Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Une plainte a été déposée auprès de la Commission contre le défendeur en vertu de l’article 133 du Code - le plaignant était le coordonnateur des visites et de la correspondance dans un pénitencier fédéral à sécurité maximale exploité par le défendeur - il était tenu de porter une veste - le plaignant a allégué que le défendeur avait pris des mesures disciplinaires à son égard parce qu’il a présenté un refus de travailler lié au port de la veste - le défendeur a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour entendre l’affaire, puisque le plaignant n’avait pas exercé un refus valide de travailler en vertu de l’article 128 - aucune sanction disciplinaire n’a été prise contre le plaignant; si des mesures ont été prises par le défendeur, elles n’étaient pas liées au refus de travailler - la Commission a conclu qu’elle avait compétence pour entendre et trancher la plainte, puisqu’une plainte avait été déposée en vertu de l’article 133 alléguant des représailles aux termes de l’article 147 - le plaignant s’est acquitté du fardeau de la preuve initial, car il a déposé la plainte dans les délais prescrits par le paragraphe 133(2) découlant du dépôt de son refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1) - le défendeur pouvait s’acquitter du fardeau de la preuve établi au paragraphe 133(6), qui consiste à démontrer qu’il n’y a pas eu de contravention à l’article 147, s’il démontrait a) que le plaignant n’avait pas agi conformément à l’article 128, ou b) que le défendeur n’avait imposé aucune mesure disciplinaire ni sanction pécuniaire au plaignant, ou c) si le défendeur avait imposé des mesures disciplinaires ou une sanction disciplinaire au plaignant, que celles-ci n’avaient aucun lien que ce soit avec l’exercice du droit de refuser de travailler par le plaignant en vertu de l’article 128 - la Commission a conclu que le défendeur avait établi que le plaignant n’avait pas de motif raisonnable de refuser de travailler en vertu de l’article 128 - elle a souligné que le défendeur avait clairement avisé le plaignant qu’il rejetait son refus de travailler en vertu de l’article 128, mais le plaignant n’a jamais confirmé le maintien de son refus - la Commission a également souligné que la preuve du plaignant ne concordait pas avec les autres éléments de preuve présentés à l’audience et qu’il y avait contradiction - la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas sa veste avec lui au travail ce jour-là, et qu’il ne pouvait pas avoir de motif raisonnable de croire qu’il y avait un danger - par conséquent, le plaignant n’avait pas de motif raisonnable de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-05-31
  • Dossier:  560-02-69
  • Référence:  2013 CRTFP 63

Devant une formation de la
Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

DOUGLAS DWAIN WHITE

plaignant

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA)

défendeur

Répertorié
White c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une plainte en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour le plaignant:
Jack Haller, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur:
Allison Sephton, avocate

Affaire entendue à Moncton (Nouveau- Brunswick) et à Ottawa (Ontario),
les 18, 19 et 20 décembre 2012 et le 28 janvier 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant la Commission

1 Le 17 mars 2010, M. Douglas Dwain White (le « plaignant ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») contre le Service correctionnel du Canada (le « défendeur ») en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail (le « Code »). Le plaignant a allégué que le défendeur avait pris des mesures contre lui parce qu’il avait refusé de travailler le 10 février 2010.

2 Plus précisément, le plaignant a soutenu que bien qu’il ait remis un refus de travailler le 10 février 2010, conformément à l’article 128 du Code, le défendeur ne l’a pas accepté et a exigé qu’il obtienne un certificat de santé de son médecin relativement aux questions soulevées dans son refus de travailler. Le plaignant a affirmé que le jour même où il a refusé d’exécuter le travail, il est également retourné chez lui parce qu’il était malade, ce qui n’était en rien lié avec le refus de travailler. Le plaignant a également affirmé qu’il avait dû puiser dans sa réserve de congés de maladie payés et qu’il avait demandé que ces congés lui soient restitués. Il a aussi demandé qu’on enlève la lettre versée à son dossier et qu’on prenne des mesures contre les gestionnaires qui n’ont pas respecté le Code.

3 Au début de l’audience, le défendeur a soulevé une objection préliminaire quant à ma compétence. J’ai entendu les arguments concernant l’objection et établi qu’il faudrait que j’entende la preuve avant de pouvoir rendre une décision relativement à celle-ci. Il était également clair que la preuve concernant la compétence était liée à la preuve sur le fond de l’affaire. Ainsi, j’ai décidé de ne me prononcer quant à ma compétence qu’une fois toute la preuve entendue.

II. Résumé de la preuve

A. Contexte

4 Le plaignant a commencé à travailler pour le défendeur en 1986 à titre d’agent correctionnel (« CX ») 1. Il occupe un poste classifié CX-2 depuis 14 ans. À l’heure actuelle, son poste d’attache est celui de coordonnateur des visites et de la correspondance (« V et C ») à l’Établissement l’Atlantique (l’« Établissement »), un pénitencier fédéral à sécurité maximale exploité par le défendeur dans la région de l’Atlantique, à Renous, au Nouveau-Brunswick. Le poste qu’occupait auparavant le plaignant était celui de coordonnateur des escortes à l’Établissement.

5 Le plaignant a également occupé plusieurs charges au sein de l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur »), notamment à titre de délégué syndical à l’Établissement, de vice-président de section régionale, et de président. En février 2010, le plaignant était le vice-président de la section régionale de l’Atlantique de l’agent négociateur. Depuis mai 2010, le plaignant occupe les fonctions de président de la section régionale de l’Atlantique pour l’agent négociateur; c’est pourquoi il est en congé de son poste d’attache à l’Établissement.

6 En tant que coordonnateur des V et C, le plaignant relevait du gestionnaire correctionnel (« GC »), M. Yves Lemieux. M. Lemieux est le GC responsable des horaires et des déploiements à l’Établissement. Il occupe ce poste depuis juillet 2010, à titre permanent ou intérimaire. Auparavant, environ depuis le début de 2008, il a été GC de l’unité résidentielle 2 et des V et C. Il a également occupé le poste de coordonnateur des V et C à l’Établissement à compter de 2001. Pendant toute la période pertinente, son poste d’attache était celui classifié CX-2 et il occupait le poste de GC à titre intérimaire.

7 M. Robert Taylor est actuellement le GC responsable de l’unité d’isolement à l’Établissement. Il travaille pour le défendeur depuis 23 ans, occupant la plupart du temps le poste de GC ou d’agent responsable de la sécurité de l’établissement (« ASE »). De 2008 jusqu’en août 2012, il était le GC des opérations. Lorsque le plaignant était coordonnateur des escortes, il relevait de M. Taylor.

8 M. Kevin Hare occupe actuellement le poste de directeur adjoint, Opérations (« DAO ») à l’Établissement. Il occupe ce poste à titre intérimaire ou pour une période indéterminée depuis avril 2009. Le DAO est responsable de toutes les opérations correctionnelles. Quatorze GC relèvent directement de lui, et 200 CX en relèvent indirectement, par l’intermédiaire des GC. Il a la responsabilité des opérations correctionnelles quotidiennes de l’Établissement. Il compte près de 31 ans d’expérience, ayant commencé comme CX-1 et progressé par la suite en occupant des postes de niveaux CX-2, GC et ASE. Mis à part deux courts séjours, il a passé toute sa carrière à l’Établissement. À titre de DAO, il relève du sous-directeur (« SD »).

9 M. Paul Bourque est actuellement le directeur de l’Établissement. Il occupe ce poste depuis octobre 2008. Il est responsable de toutes les opérations de l’Établissement. M. Bourque a commencé sa carrière à l’Établissement en 1986 en tant que CX-1 et il a gravi les échelons de CX-2 à GC et SD avant de devenir directeur.

10 M. Joel Banks occupe depuis 12 ans le poste de CX-2 à l’Établissement. Il travaille à l’Établissement depuis mai 1997, où il a commencé comme CX-1. M. Banks a occupé différentes charges à l’unité de négociation aux niveaux local et régional, notamment celui de président de la section régionale de l’Atlantique. Il est actuellement délégué syndical.

11 M. Rene Morais occupe actuellement le poste de conseiller du défendeur en santé et sécurité au travail (« SST ») pour la région de l’Atlantique. Il occupe ce poste à l’Établissement depuis 7 ans. Auparavant, il était conseiller en santé et sécurité au travail à l’Établissement Dorchester, un pénitencier à sécurité moyenne situé également dans la région de l’Atlantique.

12 La section des V et C de l’Établissement est celle où les détenus reçoivent des visiteurs de l’extérieur. Il s’agit d’une grande salle, avec des tables et des chaises, où les détenus reçoivent leurs visiteurs. La salle et l’accès à celle-ci sont surveillés et contrôlés au moyen d’un poste de contrôle où travaillent plusieurs CX. Le poste de contrôle est séparé de la salle des V et C par des murs, des portes et des vitres pare-balles. On accède au poste de contrôle par une porte en acier.

13 Le plaignant, en tant que coordonnateur des V et C, travaille principalement dans un bureau situé dans le poste de contrôle des V et C auquel on ne peut accéder que par une porte simple donnant sur le poste de contrôle. Plusieurs témoins ont décrit le bureau comme étant une petite pièce mesurant environ 1,80 m sur 1,80 m, sans fenêtre et dotée d’un bureau, d’une chaise et d’un ordinateur. Un conduit au plafond assure la ventilation du bureau.

14 Le plaignant a indiqué que ses fonctions étaient essentiellement de nature administrative et qu’elles exigeaient qu’il passe la majorité de son temps à son bureau, à travailler surtout à l’ordinateur. Aucune copie de sa description de travail n’a été produite. Avant d’être coordonnateur des V et C, le plaignant était coordonnateur des escortes et il relevait du GC, M. Taylor. Aucune copie de la description de travail pour ce poste n’a été produite, et on ne m’a pas décrit les tâches exercées.

15 Avant 2007, les CX des pénitenciers fédéraux canadiens ne portaient pas de veste de protection contre les armes blanches (« veste »), car elle ne faisait pas partie des vêtements de travail obligatoires. Des discussions entre l’agent négociateur et le défendeur se sont traduites par l’acquisition par le défendeur de vestes pour tous les CX-1 et CX-2.

16 La politique du défendeur stipule que tous les CX-1 et CX-2 doivent porter la veste dans l’exercice de leurs fonctions dans certains établissements. La pièce C-1 correspond au [traduction] « Protocole lié aux vestes de protection contre les armes blanches ». La partie 2 du protocole fait référence aux vestes individuelles. Elle se lit comme suit :

[Traduction]

Partie 2 – Vestes individuelles

Disponibilité et attribution des vestes

6. Dans tous les établissements à sécurité maximale, centres de traitement et unités spéciales de détention (USD), des vestes seront remises à tous les agents correctionnels I et à tous les agents correctionnels II qui y travaillent.

[…]

9. Les membres du personnel à qui l’on a remis des vestes individuelles doivent :

a) les porter en tout temps dans l’exercice de leurs fonctions, sauf lorsqu’ils doivent porter une veste pare-balles. Les employés qui ne portent pas leur veste alors qu’ils sont au travail feront l’objet de mesures disciplinaires;

[…]

17 Le plaignant est un CX-2 et il travaille dans un établissement à sécurité maximale; son équipement de sécurité comprend une veste individuelle qu’il est tenu de porter.

18  M. Taylor a décrit le processus d’ajustement des vestes remises à chaque agent. Un essayeur prend les mesures de l’agent et les communique au fournisseur. Après avoir été manufacturée, elle est renvoyée à l’établissement, où l’agent l’essaye pour s’assurer qu’elle est bien ajustée et qu’elle assure la protection nécessaire. Au début, deux types de veste étaient offerts : l’une évasée et l’autre droite. La veste évasée a été jugée moins confortable, car l’armure de devant est rigide et pend sur les genoux de l’agent lorsqu’il est assis. En 2011, on a supprimé le modèle évasé. Les vestes sont ajustables, des bandes Velcro étant situées de chaque côté et sur le dessus de la pièce qui assemble le devant et le dos. On peut ajuster les vestes en desserrant ou en serrant les sangles. Une veste plus ample permet une meilleure aération du torse.

19 Il n’y a aucune preuve qui indique le type de veste remise au plaignant.

20 Rien n’indique non plus à quel moment le plaignant a reçu la veste qui fait l’objet de la plainte dont je suis saisi.

21 Le DAO Hare a déclaré que la veste faisait partie de l’équipement de protection individuelle remis à tous les CX-1 et CX-2. Elle est destinée à protéger les agents contre les blessures graves et fait partie de leur uniforme. Le port de la veste est obligatoire pour tous les agents CX dans l’exercice de leurs fonctions, quel que soit le poste ou le secteur de l’établissement où ils se trouvent.

22 MM. Hare, Taylor et Lemieux ont affirmé que la politique exige le port de la veste par tous les CX à des fins de diligence raisonnable. La direction ne peut permettre à certains CX de ne pas porter leur veste alors que d’autres sont tenus de le faire. M. Hare a également déclaré qu’il est important que le plaignant porte sa veste, car il est considéré comme un leader par les autres membres du personnel de l’Établissement.

23 M. Banks a affirmé qu’à sa connaissance, la politique du défendeur prévoit que tous les CX portent leur veste en tout temps, dans tous les secteurs de l’Établissement, peu importe l’établissement, ce qui comprend le secteur des V et C, même si le CX fait un travail administratif.

24 M. Hare a déclaré que lorsque les CX ne portent pas leur veste, on leur ordonne de les porter ou on donne instruction à leur GC de leur ordonner de les porter.

25 La pièce R-6 est la consigne de poste de la fonction de coordonnateur des V et C occupée par le plaignant. Le paragraphe 5 prévoit ce qui suit :

[Traduction]

TÂCHES

5. Tous les coordonnateurs de secteursont munis d’équipements de sécurité ou de protection approuvés par le SCC et ce, tels que requis (p. ex., équipement de RCR, menottes, avertisseur portatif, gants de fouille, radio, etc.). Ils testent leurs avertisseurs portatifs avec l’agent du poste principal de contrôle des communications (PPCC) au début de son quart de travail.

26 Avant les événements du 10 février 2010, le plaignant avait refusé de travailler à deux reprises en invoquant l’article 128 du Code (« refus de travailler en vertu de l’article 128 ») relativement au port de la veste, et il avait déposé au moins une autre plainte au sujet de la veste en vertu de l’article 127.

27 M. Taylor a affirmé que le 19 juin 2009, il a vu le plaignant au poste de contrôle central de l’Établissement sans sa veste. Il a indiqué qu’à cette époque-là, il n’était pas le supérieur immédiat du plaignant, car celui-ci travaillait déjà comme coordonnateur des V et C. Il a dit que lorsqu’il a demandé au plaignant pourquoi il ne portait pas sa veste, sa réponse a été qu’il faisait trop chaud dans son bureau. M. Taylor a déclaré qu’ils sont retournés dans le bureau, où il a confirmé qu’il y faisait effectivement très chaud puisque la climatisation ne fonctionnait pas à cet endroit. Le plaignant lui a remis un document dans lequel il invoquait son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code.

28 Le problème de climatisation a été porté à l’attention du SD, qui a pris des dispositions pour que l’on vérifie le problème et qu’on le règle. Une fois le problème réglé, le plaignant a décidé de ne pas donner suite au refus de travailler en vertu de l’article 128, mais de déposer une plainte au titre de l’article 127 du Code (« plainte déposée en vertu de l’article 127 »). Selon M. Taylor, le plaignant a remis sa veste et a continué de la porter à son poste.

29 Le document dactylographié portant sur le refus de travailler en vertu de l’article 128 remis par le plaignant le 19 juin 2009 et la modification manuscrite subséquente la transformant en plainte déposée en vertu de l’article 127 se lisent comme suit :

[Traduction]

Le 19 juin, vers 9 h 30, j’ai invoqué l’article 128 du Code du travail pour deux raisons :

  1. Il y a environ un an, on a effectué une analyse du risque professionnel par rapport aux vestes de protection contre les armes blanches fournies uniquement aux CX-1 et aux CX-2 du Service correctionnel du Canada. On nous avait promis de nous remettre une copie du rapport, et comme cela remonte à un an et que la chaleur revient, j’estime que porter la veste dans l’Établissement l’Atlantique constitue un danger pour moi. Il y a toujours eu un problème d’aération et il fait extrêmement chaud dans le pénitencier.
  2. La deuxième raison est que les vestes sont un équipement de sécurité et qu’elles devraient être fournies à tous les employés de l’Établissement.

« Doug White »

Je souhaite que ces questions soient soumises en tant que plainte déposée en vertu de l’article 127. « Doug White » Le 19 juin 2009.

30 Il n’y a aucune preuve indiquant ce qu’il est advenu du refus de travailler en vertu de l’article 128 et de la plainte en vertu de l’article 127 déposée le 19 juin 2009.

31 La pièce R-10 s’intitule Réponse de la direction à la plainte déposée en vertu de l’article 127 (mai et octobre 2009 et janvier 2010) déposée par l’agent correctionnel 2 Doug White et l’agent correctionnel 1 Josh Good de l’Établissement de l’Atlantique et elle n’est pas datée. On ne m’a pas fourni la plainte originale en vertu de l’article 127 déposée par le plaignant ou M. Good, plainte dont la pièce R-10 est la réponse. Elle a été produite en preuve par M. Bourque, qui a déclaré que la réponse avait été présentée en son nom et sous son autorité. Il ne sait pas quand elle a été émise.

32 La pièce R-10 renvoie à un certain nombre de plaintes formulées en vertu de l’article 127 du Code, dont deux concernent le port de la veste, et sont résumées à la première page comme suit :

[Traduction]

  1. L’exigence du port de la veste réduit la capacité de tir de l’agent appelé à effectuer une intervention armée à partir d’un poste sécurisé;
  2. La direction doit remettre à toutes les personnes à qui l’employeur accorde l’accès au lieu de travail le matériel de sécurité, l’équipement, les dispositifs et les vêtements prescrits;

[…]

33 Il n’y a aucune preuve que le plaignant a reçu une copie de la pièce R-10 avant l’audience.

34 La pièce R-12 est un rapport d’enquête daté du 18 février 2010, enquête qui a été lancée en vertu de l’article 127 du Code et entreprise par MM. Taylor et Doug Best, après avoir été nommés à cette fin par le directeur de l’établissement, M. Bourque, et portant sur un refus de travailler en vertu de l’article 129 présenté par le plaignant le 4 janvier 2010. Comme dans le cas du refus de travailler en vertu de l’article 128 daté du 19 juin 2009, celui-ci avait d’abord été présenté comme un refus de travailler aux termes de l’article 128 avant de devenir une plainte déposée en vertu de l’article 127.

35 On ne m’a pas fourni de copie du refus de travailler en vertu de l’article 128 du 4 janvier 2010.

36 M. Taylor, en plus de son témoignage au sujet de sa participation aux refus de travailler et aux plaintes déposées par le plaignant le 19 juin 2009 et le 4 janvier 2010, a déclaré que pendant la période où le plaignant relevait de lui, il a eu de nombreuses discussions avec lui au sujet du port de la veste.

37 M. Taylor a affirmé que le plaignant lui avait dit clairement qu’il n’aimait pas la veste. M. Taylor a indiqué que lorsque le plaignant ne portait pas sa veste, c’était habituellement lorsqu’il se trouvait dans le bureau du coordonnateur des escortes ou lorsqu’il était à son bureau. En général, lors des discussions, le plaignant estimait qu’il n’avait pas à porter sa veste pendant qu’il travaillait à son bureau. M. Taylor a dit avoir clairement indiqué au plaignant qu’il devait porter sa veste en tout temps au travail.

38 M. Taylor a dit que lorsqu’il était le superviseur du plaignant, il devait lui dire environ une fois par mois de porter sa veste. M. Taylor a affirmé qu’il n’était pas le seul à remarquer qu’il arrivait souvent au plaignant de ne pas porter sa veste, mais que ses supérieurs le lui signalaient en lui donnant instruction pour qu’il ordonne au plaignant de la porter.

39 M. Taylor a affirmé que bien que le plaignant ne soit pas le seul CX à qui il devait demander de porter sa veste au travail, il était celui à qui il devait le rappeler le plus souvent.

40 M. Hare a déclaré qu’il savait que le plaignant n’était pas d’accord avec le port de la veste et que cela avait commencé lorsque le plaignant était coordonnateur des escortes. M. Hare a dit que le plaignant lui avait clairement indiqué qu’il n’aimait pas porter la veste. Il a déclaré que lorsqu’il voyait le plaignant sans sa veste, il lui en parlait et lui faisait bien comprendre qu’il était obligé de la porter. M. Hare a dit que, par le passé, lorsqu’il ordonnait au plaignant de porter sa veste, celui-ci obéissait.

41 M. Lemieux a affirmé que lorsque le plaignant a commencé à travailler sous ses ordres, il savait que le port de la veste posait des problèmes au plaignant.

42 M. Lemieux a déclaré que, le matin, dans le cadre de ses tâches quotidiennes, il se rendait à l’Unité résidentielle 2 et au secteur des V et C après avoir assisté à la réunion de la direction. L’objectif de sa visite était de communiquer aux employés toute information pertinente émanant de la réunion et de voir s’il n’y avait pas de problème dans les secteurs sous sa responsabilité. Il a dit que pendant sa visite, il avait l’habitude de vérifier que tous les CX portaient leur uniforme et leur équipement de sécurité, y compris leur veste. Il a indiqué que lorsque le plaignant ne portait pas sa veste, il était dans le bureau du coordonnateur des V et C. Il ordonnait alors au plaignant de mettre sa veste. M. Lemieux se souvient d’avoir dû parler au plaignant à deux ou trois reprises. Il a déclaré qu’il utilisait habituellement une approche amicale et que du même coup le plaignant réagissait bien, c’est-à-dire qu’il obéissait ou que si sa veste était chez lui, il répondait qu’il l’apporterait.

43 M. Lemieux a également déclaré qu’il connaissait très bien le bureau du coordonnateur des V et C, car il y avait déjà travaillé. En contre-interrogatoire, on lui a demandé s’il était d’avis qu’il y avait un problème d’aération dans le bureau. Il a répondu qu’il n’a jamais été incommodé par un tel problème, mais que parfois, il pouvait faire chaud.

44 Le plaignant a reconnu que la veste lui posait un problème. Il a indiqué qu’il comprenait que, selon le règlement, il devait porter sa veste dans le cadre de son travail à l’Établissement. Il a dit que chaque fois qu’il se trouvait dans les unités ou qu’il se déplaçait dans l’Établissement, il portait sa veste. Toutefois, il a reconnu qu’il lui arrivait de l’enlever lorsqu’il travaillait dans le bureau du coordonnateur des V et C.

45 Le plaignant est d’avis que quiconque a des contacts avec les détenus devrait porter la veste, y compris le personnel infirmier, les employés des cuisines et les GC.

B. Février 2010

46 Le 9 février 2010, M. Lemieux a affirmé avoir reçu un rapport indiquant que le plaignant avait été vu sans sa veste. Il a indiqué avoir discuté du problème avec M. Hare.

47 M. Hare se souvient d’avoir eu une discussion avec M. Lemieux et de s’être entretenu avec le directeur de l’établissement, M. Bourque, le 9 février 2010. Les deux conversations avaient pour objet le plaignant et le fait qu’il ne portait pas sa veste. M. Hare a déclaré que M. Bourque et lui avaient convenu que M. Lemieux parlerait au plaignant et lui demanderait de porter sa veste. Le lendemain, M. Lemieux vérifierait si le plaignant portait sa veste. Dans la négative, M. Lemieux lui demanderait encore de la porter. Si le plaignant continuait de refuser de porter sa veste, on lui donnerait un ordre formel. M. Hare a dit que si l’on en arrivait là et que le plaignant refusait d’obéir, on renverrait le plaignant chez lui et il y resterait jusqu’à ce qu’il revienne au travail en portant sa veste.

48 M. Bourque se souvient également d’une discussion qu’il a eue le 9 février 2010 avec M. Hare au sujet du fait que le plaignant ne portait pas sa veste. M. Bourque savait que le défaut du plaignant de porter la veste était devenu un problème récurrent. Le témoignage de M. Bourque confirme le compte rendu fait par M. Hare de leur discussion du 9 février 2010 au sujet du plan d’action.

49 M. Lemieux a déclaré qu’il avait parlé au plaignant le 9 février 2010, qu’il l’avait informé qu’il devait porter sa veste et qu’il lui avait dit que s’il ne la portait pas le lendemain, des mesures administratives seraient mises en place. M. Lemieux a confirmé que M. Hare lui avait demandé de le dire au plaignant.

50 M. Lemieux a affirmé que le 10 février 2010, après la réunion du matin, comme à son habitude, il s’est rendu dans le secteur des V et C, où se trouve le bureau du coordonnateur des V et C. Le plaignant ne portait pas sa veste. M. Lemieux a dit qu’il avait demandé au plaignant où était sa veste et que celui-ci lui avait répondu qu’elle était chez lui. M. Lemieux a indiqué qu’il avait rappelé au plaignant la conversation qu’ils avaient eu la veille et que, comme prévu, il irait voir M. Hare. Selon le témoignage de M. Lemieux, il n’a pas dit au plaignant de porter sa veste ni de rentrer chez lui et il ne l’a pas sanctionné. Il a affirmé qu’à aucun moment pendant leur discussion le plaignant ne lui a dit qu’il exerçait ses droits en vertu du Code ou qu’il refusait de travailler, ni ne lui a signalé un danger.

51 M. Lemieux a déclaré qu’il avait quitté le bureau du plaignant pour aller voir M. Hare, et qu’ils avaient convenu de tenir une réunion avec le plaignant, M. Lemieux et M. Hare. M. Lemieux a dit qu’il était retourné voir le plaignant pour lui demander de venir immédiatement dans le bureau de M. Hare.

52  Le plaignant a affirmé que M. Lemieux était venu dans son bureau le 10 février 2010. Il a dit qu’il n’y avait aucun tapis dans le secteur des V et C et que, par conséquent, on savait si quelqu’un s’en venait dans le secteur, car on l’entendait arriver. C’est pourquoi il a dit qu’il entendait M. Lemieux courir dans le secteur des V et C et qu’il savait qu’il venait voir s’il portait sa veste. Il a indiqué qu’il se trouvait dans le secteur des V et C, qu’il avait de la difficulté à respirer, que les [traduction] « conduits d’air » étaient affreux, et qu’il s’en dégageait de la poussière noire. Il a déclaré que M. Lemieux lui avait dit de mettre sa veste ou de rentrer chez lui. Il croyait être suspendu sans solde. Il a dit que comme il croyait être en danger, il a rédigé un refus de travailler en vertu de l’article 128. Selon son témoignage, il avait également dit à M. Lemieux qu’il exerçait son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code.

53 Une réunion à laquelle ont assisté MM. Banks, Lemieux et Hare a eu lieu dans le bureau de M. Hare. La réunion a été enregistrée par le plaignant au moyen d’un enregistreur numérique; cet enregistrement a été produit en preuve par le défendeur, et le plaignant en a constaté l’authenticité lors de son contre-interrogatoire. Même si toutes les personnes présentes à la réunion ont témoigné au sujet de ce qui s’y est passé, l’enregistrement rend très bien compte des faits et de leur ordre chronologique.

54 Avant que le plaignant se rende dans le bureau de M. Hare, il a communiqué avec M. Banks. M. Banks a déclaré qu’avant la réunion, le plaignant lui avait dit qu’il recevrait l’ordre formel de porter sa veste, et que s’il ne s’y conformait pas, croyait-il savoir, il serait renvoyé chez lui.

55 Le plaignant avait commencé l’enregistrement numérique dans le bureau du coordonnateur des V et C, lorsque M. Lemieux lui a dit que M. Hare voulait le voir dans son bureau, en haut. Pendant la première minute de l’enregistrement environ, on entend des pas ainsi que des portes et des barrières qui s’ouvrent et se ferment. Le plaignant commence ensuite à parler et demande à tout le monde de s’identifier. Il se présente, puis présente M. Banks, qui l’accompagne. MM. Lemieux et Hare se présentent ensuite.

56 Une fois que tout le monde s’est présenté, M. Hare informe le plaignant que le directeur de l’établissement lui a demandé de donner l’ordre formel au plaignant de mettre sa veste et que s’il refusait, il serait renvoyé chez lui. Le plaignant a demandé si l’ordre venait du directeur. Lorsqu’on lui a confirmé que c’était le cas, le plaignant dit à tout le monde qu’il rentrait chez lui parce qu’il était malade; l’instant d’après, il produisait un document indiquant qu’il refusait de travailler en vertu de l’article 128, puis il avisait les personnes présentes qu’il porterait plainte contre le directeur et le GC, M. Lemieux, pour harcèlement. M. Hare et le plaignant ont discuté pour savoir si le plaignant était renvoyé chez lui ou s’il rentrait chez lui parce qu’il était malade. À la fin de la réunion, qui a duré à peine plus de quatre minutes, le plaignant a quitté l’Établissement, indiquant que le stress l’avait rendu malade, et M. Hare a reçu du plaignant le document indiquant qu’il refusait de travailler en vertu de l’article 128.       

57 Le plaignant a quitté l’Établissement le 10 février 2010 et il n’a repris le travail que le 5 mars 2010.

58 Le refus de travailler en vertu de l’article 128 se lit comme suit :

[Traduction]

En mon nom et en celui de tous les employés et visiteurs de l’Établissement, j’invoque l’article 128 du Code du travail pour les raisons suivantes :

1. Aucune évaluation ergonomique des vestes n’a été réalisée.

2. L’air dans mon bureau nuit à ma respiration lorsque je porte ma veste.

3. Selon l’alinéa 12.1b), l’utilisation d’équipement de protection peut prévenir ou réduire les blessures liées à ce risque et toutes les personnes ayant accès au lieu de travail qui sont exposées à ce risque doivent utiliser l’équipement de protection prescrit dans la présente partie.

Le 9 février 2010, le gestionnaire correctionnel, M. Yves Lemieux, a menacé de prendre des mesures disciplinaires à mon endroit, ce qui est contraire à l’article 147 du Code (Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

(a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

(b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

(c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer. )

Je m’étais entendu avec le GC, M. Bob Taylor, qui s’occupait de la plainte originale. Je considère donc ces mesures comme du harcèlement, car mon gagne-pain est menacé. Le directeur, M. Paul Bourque, était au courant de l’entente, mais il a donné instruction à Yves de prendre des mesures disciplinaires contre moi.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

59 Il n’y a aucune preuve qu’une plainte de harcèlement a été déposée par le plaignant contre M. Bourque ou M. Lemieux.

60 Pendant la réunion, le plaignant a allégué avoir conclu une entente avec le GC Taylor au sujet de la veste; toutefois, on n’a discuté d’aucun de ces aspects précis pendant la réunion.

61 Le plaignant a déclaré que l’entente qu’il croyait avoir conclue avec le GC Taylor consistait à faire faire une évaluation pour déterminer si la veste était ergonomique pour le travail de bureau en position assise.

62 Le GC Taylor, a affirmé qu’en ce qui a trait à la veste, la seule entente conclue avec le plaignant concernait le refus de travailler en vertu de l’article 128, présenté le 19 juin 2009. Il a dit qu’à l’époque, il était convenu que le plaignant pourrait, ce jour-là, travailler sans sa veste dans le bureau du coordonnateur des V et C en attendant que la climatisation fonctionne à nouveau dans le secteur.

63 Le 11 février 2010, le plaignant a envoyé un courriel à M. Hare pour connaître les conditions des différents [traduction] « codes du travail », pour reprendre ses termes. Le 16 février 2010, M. Hare a répondu au plaignant par courriel en joignant les trois documents suivants :

  1. Un courriel de M. Morais daté du 15 février 2010.
  2. Un document intitulé Réponse au refus de travailler en vertu de l’article 128 du Code canadien du travail présenté par l’agent Doug White le 10 février 2010 (non daté).
  3. Une lettre du directeur, M. Bourque, adressée au plaignant le 16 février 2010.

64 M. Bourque a confirmé que la lettre du directeur du 16 février 2010 et la Réponse au refus de travailler en vertu de l’article 128 du Code canadien du travail présenté par l’agent Doug White le 10 février 2010, jointes au courriel de M. Haredu 16 février 2010, ont été toutes les deux envoyées sous son autorité, même si elles ont été signées en son nom par le sous-directeur. Le plaignant a confirmé avoir reçu le courriel et les trois documents.

65 M. Bourque a confirmé dans son témoignage que le document intitulé Réponse au refus de travailler en vertu de l’article 128 du Code canadien du travail présenté par l’agent Doug White le 10 février 2010 était sa réponse au refus de travailler en vertu de l’article 128 présenté par le plaignant le 10 février 2010. Dans ce document, M. Bourque a affirmé avoir reçu et examiné le refus de travailler et qu’il n’aborderait pas la question comme étant un refus de travailler. Dans son témoignage rendu devant moi, M. Bourque a affirmé qu’il ne croyait pas que les actes du plaignant le 10 février 2010 étaient un refus de travailler légitime attribuable à un danger au sens du Code. Il ne pense pas qu’il y avait un danger.

66 Au quatrième paragraphe de la lettre du directeur datée du 16 février 2010, on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

Comme vous avez indiqué avoir de la difficulté à respirer lorsque vous portez votre veste de protection contre les armes blanches quand vous êtes dans votre bureau, et comme vous savez que le port de la veste est obligatoire pour assurer la sécurité de nos agents correctionnels, nous demandons des clarifications de votre médecin traitant concernant les questions suivantes :

- Quel est votre degré actuel d’aptitude à retourner au travail; incapacité totale, incapacité partielle avec limitations ou apte à reprendre votre poste d’attache sans limitation?

- Si vous êtes apte à reprendre votre poste d’attache, veuillez fournir un certificat médical le confirmant.

- Si à l’heure actuelle vous souffrez d’une incapacité totale, quelle est la date de votre prochaine réévaluation et de votre retour éventuel au travail?

- Si vous souffrez d’une incapacité partielle, quelles sont vos limitations fonctionnelles? Sont-elles temporaires ou permanentes? Si elles sont temporaires, quelle est la date de votre prochaine réévaluation?

67 Ce paragraphe constitue le fondement de l’allégation de représailles du plaignant.

68 Le plaignant a répondu le jour même au courriel de M. Hare envoyé le 16 février 2010, indiquant que son refus de travailler en vertu de l’article 128 se fonde sur : [traduction] « […] la qualité de l’air, l’évaluation ergonomique et l’absence de matériel de sécurité pour tout le personnel de l’Établissement. » Il a également ajouté ce qui suit :

[Traduction]

Je ne vous ai jamais dit que je partais pour ces raisons. C’est à mon retour au travail que je m’occuperai de la non-acceptation par M. Bourque de mon refus de travailler déposé en vertu de l’article 128, et je me servirai bien du Code du travail… Une dernière question concernant le certificat médical, allez-vous me refuser l’accès à l’Établissement si je n’en ai pas?

69 M. Hare a répondu au plaignant par courriel le 17 février 2010 :

[Traduction]

Il est exact, Doug, que lorsque je t’ai demandé de mettre ta veste, tu m’as remis un refus de travailler en vertu de l’article 128 indiquant que tu avais du mal à respirer dans ton bureau lorsque tu portais ta veste, entre autres choses, et tu m’as dit que tu rentrais chez toi parce que le stress t’avait rendu malade. Tu as ensuite présenté un formulaire de la Commission des accidents du travail. Toutefois, comme tu as mentionné des craintes pour ta santé lorsque tu portes la veste, le directeur a demandé un certificat médical dans la lettre qu’on t’a envoyée par courriel.

Comme c’est toi qui as soulevé les difficultés respiratoires, la direction veut s’assurer que tu es apte à accomplir toutes les fonctions liées à ton poste. Si maintenant tu dis que tu peux porter ta veste dans l’exercice de tes fonctions, le certificat médical n’est pas nécessaire. Autrement dit, tu peux reprendre le travail sans présenter de certificat médical à condition de porter ta veste.

70 MM. Hare et Bourque ont tous les deux affirmé que la lettre du 16 février 2010 était motivée par les préoccupations relatives aux problèmes de santé que le port de la veste occasionnait au plaignant. Le plaignant a soulevé les difficultés respiratoires et la direction voulait s’assurer qu’il était apte à accomplir ses fonctions. M. Hare a dit au plaignant dans son courriel du 17 février 2010 que s’il pouvait porter sa veste au travail sans que cela ne lui pose des problèmes de santé, le certificat médical n’était pas nécessaire.

71  Il n’y a aucune preuve qu’il y a eu d’autres communications après le courriel de M. Hare, le 17 février 2010, jusqu’à l’envoi d’un courriel au plaignant par M. Hare, le 26 février 2010. Dans ce courriel, M. Hare a répété au plaignant que rien n’avait changé et qu’il pouvait revenir au travail sans certificat médical, conformément à la clause 31.03 de la convention collective pertinente, à condition qu’il porte sa veste. Il a terminé son courriel en disant au plaignant de le contacter s’il avait des questions.

72 Le plaignant a répondu au courriel de M. Hare le jour même, indiquant qu’il reprendrait le travail sans certificat médical uniquement si le directeur confirmait par écrit qu’il pouvait le faire, puisque c’est ce dernier qui lui avait envoyé la lettre dans laquelle il lui demandait d’obtenir un tel document. Le plaignant a également dit que c’était parce qu’on exigeait qu’il remette un certificat médical qu’il utilisait ses congés de maladie, et que la maladie n’était pas la raison de son absence du travail. M. Hare a répondu par courriel au plaignant le jour même et a confirmé de nouveau qu’il pouvait reprendre le travail sans certificat médical s’il portait sa veste, et il a confirmé qu’il s’agissait de la position du directeur.

73 Le plaignant a repris le travail le 5 mars 2010. Rien n’indique qu’il a obtenu ou présenté un certificat médical ni que le directeur lui a remis une confirmation écrite de ce que M. Hare avait déjà déclaré dans ses courriels des 17 et 26 février 2010.

74 Les congés pris par le plaignant ont été inscrits dans le système de paye comme des congés de maladie, des congés annuels et des congés pour activités syndicales. On n’a présenté aucun formulaire de congé en preuve et on ne sait pas bien si le plaignant a demandé les congés tels qu’ils ont été inscrits ou s’ils ont été inscrits par les gestionnaires en fonction de leur interprétation des événements. Parmi les congés inscrits pendant la période où le plaignant était absent du travail entre le 10 février et le 5 mars 2010, 46 heures ont été inscrites comme étant des congés de maladie payés. De ces 46 heures, seules 16 ont été inscrites après la réception par le plaignant de la lettre du 16 février 2010.

75 Le plaignant a affirmé qu’il n’avait pas consulté de médecin relativement à ses troubles respiratoires lorsqu’il porte sa veste. Il n’a pas fourni de preuve selon laquelle il souffrait de maladie respiratoire ou d’allergies. Aucune attestation médicale de quelque type que ce soit n’a été présentée en preuve.

76 La seule preuve concernant la qualité de l’air dans le bureau du coordonnateur des V et C est contenue dans un « rapport de qualité de l’air » non daté, rédigé par M. Morais et fondé sur les tests réalisés entre le 3 et le 6 mai 2010. M. Morais a témoigné à propos de ses tests et de son rapport. Le rapport indique que la température, l’humidité relative et les niveaux de monoxyde de carbone et de dioxyde de carbone ont tous été vérifiés et qu’ils se situaient dans les intervalles de tolérance normaux pour l’intérieur. Le rapport fait également état d’une inspection visuelle du bureau, qui n’a révélé la présence d’aucune trace d’humidité, odeur ni poussière visible en quantité excessive.

77 Le plaignant a déclaré que la moisissure était un problème répandu dans l’Établissement et a dit que le stand de tir avait dû être fermé pendant un certain temps à cause de ce problème. Il n’y a aucune preuve relativement à l’étendue de ce problème, au moment où il est survenu ni au moment où il a été réglé.

78 Rien n’indique que la moisissure ait déjà posé un problème dans le secteur des V et C, le poste de contrôle des V et C ou le bureau du coordonnateur des V et C. Il n’y a aucune preuve que le plaignant ait déjà souffert d’allergies ou de problèmes respiratoires causés par la moisissure.

III. Résumé des arguments

A. Pour le plaignant

79 La question à laquelle on doit répondre est de savoir si les mesures disciplinaires imposées par l’employeur au plaignant étaient motivées, totalement ou partiellement, par l’exercice par le plaignant de son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code.

80 Le plaignant a allégué que le Code est le document législatif le plus important à la disposition des employés; il définit les protections les plus importantes accordées aux employés. Le Code protège les fonctionnaires fédéraux contre des conditions de travail dangereuses, notamment des poutres qui pourraient tomber sur eux, des marches glissantes qui peuvent causer des chutes ou la présence de balles dans l’Établissement. L’équipement qu’un employé doit porter pourrait également présenter un danger.

81 Le plaignant a soutenu que la charge qui lui incombe pour se prévaloir d’un refus de travailler en vertu de l’article 128 du Code n’est pas lourde. Il a souligné que le défendeur n’avait pas le droit de ne pas tenir compte ou de rejeter un refus de travailler. La série de courriels entre le plaignant et M. Hare ne laissait pas entendre que le plaignant avait abandonné son refus de travailler. Lorsque le plaignant a invoqué un refus de travailler et que des représailles été exercées, le fardeau de la preuve incombait au défendeur, qui devait alors prouver que les mesures prises ne contrevenaient pas au Code.

82 Le plaignant a dit qu’il n’y avait pas seulement eu violation de l’article 128 du Code, mais également de l’article 147 à cause des mesures disciplinaires qui lui ont été imposées. C’est pourquoi sa plainte est légitime aux termes de l’article 133.

83 La violation est claire : il n’y a pas eu de réunion ni d’évaluation du comité de santé et sécurité au travail de l’établissement; pas de convocation de l’agent de santé et sécurité (« ASO ») pour qu’il se rende sur les lieux et qu’il fasse enquête, et le défendeur a engagé des représailles contre le plaignant parce qu’il a exercé ses droits en vertu du Code.

84 Selon le plaignant, la qualité de l’air à l’Établissement était mauvaise depuis un certain temps. Le 10 février 2010, il a estimé que la situation avait assez duré. Ce n’était pas une journée de travail normale; il devait porter sa veste en travaillant à l’ordinateur et il avait de la difficulté à respirer. Il a dit qu’en plus d’avoir rédigé un refus de travailler en vertu de l’article 128 avant de rencontrer les gestionnaires, il a discuté de ses problèmes respiratoires avec le GC Taylor. Il croyait avoir une entente avec la direction au sujet du port de la veste au bureau en position assise.

85 Le plaignant a déclaré qu’il voulait simplement avoir un peu de latitude dans son bureau lorsqu’il ne rencontrait pas de détenus. Seulement 10 % de ses tâches exigent qu’il ait des contacts avec des détenus, et il a dit que lorsque c’était le cas, il porte sa veste. Son problème concerne le port de la veste lorsqu’il est assis à son bureau.

86 Le plaignant a dit que la qualité de l’air était un problème chronique, une situation qui le préoccupait particulièrement parce que son fils avait souffert de problèmes de la vue qu’il attribuait à des problèmes de qualité de l’air.

87 Le plaignant a allégué qu’il n’avait jamais désobéi à un ordre formel et que toutes les fois où on lui avait demandé de mettre sa veste, il l’avait fait.

88 Le plaignant a indiqué que, une fois renvoyé chez lui, personne ne lui avait demandé s’il voulait poursuivre sa démarche liée au refus de travailler, et qu’il n’existait aucune preuve qu’il ne voulait pas la poursuivre. On l’a intimidé pour qu’il porte sa veste. Il avait des motifs raisonnables de croire qu’il y avait un danger imminent pour sa vie.

89 Le plaignant a affirmé que si, en janvier 2010, il avait eu en sa possession la pièce C-3, la [traduction] « feuille de travail sur l’analyse du risque professionnel » datée de juillet 2008, il n’aurait peut-être pas présenté un refus de travailler.

90 Le plaignant a affirmé qu’aucune évaluation de l’ergonomie des vestes n’a été effectuée.

91 Le plaignant s’est appuyé sur Société canadienne des postes c. Jolly (1992), 87 di 218 (CCRT), qui appuie la proposition selon laquelle le seul fardeau qui incombe à l’employé est celui de convaincre le Conseil que le refus de travailler est fondé sur des craintes véritables liées à la sécurité. Le plaignant estime qu’il avait des craintes légitimes concernant sa sécurité.

92 Le plaignant a invoqué Atkinson c. VIA Rail (1992), 89 di 76 (CCRT) et Chaney c. Auto Haulaway Inc., 2000 CCRI 47, qui indiquent que toute personne qui exerce son droit de refuser de travailler, qu’elle ait raison ou non, est protégée contre des représailles par les articles 133 et 147 du Code. Selon le plaignant, pour donner gain de cause au défendeur, la Commission doit être convaincue que les mesures prises contre le plaignant ne sont pas viciées par le désir d’exercer des représailles.

93  Le plaignant s’est fondé sur Di Palma c. Air Canada (1996), 100 di 89 (CCRT), qui appuie l’affirmation selon laquelle, si un plaignant soutient avoir fait l’objet de menaces voilées, ce qui contreviendrait au paragraphe 147a) du Code, il incombe à l’employeur de prouver qu’il n’a jamais menacé le plaignant.

94 Le point de vue du plaignant est que M. Hare a envoyé un courriel à M. Niles, le numéro deux du défendeur dans la région de l’Atlantique, le 5 mars 2010, parce que le défendeur voulait imposer des mesures disciplinaires au plaignant. Par conséquent, il s’agissait de menaces voilées.

95 Le plaignant a invoqué Chaves c. Service correctionnel du Canada, 2005 CRTFP 45, qui appuie l’affirmation selon laquelle l’application de l’article 147 du Code ne se limite pas aux représailles d’ordre financier; il existe d’autres mesures de représailles contre un employé, comme l’obligation de fournir un certificat médical.

96 Le plaignant a déclaré que l’article 148 du Code avait un effet dissuasif et qu’il pouvait servir à envoyer un message au défendeur selon lequel il ne pouvait prendre des mesures disciplinaires contre un employé qui s’était prévalu d’un refus de travailler. Les crédits de congés de maladie sont importants, et en obligeant le plaignant à obtenir un certificat médical avant de reprendre le travail et à utiliser ses crédits de congé de maladie en attendant de reprendre le travail, le défendeur a exercé des représailles.

97 Le plaignant m’a également renvoyé à Ouimet c. VIA Rail Canada Inc., 2002 CCRI 171; Walker c. Northwinds Northern Inc., (1988), 78 di 123 (CCRT); Robitaille c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), [1990] C.R.T.F.P.C. no 131; Lequesne c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2004 CIRB 276; Kucher c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1996), 102 di 121 (DCRT); Boivin c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 94; Blakely c. Algoma Central Corporation, 2003 CCRI 240; Baker c. Polymer Distribution Inc., 2000 CCRI 75.

B. Pour le défendeur

98  Selon le défendeur, la Commission doit se pencher sur les trois questions suivantes :

  1. Le plaignant avait-il des motifs raisonnables d’exercer son droit de refuser de travailler?
  2. Le défendeur a-t-il pris des sanctions contre le plaignant et, dans l’affirmative, ces sanctions constituent-elles des mesures disciplinaires?
  3. Si les sanctions prises par le défendeur sont des mesures disciplinaires, le défendeur a-t-il prouvé qu’elles sont liées à une raison autre que le refus de travailler du plaignant?

99 Selon le défendeur, le plaignant n’avait pas exercé un refus valide de travailler en vertu de l’article 128 et aucune sanction disciplinaire n’a été prise contre lui. De plus, si de telles mesures avaient été prises, elles n’étaient aucunement liées au refus de travailler du plaignant en vertu de l’article 128. Comme il n’existait pas de refus valide de travailler, il ne pouvait pas y avoir de représailles et, par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour entendre l’affaire.

100 Le défendeur a déclaré que le refus de travailler du plaignant le 10 février 2010 n’était pas un refus de travailler valide lié à un danger, mais qu’il s’agissait plutôt d’une tentative préméditée d’éviter d’être renvoyé chez lui parce qu’il ne portait pas sa veste. Le défendeur a dit qu’il n’y avait aucun danger ni raison de croire qu’il pourrait y avoir un danger, et que la preuve permettait de conclure que le refus de travailler du plaignant n’était pas lié à un danger.

101  Le plaignant a invoqué l’article 128 du Code pour présenter son différend continu avec le répondant au sujet du port de la veste et de la qualité de l’air. Ni l’un ni l’autre de ces motifs n’est légitime au regard de l’article 128. La preuve démontre que le plaignant n’aimait pas porter sa veste et qu’il s’agissait d’un problème qui durait depuis des mois non seulement dans le bureau du coordonnateur des V et C, mais dans l’ensemble de l’Établissement. Selon la preuve, il est clair qu’on devait constamment lui dire de porter sa veste. Le défendeur a dit que le plaignant donnait toujours des raisons différentes pour ne pas porter sa veste.

102 Même si le plaignant a dit qu’il n’est pas un premier intervenant aux termes des politiques du défendeur et que, par conséquent, il n’est pas obligé de porter sa veste en tout temps, il est un CX, et la politique indique clairement que tous les CX, quelles que soient leurs fonctions, doivent porter leur veste dans l’exercice de leurs fonctions à l’Établissement.

103 Le 9 février 2010, le défendeur a décidé qu’il était temps de régler la question du refus persistant du plaignant de porter sa veste au travail. On a établi un plan d’action et convenu de demander, puis d’ordonner au plaignant de porter sa veste. S’il refusait d’obéir, il serait renvoyé chez lui. Le plaignant a admis qu’une des raisons pour lesquelles il a rédigé le refus de travailler en vertu de l’article 128 était d’éviter d’être renvoyé chez lui. À la première ligne du refus, daté du 9 février 2010, il a dit qu’on l’avait [traduction] « menacé » de le renvoyer chez lui. Cela démontre clairement que l’acte posé par le plaignant le 10 février 2010 était prémédité.

104 Le 9 février 2010, on a averti le plaignant qu’il devait porter sa veste et que s’il se présentait au travail sans sa veste, des mesures seraient prises contre lui. Le 10 février 2010, le plaignant s’est présenté au travail sans sa veste, a rédigé un refus de travailler en vertu de l’article 128 et a assisté à la réunion avec le DAO, le GC et son représentant syndical, et lorsqu’on lui a donné l’ordre formel de porter sa veste, il a remis un refus de travailler et a dit qu’on ne pouvait pas le renvoyer chez lui sans salaire, puisqu’il avait présenté un refus de travailler pour des motifs valables en vertu de l’article 128.

105 Le plaignant a également dit qu’il était rentré chez lui parce que le stress causé par le harcèlement pratiqué par le GC et le directeur pour qu’il porte sa veste l’avait rendu malade. Il est clair que la motivation du refus de travailler en vertu de l’article 128 était d’éviter d’être renvoyé chez lui sans salaire.

106 Le défendeur a soutenu que la version des faits du plaignant n’était tout simplement pas crédible. L’enregistrement numérique indique que le refus de travailler n’a été évoqué qu’après qu’on eut dit au plaignant qu’il recevrait l’ordre formel de porter sa veste et que s’il ne s’y conformait pas, il serait renvoyé chez lui. Ce n’est que lorsque le plaignant s’est assuré des mesures qui seraient prises et de l’autorité dont elles émanaient qu’il s’est prévalu du refus de travailler en vertu de l’article 128.

107 Le défendeur a dit que le plaignant s’était prévalu de l’article 128 du Code pour faire valoir ses difficultés relatives au port de la veste, qui étaient récurrentes et qu’il a reconnues comme étant de longue date. Le plaignant a déclaré dans son témoignage que la situation par rapport à ses plaintes au sujet de la qualité de l’air dans le bureau et à la réalisation d’une évaluation de l’ergonomie de la veste [traduction] « avait assez durée ». Le plaignant a confirmé qu’il avait une plainte en instance en vertu de l’article 127 du Code relativement à ses opinions sur l’évaluation ergonomique de la veste.

108 Pour ce qui est du problème continu de qualité de l’air, le plaignant a admis en contre-interrogatoire que la qualité de l’air était un problème chronique à l’Établissement, qu’elle avait toujours été mauvaise et que, le 10 février 2010, la qualité de l’air n’était pas différente des autres jours. Le plaignant a attribué ses difficultés respiratoires à la qualité de l’air dans son bureau; toutefois, il a également dit qu’il n’avait pas de mal à respirer lorsqu’il ne portait pas sa veste. Il a aussi déclaré qu’il n’avait pas consulté son médecin ni obtenu de certificat médical, car il n’avait jamais eu de difficultés respiratoires et qu’il était tout à fait en mesure de s’acquitter de ses fonctions. Le plaignant a également affirmé qu’il n’avait pas de problème de santé.

109 Le défendeur a dit que le témoignage du plaignant était truffé de contradictions. Le refus de travailler en vertu de l’article 128 faisait mention de problèmes qui n’avaient rien à voir avec un quelconque danger pour le plaignant, comme les évaluations de l’ergonomie et le fait que les visiteurs de l’Établissement devraient porter une veste. Le défendeur a dit que le plaignant a fait valoir un argument intéressant et contradictoire selon lequel, d’une part, toutes les personnes qui entrent en contact avec les détenus devraient être tenues de porter une veste et, d’autre part, que le port de la veste mettait sa sécurité en danger.

110  La correspondance électronique du directeur, datée du 16 février 2010, indique clairement que le défendeur n’acceptait pas le refus de travailler en vertu de l’article 128 présenté par le plaignant, car il ne considérait pas la situation comme présentant un danger. Les courriels échangés entre le plaignant et le DAO les 16 et 26 février 2010 ne mentionnent pas le maintien du refus de travailler par le plaignant.

111 L’avis du défendeur est que l’inconfort d’un employé n’équivaut pas à un danger ni à un risque. On a réalisé des analyses du stress thermique causé par la veste et on n’a relevé aucun danger. On a également évalué la qualité de l’air dans le bureau du coordonnateur des V et C et on n’a trouvé aucun problème.

112 Dans son témoignage, M. Lemieux a dit que non seulement le plaignant ne portait pas sa veste, mais qu’il ne l’avait pas avec lui. Par conséquent, il est impossible que le port de la veste au bureau l’ait exposé à un danger.

113 Les arguments du plaignant concernant l’évaluation par un médecin plutôt que par un agent de santé et sécurité sont contradictoires. S’il avait des problèmes respiratoires, pourquoi n’a-t-il pas consulté un médecin ou demandé une évaluation? Si un médecin ne pouvait pas l’évaluer à l’extérieur, comment un agent de santé et sécurité pouvait-il l’évaluer à l’extérieur, surtout s’il s’agissait d’un problème médical?

114 Le témoignage du plaignant selon lequel il a été obligé d’utiliser ses crédits de congés de maladie n’est pas crédible. La preuve démontre que son temps d’absence du travail a été imputé à trois catégories de congé payé : congé de maladie sans certificat médical, congés annuels payés et congés pour activités syndicales. Le plaignant a allégué avoir été obligé de puiser dans sa réserve de congés de maladie. Les seuls éléments de preuve sont les approbations avérées de congé. L’argument selon lequel il a été obligé d’utiliser ses congés de maladie n’est pas justifiable, car les congés qui’il a pris relèvent de trois catégories distinctes, et il a volontairement pris des congés de maladie.

115 Le défendeur m’a cité Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004, CF 767, et Chapman v. Canada (Customs and Revenue Agency), [2003] C.L.C.A.O.D. No. 17 (QL), pour ce qui est de la définition et de l’interprétation de danger et des conditions qui doivent exister pour conclure à la présence d’un danger. L’avis du défendeur est que le plaignant ne s’est pas acquitté de la charge de prouver l’existence d’un danger. L’employeur a le droit, en vertu du Code, de ne pas être d’accord quant à la présence d’un danger. S’il n’est pas d’accord, il incombe à l’employé de poursuivre la procédure du refus de travailler. L’employé ne l’a pas fait une fois qu’il a été informé que le défendeur était d’avis qui n’existait pas de danger.

116 Le défendeur a invoqué Canada (Procureur général) c. Fletcher, 2002 CAF 424 et Welbourne c. Canadian Pacific limitée, [2001] D.A.A.C.C.T. no 9 (QL), pour appuyer sa position selon laquelle les conditions de travail dangereuses ne peuvent être hypothétiques ou de nature spéculative. Même si le Code prévoit l’existence de conditions futures, celles-ci doivent être raisonnables et prévisibles.

117 Le défendeur a cité Employees and Amalgamated Transit Union v. Laidlaw Transit Ltd. – Para Transpo Division, [2001] C.L.C.A.O.D no 19 (QL), dans lequel on soutient que le danger doit être défini; les soupçons ne suffisent pas. Il doit exister un degré raisonnable de certitude pour ce qui est du lien entre la situation dont on se plaint et le danger. Des preuves doivent exister. Le défendeur s’est fondé sur Budgen c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), [1988] C.R.T.F.P.C. no 236 (QL), pour appuyer sa position selon laquelle l’employeur n’est pas tenu d’entreprendre une recherche à l’aveuglette. Il doit exister un lien manifeste et raisonnable entre la personne et le danger. Pendant son témoignage, le plaignant a dit avoir présenté un refus de travailler en vertu de l’article 128 parce qu’il voulait savoir s’il existait un problème de qualité de l’air. Il a affirmé que la qualité de l’air était un problème continu. Selon le défendeur, même si la qualité de l’air était peut-être un problème continu, elle ne présentait pas nécessairement un danger.

118 L’article 128 du Code ne doit pas être utilisé pour précipiter le règlement de problèmes en matière de relations de travail ou d’autres questions liées au milieu de travail. Dans Koski c. Canadien Pacifique Limitée (1993), 92 di 195 (CCRT), on dit que l’article 128 ne doit pas servir à régler des situations systémiques ou chroniques, mais plutôt à parer des risques graves et immédiats. Les situations systémiques ou chroniques doivent être traitées selon d’autres parties du Code. Le problème de la qualité de l’air était une constante, il n’était pas nouveau, et on aurait dû le traiter selon d’autres parties du Code.

119 Les deuxième et troisième questions définies par le défendeur consistent à savoir si le plaignant a été victime de mesures de représailles de nature disciplinaire et, dans l’affirmative, s’il existait un lien direct entre les mesures prises par le défendeur et l’exercice du droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128. Le défendeur a déclaré n’avoir exercé aucunes représailles au sens du Code.

120 Le défendeur a déclaré que si une menace de mesures disciplinaires a été formulée, elle l’a été avant la présentation du refus de travailler aux termes de l’article 128. Le 9 février 2010, on a informé le plaignant qu’il était tenu de porter sa veste et que s’il refusait de le faire, on prendrait des mesures à son endroit. Ces mesures ne peuvent être considérées comme des représailles. Les mesures qui devaient être prises consistaient à renvoyer le plaignant chez lui. Bien que le plaignant soit retourné chez lui, il l’a fait de son propre chef, affirmant qu’il était malade, ce que le DAO a accepté.

121 Le plaignant a dit que l’obligation de se soumettre à une évaluation de l’aptitude au travail était une mesure de représailles. La preuve indique que le directeur et le DAO étaient d’avis qu’une telle évaluation était nécessaire à la lumière de la déclaration du plaignant dans son refus de travailler en vertu de l’article 128 et des problèmes de santé mentionnés par le plaignant selon lesquels il avait de la difficulté à respirer lorsqu’il portait sa veste. Ils estimaient que, puisqu’il avait des problèmes respiratoires, la personne la plus apte à l’évaluer était un médecin. Comme le plaignant était tenu de porter sa veste dans l’exercice de ses fonctions, le fait qu’il ne puisse pas respirer lorsqu’il la portait aurait pu rendre son retour au travail difficile.

122 On n’a pris aucune mesure disciplinaire contre le plaignant, ni sanction pécuniaire. L’hypothèse selon laquelle le courriel du DAO adressé à M. Niles était une forme de représailles est fausse, puisqu’un tel courriel n’est pas caractéristique d’une mesure de représailles aux termes de l’article 147 du Code.

123 Le défendeur a invoqué Stead et Weda c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 87 pour affirmer que, pour qu’il y ait mesure disciplinaire, il faut qu’il y ait une volonté d’imposer une mesure disciplinaire. Il n’y avait aucune intention d’imposer une mesure disciplinaire au plaignant. L’intention était de nature administrative; le plaignant ne portait pas sa veste et il était tenu de la porter au travail. C’était une exigence de son poste. Aucune mesure disciplinaire n’a été imposée et il n’existait aucune intention d’en imposer une et, de toute façon, on n’a pris aucune mesure, car le plaignant est retourné chez lui parce qu’il était malade.

124 Dans Boivin, on a statué qu’un employeur pouvait raisonnablement demander une évaluation de l’aptitude au travail, même en présence d’un refus de travailler en vertu de l’article 128 concernant la même situation de fait, et que l’évaluation de l’aptitude au travail ne serait pas considérée comme une mesure de représailles au sens de l’article 147 du Code.

125 Le défendeur s’est également appuyé sur Welbourne; Brailsford c. Worldways Canada Ltd. (1992), 87 di 98 (CCRT); Leary c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) et autres, 2005 CRTFP 35; Creamer c. Conseil du Trésor (Santé Canada), dossier de la CRTFP no 165-02-94 (19961107); Boucher v. Canada (Correctional Service), [2002] C.L.C.A.O.D. No. 20 (QL); Webber c. Conseil du Trésor (Santé et Bien-être social Canada), dossier de la CRTFP 165-02-92 (19930510); Fletcher.

C. Réponse du plaignant

126 Le plaignant a dit que tous les cas cités par le défendeur ne sont pas pertinents, car ils concernent des situations où le Code a été respecté et suivi. Dans le cas qui nous occupe, le défendeur n’a pas respecté le Code. Le plaignant a déclaré qu’il ne pouvait pas respirer et le défendeur, au lieu de reconnaître ce fait, a estimé qu’il n’y avait aucun danger et a fait fi du Code.

127 La définition de « danger » est très large. Le plaignant a communiqué suffisamment de renseignements au défendeur pour qu’il fasse enquête. Aux termes du paragraphe 128(10) du Code, si aucune enquête n’est entreprise, il incombe au défendeur de contacter l’agent de santé et sécurité.

128 Le plaignant a dit que le défendeur avait enfreint le Code en ne faisant pas appel au comité mixte de santé et sécurité au travail et en n’appelant pas l’agent de santé et sécurité. Le défendeur aurait dû les contacter tous les deux. Le plaignant a même dit au DAO, lorsqu’il a quitté l’Établissement, que l’agent de santé et sécurité pouvait l’appeler à la maison. Il n’abandonnait certainement pas sa demande d’enquête sur le danger.

129 Le plaignant a déclaré que c’était la première fois qu’un employé devait faire l’objet d’une évaluation de l’aptitude au travail parce qu’il avait présenté un refus de travailler en vertu de l’article 128 du Code. La preuve a démontré que parce que le plaignant avait exercé son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128, il avait été obligé d’obtenir un certificat médical.

130 Le plaignant a dit qu’il y avait une contradiction dans le témoignage de M. Lemieux, qui a déclaré que le plaignant ne l’avait pas informé qu’il présentait un refus de travailler en vertu de l’article 128 du Code. Dans son contre-interrogatoire, le plaignant a déclaré qu’il avait dit à son gestionnaire qu’il allait se prévaloir de l’article 128 parce qu’il ne pouvait pas respirer.

131 Le plaignant a indiqué que le danger n’était pas hypothétique, qu’il ne pouvait pas respirer et que quelque chose dans son bureau lui causait des problèmes respiratoires. Un médecin n’aurait rien pu inscrire dans une note. Le stand de tir de l’Établissement avait dû être fermé à cause des moisissures. Une évaluation de l’ergonomie aurait pu être utile.

132 Le plaignant a dit qu’il n’avait pas besoin d’une mesure d’adaptation et que celle proposée par le défendeur était inutile. Dans les affaires portant sur des mesures d’adaptation, c’est l’employé qui en demande une; dans ce cas-ci, le plaignant n’en a jamais demandé.

IV. Motifs

133 La compétence de la Commission à instruire des plaintes en vertu du Code découle de l’article 240 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), qui prévoit que :

240. La partie II du Code canadien du travail s’applique à la fonction publique et aux personnes qui y sont employées comme si la fonction publique était une entreprise fédérale visée par cette partie, sous réserve de ce qui suit :

a) en ce qui concerne la terminologie

(i) « arbitrage » renvoie à l’arbitrage des griefs sous le régime de la partie 2,

(ii) « Conseil » s’entend de la Commission des relations de travail dans la fonction publique,

(iii) « convention collective » s’entend au sens du paragraphe 2(1),

(iv) « employé » s’entend d’une personne employée dans la fonction publique,

(v) « syndicat » s’entend de l’organisation syndicale au sens du paragraphe 2(1);

b) l’article 156 de cette loi ne s’applique pas à la Commission des relations de travail dans la fonction publique;

c) les dispositions de la présente loi s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux affaires instruites par la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

134 L’article 133 du Code décrit la procédure de dépôt d’une plainte. Les paragraphes pertinents pour la présente affaire sont les suivants :

Plainte au Conseil

133.(1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance — de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

[…]

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

135 L’article 147 du Code interdit à l’employeur de prendre des mesures de représailles contre un employé et précise ce qui suit :

Interdiction générale à l’employeur

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

136 L’article 128 du Code permet à un employé de refuser de travailler dans certaines situations dangereuses. Les paragraphes pertinents en l’espèce sont les suivants :

128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

[…]

(6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

[…]

(8) S’il reconnaît l’existence du danger, l’employeur prend sans délai les mesures qui s’imposent pour protéger les employés; il informe le comité local ou le représentant de la situation et des mesures prises.

(9) En l’absence de règlement de la situation au titre du paragraphe (8), l’employé, s’il y est fondé aux termes du présent article, peut maintenir son refus; il présente sans délai à l’employeur et au comité local ou au représentant un rapport circonstancié à cet effet.

(10) Saisi du rapport, l’employeur fait enquête sans délai à ce sujet en présence de l’employé et, selon le cas :

a) d’au moins un membre du comité local, ce membre ne devant pas faire partie de la direction;

b) du représentant;

c) lorsque ni l’une ni l’autre des personnes visées aux alinéas a) et b) n’est disponible, d’au moins une personne choisie, dans le même lieu de travail, par l’employé.

[…]

(13) L’employé peut maintenir son refus s’il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu’il est informé du maintien du refus, l’employeur en avise l’agent de santé et de sécurité.

137 L’article 240 de la Loi prévoit que la partie II du Code s’applique à la fonction publique. Les articles 128, 133 et 147 du Code s’inscrivent dans la partie II, et comme la plainte a été déposée en vertu de l’article 133 du Code en alléguant des représailles aux termes de l’article 147, j’ai compétence pour instruire la plainte et trancher l’affaire.

138 Conformément au paragraphe 133(6) du Code, une fois présentée, la plainte constitue une preuve de survenance de la contravention; il incombe alors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire. Le fardeau initial de la preuve incombe au plaignant, qui n’a qu’à prouver qu’il a présenté une plainte en vertu du paragraphe 133(1) du Code et que la plainte découle de l’exercice de son droit en vertu de l’article 128 ou 129 du Code.

139 La plainte a été déposée auprès de la Commission le 17 mars 2010, et elle énonce de façon concise, au paragraphe 3, la question faisant de celle-ci :

Le 10 février 2010, j’ai présenté un refus de travailler à Kevin Hare. J’ai quitté le travail parce que j’étais malade et cela n’avait rien à voir avec mon refus de travailler en vertu de l’article 128. Le 16 février, j’ai été avisé par écrit que le directeur, M. Paul Bourque, ne prendrait pas en considération mon refus de travailler aux termes de l’article 128 et qu’avant de reprendre mon travail, je devais obtenir l’autorisation de mon médecin concernant les points soulevés dans mon refus de travailler en vertu de l’article 128. On n’a fait aucune enquête sur les conditions de travail, et trois cadres supérieurs ont pris cette décision de leur propre chef (Paul Bourque, Daryl Blacquiere et Kevin Hare). On a également versé une lettre à mon dossier parce que j’ai présenté un refus de travailler en vertu de l’article 128.

140 Une copie du refus écrit de travailler en vertu de l’article 128, daté du 10 février 2010, a été présentée en preuve.

141 Je conclus que le plaignant s’est acquitté du fardeau de la preuve initial, car il a déposé une plainte dans les délais prescrits par le paragraphe 133(2) du Code à la suite de la présentation de son refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1). Comme le plaignant s’est acquitté du fardeau initial de la preuve, il incombait au défendeur conformément au paragraphe 133(6) de prouver qu’il n’y a pas eu contravention à l’article 147.

142 Le défendeur s’acquittera du fardeau de la preuve établi au paragraphe 133(6) du Code, qui consiste à prouver qu’il n’y a pas eu de contravention à l’article 147, s’il peut démontrer l’une des situations suivantes :

  1. Le plaignant n’a pas agi conformément à l’article 128.
  2. Le défendeur n’a imposé aucune mesure disciplinaire ni sanction pécuniaire au plaignant.
  3. Si le défendeur a imposé des mesures disciplinaires ou une sanction disciplinaire, elles n’ont rien à voir avec l’exercice du droit de refuser de travailler par le plaignant en vertu de l’article 128 du Code.

143 Le critère pour déterminer si le plaignant a agi conformément à l’article 128 du Code a été fixé par la jurisprudence. Dans Chaney, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a jugé que dans les cas où une plainte est déposée aux termes de l’article 133, « […] il importe particulièrement de déterminer si l’employé qui a exercé le droit de refuser de travailler avait des motifs raisonnables de croire qu’un danger existait. » La CCRI a poursuivi en indiquant :

[…]

27 Le but de la législation est de prévenir les accidents et les blessures au travail. Cet objectif ne peut être atteint si les employés sont dissuadés de signaler des conditions dangereuses possibles parce que la charge d’établir le bien-fondé de leurs craintes est trop lourde […]

[…]

144 Dans Boivin, la Commission a jugé que l’employé qui a un motif raisonnable de croire qu’il existe dans un lieu de travail quelconque une situation qui constitue un danger a le droit de refuser de travailler. L’employeur qui impose des sanctions à un tel employé, parce qu’il a exercé son droit, enfreint l’article 147 du Code.

145 La Commission a également indiqué dans Boivin que, pour déterminer si une plainte doit être accueillie en vertu de l’article 133 du Code :

[…]

[127] […] la Commission doit déterminer si l’employé avait un motif raisonnable de croire qu’il existait une situation dangereuse avant de refuser de travailler. Si ce n’est pas le cas, les mesures que l’employeur a prises, qu’elles soient disciplinaires ou non, ne constituent pas une violation du Code.

[…]

146  On définit ainsi le « danger » au paragraphe 122(1) du Code :

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats —, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

147 Beaucoup des cas cités par les parties concernent ce qui peut ou non constituer un danger. Toutefois, le plaignant n’a pas à prouver qu’il était réellement en danger pour être protégé contre des représailles. Comme on le dit dans Chaney et Boivin, le plaignant n’a qu’à établir qu’il avait un motif raisonnable de croire qu’il existait une situation dangereuse.

148 Le plaignant a laissé entendre que les cas cités par le défendeur n’étaient pas pertinents, car ils concernent tous des situations où l’employeur a respecté le Code. Les deux parties ont présenté des preuves et des arguments sur les vices de procédure aux termes de l’article 128 du Code. Essentiellement, les deux parties se sont accusées mutuellement de ne pas avoir suivi la procédure décrite à l’article 128. Le plaignant a fait valoir que le défendeur ne pouvait pas rejeter le refus de travailler et, par conséquent, le refus de travailler a subsisté, et qu’il n’a jamais admis le retrait ou l’abandon de son refus de travailler. Le plaignant a donc agi conformément à l’article 128. Le défendeur a fait valoir qu’il avait le droit de rejeter le refus de travailler et qu’il incombait au plaignant, lorsqu’il en a été avisé, de prendre les mesures nécessaires pour confirmer le maintien de son refus de travailler, afin que la procédure décrite à l’article 128 progresse. Si le plaignant ne fait pas cette démarche, la procédure du refus de travailler prend fin. Par conséquent, le plaignant n’a pas agi conformément au Code.

149 Je souscris à l’argument du défendeur relatif à la procédure décrite à l’article 128 du Code. On a mis en place la procédure pour une bonne raison. L’article 128 est une disposition extraordinaire qui permet à l’employé de refuser de travailler lorsqu’il estime qu’il existe un danger. Il vise à le protéger. Si la situation dangereuse persiste ou si l’on conteste son existence, il est essentiel que l’employé continue d’être protégé et que l’on règle la situation.

150 Le fait que l’employé qui refuse de travailler ne suive pas le processus décrit à l’article 128 du Code et qu’il continue à refuser de travailler met fin au processus prévu à l’article 128. Cela dit, même si l’employé a agi ainsi ou qu’un refus de travailler a pris fin, cela ne libère pas l’employeur des dispositions des articles 133 et 147.

151 Le défendeur a clairement avisé le plaignant le 16 février 2010 qu’il rejetait son refus de travailler en vertu de l’article 128 présenté le 10 février 2010; le plaignant a confirmé par courriel qu’il comprenait. Il incombait alors au plaignant, conformément au paragraphe 128(9), d’informer le défendeur ainsi que le comité de santé et sécurité au travail ou le représentant de santé et sécurité du maintien de son refus de travailler. Il ne l’a pas fait. Bien que j’estime que le plaignant ne se soit pas conformé aux exigences du paragraphe 128(9), cela ne règle pas la question de savoir s’il avait un motif raisonnable de croire qu’il était en danger lorsqu’il s’est prévalu de l’article 128, le 10 février 2010.

152 La définition de « danger », au sens du Code, et précisée dans la jurisprudence, renvoie à des risques, à des situations ou à des tâches. Le milieu de travail, la situation et même la personne pourraient définir le danger dans des circonstances données. Dans Welbourne, l’agent des appels a dit que :

[…]

[19] La situation, la tâche ou le risque -- existant ou éventuel, mentionné dans la définition doit être susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Donc, cette notion « d’être susceptible de causer » exclut toutes situations hypothétiques.

[20] L’expression « avant que le risque soit écarté ou la situation corrigée » a été interprétée comme signifiant que des blessures ou une maladie vont probablement être causées sur place et à l’instant, c’est-à-dire immédiatement. Toutefois, dans la définition actuelle du terme « danger », la mention de risque, de situation ou de tâche doit être interprétée en tenant compte du risque, de la situation ou de la tâche existants ou éventuels, ce qui semble éliminer de la notion précédente de danger le préalable que des blessures ou la maladie se produiront raisonnablement sur-le-champ. En fait, les blessures ou la maladie ne peuvent découler que de l’exposition au risque, à la situation ou à la tâche. Donc, étant donné la gravité de la situation, il doit y avoir un niveau raisonnable de certitude qu’il y aura effectivement une blessure ou une maladie immédiatement s’il y a une exposition au risque, à la situation ou à la tâche, à moins qu’on élimine le risque, que l’on corrige la situation ou que l’on modifie la tâche […]

[…]

153 L’activité, le risque ou la condition à l’origine du danger exprimé par le plaignant dans son témoignage est la veste de protection contre les armes blanches qu’on lui a fournie. Il a allégué qu’il ne pouvait pas respirer lorsqu’il portait sa veste dans le bureau du coordonnateur des V et C le matin du 10 février 2010. Comme on le dit dans Welbourne, les blessures ou la maladie ne peuvent découler que de l’exposition au risque, à la situation ou à la tâche. Dans le cas du plaignant, la veste doit au moins être portée; si le plaignant ne la porte pas, il est impossible qu’il ait un motif raisonnable de croire qu’il ne pouvait pas respirer à cause de la veste qu’il portait dans le bureau du coordonnateur des V et C le matin en question.

154 En ce qui a trait aux événements survenus le 10 février 2010, deux choses sont claires et incontestables : le plaignant ne portait pas sa veste cette journée-la et seuls le plaignant et M. Lemieux étaient présents dans le bureau du coordonnateur des V et C lorsqu’ils ont discuté du fait que le plaignant ne portait pas sa veste cette journée-là. Le témoignage du plaignant concernant ce qui s’est produit ne concorde pas avec celui de M. Lemieux sur le fait le plus important, à savoir : est-ce que le plaignant avait sa veste avec lui? Je suis confronté à une discordance sur les faits et je dois déterminer ce qui s’est produit. Pour ce faire, je dois évaluer la crédibilité du témoignage des deux témoins.

155 Le critère bien connu pour déterminer la crédibilité est décrit dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (BCCA), qui est souvent cité où la Cour énonce ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Si la conclusion du juge de première instance à propos de la crédibilité doit tenir uniquement à la question de savoir qui, à son avis, donne l’impression d’être le plus sincère à la barre des témoins, sa conclusion sera purement arbitraire et l’administration de la justice se fera en fonction des déclarations des personnes qui se sont révélées les meilleurs acteurs à la barre des témoins. À bien y penser, cela devient presque évident que l’apparence de vérité n’est que l’un des éléments qui entrent en jeu dans la crédibilité du témoignage d’une personne[…]

La crédibilité de témoins intéressés, en particulier lorsque les témoignages sont contradictoires, ne peut être mesurée uniquement suivant le critère de savoir si le comportement personnel du témoin précis exprimait la vérité avec conviction. Il convient d’examiner de manière raisonnable la cohérence de l’exposé des faits du témoin à la lumière des probabilités se rapportant aux conditions qui existent à l’heure actuelle. En bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c’est la compatibilité que reconnaîtrait d’emblée une personne pratique et informée qui se trouverait dans ce lieu et dans ces conditions […]

[…]

156 Lorsque j’ai examiné l’ensemble de la preuve, les témoignages de vive voix de tous les témoins, ainsi que les documents produits et l’enregistrement numérique, le témoignage de M. Lemieux a satisfait au critère énoncé dans Faryna. Non seulement le témoignage du plaignant est-il en contradiction avec les autres éléments de preuve, mais le plaignant s’est également contredit à quelques reprises. La version des faits donnée par MM. Lemieux, Hare et Bourque sur ce qui est arrivé les 9 et 10 février 2010 est corroborée par l’enregistrement.

157 Le plaignant ne se souvient pas d’avoir eu une discussion avec M. Lemieux le 9 février 2010 au sujet de la veste. Toutefois, le refus de travailler en vertu de l’article 128 rédigé et tapé par le plaignant dans la matinée du 10 février 2010 indique ce qui suit au deuxième paragraphe : [traduction] « Le 9 février 2010, le gestionnaire correctionnel, M. Yves Lemieux, a menacé de prendre des mesures disciplinaires à mon endroit, ce qui est contraire à l’article 147 du Code […] »

158 Dans son témoignage en interrogatoire principal, lorsqu’on lui a cité cette phrase et qu’on lui a posé des questions au sujet de la date, le plaignant a laissé entendre que la date était erronée et qu’il y avait une erreur typographique, car la bonne date était le 10 février 2010. Le plaignant ne se souvient d’aucun événement survenu le 9 février 2010. Il a cependant expressément écrit que [traduction] « le 9 février 2010, le gestionnaire correctionnel, M. Yves Lemieux, a menacé[…] »

159 Du même coup, le plaignant a dit qu’il estimait avoir été ciblé. Je n’en ai aucun doute, car les témoignages de MM. Hare, Bourque et Lemieux le confirment. Toutefois, le témoignage du plaignant au sujet de la façon dont il a appris qu’il était pris pour cible ne concorde pas avec la preuve. En réalité, ce ne sont rien d’autre que des spéculations. Il a dit qu’il savait qu’on le ciblait, parce qu’il croyait qu’on avait discuté de son cas et de la veste à la séance d’information du matin. Il n’a pas pu expliquer comment il a su qu’on avait parlé de lui, car on n’a présenté aucune preuve selon laquelle le plaignant aurait fait l’objet de discussion à la réunion de la direction du matin ou à la séance d’information du matin. Personne n’a témoigné dans ce sens. Aucun document n’a été produit qui permet de croire que cela est arrivé. On n’a interrogé aucun des témoins du défendeur à ce sujet, y compris M. Lemieux, qui a déclaré qu’il avait assisté à la réunion quotidienne de la direction.

160 En revanche, M. Lemieux a affirmé que, le 9 février 2010, comme le plaignant ne portait pas sa veste, il en a discuté avec son supérieur, M. Hare. Il m’a décrit la discussion qu’il a eue avec M. Hare et les instructions que ce dernier lui a données. Il a également déclaré comment il avait exécuté ces instructions en disant au plaignant, le 9 février 2010 et de nouveau le 10 février 2010, de porter sa veste, et que s’il refusait de la porter, on lui donnerait l’ordre formel de la porter, faute de quoi, on prendrait des mesures administratives. On peut sans aucun doute interpréter cet ordre comme étant un avertissement ou même une menace.

161 MM. Hare et Bourque ont tous les deux déclaré qu’ils se souvenaient avoir eu des discussions le 9 février 2010 au sujet du fait que le plaignant ne portait pas sa veste et du choix d’un plan d’action. Le plan consistait à dire au plaignant de porter sa veste le 9 février 2010 et à nouveau le 10 février 2010, et que s’il refusait de la porter, il recevrait l’ordre formel de la porter. M. Hare a décrit des discussions distinctes avec M. Lemieux et avec M. Bourque. M. Bourque n’a décrit que sa discussion avec M. Hare. Le plan a été confirmé non seulement par le témoignage de M. Lemieux au sujet de ce qu’il a fait, mais également par l’enregistrement numérique du plaignant.

162 Soit le plaignant spécule au sujet de ce qui a bien pu se passer, selon lui, pour se persuader qu’il était ciblé, soit il savait qu’il était ciblé, parce que son supérieur le lui avait dit. Lorsque j’ai évalué l’ensemble de la preuve, j’en suis venu à croire que, le 9 février 2010, le plaignant ne portait pas sa veste. Ses supérieurs se sont penchés sur le problème et ils ont établi un plan pour s’attaquer au comportement du plaignant. Il a reçu un avertissement.

163 Cela nous amène au 10 février 2010. M. Lemieux a déclaré que, ce matin-là, il s’était rendu dans le bureau du coordonnateur des V et C. Lorsqu’il a constaté que le plaignant ne portait pas sa veste et qu’il ne l’avait pas avec lui, il lui a demandé où elle était. Le plaignant a répondu qu’elle était chez lui. M. Lemieux a affirmé qu’après cet échange, il a rappelé au plaignant leur discussion de la veille et lui a dit qu’il allait voir M. Hare. Il a avancé que le plaignant ne lui avait pas dit qu’il refusait de travailler à cause d’un danger et qu’il n’avait pas non plus reçu de document de la part du plaignant indiquant qu’il refusait de travailler en vertu de l’article 128. Il a souligné qu’il n’avait pas imposé de mesure disciplinaire au plaignant et qu’il ne lui avait pas dit de retourner chez lui.

164 Le plaignant a confirmé avoir fait l’enregistrement numérique et avoir commencé à enregistrer la réunion alors qu’il était encore dans le bureau du coordonnateur des V et C. Au début de l’enregistrement, on entend une porte qui s’ouvre et une voix (identifiée comme étant celle de M. Lemieux) qui dit au plaignant que M. Hare veut le voir. On n’éteint pas l’enregistreur. On peut entendre ce qui semble manifestement être des gens qui marchent et qui montent un escalier, ainsi que des portes et des barrières qui s’ouvrent et se ferment. L’enregistrement ne s’arrête pas. Après environ une minute, la discussion reprend avec le début de la réunion, la partie la plus importante de l’enregistrement. Elle est transcrite ci-dessous :

[Traduction]

White : D’accord, simplement, je vais commencer, je suppose, pour mon dossier, j’aimerais que tout le monde se prête aux présentations enregistrées. Je m’appelle Dougie White et je suis accompagné de Joel Banks, un représentant syndical.

Lemieux : Yves Lemieux, gestionnaire correctionnel, unité deux.

Hare : Kevin Hare, en fait, je suis actuellement le sous-directeur par intérim. La situation est simple, Doug, le directeur nous a demandé de te donner l’ordre formel de porter ta veste, euh, et si tu refuses d’obéir, tu devras rentrer chez toi.

White : L’ordre vient donc du directeur?

Hare : Oui.

White : D’accord, euh, je rentre chez moi. Je rentre chez moi parce que je suis malade. J’invoque maintenant l’article 128 et je porte plainte également contre, euh, Paul Bourque et M. Lemieux pour harcèlement. C’est ce qui se passe chaque fois que je fais quelque chose au directeur, lui envoie un courriel ou quoi que ce soit d’autre. Il revient avec ça ici, correct.

Hare : Non, ce…

White : Il m’a traité de rat, il m’a traité de tous les noms ici, et j’en ai assez. Il s’agit de harcèlement, euh, ça me fait un 127.

Hare : Je veux, je veux que ce soit clair, Doug, tu ne retournes pas chez toi pour cause de maladie.

White : Je rentre chez moi pour cause de maladie.

Hare : Nous te renvoyons chez toi.

White : Non, je viens d’invoquer le Code du travail, d’accord, refus de travailler en vertu de l’article 128, d’accord.

Hare : D’accord.

White : J’ai mis ça par écrit ici, d’accord. Aussi, je suis victime de harcèlement et vous ne pouvez pas me dire si je rentre chez moi pour cause de maladie ou non, j’en ai assez d’être toujours menacé ici, d’accord. J’ai envoyé un courriel au directeur ici il y a quelques jours et je sais très bien que c’est sur cela que tout ça porte, alors, je rentre chez moi pour cause de maladie […]

165 Entre le moment où M. Lemieux est venu vérifier si le plaignant portait sa veste et le moment où il est revenu pour l’informer de la réunion, le plaignant a fait en sorte que M. Banks l’accompagne à la réunion dans le bureau de M. Hare. M. Banks a déclaré que, lorsque M. Lemieux est venu chercher le plaignant pour qu’ils se rendent à la réunion, il se trouvait dans le bureau du coordonnateur des V et C avec le plaignant. Il a ajouté dans son témoignage que le plaignant savait que l’objectif de la réunion était de lui donner l’ordre formel de porter sa veste. M. Banks n’a fourni aucune preuve selon laquelle le plaignant avait sa veste avec lui cette journée-là.

166 L’enregistrement a révélé que M. Hare croyait qu’ils rencontraient le plaignant pour lui donner l’ordre formel de porter sa veste, faute de quoi on le renverrait chez lui. Si le plaignant avait refusé de travailler, invoqué ses droits en vertu de l’article 128 du Code et l’avait fait savoir à M. Lemieux lors de leur première réunion le matin du 10 février 2010, je pense bien que la rencontre avec M. Hare aurait commencé fort différemment. Je suppose que M. Lemieux aurait au moins porté le refus à l’attention de M. Hare ou que le plaignant l’aurait fait, et que le sujet dont il aurait été question dès le départ aurait été le refus de travailler, non pas la délivrance de l’ordre formel.

167 Ce que le plaignant a dit sur l’enregistrement est très révélateur. Après qu’on lui eut expliqué la raison de la réunion et qu’il eut confirmé que l’ordre venait du directeur, il a déclaré : [traduction] « J’invoque maintenant l’article 12 ». S’il avait déjà invoqué l’article 128 du Code et refusé de travailler, je me serais attendu à ce qu’il dise qu’il avait déjà refusé de travailler ou invoqué l’article 128 plutôt que de dire [traduction] « maintenant ». Cette déclaration est suivie de quelques échanges avec M. Hare, puis le plaignant déclare : [traduction] « je viens d’invoquer le Code du travail, d’accord, refus de travailler en vertu de l’article 128, d’accord ». Après avoir entendu l’enregistrement, les échanges, l’intonation des voix et l’utilisation par le plaignant des termes [traduction] « maintenant » et [traduction] « je viens » pour décrire ce qu’il fait, il m’est apparu clairement que le refus de travailler en vertu de l’article 128 a d’abord été soulevé lors de la rencontre avec M. Hare.

168 J’ai de la difficulté à admettre la version du plaignant concernant ce qui s’est produit dans le bureau du coordonnateur des V et C le matin du 10 février 2010, car sa version des faits ne concorde pas avec les témoignages des autres témoins et, surtout, avec son enregistrement et son témoignage. Le plaignant a déclaré que, le 10 février 2010, M. Lemieux lui a dit lors de leur rencontre dans le bureau du coordonnateur des V et C que non seulement il faisait l’objet de mesures disciplinaires, mais qu’il était également renvoyé chez lui et suspendu sans salaire. Si cela était vrai, alors pourquoi tenir une deuxième réunion avec M. Hare? Plus loin dans son témoignage, le plaignant a modifié sa version et dit qu’il croyait qu’il allait être renvoyé chez lui et que c’est la raison pour laquelle il a rédigé le refus de travailler en vertu de l’article 128. Il a également affirmé avoir dit à M. Lemieux qu’il invoquait l’article 128 du Code.

169 M. Lemieux a affirmé que lorsqu’il a constaté que le plaignant ne portait pas sa veste le 9 février 2010, il est allé voir ses supérieurs pour leur demander des instructions et obtenir des conseils. Les témoignages des supérieurs indiquent qu’ils ont convenu d’un plan d’action et que M. Lemieux devait participer à son exécution. Si M. Lemieux avait le pouvoir d’imposer des mesures disciplinaires au plaignant le 10 février 2010, pourquoi a-t-il quitté le bureau du plaignant et organisé une rencontre avec le DAO, M. Hare? L’enregistrement et la déclaration de M. Hare indiquent clairement que l’objectif de la réunion était de donner au plaignant l’ordre formel de porter sa veste, faute de quoi il serait renvoyé chez lui; l’objectif a été énoncé dès le début de la réunion. Même après que M. Hare ait fait part de l’objectif de la réunion et donné l’ordre, le plaignant lui a demandé si l’ordre venait du directeur. Après que M. Hare ait confirmé que l’ordre venait du directeur, le plaignant a dit qu’il rentrait chez lui, non pas par désobéissance à un ordre direct, mais parce qu’il était malade. Ce n’est qu’une fois cet échange terminé qu’il a déclaré invoquer l’article 128 du Code.

170 Si M. Lemieux avait ordonné au plaignant de retourner chez lui, pourquoi est-il allé voir M. Hare pour organiser une réunion afin de donner l’ordre formel au plaignant de porter sa veste, faute de quoi il serait renvoyé chez lui? Si le plaignant avait déjà refusé de travailler, invoquant l’article 128 du Code, pourquoi cette question n’a-t-elle pas été abordée dès le début de la discussion? D’ailleurs, dans son témoignage, M. Banks, le représentant du plaignant, a dit que le plaignant croyait que l’objectif de la réunion avec M. Hare était de lui donner un ordre formel. La version des faits du plaignant ne résiste pas au critère de crédibilité.

171 Je conclus également que la version des faits du plaignant ne correspond pas à la réalité du milieu de travail. Le poste d’attache de M. Lemieux à l’époque n’était pas celui de GC, il était plutôt CX-2. M. Lemieux a déclaré qu’il était nouveau dans ce poste intérimaire et que c’était la première fois qu’il agissait comme GC. Il a dit qu’il n’avait jamais pris de mesures disciplinaires ou administratives contre des employés. Il est logique qu’il ait demandé conseil à ses supérieurs ne serait-ce que pour cette seule raison. De plus, le poste d’attache de M. Lemieux à titre de CX-2 faisait partie du même groupe et niveau que celui du plaignant; un poste relevant de l’unité de négociation dont le plaignant était le vice-président de la Région de l’Atlantique. Il est très probable que M. Lemieux aurait renvoyé une décision comme la suspension administrative d’un collègue et cadre supérieur de l’unité de négociation ou la prise de mesures disciplinaires pures et simples contre celui-ci à une personne occupant un poste plus élevé dans la chaîne de commandement de l’Établissement.

172 Le plaignant a déclaré que la qualité de l’air à l’Établissement constituait un problème chronique et il a fait explicitement référence à la présence de moisissures au stand de tir. Cela ne m’aide pas à déterminer s’il avait un motif raisonnable de croire qu’il était en danger lorsqu’il a remis son refus de travailler le 10 février 2010. À l’époque, le seul endroit où la qualité de l’air importait était le bureau du coordonnateur des V et C, et une fois de plus, le témoignage du plaignant était incohérent et parfois contradictoire. Il a d’abord déclaré que de la poussière noire sortait des conduits d’air et qu’il ne pouvait pas respirer lorsqu’il portait sa veste. Il a inscrit ce qui suit dans son refus de travailler en vertu de l’article 128 : [traduction] « L’air dans mon bureau nuit à ma respiration lorsque je porte ma veste ». Plus tard dans son témoignage, il a dit que la qualité de l’air dans son bureau le 10 février 2010 n’était pas différente des autres jours et qu’il n’avait pas de difficulté à respirer lorsqu’il enlevait sa veste.

173 Malgré toutes ses allégations selon lesquelles sa veste ou la qualité de l’air, ou bien les deux, posaient un problème, le plaignant n’a jamais consulté de médecin pour savoir s’il souffrait de problèmes respiratoires ou d’allergies, ou si c’est la veste qui l’empêchait de respirer. Lors de son réinterrogatoire, le plaignant a dit qu’il n’avait jamais consulté de médecin pour ce problème, car il n’avait jamais eu de difficultés respiratoires. Compte tenu de la nature du danger allégué le touchant directement parce qu’il portait une veste, la façon la plus logique d’évaluer l’existence d’un risque aurait été de consulter un médecin, qui aurait pu l’examiner portant sa veste. Lorsqu’on lui a posé des questions à ce sujet en contre-interrogatoire, le plaignant a dit qu’il n’avait pas de problème de santé et qu’il n’en avait jamais eu, et il n’avait donc aucune raison de consulter un médecin.

174 Par  ailleurs, le défendeur a demandé des analyses de l’air dans le bureau du coordonnateur des V et C au début du mois de mai 2010. Les résultats de celles-ci indiquent que la température, l’humidité relative et les niveaux de monoxyde de carbone et de dioxyde de carbone se situaient tous dans les plages normales acceptables pour l’intérieur. L’inspection visuelle du bureau n’a révélé la présence d’aucune trace d’humidité, odeur ni poussière visible en quantité excessive.

175 Comme le témoignage du plaignant au sujet de la qualité de l’air était incohérent et souvent contradictoire, et que les analyses de la qualité de l’air n’ont révélé aucun problème, je ne peux conclure à l’existence d’un problème de qualité de l’air dans le bureau du coordonnateur des V et C.

176 Dans son interrogatoire principal, le plaignant a déclaré qu’il portait toujours sa veste à l’extérieur du bureau du coordonnateur des V et C. En contre-interrogatoire, il a avoué ne pas la porter à l’extérieur du bureau du coordonnateur des V et C. Le 19 juin 2009, M. Taylor, le GC, l’a surpris sans sa veste au poste de contrôle central de l’Établissement. M. Hare a également déclaré qu’il voyait le plaignant sans sa veste près du bureau du DAO, qui est situé à un autre étage que celui du bureau du coordonnateur des V et C. Encore une fois, le témoignage du plaignant concernant le port de la veste est incohérent et contradictoire, et met directement en cause sa crédibilité.

177 Étant donné que le témoignage du plaignant est incohérent et contradictoire et qu’il ne répond pas au critère décrit dans Faryna, et que le témoignage de M. Lemieux est compatible avec celui qu’une personne pratique et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable dans ce lieu et dans ces conditions, j’admets la version des événements survenus dans la matinée du 10 février 2010 de M. Lemieux. J’admets comme fait que le plaignant n’avait pas apporté sa veste au travail ce jour-là. S’il n’avait pas sa veste avec lui, il ne pouvait pas avoir de motif raisonnable de croire qu’il était en danger. Par conséquent, il ne satisfait pas au critère énoncé dans Chaney et Boivin.

178 Le défendeur s’est acquitté du fardeau de la charge qui lui incombait en vertu du paragraphe 133(6) du Code.

179 Comme j’ai conclu que le plaignant n’avait pas de motif raisonnable de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code, il n’est pas nécessaire que j’examine si la demande du défendeur selon laquelle le plaignant devait obtenir un certificat médical avant de reprendre le travail constitue une mesure disciplinaire ou une sanction au sens que l’entend l’article 144 du Code.

180 Pour toutes ces raisons, la Commission rend l’ordonnance qui suit :  

V. Ordonnance

181 J’ai compétence pour entendre la plainte.

182 La plainte est rejetée.

Le 31 mai 2013.

Traduction de la CRTFP

John G. Jaworski,
Une formation de la
Commission des relations de
travail dans la fonction
publique

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