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Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que les défenderesses avaient manqué à leur devoir de représentation équitable en agissant de manière arbitraire lorsqu’elles ont refusé d’appuyer un grief que la plaignante souhaitait déposer contre son employeur, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’<<ASFC>>) - la plaignante souhaitait contester la décision de l’ASFC d’affecter des agents des services frontaliers (<<ASF>>) à des postes classifiés au groupe et niveauCR-04 en guise de mesure d’adaptation - elle a notamment allégué qu’ils n’étaient pas qualifiés, qu’ils devaient être formés par des CR-04, qu’ils faisaient perdre des occasions de travail en heures supplémentaires à d’autres CR-04, et qu’ils étaient mieux rémunérés que les autres CR-04 - l’agent négociateur a étudié la position de la plaignante et conclu que l’ASFC était en droit de procéder comme elle l’a fait - la Commission a conclu que les défenderesses avaient établi que les circonstances de la plainte avaient été dûment examinées, que le bien-fondé de celle-ci avait été dûment étudié, et qu’une décision motivée avait été prise - les défenderesses n’ont pas manifesté une attitude insensible ou nonchalante et n’avaient pas agi pour des motifs inconvenants ou par hostilité, ni en se fondant sur des motifs illégaux, arbitraires ou déraisonnables. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-06-11
  • Dossier:  561-02-528
  • Référence:  2013 CRTFP 68

Devant une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique


ENTRE

DEBORAH COUSINEAU

plaignante

et

LEAH WALKER ET ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesses

Répertorié
Cousineau c. Walker et Alliance de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour les défenderesses:
Patricia Harewood, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Sarnia (Ontario),
les 19 et 20 mars 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1  Le 6 septembre 2011, Deborah Cousineau (la « plaignante ») a déposé une plainte contre Leah Walker (la « défenderesse »), qui était à l’époque pertinente représentante régionale attachée au bureau régional de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) de London (Ontario), ainsi que contre l’AFPC. La plaignante a allégué que les défenderesses ont manqué à leur devoir de représentation équitable en refusant d’appuyer un grief que la plaignante souhaitait présenter contre son employeur, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Sa plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), qui se lit comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

2 L’article 185 de la Loi définit une pratique déloyale comme étant tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) ou (2), les articles 187 ou 188, ou le paragraphe 189(1) de la Loi. La disposition de la Loi à laquelle renvoie l’article 185 s’appliquant plus pertinemment aux circonstances de la présente plainte est l’article 187, qui prévoit ce qui suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

Cette disposition a été édictée afin que les organisations syndicales et leurs représentants soient tenus à un devoir de représentation équitable, un devoir dont les défenderesses ne se seraient pas acquittées, selon la plaignante.

3 Lors de l’audience, la plaignante a précisé qu’elle n’alléguait aucunement que les défenderesses auraient agi de manière discriminatoire ni de mauvaise foi à son égard, mais qu’elles auraient plutôt agi de manière arbitraire.

II. Résumé de la preuve

4 La plaignante a témoigné pour son propre compte et n’a pas fait entendre d’autres témoins. La représentante des défenderesses a fait entendre trois témoins, soit la défenderesse en l’instance, Michael Coene, agent des services frontaliers (ASF) travaillant pour l’ASFC et président de la section locale 19 (la « section locale ») du Syndicat des Douanes et de l’Immigration (SDI), ainsi que Jason McMichael, premier vice-président national du SDI.

5 La plaignante a témoigné qu’elle travaillait au bureau du pont Blue Water de l’ASFC à Sarnia depuis les douze dernières années au poste d’adjointe administrative, un poste classé au groupe et au niveau CR-04. Elle a indiqué qu’au mois d’août 2010, l’ASFC avait affecté temporairement un ASF, occupant un poste classé au groupe et au niveau FB-03, à un poste vacant de groupe et niveau CR-04, parce que l’ASF en question nécessitait une mesure d’adaptation. Peu après, un autre ASF, occupant également un poste de groupe et niveau FB-03, a obtenu une affectation similaire à un autre poste vacant de groupe et niveau CR-04 en guise de mesure d’adaptation. Aucune preuve n’a été présentée quant à la nature des mesures d’adaptation ni quant à leur durée. D’ailleurs, la plaignante a admis en contre-interrogatoire qu’elle ignorait la nature précise des mesures d’adaptation prises à l’égard des ASF travaillant dans son bureau.

6 Tout en ne contestant pas le bien-fondé comme tel des mesures d’adaptation prises à l’égard de ces ASF de groupe et niveau FB-03, la plaignante a affirmé qu’elle se sentait dénigrée par la décision de l’ASFC d’affecter ces ASF à des postes de CR-04 en guise de mesure d’adaptation, surtout en raison du fait que ces ASF ne possédaient pas les qualités requises pour exercer les fonctions d’un CR-04 et devaient être formés par des CR-04 comme elle pour être en mesure d’accomplir leur travail. Elle a ajouté qu’elle était particulièrement préoccupée du fait qu’elle-même, tout comme ses autres collègues CR-04, manquaient des occasions éventuelles d’effectuer du travail en heures supplémentaires, puisque les ASF bénéficiant de cette mesure d’adaptation étaient également disponibles à effectuer du travail en heures supplémentaires, en plus du fait qu’on lui demandait de former des employés gagnant en moyenne 20 000 $ de plus qu’elle par année. Elle était aussi préoccupée du fait que ces ASF avaient droit au taux de rémunération plus élevé des employés au groupe et niveau FB-03 tout en exerçant les fonctions d’employés d’un groupe et niveau plus bas, celui de CR-04. Toutefois, aucune preuve corroborative n’a été présentée à l’audience pour étayer l’une ou l’autre de ces préoccupations.

7 Bien qu’une réunion ait eu lieu entre la direction de l’ASFC et ses adjoints et adjointes administratives en février 2011, selon la plaignante, il n’y avait aucune raison de croire que la pratique en cours en matière de mesures d’adaptation cesserait pour autant.

8 Le 9 août 2011, la plaignante a rencontré M. Coene et lui a fait part de ses préoccupations. M. Coene a témoigné que, bien que de prime abord, les préoccupations de la plaignante lui semblaient légitimes, il avait alors préféré réserver son opinion en attendant d’avoir consulté d’autres personnes à ce sujet et d’examiner la question de plus près. Il a alors procédé à la consultation de trois personnes : Jake Baizana, un ancien représentant de la section locale 19 ayant plusieurs années d’expérience en relations de travail; M. McMichael, qui à l’époque était quatrième vice-président du SDI; Karen Church, représentante nationale du SDI spécialisée dans les dossiers d’équité en matière d’emploi. M. Coene a indiqué qu’il avait également effectué ses propres recherches en consultant notamment la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP), le site Web de la Commission canadienne des droits de la personne et divers documents traitant de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation du site Web de l’AFPC. Au soutien de ses dires, M. Coene a renvoyé aux échanges de courriels et aux conversations qu’il avait eues avec ces personnes, ainsi qu’aux documents qu’il avait consultés.

9 En dernière analyse, M. Coene a conclu que l’ASFC était en droit de procéder comme elle l’avait fait et qu’il n’y avait aucune raison de contester les mesures d’adaptation dont bénéficiaient les ASF. M. Coene a souligné que ses conclusions étaient appuyées par M. Baizana, M. McMichael et Mme Church. Lors de son témoignage, M. McMichael a confirmé avoir été consulté par M. Coene et qu’il avait recommandé de ne pas appuyer le grief de la plaignante pour divers motifs, entre autres en raison du fait qu’un tel grief mènerait ultimement à un conflit entre les membres du SDI, que la section locale avait travaillé d’arrache-pied pour obtenir des politiques judicieuses en matière d’obligation de prendre des mesures d’adaptation, et qu’il n’était pas d’avis que les mesures prises par l’ASFC contrevenaient à la convention collective ni n’entravaient les droits de la plaignante ni les avantages dont elle pouvait bénéficier. En définitive, M. McMichael appuyait sans réserve la position adoptée par M. Coene.

10 Le 11 août 2011, M. Coene a informé la plaignante que le SDI n’appuierait pas un grief contestant les mesures d’adaptation prises à l’égard des ASF de groupe et niveau FB-03 en les affectant à des postes vacants de groupe et niveau CR-04. Selon lui, il n’a eu aucun autre contact ni aucune autre conversation avec la plaignante à ce sujet après ce jour-là. Quelques mois plus tard, il a toutefois accepté de la représenter dans un grief ultérieur et sans lien avec celui-ci.

11 Aussitôt après avoir appris que M. Coene refusait d’appuyer son grief, la plaignante a communiqué avec Mme Walker, sa représentante régionale de l’AFPC, et a parlé longuement au téléphone avec elle à ce sujet. Mme Walker a témoigné qu’afin de tenter de favoriser la réconciliation entre la plaignante et sa section locale, elle avait offert de faciliter une discussion avec le président sinon le vice-président de la section locale, une proposition aussitôt rejetée du revers de la main par la plaignante, celle-ci indiquant qu’elle en avait assez de composer avec sa section locale. Mme Walker a également témoigné qu’elle avait clairement indiqué à la plaignante qu’elle n’avait pas le pouvoir d’obliger sa section locale à appuyer son grief, mais l’avait néanmoins invitée à lui faire parvenir une déclaration détaillée faisant état de ses préoccupations, par écrit.

12 Le 15 août 2011, la plaignante a envoyé un courriel à Mme Walker, y joignant un résumé de deux pages de ses préoccupations, menaçant ni plus ni moins de déposer une plainte de pratique déloyale contre la section locale à moins que l’AFPC accepte d’appuyer son grief contre l’ASFC, et ce, au plus tard le 26 août 2011. Durant son témoignage, la plaignante a reconnu que le ton de son courriel était plutôt agressif et qu’elle avait alors agi ainsi en raison de la frustration qu’elle ressentait.

13 La déclaration écrite de la plaignante réitérait essentiellement les mêmes préoccupations dont elle avait fait part à M. Coene. Mme Walker a témoigné qu’elle avait étudié le résumé de deux pages de la plaignante ainsi que la documentation dont elle disposait au sujet de l’affaire, notamment les courriels échangés entre M. Coene et la plaignante. Elle a également indiqué qu’elle avait effectué ses propres recherches sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation en consultant le site Web de la Commission canadienne des droits de la personne de même que celui de l’AFPC. Bien qu’elle ait admis ne pas être une experte en la matière, n’ayant participé qu’à une séance de formation d’une journée portant sur ce sujet, Mme Walker a précisé qu’elle avait été rassurée du fait que Mme Church avait été consultée par M. Coene et que cette dernière appuyait les conclusions de celui-ci.

14 Mme Walker a indiqué qu’elle avait répondu par courriel à la plaignante le 24 août 2011 et qu’elle s’était alors efforcée de répondre à chacune de ses préoccupations. Bien qu’elle n’avait pas pu parler à M. Coene, qui était alors en vacances, Mme Walker a informé la plaignante qu’à partir de son examen de la documentation et de ses propres recherches, elle était d’accord avec les conclusions de M. Coene et était d’avis que l’ASFC ne contrevenait pas à la convention collective.

15 La plaignante a témoigné qu’après avoir reçu le courriel de Mme Walker, elle a effectué ses propres recherches sur la question des mesures d’adaptation et avait conclu que l’information à sa disposition n’appuyait pas la position des défenderesses. Elle a cependant reconnu durant son témoignage qu’elle n’avait pas fait part aux défenderesses des résultats de ses propres recherches ni en quoi la position des défenderesses était mal avisée. En fait, en contre-interrogatoire, la plaignante a admis qu’elle n’avait fait aucune autre tentative de discuter plus avant de ses préoccupations avec Mme Walker après le 24 août 2011, outre un bref courriel qu’elle lui avait envoyé le 25 août 2011, et qu’elle avait déposé une plainte contre Mme Walker et l’AFPC le 6 septembre 2011.

16 En ce qui a trait au courriel de la plaignante daté du 25 août 2011, qui semblait demander une réponse par retour de courriel, Mme Walker l’a décrit comme créant de la confusion, car elle avait déjà communiqué sa réponse à la plaignante et clairement précisé sa position.

17 Mme Walker a ajouté qu’elle a parlé par la suite à M. Coene, le 14 septembre 2011. Toutefois, la plainte avait déjà été déposée contre elle à ce moment-là, et elle estimait qu’il ne serait pas convenable d’avoir d’autres communications directes avec la plaignante. Elle a souligné qu’elle avait diligemment tenté de faire le point sur la question et de répondre aux préoccupations de la plaignante, et qu’elle avait été estomaquée d’apprendre qu’une plainte avait été déposée contre elle.

18 Par ailleurs, la plaignante a témoigné qu’elle estimait que l’employeur ne lui procurait pas un milieu de travail sain, en raison des répercussions qu’avaient les mesures d’adaptation consenties aux ASF sur les employés de groupe et niveau CR-04. Elle a cependant reconnu qu’elle n’avait jamais demandé aux défenderesses ni à sa section locale de présenter un grief fondé sur ce dernier motif.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

19 La plaignante a soutenu que tant M. Coene que Mme Walker avaient manqué à leur obligation d’examiner tous les détails des mesures d’adaptation consenties aux deux ASF en les affectant à des postes vacants de groupe et niveau CR-04, en particulier à savoir si l’ASFC avait épuisé toutes les mesures d’adaptation possibles à leur groupe et niveau d’attache, sous réserve de contraintes excessives, avant de les affecter à des postes de groupe et niveau inférieur, nommément au groupe et niveau CR-04.

20  La plaignante a également fait valoir que les défenderesses avaient omis de vérifier si l’ASFC n’affectait pas de manière indue les ASF à ces postes de groupe et niveau inférieur simplement afin de combler des postes vacants à ce groupe et niveau, au lieu de procéder comme il se doit à la dotation permanente de ces postes en y affectant des employés dûment qualifiés.

21 La plaignante a également soutenu que les défenderesses n’avaient pas dûment vérifié la répartition des heures supplémentaires dans son service de manière à s’assurer que les CR-04 comme elle ne perdaient pas des occasions d’effectuer du travail en heures supplémentaires en raison des mesures d’adaptation consenties aux ASF, et que ces ASF ne se voyaient pas offrir de manière excessive des heures supplémentaires tant à leur groupe et niveau d’attache qu’à leur groupe et niveau d’affectation en guise de mesure d’adaptation.

22 En somme, la plaignante accusait les défenderesses et sa section locale de ne pas en faire assez pour protéger les postes de groupe et niveau CR-04 qui sont, à son avis, constamment menacés par les coupes prévues au plan de réduction du déficit du gouvernement et par les changements technologiques. Selon la plaignante, le refus des défenderesses d’appuyer son grief et de lui assurer une pleine représentation était arbitraire. Elle demande donc à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») de rendre une ordonnance intimant à l’agent négociateur d’appuyer son grief et de lui fournir une représentation complète et équitable tout au long de la procédure de règlement des griefs.

B. Pour les défenderesses

23 Les défenderesses ont par ailleurs soutenu que la plaignante avait manqué à son obligation de s’acquitter du fardeau lui incombant d’établir que les défenderesses ou leurs représentants, selon le cas, avaient agi de manière arbitraire, et que la plainte était sans fondement.

24 Les défenderesses ont également soutenu que les agents négociateurs et leurs représentants jouissaient d’une importante marge de manœuvre pour décider du bien-fondé d’assurer la représentation et que la décision de ne pas appuyer le grief de la plaignante dans les circonstances était à la fois légitime et raisonnable.

25 Les défenderesses ont de plus soutenu que la preuve présentée par les parties établissait de manière sans équivoque ce qui suit : i) que des communications fréquentes avaient eu lieu avec la plaignante; ii) qu’un examen exhaustif de la documentation qu’elle avait fournie avait été effectué; iii) que des collègues et des experts en la matière avaient été consultés; iv) que les lois et les politiques pertinentes avaient été consultées; v) qu’une réponse lui avait été donnée en temps opportun et que celle-ci était logique et étayée par des motifs.

26 De l’avis des défenderesses, un agent négociateur ne doit pas seulement tenir compte des seuls intérêts d’un plaignant, mais doit également tenir compte de l’intérêt de l’ensemble des membres qu’il représente.

27 Enfin, les défenderesses ont soutenu que la plaignante avait manqué à son obligation d’établir les faits étayant l’existence d’une violation visée à l’article 190 de la Loi, et demandent par conséquent le rejet de la plainte.

IV. Motifs

28 Tel qu’il a été statué par la Commission dans Ouellet c. Luce St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107, dans une plainte fondée sur l’article 187, le fardeau de la preuve incombe au plaignant. Ainsi, la plaignante avait le fardeau de présenter des faits suffisants pour établir que les défenderesses avaient manqué à leur devoir de représentation équitable.

29 Aussi, tel qu’évoqué dans Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, il ne revient pas à la Commission de déterminer si la décision des défenderesses de ne pas représenter la plaignante était judicieuse ou adéquate, prise de bonne ou de mauvaise foi, voire bien fondée ou mal fondée. La Commission doit plutôt statuer si les défenderesses ont agi de mauvaise foi, ou de manière arbitraire ou discriminatoire, dans le cadre du processus décisionnel menant à leur réponse en ce qui avait trait à la représentation de la plaignante.

30 Ce qui est requis pour étayer une allégation de mauvaise foi ou d’agissement arbitraire ou discriminatoire a fait l’objet de bon nombre de décisions de la Commission. Ainsi, dans Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95, la Commission a renvoyé à certains des cas ayant fait jurisprudence en la matière de la façon suivante :

[…]

22 Sur le terme arbitraire, la Cour suprême du Canada, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, écrit au paragraphe 50 :

Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée […]

[…]

23 Dans International Longshore and Wharehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F. no 1929 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale, sur la question du caractère arbitraire d’une décision, écrit que, pour faire la preuve d’un manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient sommaires et superficielles ».

[…]

31 La décision d’un agent négociateur quant à savoir s’il y a lieu d’assurer la représentation a aussi fait l’objet d’un examen par la Commission dans Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52, où elle énonce notamment les orientations et les principes utiles suivants à cet égard :

[…]

44 […] Il revient à l’agent négociateur de décider des griefs qu’il traite et de ceux qu’il ne traite pas. Pour prendre ces décisions, l’agent négociateur peut se fonder sur les ressources et les besoins de l’organisation syndicale dans son ensemble (Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13). Ce processus décisionnel de l’agent négociateur a été décrit comme suit dans Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.) :

[Traduction]

[…]

42. Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail – par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l’effet sur d’autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n’est pas suffisant – il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires. Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas. Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble. Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n’équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable].

[…]

32 La preuve présentée en l’espèce m’a convaincu que les défenderesses ont établi que les circonstances du cas de la plaignante avaient été dûment étudiées, que leur bien-fondé avait été dûment soupesé, et qu’une décision motivée avait été prise quant à la pertinence de donner suite à son grief pour son compte. Les défenderesses n’ont pas manifesté une attitude insensible ou nonchalante envers les intérêts de la plaignante; il n’a pas par ailleurs été établi que les défenderesses auraient agi pour des motifs inconvenants ou par hostilité à son égard ni que les représentants de l’AFPC aient établi une distinction entre des membres de l’unité de négociation en se fondant sur des motifs illégaux, arbitraires ou déraisonnables.

33 La plaignante était en désaccord avec l’interprétation donnée par M. Coene et Mme Walker et les défenderesses de certaines dispositions de la LCDP, mais cela ne suffit pas pour établir le caractère arbitraire de leur décision. Le fait que les parties ne partagent pas la même opinion quant à ce qui constitue une mesure d’adaptation légitime en vertu des droits de la personne ne correspond pas à une pratique déloyale ni à un manquement au devoir de représentation.

34 Pareillement, même si les défenderesses avaient erronément interprété une disposition de la convention collective, de la LCDP ou d’une politique en milieu de travail, cela n’aurait pas pour autant, à moins qu’il y ait eu mauvaise foi (ce qui n’a pas été allégué ni établi par ailleurs), nécessairement constitué une pratique déloyale ni un manquement au devoir de représentation.

35 La plaignante a reproché aux défenderesses de ne pas avoir vérifié si l’ASFC avait épuisé toutes les mesures d’adaptation possibles au groupe et au niveau FB-03, sous réserve de contraintes excessives, avant de les affecter à des postes de groupe et niveau CR-04. La preuve établit que les défenderesses ont scruté cette question soulevée dans sa plainte et y ont répondu dans leurs communications avec la plaignante. Dans un courriel daté du 24 août 2011, Mme Walker a abordé cette question en soulignant à la plaignante que l’employeur avait effectivement, du point de vue de l’agent négociateur, fait ce qu’il devait faire en ce qui avait trait aux mesures d’adaptation à prendre dans de tels cas, et que bien qu’il fallait tout d’abord voir si des mesures d’adaptation pouvaient être prises à l’intérieur du groupe et niveau des personnes visées, cela n’était pas toujours possible, et qu’il était cependant possible de prendre les mesures d’adaptation comme celles dont elle se plaignait et que cela représentait même la satisfaction par l’employeur de ses obligations envers des employés ayant une incapacité. De plus, dans un courriel adressé à des représentants de l’agent négociateur et daté du 11 août 2011, M. Coene a abordé cette question et a appuyé les interventions de l’employeur aux demandes d’adaptation émanant de ses employés, soulignant à Mme Church, à M. Baizana et à M. McMichael que l’employeur non seulement peut, mais doit fournir une mesure d’adaptation à un fonctionnaire même lorsque cela nécessite d’affecter l’employé en cause à un poste de groupe et de niveau de beaucoup inférieur à son groupe et niveau d’attache.

36  La plaignante a également reproché aux défenderesses et à sa section locale de ne pas avoir dénoncé la politique de l’ASFC d’utiliser son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour combler des postes vacants au lieu de les doter avec des employés dûment qualifiés. Elle déplorait également devoir assurer la formation des personnes bénéficiant de ces mesures d’adaptation, en s’insurgeant contre le fait que ces fonctionnaires se voyaient de plus offrir des occasions d’effectuer du travail en heures supplémentaires (prétendument autant à leur poste d’ASF qu’à leur poste de CR). Enfin, sa source de plainte la plus importante semble découler du fait que les ASF affectés à des postes de groupe et niveau CR en guise de mesure d’adaptation étaient rémunérés selon le taux de leur poste d’attache, ce qui signifiait qu’elle devait effectuer le même travail que ceux-ci tout en étant beaucoup moins payée qu’eux. Même si les préoccupations de la plaignante avaient été dûment étayées par des faits lors de l’audience, ce qui n’a pas été le cas, je n’aurais pas pour autant conclu à une contravention à l’article 187 de la Loi, à la lumière de la preuve qui m’a été présentée et que j’ai dûment soupesée. Il appert plutôt de la preuve que, tout comme en ce qui a trait à l’enjeu discuté plus tôt au paragraphe 35, l’agent négociateur et ses représentants impliqués dans ce cas ont dûment pris en compte chacune de ses préoccupations et les ont dûment abordées dans les réponses qu’ils lui ont communiquées. Alors qu’elle pouvait ne pas être en accord avec les réponses qui lui ont été fournies, rien dans la preuve ne m’indique l’existence de quelque agissement arbitraire de la part de l’une ou l’autre des défenderesses.

37 Bien que les motifs fournis à la plaignante pour justifier la décision de ne pas la représenter n’aient peut-être pas été aussi étoffés qu’elle l’aurait espéré, elle doit assumer une certaine part de responsabilité. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la plaignante a agi de manière précipitée et n’a donné que très peu de temps aux défenderesses de lui répondre de façon plus étoffée et détaillée. La plaignante a écrit à Mme Walker le 15 août 2011 et lui a alors demandé de lui donner une réponse au plus tard le 26 août 2011, à défaut de quoi elle déposerait une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi. Bien que la défenderesse ait répondu à l’intérieur du délai imparti, précisant qu’elle n’avait pas encore eu l’occasion de parler à M. Coene, la plaignante a néanmoins déposé sa plainte le 6 septembre 2011, à peu près 10 jours après l’échéance qu’elle avait imposée, sans discuter plus amplement de ses préoccupations avec la défenderesse ni avec M. Coene.

38 Je suis convaincu que la décision des défenderesses de ne pas appuyer le grief de la plaignante était motivée par de véritables considérations liées au milieu de travail, y compris leur interprétation de la convention collective pertinente et de la LCDP, l’incidence de la décision sur les autres membres de l’unité de négociation, et leur évaluation du bien-fondé du grief proposé. Ce faisant, les défenderesses s’acquittaient de leur obligation de représenter les employés membres de l’unité de négociation, y compris la plaignante. L’obligation de représenter incombant à un agent négociateur n’est pas définie par l’acceptation aveugle de représenter tous les fonctionnaires membres de l’unité de négociation, quelles que soient les circonstances. Lorsqu’un agent négociateur décide de ne pas procéder avec un grief en se fondant sur des considérations légitimes, comme celles évoquées précédemment, il satisfait à une partie essentielle de son obligation de représentation équitable, et il lui revient entièrement de décider de la meilleure marche à suivre pour l’ensemble de ses membres.

39 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

40 La plainte est rejetée. 

Le 11 juin 2013.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique

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