Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé a contesté la décision de l'employeur de l’assujettir au programme de gestion des présences et d’assiduité (PGPA), en vertu duquel il devait fournir un certificat médical pour chaque congé de maladie jusqu'à ce que son compte de crédits de congé de maladie n'affiche plus un solde négatif - il a soutenu que cette mesure violait la convention collective, laquelle exigeait de dégager une tendance pouvant justifier la demande du gestionnaire d’un certificat médical pour chaque congé de maladie - l'employeur a fait valoir qu’un solde négatif de crédits de congé de maladie représentait une tendance et que la décision avait été prise conformément au PGPA - l'arbitre de grief a fait observer que le grief porte sur une clause de la convention collective qui organise la manière de traiter les absences pour raison médicale, ainsi que les cas d’exception pour lesquels l’employeur pourrait demander la production d’un certificat médical pour justifier un congé de maladie - la seule question à trancher était celle à savoir si certaines dispositions de la convention collective avaient été violées en raison de l’imposition d’une politique de l’employeur - dans le cas présent, l'employeur n’a présenté aucune preuve d’une tendance dans le compte de crédits de congé du fonctionnaire s’estimant lésé, outre le fait que celui-ci avait un solde négatif de crédits de congé de maladie - le fait d’avoir un solde négatif de crédits de congé de maladie n’est pas une tendance au sens de la convention collective - ce n'est pas un portrait fiable des traits, des comportements, des tendances ou d’autres caractéristiques observables chez un individu et ce n’est pas une indication automatique d’un comportement inhabituel ou d’une durée ou d’une fréquence inhabituelle d’un congé de maladie - l'arbitre de grief a signalé que le fonctionnaire s'estimant lésé avait subi plusieurs interventions chirurgicales, lesquelles étaient indépendantes de sa volonté et ne devraient pas être réputées constituer une tendance - il a distingué le présent cas de ceux où la question est de savoir si le congé pris l’était de bonne foi, s’il y a eu manquement de la part d'un employé à se conformer à un ordre de fournir un certificat médical pour ses absences ou s’il s’agit de contextes de mesures disciplinaires progressives. Grief est accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-08-01
  • Dossier:  566-02-5259
  • Référence:  2013 CRTFP 92

Devant un arbitre de grief


ENTRE

RUSSELL KIRBY

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Jack Haller, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN) Atlantique

Pour l'employeur:
Allison Sephton, avocate

Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick),
les 27 et 28 février et le 24 mai 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Russell Kirby, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un agent correctionnel. Il travaille au sein du Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») depuis octobre 2006. Le 4 novembre 2010, il a présenté un grief alléguant que la décision de l’employeur de l’astreindre au programme de gestion des présences et d’assiduité (le « PGPA »), en vertu duquel il devait fournir un certificat médical pour chaque demande de congé de maladie, violait la clause 31.03 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, venant à échéance le 31 mai 2010 (la « convention collective »).

2 La clause 31.03 de la convention collective doit être lue de pair avec la clause 31.02 de la convention collective. Ces dispositions sont libellées comme suit :

31.02 L'employé-e bénéficie d'un congé de maladie payé lorsqu'il est incapable d'exercer ses fonctions en raison d'une maladie ou d'une blessure, à la condition :

  1. qu'il puisse convaincre l'Employeur de son état de la façon et au moment que ce dernier détermine,

    et
  2. qu'il ait les crédits de congé de maladie nécessaires.

31.03 Une déclaration signée par l'employé-e indiquant que, par suite de maladie ou de blessure, il a été incapable d'exercer ses fonctions, est considérée, une fois remise au l'Employeur comme satisfaisant aux exigences de l'alinéa 31.02a). Cependant, l'Employeur peut demander un certificat médical à l'employé-e pour qui il a été noté une tendance dans la prise de ses congés de maladie.

3 L’employeur a fait valoir qu’il avait le pouvoir et la responsabilité de contrôler la prise de congés de ses employés, qu’une tendance avait été notée dans la prise des congés de maladie du fonctionnaire et que, par conséquent, il était justifié d’astreindre le fonctionnaire au PGPA et d’exiger qu’il présente un certificat médical lorsqu’il prenait un congé de maladie.

4 L’employeur a rejeté le grief à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 5 avril 2011. Lors de l’audience, on m’a informé qu’un certain nombre d’autres griefs de nature similaire avaient été présentés par d’autres agents correctionnels et que ces griefs étaient en attente d’un arbitrage. Bien que les parties m’aient fait savoir qu’elles traitaient l’affaire en l’espèce comme étant un cas type, à mon sens, la présente décision ne s’applique qu’aux seuls faits qui m’ont été présentés à l’audience. Quoi qu’il en soit, les parties sont libres d’en tirer les enseignements qu’elles jugent appropriés afin de tenter de régler les griefs dans lesquels ils sont parties.

II. Résumé de la preuve

5 Durant l’audience, j’ai entendu les témoignages du fonctionnaire, de M. Jeff Earle, directeur de l’Établissement de Springhill, de Mme Tara Harrison, agente correctionnelle, et de M. Sean McLeod, gestionnaire correctionnel.

6 Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait été embauché en octobre 2006 par l’employeur au poste d’agent correctionnel, classifié au groupe et niveau CX-01. Il s’était joint à l’effectif de l’Établissement de Springhill, situé à Springhill (Nouvelle-Écosse), en décembre 2008.

7 Peu avant son entrée en fonction à l’Établissement de Springhill, le fonctionnaire a subi une intervention chirurgicale à une jambe en raison de blessures subies lors d’une compétition de luge. À la suite de cette intervention, effectuée le 29 septembre 2008, ainsi que des séances subséquentes de réadaptation, le fonctionnaire a demandé un total de 331,25 heures en congés de maladie, qui lui ont été accordés par l’employeur. Le fonctionnaire était en congé de maladie avec certificat médical, du 26 septembre au 26 novembre 2008. Selon le fonctionnaire, il n’avait pas les crédits de congé de maladie nécessaires à l’époque pour couvrir l’attribution des 331,25 heures requises, et il a alors dû emprunter un nombre important d’heures de congé de maladie, ce qui lui était permis en vertu des dispositions prévues à la clause 31.04 de la convention collective. Cette clause est libellée comme suit :

31.04 Lorsque l'employé-e n'a pas de crédits ou que leur nombre est insuffisant pour couvrir l'attribution d'un congé de maladie payé en vertu des dispositions du paragraphe 31.02, un congé de maladie payé lui est accordé pour une période maximale de deux cents (200) heures, sous réserve de la déduction de ce congé anticipé de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite.

8 Selon le fonctionnaire, il a donc commencé son affectation à l’Établissement de Springhill avec un important solde négatif de crédits de congé de maladie. En fait, selon un tableau des congés de maladie produit par l’employeur, avant de se joindre à l’Établissement de Springhill, le fonctionnaire avait accumulé quelque 260 heures en crédits de congé de maladie sur une période d’environ 26 mois, alors qu’il avait demandé et obtenu 423,75 heures de congé de maladie, dont 331,25 heures avaient trait à l’intervention chirurgicale qu’il avait subie en septembre 2008, 79,75 heures étaient attribuables à d’autres congés de maladie certifiés, puis un autre 12,75 heures étaient des congés de maladie pris sans certificat médical. Ainsi, lorsque le fonctionnaire s’est joint à l’Établissement de Springhill, il aurait eu un solde négatif de crédits de congé de maladie d’environ 163 heures.

9 Le fonctionnaire a indiqué que n’eut été de l’intervention subie à sa jambe, il aurait sûrement eu un solde positif de crédits de congé de maladie lorsqu’il s’est joint à l’Établissement de Springhill en décembre 2008, une proposition que semblent appuyer les données fournies au tableau précité.

10 En avril 2009, l’employeur a mis en place le PGPA dans sa région de l’Atlantique. Selon les lignes directrices, le programme vise à encourager la communication entre les employés et la direction, à améliorer l’assiduité dans le milieu de travail, et à assurer un environnement de travail sain, sûr et sécuritaire où les employés se présentent régulièrement à leur travail, selon l’horaire établi. En vertu de ce programme, les superviseurs et les gestionnaires doivent vérifier mensuellement le nombre de congés de maladie non prévus à l’horaire, établir le montant cumulatif de ces congés pour chaque employé, et noter les congés d’une durée inhabituelle, dont la fréquence semble excessive et dont l’historique des tendances peut leur sembler inhabituel. Ces lignes directrices comprennent notamment une liste d’exemples de tendances d’absence au travail pouvant révéler une utilisation inappropriée ou abusive des crédits de congé de maladie par des employés :

[Traduction]

  1. Les employé(e)s dont le compte de crédits de congé de maladie affiche un solde négatif.
  2. Les employé(e)s qui utilisent des congés non prévus à leur horaire pour effectuer un échange de quart de travail.
  3. Les employé(e)s qui ont utilisé, à trois (3) occasions distinctes ou plus au cours d’un même mois, des congés non prévus à leur horaire et/ou des congés pour obligations familiales.
  4. Une tendance de prise de congés non prévus à la première ou dernière journée prévue à l’horaire de travail.
  5. Une tendance de prise de congés non prévus à l’horaire de pair avec des congés annuels.
  6. Une tendance de prise de congés non prévus à l’horaire de pair avec des congés fériés.
  7. Une tendance de prise de congés non prévus à l’horaire lors d’une journée spécifique de la semaine ou du mois, et ce, sur une période de plusieurs mois.
  8. Une tendance de prise de congés non prévus à l’horaire coïncidant avec d’autres événements.
  9. Une tendance de prise de congés non prévus à l’horaire après avoir effectué deux quarts de travail de suite ou des heures supplémentaires.

11 Bien que l’employeur n’ait pas immédiatement mis en application le PGPA, le directeur de l'Établissement de Springhill, M. Earle, a témoigné qu’en août 2009, le nombre de demandes de congés de maladie et d’affectations en heures supplémentaires qui en résultaient avait atteint des niveaux préoccupants. Selon M. Earle, un tiers des agents correctionnels avaient un compte de crédits de congé de maladie déficitaire, ce qui a occasionné des coûts accrus en heures supplémentaires et une réduction de la productivité. Aucune preuve n’a cependant été produite afin de corroborer ces affirmations.

12 Le 14 septembre 2009, M. Earle a envoyé une note de service à l’intention de tous les employés, annonçant la mise en application du PGPA et précisant les objectifs du programme et les responsabilités y associées. La note de service avisait également les employés dont le compte de crédits de congé de maladie était déficitaire qu’ils allaient sous peu rencontrer leur superviseur respectif afin de discuter de leur compte de crédits de congé de maladie. Les employés étaient également invités à consulter la [traduction] « directive permanente 066 » de l’employeur pour obtenir plus d’information au sujet du programme de gestion des présences.

13 Selon le fonctionnaire, une rencontre a été prévue avec son gestionnaire correctionnel, M. McLeod, mais aucune discussion n’a véritablement eu lieu. On lui a simplement dit qu’en raison du solde négatif de ses crédits de congé de maladie, son compte de congé de maladie serait soumis au comité du PGPA et qu’il pouvait s’attendre à ce qu’on lui demande un certificat médical pour ses congés de maladie à l’avenir. Le fonctionnaire a témoigné que durant cette rencontre, qu’il a décrite comme étant très brève, M. McLeod ne s’est jamais enquis des circonstances particulières propres à sa situation ni évoqué l’existence de quelque tendance inusitée dans son utilisation de ses crédits de congé de maladie. M. McLeod a confirmé le tout lors de son témoignage. En fait, M. McLeod a indiqué qu’il n’avait pas étudié le dossier de congés du fonctionnaire avant de le rencontrer, qu’il ne savait pas comment ni pourquoi le compte de crédits de congé de maladie du fonctionnaire était maintenant déficitaire, et qu’il ne s’était pas davantage renseigné à ce sujet.

14 Le 20 octobre 2009, durant une réunion hebdomadaire des gestionnaires, M. Earle a informé les superviseurs et autres gestionnaires de l’Établissement de Springhill qu’il fallait dorénavant demander aux employés de présenter un certificat médical pour justifier tout congé de maladie lorsque l’un ou l’autre des critères suivants était satisfait :

[Traduction]

  • Le compte de crédits de congé de maladie de l’employé affiche un solde négatif de cent (100) heures ou plus;
  • L’employé est encore en stage probatoire et son compte de crédits de congés de maladie affiche un solde négatif;
  • L’employé dont le compte de crédits de congés de maladie affiche un solde négatif a continué de prendre des congés de maladie depuis sa discussion avec son superviseur immédiat ou son remplaçant.

15 Selon le témoignage de M. Earle, il était excessif d’avoir un compte de crédits de congés de maladie affichant un solde négatif de plus de cent (100) heures et qu’il s’agissait d’une situation devant être prise en charge par le PGPA. Il était d’avis qu’un solde déficitaire du compte de crédits de congé de maladie représentait ni plus ni moins un prêt consenti à l’employé sinon un trop-perçu sur son compte de crédits de congé de maladie.

16 Le 23 octobre 2009, le fonctionnaire a reçu un avis en bonne et due forme de M. McLeod l’informant qu’en raison du solde déficitaire de son compte de crédits de congé de maladie, il devait dorénavant présenter un certificat médical justifiant tout congé de maladie éventuel, et que cette exigence serait maintenue jusqu’à ce que son compte de crédits de congé de maladie affiche de nouveau un solde positif. L’avis ne mentionnait aucunement le seuil de 100 heures précité. En contre-interrogatoire, M. McLeod a admis que puisqu’il n’avait jamais étudié le dossier de congés du fonctionnaire et qu’il ne s’était pas enquis de la raison pour laquelle le fonctionnaire en était venu à avoir un compte de crédits de congé de maladie déficitaire, la seule raison justifiant l’exigence d’un certificat médical pour les congés de maladie pris par la suite était le fait que son compte de crédits de congé de maladie affichait un solde négatif. M. McLeod n’avait pas examiné quelque autre exemple de tendance à cet égard et n’en a pas évoqué non plus lors de son témoignage. Il a également admis ne pas avoir constaté si les absences du fonctionnaire étaient pour une durée inusitée ou inhabituelle, ni établi quelque corrélation entre la prise de congés de maladie du fonctionnaire et son comportement au travail. Il était seulement préoccupé de la fréquence apparemment excessive de ses demandes de congé de maladie et du solde déficitaire qui en résultait.

17  Entre le mois de décembre 2008, soit le moment où le fonctionnaire s’est joint à l’Établissement de Springhill, et le 23 octobre 2009, soit la date à laquelle il a été informé de l’exigence de présenter un certificat médical pour justifier tout congé de maladie qu’il prendrait à l’avenir, le fonctionnaire a accumulé environ 110 heures de crédits de congé de maladie et épuisé environ 75 heures de crédits de congé de maladie sans certificat médical. Bien qu’il ait alors acquis davantage de crédits qu’il n’en avait épuisés durant cette période de onze mois, le fonctionnaire a reconnu qu’il conservait malgré tout un solde déficitaire, l’essentiel de ce solde étant attribuable aux congés qu’il avait pris à l’époque de son intervention chirurgicale à la jambe, en septembre 2008.

18 Le fonctionnaire a indiqué que l’exigence de présenter un certificat médical pour toutes ses demandes de congé de maladie a été maintenue depuis le 23 octobre 2009, puisqu’il n’a pas été en mesure d’établir un solde positif dans son compte de crédits de congé de maladie, en bonne partie en raison de trois autres interventions chirurgicales qu’il a dû subir par la suite. Selon la preuve présentée, deux interventions pour des hernies ainsi qu’une vasectomie ont été responsables de la prise par le fonctionnaire des quelque 231 heures de congés de maladie certifiés qu’il a demandés et qui lui ont été accordés après le mois d’octobre 2008.

19 En contre-interrogatoire, M. Earle a reconnu que la principale raison d’exiger un certificat médical du fonctionnaire pour ses congés de maladie était que son compte de crédits de congé de maladie affichait un solde négatif. Il a ajouté qu’il était aussi préoccupé du fait que le fonctionnaire n’avait pas réussi à améliorer sa situation en puisant dans ses crédits de congé de maladie acquis dans les dernières années afin de retrouver un solde positif dans son compte de crédits de congé de maladie. Il n’a toutefois pas mentionné les interventions subies par le fonctionnaire après le mois d’octobre 2008 ni formulé quelque commentaire à ce sujet.

20 Selon les calculs du fonctionnaire, il a demandé et obtenu seulement 79,25 heures de congés de maladie sans certificat médical durant les six années qu’il a été au service de l’employeur. Il convient toutefois de noter que tous les congés de maladie qu’il a pris après le 23 octobre 2009 devaient être accompagnés d’un certificat médical parce qu’il faisait l’objet d’un suivi dans le cadre du PGPA.

21 Enfin, le fonctionnaire a indiqué qu’il estimait avoir été traité de façon injuste compte tenu de ses antécédents médicaux, et qu’il ne devrait pas être tenu de fournir un certificat médical pour chacun de ses congés de maladie simplement en raison du solde négatif de son compte de crédits de congé de maladie, surtout étant donné l’absence de quelque tendance dans la prise de ses congés de maladie. Il déplore le fait que chaque fois qu’il a une migraine ou une grippe, il doive se présenter au cabinet du médecin et obtenir un certificat médical dans un délai de dix jours de la prise de son congé de maladie, à défaut de quoi sa demande de congé sera réputée non autorisée et il ne sera pas rémunéré. Il a ajouté que, selon lui, il n’avait nullement abusé ni fait un usage inapproprié de ses crédits de congé de maladie, et que le solde négatif de son compte de crédits de congé de maladie était attribuable, pour l’essentiel, aux quatre interventions chirurgicales qu’il avait dû subir au cours des trois dernières années.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

22 Le fonctionnaire a soutenu que, en vertu de la clause 31.03 de la convention collective, l’employeur doit avoir observé une tendance relativement à la prise de congés de maladie de l’employé avant de pouvoir exiger de l’employé qu’il fournisse un certificat médical lorsqu’il présente une demande de congé de maladie. Selon le fonctionnaire, l’employeur doit démontrer qu’une tendance a été observée avant d’exiger de ses employés qu’il fournisse un certificat médical.

23 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait pas observé quelque tendance que ce soit avant d’exiger que le fonctionnaire fournisse un certificat médical. Il a aussi fait valoir que l’employeur n’avait en fait tenu compte que d’un seul facteur avant de lui imposer une telle exigence, soit le solde négatif de son compte de crédits de congé de maladie. Selon le fonctionnaire, cela ne constitue pas, en soi, une tendance et, par conséquent, il s’agit d’une violation de la clause 31.03 de la convention collective par l’employeur.

24 Le fonctionnaire a également soutenu que la clause 31.03 de la convention collective prévoyait un comportement prévisible et constant de la part de l’employé quant à sa prise de congé de maladie, et que le simple fait d’avoir un solde négatif à son compte de crédits de congé de maladie ne pouvait être réputé constituer une tendance.

25 Selon le fonctionnaire, ce sont les quatre interventions chirurgicales qu’il a subies, lesquelles étaient indépendantes de sa volonté, qui ont fait en sorte qu’il a eu, et qu’il a toujours, un solde négatif à son compte de crédits de congé de maladie. Il a fait valoir qu’on ne devrait pas le pénaliser ou lui accorder un traitement différent en raison du fait qu’il ait dû subir quatre interventions chirurgicales au cours d’une période de trois ans.

26 Le fonctionnaire a soutenu que, puisque l’employeur n’avait pas démontré qu’il avait observé une tendance dans sa prise de congés de maladie, le fait de l’astreindre au PGPA et d’exiger qu’il fournisse un certificat médical chaque fois qu’il demande un congé de maladie jusqu’à ce que le solde de son compte de crédits de congé de maladie soit de nouveau positif constitue une violation flagrante de la clause 31.03 de la convention collective.

B. Pour l’employeur

27 L’employeur a fait valoir qu’il était investi du droit de gestion de ses activités et, du coup, de la gestion des absences en milieu de travail. Il a fait valoir que le PGPA avait pour objet d’assurer une gestion efficace de la prise des congés de maladie dans le milieu de travail.

28 L’employeur a également fait valoir qu’en vertu de la clause 31.03 de la convention collective, il avait le droit d’exiger de ses employés qu’ils produisent un certificat médical.

29 Selon l’employeur, bien que la clause 31.03 de la convention collective renvoie à une tendance observable, la convention collective ne définit pas ce qui constitue une tendance. Afin de définir le sens du terme « tendance », il a fait valoir que je devrais à cet égard m’inspirer d’une communication diffusée par l’employeur en novembre 2006, dans laquelle il était précisé ce qui suit :

[Traduction]

Une tendance peut être observée à la suite d’un examen des documents consignant les congés de maladie, en notant en particulier le solde cumulatif, les congés d’une durée inusitée, toute fréquence qui semble excessive, et toute corrélation inhabituelle entre la prise des congés et le comportement de l’employé sur une période donnée.

30 L’employeur m’a également renvoyé à la définition du terme « pattern » (tendance) du Merriam-Webster Dictionary, lequel en donne la définition suivante : [traduction] « […] un portrait fiable des traits, des comportements, des tendances, ou d’autres caractéristiques observables chez un individu, un groupe, ou une institution ».

31 L’employeur a fait valoir que la tendance observée dans le cas du fonctionnaire résidait dans le solde cumulatif des congés de maladie de ce dernier. Il a ajouté que, dans de tels cas, l’employeur bénéficie du droit continu d’observer et de faire le suivi de l’absentéisme de ses employés.

32 L’employeur a fait valoir qu’il incombait au fonctionnaire de démontrer qu’il avait des motifs légitimes pour s’absenter de son travail, et qu’il devait lui fournir des explications quant à sa prise de congés de maladie et porter à son attention le fait qu’il avait subi des interventions chirurgicales, signalant que le fonctionnaire avait omis de faire tout cela.

33 Selon l’employeur, les crédits de congé de maladie constituent un avantage, et non un droit, et les efforts consacrés de bon droit de sa part à régir les absences dans le milieu de travail et à veiller à la prise appropriée des crédits de congé de maladie ne devraient pas être interprétés comme constituant une violation de la convention collective.

34 L’employeur a soutenu qu’il avait raison d’exiger un certificat médical du fonctionnaire et de maintenir cette exigence puisque le fonctionnaire avait un compte de crédits de congé de maladie déficitaire et qu’il n’avait pas réussi à ramener le solde de son compte à un niveau positif, et ce, malgré le fait qu’il avait acquis dix heures de crédits de congé de maladie par mois.

35 L’employeur m’a renvoyé à : Bencharski c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 75; Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39; Salvation Army Grace Hospital and U.N.A. Loc. 47, Re, [1995] A.G.A.A., no 4; Alcan Smelters and Chemicals Ltd. And Canadian Auto Workers, Local 2301 (grief Pegley), [1997] B.C.C.A.A.A., no 285; Dashwood Industries Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 3054 (grief Innes), [1998] O.L.A.A., no 430; Re City of Toronto and Canadian Union of Public Employees, Local 43, [1987] O.L.A.A., no 51; Toronto Hydro v. Canadian Union of Public Employees, Local 1 [2003] O.L.A.A., no 573.

IV. Motifs

36 Comme je l’ai mentionné d’entrée de jeu, la convention collective applicable est celle conclue entre le Conseil du Trésor et l'Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, qui est venue à échéance le 31 mai 2010. Le PGPA ne fait pas partie de la convention collective et n’y a pas été incorporée. La seule question que je dois trancher consiste à déterminer si certaines dispositions de la convention collective ont été violées en raison de l’imposition d’une politique de l’employeur. Afin de répondre à cette question, il me faut établir s’il existait ou non une tendance pouvant justifier le fait que l’employeur exige un certificat médical chaque fois qu’un congé était demandé dès lors que le fonctionnaire avait atteint un solde négatif dans son compte de crédits de congé de maladie.

37 Bien que je ne sois pas en désaccord avec les objectifs bien intentionnés du PGPA, il demeure que la mise en œuvre et l’application d’un tel programme ne peuvent porter atteinte aux dispositions négociées dans la convention collective, en particulier l’article 31 de la convention collective.

38 Il ne fait aucun doute que l’employeur a le droit de gérer ses activités et de demander un certificat médical lorsqu’il a des raisons de croire que ses employés n’utilisent pas leurs crédits de congé de maladie aux fins auxquelles ils sont destinés. La clause 31.03 de la convention collective vise essentiellement à assurer cela, en permettant à l’employeur de demander un certificat médical lorsqu’une tendance particulière est observée quant à la prise des congés de maladie d’un employé. L’employeur n’est pas libre d’exercer son droit de gestion d’une manière qui soit incompatible avec cette clause.

39 Selon l’employeur, une tendance peut être observée à la suite d’un examen des dossiers de congés de maladie d’un employé, plus précisément le montant cumulatif, les congés d’une durée inusitée, toute fréquence qui semble excessive, et toute corrélation inhabituelle entre la prise des congés et le comportement de l’employé sur une période donnée. En l’espèce, M. McLeod a indiqué ne jamais avoir étudié le dossier des congés du fonctionnaire ni les documents s’y rapportant, et qu’il ne savait pas pourquoi ni comment le fonctionnaire en était venu à avoir un compte des crédits de congé de maladie déficitaire. Il n’a présenté aucune preuve quant à l’existence d’une tendance dans la prise des congés de maladie du fonctionnaire, outre le fait que son compte des crédits de congé de maladie affichait un solde négatif en octobre 2009. Malgré cela, il a exigé que le fonctionnaire présente un certificat médical pour toutes ses demandes de congé de maladie éventuelles, et ce, jusqu’à ce que son compte affiche un solde positif. À mon avis, cela n’indique aucunement la présence de quelque tendance que ce soit, et constitue une violation flagrante de la clause 31.03 de la convention collective.

40 Je ne partage pas l’opinion de l’employeur qu’il incombait au fonctionnaire de lui fournir des explications quant à sa prise de congés de maladie et de porter à son attention les interventions chirurgicales qu’il a subies. En vertu de la clause 31.03 de la convention collective, le fardeau incombant à l’employé d’établir qu’il ou elle a une raison valable pour s’absenter du travail est satisfait dès lors que l’employé fournit à l’employeur une attestation signée qu’il ou elle ne pouvait exercer ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure. L’observation par l’employeur d’une tendance dans l’utilisation des congés de maladie de l’employé est une condition préalable pour exiger un certificat médical de la part de l’employé lorsque celui-ci demande un congé de maladie en vertu de cette clause. Cela nécessite que l’employeur fasse valoir, à tout le moins, l’existence d’une tendance qu’il aurait observée, avant d’imposer l’exigence de produire un certificat médical. Les antécédents médicaux du fonctionnaire étaient aisément vérifiables moyennant la consultation de son dossier de congés de maladie, auxquels l’employeur avait accès en tout temps. Quoi qu’il en soit, compte tenu de la position de l’employeur dans sa note de service du 23 octobre 2009, ainsi que des directives données antérieurement par M. Earle aux gestionnaires de l’Établissement de Springhill, je doute que le fait de porter à l’attention de l’employeur les diverses interventions chirurgicales subies par le fonctionnaire aurait pu faire quelque différence à cet égard.

41 Bien que l’employeur ait soutenu que la tendance observée dans le cas du fonctionnaire était le solde cumulatif des congés de maladie de ce dernier, ce n’est pas ce qui ressort de la preuve présentée. En me fondant sur la preuve qui m’a été présentée tant verbalement que par écrit tout au long de l’audience, je constate que l’employeur ne s’est fondé que sur un seul facteur pour astreindre le fonctionnaire au PGPA et exiger qu’il présente un certificat médical pour justifier chacun de ses congés de maladie : le solde négatif de son compte de crédits de congé de maladie. Cela est évident à la lecture de l’unique avis reçu par le fonctionnaire au sujet de l’exigence de fournir un certificat médical pour justifier chacun de ses congés de maladie à l’avenir. La note de service de M. McLeod datée du 23 octobre 2009 ne faisait état que d’une seule raison justifiant l’exigence d’un certificat médical, et indiquait clairement que l’exigence demeurait en vigueur jusqu’à ce que le compte de crédits de congé de maladie du fonctionnaire affiche un solde positif.

42 Aucune preuve ne m’a été présentée laissant entrevoir que le dossier des congés du fonctionnaire aurait été examiné de nouveau par la suite et que l’employeur aurait alors observé quelque autre tendance justifiant le maintien de l’exigence de fournir un certificat médical à chaque demande de congé de maladie. La seule observation communiquée au fonctionnaire émane de la note de service du 23 octobre 2009, qui ne fait état que du solde négatif de son compte de crédits de congé de maladie.

43 Je suis d’avis que le fait d’avoir un solde négatif dans son compte de crédits de congé de maladie ne saurait constituer, en soi, une tendance. Si cela avait été le cas, l’employeur aurait inclus une mention à ce sujet dans le libellé de la clause 31.04 de la convention collective, mais il ne l’a pas fait. D’ailleurs, il est souligné à la clause 31.04 que l’employeur accordera un crédit à concurrence de 200 heures de congés de maladie lorsque l’employé ne dispose d’aucun crédit dans son compte, sans exiger la présentation d’un certificat médical. De toute évidence, le fait d’accorder un crédit de 200 heures de congé de maladie à un employé ne disposant d’aucun crédit dans son compte de crédits de congé de maladie entraînera un solde négatif dans son compte; or, aucun certificat médical n’est exigé en vertu de la clause 31.04. Cela laisse entendre que la présence d’un solde négatif résultant systématiquement de la présentation d’une demande de crédits de congé de maladie et de l’approbation d’une telle demande en vertu de la clause 31.04 ne devrait pas être considérée comme une tendance. Le fait d’avoir un solde négatif dans son compte de crédits de congé de maladie ne saurait, en soi, constituer un portrait fiable des traits, des comportements, des tendances, ou d’autres caractéristiques de l’individu en cause, pas plus que cela n’est une indication d’un comportement, d’une durée ou d’une fréquence inusités.

44 Il ne s’agit pas ici d’une situation où l’employeur a demandé un certificat médical en lien avec une demande de congé de maladie particulière, afin d’établir si la maladie invoquée était authentique ou les répercussions que cela pouvait avoir sur l’assiduité de l’employé. La présente affaire porte plutôt sur une exigence visant la production d’un certificat médical pour chaque demande de congé de maladie de l’employé jusqu’à ce que son compte de crédits de congé de maladie affiche un solde positif. L’employeur n’a pas présenté de preuve convaincante pouvant indiquer que le fonctionnaire aurait abusé ou utilisé à des fins inappropriées ses crédits de congé de maladie. L’employeur n’a pas non plus établi que le fonctionnaire était visé par l’un desneuf exemples de tendances d’absentéisme énoncés dans les lignes directrices relatives au PGPA (voir le paragraphe 10), sauf un, soit le fait d’avoir un solde négatif à son compte de crédits de congé de maladie.

45 En l’espèce, il est évident que ce qui a amené le fonctionnaire à avoir un solde négatif à son compte en octobre 2009 et qui a maintenu son compte dans la zone négative sont les quatre interventions chirurgicales qu’il a subies entre le mois de septembre 2008 et le mois de mai 2012, lesquelles représentent environ 562 heures sur une période de 44 mois, une période durant laquelle il aurait pu acquérir au-delà de 440 heures en crédits de congé de maladie, s’il n’avait pas pris de congés de maladie. Il s’agit d’événements indépendants de la volonté du fonctionnaire, et ne devraient pas être réputés constituer une tendance, à quelque fin que ce soit. Je suis d’avis que l’exigence de présenter un certificat médical pour toute absence liée à un congé de maladie une fois que l’employé a atteint un certain seuil, soit un solde négatif à son compte de crédits de congé de maladie, va à l’encontre de la convention collective.

46 Si l’employeur était préoccupé par le fait d’accorder jusqu’à 200 heures de crédits de congé de maladie à ses employés ne disposant pas de crédits de congé de maladie et qu’il considérait qu’une telle mesure et ses répercussions constituaient une tendance, il aurait dû alors inclure une mention dans le libellé de la clause 31.04 de la convention collective exigeant la production d’un certificat médical dans ces circonstances. Il ne l’a pas fait, et il doit maintenant respecter les modalités et conditions d’emploi qu’il a négociées. Rien n’empêche par ailleurs l’employeur de proposer un libellé à cet égard lors des négociations de la prochaine ronde de négociation.

47 Le grief en l’espèce se distingue des affaires citées par le défendeur parce qu’il ne s’agit pas d’un manquement de la part d’un employé de se conformer à un ordre ou de motiver une absence de manière satisfaisante lorsqu’on lui demande de le faire, ni d’un cas de mesures disciplinaires progressives. Ce grief porte plutôt sur une clause dans la convention collective qui organise la manière de traiter les absences pour raison médicale, ainsi que les cas d’exception pour lesquels l’employeur pourrait, à l’intérieur de ce cadre, demander la production d’un certificat médical.

48 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

49 Le grief est accueilli.

50 Je déclare que la directive de l’employeur visant à exiger que le fonctionnaire fournisse un certificat médical chaque fois qu’il s’absente du travail pour raison de maladie, simplement en raison du fait qu’il a un solde négatif de crédits de congé de maladie, et qu’il doive continuer de fournir de tels certificats jusqu’à ce que le compte de ses crédits de congé de maladie affiche un solde positif, enfreint la clause 31.03 de la convention collective.

51 J’ordonne à l’employeur de cesser et de s’abstenir de maintenir cette exigence simplement en raison du fait que le compte des crédits de congé de maladie du fonctionnaire affiche un solde négatif.

Le 1er août 2013.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
arbitre de grief

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