Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué qu’il avait été muté sans son consentement, ce qui contrevient à l’article 51 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la << LEFP >>) - une audience a été mise au rôle - le matin de l’audience, le fonctionnaire s’estimant lésé a mentionné qu’il ne pouvait pas se présenter pour des raisons de santé - le fonctionnaire s'estimant lésé s’est présenté plus tard ce matin-là et a demandé un report d’audience, ce à quoi l’employeur s’est opposé - l’employeur s’est opposé, pour des motifs de compétence, au renvoi de ce grief, soutenant que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu être muté sans son consentement seulement s’il y avait eu mutation au sens de la LEFP, ce qui, a soutenu l’employeur, n’était pas le cas - l’arbitre de grief a accordé le report d’audience et ordonné aux parties de présenter des arguments écrits sur la question consistant à déterminer si la preuve documentaire démontrait que la mutation du fonctionnaire s’estimant lésé avait été faite conformément à la LEFP ou si le fonctionnaire s’estimant lésé avait été l’objet d’une << mutation déguisée >>, tel qu’il l’a allégué - le fonctionnaire s’estimant lésé a continué d’être le titulaire de son poste d’attache; il a toutefois allégué que les modifications à ses fonctions étaient tellement importantes que celles-ci ne pouvaient être considérées comme une attribution de nouvelles fonctions - l’arbitre de grief a soutenu que la Cour fédérale avait jugé qu’un employé ne pouvait faire l’objet d’une mutation << de facto >> - les seules mutations reconnues au sens de la LEFP sont celles où le ministère projetait procéder à la mutation et où il s’est conformé à toutes les conditions pertinentes prévues par des lois, des règlements ou des lignes directrices - le sens d’une << mutation >> aux termes de la LEFP et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la << LRTFP >>) est le même; le sous-alinéa 209(1)c)(ii) de la LRTFP souligne que l’arbitre de grief n'a compétence que dans le cas d’une mutation en vertu de la LEFP - l’article 7 de la LRTFP interdit à un arbitre de grief d’entendre les plaintes des employés portant sur l’attribution des fonctions - si l’arbitre de grief avait exercé sa compétence en l’espèce, il aurait empiété sur un territoire interdit - il n'avait pas compétence à l'égard du grief. Dossier clos par ordonnance.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-04-22
  • Dossier:  566-02-5004, 5334 et 6318
  • Référence:  2013 CRTFP 45

Devant un arbitre de grief


ENTRE

THADDEUS YARNEY

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Santé)

employeur

Répertorié
Yarney c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michael Bendel, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate, ministère de la Justice

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 19 novembre 2012.
Arguments écrits déposés le 14 décembre 2012 et les 15 et 22 janvier 2013.
(Traduction de la CRTFP)

Griefs et demande d’ajournement

1  Dans ses griefs, le Dr Thaddeus Yarney, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), un employé occupant un poste classifié aux groupe et niveau BI-04, allègue qu’il a été muté sans son consentement, ce qui contrevient à l’article 51 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la « LEFP »), L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13. Son poste d’attache se trouve dans la Division de la reproduction et de l’urologie, Bureau du métabolisme, de l’oncologie et des sciences de la reproduction, Direction des produits thérapeutiques. Contre son gré, on lui a imposé de travailler au Bureau des produits biologiques, biotechnologiques et de santé naturels commercialisés, Direction des produits de santé commercialisés, depuis octobre 2010.

2 Il était prévu que l’audience se tienne à Ottawa les 19, 20, 21 et 22 novembre 2012. Cependant, tôt le matin du 19 novembre, le fonctionnaire a envoyé un courrier électronique au greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), indiquant qu’il ne pouvait pas se présenter à l’audience [traduction] « pour des raisons de santé ». Dans une conversation téléphonique ultérieure avec l’agent du greffe de la Commission, il a déclaré qu’il essaierait de se présenter à l’audience plus tard ce matin-là. Le fonctionnaire a effectivement comparu à l’audience peu de temps après l’heure prévue du début de l’audience. Toutefois, il a soutenu qu’il n’était pas en mesure de participer à l’audience et a demandé un ajournement. Il a présenté un « certificat médical », qu’il a obtenu dans une clinique sans rendez-vous le jour précédent et qui énonçait qu’il [traduction] « […] était incapable de travailler ou d’assister à des cours pour des raisons médicales […] du 19 novembre 2012 au 23 novembre 2012 […] congé recommandé pour des raisons de santé ».

3 L’avocate de l’employeur s’est vivement opposée à la demande d’ajournement et a demandé le rejet des griefs. Cependant, elle a subsidiairement fait valoir que, si j’étais porté à accorder l’ajournement, cela devrait être assorti de conditions strictes. En particulier, l’avocate m’a rappelé l’objection à la compétence que l’employeur a soulevée avant l’audience et qui a fait l’objet de discussions lors d’une conférence préparatoire au grief. Elle a affirmé que, avant de réinscrire l’affaire au rôle des audiences, je devrais au moins exiger que le fonctionnaire me convainque que j’avais compétence pour entendre ce cas.

4 D’après l’objection à la compétence de l’employeur, le fonctionnaire n’a nullement fait l’objet d’une mutation, mais on lui a seulement attribué quelques nouvelles fonctions. L’avocate de l’employeur a soutenu qu’un arbitre de grief pouvait conclure qu’un employé a été muté sans son consentement dans le seul cas où il y a eu mutation au sens de la LEFP. Il s’agissait là d’une question préliminaire, qui devait être résolue avant que tout autre élément de preuve ou argument ne soit présenté.

5 J’ai décidé d’accorder l’ajournement, mais en imposant plusieurs conditions. Dans une lettre transmise aux parties et datée du 26 novembre 2012, l’agent du greffe de la Commission a mentionné notamment ce qui suit :

[Traduction]

L’arbitre de grief a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder l’ajournement demandé par le Dr Yarney le 19 novembre 2012.

[…]

L’arbitre de grief tranchera [la] question préliminaire en s’appuyant sur des arguments écrits. Le processus de présentation des arguments écrits se déroulera comme suit :

[…]

L’audience ne sera reportée que si l’arbitre de grief, après avoir reçu les arguments des parties, est convaincu de l’une des deux éventualités suivantes :

a) la preuve documentaire du fonctionnaire démontre qu’il a fait l’objet d’une mutation;

b) contrairement à l’allégation de l’employeur, un fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas tenu de fournir la preuve d’une mutation écrite et officielle dans un grief visé par le sous-alinéa 209(1)c)(ii) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Arguments des parties

6 L’avocate de l’employeur a affirmé que, durant toute la période de la prétendue mutation du fonctionnaire, ce dernier est demeuré dans le même poste que celui qu’il occupe depuis son embauche (même si le numéro du poste a été modifié). L’avocate a examiné les dispositions de la LEFP qui se rapportaient aux mutations. En particulier, elle a mentionné l’article 52, en vertu duquel un employé « [d]ès sa mutation […] cesse d’être titulaire du poste auquel [il] avait été [nommé] ou [muté] avant la mutation ». Il était donc impossible de conclure que le fonctionnaire avait été muté, puisqu’il avait continué à être titulaire du poste qu’il occupait auparavant.

7 Selon l’avocate de l’employeur, l’article 52 était conforme à l’interprétation par la Cour d’appel fédérale du processus de mutation dans Roberts c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 323 (C.A.) (QL) et Elmore c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 2028 (C.A.) (QL), confirmant [2000] A.C.F. no 119 (T.D.) (QL). De plus, dans Canada (Procureur général) c. Dawidowski, [1994] A.C.F. no 1791 (T.D.) (QL), la Cour fédérale a insisté sur le fait que, pour appuyer une conclusion selon laquelle un ministère a muté un employé, un tribunal doit trouver « […] un élément subjectif (intention) et un élément objectif (conformité aux conditions énoncées dans la Loi, y compris les modalités du Conseil du Trésor et les lignes directrices de la Commission) » (au paragraphe 11). La Cour fédérale a expressément rejeté la notion de « mutation de facto » puisque cela pourrait avoir pour résultat de priver les employés des droits et garanties qui leur sont conférés par la loi, « […] un résultat que n’a pu envisager le législateur et qui est contraire à une bonne interprétation de la Loi ».

8 L’avocate de l’employeur a souligné que le Conseil du Trésor n’avait plus de directives sur les mutations, mais a délégué la question aux ministères. Dans le cas du ministère de la Santé, la clause 3.4.3 de ses politiques et lignes directrices de dotation, en vigueur le 30 mars 2007, énonçait notamment qu’une mutation [traduction] « devait être faite par écrit ».

9 En réponse, le fonctionnaire a déposé une longue argumentation, en précisant l’injustice qu’il a perçue dans le traitement qu’il a reçu de son ministère et en insistant pour être autorisé à présenter tous ses éléments de preuve. Il m’a exhorté à reconnaître que les changements apportés à ses fonctions étaient tellement importants qu’ils ne pouvaient pas être raisonnablement considérés comme une simple attribution de quelques nouvelles fonctions à son poste même s’il est demeuré au même poste qu’auparavant. Il s’agissait, selon le fonctionnaire, d’une [traduction] « mutation déguisée » qui a été faite sans son consentement.

10 Dans sa réplique, l’avocate de l’employeur a fait valoir que le fonctionnaire n’a pas démontré par ses arguments qu’il avait fait l’objet d’une mutation.

Dispositions législatives pertinentes

11 Les dispositions suivantes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (LRTFP) s’appliquent aux présents griefs :

[…]

7. La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor ou d’un organisme distinct quant à l’organisation de tout secteur de l’administration publique fédérale à l’égard duquel il représente Sa Majesté du chef du Canada à titre d’employeur, à l’attribution des fonctions aux postes et aux personnes employées dans un tel secteur et à la classification de ces postes et personnes.

[…]

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

[…]

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire […]

[…]

12 Sont également pertinentes les dispositions suivantes de la LEFP :

[…]

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« mutation »

deployment”

« mutation » Transfert d’une personne d’un poste à un autre sous le régime de la partie 3.

[…]

Droit d‘effectuer des mutations

51. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi, l’administrateur général peut muter des fonctionnaires à l’administration relevant de sa compétence ou au sein de cette administration.

Mutations en provenance d’organismes distincts

(2) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi, l’administrateur général peut muter à l’administration relevant de sa compétence des employés d’un organisme distinct dans lequel les nominations ne relèvent pas exclusivement de la Commission, si celle-ci, après avoir étudié, sur demande de l’organisme distinct, le régime de dotation de celui-ci, a approuvé les mutations en provenance de l’organisme.

Mouvements de personnel

(3) La mutation peut s’effectuer à l’intérieur d’un groupe professionnel ou, sauf exclusion par les règlements pris en vertu de l’alinéa 26(1)a), entre groupes professionnels.

Modalités

(4) Dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques, la mutation se fait selon les modalités fixées par le Conseil du Trésor et conformément à ses règlements.

Maintien de la situation du fonctionnaire

(5) Aucune mutation ne peut :

a) constituer une promotion — au sens des règlements du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques ou au sens donné au terme par l’organisme distinct en cause dans le cas d’un organisme distinct dans lequel les nominations relèvent exclusivement de la Commission;

b) changer la durée des fonctions d’une personne de déterminée à indéterminée.

Consentement du fonctionnaire

(6) La mutation ne peut s’effectuer sans le consentement de la personne en cause, sauf dans les cas suivants :

a) le consentement à la mutation fait partie des conditions d’emploi de son poste actuel;

b) l’administrateur général dont elle relève conclut après enquête qu’elle a harcelé une autre personne dans l’exercice de ses fonctions et la mutation se fait au sein de la même administration.

Emploi précédent

52. Dès sa mutation, une personne cesse d’être titulaire du poste auquel elle avait été nommée ou mutée avant la mutation.

Précision

53. (1) Les mutations ne constituent pas des nominations pour l’application de la présente loi.

Non-application des droits de priorité

(2) L’administrateur général peut procéder à des mutations sans égard aux droits de nomination prévus aux paragraphes 41(1) et (4) ou aux règlements pris en vertu de l’alinéa 22(2)a).

Motifs

13 Il est reconnu que, pendant toute la période pertinente, le fonctionnaire a continué à occuper son poste d’attache. Cependant, il soutient que le changement de ses fonctions était tellement important qu’il ne serait pas réaliste de le considérer comme une simple attribution de nouvelles fonctions, et que malgré sa forme, ce changement pouvait être assimilé en substance à une mutation. Il a affirmé qu’il s’agissait d’une [traduction] « mutation déguisée » et que je devais la traiter comme une mutation et me déclarer compétent pour instruire ses griefs.

14 Je dois décider à ce stade, en supposant que le fonctionnaire est en mesure de prouver tous les faits qu’il a allégués, si j’ai la compétence pour accorder un redressement.

15 Il n’est pas sérieusement contesté que, si un employé est demeuré le titulaire de son poste d’origine, plutôt que de devenir le titulaire d’un autre poste, l’employé n’a pas fait l’objet d’une mutation au sens de la LEFP. Je note que, dans Dawidowski, la Cour fédérale a rejeté l’argument selon lequel un employé pouvait faire l’objet d’une « mutation de facto ». Certes, dans ce cas, c’était le ministère qui avait présenté cet argument en vue de refuser le droit d’appel à un autre employé en vertu de la LEFP. Toutefois, comme la Cour l’a indiqué, un tribunal peut conclure qu’un employé a fait l’objet d’une mutation dans le seul cas où il trouverait « […] un élément subjectif (intention) et un élément objectif (conformité aux conditions énoncées dans la Loi, y compris les modalités du Conseil du Trésor et les lignes directrices de la Commission) » (au paragraphe 11). À mon avis, la décision dans Dawidowski vient manifestement appuyer la thèse selon laquelle les seules mutations qui seront reconnues au sens de la LEFP sont celles où le ministère a entendu procéder à la mutation et s’est conformé à toutes les conditions pertinentes, prévues par des lois, des règlements ou des lignes directrices.

16 Par conséquent, la vraie question que je dois trancher relativement à l’objection à la compétence de l’employeur est de savoir si, en tant qu’arbitre de grief saisi d’un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(ii) de la LRTFP, je suis obligé de suivre le sens attribué au mot « mutation » en vertu de la LEFP.

17 À mon avis, compte tenu du libellé du sous-alinéa 209(1)c)(ii) de la LRTFP, il est impossible de conclure que le mot « mutation » a un sens en vertu de la LRTFP qui est différent de son sens aux termes de la LEFP. Le sous-alinéa 209(1)c)(ii) ne pouvait pas être plus clair à cet égard : l’arbitre de grief a compétence dans le cas d’une « […] mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […] ».

18 Un autre motif pour rejeter l’argument de la [traduction] « mutation déguisée » ou de la « mutation de facto » réside dans le fait que l’article 7 de la LRTFP empêche un arbitre de grief d’analyser les plaintes des employés concernant l’attribution des fonctions. Cette question relève étroitement des prérogatives de la direction. Si le fonctionnaire avait raison dans son argument qu’un arbitre de grief pouvait exercer sa compétence, en vertu du sous-alinéa 209(1)(c)(ii), sur la question de [traduction] « mutation déguisée », comme c’est le cas dans son grief, l’arbitre de grief serait inévitablement appelé à empiéter sur ce territoire interdit.

19 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

20 J’ordonne la fermeture des dossiers.

Le 22 avril 2013.

Traduction de la CRTFP

Michael Bendel,
arbitre de grief

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