Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son renvoi en cours de stage - il a affirmé que son renvoi en cours de stage avait peu à voir avec son rendement au travail ou avec son aptitude à exercer les fonctions de son poste, mais que son renvoi était motivé par la discrimination et par le fait qu’il a refusé les avances sexuelles de sa superviseure - le défendeur a soulevé deux objections préliminaires à la compétence de l’arbitre de grief pour entendre le grief, déclarant que le grief était hors délai puisqu’il avait été déposé en dehors du délai prescrit de 25 jours et qu’il concernait un renvoi en cours de stage, qui ne pouvait être renvoyé à l'arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - la superviseure du fonctionnaire s’estimant lésé a catégoriquement nié avoir fait des avances sexuelles - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a cité aucun témoin indépendant ni produit quelque preuve documentaire au soutien de ses allégations et il n’avait jamais signalé la conduite de sa superviseure à son employeur avant son renvoi en cours de stage - l’employeur a présenté des preuves à l’appui de ses préoccupations au sujet de la façon dont le fonctionnaire s'estimant lésé demandait les congés et les déclarait, et au sujet de son rendement au travail, qui ont mené à l’élaboration de plans d’action et à l’organisation de réunions de suivi hebdomadaires - juste avant la fin de sa période de stage, le fonctionnaire s’estimant lésé a été convoqué à une réunion, mais il s’est senti malade et il n’y a pas assisté, avisant sa superviseure qu’il serait en congé de maladie jusqu’à la fin de sa période de stage - l’employeur a affirmé avoir appelé le fonctionnaire s’estimant lésé pour l’aviser de son renvoi en cours de stage, et ce, après avoir tenté en vain de lui remettre la lettre de renvoi en cours de stage, mais le fonctionnaire s’estimant lésé a nié avoir été avisé de son renvoi en cours de stage au cours de la conversation téléphonique - le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que son renvoi en cours de stage était invalide, car il avait été effectué en dehors de la période prescrite de 12 mois - l’arbitre de grief a statué que l’employeur avait bel et bien avisé le fonctionnaire s’estimant lésé de son renvoi en cours de stage au cours de la conversation téléphonique et à l’intérieur de la période de probation, et que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas trop malade pour comprendre la teneur de la conversation, étant donné les courriels cohérents qu’il avait envoyés ce jour-là - l’employeur ne devrait pas être pénalisé du fait qu’il n’a pas pu rejoindre le fonctionnaire s'estimant lésé - aussi, le fonctionnaire s’estimant lésé avait communiqué avec le bureau de Winnipeg du ministère pour confirmer qu’il était disposé à accepter un poste de durée déterminée, ce qui indique qu’il était conscient que son poste de durée indéterminée était menacé - l’arbitre de grief a aussi conclu que le grief était hors délai et que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas demandé une prorogation du délai pour déposer son grief - même si le grief avait été déposé dans les délais prescrits, l’arbitre de grief l’aurait rejeté sur le fond - l’arbitre de grief a rejeté les allégations de harcèlement sexuel du fonctionnaire s'estimant lésé, puisque celui-ci ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas réussi à prouver qu’il était victime de discrimination - le licenciement était motivé par le rendement du fonctionnaire s’estimant lésé et son aptitude en général à occuper le poste. Dossier clos par ordonnance.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-01-21
  • Dossier:  6-2-3
  • Référence:  2013 CRTFP 6

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ATAUR RAHMAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)

défendeur

Répertorié
Rahman c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Valérie Charette, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Iqaluit (Nunavut), et à Toronto (Ontario),
du 29 mai au 1er juin et le 27 août 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Ataur Rahman, le fonctionnaire s'estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été embauché par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, également connu sous l'appellation Affaires indiennes et du Nord Canada (le « défendeur », ou AINC) à Iqaluit, au Nunavut, à titre de scientifique en environnement, un poste classé au groupe et niveau PC-03, et est entré en fonction le 28 janvier 2008. Le fonctionnaire a par la suite été renvoyé en cours de stage en 2009 et a présenté un grief contestant son licenciement.

2 Le défendeur a soulevé trois objections préliminaires avant l'audience. Tout d'abord, il a dit que le grief était hors délai, ayant été présenté en dehors du délai prescrit de 25 jours et que, par conséquent, je n'avais pas compétence pour instruire l'affaire au fond. Le fonctionnaire a répliqué que le grief avait été présenté dans les délais impartis, ajoutant que le renvoi en cours de stage était invalide, car il avait été effectué en dehors de la période prescrite de 12 mois. En deuxième lieu, le défendeur a soutenu que je n'avais pas compétence dans cette affaire, car le grief portait sur un licenciement se rapportant à une nomination pour une période de stage, prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP), L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13, un tel licenciement ne pouvant faire l'objet d'un renvoi à l'arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), L.C. 2003, ch. 22, art. 2. En troisième lieu, le défendeur a avancé que le fonctionnaire ne pouvait invoquer l'article 43 de la convention collective pertinente, cet article traitant de harcèlement sexuel, car cet article ne confère pas aux fonctionnaires visés un droit fondamental. À l'audience toutefois, le défendeur a retiré cette objection.

3 J'ai réservé mes décisions sur les deux autres objections préliminaires et indiqué aux parties que j'entendrais la totalité de la preuve, y compris la preuve à l'appui de leurs positions respectives sur le fond de l'affaire.

II. Résumé de la preuve

4 À l'audience, j'ai entendu le témoignage des témoins suivants : le fonctionnaire; Michael Nadler, directeur général régional, Bureau régional du Nunavut, AINC; Jennifer MacIsaac, coordonnatrice du logement et de la réinstallation; Charlotte Lamontagne, coordonnatrice de l'évaluation environnementale relevant du fonctionnaire; Robyn Abernethy-Gillis, superviseure du fonctionnaire; Emmanuel Atiomo, gestionnaire de la planification environnementale au bureau régional d'AINC à Winnipeg.

5 Le fonctionnaire a été nommé pour une durée indéterminée au poste de scientifique en environnement, au groupe et niveau PC-03, le 28 janvier 2008, à Iqaluit, au Nunavut. Comme précisé dans sa lettre d'embauche, sa nomination à la fonction publique était assujettie à une période de stage d'une durée de 12 mois.

6 Selon le fonctionnaire, son renvoi en cours de stage avait peu à voir avec son rendement au travail ou avec son aptitude à exercer les fonctions de son poste, mais constituait plutôt des représailles de la part de sa superviseure immédiate, Mme Abernethy-Gillis, pour avoir refusé ses avances sexuelles répétées. Il a ajouté que son renvoi était également motivé par la discrimination.

7 Le fonctionnaire a indiqué que tout allait bien dans son milieu de travail jusqu'au 15 avril 2008. Ce jour-là, lors d'une conversation avec Mme Abernethy-Gillis, dans le bureau de cette dernière, elle lui aurait confié qu'elle avait des problèmes de couple, l'aurait empoigné par le visage et embrassé de force sur la bouche. Le fonctionnaire a témoigné qu'il avait été très troublé par le comportement de sa superviseure immédiate et s'était immédiatement dégagé de son emprise, en lui faisant savoir qu'il était engagé envers sa femme et ses enfants. Selon le fonctionnaire, Mme Abernethy-Gillis n'aurait pas apprécié sa réaction et lui aurait dit de [traduction] « faire attention ». En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu que, bien qu'il considérait le geste de Mme Abernethy-Gillis comme étant une agression à son égard, il n'avait pas dénoncé l'incident à quiconque jusqu'à ce qu'il soit licencié, soit quelque 10 mois plus tard.

8  Lors de son témoignage, Mme Abernethy-Gillis a nié avoir discuté de ses problèmes de couple avec le fonctionnaire et qualifié l'incident d'embrassade de pure invention et de mensonge. Elle a ajouté avoir trouvé répugnantes et choquantes les accusations du fonctionnaire à son égard. Elle a précisé que le 15 avril 2008, une réunion avait effectivement eu lieu dans son bureau et que le fonctionnaire ainsi que Mme Lamontagne y étaient présents. Selon son témoignage, elle n'a jamais été seule avec le fonctionnaire dans son bureau à ce moment-là, et les stores dans son bureau, qui le séparent des aires communes, sont toujours partiellement ouverts de manière qu'elle demeure toujours à portée de vue de ses employés et à leur disposition au besoin. Mme Abernethy-Gillis a précisé qu'elle avait eu peu d'interactions avec le fonctionnaire de février à mai 2008 et n'avait pas vraiment à superviser son travail, car il était alors nouveau à ce poste et était en train de se familiariser avec le milieu de travail. Ce n'est qu'en mai 2008 qu'elle a commencé à établir des objectifs de travail pour lui.

9 La famille du fonctionnaire est allée le rejoindre à Iqaluit à la fin du mois d'avril 2008, mais n'y est restée que trois semaines environ. Le fonctionnaire a allégué que, le 23 mai 2008, Mme Abernethy-Gillis aurait fait un commentaire au sujet du départ de sa famille, lui disant qu'elle avait hâte de pouvoir [traduction] « passer du temps en privé » avec lui, ce qu'il a décrit par la suite dans son témoignage comme voulant dire qu'elle voulait qu'ils aient une relation rapprochée et intime. Le fonctionnaire a indiqué qu'il lui aurait alors dit qu'il lui était impossible d'entretenir une telle relation intime avec elle. Alors, Mme Abernethy-Gillis aurait menacé de lui mener la vie dure à Iqaluit et de le faire échouer à sa période de stage, s'il ne se conformait pas à ses demandes qu'il passe du temps en privé avec elle. Le fonctionnaire a affirmé qu'il a continué de refuser ses avances qu'il qualifia alors d'immorales. En contre-interrogatoire, à une question lui demandant d'expliquer ce qu'il entendait par du temps en privé et de préciser les termes qu'aurait effectivement employés Mme Abernethy-Gillis, le fonctionnaire a indiqué qu'elle lui aurait effectivement demandé de [traduction] « coucher avec [elle] » et qu'elle voulait que les deux [traduction] « aient des rapports sexuels et passer du bon temps ensemble ».

10 Mme Abernethy-Gillis a catégoriquement nié chacune de ces allégations lors de son témoignage. Elle a relaté tout ce qu'elle avait fait ce jour-là et ne se rappelait pas avoir été seule avec le fonctionnaire le 23 mai 2008. Elle s'est souvenu lui avoir mentionné, mais pas ce jour-là, que sa période de stage servirait à évaluer son aptitude à exercer les fonctions de son poste, mais a nié avoir jamais menacé, de quelque manière que ce soit, d'utiliser cette évaluation contre lui. Elle a ajouté que, contrairement à ce qu'alléguait le fonctionnaire, elle avait toujours favorisé un milieu de travail accueillant pour les nouveaux fonctionnaires et leurs familles, et que le fonctionnaire ne faisait pas exception à cet usage.

11 Selon le fonctionnaire, Mme Abernethy-Gillis l'aurait informé le 3 juin 2008 qu'elle quittait son mari et qu'elle allait déménager dans une maison près de chez lui pour qu'ils puissent passer plus de temps en privé ensemble en étant plus discrets. Il a témoigné qu'il avait de nouveau refusé sa proposition et qu'elle l'avait de nouveau menacé de détruire sa carrière. Lors de son témoignage, Mme Abernethy-Gillis a reconnu qu'en raison de ses problèmes de couple, elle avait dû se trouver un logement temporaire de fonction et accepté d'aménager dans une maison située sur Green Row, où demeurait également le fonctionnaire, mais que c'était simplement parce qu'il s'agissait du seul logement fourni par l'administration fédérale qui était disponible à l'époque au centre-ville. Elle a précisé qu'elle n'avait su que le 12 juin 2008, au moment de finaliser ses modalités d'hébergement, qu'elle allait habiter à proximité de la résidence du fonctionnaire, et a nié avoir orchestré son déménagement afin de se rapprocher de la résidence du fonctionnaire pour pouvoir passer du temps en privé avec lui, une allégation qu'elle a encore une fois décrite comme étant entièrement fausse et de pure invention.

12 Le fonctionnaire a témoigné que, à peu près à la même époque, il souhaitait assister à une rencontre à Toronto ayant trait à une évaluation du plan d'apprentissage pour les besoins particuliers du plus jeune de ses enfants à l'école. Il a indiqué que Mme Abernethy-Gillis lui aurait alors dit qu'à moins qu'il ne consente à passer régulièrement du temps en privé avec elle, elle n'approuverait pas sa demande de congé. Selon le fonctionnaire, on l'a empêché d'assister à cette rencontre parce qu'il aurait refusé la proposition de Mme Abernethy-Gillis, ce qui aurait provoqué le rejet de sa demande de congé par Mme Abernethy-Gillis. Cette rencontre a finalement été remise à une date ultérieure, en septembre 2008. Le fonctionnaire n'a pas déposé en preuve de demande officielle de congé au soutien de cette allégation. Mme Abernethy-Gillis a nié l'allégation du fonctionnaire, en fournissant les précisions suivantes à cet égard. Elle reconnaît avoir tout d'abord refusé sa demande de congé parce qu'il l'avait présentée seulement deux jours avant la date du début du congé demandé, alors que le fonctionnaire connaissait depuis un certain temps déjà la raison pour laquelle il devait prendre un congé. Mme Abernethy-Gillis a ajouté qu'après avoir ensuite consulté le service des ressources humaines et vérifié les modalités de la convention collective pertinente, elle s'était ravisée et avait accordé la demande de congé au moins deux jours avant la date prévue pour la rencontre. On l'a toutefois informée par la suite que tous les vols au départ d'Iqaluit étaient alors complets et que le fonctionnaire n'avait pas pu réserver un vol à temps pour pouvoir assister à la rencontre.

13 Selon le fonctionnaire, Mme Abernethy-Gillis lui aurait fait d'autres avances et d'autres menaces le 3 juillet 2008 avant son départ pour un voyage en service commandé à Ottawa; il aurait encore une fois refusé ses avances. Le fonctionnaire a ajouté que Mme Abernethy-Gillis l'aurait alors traité de [traduction] « clochard bangladais » et aurait menacé d'user de son influence auprès de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour lui rendre la vie infernale à Iqaluit. À son retour d'Ottawa, Mme Abernethy-Gillis aurait prétendument averti le fonctionnaire qu'elle se rendrait chez lui s'il ne se rendait pas chez elle pour passer du temps en privé avec elle. Selon le fonctionnaire, cela l'aurait poussé à demander à un ami de rester chez lui. Or, le fonctionnaire n'a cité aucun témoin indépendant ni produit quelque preuve documentaire au soutien de ces allégations. Il n'a pas non plus divulgué le nom de l'ami en question. Lors de son témoignage, Mme Abernethy-Gillis a nié les allégations du fonctionnaire et elle a affirmé n'avoir jamais prononcé de telles invectives racistes ni même jamais entendu de telles invectives avant que le fonctionnaire ne les prononce. Elle a de plus nié avoir utilisé le fait qu'elle ait déjà travaillé pour la GRC, ou que son père y ait travaillé, pour menacer le fonctionnaire. Elle avait occupé un poste de répartiteur auprès de la GRC pendant quelque temps, et n'avait aucune influence auprès de ce service de police.

14 Le fonctionnaire a également témoigné que la coordonnatrice du logement et de a réinstallation d'AINC, Mme MacIsaac, lui avait compliqué la vie en juillet et en août 2008 à propos de certaines modalités ayant trait à sa réinstallation à Iqaluit, insinuant que Mme Abernethy-Gillis aurait demandé à Mme MacIsaac d'agir ainsi à son égard. Pourtant, durant son contre-interrogatoire, le fonctionnaire a indiqué qu'il ne laissait pas entendre par là que Mme MacIsaac avait agi de façon indue, et a convenu qu'il ne disposait d'aucune preuve à l'appui de son allégation que Mme Abernethy­Gillis aurait demandé à Mme MacIsaac de l'embêter et que cela n'était que des suppositions de sa part. Tant Mme Abernethy-Gillis que Mme MacIsaac ont nié cette allégation durant leur témoignage. De fait, Mme MacIsaac a expliqué en détail les efforts qu'elle avait consacrés pour veiller à ce que le fonctionnaire puisse se loger convenablement et qu'il bénéficie du remboursement des frais de réinstallation auquel il avait droit. Elle a produit plusieurs documents au soutien de son témoignage et n'a pas été contre-interrogée. M. Nadler a confirmé son témoignage et indiqué lors de son témoignage qu'il avait rencontré le fonctionnaire afin de revoir avec lui les problèmes liés aux frais de réinstallation réclamés et de s'assurer qu'il restituait les sommes reçues pour sa réinstallation en famille qui ne correspondent pas à des frais engagés à ce titre.

15   Le fonctionnaire a témoigné qu'il avait été malade vers le début du mois d'octobre 2008 alors qu'il visitait sa famille à Toronto et que, à son retour, son superviseur l'avait de nouveau menacé de traiter son congé de maladie comme étant un congé non autorisé, à moins qu'il n'accepte de passer du temps en privé avec elle. De plus, Mme Abernethy-Gillis aurait menacé d'astreindre le fonctionnaire, s'il ne lui rendait pas visite chez elle dans une semaine, à des plans d'amélioration du rendement qu'il lui serait impossible de réaliser. Le fonctionnaire a ajouté qu'après son refus de rendre visite à Mme Abernethy-Gillis chez elle, il a été convoqué à une réunion de planification du travail le 20 octobre 2008 et qu'elle lui aurait alors dit qu'il était puni parce qu'il ne s'était pas rendu chez elle et que d'autres plans d'action seraient établis s'il continuait à refuser ses avances. À son avis, son rendement au travail n'était pas problématique et il n'y avait donc pas lieu de se présenter à une réunion pour l'établissement de plans d'action.

16 Lors de son témoignage, Mme Abernethy-Gillis a nié les allégations du fonctionnaire et fourni une version différente des événements. Elle lui aurait fait savoir ses préoccupations au sujet de sa façon de demander un congé à cette occasion parce qu'il avait omis de l'aviser de ses absences du travail les 2 et 3 octobre 2008 et demandé un congé pour ces journées seulement une fois revenu au travail. Elle lui aurait précisé alors qu'en raison de l'insuffisance des crédits de congé de maladie dans sa banque de congés, une partie de son absence du travail devait être comptabilisée à titre de congé non payé. Mme Abernethy-Gillis a renvoyé à divers documents déposés en preuve au soutien de sa position sur la question des congés. Pour ce qui est de la question des plans d'action, elle a témoigné que rien de cela n'avait à voir avec les histoires que le fonctionnaire racontait, mais plutôt avec son rendement au travail. À son avis, le rendement du fonctionnaire n'était pas satisfaisant et il était devenu impératif d'élaborer un plan d'action établissant des résultats concrets à atteindre, des mesures de soutien, des échéances pour la réalisation des tâches et l'établissement des ressources d'apprentissage pouvant être requises. Mme Abernethy-Gillis a reconnu qu'elle avait dû se résoudre à fixer des réunions de suivi hebdomadaires avec lui, tant il lui était devenu évident que le fonctionnaire ne semblait pas comprendre les attentes à son égard et qu'il ne manifestait que peu de progrès, voire aucun progrès, dans la réalisation des tâches qui lui étaient affectées, et ce, malgré ses tentatives répétées pour essayer de rehausser son rendement de manière qu'il puisse satisfaire aux exigences au sein de son unité de travail. Là encore, Mme Abernethy-Gillis a renvoyé à plusieurs documents produits au soutien de sa position, notamment des formulaires de gestion du rendement, des plans d'action, et des échanges de courriels.

17 Selon le fonctionnaire, les réunions hebdomadaires portant sur les plans d'action ont eu lieu à compter du 20 octobre 2008. À chaque occasion, Mme Abernethy-Gillis lui réitérait ses menaces et ses propositions immorales, qu'il a toujours refusées, ce qui aurait entraîné l'imposition de tâches supplémentaires à effectuer, en particulier à partir du début du mois de décembre 2008. Le 16 décembre 2008, Mme Abernethy-Gillis aurait averti le fonctionnaire qu'elle lui donnait une dernière chance d'accepter sa proposition, à défaut de quoi elle prendrait des mesures drastiques à son égard. Mme Abernethy-Gillis a nié avoir fait de telles menaces, tout en reconnaissant qu'en raison d'un surcroît de travail à effectuer dans sa division depuis le mois d'octobre 2008, des tâches supplémentaires avaient dû être confiées au fonctionnaire, mais qu'aucune de ces tâches n'était démesurée.

18 Le fonctionnaire a témoigné que, lors d'une réunion à laquelle il avait assisté le 17 décembre 2008 en présence de Mme Abernethy-Gillis et de M. Nadler, Mme Abernethy-Gillis a soulevé divers problèmes de rendement en lien avec les tâches qui lui avaient été confiées le 22 octobre et le 7 novembre 2008, et cela, d'une façon humiliante pour lui. Une fois que M. Nadler a quitté la réunion, Mme Abernethy-Gillis aurait eu un entretien seul à seul avec le fonctionnaire et l'aurait averti qu'à moins qu'il accepte sa proposition de passer du temps en privé chez elle, sa situation empirerait. N'ayant pas eu le temps de traiter de toutes les questions à régler au cours de la réunion du 17 décembre 2008, tous les trois auraient convenu de se revoir de nouveau le lendemain ainsi que le surlendemain (les 18 et 19 décembre 2008). Selon le fonctionnaire, il a de nouveau été mis sur la sellette au sujet de son rendement, à nouveau humilié durant ces deux réunions, et fait l'objet encore une fois d'avance et de menaces de la part de Mme Abernethy-Gillis peu après ces rencontres.

19 Lors de son témoignage à cet égard, Mme Abernethy-Gillis a nié toutes les allégations du fonctionnaire. Selon elle, les affirmations du fonctionnaire qu'il aurait fait l'objet de contrainte, de menaces et d'humiliation de sa part étaient des fabrications. Elle a précisé que ces réunions étaient nécessaires, car le fonctionnaire ne suivait pas ses directives, et que les tâches qui lui avaient été confiées en octobre et en novembre 2008 ne progressaient pas à une cadence satisfaisante. Elle voulait que M. Nadler, le directeur de sa direction, soit présent à ces réunions pour qu'elle puisse bénéficier d'un point de vue différent et de son aide pour composer avec les difficultés qu'elle éprouvait avec le fonctionnaire. Mme Abernethy-Gillis estimait qu'il fallait régler cinq principales sources de préoccupation au cours de ces réunions, notamment les fonctions d'encadrement confiées au fonctionnaire, sa compréhension de son rôle, sa compréhension du mandat d'AINC, ses aptitudes à communiquer avec la clientèle et ses collègues, ainsi que sa compréhension des politiques, des méthodes et des pratiques du ministère. Elle s'attendait à voir des résultats et des progrès concrets avant le 21 janvier 2009. Les discussions étaient suivies d'échanges de courriels entre le fonctionnaire et Mme Abernethy-Gillis, qu'elle a d'ailleurs passés en revue et commentés au cours de son témoignage. M. Nadler a corroboré le témoignage de Mme Abernethy-Gillis au sujet de ces diverses questions lors de son témoignage. Il a qualifié la réaction du fonctionnaire aux interventions de la direction comme étant défensive et empreinte d'opposition. En ce qui a trait à la première source de préoccupation, Mme Lamontagne a témoigné que le fonctionnaire ne lui fournissait que peu de directives ou d'encadrement, et qu'il communiquait de façon inconvenante avec elle, employant un ton méprisant et condescendant en s'adressant à elle.

20 Le fonctionnaire a affirmé que le 29 décembre 2008, à son retour des vacances de Noël, Mme Abernethy-Gillis lui avait encore fait des avances. Il a répondu qu'étant de confession musulmane, il lui était interdit de passer du temps dans l'intimité avec une femme autre que son épouse, ce qui aurait poussé Mme Abernethy-Gillis à le traiter alors de [traduction] « musulman fanatique ». Mme Abernethy-Gillis a également nié cette allégation, précisant qu'elle avait toujours respecté les besoins du fonctionnaire au plan religieux et ne les avait jamais dénoncés de façon désobligeante. Elle a ajouté qu'elle avait permis au fonctionnaire d'adapter son horaire de travail en septembre 2008 pour qu'il puisse faire la prière au cours du Ramadan et que son horaire de travail était également adapté toutes les semaines durant l'année civile pour respecter son horaire hebdomadaire de prière.

21 Le fonctionnaire a en outre souligné que, le 30 décembre 2008, Mme Abernethy-Gillis lui aurait confié d'autres tâches encore, qu'il devait compléter au plus tard le 21 janvier 2009. Cette journée-là, selon ses dires, Mme Abernethy-Gillis lui aurait dit que ces travaux supplémentaires lui avaient été confiés à titre de représailles pour son refus d'accepter ses propositions, ce qu'elle a catégoriquement nié tout au long de son témoignage.

22 Une autre réunion a eu lieu entre le fonctionnaire, Mme Abernethy-Gillis et M. Nadler le 22 janvier 2009. M. Nadler a exprimé au fonctionnaire ses préoccupations au sujet du fait que le fonctionnaire ne semblait pas saisir les aspects fondamentaux des tâches spécifiques qui lui avaient été confiées et quant à son incapacité à produire les réalisations attendues dans les délais impartis. Tant M. Nadler que Mme Abernethy-Gillis ont indiqué qu'ils n'avaient noté aucune amélioration dans le rendement du fonctionnaire jusqu'alors.

23 Le fonctionnaire a témoigné que, le vendredi 23 janvier 2009, Mme Abernethy-Gillis l'avait menacé encore une fois en lui disant qu'à moins qu'il n'accepte sa proposition de passer du temps en privé ensemble d'ici la fin de semaine, quelque chose de grave lui arriverait au cours de la semaine suivante. Il aurait alors informé Mme Abernethy-Gillis qu'il explorait une possibilité d'emploi au Bureau régional du Manitoba d'AINC, et qu'elle lui aurait dit qu'à moins qu'il ne comble ses désirs, elle contrecarrerait ses démarches à cet égard. Mme Abernethy-Gillis a nié avoir rencontré le fonctionnaire ce jour-là, précisant que les incidents en question ne s'étaient jamais produits et que cela était encore des fabrications de la part du fonctionnaire.

24 Le fonctionnaire a témoigné que, le 26 janvier 2009, il avait été convoqué à une réunion avec Mme Abernethy-Gillis et M. Nadler qui devait avoir lieu le 27 janvier 2009 en fin d'après-midi. Toutefois, peu avant la réunion, le fonctionnaire a été malade et a quitté le bureau pour se rendre à l'hôpital, où il aurait été traité. Il a par la suite avisé son superviseur qu'il serait en congé de maladie jusqu'au 30 janvier 2009, un vendredi, ce qui signifiait qu'en pratique il ne retournerait pas au travail avant le lundi suivant, le 2 février 2009. Le fonctionnaire a également témoigné que, l'après-midi du 28 janvier 2009, M. Nadler l'avait appelé chez lui. Selon le fonctionnaire, les deux ont brièvement parlé de son état de santé et convenu de se rencontrer en personne à son retour au bureau le 2 février 2009. Le souvenir de M. Nadler au sujet de ces événements diffère considérablement de celui du fonctionnaire. D'après M. Nadler, l'objet de la réunion fixée au 27 janvier 2009 était d'aviser le fonctionnaire qu'il était renvoyé en cours de stage. Cependant, puisque le fonctionnaire n'était pas présent à cette réunion, sa lettre de renvoi a été mise à la poste le jour-même. M Nadler a indiqué qu'il avait voulu envoyer la lettre par courrier recommandé, mais que le bureau de poste d'Iqaluit l'avait informé que le fonctionnaire n'avait qu'un service de poste restante. M. Nadler a aussi précisé qu'il avait tenté de livrer la lettre en mains propres à l'adresse résidentielle du fonctionnaire, mais qu'il n'avait pas pu le faire, car personne ne lui a ouvert la porte. Après avoir tenté en vain de joindre le fonctionnaire au téléphone à plusieurs reprises, M. Nadler a enfin pu le joindre l'après-midi du 28 janvier 2009. M. Nadler a témoigné qu'il avait alors informé le fonctionnaire qu'une lettre lui avait été postée la veille et qu'il devrait aller la récupérer sans délai au bureau de poste, que la lettre avait trait à son renvoi et qu'il devrait communiquer avec lui après en avoir pris connaissance. M. Nadler a également précisé qu'il avait transmis par télécopieur une copie de la lettre de licenciement au représentant de son agent négociateur le jour-même. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a confirmé qu'il n'y avait pas de distribution de courrier à domicile à Iqaluit et qu'il n'était pas en mesure de contester ce qui avait été dit à M. Nadler au bureau de poste d'Iqaluit.

25 Le fonctionnaire a également confirmé que peu après sa conversation avec M. Nadler le 26 janvier 2009, il avait communiqué avec M. Atiomo au bureau d'AINC à Winnipeg afin de lui confirmer qu'il était disposé à accepter un poste de durée déterminée à cet endroit, qu'il l'avait informé qu'une mutation ou un détachement ne serait pas possible à partir d'Iqualuit et qu'il lui avait fourni à titre de coordonnées une adresse et un numéro de téléphone à Toronto.

26 Quand le fonctionnaire est revenu au travail le 2 février 2009, Mme Abernethy-Gillis lui a remis en mains propres une copie de sa lettre de renvoi, l'informant en même temps que l'original lui avait été posté le 27 janvier 2009. Mme Abernethy-Gillis aurait alors ri au visage du fonctionnaire en lui disant que sa carrière était terminée et qu'elle donnerait de mauvaises références à son égard à quiconque lui demanderait des références. En dépit de cela, elle aurait offert au fonctionnaire d'annuler la lettre de renvoi, qui était signée par son directeur général, s'il acceptait de passer du temps en privé avec elle, ce qu'il refusa. Lors de son témoignage, Mme Abernethy-Gillis a nié ces allégations, et précisé que le renvoi en cours de stage du fonctionnaire était fondé sur son rendement au travail et son aptitude à exercer les fonctions de son poste, et sur aucun autre motif. Selon cette dernière, il ne respectait jamais les échéances des tâches qui lui étaient confiées, ses réalisations étaient déficientes tant en qualité qu'en contenu, et se résumaient souvent à du copié/collé du travail d'une autre personne, en plus du fait qu'il ne suivait jamais ses conseils pour améliorer son rendement. Elle avait clairement informé le fonctionnaire que son travail était évalué dans le cadre de sa période de stage, que l'évaluation était l'étape finale du processus d'embauche, et que son aptitude à exercer les fonctions du poste pour lequel il a été engagé serait déterminée durant la période de stage. Mme Abernethy-Gillis a affirmé qu'elle avait des réserves légitimes au sujet du rendement et de l'aptitude du fonctionnaire à exercer les fonctions du poste, et que ses allégations de harcèlement sexuel et de discrimination ne correspondaient à rien de plus qu'à une histoire de mauvais goût fabriquée de toutes pièces. Lors de son témoignage, M. Nadler a exprimé les mêmes préoccupations et la même opinion quant au rendement au travail du fonctionnaire.

27 Le 9 mars 2009, le fonctionnaire a déposé le grief en l'espèce, dans lequel il demande la réintégration et des dommages. Il a indiqué avoir fait plusieurs démarches pour obtenir un emploi après son renvoi en cours de stage et qu'il avait éventuellement reçu une offre d'emploi, qu'il avait acceptée, pour un poste de durée déterminée au groupe et niveau EC-06 au Bureau régional d'AINC à Yellowknife, le 15 février 2010. Cependant, en raison de considérations budgétaires, sa nomination pour une durée déterminée n'a pas été renouvelée et il est toujours sans emploi depuis lors.

28   Durant son témoignage, le fonctionnaire a confirmé qu'avant son licenciement, il n'avait jamais dénoncé la conduite de Mme Abernethy-Gillis à quiconque, qu'il n'a tenu aucun journal de ces événements, qu'il n'a pas consigné à l'époque les faits allégués ni enregistré des conversations qu'il aurait eues avec elle, et qu'aucun des événements ne se seraient produits en présence d'autres personnes. Il a de plus admis au cours de son contre-interrogatoire qu'il avait parlé à M. Nadler en privé à quelques reprises au cours de l'automne 2008, mais qu'il n'avait alors jamais soulevé auprès de lui la question du comportement de Mme Abernethy-Gillis. Il a de plus reconnu avoir parlé à un représentant de la direction nationale de son agent négociateur en octobre 2008, mais qu'il ne lui avait pas non plus signalé le prétendu harcèlement sexuel. M. Nadler a confirmé par ailleurs avoir eu un entretien en tête-à-tête avec le fonctionnaire à au moins deux occasions au cours de l'automne 2008 et qu'il n'y avait jamais été question de quelque comportement déplacé de la part de Mme Abernethy-Gillis.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

1. Respect des délais et validité du renvoi en cours de stage

29 Le fonctionnaire a tout d'abord invoqué que le renvoi en cours de stage n'était pas valide parce qu'il en avait été avisé après l'expiration de la période de stage. Selon le fonctionnaire, puisqu'il était entré au service de l'AINC le 28 janvier 2008, son renvoi aurait dû lui être communiqué au plus tard le 27 janvier 2009. Toutefois, le fonctionnaire a également reconnu avoir été en congé non payé pendant deux jours au mois d'octobre 2008, un fait notamment établi à la pièce 10, et que, par conséquent, la période de stage devait alors être prolongée d'autant, ce qui signifie qu'il faudrait considérer sa période de stage comme se terminant le 29 janvier 2009. Le fonctionnaire a par ailleurs avancé que, puisqu'il n'avait été avisé de son renvoi en cours de stage que le 2 février 2009, son renvoi était invalide, lui ayant été communiqué après l'échéance de sa période de stage.

30 Le fonctionnaire a prétendu qu'il ne se rappelait pas avoir été informé de son renvoi en cours de stage le 28 février 2009 et que, de toute façon, il n'aurait pas pu être dûment avisé de son renvoi en cours de stage cette journée-là, comme l'a prétendu M. Nadler dans son témoignage, car il était en congé de maladie et ne pouvait donc pas pleinement saisir la teneur de leur discussion. Aucune preuve indépendante n'a été présentée par le fonctionnaire au soutien de cet argument.

31 Quant au respect des délais pour la présentation de son grief, le fonctionnaire a soutenu que le fait que son représentant ait reçu une copie de la lettre de renvoi en cours de stage le 28 janvier 2009 ne constituait pas pour autant un avis dûment signifié au fonctionnaire lui-même. Il a ajouté que, puisqu'il n'a été personnellement avisé de son renvoi que le 2 février 2009, le dépôt du grief le 9 mars 2009 respectait les délais, étant à l'intérieur du délai de 25 jours prescrit par la convention collective pertinente.

2. Bien-fondé

32   Je n'ai pas repris ici l'intégralité de l'argumentation du fonctionnaire, car la plupart de son argumentation consistait à réitérer la preuve présentée, dont j'ai déjà fait le résumé précédemment. Essentiellement, le fonctionnaire a soutenu qu'il avait fait l'objet de harcèlement sexuel de la part de son superviseur immédiat, Mme Abernethy-Gillis, à compter du 15 avril 2008, date à laquelle elle l'aurait prétendument embrassé de force sur la bouche, jusqu'à son renvoi, période pendant laquelle il allègue qu'elle lui aurait fait des avances sexuelles répétées et menacé de lui mener la vie dure et de compliquer sa titularisation au sein de l'AINC. Selon le fonctionnaire, ses refus répétés de ses propositions constitueraient le seul motif véritable de son renvoi en cours de stage.

33 Le fonctionnaire a dit qu'il ne faudrait pas lui tenir rigueur de sa réticence à ne pas dénoncer ouvertement ce qu'il a lui-même qualifié de situation insoutenable en raison, selon lui, de ses croyances religieuses. Il convient de souligner qu'il a présenté très peu de preuve au soutien de cet argument.

34   Le fonctionnaire a fait valoir, selon son propre témoignage, que les faits établissent clairement qu'on ne l'avait jamais mis au courant d'un comportement inapproprié de sa part ou de véritables carences au niveau de son rendement au travail, et donc qu'il lui était impossible de corriger son comportement ou d'améliorer son rendement. D'après lui, son rendement était satisfaisant et il avait corrigé les lacunes qui avaient été portées à son attention dans les meilleurs délais, malgré le défaut du défendeur de lui fournir les outils et l'encadrement requis pour ce faire.

35 Le fonctionnaire a aussi fait valoir que la preuve établissait clairement que son licenciement reposait artificiellement sur la LEFP, un subterfuge ou un camouflage, et que la raison véritable de son renvoi était son refus d'accepter les avances sexuelles de son superviseur.

36 Enfin, le fonctionnaire a fait valoir qu'on ne lui avait pas offert un poste au Manitoba et que son poste de durée déterminée à Yellowknife n'avait pas été renouvelé parce que le défendeur s'en est mêlé. Là encore, aucune preuve crédible n'a été présentée pour étayer cet argument.

B. Pour le défendeur

1. Le respect des délais et la validité du renvoi en cours de stage

37 Le défendeur a soutenu que le grief était hors délai. Selon le défendeur, M. Nadler a informé le fonctionnaire de son renvoi le 28 janvier 2009 au cours d'une conversation téléphonique, mais le fonctionnaire a déposé son grief seulement le 9 mars 2009, après l'expiration du délai prescrit de 25 jours pour ce faire.

38 Le défendeur a fait valoir que, bien que le fonctionnaire ait nié avoir été avisé de son licenciement le 28 janvier 2009, la version des faits donnée par M. Nadler était à privilégier en l'occurrence pour plusieurs raisons, notamment le fait que M. Nadler avait signé la lettre de renvoi le jour précédent, qu'il l'avait transmise par télécopieur au représentant du fonctionnaire, s'était rendu au bureau de poste, et avait tenté de remettre la lettre en personne au fonctionnaire à la résidence de ce dernier, en vain. Le défendeur a de plus suggéré que les gestes du fonctionnaire cette journée-là étaient indicatifs de quelqu'un qui sait que son emploi est sur le point de prendre fin, notamment le fait qu'il n'a pas nié avoir parlé à M. Nadler au téléphone ce jour-là, qu'il avait communiqué avec M. Atiomo du bureau d'AINC à Winnipeg peu après afin de confirmer qu'il était disposé à accepter un poste de durée déterminée à cet endroit, qu'il avait informé M. Atiomo qu'une mutation ou un détachement ne serait pas possible à partir d'Iqaluit, et que les coordonnées qu'il avait alors données étaient celles d'une adresse et d'un numéro de téléphone à Toronto.

39 Le défendeur a ajouté que le témoignage du fonctionnaire voulant qu'il était trop malade pour comprendre la teneur de sa conversation avec M. Nadler le 28 janvier 2009 n'était tout simplement pas crédible, en particulier étant donné le nombre de courriels envoyés ce jour-là par le fonctionnaire et leur teneur.

40 Le défendeur a de plus fait valoir que, si je devais ne pas conclure que le fonctionnaire avait été dûment avisé de son renvoi en cours de stage le 28 janvier 2009, je devrais néanmoins conclure que l'avis donné le 2 février 2009, ce qui n'est pas contesté, a été communiqué au fonctionnaire à l'intérieur de la période de stage. Selon le défendeur, pour la même raison qu'il y a lieu d'ajouter à la période de stage les deux journées de congé non payé du fonctionnaire, ce que le fonctionnaire a admis dans ses représentations, les trois journées de congé de maladie pendant lesquelles il s'était absenté du bureau parce qu'il ne pouvait pas travailler, entre le 28 janvier et le 2 février 2009, devraient elles aussi être rajoutées au calcul de la période de stage, la date de la fin de la période du stage devenant alors le 3 février 2009. Le fait que les trois journées de congé de maladie en question aient été prises aux derniers jours de la période de stage devrait, de l'avis du défendeur, ne pas être retenu contre lui, car ce dernier ne devrait pas être tenu responsable du fait qu'il n'a pas pu communiquer avec un fonctionnaire qui était temporairement dans l'incapacité de travailler et qui n'était pas disponible. Essentiellement, le défendeur a soutenu que la période de stage devrait être réputée interrompue à compter de l'après-midi du 27 janvier 2009, au moment où le fonctionnaire a quitté le travail en congé de maladie, et devrait être réputée avoir repris le 2 février 2009.

41 Le défendeur a soutenu qu'il avait été clairement établi en preuve que le fonctionnaire avait dûment été avisé de son renvoi en cours de stage au cours de la période de stage, et que son grief avait donc été présenté hors délai. Invoquant l'article 211 de la LRTFP, le défendeur a de plus soutenu que je n'avais pas compétence pour instruire un grief portant sur un renvoi en cours de stage d'un fonctionnaire sous le régime de l'article 62 de la LEFP à moins que son licenciement repose sur un subterfuge ou un camouflage, ce que le fonctionnaire n'a pas établi en preuve.

2. Bien-fondé

42 Encore, je n'ai pas reproduit ici l'intégralité de l'argumentation du défendeur quant au bien-fondé de l'affaire pour les mêmes motifs que j'ai évoqués plus tôt dans cette décision. Pour être juste envers les représentants des parties, on convient qu'il s'agit ici d'une affaire riche en faits.

43 Le défendeur a soutenu qu'il s'était acquitté de la charge qui lui incombait d'établir que le fonctionnaire était en stage et que la période de stage était toujours en cours au moment de son renvoi. Il a de plus soutenu que le fonctionnaire ne s'était pas acquitté de la charge d'établir que son renvoi reposait artificiellement sur la LEFP, un subterfuge ou un camouflage et que la preuve présentée par les parties avait effectivement révélé une insatisfaction éprouvée de bonne foi de la part du défendeur quant à l'aptitude du fonctionnaire à exercer les fonctions du poste qu'il occupait.

44 Le défendeur a aussi fait valoir qu'il ne me revient pas d'apprécier après coup l'évaluation faite par le défendeur de l'aptitude du fonctionnaire à occuper le poste en question, surtout qu'aucune des actions du défendeur ne peut être vue comme altérant cette évaluation.

45 Le défendeur a soutenu par ailleurs que le témoignage du fonctionnaire n'était pas crédible et qu'aucune valeur probante ne devait lui être accordée. À cet égard, il m'a renvoyé au critère énoncé par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, ainsi qu'à d'autres décisions plus récentes dans lesquelles ce critère avait été appliqué. Citant un extrait de Faryna, le défendeur a affirmé que [traduction] « […] le véritable critère de la véracité du récit d'un témoin en pareil cas est la mesure dans laquelle le témoignage s'harmonise avec la prépondérance des probabilités qu'une personne pratique et avisée reconnaîtrait facilement comme raisonnable en ce lieu et dans ces circonstances ». Le défendeur m'a également renvoyé à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53; citant un extrait du paragraphe 44, il a fait valoir que « […] la seule façon possible d'arriver à une conclusion de fait dans une instance civile consiste à déterminer si, selon toute vraisemblance, l'événement a eu lieu ».

46 Le défendeur a soutenu qu'il a clairement été établi en preuve que ses actions ne reposaient sur aucun autre motif que celui d'une insatisfaction éprouvée de bonne foi de la part du défendeur quant à l'aptitude du fonctionnaire à exercer les fonctions du poste auquel il avait été nommé en 2008. Il m'a en outre renvoyé aux nombreux échanges de courriels entre le fonctionnaire et Mme Abernethy-Gillis au sujet du rendement au travail du fonctionnaire, de ses objectifs de travail, des plans d'action établis, et des témoignages des témoins relativement aux nombreuses réunions auxquelles le fonctionnaire avait participé avec Mme Abernethy-Gillis et M. Nadler, qui avaient trait, selon le défendeur, uniquement au rendement au travail du fonctionnaire.

IV. Motifs

A. Respect des délais et validité du renvoi en cours de stage

47 Selon le fonctionnaire, le défendeur avait jusqu'au 29 janvier 2009 pour l'aviser du fait qu'il était renvoyé en cours de stage. Bien qu'il n'ait pas contesté le fait qu'il ait parlé au téléphone avec M. Nadler le 28 janvier 2009, il nie avoir alors été avisé de son renvoi et a soutenu que son renvoi était de ce fait invalide. Il n'a pas présenté quelque autre argument quant à savoir comment il y avait lieu d'interpréter ou d'appliquer cette invalidité dans le cadre de ma décision, ni présenté quelque jurisprudence pouvant m'éclairer à cet égard. Par ailleurs, M. Nadler a témoigné que, durant cette conversation avec le fonctionnaire, il avait avisé ce dernier de son renvoi, qu'une lettre à cet effet datée du 27 janvier 2009 lui avait été envoyée par la poste, et qu'il avait transmis par télécopieur une copie de cette lettre au représentant du fonctionnaire peu après leur conversation. Cela dit, à la lumière de mes constatations, cette question devient sans objet.

48 Tout compte fait, je privilégie le témoignage donné par M. Nadler à cet égard pour plusieurs raisons, notamment le fait qu'il ait signé et posté la lettre de renvoi la journée d'avant, qu'il avait transmis par télécopieur une copie de cette lettre au représentant du fonctionnaire le jour même après avoir parlé au fonctionnaire, qu'il s'était rendu au bureau de poste pour obtenir la bonne adresse postale du fonctionnaire, et qu'il avait lui-même tenté de remettre la lettre au fonctionnaire en se rendant chez ce dernier, mais en vain. Compte tenu des gestes précités, il apparaît plus vraisemblable qu'autrement qu'il ait aussi avisé le fonctionnaire de son licenciement au cours de la conversation téléphonique qu'il a eue avec lui le 28 janvier 2009. Il me semble même inconcevable que M. Nadler se soit donné autant de peine pour le joindre et qu'il ne lui ait pas mentionné son renvoi au cours de cette conversation téléphonique. De plus, je suis d'accord avec la prétention du défendeur voulant que les actions du fonctionnaire cette journée-là jettent le doute sur sa prétendue ignorance du fait qu'il a été mis fin à son emploi, compte tenu du fait que le fonctionnaire n'a jamais nié avoir effectivement parlé à M. Nadler cette journée-là, qu'il avait communiqué avec M. Atiomo au bureau d'AINC à Winnipeg afin de lui confirmer qu'il était disposé à accepter un poste de durée déterminée à cet endroit, qu'il l'avait informé qu'une mutation ou un détachement ne serait pas possible à partir d'Iqualuit, et qu'il lui avait fourni à titre de coordonnées une adresse et un numéro de téléphone à Toronto. Il convient également de noter que le poste du fonctionnaire à Iqaluit était d'une durée indéterminée, et que malgré cela il était prêt à accepter un poste d'une durée déterminée ailleurs, le 28 janvier 2009.

49 Quant à la prétention du fonctionnaire qu'il ne pouvait avoir été dûment informé de son renvoi en cours de stage le 28 janvier 2009 parce qu'il était en congé de maladie et ne pouvait donc pleinement saisir la teneur de la discussion, j'ai constaté qu'il semblait pourtant capable d'envoyer plusieurs courriels cohérents à Mme Abernethy-Gillis et à M. Atiomo ce jour-là. Aucune preuve médicale n'a été présentée pour étayer la prétention du fonctionnaire à cet égard, et je rejette son allégation dans ce sens.

50 Pour ces motifs, je conclus que le fonctionnaire a été avisé de son renvoi en cours de stage le 28 janvier 2009. Mais même s'il n'en était pas ainsi, je considérerais néanmoins ce qui a eu lieu le 2 février 2009 comme constituant un avis conforme donné à l'intérieur de la période de stage. Je conviens avec le défendeur que celui-ci ne saurait être pénalisé du fait qu'il n'ait pu aviser un fonctionnaire de son renvoi en cours de stage alors que ce fonctionnaire est officiellement en congé de maladie et non disponible à tous égards. De telles circonstances, en particulier lorsque l'absence du fonctionnaire survient au cours des derniers jours de sa période de stage, ne devraient pas avoir pour effet d'empêcher le défendeur de procéder au renvoi en cours de stage du fonctionnaire. Cela dit, il ne faudrait pas interpréter mes conclusions à cet égard comme signifiant que tout congé de maladie pris durant une période de stage ne devrait pas être comptabilisé dans le calcul de la période de stage.

51 Par conséquent, je conclus que le renvoi en cours de stage a été communiqué au fonctionnaire dans les délais impartis et que l'avis de renvoi était valable à tous égards.

52 Je conclus également que le grief est hors délai, ayant été présenté en dehors du délai prescrit de 25 jours. La convention collective pertinente prévoit qu'un fonctionnaire s'estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs au plus tard le 25e jour après la date à laquelle le fonctionnaire a été avisé ou a eu pour la première fois connaissance de l'action ou des circonstances ayant donné lieu au grief. Les deux parties ont convenu que l'interprétation devant être donnée au terme « jours » dans les circonstances en l'espèce était qu'il s'agit de jours ouvrables, ce qui signifie que si le fonctionnaire a été avisé de son licenciement le 28 janvier 2009, il devait présenter son grief au plus tard le 4 mars 2009, et que s'il a été avisé le 2 février 2009, il devait présenter son grief au plus tard le 9 mars 2009.

53 Or, puisque j'ai conclu que le fonctionnaire avait été informé de son renvoi le 28 janvier 2009, il devait présenter son grief a plus tard le 4 mars 2009, ce qu'il n'a pas fait. Il convient également de noter que le fonctionnaire n'a pas demandé une prorogation du délai pour présenter son grief. Toutefois, à la lumière de ma décision relativement au bien-fondé de ce grief, cette question devient également sans objet.

54 Par conséquent, je conclus que je n'ai pas compétence pour instruire ce grief, car il n'a pas été renvoyé à l'arbitrage de façon conforme. Cela étant, dans l'éventualité où j'aurais rendu une décision entachée d'erreur en concluant que le grief était hors délai, je vais aborder maintenant le bien-fondé du grief.

B. Bien-fondé

55 Le fonctionnaire était au service de la fonction publique fédérale et, partant, ses relations de travail étaient assujetties aux dispositions législatives de la LEFP, de la LRTFP et de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (LGFP).

56 L'article 62 de la LEFP traite de la question du renvoi en cours de stage et dit ceci :

62. (1) À tout moment au cours de la période de stage, l'administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d'une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

b) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par l'organisme distinct en cause dans le cas d'un organisme distinct dans lequel les nominations relèvent exclusivement de la Commission.

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

57 La compétence d'un arbitre de grief à l'égard de tels cas est établie aux articles 209 et 211 de la LRTFP, qui disent ceci :

209. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […]

211. L'article 209 n'a pas pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique […]

[…]

58 Dans le cas de licenciements effectués sous le régime d'une autre loi que la LEFP, les pouvoirs d'un administrateur général découlent des dispositions de l'article 12 de la LGFP, qui dit ceci :

12. (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l'égard du secteur de l'administration publique centrale dont il est responsable :

[…]

c) établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

d) prévoir le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique dans les cas où il est d'avis que son rendement est insuffisant;

e) prévoir, pour des raisons autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d'une personne employée dans la fonction publique […]

[…]

3) Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation découlant de l'application des alinéas (1)c), d) ou e) ou (2)c) ou d) doivent être motivés.

59 Je suis d'accord avec la prétention du défendeur voulant que, bien que la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») n'ait pas compétence pour traiter des renvois en cours de stage, elle a compétence pour instruire un grief portant sur un tel renvoi dans la circonstance particulière où le renvoi n'est pas lié à l'emploi et que les faits invoqués constituent un subterfuge ou un camouflage. La jurisprudence de la Commission et des tribunaux fédéraux est claire à cet égard.

60 L'affaire-charnière traitant de la question du renvoi en cours de stage est la décision Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134. Les extraits pertinents de cette décision figurent aux paragraphes 110 à 112, dans lesquels l'arbitre de grief s'est exprimé comme suit à ce sujet :

110 Si un administrateur général renvoie un employé en cours de stage sans égard à l'objet de la période de stage — autrement dit, si la décision ne repose pas sur l'aptitude de l'employé à occuper un emploi de façon continue — cette décision est arbitraire et peut également être prise de mauvaise foi. Dans un tel cas, le licenciement n'est pas conforme à la nouvelle LEFP.

111 Selon moi, le changement entre l'ancienne LEFP et la nouvelle LEFP, considéré dans le contexte de la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada sur l'approche adéquate à adopter en matière d'emploi dans le secteur public, ne modifie pas considérablement la substance de l'approche que les arbitres de grief devraient prendre à l'égard des griefs sur le renvoi d'un employé en cours de stage. Toutefois, l'omission des mots « pour un motif déterminé » dans l'article 62 de la nouvelle LEFPmodifie les exigences du fardeau de la preuve. Le fardeau de la preuve qui incombe à l'administrateur général a été allégé. L'administrateur général n'a maintenant qu'à établir que l'employé était en stage, que la période de stage était encore en vigueur au moment du licenciement et qu'un préavis ou une indemnité en guise de préavis a été donné. L'administrateur général n'est plus tenu de prouver « un motif déterminé » pour le renvoi en cours de stage. En d'autres termes, l'administrateur général n'a pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, un motif légitime lié à l'emploi pour le licenciement […] Il incombe au fonctionnaire de prouver que le licenciement reposait artificiellement sur la nouvelle LEFP, un subterfuge ou un camouflage. Si le fonctionnaire établit qu'il n'y avait pas de « motifs liés à l'emploi » légitimes justifiant le licenciement (autrement dit, si la décision ne reposait pas sur une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l'employé : Penner, à la page 438), le fonctionnaire se sera acquitté de son fardeau de la preuve. Outre ce changement au niveau du fardeau de la preuve, la jurisprudence rendue sous l'ancienne LEFP demeure pertinente pour déterminer la compétence sur les griefs à l'encontre du licenciement d'un employé en stage.

112 […] Un licenciement qui ne repose pas sur une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l'employé (ni sur un motif lié à l'emploi légitime) s'appuierait artificiellement sur la nouvelle LEFP, ou constituerait un subterfuge ou un camouflage.

61 Comme mentionné précédemment, je suis convaincu que le fonctionnaire était en stage au moment de son licenciement et que la période de stage était toujours en cours au moment de son licenciement. Je dois donc maintenant décider, selon la prépondérance des probabilités, si le fonctionnaire s'est acquitté de la charge d'établir que son renvoi par le défendeur reposait artificiellement sur laLEFP, un subterfuge ou un camouflage.

62 Le présent cas présente le scénario classique du genre « ma parole contre la tienne » et pose des questions de crédibilité. Ayant considéré l'ensemble de la preuve, je n'estime pas que le témoignage du fonctionnaire, tel que présenté devant moi et en particulier en ce qui a trait au récit présenté dans le cadre de son témoignage, soit en harmonie avec la prépondérance des probabilités selon laquelle une personne réaliste et bien informée trouverait son récit raisonnable dans les circonstances. J'ai trouvé son témoignage plutôt sournois, incroyable, improbable et intéressé. Je ne peux tout simplement pas me résoudre à conclure à la moindre vraisemblance des faits décrits par le fonctionnaire et se rapportant à Mme Abernethy-Gillis. Par exemple, la prétention du fonctionnaire voulant que, le 2 février 2009, Mme Abernethy-Gillis ait offert d'annuler la lettre de renvoi en cours de stage, une décision prise quelques jours auparavant par le directeur général et qu'elle ne pouvait prendre en l'absence d'une délégation de pouvoirs, et encore moins annuler, est hautement improbable. Non seulement elle aurait par-là discrédité son directeur général, mais encore cela aurait mis dans l'embarras tant ce dernier qu'elle-même. Un autre exemple qui met sérieusement en doute la crédibilité du fonctionnaire, c'est son allégation que Mme Abernethy-Gillis et Mme MacIsaac auraient conspiré pour lui rendre la vie insupportable et lui compliquer sa réinstallation à Iqaluit. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu qu'il ne disposait d'aucune preuve permettant d'étayer cette allégation, qu'il s'agissait de conjectures de sa part, et qu'il n'avait rien comme tel à reprocher aux actions ou à la conduite de Mme MacIsaac dans son traitement de sa réinstallation.

63 Par contre, j'ai trouvé crédible le témoignage de Mme Abernethy-Gillis. Bien qu'elle m'ait parue réellement troublée par les accusations du fonctionnaire à son égard, elle a néanmoins été en mesure de témoigner de manière claire, cohérente et transparente.

64 Les accusations de harcèlement sexuel ne sont prises à la légère, et peuvent avoir de graves répercussions et conséquences pour la personne qui est visée par des accusations impliquant des comportements aussi répréhensibles. C'est pourquoi de telles accusations doivent être étayées par des affirmations qui ne sont pas gratuites ni intéressées, et exigent une preuve non équivoque, logique et convaincante, contrairement à la preuve présentée par le fonctionnaire en l'instance.

65 D'après le témoignage du fonctionnaire, il aurait été menacé depuis au moins le 28 mai 2008 qu'il serait renvoyé en cours de stage s'il n'acceptait pas les avances sexuelles de son superviseur. Pourtant, il n'a pas dénoncé cela à quiconque, prétendument par crainte pour sa sécurité personnelle, une crainte validée à ses yeux par le fait que le père de Mme Abernethy-Gillis avait déjà travaillé à la GRC au poste d'Iqaluit et qu'elle aussi y avait travaillé par le passé comme répartiteur. Je ne trouve pas crédible une telle validation de sa part. Le fonctionnaire n'a pas présenté de preuve indépendante voulant que Mme Abernethy-Gillis ait menacé d'utiliser la GRC à cette fin, ou encore que le fait de la dénoncer aurait pu mettre en péril sa sécurité à Iqaluit. De plus, le père de Mme Abernethy-Gillis avait pris sa retraite de la GRC depuis plusieurs années déjà et habitait à Ottawa à l'époque des faits en l'instance. Le fonctionnaire ne m'a fourni aucune raison me permettant de conclure qu'il pouvait raisonnablement craindre de quelque manière que ce soit pour sa sécurité pendant cette période. De plus, aucun témoignage indépendant ou document n'est venu étayer cette allégation.

66 Dans mon appréciation de la preuve, je ne puis faire fi du fait que, avant son renvoi en cours de stage, le fonctionnaire n'ait pas dénoncé les supposés comportements répréhensibles et récurrents de son superviseur à son égard, qu'il a maintes fois qualifié durant son témoignage de comportements immoraux, à quiconque aurait pu venir corroborer ses dires, même pas à un ami, un membre de sa famille ou à un représentant de son agent négociateur. Il n'a pas tenu un journal ou consigné des notes contemporaines de ce qu'il décrivait pourtant comme étant des comportements immoraux et troublants de la part de son superviseur. Il n'a jamais enregistré des conversations qu'il aurait eues avec Mme Abernethy-Gillis, bien que ces menaces et ces comportements répréhensibles semblaient chose courante. Il ne lui a jamais envoyé de courriel ou une lettre de cesser son comportement inconvenant. Aucun témoin indépendant ou document n'a été présenté en preuve pour corroborer quelque affirmation faite par le fonctionnaire ou pour étayer les accusations graves qu'il a faites envers son superviseur. Bref, le fonctionnaire me demande d'accepter sa version des faits et de rejeter celle de Mme Abernethy-Gillis. Or, après avoir méticuleusement étudié la preuve documentaire et tenu compte des témoignages entendus, je ne peux tout simplement pas accueillir sa demande. Le fonctionnaire ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Abernethy-Gillis l'a effectivement harcelé sexuellement et que son refus d'entretenir une relation intime avec elle a provoqué son renvoi en cours de stage. De plus, il n'a pas établi en preuve qu'elle a agi envers lui de manière discriminatoire, et que la décision de M. Nadler de le renvoyer était empreinte de discrimination à son égard. Comme mentionné plus tôt dans cette décision, son argumentation ne fait aucunement mention de la question de la discrimination. À part les deux commentaires désobligeants à caractère racial, que Mme Abernethy-Gillis nie catégoriquement avoir proférés, la preuve ne permet en rien d'étayer que le renvoi du fonctionnaire ait de quelque manière été fondé sur un motif lié à sa race, sa nationalité ou son origine ethnique, sa couleur, sa religion, ou quelque autre motif illicite.

67 Non seulement le fonctionnaire n'a pas établi en preuve que son renvoi reposait artificiellement sur la LEFP, un subterfuge ou un camouflage, mais la preuve a établi que le défendeur a exprimé, et ce sur une longue période, ses préoccupations apparemment légitimes relativement au rendement au travail du fonctionnaire et au sujet de son aptitude en général à occuper son poste. La preuve documentaire établit clairement que Mme Abernethy-Gillis avait des réserves légitimes au sujet du rendement du fonctionnaire au travail, qu'elle lui avait communiqué ses préoccupations de même que ses attentes à cet égard, et qu'elle avait tenté de lui fournir un certain encadrement. En fin de compte, tant Mme Abernethy-Gillis que M. Nadler ont estimé qu'il y avait trop d'aspects du rendement du fonctionnaire qui ne répondaient aux attentes de la direction à son égard. En tenant compte de toute la preuve présentée devant moi, je n'ai aucune raison de croire que les motifs ayant amené Mme Abernethy-Gillis ou M. Nadler à renvoyer le fonctionnaire reposaient sur autre chose que l'évaluation du rendement du fonctionnaire et son aptitude à occuper son poste.

68 Au cours de son témoignage, le fonctionnaire a souvent voulu réfuter l'évaluation de son rendement et présenter des explications en cherchant à faire valoir ses réalisations. Or, le fait qu'il ne soit pas d'accord avec l'évaluation de son rendement par Mme Abernethy-Gillis et M. Nadler n'a aucun rapport avec la décision que je dois rendre en l'espèce. Mon rôle n'est pas de substituer ma propre évaluation à la leur. Pourvu que leur évaluation ne repose pas artificiellement sur la LEFP, un subterfuge ou un camouflage, ni sur des considérations empreintes de discrimination, je n'ai pas compétence pour intervenir en l'espèce. L'examen de la preuve ne permet tout simplement pas d'étayer la proposition du fonctionnaire voulant qu'il ait été renvoyé en cours de stage pour un motif autre que son rendement au travail et son aptitude à occuper son poste.

69 Je conclus que le fonctionnaire ne s'est pas acquitté de sa charge d'établir que son renvoi reposait artificiellement sur la LEFP, un subterfuge ou un camouflage et que la preuve présentée par les parties a révélé une insatisfaction éprouvée de bonne foi de la part du défendeur quant à l'aptitude du fonctionnaire à exercer les fonctions du poste qu'il occupait avant son licenciement. Par conséquent, je n'ai pas compétence pour instruire ce grief.

70 Je conclus également que, puisque le fonctionnaire n'a présenté aucune preuve convaincante au soutien de sa prétention que le défendeur avait fait preuve de discrimination à son égard, et qu'il n'en a pas d'ailleurs fait mention dans le cadre de son argumentation, son allégation de discrimination est sans fondement.

71 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

72 J'ordonne la fermeture du dossier.

Le 21 janvier 2013.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.