Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la décision de son employeur de ne pas lui offrir un poste intérimaire au motif que le conjoint de fait de la fonctionnaire s’estimant lésée était un avocat spécialisé en immigration, et que l’employeur était d’avis qu’il serait fort probable que cette dernière et son conjoint auraient à travailler sur les mêmes dossiers et qu’elle serait appelée à conseiller le gouvernement sur des dossiers et des politiques en matière d’immigration dans lesquels son conjoint aurait à intervenir à titre d’avocat de la partie adverse - elle a allégué que la décision violait la clause d’élimination de la discrimination prévue dans la convention collective - la plainte de la fonctionnaire s’estimant lésée a été rejetée par le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) pour défaut de compétence car les nominations intérimaires de moins de quatremois sont soustraites du principe de nomination fondée sur le mérite et ne peuvent faire l'objet de plaintes au TDFP - l’employeur a soulevé une objection préliminaire, soutenant que les arbitres de grief n’ont pas la compétence pour entendre les griefs qui portent uniquement sur les questions de dotation - l’arbitre de grief a affirmé qu’il avait la compétence pour entendre le grief puisque l’essence de celui-ci avait trait aux droits de la personne - aucun autre recours administratif de réparation n’était ouvert à la fonctionnaire s’estimant lésée autre que ce qui est prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne, et les arbitres de grief avaient été habilités pour entendre ces griefs - la clause d’élimination de la discrimination prévue dans la convention collective conférait des droits fondamentaux - Il ne pouvait pas être l’intention du législateur de faire respecter les obligations en matière de droits de la personne uniquement dans les cas de nominations de plus de quatremois, car cela permettrait les atteintes aux droits de la personne dans les cas de nominations d’une durée plus courte - selon la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, aucune restriction particulière n’empêche l’arbitrage d’un différend concernant à la fois les droits de la personne et la dotation - dans les cas de dispositions concurrentes, la priorité doit être accordée à la disposition qui assure la protection des droits de la personne en raison de son importance dans le système juridique et de sa nature quasi-constitutionnelle. Objection préliminaire rejetée; date d’audience sur le fond à déterminer.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-07-23
  • Dossier:  566-02-3045
  • Référence:  2013 CRTFP 85

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ELEITHA HAYNES

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Haynes c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Patricia Harewood, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Allison Sephton, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 21 septembre 2011 et les 25 avril, 11 mai, 25 juin et 16 juillet 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1      Le 14 mars 2008, Eleitha Haynes, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a présenté un grief contestant la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur » ou ASFC) de ne pas lui offrir le poste d’agent régional aux programmes par intérim, de groupe et niveau FB-04. Le poste d’attache de la fonctionnaire était classé au groupe et niveau FB-03. Dans son grief, la fonctionnaire allègue que l’employeur a violé la clause sur l’élimination de la discrimination stipulée dans la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») relativement à l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration (date d’expiration : le 20 juin 2007) (la « convention collective »).

2      L’énoncé du grief et la mesure corrective demandée se lisent comme suit :

[Traduction]

Énoncé du grief

Je me plains du fait que mon employeur, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ait porté atteinte à mes droits garantis par l’article 19 de la convention collective conclue entre l’ASFC et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC).

Le directeur régional de l’ASFC a conclu qu’il était impossible de m’offrir le poste d’agent régional aux programmes (Immigration) par intérim, un poste de groupe et niveau FB‑04, sans empêcher que surviennent des situations pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts apparent ou potentiel, et ce, après que j’ai pourtant été classée au premier rang dans le processus de sélection.

[…]

Mesure corrective demandée

Je demande que l’employeur respecte les dispositions de l’article 19 de la convention collective conclue entre l’ASFC et l’AFPC.

Je demande une révision du rapport confidentiel établi à mon sujet.

Je demande que l’employeur m’accorde tout autre redressement jugé raisonnable dans les circonstances et que je sois indemnisée intégralement.

3      L’employeur a rejeté le grief à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs. L’agent négociateur a renvoyé le grief à l’arbitrage le 12 août 2009. Il a également donné avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) de l’intention de la fonctionnaire de soulever une question portant sur l’interprétation ou l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »). Le 17 septembre 2009, la CCDP a signifié, par lettre, son intention de ne pas présenter des arguments dans le cadre de cette affaire.

4      Après avoir été informé que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage, l’employeur s’est opposé au renvoi parce qu’aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »), un arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre le grief en l’instance, car celui-ci porte uniquement sur une question de dotation. Après avoir été affecté au présent cas, j’ai décidé d’examiner en premier lieu l’objection de l’employeur sur la base d’arguments écrits.

II. Résumé des faits selon l’argumentation des parties

5      Dans ses arguments écrits, la fonctionnaire a fait valoir que ses gestionnaires l’avaient encouragée à présenter sa candidature au poste d’agent régional aux programmes par intérim. Elle a posé sa candidature, s’est classée au premier rang dans le processus de sélection, et a été avisée de manière non officielle qu’elle serait nommée à ce poste. Toutefois, la fonctionnaire n’a jamais obtenu cette nomination d’intérim. Le directeur régional de l’ASFC a décidé de ne pas lui offrir le poste d’intérim afin d’empêcher que surviennent des situations pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts apparent ou potentiel.

6      Le conjoint de fait de la fonctionnaire est un avocat spécialisé en immigration; l’employeur était d’avis que si la fonctionnaire était nommée au poste d’agent régional aux programmes par intérim, il serait fort probable que cette dernière et son conjoint travailleraient sur les mêmes dossiers. De plus, il était possible que la fonctionnaire ait à conseiller le gouvernement sur des dossiers et des politiques en matière d’immigration dans lesquels son conjoint interviendrait à titre d’avocat de la partie adverse.

7      La nomination intérimaire en cause était pour une période de quatre mois moins un jour. Le même jour où elle a déposé son grief, la fonctionnaire a également déposé une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP). Le 16 avril 2008, le TDFP a conclu qu’il n’avait pas la compétence pour entendre la plainte, car elle visait une nomination intérimaire. Le TDFP a fondé sa décision sur le paragraphe 14(1) du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005‑334 (le « REFP »), qui stipule que la nomination intérimaire de moins de quatre mois est soustraite à l’application du principe de nomination fondée sur le mérite et ne peut faire l’objet d’une plainte au TDFP.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

8      L’employeur a soutenu que l’arbitre de grief n’avait pas la compétence pour entendre le grief, car il porte uniquement sur une question de dotation, qui ne peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage en vertu de la Loi. De l’avis de l’employeur, il s’agit ici simplement d’un différend portant sur la dotation d’un poste, et non sur l’application d’une disposition autonome de la convention collective dans le contexte de relations de travail. L’employeur a fait valoir que l’intention du législateur était que la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la « LEFP ») soit un code complet en matière de dotation. Le TDFP a rejeté la plainte dans ce cas en invoquant son absence de compétence, car l’intention du législateur était de faire en sorte que le TDFP ne puisse être saisi d’un recours visant une nomination intérimaire de moins de quatre mois. Le législateur n’a jamais voulu conférer à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) la compétence pour entendre des différends en matière de dotation, et un fonctionnaire s’estimant lésé ne peut déguiser une question de dotation en un différend portant sur une disposition d’une convention collective.

9      L’employeur a soutenu par ailleurs que le pouvoir exclusif en matière de dotation appartient à la Commission de la fonction publique (CFP) en vertu de l’article 29 de la LEFP. La CFP délègue ce pouvoir aux administrateurs généraux de l’administration publique centrale, et non au Conseil du Trésor. Ainsi, le Conseil du Trésor ne dispose d’aucun pouvoir, en tant qu’employeur, sur les questions de dotation. Qui plus est, en vertu de l’article 113 de la Loi, ces questions sont exclues du domaine de la négociation collective.

10  L’employeur a de plus fait valoir que le fait qu’il n’existe aucun recours administratif en réparation à l’égard du différend de dotation en l’espèce n’habilite pas l’arbitre de grief à entendre le présent grief, et ne crée pas une injustice. Le recours indiqué était de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’employeur par la Cour fédérale. Sinon, la fonctionnaire pouvait toujours procéder en déposant une plainte auprès de la CCDP ou du Tribunal canadien des droits de la personne.

11 L’employeur m’a renvoyé à Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30; Pelletier et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 117; Swan et McDowell c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 73; Hureau c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2008 CRTFP 47; Canada (Procureur général) c. Assh, 2005 CF 734; Spencer c. Administrateur général (ministère de l’Environnement), 2007 CRTFP 123; Veillette c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 32.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

12 La fonctionnaire a fait valoir que l’essence même du grief avait trait à une question de discrimination fondée sur la situation de famille et non à une question de dotation. Le grief porte sur l’application et l’interprétation de la clause de la convention collective visant l’élimination de la discrimination. La fonctionnaire a fait valoir que la jurisprudence confirmait qu’un grief soulevant une question de droits de la personne était un grief ayant trait à l’emploi ou aux relations de travail. Elle a soutenu par ailleurs qu’il convenait de distinguer la jurisprudence citée par l’employeur des faits en l’espèce. En conséquence, l’objection de l’employeur devrait être rejetée.

13 Le paragraphe 208(2) de la Loi ne saurait empêcher la fonctionnaire d’exercer le présent recours, car il lui était interdit d’exercer un recours à cet égard devant le TDFP. Le REFP stipule qu’une nomination intérimaire de moins de quatre mois ne pouvait faire l’objet d’une plainte au TDFP. Au moment de déposer son grief, la fonctionnaire ne pouvait se prévaloir de quelque autre recours administratif que de déposer une plainte en vertu de la LCDP. Or, le fait de restreindre la fonctionnaire au seul dépôt d’une plainte à la CCDP serait à la fois inopportun et contraire à l’objet même de la Loi, laquelle vise à fournir un cadre de relations de travail favorisant le règlement efficace des différends soulevés lors des négociations collectives ou découlant des conventions collectives.

14 La fonctionnaire a souligné que l’employeur ne pouvait citer quelque disposition de la Loi ni de la LEFP empêchant la fonctionnaire de contester une discrimination fondée sur son état familial. Elle a en outre fait valoir que depuis le 1er avril 2005, les arbitres de grief disposent explicitement du pouvoir de trancher des questions ayant trait aux droits de la personne en vertu de la Loi.

15 La fonctionnaire a également fait valoir qu’elle avait soulevé la question de la discrimination dès le dépôt de son grief et que l’employeur avait d’ailleurs examiné cette question lors de sa réponse au présent grief. Le libellé et la nature même du grief indiquent qu’il s’agit d’un grief en matière de droits de la personne et non en matière de dotation. En outre, le fait que l’allégation de la fonctionnaire faisant état d’une discrimination interdite ait trait à une nomination intérimaire n’a pas pour effet de soustraire ces questions à l’application de la convention collective.

16  La fonctionnaire m’a renvoyé à Veillette; Brown c. Procureur général du Canada, 2011 CF 1205; Brown c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 127; Hureau; Parry Sound (District) Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l’Ontario, section locale 324 (S.E.E.F.P.O.), 2003 CSC 42; Johal et Stasiewski c. Agence du revenu du Canada et Mao, 2009 CAF 276; Amos c. Procureur général du Canada, 2011 CAF 38.

IV. Motifs

17 La présente décision n’a pour objet que de statuer sur ma compétence pour entendre ce grief. Dans l’affirmative, une audience aura lieu afin d’entendre les parties sur le bien-fondé du grief. Dans la négative, je rejetterai le grief pour défaut de compétence.

18 Ce grief a trait à une allégation de discrimination consécutive à la décision de l’employeur de ne pas offrir à la fonctionnaire une nomination intérimaire de courte durée (moins de quatre mois). Selon l’exposé des arguments de la fonctionnaire, on lui aurait dit qu’elle était la meilleure candidate pour le poste en question. On ne lui aurait pas offert le poste en raison d’un conflit d’intérêts potentiel que cela aurait pu occasionner avec la situation professionnelle de son conjoint de fait. L’employeur n’a pas nié que la fonctionnaire se serait vu offrir le poste s’il en avait été autrement.

19  Le cadre juridique permettant de statuer sur l’objection à la compétence soulevée par l’employeur est le suivant :

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[…]

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

[…]

Loi sur l’emploi dans la fonction publique

29. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi, la Commission a compétence exclusive pour nommer à la fonction publique des personnes, y appartenant ou non, dont la nomination n’est régie par aucune autre loi fédérale.

(2) La compétence visée au paragraphe (1) ne peut être exercée qu’à la demande de l’administrateur général de l’administration dans laquelle doit se faire la nomination.

(3) La Commission peut établir des lignes directrices sur la façon de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives.

[…]

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

[…]

Règlement sur l’emploi dans la fonction publique

14. (1) La nomination intérimaire de moins de quatre mois est soustraite à l’application des articles 30 et 77 de la Loi pourvu qu’elle ne porte pas la durée cumulative de la nomination intérimaire d’une personne à ce poste à quatre mois ou plus.

[…]

Article 19 de la convention collective

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

20 Je suis d’accord avec la fonctionnaire que l’article 208 de la Loi ne l’empêchait pas de déposer son grief. La question en litige porte clairement sur les conditions d’emploi de la fonctionnaire et, pourrait-on prétendre, sur une clause de la convention collective. Il s’agit du type de question pouvant faire l’objet d’un grief aux termes du paragraphe 208(1) de la Loi. De plus, la fonctionnaire ne pouvait être empêchée de déposer son grief au motif d’une restriction prévue au paragraphe 208(2) de la Loi, car aucun autre recours administratif de réparation ne lui était ouvert en vertu d’une loi du Parlement autre que la LCDP afin de contester la décision de l’employeur. La fonctionnaire a déposé une plainte auprès du TDFP, mais ce dernier a conclu qu’il n’avait pas la compétence pour entendre l’affaire en raison du paragraphe 14(1) du REFP.

21 L’employeur a soutenu que je n’avais pas la compétence pour entendre ce grief, car il porte sur une question de dotation. Selon l’employeur, il y aurait deux régimes qui s’excluent mutuellement en matière de dotation et de relations de travail, et la LEFP constituerait un code complet en matière de dotation à tel point que l’intention du législateur était qu’il n’y ait aucun recours en cas de nomination intérimaire de courte durée. Il a soutenu qu’il n’était pas dans l’intention du Parlement de conférer aux arbitres de grief la compétence pour trancher des différends en matière de dotation.

22 Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que l’intention du législateur était de ne pas conférer aux arbitres de grief la compétence pour trancher des différends en matière de dotation qui les habiliterait à examiner les nominations afin d’en assurer la conformité aux dispositions de la LEFP, les politiques de l’employeur, le principe de la nomination fondée sur le mérite ou des allégations d’abus de pouvoir. Dans ce sens, l’employeur a raison de souligner que le TDFP est le tribunal indiqué pour examiner les plaintes en matière de dotation. Ceci ne signifie pas cependant pour autant qu’un arbitre de grief n’a pas la compétence pour entendre un grief alléguant une violation de la clause de la convention collective sur l’élimination de la discrimination, lorsque l’allégation de discrimination survient dans le contexte d’une mesure de dotation à l’égard de laquelle l’employé n’a aucun recours en vertu de la LEFP.

23 Le TDFP, qui dispose de la compétence pour entendre les différends portant uniquement sur une question de dotation, a rejeté la plainte au motif qu’une nomination intérimaire de moins de quatre mois n’était pas assujettie au principe des nominations fondées sur le mérite. Il n’est donc aucunement question de quelque compétence concurrente entre la Commission et le TDFP en l’espèce. Par ailleurs, étant donné que la fonctionnaire n’a aucun recours devant le TDFP, les procédures de ce dernier ne peuvent constituer « un autre recours administratif de réparation » aux termes des restrictions prescrites par l’article 208 quant aux types de griefs pouvant être déposés auprès de l’employeur. Puisque la fonctionnaire ne pouvait se prévaloir d’un recours devant le TDFP, l’article 208 ne pouvait constituer un obstacle au dépôt de son grief et, puisque son grief a été présenté conformément aux règles établies, elle pouvait alors se prévaloir de l’article 209 en renvoyant son grief à l’arbitrage après l’avoir porté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs sans avoir obtenu satisfaction.

24 L’employeur a soutenu que c’était l’intention du législateur de priver de tout recours les fonctionnaires qui souhaitaient contester le refus d’une nomination intérimaire de courte durée sur le fondement d’une discrimination. Il ne soutient pas toutefois que les nominations ressortissant à la compétence du TDFP ne peuvent pas faire l’objet d’un réexamen sur le fondement d’une violation des droits de la personne. D’ailleurs, il convient de souligner que le TDFP a effectivement rendu de nombreuses décisions dans lesquelles il a tenu compte d’arguments fondés sur la discrimination dans le cadre d’allégations d’abus de pouvoir. Il ne peut assurément pas avoir été l’intention du Parlement de veiller au respect des droits de la personne uniquement dans le cas de nominations de plus de quatre mois, laissant alors libre cours aux atteintes aux droits de la personne dans le cas de nominations d’une durée plus courte.  

25 L’employeur fait valoir que la fonctionnaire avait le droit de déposer une plainte à la CCDP puis de la porter devant le TCDP. Or, depuis 2005 et la mise en œuvre de la Loi, il est clair que les arbitres de grief de la Commission ont la compétence pour entendre les griefs portant sur des violations de la LCDP. Dans Chamberlain c. Procureur général du Canada, 2012 CF 1027, madame la juge Gleason a écrit ce qui suit :

[…]

[73] À cet égard, le paragraphe 208(2) de la LRTFP prévoit expressément que l’on peut formuler un grief pour de présumées violations de la LCDP. Le paragraphe 209(1) de la Loi est censé limiter le type d’allégations fondées sur les droits de la personne qui peuvent être soumises à l’arbitrage en ne permettant que ce qui suit :

a) tout grief portant sur l’interprétation et l’application de toute disposition d’une convention collective (pour laquelle l’agent négociateur doit avoir exprimé son appui conformément au paragraphe 209(2) de la LRTFP);

b) tout grief se rapportant à une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère fédéral, la rétrogradation ou le licenciement imposé pour rendement insuffisant ou pour toute autre raison que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite.

[74] Toutefois, l’article 210 de la LRTFP prévoit que les griefs qui soulèvent une question liée à une présumée violation de la LCDP peuvent être renvoyés à l’arbitrage (à condition que la personne qui fait valoir cette allégation en donne avis à [sic] Commission canadienne des droits de la personne). L’alinéa 226(1)g) de la LCDP prévoit par ailleurs que les arbitres de grief nommés en vertu de la LRTFP ont le pouvoir d’« interpréter et [d’]appliquer la [LCDP] », sauf les dispositions de celle-ci portant sur le droit à la parité salariale, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, « même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective », et l’alinéa 226(1)h) habilite les arbitres nommés sous le régime de la LRTFP à accorder une réparation en vertu de l’alinéa 53(2)e) ou du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[…]

[78] Ces décisions vont tout à fait dans le sens de l’évolution du droit du travail moderne, qui a graduellement élargi la compétence des tribunaux du travail pour leur permettre de juger tous les différends en milieu de travail. Ainsi, les plaintes découlant directement ou indirectement d’une présumée violation d’une convention collective doivent être tranchées par un tribunal du travail et non par une cour de justice (voir, par ex., Weber c Hydro Ontario, 1995 CanLII 108 (CSC), [1995] 2 RCS 929, 125 DLR (4th) 583, et les nombreuses décisions dans lesquelles l’arrêt Weber a été appliqué).

[…]

26 En conséquence, je conclus qu’autant en vertu des principes contemporains du droit du travail que du libellé même de la LRTFP, c’est le dépôt d’un grief et son renvoi ultérieur à l’arbitrage, et non le dépôt d’une plainte devant la CCDP, qui constituent le recours administratif de réparation approprié en l’espèce.

27 L’employeur s’est notamment appuyé sur la décision de la Cour fédérale dans Assh, dans laquelle la Cour avait conclu que lorsqu’un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage, le fonctionnaire s’estimant lésé peut demander à la Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision rendue au dernier palier, et qu’il « ne s’agit pas d’un redressement illusoire ». Je ne peux que souscrire à cette déclaration de la Cour. Or, en l’espèce, le grief est de toute évidence arbitrable puisqu’il satisfait aux critères énoncés à l’article 209 et que son essence même (je reviendrai plus loin sur cette question) relève manifestement des droits de la personne.

28 Comme l’a souligné la fonctionnaire, il n’existe aucun obstacle particulier à l’arbitrage d’un différend ayant trait à la fois aux droits de la personne et à la dotation. Une disposition à cet effet aurait aisément pu être stipulée dans la Loi, mais cela n’a pas été fait. Il y a donc des « dispositions concurrentes » en cause dans le présent cas, une ayant trait à la dotation et l’autre aux droits de la personne. S’il fallait accorder la priorité à l’une par rapport à l’autre, il faudrait alors accorder la priorité à la disposition assurant la protection des droits de la personne, étant donné que ces questions revêtent une importance de premier plan dans le système juridique dans son ensemble et sont essentiellement de nature quasi constitutionnelle.

29 Dans Johal et Stasiewski, la Cour d’appel fédérale a statué qu’en vertu de la Loi, les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada pouvaient présenter un grief portant sur une question de dotation s’ils ne pouvaient se prévaloir d’aucun autre recours sous le régime du programme de dotation de l’employeur. La Cour a fondé sa décision sur un examen de diverses dispositions de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17,ces dispositions étantquasiment identiques à celles de la LEFP citées précédemment dans la présente décision. Se prononçant au sujet de la prétention de l’employeur voulant que le recours opportun soit de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, la Cour a écrit ce qui suit au paragraphe 37 :

[37] Le régime de la LRTFP favorise la résolution administrative interne, rapide et informelle des griefs relatifs au milieu de travail. Il serait incompatible avec cet objectif de la loi d’interpréter le paragraphe 208(2) comme disposant que la demande de contrôle judiciaire constitue le seul recours ouvert aux appelants pour faire valoir leur allégation selon laquelle Mme Mao n’aurait pas dû être nommée au poste de MG-05 en raison d’un statut privilégié auquel elle n’avait pas droit.

30 Je suis d’accord avec la fonctionnaire que l’essence même de son grief est la discrimination fondée sur la situation de famille. Cela ne signifie pas pour autant que je crois qu’il y a effectivement eu discrimination. Tout ce que cela signifie, c’est qu’il s’agit ici d’un grief en matière de discrimination. Le libellé même du grief est clair : la fonctionnaire a allégué que l’employeur avait violé l’article 19 de la convention collective. À titre de première mesure corrective, elle a demandé que l’employeur respecte les dispositions de l’article 19 de la convention collective. Elle n’a pas demandé dans son grief une ordonnance enjoignant l’employeur de la nommer au poste en question ou d’annuler la nomination effectuée par l’employeur. Je n’aurais pas la compétence pour rendre une ordonnance à cet effet. Si je devais accueillir le grief, ma compétence se limiterait probablement à une déclaration disant que l’employeur a violé la convention collective, à une ordonnance enjoignant à l’employeur de cesser de violer la convention collective, et peut-être, à une ordonnance de mesure de redressement, conformément à l’alinéa 53(2)e) ou au paragraphe 53(3) de la LCDP.

31 Dans Souaker c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2009 CRTFP 145, le grief portait sur un renvoi en cours de stage. Le fonctionnaire s’estimant lésé a pourtant renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, alléguant qu’il y avait eu violation de la clause sur l’élimination de la discrimination prévue dans la convention collective. L’arbitre de grief Bédard (aujourd’hui juge) a conclu qu’une clause sur l’élimination de la discrimination stipulée dans une convention collective, semblable à celle de la convention collective en l’instance, confère des droits fondamentaux aux fonctionnaires. Elle s’est exprimée comme suit :

[…]

[124] Je conviens que le droit d’un fonctionnaire de renvoyer un grief à l’arbitrage prend sa source dans la Loi et non dans la convention collective. Le législateur a prévu à l’article 209 de la Loi, de façon expresse et limitative, les matières qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage et, en principe, un licenciement à l’encontre d’un renvoi en cours de stage n’est pas arbitrable. Cette conclusion ne suffit toutefois pas, à mon avis, à régler la question de ma compétence. Outre les griefs à l’encontre des mesures qui sont expressément mentionnées aux alinéas 209(1)b), c) et d) de la Loi, le législateur a aussi prévu, à l’alinéa 209(1)a) de la Loi, que les griefs mettant en cause l’application ou l’interprétation de la convention collective sont arbitrables. Or, M. Souaker soutient que son licenciement a été fait en violation de l’article 6 de la convention collective. La clause 6.01 de la convention collective se lit comme suit :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation de famille, son état civil, son incapacité mentale ou physique, sa situation matrimoniale, ou une condamnation pour laquelle il a obtenu son pardon ou son adhésion à l’institut ou son activité dans celui-ci.

[Je souligne]

Cette disposition est sans équivoque : elle prévoit le droit pour chaque employé d’être traité en toute égalité et de ne pas faire l’objet de discrimination. Elle impose à l’employeur l’obligation correspondante de traiter ses fonctionnaires en toute égalité et sans discrimination. Je ne vois pas sur quelle base je pourrais conclure que cette clause n’accorde pas de droits substantifs aux employés et qu’elle ne peut servir d’assise à un grief.

[125] Lorsqu’un fonctionnaire allègue, dans un grief, qu’une décision qui affecte ses conditions d’emploi ou met en cause la survie même de son lien d’emploi a été motivée par des considérations discriminatoires et que la convention collective prévoit spécifiquement l’absence de toute discrimination en milieu de travail, il s’agit, à mon sens, d’un grief qui met en cause l’application de la convention collective au sens de l’alinéa 209(1)a) de la Loi et un arbitre de grief est compétent pour disposer de l’allégation de discrimination.

[126] Contrairement aux prétentions de l’employeur, je considère que permettre le renvoi à l’arbitrage, en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, du renvoi en cours de stage d’un fonctionnaire qui allègue que son licenciement a été motivé par des considérations discriminatoires en violation de la convention collective, ne viole pas l’intention du législateur, parce que le législateur n’a certainement pas souhaité qu’une violation de la convention collective échappe à l’examen d’un arbitre de grief.

[…]

32 Dans le présent cas, la fonctionnaire a allégué que le refus de l’employeur de lui offrir la nomination intérimaire de courte durée constituait une violation de l’article 19 de la convention collective. Comme indiqué dans Souaker, la convention collective prévoit qu’il n’y aura aucune discrimination à l’égard des employés. Il s’agit d’un droit fondamental conféré aux employés par la convention collective qui les vise, et ils ont le droit de faire appliquer ce droit par un arbitre de grief si aucun autre recours administratif de réparation ne leur est ouvert en vertu d’une loi autre que la LCDP. Le refus d’une promotion, même pour une courte période, affecte les conditions d’emploi de l’employé visé, notamment sa situation dans son milieu de travail ainsi que sa rémunération. Si ce refus est empreint de discrimination, et que la convention collective prévoit une clause d’élimination de la discrimination, le fonctionnaire s’estimant lésé a tout à fait le droit de présenter un grief contestant la décision et de renvoyer ce grief à l’arbitrage. Comme l’arbitre de grief dans Souaker, je ne crois pas que le législateur ait voulu qu’une violation de la convention collective puisse échapper au processus d’arbitrage des griefs.

33 Dans Vaid, la Cour suprême du Canada a statué que ce n’est pas parce qu’on prétend que ses droits fondamentaux ont été violés que la cause est nécessairement du ressort de la Commission canadienne des droits de la personne, étant donné qu’« […] il faut s’attacher non pas à la qualité juridique du tort, mais aux faits qui donnent naissance au litige […] ». En l’espèce, les faits donnant naissance au litige consistent en la décision de l’employeur de ne pas offrir une nomination intérimaire à la fonctionnaire en raison de la situation professionnelle de son conjoint de fait. Sans cette situation spécifique, il n’y aurait pas eu de grief. À mon avis, il n’y a aucun doute que ce cas concerne une discrimination alléguée.

34 Dans Pelletier et al., les fonctionnaires s’estimant lésés ont allégué qu’un élément du processus de sélection n’avait pas été exécuté conformément à la clause d’évaluation du rendement stipulée à la convention collective. L’employeur avait décidé, dans le cadre de son processus de sélection, d’évaluer les candidats en utilisant un « outil d’évaluation » et non en administrant un examen. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont allégué que l’utilisation de cet outil d’évaluation contrevenait aux dispositions de l’article 38 de la convention collective. L’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour trancher les griefs, plaidant qu’ils portaient sur une question de dotation. L’arbitre de grief a conclu que l’essence même de leurs griefs était effectivement le processus de dotation et qu’il n’avait donc pas compétence pour entendre les griefs en matière de dotation, puisque la législation prévoyait deux sphères mutuellement exclusives, soit celle des relations de travail et celle de la dotation. Dans le présent cas, je conclus que l’essence même du grief est la discrimination. Dans Pelletier, les fonctionnaires s’estimant lésés ont contesté l’évaluation que l’employeur avait faite de leurs aptitudes, signalant l’existence d’une clause dans la convention collective portant sur l’évaluation du rendement des employés. Je suis d’accord avec la conclusion de l’arbitre de grief Katkin voulant que les griefs dans cette dernière affaire visent essentiellement à contester le processus de dotation ainsi que la décision de l’employeur quant à leur aptitude à occuper les postes en question, une appréciation relevant de la LEFP plutôt que de la LRTFP. Comme je l’ai mentionné précédemment, il n’était pas dans l’intention du législateur de conférer aux arbitres de grief la compétence de revoir les décisions « classiques » en matière de nomination. En l’espèce, la fonctionnaire ne conteste pas le processus de sélection comme tel, mais plutôt la décision de l’employeur de retirer sa candidature de ce processus en se fondant sur l’application d’une condition discriminatoire.

35 Dans Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68, le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté le non renouvellement de sa nomination pour une durée déterminée au motif que la décision était entachée de discrimination. En réponse à l’objection préliminaire de l’employeur à la compétence de l’arbitre de grief pour instruire et trancher le grief, l’arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[…]

[10] L’avocat de l’employeur a proposé que je me prononce sur la question de son objection à ma compétence avant d’entendre la preuve et les arguments du grief sur le fond. J’ai donc brièvement ajourné la séance, à l’issue de la présentation des arguments, pour me pencher sur les questions soulevées. À la reprise de l’audience, j’ai fait lecture de ce qui suit :

[Traduction]

Ayant étudié l’objection préliminaire soulevée par l’employeur dans la présente affaire et ayant examiné plus avant la jurisprudence à laquelle m’ont renvoyé les deux parties ainsi que les arguments fort recevables respectivement avancés par leurs représentants, il m’est d’avis que j’ai compétence dans la présente affaire pour entendre la preuve et les arguments sur le fond.

J’entrerai assurément, au moment de rendre ma décision, dans le détail des motifs qui m’ont amené à faire cette conclusion, mais j’estime d’ores et déjà indiqué de mentionner que l’alinéa 226(1)g) de la [nouvelle Loi] a revêtu une dimension importante dans mes délibérations. Au moment d’en arriver à cette conclusion, j’aimerais aussi faire valoir que le grief en tant que tel se rapporte à l’article 43 de la convention collective et que, dans la réponse faite au premier palier, l’employeur a indiqué que le non-renouvellement de la période d’emploi était motivé non seulement par des raisons budgétaires, mais aussi par des questions ayant trait au rendement et à l’assiduité.

Par conséquent, je souhaite entendre la preuve qui lie les allégations de discrimination aux motifs de non-renouvellement énoncés par l’employeur dans la réponse au premier palier. Ne pas le faire porterait un coup fatal au grief. Néanmoins, j’entendrai au besoin les arguments sur ce point.

Sur la question du redressement, j’aimerais aussi entendre, à terme, les observations faites sur ce que sont mes pouvoirs réparateurs. En particulier, étant donné la conclusion à laquelle en étaient arrivés les arbitres de griefs, en vertu de l’[ancienne Loi], conclusion selon laquelle le non-renouvellement d’une période d’emploi ne constitue pas un licenciement, j’aimerais établir dans quelle mesure j’ai autorité pour ordonner que l’emploi de durée déterminée soit renouvelé ou qu’un paiement soit fait à titre de compensation pour le traitement perdu par suite du non-renouvellement de l’emploi. En d’autres termes, mon pouvoir de redressement se limite-t-il à l’octroi de dommages-intérêts?

[11] Ayant eu le loisir de réfléchir plus longuement sur la question, je continue de croire qu’un arbitre de grief a compétence pour instruire l’allégation faite dans ce grief. Lorsqu’une personne dont la période d’emploi déterminée n’a pas été renouvelée impute ce non-renouvellement à une pratique discriminatoire contrevenant à la LCDP, un arbitre de grief a autorité pour enquêter plus avant sur la question. Tous les cas auxquels l’avocat de l’employeur m’a renvoyé à l’appui de cette objection ont été tranchées en application de l’ancienne Loi. Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi était en vigueur et avait remplacé l’ancienne Loi.

[12] Outre la compétence d’un arbitre de grief stipulée à l’article 209 de la nouvelle loi, lequel fait écho à l’article 92 de l’ancienne Loi, le Parlement, dans sa sagesse, a inclus une nouvelle disposition accordant d’autres « pouvoirs » aux arbitres de griefs. L’alinéa 226(1)g) de la nouvelle Loi indique qu’un arbitre de grief est habilité à interpréter et appliquer la LCDP. Ce pouvoir nouvellement stipulé est lié à l’article 43 de la convention collective qui prohibe la discrimination.

[13] Bien que l’alinéa 226(1)g) de la nouvelle Loi n’ait pas été spécifiquement interprété, je suis persuadé du bien-fondé des remarques incidentes que l’arbitre de grief a faites dans Sincère :

[…]

[44] Pour assurer la compétence de l’arbitre, il faudrait donc trouver dans les motifs du non-renouvellement [de la période d’emploi] des éléments disciplinaires ou indépendants [de la période d’emploi]. Entre alors en jeu toute la question de la compétence de [l’arbitre de grief] en matière de droits de la personne puisque ce sont là les seuls motifs allégués par la fonctionnaire s’estimant lésée.

[…]

[14] Pour ces motifs, je suis d’avis que la nouvelle Loi, en particulier l’alinéa 226(1)g), habilite un arbitre de grief à entendre sur le fond un grief portant sur la décision de ne pas renouveler une période d’emploi déterminée lorsqu’il est allégué que cette décision repose sur une pratique discriminatoire interdite de la part de l’employeur.

[…]

36 Je souscris à la décision rendue par l’arbitre de grief dans l’affaire précitée et ma décision dans la présente affaire concorde avec elle. Ma décision concorde également avec la décision rendue dans Lovell et Panula c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 91, dans laquelle les fonctionnaires s’estimant lésés contestaient leur licenciement pour incapacité au motif que la décision de l’employeur était discriminatoire et violait les dispositions de leur convention collective et de la LCDP. L’employeur s’est opposé à la compétence de l’arbitre de grief, alléguant que le licenciement des fonctionnaires s’estimant lésés était de nature non disciplinaire et que leurs griefs pouvaient être réglés dans le cadre de son mécanisme de réexamen par une tierce partie indépendante. L’arbitre de grief a statué que, bien que, en général, un arbitre de grief n’ait pas la compétence relativement à un licenciement de nature non disciplinaire au sein de l’Agence du revenu du Canada, il avait la compétence cependant pour décider s’il y avait eu violation de la convention collective ou si les fonctionnaires s’estimant lésés en cause avaient fait l’objet d’une discrimination interdite par la LCDP.

37 Dans Swan et McDowell, l’arbitre de grief s’est déclaré incompétent pour instruire les griefs en cause au motif que les griefs portaient essentiellement sur la dotation et le programme de dotation de l’employeur et parce que l’article 1 de la convention collective sur laquelle s’appuyaient les fonctionnaires s’estimant lésés ne créait pas un droit fondamental en leur faveur et, enfin, que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pour sa part pas soulevé la question de l’application de l’article 1 dans l’énoncé de son grief. Le présent cas se distingue nettement de Swan et McDowell, notamment en ce que la fonctionnaire dans la présente affaire a dûment soulevé la question de l’application d’une clause de la convention collective qui confère des droits fondamentaux et que son grief, dans son essence, concerne les droits de la personne.

38 Dans Spencer, le grief contestait essentiellement la politique de l’employeur consistant à accorder le statut d’employé nommé pour une durée indéterminée aux employés nommés pour une durée déterminée après trois années d’emploi continu. L’employeur a soutenu que l’arbitre de grief n’avait pas la compétence pour interpréter la politique en cause, car elle ne faisait pas partie intégrante de la convention collective. Toutefois, la politique ne prévoyait aucun recours pour contester son application ou son interprétation. L’arbitre de grief a conclu que des lacunes dans un autre mécanisme administratif de réparation ne pouvaient justifier l’extension de la compétence d’un arbitre de grief prévue à l’article 209 de la Loi. Je souscris à cette conclusion. Or, en l’espèce, la question n’est pas d’accorder un recours à la fonctionnaire afin de combler une lacune de la LEFP ou du Règlement pris en vertu de celle-ci. Il s’agit ici plutôt de lui donner un recours afin que ses allégations de discrimination et de violation de la convention collective puissent être dûment examinées.

39 Dans Hureau, le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’employeur n’avait pas respecté la clause sur les références personnelles figurant dans la convention collective au cours du processus de sélection. L’employeur s’est opposé à la compétence de l’arbitre de grief, alléguant que le grief portait sur la dotation. L’arbitre de grief a conclu qu’il avait la compétence pour instruire le grief dans la mesure où celui-ci se rapportait à une violation de la convention collective. Il a conclu cependant qu’il n’avait pas la compétence pour ordonner quelque redressement en matière de dotation. Dans le présent cas, j’ai la compétence pour instruire le grief, mais je laisserai ouverte la question du redressement en attendant d’entendre l’argumentation des parties à la reprise de l’audience.

40 Dans Brown (CRTFP), le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué avoir fait l’objet de discrimination du fait que l’employeur ne l’avait pas nommé à un poste pour lequel il s’était pourtant qualifié. L’arbitre de grief s’est déclaré incompétent au motif que le grief portait sur des décisions en matière de dotation à l’égard desquelles le fonctionnaire s’estimant lésé disposait d’une voie de recours. Cela n’est pas le cas dans la présente affaire. La Cour fédérale a confirmé la décision rendue par l’arbitre de grief dans Brown (CRTFP).

41 Les faits du présent cas s’apparentent à ceux dans Veillette. Dans cette dernière affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé avait déposé trois griefs alléguant la violation par l’employeur de la clause sur l’élimination de la discrimination figurant dans la convention collective, en ne lui offrant pas des nominations intérimaires et en l’excluant d’un concours en invoquant sa situation de famille et ses activités syndicales. L’employeur s’est opposé à la compétence de l’arbitre de grief au motif que les griefs portaient sur une question de dotation et que le fonctionnaire s’estimant lésé avait d’autres recours à sa disposition. L’arbitre de grief a rejeté l’objection de l’employeur relativement aux deux griefs à l’égard desquels le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait aucun autre recours. Il a également précisé que la clause sur l’élimination de la discrimination de la convention collective conférait des droits fondamentaux aux employés.

42 En conclusion, je rejette l’objection soulevée par l’employeur, et je déclare que j’ai la compétence pour instruire le présent grief. Il m’apparaît clairement que ce grief se rapporte à la clause sur l’élimination de la discrimination stipulée dans la convention collective. Selon les faits qui m’ont été exposés, l’employeur devait offrir une nomination intérimaire de courte durée à la fonctionnaire, mais a décidé de ne pas le faire en se fondant uniquement sur les activités professionnelles de son conjoint de fait. Cela pourrait constituer une violation de la convention collective, et j’ai la compétence pour examiner cette allégation de violation, étant donné que je n’y suis pas empêché par les dispositions du paragraphe 208(2) de la Loi, car aucun autre recours administratif de réparation n’est ouvert à la fonctionnaire sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la LCDP.

43 En aucun cas ma décision ne doit être perçue comme signifiant que l’employeur aurait violé la convention collective en agissant de façon discriminatoire envers la fonctionnaire. Cela reste à démontrer dans le cadre d’une audience sur le fond du grief.

44 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

45 L’objection de l’employeur est rejetée.

46 La CRTFP communiquera avec les parties afin de fixer une date d’audience sur le fond du grief.

Le 23 juillet 2013.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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