégoire. Je ne crois pas que le plaignant n’ait eu aucune connaissance des fermetures imminentes de CSCTM.

39 Le plaignant devait avoir eu connaissance, au plus tard en octobre 2011, lors de la fermeture du CSCTM d’Inuvik, que le MPO procédait à un examen du système de CSCTM alors en place dans le cadre de l’examen stratégique et fonctionnel, ce qui a été confirmé dans le courriel envoyé par M. Grégoire à M. Li, lequel se trouve dans la pièce 1, à l’onglet 5. Cette constatation est aussi confirmée par le fait que M. Grégoire n’a pas témoigné, car son témoignage aurait pu contredire ceux de M. Vermette et de M. Li. L’avocat du défendeur a demandé que je tire une inférence négative du fait que M. Grégoire était dans la salle pendant l’audience et qu’il n’a pourtant pas témoigné sur ce qu’il savait ou non en tant que président du plaignant. Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur. Le plaignant a eu amplement l’occasion de me convaincre qu’il n’avait pas connaissance de l’examen stratégique et fonctionnel et de ses répercussions potentielles sur la structure et les activités du MPO et de la GCC, mais il ne l’a pas fait.

40 Selon Éthier, le degré de connaissance n’est pas important. Ce que le plaignant ne savait pas, et ce qu’il cherchait à savoir, était la portée du regroupement envisagé par le MPO. Sa demande expresse visait à savoir s’il y aurait des fermetures de CSCTM et s’il pourrait négocier des augmentations de salaire pour les membres restants en échange de son soutien aux fermetures.

41 C’est ce que le plaignant a expressément demandé le 22 février 2011, puis encore une fois le 9 novembre 2011. À ces deux occasions, le défendeur a refusé de fournir des précisions sur les propositions présentées au Cabinet.

42 Il ne s’agit pas d’un cas où les gestes du défendeur ont empêché le plaignant de participer pleinement et efficacement au processus de négociation collective, tel que l’a affirmé le plaignant. Si cela avait été le cas, il aurait pu être coupable de ne pas avoir négocié de bonne foi. Cependant, en l’espèce, le fait que le défendeur n’ait pas fourni ces précisions n’a pas empêché le plaignant de négocier efficacement au nom de ses membres. En fait, le plaignant a préparé un plan visant exactement à faire face à cette éventualité, comme le démontrent les propositions présentées au sujet de la coopération entre le Syndicat et le défendeur dans le cadre de la fermeture des CSCTM en échange d’une hausse des prestations pour les membres restants de l’unité de négociation. L’existence de ces propositions démontre que le plaignant avait connaissance des faits en question et que le refus du défendeur de répondre à des questions précises n’a pas empêché le plaignant de négocier efficacement.

43 Les documents déposés en preuve et les témoignages établissent clairement que le défendeur a fourni les renseignements au mieux de sa capacité au président de l’unité de négociation lors des réunions portant sur l’examen stratégique et fonctionnel. Les renseignements n’ont peut-être pas été fournis directement comme cela a été demandé à deux occasions à la table de négociation, mais ils ont été fournis dans le cadre d’une autre tribune de façon à inciter le plaignant à présenter des propositions qui faciliteraient la fermeture des CSCTM en échange d’une augmentation des prestations pour les membres restants de l’unité de négociation.

44 Le plaignant ne peut soutenir qu’il n’avait pas connaissance des fermetures imminentes. Celles-ci ont été annoncées alors que les parties se trouvaient à la table de négociation. Bien qu’on ait refusé de lui divulguer des précisions sur les fermetures à venir, tel qu’il le prétend, le plaignant a présenté des propositions fondées sur l’hypothèse que des CSCTM fermeraient leurs portes, puis il a signé une convention collective où ces propositions n’étaient pas incluses.

45 Après avoir jugé que le plaignant était au courant de la fermeture possible de certains CSCTM à l’automne 2011 et que le défendeur a refusé de fournir des renseignements plus précis en novembre 2011, je conclus que la plainte a été déposée hors du délai prescrit par la Loi. Le requérant fait erreur en s’appuyant sur la date de l’annonce des fermetures étant donné qu’il avait connaissance de cette possibilité bien avant que l’annonce ne soit faite.

46 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

47 La plainte est classée.

Le 18 avril 2013.

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,
une formation de la Commission des
relations de travail dans la fonction publique

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