Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief contestant sa mutation et le refus de l’employeur de lui rembourser les quarts de travail supplémentaires manqués, la rémunération pour les jours fériés, les primes de poste et les primes de fin de semaine qu’il n’a pas touchées alors qu’il était suspendu avec salaire pendant l’enquête disciplinaire - l’employeur a présenté une objection préliminaire concernant l’instruction du grief au motif que la suspension avec salaire était de nature administrative et que le consentement du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas requis pour sa mutation, car cela faisait partie de ses conditions d’emploi - pendant une enquête relative à des allégations d’inconduite de la part d’un autre agent correctionnel, l’employeur a été informé d’allégations selon lesquelles le fonctionnaire s’estimant lésé aurait eu des relations non autorisées avec des détenus et qu’il aurait notamment participé à l’introduction des substances interdites et de contrebande dans l’établissement - l’employeur a suspendu le fonctionnaire s’estimant lésé en raison du risque que posait sa présence dans l’établissement durant le déroulement de l’enquête - l’enquêteur a conclu au bien-fondé des allégations - le directeur de l’établissement a tout d’abord admis les conclusions de l’enquête mais, après avoir entendu les explications du fonctionnaire s’estimant lésé, a soutenu qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour justifier son licenciement et qu’il n’y avait pas lieu de prendre des mesures disciplinaires - les allégations de contrebande n’étaient pas suffisantes et bien que le fonctionnaire s’estimant lésé ait permis à des détenus de faire des appels téléphoniques non autorisés, d’autres fonctionnaires de l’établissement avaient fait de même - en dépit de cette conclusion, l’employeur a effectué une évaluation du risque de la menace à la suite de laquelle il a été conclu que le fait de réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésé dans son poste précédent posait un risque important - le fonctionnaire s’estimant lésé a été muté à un autre établissement - l’arbitre de grief a conclu que la mesure prise par le directeur était de nature disciplinaire - il est inacceptable d’imposer une mesure disciplinaire après un constat selon lequel le comportement ne nécessite pas une mesure disciplinaire - le directeur n’était pas investi de la délégation de pouvoir requise pour muter le fonctionnaire s’estimant lésé sans son consentement - la convention collective permettait à l’employeur de réaffecter un fonctionnaire à des tâches administratives avec salaire pendant la durée d’une enquête dans le cadre d’une semaine normale de travail, et ce, sans bénéficier des primes liées au travail - ces primes ne sont accordées qu’aux fonctionnaires ayant travaillé pendant le nombre d’heures requis à cet égard - le droit de l’employeur de procéder ainsi a pris fin lorsque l’employeur a avisé le fonctionnaire s’estimant lésé des résultats de l’enquête et du fait qu’il ne ferait l’objet d’aucune mesure disciplinaire - le fonctionnaire s’estimant lésé avait alors le droit de réintégrer le poste qu’il occupait avant et de bénéficier des occasions habituelles d’effectuer des postes de travail supplémentaires et de fin de semaine - il n’y avait pas lieu en l’espèce d’accorder des dommages. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-05-27
  • Dossier:  566-02-6590 et 6813
  • Référence:  2013 CRTFP 59

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JASON FINLAY

fonctionnaire s'estimant lésé

and

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Finlay c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - Confédération des syndicats nationaux

Pour le défendeur:
Joshua Alcock, avocat

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique),
les 29, 30 et 31 janvier et le 1er février 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Jason Finlay, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été suspendu avec salaire pendant la tenue d’une enquête sur de présumées violations du Code de discipline du Service correctionnel du Canada. Lorsque le Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur ») a déterminé qu’il n’y avait pas de motif suffisant pour déclarer le fonctionnaire coupable des allégations formulées à son endroit, le fonctionnaire est retourné au travail et a été muté à l’Établissement Mountain du SCC, et ce, sans son consentement. Il prétend que cette mesure de l’employeur était diffamatoire, discriminatoire, injustifiée, excessive et non fondée en fait et en droit.

2 À son retour au travail, le fonctionnaire n’a pas été indemnisé pour les postes de travail supplémentaires manqués ainsi que pour les jours fériés et les primes de poste et de fin de semaine non touchées alors qu’il était suspendu à cause de l’enquête disciplinaire. Selon lui, il s’agissait d’une mesure disciplinaire de la part de l’employeur.

II. Objection préliminaire

3 Au début de l’audience, l’avocat de l’employeur a soulevé une objection préliminaire à l’arbitrage des griefs. Il a allégué que la suspension sans salaire durant l’enquête disciplinaire était de nature administrative et que, par conséquent, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») n’avait pas compétence pour trancher la question. En ce qui concerne la mutation du fonctionnaire, son consentement n’était pas nécessaire en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la « LEFP »). La Commission n’a qu’une compétence limitée en vertu du paragraphe 231a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »), pour revoir les décisions de l’employeur quant à une mutation lorsque ces décisions sont associées à la sécurité et la protection des autres membres du personnel ou des détenus ou lorsqu’il y a apparence de conflit d’intérêts.

4 L’employeur a allégué que le fonctionnaire avait accepté d’être muté sans son consentement lorsqu’il a signé sa lettre d’offre (pièce 6, onglet 9). Par conséquent, son consentement n’était pas nécessaire en vertu de l’alinéa 51(6)a) de la LEFP. La mutation a été faite de bonne foi pour assurer la sécurité de l’Établissement Kent du SCC et ne constituait pas un subterfuge ou un camouflage.

5 Selon la représentante du fonctionnaire, comme les allégations portées contre le fonctionnaire n’étaient pas fondées, l’employeur est tenu de lui payer toutes les primes auxquelles il aurait eu droit s’il n’avait pas été suspendu. La Commission a compétence, en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, pour déterminer si le refus de payer ces montants au fonctionnaire constituait une mesure disciplinaire. Lorsqu’il est établi que des allégations ne sont pas fondées, le refus d’indemniser le fonctionnaire intégralement constitue une mesure disciplinaire.

6 Pour ce qui est de la question de la mutation, la représentante du fonctionnaire a allégué que je devais d’abord déterminer si le consentement du fonctionnaire relativement à la mutation était nécessaire. S’il n’était pas nécessaire, je dois alors déterminer si le motif de la mutation constituait un subterfuge ou un camouflage, ou si la mutation était de mauvaise foi.

7 J’ai reporté à la fin de l’audience le prononcé de ma décision sur les objections.

III. Résumé de la preuve

8 Le fonctionnaire travaille comme agent correctionnel depuis 1998, plus récemment à titre d’employé classifié CX-02. Jusqu’au moment de sa suspension, il était affecté à l’unité résidentielle de 96 places de l’Établissement Kent, un établissement à sécurité maximale situé à Agassiz, en Colombie-Britannique. Il travaillait selon l’horaire [traduction] « 6/5-6/4 ». Aucune liste de réserve n’était utilisée dans cette unité; ainsi, les postes supplémentaires étaient offerts aux agents correctionnels qui étaient inscrits à l’horaire de travail de cette unité.

9 L’Établissement Kent a été décrit par Harold Massey (« M. Massey »), un ancien directeur de cet établissement, comme étant un pénitencier à sécurité maximale où se produisait un plus grand nombre d’incidents violents que la moyenne. Les détenus qui constituent la population de l’établissement s’y retrouvent le plus souvent parce qu’ils se sont mal comportés dans d’autres établissements. Les détenus les plus violents et les plus instables au Canada y sont incarcérés. La principale responsabilité du directeur est d’assurer la sécurité et la protection de l’établissement, de son personnel et de sa population.

10 À l’Établissement Kent, il y a des postes de patrouille armée, des zones de déplacements contrôlés, des unités plus petites que l’unité de 96 places où travaillait le fonctionnaire, et des postes armés. Il y a des caméras dans les rangées, dans les corridors, dans les passages et à l’extérieur. Il y a un poste principal de contrôle et de communications (le « PPCC »). Dans certaines de ces zones, les agents correctionnels n’ont pas à avoir de contact avec les détenus, tandis que dans d’autres, en particulier les unités résidentielles, ils doivent avoir ce genre de contacts.

11 Dans le cadre d’une enquête sur des allégations d’inconduite de la part d’un autre agent correctionnel, M. Massey a été informé d’allégations de mauvaise conduite de la part du fonctionnaire. Il a donc demandé une enquête disciplinaire sur ces allégations et, le 3 février 2011, a suspendu le fonctionnaire en attendant l’aboutissement de l’enquête.

12 Selon les allégations, le fonctionnaire aurait eu des relations non autorisées avec cinq détenus et il aurait introduit des objets interdits et des substances non autorisées dans l’Établissement Kent. On l’a informé qu’on le retirait de son poste et de son lieu de travail, avec salaire, en attendant l’issue de l’enquête disciplinaire et qu’il ne devait pas entrer dans les locaux du SCC sans l’autorisation du directeur (voir la pièce 6, onglet 1). Les sources de ces allégations étaient des agents correctionnels et des détenus qui avaient été interrogés dans le cadre d’une enquête concernant un autre agent correctionnel de l’établissement. L’identité de l’une ou l’autre source ou de quiconque ayant été interrogé durant cette enquête n’a pas été fournie au fonctionnaire.

13 Lorsque le fonctionnaire a été suspendu, M. Massey avait prévu que l’enquête serait terminée et que le rapport lui serait remis avant le 16 mars 2011. Par la suite, il a prolongé le délai de deux semaines (voir la pièce 6, onglet 5).

14 Durant le contre-interrogatoire, M. Massey a déclaré n’avoir pas envisagé d’affecter le fonctionnaire à un poste où il n’aurait pas de contact avec les détenus, comme le PPCC, la patrouille motorisée pour la sécurité du périmètre, une tour ou l’entrée principale, et ce, même s’il y avait des postes où le fonctionnaire n’aurait pas eu de contact avec les détenus. Il n’a pas pris en considération les rapports d’évaluation du rendement antérieurs du fonctionnaire ni le fait que le fonctionnaire avait récemment occupé par intérim un poste de gestionnaire correctionnel, pas plus qu’il n’a tenu compte du fait qu’il n’y avait aucune mention de mesure disciplinaire dans le dossier du fonctionnaire. En fait, il n’avait même jamais parlé au fonctionnaire avant d’ordonner la suspension.

15 Selon la preuve, M. Massey a décidé de suspendre le fonctionnaire en raison du risque potentiel que posait sa présence dans l’établissement lors de l’enquête. Selon lui, le risque était trop grand pour qu’on permette au fonctionnaire de rester dans son milieu de travail, bien qu’il ait témoigné qu’il était certain qu’il existait des tâches administratives auxquelles on aurait pu réaffecter le fonctionnaire pendant l’enquête.

16 En raison de la nature des allégations portées contre le fonctionnaire, M. Massey, en consultation avec le sous-directeur, le conseiller en ressources humaines et le bureau régional des Relations de travail, a effectué une évaluation de la menace et des risques et a déterminé qu’à moins qu’il ne soit démontré que les allégations contre le fonctionnaire ne sont pas fondées, celui-ci ne pouvait travailler dans quelque établissement que ce soit. M. Massey a écrit ce qui suit (pièce 6, onglet 4) :

[Traduction]

Ces comportements sont ceux d’un individu qui, s’il facilite l’introduction d’objets interdits et de substances non autorisées dans l’Établissement Kent, contribue à rendre le milieu de vie peu sûr et malsain pour les détenus de l’établissement, et à rendre l’environnement dangereux pour le personnel et les visiteurs. En réaffectant cet individu à un autre poste au SCC, on ne diminuera pas le risque potentiel qu’il présente.

Pour toutes ces raisons, il ne serait pas au mieux des intérêts du SCC ni dans l’intérêt du public que M. Finlay soit autorisé à continuer à travailler dans un établissement du SCC, à quelque titre que ce soit, à moins que les allégations portées contre lui ne s’avèrent non fondées.

17 Lorsqu’on lui a demandé, durant le réinterrogatoire, pourquoi il n’avait pas consulté le dossier du fonctionnaire pour examiner les rapports du rendement et d’évaluation et pourquoi il n’avait pas tenu compte de la conduite antérieure du fonctionnaire au travail, M. Massey a répondu que ces facteurs n’étaient pas pertinents pour l’évaluation du risque. Il a aussi précisé que même si des postes sans contact avec les détenus étaient disponibles, cette solution ne pouvait être envisagée étant donné les allégations de relations inappropriées avec des détenus et d’introduction d’objets interdits dans l’Établissement Kent.

18 En mars 2011, Mark Kemball a remplacé M. Massey à la direction de l’Établissement Kent et a assumé la responsabilité de l’enquête disciplinaire au sujet du fonctionnaire. Lors de son témoignage, il a souligné qu’en tant que directeur, il s’attendait à ce que les agents correctionnels maintiennent avec les détenus des interactions positives, respectueuses et professionnelles, et à ce qu’ils maintiennent des limites professionnelles appropriées. La confiance est un élément important de cette relation.

19 En mars 2011, il ne connaissait pas le fonctionnaire; il ne se souvenait pas l’avoir rencontré. Il n’était pas au courant du relevé d’emploi ou des états de service du fonctionnaire au SCC. Il connaissait toutefois les allégations qui avaient été portées contre le fonctionnaire. Il a accordé une deuxième prolongation de délai, jusqu’au 15 avril 2011, pour la remise du rapport de l’enquête disciplinaire. On l’avait informé de l’avancement de l’enquête et des difficultés auxquelles se heurtaient les deux enquêteurs.

20 La durée de l’enquête et la nécessité des deux prolongations de délai étaient dues à plusieurs éléments, notamment la complexité des enjeux, la disponibilité des témoins, les déplacements nécessaires, le type de preuves recueillies, la manière de les corroborer et de les apprécier, la nécessité d’examiner des dossiers, et le volume d’information qu’il fallait passer en revue. À titre de directeur, M. Kemball devait trouver un équilibre entre le temps à accorder pour la rédaction du rapport écrit et l’importance d’obtenir un rapport de qualité.

21 M. Kemball ne se souvenait pas de la date à laquelle il avait reçu le rapport, mais il était certain que c’était avant la date limite du 15 avril 2011, puisqu’aucune autre prolongation n’avait été accordée. Toutefois, le rapport qu’il a reçu n’était pas le même que celui qui avait été remis au fonctionnaire (pièce 7); en effet, des changements ont été apportés à la demande des Relations de travail, et d’autres changements se sont avérés nécessaires après l’examen du rapport par le fonctionnaire. C’est pourquoi la copie définitive du rapport a été remise au fonctionnaire avec un retard. Durant le contre-interrogatoire, il a été démontré qu’il avait reçu le rapport en juillet 2011 plutôt qu’en avril, tel qu’il l’avait mentionné lors de l’interrogatoire principal. M. Kemball n’a pas pu fournir d’explication relativement au délai d’avril à juillet.

22 La qualité du rapport reçu n’était pas ce qui était requis ou attendu. Il fallait remanier le document afin qu’il soit clair et concis, ce qui a pris entre quatre et six semaines de plus. Le rapport original manquait de clarté, n’était pas centré sur les allégations et contenait certains éléments trop descriptifs. Une fois que le document a été remanié, M. Kemball a travaillé avec les Relations de travail et la section de l’Accès à l’information du SCC pour examiner soigneusement le rapport avant de le remettre au fonctionnaire.

23 Du point de vue des enquêteurs, les allégations étaient fondées (pièce 6, onglet 6). L’étape suivante était de planifier une audience disciplinaire et de donner au fonctionnaire la possibilité de répondre au rapport. L’objet de l’audience disciplinaire était de déterminer si l’on devait tenir compte de facteurs aggravants ou atténuants pour décider de la prochaine étape. L’audience disciplinaire a été fixée au 8 septembre 2011. Durant l’audience, le fonctionnaire a formulé ses commentaires sur les allégations et les conclusions des enquêteurs. Il a aussi soumis une réponse écrite au rapport (pièce 8).

24 Ce n’était pas le rôle de M. Kemball de faire une nouvelle enquête sur les allégations; il devait plutôt décider s’il était nécessaire ou non d’imposer une mesure disciplinaire et, dans l’affirmative, déterminer son importance, en se fondant sur le rapport et sur les observations du fonctionnaire. Il a pris en considération les objections et les commentaires, a examiné les allégations du point de vue des enquêteurs et, [traduction] « sans parti pris et de façon impartiale », selon ses termes, en est arrivé à des conclusions après avoir consulté le bureau national des Relations de travail. Il a déterminé qu’il n’était pas justifié d’imposer une mesure disciplinaire. Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve qui appuyaient les allégations d’introduction d’objets interdits dans l’établissement. Bien qu’on ait démontré que le fonctionnaire avait permis à des détenus de faire des appels téléphoniques non autorisés, on a également constaté que d’autres employés avaient fait de même. Il existait une culture ou une croyance selon laquelle les appels téléphoniques occasionnels non enregistrés, sans l’approbation d’un gestionnaire correctionnel, étaient acceptés à l’Établissement Kent. Plutôt que d’imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire pour avoir fait ce que d’autres faisaient également et qui était accepté, M. Kemball a ordonné que le protocole concernant les appels téléphoniques des détenus soit clarifié pour tous.

25 M. Kemball a informé le fonctionnaire, par lettre, de l’issue de l’enquête et de l’audience disciplinaire (pièce 6, onglet 7) :

[Traduction]

Le 26 août 2011, j’ai accepté les conclusions de l’enquête disciplinaire, notamment que vous aviez :

  • eu des relations non autorisées avec quatre détenus;
  • introduit des objets interdits et des substances non autorisées dans l’Établissement Kent.

L’audience disciplinaire a eu lieu le 8 septembre 2011. Pendant cette audience, vous avez formulé des commentaires sur les conclusions du rapport d’enquête et avez soumis une longue réfutation.

Après avoir considéré les déclarations que vous avez faites pendant l’audience disciplinaire et examiné votre réfutation et votre dossier disciplinaire, je n’ai d’autre choix que de déclarer que les allégations qui ont été portées contre vous ne sont pas fondées et qu’aucune autre mesure disciplinaire ne sera prise à la suite de cette enquête disciplinaire.

26 Normalement, lorsqu’on conclut qu’aucune mesure disciplinaire ne sera imposée, l’employé retourne dans son milieu de travail et reprend le poste qu’il occupait avant la suspension. Il n’en a pas été ainsi en l’espèce. M. Kemball a déclaré que pour faire preuve de diligence raisonnable, vu la nature des allégations, la durée de la suspension du fonctionnaire et le nombre de témoins, il a décidé qu’il faudrait d’abord procéder à une évaluation de la menace et des risques en vue d’évaluer dans quelle mesure le retour du fonctionnaire dans son milieu de travail constituerait une menace pour la sécurité de l’Établissemenet Kent. Compte tenu de la gravité des allégations et du fait que les témoins interrogés par les enquêteurs étaient des détenus et des employés de l’établissement, M. Kemball voulait s’assurer que le personnel et les détenus seraient en sécurité si le fonctionnaire retournait dans son milieu de travail.

27 Compte tenu du nombre de détenus qui ont collaboré à l’enquête et qui sont toujours à l’Établissement Kent et de leur perception quant au retour du fonctionnaire, les craintes des détenus relativement à leur sécurité personnelle lorsqu’ils doivent interagir avec le fonctionnaire et la perception qu’ils en ont étaient une menace pour la sécurité du fonctionnaire et de ses collègues de travail. Le fait de revoir le fonctionnaire reprendre son poste d’autorité, ferait en sorte que les détenus ressentent le besoin d’agir violemment, soit physiquement ou verbalement. La présence du fonctionnaire à l’Établissement Kent pourrait être perçue comme une menace. Il fallait aussi tenir compte des employés qui avaient témoigné lors de l’enquête. Comment verraient-ils le retour du fonctionnaire dans des situations nécessitant une confiance mutuelle? Même si le rapport de l’enquête disciplinaire a été examiné avec soins et que l’identité de tous les témoins, détenus et employés a été supprimée, il fallait quand même tenir compte de leurs préoccupations.

28 M. Kemball a demandé au sous-directeur, M. Huish, de mener une évaluation de la menace et des risques et de cerner tout problème de sécurité ou toute préoccupation associés au retour du fonctionnaire à l’Établissement Kent. Dans son premier rapport, M. Huish a conclu, tel qu’il est mentionné ci-dessous, que le niveau de vulnérabilité était élevé et qu’il y aurait d’importantes répercussions juridiques si un détenu était gravement blessé ou si de nouvelles allégations étaient portées contre le fonctionnaire (pièce 6, onglet 10) :

[Traduction]

[…]

Si M. Finlay revient à l’Établissement Kent, il risque de devoir intervenir dans un incident de sécurité mettant en cause l’un des neuf détenus encore à l’établissement qui était impliqué dans l’enquête concernant les allégations contre lui. Un de ces détenus pourrait être blessé lors d’une intervention du personnel, ce qui rendrait manifestement M. Finlay et l’Établissement Kent vulnérables. […]

En outre, les détenus risquent de déposer des griefs s’ils ont l’impression que M. Finlay les prend pour cibles et les traite différemment des autres à cause des déclarations qu’ils ont faites au cours de l’enquête disciplinaire.

En plus du risque potentiel que M. Finlay représente pour les détenus dans le cadre d’interventions éventuelles, il y a aussi un risque pour le personnel et l’établissement. Des employés ont été interrogés par le comité d’enquête. M. Finlay était considéré par le personnel comme étant une personne un peu volatile et comme faisant partie des personnalités fortes de l’équipe des agents correctionnels. La sanction disciplinaire qui lui a été imposée en janvier 2011 pour insubordination à l’égard du sous-directeur découle directement de ce trait de caractère.

Le retour de M. Finlay à l’Établissement Kent serait associé à un degré de risque élevé pour la sécurité de l’établissement […] Le retour de M. Finlay dans ce milieu conduirait selon toute vraisemblance à un environnement de travail négatif […]

[…]

Le niveau de risque que M. Finlay représente pour la sécurité des détenus, du personnel et de l’Établissement Kent est élevé. M. Finlay ne devrait pas revenir à l’Établissement Kent. À son retour au travail, M. Finlay devrait être muté dans un autre établissement de la région du Pacifique.

29 Ce rapport a été remis au fonctionnaire alors qu’il était déjà retourné au travail, à l’Établissement Mountain. Il a répondu à M. Kemball, par courriel, le 9 décembre 2011 (pièce 6, onglet 11) :

[Traduction]

De : Finlay, Jason (PAC)

Envoyé : le vendredi 9 décembre 2011, 8 h 46

Destinataire : Kemball, Mark (PAC)

C. c : Thompson, Bill (PAC); Zimmerman, Brian (PAC)

Objet : Une copie papier suivra

Monsieur le directeur,

La présente est pour demander la révision et la modification de l’évaluation de la menace et des risques qui a été signée par le sous-directeur Mark Huish et qui a été remise au directeur de mon nouveau lieu de travail, l’Établissement Mountain. Ce document est préjudiciable et inéquitable, et il n’examine pas de façon objective la menace ou les risques impossibles à gérer que créerait mon retour au travail à l’Établissement Kent.

Dans la lettre que vous m’avez envoyée le 30 novembre 2011, vous disiez que les conclusions du comité d’enquête n’étaient pas étayées par des éléments de preuve suffisants. Vous avez aussi déclaré sans équivoque : « Je n’ai d’autre choix que de déclarer que les allégations qui ont été portées contre vous ne sont pas fondées et qu’aucune mesure disciplinaire ne sera prise à la suite de cette enquête disciplinaire ».

Dans son sommaire de la menace de l’EMR, M. Huish a déclaré : « Par conséquent, le directeur a écrit une lettre à M. Finlay l’exonérant des allégations ». La définition d’exonérer est : acquitter d’une accusation; déclarer sans reproche ou non coupable; disculper. Je me demande alors pourquoi M. Huish, dans l’EMR, a mentionné à maintes reprises les allégations spécieuses portées contre moi d’une façon qui laisse entendre qu’il s’agit de faits. Il décrit les allégations en détail, alors qu’il n’existe aucune preuve pour les étayer et que vous avez conclu qu’elles ne sont pas fondées. Cette EMR perpétue ces allégations au point où le directeur de l’Établissement Mountain a dit que j’étais transféré « dans le doute ».

[…]

L’EMR contient plusieurs insinuations préjudiciables. Bien que j’aie été disculpé après des mois d’enquête, je suis décrit par M. Huish dans l’EMR comme un agent indésirable […]

[…] Je comprends qu’à l’heure actuelle mon retour à l’Établissement Kent serait compliqué, et je l’accepte, mais ce n’est certainement pas parce que je constitue une menace pour quiconque.

[…] L’EMR de M. Huish est incontestablement unilatérale et vise uniquement à émettre des suppositions sur la façon dont je pourrais constituer une menace pour les détenus, le personnel et la sécurité de l’établissement.

[…]

30 Des discussions ont été tenues entre M. Kemball et M. Huish, où il a été question des préoccupations et de la pondération entre le fait que son rapport soit orienté sur les mesures disciplinaires plutôt que sur le retour du fonctionnaire à l’Établissement Kent. Plusieurs des points dans l’évaluation de la menace et des risques renvoyaient aux allégations. M. Kemball a demandé que le rapport soit rédigé de nouveau afin qu’il porte principalement sur le retour du fonctionnaire dans son milieu de travail. Les employés et les détenus n’ont pas été interrogés de nouveau dans le cadre de l’évaluation de la menace et des risques.

31 Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas envisagé d’affecter de nouveau le fonctionnaire à un poste où il n’aurait pas de contact avec les détenus en attendant que la situation se stabilise, M. Kemball a répondu que le fait d’affecter le fonctionnaire à un poste statique n’aurait pas permis à la direction de l’établissement d’évaluer comment le fonctionnaire interagissait avec les autres en vue de déterminer s’il était approprié de le réintégrer dans son unité. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi le fonctionnaire avait été muté à l’Établissement Mountain avant la fin de l’évaluation de la menace et des risques, il a dit qu’il détenait suffisamment d’éléments de preuve pour aller de l’avant avec la mutation plutôt que d’attendre que M. Huish ait terminé son évaluation de la menace et des risques. Il n’était pas d’accord avec le fait que la crédibilité du comité d’enquête soit attaquée. En fait, il avait accepté les conclusions des enquêteurs. Il avait pris la décision de muter le fonctionnaire avant de demander la deuxième évaluation de la menace et des risques. Il avait demandé cette deuxième évaluation afin de répondre aux préoccupations exprimées par le fonctionnaire dans son courriel du 9 décembre 2011. Cette deuxième évaluation n’a pas eu d’incidence sur la décision définitive de M. Kemball.

32 La mutation du fonctionnaire à l’Établissement Mountain était au meilleur des intérêts de l’Établissement Kent. L’Établissement Mountain étant situé à côté de l’Établissement Kent et la mutation n’avait aucune incidence importante sur les déplacements quotidiens du fonctionnaire. Le directeur de l’Établissement Mountain était disposé à accueillir le fonctionnaire. On n’a pas empêché le fonctionnaire de postuler à un poste dans un autre établissement au moyen du processus énoncé dans la convention collective entre l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – Confédération des syndicats nationaux et le SCC.

33 En ce qui concerne la question des indemnités durant la suspension, M. Kemball a consulté les Relations de travail, qui l’ont informé que le fonctionnaire était considéré comme étant affecté à des tâches administratives durant cette période, tel qu’il est établi à la pièce 3. Selon la convention collective, il n’avait droit qu’à la rémunération d’un quart de 8 heures, du lundi au vendredi.

34 Lors du contre-interrogatoire, on a demandé à M. Kemball quels facteurs avaient été pris en considération pour déterminer que l’Établissement Mountain était un bon endroit où muter le fonctionnaire. L’Établissement Mountain est situé à Agassiz, en Colombie-Britannique, tout comme l’Établissement Kent; il s’agit du seul établissement dans un rayon de moins de 16 kilomètres de l’Établissement Kent. M. Kemball a envisagé plusieurs solutions à la suite de l’audience disciplinaire. Il n’avait pas pris de décision avant la fin de l’évaluation de la menace et des risques. Il a demandé à son subordonné, le sous-directeur, M. Huish, d’examiner les questions liées à la sécurité qui pourraient empêcher le retour du fonctionnaire à l’Établissement Kent. Il a parlé de la possibilité du retour du fonctionnaire à cet établissement avec les représentants nationaux des Relations de travail, Erin Saso et René Houle. Il a donné son opinion dans le message suivant (pièce 9) :

[Traduction]

De : Kemball, Mark (PAC)

Envoyé : le lundi 21 novembre 2011, 14 h 42

Destinataire : Saso, Erin (NHQ-AC); Houle, René (NHQ-AC)

C. c : Langer, Mark (PAC); Boileau, Michael (PAC); Huish Shawn (PAC)

Objet : EMR-M. Finlay

Le SD effectue actuellement une EMR au sujet de M. Finlay. Lorsque cette évaluation sera terminée, nous pourrons en discuter plus en détail. Comme vous le savez, je suis d’avis qu’il est au meilleur des intérêts du Service que M. Finlay ne revienne pas à l’Établissement Kent. L’EMR devrait orienter notre discussion. Je n’ai participé directement à la rédaction du EMR en aucune façon, autre que pour fournir certains paramètres à M. Huish pour examen.

M.

Mark Kemball

35 M. Kemball a admis qu’il était possible que deux agents correctionnels n’aient jamais à travailler ensemble, étant donné leurs horaires de travail et les échanges réciproques de quarts. Néanmoins, aucune autre solution n’a été envisagée. Le fonctionnaire a été muté à l’Établissement Mountain en date du 5 décembre 2011. M. Kemball ne se rappelle pas avoir eu de discussion avec le fonctionnaire à propos de son statut à l’Établissement Mountain autre que pour l’informer qu’il était muté à cet établissement.

36 La dernière mise à jour de l’évaluation de la menace et des risques a été faite en février 2012. Aucune autre mise à jour n’a été nécessaire, étant donné que le fonctionnaire avait été affecté à l’Établissement Mountain.

37 Lorsqu’on lui a demandé s’il connaissait la [traduction] « Ligne directrice sur l’évaluation du risque » (pièce 11), M. Kemball a répondu [traduction] « non ». Il n’a pas rempli le [traduction] « Rapport d’évaluation de la menace et des risques du Programme de protection des employés » (pièce 12), où il est expliqué comment le risque doit être évalué, parce que, selon lui, il n’y avait pas de menace directe pour le personnel. Il a évalué le risque général pour l’Établissement Kent. Il ne savait pas si le fonctionnaire savait quels détenus et quels employés avaient été interrogés dans le cadre de l’enquête (même si leurs noms n’avaient jamais été communiqués au fonctionnaire). Il n’était même pas certain de l’endroit où étaient maintenant ces témoins, car plusieurs avaient été déplacés dans d’autres établissements et les employés changent souvent d’unités.

38 On a présenté à M. Kemball la pièce 10, soit un courriel qu’il a envoyé avant la première évaluation de la menace et des risques, et la pièce 9. Voici le contenu de la pièce 10 :

[Traduction]

De : Kemball, Mark (PAC)

Envoyé : le 10 novembre 2011, 12 h 31

Destinataire : Saso, Erin (NHQ-AC); Langer, Mark (PAC)

C. c : Lindblad, Michele (PAC); Houle, René (NHQ-AC)

[…]

Veuillez formuler un avis sur la mutation de M. Finlay à un autre établissement. J’estime que cette mesure serait dans l’intérêt de tous.

____________________________

Envoyé de mon BlackBerry portable sans fil

39 La réponse qu’il a reçue de René Houle, du bureau national des Relations de travail, était qu’il y avait trois solutions à envisager, dont l’une était de [traduction] « […] l’affecter temporairement à d’autres tâches (peut-être dans un autre milieu de travail) jusqu’à ce qu’une EMR soit effectuée. »

40 Lorsqu’on lui a demandé comment le fonctionnaire en est arrivé à être muté à l’Établissement Mountain, M. Kemball a dit en avoir parlé au directeur de cet établissement, Bill Thompson; il lui a également parlé de l’enquête disciplinaire. M. Thompson était disposé à accueillir le fonctionnaire, et la situation a progressé dans cette voie. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait l’autorité de muter un employé sans son consentement, M. Kemball a répondu qu’il avait ce pouvoir si la mutation sans consentement constituait une condition d’emploi d’un agent correctionnel. On a présenté à M. Kemball la grille de délégation des pouvoirs (pièce 15), où il est indiqué, à la page 24, qu’il fallait détenir le [traduction] « niveau décisionnel 1 ou 2 » pour muter un employé sans son consentement. Selon le contenu de la page 5 de cette pièce, un directeur d’établissement détient un niveau décisionnel 4, soit au moins deux niveaux sous celui qui est nécessaire pour exercer ce pouvoir. M. Kemball n’a pas pu expliquer où ni comment il avait obtenu le pouvoir de muter le fonctionnaire, apparemment en contravention de la grille des pouvoirs délégués.

41 Lorsqu’on lui a demandé s’il devait obtenir l’approbation des responsables des Relations de travail pour muter un employé, M. Kemball a dit que non, pourvu qu’il agisse dans le cadre des pouvoirs qui lui sont délégués. Il devait consulter les responsables des Relations de travail à l’administration centrale – et il l’avait fait – pour les questions disciplinaires allant au-delà d’un certain niveau. Lorsqu’on lui a demandé s’il se souvenait d’une téléconférence avec plusieurs personnes, dont des représentants du bureau national des Relations de travail, le 7 novembre 2011, au cours de laquelle il avait exprimé l’opinion qu’il ne faisait pas confiance au fonctionnaire et qu’il ne souhaitait pas son retour à l’établissement, il a répondu qu’il ne se souvenait pas d’avoir dit cela. Selon lui, il aurait plutôt dit que l’Établissement Kent n’était pas un endroit où il convenait de placer le fonctionnaire.

42 M. Kemball a nié avoir dit qu’il voulait congédier le fonctionnaire parce qu’il ne lui faisait pas confiance. Il s’est d’abord demandé si le fonctionnaire pouvait être licencié sur la base des éléments de preuve existants. Il l’aurait licencié, mais il n’était pas certain d’avoir des motifs. Lorsqu’on l’a informé qu’il n’avait pas de motifs suffisants pour licencier le fonctionnaire, il s’est concentré sur la possibilité de muter le fonctionnaire à l’extérieur de l’Établissement Kent et a demandé une évaluation de la menace et des risques. Il a ensuite reçu les autres recommandations. Toutefois, il n’a pas offert au fonctionnaire une mutation volontaire, tel qu’il avait été recommandé par les Relations de travail, et il ne lui a pas offert de réaffectation temporaire.

43 M. Kemball connaissait l’exigence concernant la formation obligatoire des agents correctionnels selon les normes nationales. La formation pour l’Établissement Kent et l’Établissement Mountain se donne conjointement, étant donné la proximité des deux établissements. Elle est parfois offerte à l’Établissement Kent, parfois à l’Établissement Mountain. Il n’a pas donné de directive empêchant le fonctionnaire de participer à la formation offerte à l’Établissement Kent; il n’était pas non plus au courant qu’on avait informé le fonctionnaire qu’il n’était pas autorisé à suivre une formation à cet établissement.

44 M. Kemball a quitté l’Établissement Kent, le 9 octobre 2012, lorsqu’il est devenu le conseiller spécial du sous-commissaire régional du Pacifique pour le SCC.

45 Jason Finlay, le fonctionnaire, a témoigné au sujet de son cheminement de carrière depuis qu’il a commencé à travailler au SCC, en 1998, à titre d’agent correctionnel occasionnel. Il a été nommé à un poste pour une période indéterminée à titre de CX-01 en août 1999 et a été promu CX-02 en 2000. Il travaillait à l’Établissement Kent depuis ses débuts au SCC jusqu’à sa mutation à l’Établissement Mountain en 2011. Au début, le fonctionnaire était affecté au PPCC. Il a choisi de quitter le PPCC et il a été placé sur la liste de réserve permanente jusqu’à ce qu’une autre affectation soit offerte dans l’unité de 96 places.

46 À l’unité de 96 places, le fonctionnaire travaillait selon un horaire « 6 jours de travail, 5 jours de congé, 6 jours de travail, 4 jours de congé ». Contrairement aux autres unités, il n’y avait pas de liste de réserve, ce qui signifie que seuls les agents affectés à l’unité y travaillaient. Dans les autres unités, lorsqu’un employé ne travaillait que dans une unité, c’était en raison de mesures d’adaptation, d’une enquête en cours, de menaces contre un agent ou lorsqu’une agente était enceinte.

47 Le gestionnaire correctionnel de l’unité a dit au fonctionnaire qu’il le voyait dans cette unité; la candidature du fonctionnaire à ce poste a été recommandée. À cette époque, il y avait des problèmes au sein de l’unité relativement à des questions concernant les relations entre les employés et les relations entre les employés et les détenus. Le fonctionnaire a été avisé qu’à cause de sa personnalité, il ne se ferait pas intimider par les employés ou les détenus. Par la suite, on l’a transféré à cette unité pour y remettre de l’ordre. Il est demeuré à ce poste jusqu’au 3 février 2011, date à laquelle il a été escorté à l’extérieur de l’Établissement Kent.

48 Le 3 février 2011, Brian Zimmerman, son représentant syndical, a informé le fonctionnaire que le sous-directeur voulait le rencontrer. Le fonctionnaire a suivi M. Zimmerman vers le bureau du sous-directeur. Ils se sont retrouvés dans le bureau du directeur où l’attendaient Gord Madsen (sous-directeur), Mark Langer (représentant des ressources humaines), Don Trennaman (agent du renseignement de sécurité) et Derek Dubiellak (gestionnaire correctionnel). M. Massey n’était pas présent, et le fonctionnaire a supposé que M. Madsen remplaçait le directeur ce jour-là.

49 Le fonctionnaire s’est alors fait expliquer les allégations portées contre lui et il a été informé qu’il était suspendu avec salaire en attendant l’issue de l’enquête disciplinaire. MM. Madsen et Langer lui ont montré l’ordre de convocation et lui ont demandé de leur remettre sa carte d’identité et son insigne. On lui a dit qu’il serait escorté jusqu’à l’extérieur de l’Établissement Kent. Il a plutôt été escorté par M. Dubiellak jusqu’à son vestiaire, dans l’unité, pour prendre son veston et ses objets personnels. Devant tous les employés et les détenus, on l’a escorté à l’extérieur de l’unité et de la propriété de l’établissement. Il s’est senti humilié, embarrassé et dégoûté d’être traité ainsi. Il était traité comme un détenu. On a informé les agents à l’entrée principale qu’il ne devait pas être autorisé à entrer dans l’établissement. Il a supposé, comme il l’avait déjà vu dans le passé, qu’on afficherait une photo de lui à l’entrée. Habituellement, quand un agent est suspendu, celui-ci doit se présenter au travail un jour de congé, pas au milieu d’un quart de travail, comme ça été le cas en l’espèce. À la connaissance du fonctionnaire, il était le seul agent à avoir été escorté jusqu’à l’extérieur de l’établissement au milieu d’un quart de travail devant le personnel et les détenus.

50 Par la suite, Doug Richmond, un des enquêteurs, a contacté le fonctionnaire pour lui dire qu’il avait reçu l’instruction d’enquêter à son sujet. L’entrevue a eu lieu la deuxième semaine d’avril, soit deux mois après le début de sa suspension. C’était la première fois qu’il avait l’occasion de répondre aux allégations portées contre lui. Il a dit aux enquêteurs que les allégations étaient fausses et qu’il était innocent. Trois ou quatre jours avant la date limite de dépôt du rapport d’enquête, il a été interrogé une deuxième fois. La plupart des renseignements sur lesquels les enquêteurs se sont appuyés durant cette entrevue provenaient des ouë-dire de détenus. Le fonctionnaire n’a été autorisé à regarder la preuve sur vidéo à aucune des entrevues. Durant les deux entrevues, il s’est déclaré prêt à subir un test polygraphique.

51 Le fonctionnaire était fâché lorsqu’il a finalement pris connaissance des rapports disciplinaires. Aucune mention n’y était faite de ce qu’il avait dit aux enquêteurs durant les deux entrevues. Les preuves qu’il avait fournies n’avaient pas été prises en considération. D’après lui, le comité d’enquête avait pris sa décision avant même de s’entretenir avec lui. L’information contre le fonctionnaire et la source de cette information n’ont jamais été fournies au fonctionnaire. Le rapport était unilatéral et non professionnel. À un endroit dans le rapport, il est qualifié de détenu. Il ne comprenait pas pourquoi les preuves qu’il avait fournies avaient été ignorées et comment les enquêteurs avaient pu juger qu’il n’était pas crédible lorsqu’il déclarait son innocence.

52 Avec l’aide de son père et de Ken Hayden, un ancien enquêteur du SCC, le fonctionnaire a rédigé une réfutation au rapport d’enquête disciplinaire et l’a envoyée à M. Kemball, qui était devenu le directeur (pièce 8). Il n’a reçu aucune réponse de M. Kemball. Le 8 septembre 2011, il a rencontré M. Kemball pour une audience disciplinaire. M. Kemball a reconnu avoir pris connaissance du document, mais il n’a pas ajouté grand-chose à ce sujet. Il a informé le fonctionnaire qu’il avait accepté les conclusions que les allégations étaient fondées et a souligné que la sanction disciplinaire pouvait aller jusqu’au licenciement. La rencontre a duré moins de 10 minutes.

53 Moins de 24 heures avant l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a assisté à une séance de divulgation au cours de laquelle on lui a permis de voir les notes et de regarder la preuve sur vidéo. Il ne pouvait pas identifier les détenus interrogés durant l’enquête. Les noms des personnes qui avaient participé aux allégations n’ont pas été fournis, et on ne lui a pas permis de se trouver en présence de son accusateur. Plus tard, il a fait une demande d’accès à l’information et on lui a fourni une liste des employés interrogés, deux semaines avant l’audience d’arbitrage.

54 Le 30 novembre 2011, le fonctionnaire a assisté à une rencontre avec M. Kemball, M. Langer, Roger Plantenga (directeur adjoint aux Opérations), M. Zimmerman et Marie-Pier Dupuis-Langis (représentante de l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – Confédération des syndicats nationaux). À cette réunion, M. Kemball a informé le fonctionnaire qu’il n’y avait aucune preuve étayant les allégations et que, par conséquent, celles-ci n’étaient pas fondées. Ainsi, aucune mesure disciplinaire ne serait imposée. Ils ont ensuite tenté de discuter du retour du fonctionnaire à l’Établissement Kent, mais il était évident que M. Kemball s’opposait vertement à cette idée et qu’il ne voulait pas l’envisager.

55 Selon le fonctionnaire, M. Kemball l’a encouragé à examiner les possibilités d’emploi ailleurs qu’à l’Établissement Kent. Le fonctionnaire a exprimé le souhait de retourner à l’Établissement Kent et de rétablir sa réputation. M. Kemball a quitté la pièce avec les autres gestionnaires et est revenu environ cinq minutes plus tard. Il a informé le fonctionnaire qu’il devait se présenter à l’Établissement Mountain le 5 décembre 2011 et qu’il serait affecté à un quart de 8 h à 16 h, du lundi au vendredi. Le sous-directeur, Shawn Huish, devait faire une évaluation de la menace et des risques dont les résultats seraient communiqués aux fonctionnaires.

56 Dans son témoignage, le fonctionnaire a souligné qu’il ne comprenait pas pourquoi on ne lui permettait pas de reprendre son poste à l’Établissement Kent ni pourquoi il était nécessaire de faire une évaluation de la menace et des risques. Il ne se sentait pas vulnérable par rapport au fait de retourner à l’Établissement Kent et ne prévoyait pas de problème. Il a reconnu qu’il pourrait y avoir certaines tensions au début, mais il estimait qu’elles se dissiperaient avec le temps. Il ne comprenait pas les préoccupations de M. Kemball au sujet du nombre d’incidents de recours à la force à l’Établissement Kent, puisque personne n’avait soulevé de préoccupation à propos de son implication dans ce genre d’incident. Il n’était pas dans sa nature de chercher à se venger. Il s’agissait manifestement d’une tentative de la part de M. Kemball de l’exclure de l’Établissement Kent. M. Kemball ne voulait pas prendre en considération quelque poste que ce soit que pourrait occuper le fonctionnaire à l’Établissement Kent. Il a refusé de réaffecter temporairement le fonctionnaire au PPCC a – un poste pour lequel le fonctionnaire était déjà formé – pour une durée qui aurait permis une transition vers une réintégration intégrale.

57 À son arrivée à l’Établissement Mountain, le fonctionnaire n’a pas été affecté à un poste, car la directive de M. Kemball était que le fonctionnaire travaille à un quart de 8 h à 16 h, soit un quart qui n’existait pas à l’Établissement Mountain. Au début, il a remarqué que les gens à l’Établissement Mountain étaient inquiets à propos des allégations qui avaient été portées contre lui. Il a fallu un certain temps avant qu’il soit accepté, en partie parce qu’il était en colère d’être forcé de travailler à cet établissement et de ne pas pouvoir reprendre son poste à l’Établissement Kent.

58 Les normes nationales de formation déterminent la formation obligatoire pour les agents correctionnels. La formation des agents aux  établissements Kent et Mountain est habituellement donnée conjointement. Les employés de l’Établissement Mountain vont à l’Établissement Kent pour effectuer leur formation en autodéfense, sur les gaz, les appareils respiratoires autonomes et les armes à feu. La formation se donne en blocs et dure jusqu’à cinq jours. En février, le fonctionnaire a été ordonné de se rendre à l’Établissement Pacifique, à Abbotsford, pour suivre une formation, car il ne pouvait pas entrer à l’Établissement Kent (pièce 20).

59 Le fonctionnaire était le seul agent de l’Établissement Mountain à suivre une formation à l’Établissement Pacifique. Lors de la planification de la formation pour 2013, on lui a d’abord dit de retourner à l’Établissement Pacifique pour suivre la formation. Il a envoyé un courriel à Rose Bertolo, la coordonnatrice de la formation, pour lui demander pourquoi il était exclu de la formation donnée à l’Établissement Kent. Elle lui a répondu qu’elle avait été informée qu’il n’était pas autorisé à entrer à l’Établissement Kent et que si elle était mal informée, il devait le lui dire. Environ 45 minutes plus tard, Mme Bertolo a téléphoné au fonctionnaire pour l’informer que comme M. Kemball n’était plus directeur de l’Établissement Kent et que la haute direction avait changé, le fonctionnaire pourrait suivre sa formation à cet établissement. Le 27 février 2013, le fonctionnaire retournait pour la première fois à l’Établissement Kent.

60 Le fonctionnaire a présenté comme pièces 21 et 22 ses rapports d’évaluation du rendement pour 2000 à 2011 et des lettres de mention élogieuse qu’il a reçues pour son service à l’Établissement Kent. Ces documents indiquent qu’il est un employé qui travaille avec professionnalisme et qu’il fait un bon travail comme agent correctionnel. Aucun de ces documents n’indique qu’il posait problème au plan disciplinaire, qu’il est violent ou qu’il constitue une menace pour l’Établissement Kent. Le contenu de ces documents ne cadre pas avec le contenu du rapport de l’enquête disciplinaire, et n’a pas été pris en considération lorsque le fonctionnaire a été muté à l’Établissement Mountain.

61 Le fonctionnaire a décrit les conséquences financières de sa suspension. Avant sa suspension, il travaillait 3 ou 4 quarts de jour (des quarts de 16 heures) et 2 ou 3 quarts de soir (des quarts de 10 heures). Pour les quarts de soir et de fin de semaine, il recevait une prime de poste. Le fonctionnaire a conclu qu’il avait perdu environ 20 000 $ de revenu brut à la suite de sa suspension. Son revenu avant et après sa suspension est indiqué à la pièce 17. Il y a une différence de 16 159,00 $ de revenu brut entre ce qu’il a gagné en 2010, soit avant la suspension, et ce qu’il a gagné en 2011, soit après la suspension. Le fonctionnaire a déclaré que la différence était directement attribuable à la perte des primes de poste et des heures supplémentaires. En plus des pertes financières, le fonctionnaire a perdu des amis à la suite de l’enquête et a été renvoyé de l’équipe de hockey de l’Établissement Kent. Pendant sa période de suspension, lui et sa famille se sont sentis isolés.

62 Les pièces 26 à 30 ont été déposées en preuve. Elles ont toutes été reçues par le fonctionnaire après une demande d’accès à l’information. Le fonctionnaire a été particulièrement surpris par les commentaires de la pièce 30, une note d’information envoyée au directeur général des Relations de travail et de la Rémunération. La ligne de l’objet indique qu’il était question de la sanction disciplinaire concernant Jason Finlay. Sous la rubrique [traduction] « recommandations/commentaires », l’auteur écrit ceci :

[Traduction]

[…]

Pendant une téléconférence tenue le 7 novembre 2011 avec les représentants des Relations de travail de l’AC, le directeur Mark Kemball a indiqué qu’à son avis, il n’y avait pas suffisamment de preuves permettant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que M. Finlay avait introduit des objets interdits dans l’établissement. Il a ajouté que l’allégation selon laquelle M. Finlay avait des relations inappropriées avec des détenus est liée au fait que M. Finlay avait permis à des détenus de faire des appels téléphoniques non supervisés. Toutefois, le rapport a démontré que plusieurs agents faisaient de même et que ce comportement faisait partie de la culture de l’unité à cette époque.

[…]

Même si le directeur a reconnu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour licencier le fonctionnaire, il a indiqué qu’il ne faisait pas confiance à M. Finlay et qu’il aimerait discuter avec la haute direction de la possibilité que M. Finlay ne retourne pas travailler à l’Établissement Kent.

[…]

63 Le fonctionnaire ne comprenait pas pourquoi M. Kemball ne lui faisait pas confiance alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés avant l’audience disciplinaire du 8 septembre 2011. Les facteurs qui auraient pu amener M. Kemball à ne pas lui faire confiance étaient un mystère pour le fonctionnaire.

64 Selon la pièce 28, le 29 novembre 2011, M. Kemball a accepté d’offrir au fonctionnaire une affectation volontaire à l’Établissement Mountain. Conformément au plan, si le fonctionnaire n’acceptait pas d’aller travailler à l’Établissement Mountain volontairement, il serait réaffecté. Une réaffectation aurait nécessité une mise à jour trimestrielle de l’évaluation de la menace et des risques pour évaluer le risque et la possibilité que le fonctionnaire retourne travailler à l’Établissement Kent.

65 Dans la pièce 29, dans un échange de courriels entre Beth Tyler, du bureau régional des Relations de travail du SCC, et Erin Saso, du bureau des Relations de travail de l’AC du SCC, Mme Tyler a écrit ce qui suit le 24 octobre 2011 :

[Traduction]

[…]

Compte tenu des conclusions de l’enquête disciplinaire et des résultats de l’audience disciplinaire, le directeur est d’avis qu’étant donné la gravité des conclusions, le licenciement est la seule solution.

[…]

66 En décembre 2011, pendant que le fonctionnaire travaillait à l’Établissement Mountain, M. Kemball est arrivé sans prévenir avec une lettre de mutation permanente à l’Établissement Mountain; il a dit au fonctionnaire qu’il pouvait signer ou non cette lettre. Le fonctionnaire a refusé et est parti; il n’a jamais vu la lettre de M. Kemball.

67 Lors du contre-interrogatoire, le fonctionnaire a déclaré qu’en novembre 2011, il avait travaillé à un projet de construction et avait été payé environ 1 500 $ en argent comptant. Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas travaillé avant novembre 2011, il a répondu qu’à ce moment il avait déjà reçu le rapport de l’enquête disciplinaire et que l’audience disciplinaire avait eu lieu. Il n’attendait que la décision du directeur.

68 Le fonctionnaire s’est d’abord vu offrir une mutation à l’Établissement Mountain le 30 novembre 2011. Lorsqu’il a refusé cette offre, M. Kemball a ordonné la mutation du fonctionnaire. Le fonctionnaire n’était pas au courant de la pièce 6, onglet 8, soit la lettre de M. Thompson, le directeur de l’Établissement Mountain, qui le nommait selon un processus de sélection; cette lettre lui a été envoyée par M. Langer quelque temps après sa mutation.

69 Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits sur la question des indemnités pour les postes de travail supplémentaires manqués et le paiement de primes. La pièce 33 prévoit ce qui suit aux fins de l’audience :

[Traduction]

  1. Dans certains cas où un CX a été suspendu avec ou sans salaire en attendant l’issue d’une enquête disciplinaire, lorsque les allégations portées contre lui se sont avérées non fondées, l’employé s’est vu accorder par la suite un montant pour les postes de travail supplémentaires manqués, les primes de poste non touchées, etc.
  2. Dans certains cas où un CX a été suspendu avec ou sans traitement en attendant l’issue d’une enquête disciplinaire, lorsque les allégations portées contre lui se sont avérées non fondées, l’employé ne s’est pas vu accorder par la suite un montant pour les postes de travail supplémentaires manqués, les primes de poste non touchées, etc.
  3. Dans les deux situations décrites ci-dessus (A et B), les parties ont reconnu que plusieurs facteurs, dont l’existence ou l’absence de griefs ou de règlements confidentiels, peuvent avoir contribué à la décision.
  4. Les parties conviennent qu’elles ne disposent pas, dans le cadre de l’audience de cet arbitrage, de statistiques fiables quant au pourcentage des cas qui ont été résolus conformément au paragraphe A ou au paragraphe B.
  5. Les parties font cette stipulation sans préjudice envers quelque position qu’ils pourraient choisir à l’avenir.

IV. Résumé des arguments

A. Pour l’employeur

70 Il y a deux questions à trancher dans cette affaire : quelle est la rémunération appropriée à accorder à un employé à son retour d’une suspension administrative, et s’il y avait, en l’espèce, un exercice légitime du pouvoir de muter un employé sans son consentement.

71 Dans les cas de suspensions administratives, la Commission n’a pas compétence. Il n’existe aucune preuve prima facie de mesure disciplinaire dans la suspension. Par conséquent, le fonctionnaire doit démontrer que l’employeur avait l’intention de le punir en raison d’un mauvais comportement. Dans le cas d’une mutation sans consentement, la Commission a une compétence limitée en vertu de l’alinéa 231a) de la Loi. Il incombait au fonctionnaire de démontrer que la décision de le muter à l’Établissement Mountain n’était pas fondée sur une véritable préoccupation de sécurité, et qu’il s’agissait plutôt d’un subterfuge ou d’un camouflage. Le fonctionnaire devait démontrer qu’aucun motif de sécurité légitime n’expliquait sa mutation. L’employeur a soulevé des préoccupations légitimes de sécurité en raison de la nature dérangeante de l’enquête disciplinaire sur les activités alléguées du fonctionnaire. L’enquête disciplinaire et ses répercussions ont eu un effet déstabilisant sur le lieu de travail.

72 Pour qu’une suspension avec salaire puisse faire l’objet d’un examen par un arbitre de grief, ce dernier doit être convaincu qu’elle était de nature disciplinaire. Afin d’en être convaincu, l’arbitre de grief à cet égard doit examiner l’objet et les conséquences de la suspension afin de déterminer si l’employeur avait l’intention de corriger un comportement inadéquat. L’employeur doit avoir eu l’intention de prendre des mesures disciplinaires à l’égard de l’employé pour une situation perçue comme une faute. (Voir : Procureur général du Canada c. Balkar Singh Basra, 2008 CF 606, aux paragraphes 17 à 19; Procureur général du Canada c. Frazee, 2007 CF 1176, aux paragraphes 19 à 22.)

73 Lorsqu’un employé est placé en suspension administrative, certaines modalités s’appliquent. L’employé ne travaille plus dans les mêmes circonstances et il ne jouit pas des mêmes droits. (Voir Eden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 37, au paragraphe 65). Si l’employé est suspendu sans salaire, il ou elle est rémunéré seulement pour les heures perdues, une fois qu’il est rétabli dans ses fonctions.

74 Selon l’entente globale négociée entre les parties, lorsqu’il est suspendu avec salaire en attente des résultats d’une enquête, on considère qu’un agent correctionnel est tenu d’assumer des tâches administratives et de travailler du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h (pièce 6, onglet 3, page 23). Par conséquent, il n’est pas admissible aux primes de poste. Il n’existe pas d’éléments de preuve démontrant que M. Kemball a mal compris ou mal interprété les tâches administratives dans le but de sanctionner le fonctionnaire. Il n’y a pas d’objectif ni d’effet tel qu’il est décrit dans Eden.

75 Le fait que la décision de suspendre un employé soit mal conçue ou mal exécutée ne signifie pas qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire (Voir : Frazee, au paragraphe 21). Le fonctionnaire n’a pas présenté d’éléments de preuve démontrant que la réalisation de l’enquête a pris trop de temps, même s’il a exprimé cette opinion. Il n’a pas non plus présenté de preuve démontrant que l’employeur avait traîné des pieds durant l’enquête. Il n’y a pas de preuve quant à un changement dans l’intention de l’employeur en ce qui concerne la suspension. (Voir Basra, au paragraphe 19). Essentiellement, il n’y a aucune preuve que les mesures prises par l’employeur en vue de suspendre le fonctionnaire étaient de nature disciplinaire dans leur objet ou leur effet. Par conséquent, il n’y a pas de raison de changer la manière dont le fonctionnaire a été rémunéré durant la période de suspension avec salaire.

76 L’exposé conjoint des faits (pièce 33) ne suffit pas pour établir une pratique antérieure. Il ne fait que démontrer un quelconque modèle de rémunération qui varie en fonction du décideur. Par conséquent, il n’est d’aucune utilité dans cette affaire.

77 Lorsqu’il a pris connaissance du rapport d’enquête disciplinaire, M. Kemball a pris la décision difficile de ne pas imposer de mesures disciplinaires et de déclarer les constatations sans fondement, malgré les éléments de preuve soutenant les allégations d’appels téléphoniques faits par des détenus. Lorsqu’il sa pris la décision de muter le fonctionnaire à l’Établissement Mountain, M. Kemball a pris en compte l’incidence du retour du fonctionnaire à l’Établissement Kent sur la sécurité de l’établissement. Le fonctionnaire a insisté de manière répétée sur le fait qu’il n’était ni violent, ni enclin à la violence. L’argument de M. Kemball était qu’il existait un risque que les détenus concernés agissent de manière agressive si le fonctionnaire était réintégré à l’Établissement Kent. La présence d’un agent peut représenter une menace pour les détenus, en particulier en ce qui concerne les détenus à sécurité maximale qui sont imprévisibles et enclins à la violence. M. Kemball craignait que le retour du fonctionnaire à l’Établissement Kent n’incite les détenus à la violence. Le caractère violent ou non du fonctionnaire importe peu.

78 D’autres risques doivent être pris en considération pour déterminer si le retour d’un agent correctionnel à un établissement est approprié à la suite d’une enquête disciplinaire. La responsabilité et le manque de confiance comptent aussi. La confiance représente un facteur important pour la sécurité d’un établissement ainsi que la préoccupation quant à l’introduction d’une nouvelle variable au sein de l’établissement. L’harmonie au sein d’un milieu de travail est une préoccupation légitime (Voir : Dubreuil c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) et al., 2006 CRTFP 20, au paragraphe 87.)

79 Le fonctionnaire a affirmé que la mutation était un subterfuge ou un camouflage au motif que M. Kemball ne l’aimait pas ou ne lui faisait pas confiance et qu’il ne voulait pas de lui à l’Établissement Kent. Il a avancé que la question de la sécurité était un prétexte. L’allégation du fonctionnaire était fondée sur des ouë-dire du coordinateur de la formation, qui pensait que le fonctionnaire n’était pas autorisé à assister aux formations à l’Établissement Kent. Il se pourrait que cela ne soit même pas conforme aux faits. La note d’information (pièce 30) est le pire type de ouë-dire, dans le sens où elle prétend refléter l’état d’esprit de M. Kemball.

80 Le fonctionnaire a également remis en question la chronologie des évènements et des actions telle qu’elle a été rapportée par M. Kemball. Pour qu’un arbitre de grief soit convaincu par le scénario émis par le fonctionnaire, il lui faudrait admettre que M. Kemball a concocté des moyens de garder le fonctionnaire hors de l’Établissement Kent. La chronologie des événements est directement attribuable au temps que M. Kemball a pris pour prendre en considération toutes les répercussions et les risques associés à la réintégration du fonctionnaire. Il aurait fait preuve de négligence s’il n’avait pas pris en considération les répercussions et les risques.

81 M. Kemball devait prendre une décision difficile. Il a choisi de se ranger du côté du fonctionnaire à deux occasions, premièrement lorsqu’il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour prendre des mesures disciplinaires à l’égard du fonctionnaire et, deuxièmement, lorsqu’il a déterminé que la première évaluation de la menace et des risques était insuffisante. Il a démontré qu’il n’avait rien à se reprocher.

82 L’alinéa 231a) de la Loi exige qu’un arbitre de grief aille au-delà de l’examen pro forma de la situation. Un arbitre de grief doit regarder au-delà des éléments de preuve pour s’assurer qu’il y avait une cause réelle ou pour déterminer si l’employeur a eu recours à un subterfuge ou à un camouflage. La lettre d’offre originale du fonctionnaire indique clairement que le fonctionnaire pouvait être muté sans son consentement lorsque cela est [traduction] « […] nécessaire pour des raisons associées à la sécurité des autres membres du personnel ou aux délinquants ou lorsqu’il y a apparence de conflit d’intérêts ». En acceptant l’emploi au SCC, il a accepté la possibilité d’être muté à un autre établissement sans son consentement.

83 Une orientation permettant de déterminer si une telle mutation constitue un subterfuge ou un camouflage existe dans la jurisprudence sur le renvoi en cours de stage. Dans Boyce c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2004 CRTFP 39, au paragraphe 64, l’arbitre de grief a affirmé qu’il n’avait pas compétence pour traiter les préoccupations du fonctionnaire en ce qui concerne l’équité du processus utilisé pour mettre fin à son emploi, notamment les allégations de partialité de la part du décideur. Il a conclu que la compétence de l’arbitre de grief était limitée pour déterminer si un décideur avait agi de bonne foi.

84 Selon la preuve, il est clair que l’employeur n’a pas caché ou dissimulé la raison pour laquelle le fonctionnaire a été muté à l’Établissement Mountain. Le fonctionnaire était au courant que son retour à l’Établissement Kent causerait des tensions. On a refusé de le muter à un PPCC parce qu’il n’y avait pas assez de temps pour évaluer ses interactions et estimer le niveau de tension. Lorsque l’employeur avance un motif lié à l’emploi pour la mutation, il incombe au fonctionnaire de démontrer que les motifs avancés équivalent à un subterfuge ou un camouflage (voir : Maqsood c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2009 CRTFP 175, au paragraphe 38).

85 L’employeur a mentionné des problèmes de sécurité, dont la gravité variait de faible au risque de décès d’un détenu, à titre de considération principale pour déterminer si le fonctionnaire devait être réintégré à l’Établissement Kent ou non. Le devoir fondamental d’un directeur est de préserver son établissement. Le fonctionnaire n’assumait pas des fonctions équivalentes. Il ne pensait ni aux détenus ni à l’établissement. Sa principale préoccupation était de blanchir son nom. Afin de rétablir le fonctionnaire dans ses fonctions, l’arbitre de grief aurait besoin de déclarer que les raisons de sécurité mises de l’avant par M. Kemball étaient un subterfuge. L’arbitre de grief doit agir avec précaution lors de l’examen des questions de sécurité. (Voir : Courchesne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-2-12299 (19820719), à la page 11).

86 Il n’existe pas d’éléments de preuve démontrant que M. Kemball n’a pas été honnête. S’il est permis au fonctionnaire de contester la crédibilité de M. Kemball, l’arbitre de grief doit également se pencher sur la crédibilité du fonctionnaire. Le manque de mémoire de M. Kemball n’équivaut pas à un manque de crédibilité. La crédibilité devient un problème uniquement si ses préoccupations concernant la sécurité de l’établissement n’étaient pas valables. Par ailleurs, le fonctionnaire a révélé dans son témoignage qu’il avait travaillé dans la construction pendant qu’il était suspendu et pourtant, dans sa déclaration de revenus, il a indiqué le SCC comme étant sa seule source de revenus. S’il n’a pas déclaré ces paiements comme étant une source de revenus, cela signifie qu’il a fait une fausse déclaration lorsqu’il a rempli sa déclaration de revenus cette année-là.

87 Le fonctionnaire ne devrait pas avoir droit à des dommages pour préjudice moral. Les dommages sont appropriés uniquement si l’acte en cause était si ignoble ou odieux qu’il dépassait ce qui serait normalement considéré comme étant acceptable dans le cadre de la relation de travail. En l’espèce, ce niveau n’est pas atteint et le fonctionnaire n’a pas non plus établi, à l’aide d’éléments de preuve, que tel était le cas.

B. Pour le fonctionnaire

88 Pour déterminer si le fonctionnaire a droit au remboursement des indemnités perdues, le libellé de la convention collective doit être examiné. L’annexe « G » (pièce 6, onglet 2) énonce que lorsqu’un employé est relevé de ses fonctions habituelles en raison d’un incident impliquant un délinquant, l’agent est réaffecté avec rémunération. La version française de l’annexe « G » fait référence à la réaffectation « avec rémunération ». La rémunération comprend le salaire, mais elle a également une portée plus large et comprend des indemnités selon la définition du Dictionnaire canadien des relations du travail, 2e édition. Les indemnités font partie de l’accord d’indemnisation (voir Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55). Le fonctionnaire devrait être indemnisé intégralement, ce qui comprend le remboursement d’environ 20 000 $ en guise de revenu brut attribué pour les primes de poste et de rémunération des heures supplémentaires qu’il n’a pas reçu durant sa suspension avec rémunération.

89 Lorsque l’employeur a suspendu et escorté le fonctionnaire hors du lieu de travail, il l’a traité comme s’il était un détenu. Rien ne justifiait cet acte. Rien ne démontrait qu’il représentait une menace pour quiconque ou pour quoi que ce soit. L’employeur a le droit de mener une enquête, mais la justice naturelle fait en sorte que le fonctionnaire a le droit de répondre aux allégations portées contre lui. M. Finlay n’avait aucune idée de la nature des preuves contre lui. Tel qu’il a été mentionné par l’avocat de l’employeur, Basra avait fait l’objet d’un contrôle judiciaire, et la Cour d’appel fédéral avait décidé que la suspension dont il était question était devenue disciplinaire après une période de retard même s’il n’y avait pas d’intention de sanctionner le fonctionnaire dans ce cas (voir Basra c. Procureur général du Canada, 2010 CAF 24). L’intention de l’employeur n’est pas l’unique ou le principal critère permettant de déterminer si une suspension est de nature disciplinaire. L’arbitre de grief doit également prendre en considération le temps que l’employeur a pris pour arriver à une décision. Dans ce cas, M. Massey disposait de tous les renseignements requis, à l’exception des commentaires du fonctionnaire, lorsque l’enquête disciplinaire a été lancée.

90 M. Kemball a démontré qu’il manquait de crédibilité. Durant l’interrogatoire principal, il s’est souvenu de tout, tandis que durant le contre-interrogatoire, sa mémoire était sélective. Il ne faut pas croire ses témoignages. Il a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait pas tiré de conclusion en ce qui concerne la réintégration du fonctionnaire au sein de l’Établissement Kent avant que l’évaluation de la menace et des risques ne soit terminée, alors que les éléments de preuve indiquaient le contraire. Il n’a peut-être pas orienté la conclusion qui devait être tirée dans l’évaluation du risque ou de la menace rédigée par le sous-directeur Huish, mais il a fait part de ses préoccupations à ce sujet lorsqu’il a ordonné la réalisation d’une telle évaluation. M. Kemball a indiqué dans son témoignage qu’il avait reçu le rapport en avril, alors qu’il a été démontré qu’il ne l’avait reçu qu’en juillet. Il n’a pu donner aucune explication quant à l’intervalle entre avril et juillet.

91 Il était évident que M. Kemball voulait licencier le fonctionnaire. Il était en colère et frustré par la procédure. La décision de réintégrer le fonctionnaire plutôt que de le licencier avait été imposée à M. Kemball. Il a ensuite outrepassé son pouvoir délégué et muté le fonctionnaire sans son consentement à l’Établissement Mountain. La grille de délégation des pouvoirs (pièce 15) énonce clairement que seule une personne occupant un poste à deux niveaux plus élevés que celui de M. Kemball avait le pouvoir de muter un employé sans son consentement. Pendant le contre-interrogatoire, il a admis qu’il ne détenait pas ce pouvoir.

92 M. Kemball a cité des préoccupations en ce qui a trait à la sécurité de l’Établissement Kent pour justifier sa décision. Ces dernières ne figurent nulle part comme motif de mutation d’un employé sans son consentement. Il n’était pas intéressé par les autres options disponibles au sein de l’Établissement Kent. Sa décision était prise avant que la section des Relations de travail du SCC ne lui recommande de mener une évaluation de la menace et des risques.

93 L’évaluation de la menace et des risques était un prétexte pour justifier sa décision de muter le fonctionnaire à l’Établissement Mountain. Lorsqu’il s’est avéré que la première évaluation n’était pas conforme aux normes, une deuxième version a été préparée, qui n’était pas mieux que la première, puisqu’elle reprenait au moins 70 % de ce qui avait été inclus dans la première version, qui reposait sur des conclusions selon lesquelles le fonctionnaire avait contrevenu au « Code de conduite ». Le fonctionnaire n’a pas été consulté pendant la préparation des évaluations de la menace et des risques. Le sous-directeur Huish n’a pas consulté les membres du personnel tel qu’il est requis dans les [traduction] « Lignes directrices sur le Programme de protection des employés » et le [traduction] « Rapport d’évaluation de la menace et des risques (EMR) du Programme de protection des employés (PPE) » de SCC (pièces 11 et 12). Rien n’indique comment M. Huish a conclu que le niveau de risque était élevé, à l’exception du fait que M. Kemball était arrivé à cette même conclusion et en avait fait part à M. Huish. L’évaluation de la menace et des risques révèle qu’un certain nombre de détenus qui ont participé à l’enquête disciplinaire n’étaient plus à l’Établissement Kent, et pourtant, cet argument était toujours utilisé comme motif pour refuser la réintégration du fonctionnaire.

94 Ensuite, dès qu’il y a eu un changement de direction à l’Établissement Kent, le fonctionnaire a été autorisé à y retourner pour suivre une formation. Le droit de muter un employé, lorsqu’il est exercé par une personne qui est dûment habilitée à le faire, n’est pas sans restriction. Le risque de sécurité posé par le fonctionnaire n’a pas été évalué de manière adéquate.

95 Il s’agit tout simplement d’un cas où l’employeur ne voulait pas trouver d’autres solutions et examiner les faits de façon objective. Les arguments de l’employeur reposent sur les actes et le témoignage de M. Kemball. Il n’était pas sincère. Toute préoccupation concernant la crédibilité du fonctionnaire devrait uniquement se limiter à la question de la rémunération. Toutefois, le manque de crédibilité de M. Kemball concernait également la plupart des questions qui lui étaient soumises.

96 Le temps qu’il a fallu pour achever le rapport d’enquête portait atteinte au droit du fonctionnaire de travailler et de gagner sa vie et l’a privé de prestations supplémentaires. La manière dont il a été suspendu représente également un élément important à prendre en considération. Il a été traité comme un des détenus confiés à sa garde. Le fonctionnaire a démontré une perte de 20 000 $ à la suite des mesures prises par l’employeur. Cela aurait pu être atténué si l’employeur l’avait muté à un PPCC, ou tout autre poste qui ne requiert pas de contact avec les détenus, plutôt que de le suspendre.

97 Le fonctionnaire demande des dommages pour le traitement qu’il a subi. Le préjudice n’atteint pas le niveau de Canada (Procureur général) c. Tipple, 2011 CF 762, mais il est similaire à celui de Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70. L’employeur a fourni très peu d’effort pour corriger ces erreurs. Il avait tous les moyens à sa disposition pour remédier à la situation.

V. Motifs

98 L’objection préliminaire de l’employeur concernant ma compétence est bien fondée dans la jurisprudence. Si je me déclare compétente pour traiter l’affaire de la mutation du fonctionnaire à l’Établissement Mountain sans son consentement, je dois conclure que les actions de l’employeur, par l’intermédiaire de son agent, le directeur Mark Kemball, sont un subterfuge ou un camouflage et que le véritable motif à l’origine de la mutation n’était pas la préoccupation légitime déclarée relativement à la sécurité de l’Établissement Kent. Compte tenu du fait que la documentation concernant la mutation sans consentement comme condition d’emploi est limitée, la meilleure source qui puisse nous éclairer sur ce qui constitue un subterfuge ou un camouflage se trouve dans la jurisprudence relative au renvoi en cours de stage.

99 La compétence d’un arbitre de grief de la Commission sur les cas de renvoi en cours de stage est clairement délimitée par les lois et les décisions de la Cour fédérale (voir : Boyce, au paragraphe 50).

100 Dans Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 C.F.P.I. 529, au paragraphe 37, la Cour fédérale a conclu que « l’employeur n’a pas à produire une preuve prima facie d’un motif déterminé valable, mais seulement à produire un minimum de preuve que le renvoi est lié à l’emploi et non à un autre motif ».

101  Lorsque l’employeur avance un motif lié à l’emploi pour un renvoi en cours de stage, il incombe au fonctionnaire de démontrer que les motifs du renvoi en cours de stage étaient un subterfuge ou un camouflage et que l’employeur a agi de mauvaise foi. Il incombe au fonctionnaire de démontrer non seulement qu’un jugement différent a pu être porté, mais également que l’employeur a simplement créé une justification liée à l’emploi pour camoufler des motifs qui n’avaient rien à voir avec son aptitude à accomplir le travail (voir : Maqsood, au paragraphe 38).

102 Dans Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), la Cour fédérale a adopté le critère suivant tout d’abord énoncé dans Smith c. Conseil du Trésor (Ministère des Postes), dossier de la CRTFP 166-02-3017 (19771007) :

[…]

En effet, une fois que l’employeur a présenté à l’arbitre une preuve concluante indiquant un motif de renvoi valable à première vue, l’audition sur le fond dans l’affaire de congédiement ne peut alors aboutir qu’à une impasse soudaine. [Je souligne]

[…]

103 En l’espèce, le fonctionnaire a remis en question la crédibilité de M. Kemball afin de rencontrer le fardeau de la preuve changeant, lequel exigeait du fonctionnaire qu’il démontre que les motifs avancés par l’employeur pour sa mutation sans consentement constituaient un subterfuge ou un camouflage. Si les éléments de preuve de M. Kemball à ce sujet ne sont pas crédibles, la question de savoir s’il a agi de bonne foi en procédant à la mutation du fonctionnaire sans son consentement relève alors de ma compétence.

104 Dans Boyce, au paragraphe 58, l’arbitre de grief a cité le critère suivant provenant de McMorrow c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), dossier de la CRTFP 166-02-23967 (19931119) :

[…]

[…] si on peut démontrer que l’employeur a tiré une conclusion arbitraire sur les faits lorsqu’il a décidé effectivement de renvoyer la personne en cours de stage, alors cette décision est nulle […]

[…]

Il est banal d’affirmer que pour établir s’il y a eu ou non bonne foi il faut examiner toutes les circonstances entourant l’affaire. Les faits qui peuvent justifier une conclusion de mauvaise foi peuvent se présenter de multiples façons […] en tenant pour acquis, bien sûr, que l’on doit toujours, en partant, présumer de la bonne foi de l’employeur […]

105 L’arbitre de grief a poursuivi en indiquant, au paragraphe 63, qu’un autre aspect de la mauvaise foi était le traitement discriminatoire ou différentiel à l’égard d’employés qui sont dans la même situation. La preuve non contredite du fonctionnaire en l’espèce est qu’il était le seul agent correctionnel escorté de son lieu d’affectation dans l’Établissement Kent durant les heures de travail et qu’il ne lui a jamais été permis d’y retourner. Aucune preuve n’a été rapportée qu’il était le seul agent correctionnel muté sans son consentement de l’Établissement Kent, ou de tout autre établissement, même si l’employeur avait pu présenter cette information à travers ses témoins. Faute d’une telle preuve, je conclus que le fonctionnaire a donné une description exacte de son traitement en disant qu’il était le seul agent correctionnel à l’Établissement Kent à avoir été traité de cette manière. Selon les faits, il a été soumis à un traitement différentiel, tout d’abord par M. Massey, ensuite par M. Kemball.

106 Étant donné que la participation de M. Massey auprès du fonctionnaire n’était que marginale par rapport au résultat final, les arguments de l’employeur reposaient principalement sur les éléments de preuve de M. Kemball. Le fonctionnaire m’a demandé de conclure que M. Kemball n’était pas crédible et que j’ignore sa preuve concernant la décision de muter le fonctionnaire à l’Établissement Mountain.

107 L’arbitre de grief dans Robitaille au paragraphe 287 a affirmé ce qui suit :

287. L’appréciation de la crédibilité d’un témoin ne relève pas d’une science exacte. L’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins amène nécessairement la conciliation des différentes versions des faits. Donner foi à un témoignage par rapport à un autre est une question de jugement. […]

108 M. Kemball était visiblement agité durant le contre-interrogatoire. À un moment donné, lorsqu’on lui a demandé de quitter la salle afin que les avocats puissent discuter de la pertinence d’un élément de preuve en particulier, il a claqué la porte en sortant. Il avait le visage rouge, semblait avoir la bouche sèche et s’est souvent montré évasif. Il a affirmé qu’il n’avait aucune connaissance ou souvenir de nombreux détails relatifs à ce cas durant le contre-interrogatoire. Ce comportement était à l’opposé de celui qu’il affichait durant l’interrogatoire principal, où ses réponses étaient directes, concentrées et définitives. Il n’a démontré ni gêne ni frustration en ce qui concerne la procédure lors de l’interrogatoire principal; il n’a pas non plus eu de trou de mémoire.

109 L’attitude de M. Kemball lors de son témoignage n’équivaut pas à un manque de crédibilité. Toutefois, son incapacité à se souvenir des courriels dans lesquels il a clairement énoncé qu’il souhaitait licencier le fonctionnaire ainsi que sa mémoire très limitée en ce qui concerne les réunions et ses commentaires laissant entendre qu’il ne faisait pas confiance au fonctionnaire, lesquels commentaires ont par la suite été documentés, est révélatrice. Elle reflète sa gêne de voir sa décision de muter le fonctionnaire sans consentement remise en cause et que l’on soupçonne que le lien entre cette décision et son allégation qu’elle était nécessaire pour la sécurité de l’Établissement Kent était fallacieux. Cela démontre également que son intention était d’empêcher le fonctionnaire de revenir à l’Établissement Kent. Enfin, son incapacité reflète également ce que je suis parvenue à mettre en évidence, à savoir que l’intention de M. Kemball était de retirer le fonctionnaire de l’Établissement Kent, peu importe ses conclusions en ce qui concerne la culpabilité face aux allégations de mesures disciplinaires.

110 Je ne devrais pas m’appuyer seulement sur l’attitude de M. Kemball dans l’évaluation de sa crédibilité. Tel qu’il est énoncé au paragraphe 233 de Robitaille (faisant référence à Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354) :

233. Pour évaluer la crédibilité d’un témoin, la personne qui entend la preuve ne doit pas se fier uniquement à l’impression laissée par le témoin, mais doit fonder son jugement sur un examen de la manière dont le témoignage donné s’inscrit dans l’ensemble de la preuve, compte tenu des autres témoignages, des faits établis, d’une probabilité raisonnable des événements et de son expérience des affaires humaines.

111 M. Kemball a nié de manière répétée, aussi bien durant le contre-interrogatoire que lorsqu’il a été interrogé de nouveau, avoir affirmé qu’il ne faisait pas confiance au fonctionnaire et qu’il ne souhaitait pas sa présence à l’Établissement Kent. L’avocat de l’employeur a avancé que M. Kemball n’était manifestement pas biaisé en ce qui concerne le fonctionnaire, car il s’était prononcé en sa faveur malgré les conclusions de l’enquête disciplinaire. Je n’admets pas cet argument. Il est clair dans la correspondance électronique ainsi que dans d’autres documents présentés comme pièces justificatives que M. Kemball a dans les faits déclaré et mis par écrit qu’il préférait mettre fin à son emploi auprès du SCC et qu’il ne faisait pas confiance au fonctionnaire (voir les pièces 9, 10, 29 et 30). Il est également clair que M. Kemball a suivi cette ligne d’action jusqu’à ce qu’il finisse par accepter le conseil des responsables des Relations de travail du SCC indiquant que le licenciement n’était pas justifié (voir la pièce 28). Compte tenu du fait que le licenciement n’était pas une option, il a pris des mesures pour une mutation sans consentement et une évaluation de la menace et des risques a été réalisée. Je doute de la validité de l’évaluation de la menace et des risques, car elle n’a pas respecté les procédures du SCC en ce qui concerne l’évaluation des risques, et il me semble qu’elle a été rédigée avec une conclusion connue d’avance comme le démontre ce qui suit (pièce 28) :

[Traduction]

De : Langer, Mark (PAC)

Envoyé : le lundi 28 novembre 2011, 12 h 41

Destinataire : Saso, Erin (NHQ-AC)

Objet : Évaluation de la menace et des risques – Établissement Kent CX

Bonjour Erin,

Voici l’évaluation de la menace et des risques proposée justifiant la décision de transférer le CX à un autre établissement dans la région du Pacifique :

<<TRA Finlay – November 2011 (2).docx>>

[…]

112 L’auteur de l’évaluation de la menace et des risques (pièce 6, onglets 10 et 12) a allégué avoir réalisé l’évaluation en consultant toutes les lois et politiques pertinentes. Il a toutefois été démontré qu’il ne l’avait pas fait. Selon la preuve présentée par M. Kemball, le risque n’a pas été évalué à l’aide des [traduction] « Lignes directrices sur le Programme de protection des employés »(pièce 11) et le [traduction] « Rapport d’évaluation de la menace et des risques (EMR) du Programme de protection des employés (PPE) » (pièce 12). Je conclus que les deux évaluations ont été rédigées alors que la conclusion était tirée d’avance. Une évaluation appropriée des véritables risques n’a pas été réalisée.

113 Le ton des deux évaluations du risque ou de la menace est similaire à celui de la lettre qui se trouve à la pièce 6, onglet 7, dans laquelle M. Kemball a informé le fonctionnaire que [traduction] « Par conséquent, je n’ai pas d’autre choix que de déclarer que les allégations portées à votre encontre sont infondées et qu’aucune mesure disciplinaire supplémentaire ne sera prise à la suite de cette enquête disciplinaire ». [Je souligne]. Selon l’évaluation de la menace et des risques (pièce 6, onglet 10) énonce :

[Traduction]

[…]

Il a été décidé que les éléments de preuve recueillis par le comité d’enquête n’étaient pas suffisants pour soutenir le licenciement de M. Finlay. Des mesures disciplinaires moindres ne peuvent pas être envisagées, étant donné que la gravité des allégations ne permet rien de moins qu’un licenciement.

[…]

Même si les allégations ne sont pas fondées, il reste une « mémoire institutionnelle » chez les agents correctionnels et les détenus de l’Établissement Kent qui pourrait mettre M. Finlay ou d’autres dans une position de vulnérabilité.

[…]

Lorsque M. Finlay a été suspendu avec salaire le 03­02­2011, un changement dans la culture s’est opéré à l’Établissement Kent.

[…]

S’il revient à l’Établissement Kent, il est probable que M. Finlay se retrouve face à un incident de sécurité impliquant un des neuf (9) détenus qui sont toujours incarcérés à Kent et qui étaient impliqués dans les allégations portées contre M. Finlay. Il existe un risque que l’un de ces détenus puisse être blessé durant une intervention du personnel, ce qui met nettement l’établissement et M. Finlay dans une position de vulnérabilité.

[…]

Un retour de M. Finlay dans ce milieu entrainerait, selon toute vraisemblance, un environnement de travail négatif.

[…]

À son retour au travail, M. Finlay devra être placé dans un autre établissement dans la région du Pacifique.

[…]

[Je souligne.]

114 Cette évaluation de la menace et des risques a fait l’objet d’une révision subséquente dans une certaine mesure, même si le gros du rapport est resté inchangé. Je suis particulièrement troublé par l’objectif énoncé du document :

[Traduction]

[…] les allégations ont été décrites en vue de fournir au lecteur un contexte en ce qui concerne le risque qui subsiste. Malgré le fait que les allégations ont été jugées non fondées, il n’en reste pas moins que les allégations ont été avancées. C’est le fait que les allégations ont été avancées, et qu’aussi bien des membres du personnel que des détenus ont fourni des éléments de preuve soutenant lesdites allégations, qui est à l’origine du risque. Ce sont les allégations faites qui présentent le risque et non pas la validité des allégations […].

[Je souligne]

Si une véritable évaluation de la menace et des risques avait été réalisée et qu’elle avait révélé des questions de sécurité quelconques (vis-à-vis du fonctionnaire, de ses collègues ou des détenus), ma décision aurait pu être différente. Néanmoins, en l’espèce, le recours de l’employeur à l’évaluation de la menace et des risques comme justification pour la mutation doit être rejeté.

115 Il va sans dire que la conclusion qu’une menace existait justifiant la mutation du fonctionnaire sans son consentement à l’Établissement Mountain a été tirée en se fondant sur le fait que des allégations ont été portées contre le fonctionnaire et sur la préférence indiquée par M. Kemball selon laquelle le fonctionnaire ne devait pas être réintégré à l’Établissement Kent, tel qu’il est démontré dans les pièces justificatives. Dans la pièce 29, Mme Tyler, la chef régionale des Relations de travail a avisé le chef national des Relations de travail que M. Kemball [traduction] « […] pense qu’en raison de la gravité des conclusions, le licenciement est la seule option ».

116 Le 10 novembre 2011, l’accent a été mis sur la mutation du fonctionnaire vers un autre établissement (voir la pièce 10) :

[Traduction]

De : Kemball, Mark (PAC)

Envoyé : le jeudi 10 novembre 2011, 12 h 31

Destinataire : Saso, Erin (NHQ-AC); Langer, Mark (PAC)

C. c. : Lindblad, Michele (PAC); Houle, René (NHQ-AC)Objet :

Au sujet de : Révisé…

Veuillez formuler un avis sur la mutation de M. Finlay à un autre établissement. J’estime que cette mesure serait dans l’intérêt de tous.


Envoyé depuis mon BlackBerry portable sans fil

117 Afin d’appuyer la mutation, une évaluation de la menace et des risques a été demandée par M. Kemball : (pièce 9)

[Traduction]

De : Kemball, Mark (PAC)

Envoyé : le lundi 21 novembre 2011, 14 h 42

Destinataire : Saso, Erin (NHQ-AC); Houle, René (NHQ-AC)

C. c : Langer, Mark (PAC); Boileau, Michael (PAC); Huish, Shawn (PAC)

Objet : EMR - M. Finlay

Le SD effectue actuellement une EMR au sujet de M. Finlay. Lorsque cette évaluation sera terminée, nous pourrons en discuter plus en détail. Comme vous le savez, je suis d’avis qu’il est au meilleur des intérêts du Service que M. Finlay ne revienne pas à l’Établissement Kent. L’EMR devrait orienter notre discussion. Je n’ai participé directement à la rédaction du EMR en aucune façon, autre que pour fournir certains paramètres à M. Huish pour examen.

M.

118 Compte tenu de la multitude de preuves documentaires qui contredisent la preuve de M. Kemball selon laquelle la mutation du fonctionnaire était fondée uniquement sur des préoccupations de sécurité légitimes, je conclus que d’après la prépondérance des probabilités, le vrai motif de la mutation du fonctionnaire à l’Établissement Mountain par M. Kemball était d’accomplir ce qui ne pouvait pas être fait au moyen de la procédure disciplinaire. Le témoignage et la « grille de délégation des pouvoirs » démontrent clairement que M. Kemball ne détenait pas les pouvoirs délégués pour muter un employé sans son consentement. Aucune preuve n’a démontré que M. Kemball s’était vu sous-déléguer des pouvoirs par un niveau supérieur pour procéder à la mutation sans consentement. Cette mutation a été influencée par M. Kemball et sa méfiance à l’égard d’un employé qu’il n’avait pas rencontré avant la rencontre disciplinaire, où ils se sont rencontrés. Les seules deux options envisagées étaient le licenciement et la mutation. Selon M. Kemball, il n’a pas du tout été envisagé de réintégrer le fonctionnaire à un poste qui ne requiert pas de contact avec les détenus au sein de l’Établissement Kent.

119 Il est révélateur que, une fois que M. Kemball a quitté son poste de directeur de l’Établissement Kent, l’interdiction empêchant le fonctionnaire d’assister aux séances de formation avec les autres membres de l’Établissement Mountain qui étaient formés à l’Établissement Kent a été levée. L’avocat de l’employeur m’a demandé de ne pas tenir compte du témoignage du fonctionnaire en ce qui concerne son allégation fondée sur des ouë-dire. Je rejette la demande de l’employeur, car le témoignage du fonctionnaire sur cette question ne dépendait pas de ce que les autres lui avaient dit avoir entendu en ce qui concerne cette question, mais plutôt de son expérience et de ce qu’on lui avait dit directement. Le fonctionnaire a fait savoir dans son témoignage qu’on lui avait ordonné de se présenter à l’Établissement Pacifique pour la formation, car il n’était pas autorisé à être sur les lieux de l’Établissement Kent et qu’il était le seul agent de l’Établissement Mountain à assister à la formation à l’Établissement Pacifique. Il a également mentionné dans son témoignage une conversation directe qu’il avait eue avec Rose Bertolo dans laquelle elle avait confirmé que puisqu’il y avait eu un changement de direction à l’Établissement Kent, il lui était désormais permis d’y retourner pour la formation. J’en conclus que ses preuves sur cette question ne consistaient pas des ouë-dire, mais des preuves directes sur la question de son interdiction de se rendre à l’Établissement Kent. Je conclus que ses éléments de preuve débouchent également sur la conclusion que cette interdiction émanait de M. Kemball et démontrent l’intention de M. Kemball d’imposer des mesures disciplinaires au fonctionnaire.

120 L’avocat de l’employeur m’a rappelé que je devais agir avec précaution en présence d’une conclusion indiquant l’existence d’une menace à la sécurité dans un établissement pénitentiaire. Même si j’approuve cette proposition, je ne peux pas permettre à l’employeur d’agir de mauvaise foi et de faire appel à des préoccupations sécuritaires pour camoufler des mesures disciplinaires. Par conséquent, je décide que, compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, tant la preuve documentaire que les témoignages, le manque de crédibilité du témoin principal de l’employeur, et le fait non contredit que le fonctionnaire était le seul agent correctionnel de l’Établissement Kent à être traité de cette manière, sa mutation à l’Établissement Mountain était en fait de nature disciplinaire. Étant donné qu’il s’agit d’un cas de mesure disciplinaire déguisée, j’ai compétence pour trancher cette affaire. Imposer une mesure disciplinaire après qu’il a été conclu que le comportement allégué ne justifiait pas de mesure disciplinaire est inacceptable.

121 En ce qui a trait à la question de savoir si le fonctionnaire avait droit au remboursement de ses primes de poste non touchées et des heures supplémentaires non travaillées durant la suspension sans salaire, l’exposé conjoint des faits (pièce 33) a établi une approche incohérente quant au dédommagement par l’employeur des pertes subies.

122 L’avocat de l’employeur a soutenu que, étant donné qu’on considérait avoir confié au fonctionnaire des tâches administratives en vertu de l’« entente globale », présentée à l’onglet 3 de la pièce 6, et de l’horaire de travail de 8 h à 16 h du lundi au vendredi, il n’avait pas droit au paiement des primes de poste et de fin de semaine « […] puisqu’il s’agit là d’avantages que l’on verse habituellement au fonctionnaire pour le dédommager du fait qu’il a effectivement travaillé en de telles occasions » (voir Morris c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2000 CRTFP 55, au paragraphe 36). Comme le fonctionnaire n’a pas été appelé à travailler des heures supplémentaires en raison de ses fonctions administratives, le fonctionnaire n’a pas droit au paiement des heures supplémentaires.

123 Le représentant du fonctionnaire a soutenu qu’une entente globale ne peut pas prévaloir sur les dispositions de la convention collective. L’annexe G de la convention collective fait référence à la suspension avec rémunération. La version française de l’annexe G parle de « rémunération ». Aucun des termes n’est défini dans la convention collective. Le Lexique des termes et des définitions du Secrétariat du Conseil du Trésor définit « rémunération » comme étant le traitement et les indemnités. Les indemnités comprennent les primes de poste et le paiement des heures supplémentaires. Le fonctionnaire a démontré au moyen de ses T4 qu’il avait vu son revenu diminuer d’environ 20 000 $ en 2011 en raison de la perte des primes de poste et des paiements des heures supplémentaires. Dans Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 53, lorsque la réintégration d’un agent correctionnel a été ordonnée à la suite d’une longue période de suspension, l’arbitre de grief a ordonné la réintégration de l’employé et le versement de la totalité de son salaire et de ses prestations.

124 Il ne s’agit pas du même type de situation que dans Eden où le fonctionnaire a été transféré à un poste non opérationnel parce qu’il n’était plus qualifié pour travailler dans un poste opérationnel. Le fonctionnaire aurait pu continuer à travailler en tant qu’agent correctionnel dans un poste ne nécessitant pas de contact avec les détenus si l’employeur avait pris en considération cette option, et ce dernier a en fait effectivement travaillé comme agent correctionnel à l’Établissement Mountain. La preuve présentée par les deux parties était que cette option avait été mise en œuvre pour d’autres agents correctionnels dans des situations où des plaintes avaient été déposées à leur endroit.

125 La résolution de cette question réside partiellement dans les faits et les dispositions de l’entente globale ainsi que de la convention collective. Selon l’entente globale, l’employeur a le droit de réaffecter un employé à un poste administratif [traduction] « avec rémunération » lorsqu’il fait l’objet d’une enquête jusqu’à ce que l’enquête soit terminée et qu’une décision soit rendue en ce qui concerne son statut. Tel qu’il a été souligné par le représentant du fonctionnaire, les dispositions de l’annexe G de la convention collective fait également référence à la suspension « avec traitement ». Je conclus que l’employeur avait, à l’origine, une raison appropriée pour enquêter sur les allégations de conduite répréhensible contre le fonctionnaire et le réaffecter à un poste administratif « avec rémunération ». En raison de la gravité des allégations, il n’y avait pas d’autre option pour l’employeur. Je suis également d’accord avec l’argument de l’employeur selon lequel le libellé de l’entente globale ainsi que de la convention collective indique que le fonctionnaire peut être affecté à un poste qui exige de lui de ne travailler que pendant une semaine de travail normale, sans les prestations des mesures incitatives liées à l’emploi auxquels il avait droit auparavant telles que la prime de poste de nuit, la prime de fin de semaine ou le droit aux heures supplémentaires. Je fonde ma position sur le fait que les prestations liées à l’emploi sont uniquement destinées aux employés qui ont travaillé les heures requises pour le paiement des prestations supplémentaires.

126 Toutefois, l’employeur ne jouissait plus du droit de réaffecter le fonctionnaire en vertu des dispositions de l’entente globale à partir du moment où la réaffectation ne remplissait plus des conditions de cette entente, ce qui est arrivé, selon moi, lorsque l’employeur a avisé le fonctionnaire le 30 novembre 2011, par lettre, des dispositions de l’enquête et de l’audience disciplinaires, l’informant que les allégations n’étaient pas fondées et qu’aucune mesure disciplinaire ne serait prise à son endroit. Une fois que la décision a été prise, le fonctionnaire avait le droit de réintégrer son poste antérieur à l’Établissement Kent et de bénéficier des possibilités habituelles offertes aux agents correctionnels qui y sont employés, tels que les heures supplémentaires et les postes de fin de semaine. Le fonctionnaire doit par conséquent être remboursé pour les prestations dont il n’a pas bénéficié en raison de la mesure disciplinaire prise par l’employeur à son encontre.

127 Toutefois, je ne suis pas d’avis que les dommages soient justifiés. Les arguments avancés par le fonctionnaire ne satisfont pas aux critères pour accorder des dommages. Aucune preuve ne démontre que les allégations ont été faites ou examinées de mauvaise foi ou dans le but d’avoir des répercussions négatives sur le fonctionnaire ou sa carrière. L’employeur a reçu des allégations de mauvaise conduite du fonctionnaire, lesquelles justifiaient une enquête, et il a exercé son droit à cet égard. Je conclus également que les mesures prises par l’employeur après le 30 novembre 2011 ne donnent pas matière à une demande en dommages. Le fonctionnaire m’a exhorté à suivre la décision dans Robitaille comme exemple, mais je conclus que les faits dans la présente affaire sont bien différents de ceux dans l’affaire citée. Dans ladite affaire, la preuve a démontré que les mesures prises par l’employeur avaient ruiné le fonctionnaire, mené à la rupture de son mariage et occasionné des problèmes de dépression. Même si le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il se sentait blessé, isolé et humilié, aucune preuve ne laisse penser que les évènements qui ont succédé au 30 novembre 2011 ont provoqué chez lui une souffrance exceptionnelle. Les actions de l’employeur ne peuvent pas être qualifiées de sévères, vindicatives, répréhensibles ou malveillantes. L’attribution de dommages est discrétionnaire et je conclus qu’en raison des faits particuliers en l’espèce, elle n’est pas justifiée.

128 Pour tous ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

129 Le fonctionnaire doit être réintégré dans un poste classifié au groupe et niveau CX-02 au sein de l’Établissement Kent dans les 90 jours suivant cette décision.

130 Le fonctionnaire se verra rémunérer les primes de poste et de fin de semaine ainsi que les heures supplémentaires perdues fondées sur la moyenne des paiements versés aux agents correctionnels employés dans l’unité de 96 détenus de l’Établissement Kent entre le 6 septembre 2011 et le 5 décembre 2011.

131 La demande du fonctionnaire en ce qui concerne les dommages est rejetée.

132 Je demeure saisie de cette affaire pour traiter des questions découlant de cette ordonnance pendant les 120 jours qui suivent la date de la présente décision.

Le 27 mai 2013.

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,
arbitre de grief

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