Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté ce qu’il a qualifié de licenciement injuste - l’employeur a rejeté le grief à chaque palier de la procédure de règlement du grief au motif que le grief était hors délai, et a soulevé la question du respect des délais établis dans le Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique après le renvoi du grief à l’arbitrage - l’employeur a également soutenu que le grief n'aurait pas pu être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'alinéa209(1)b) ou c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique puisqu'il ne concernait pas une mesure disciplinaire ou un licenciement, car le fonctionnaire s’estimant lésé avait démissionné - en décembre 2008, l’employeur a approuvé la demande du fonctionnaire s’estimant lésé pour obtenir un congé non payé d'une année pour obligations personnelles pour lui permettre de travailler pour l’Office européen des brevets - à l’automne 2009, le problème du retour du fonctionnaire s’estimant lésé au travail s’est posé, car le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué qu’il souhaitait peut-être rester en Europe - il a écrit à l’employeur et a obtenu une semaine de congé supplémentaire lui permettant de se marier et a également avisé l’employeur qu’il prendrait sa décision pendant la période des fêtes de Noël - l’employeur lui a fait savoir qu’aucune prolongation supplémentaire de son congé ne lui serait accordée - le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit à l’employeur, indiquant qu’il confirmait sa [traduction] <<[...] décision de ne pas revenir à [son] poste d’examinateur de brevets [...]>> - l’employeur a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour l’informer qu’il acceptait sa démission, mais le fonctionnaire s'estimant lésé a avancé qu’il n’avait pas voulu que la lettre soit une lettre de démission - la correspondance s’est poursuivie entre les parties, au cours de laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué qu’il n’avait pas eu l’intention de démissionner et a demandé un congé supplémentaire - l’employeur a refusé de lui accorder un congé et a confirmé son interprétation de la lettre - l’employeur avait dûment soulevé la question du respect des délais, et le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas en mesure de fournir le moindre élément de preuve démontrant que les actions ou les circonstances donnant lieu au grief s'étaient déroulées dans les 25 jours précédant le dépôt du grief - le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé de l'acceptation de l'employeur de sa démission au mois de février 2010 - il importait peu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas voulu que sa lettre soit une lettre de démission étant donné que l’employeur l’avait clairement avisé qu’il considérait qu’il avait démissionné et qu’il ne lui a jamais fait croire que cette décision était négociable - par conséquent, le grief était hors délai. Dossier clos par ordonnance.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-01-24
  • Dossier:  6-2-7
  • Référence:  2013 CRTFP 8

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MACIEK KEPKA

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de l'Industrie)

défendeur

Répertorié
Kepka c. Administrateur général (ministère de l'Industrie)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Lui-même

Pour le défendeur:
Magdalena Persoiu, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 14 janvier 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1  Maciek Kepka, le fonctionnaire s'estimant lésé (le « fonctionnaire ») a travaillé comme examinateur de brevets à l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) du ministère de l'Industrie (l'« administrateur général » ou l'« employeur » ou le « défendeur ») à Gatineau au Québec. Le 9 août 2010, il a déposé un grief alléguant qu'il avait été injustement licencié et que sa demande de congé non payé n'avait pas été dûment examinée. Dans son grief, il a demandé à être réintégré dans son ancien poste et qu'on lui accorde un congé non payé.

2 L'employeur a rejeté le grief à chaque palier de la procédure de règlement des griefs au motif que le grief n'avait pas été présenté dans les délais prescrits. Il a également rejeté le grief sur le fond. Le grief a été renvoyé à l'arbitrage le 25 mai 2011. L'employeur a de nouveau soulevé son objection concernant le respect des délais le 7 juin et le 12 août 2011.

3  La convention collective qui s'applique au présent grief est celle conclue entre l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l'« agent négociateur ») et le Conseil du Trésor pour le groupe Sciences appliquées et examen des brevets, qui a expiré le 30 septembre 2011 la « convention collective »). L'agent négociateur a retiré son soutien au grief le 28 septembre 2011.

4 Conformément à la clause 35.12 de la convention collective, un employé peut présenter un grief au plus tard le vingt-cinquième jour qui suit la date à laquelle il a été informé ou devient conscient de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief. Dans son objection, l'employeur a affirmé que le grief avait été déposé quelque six mois après l'action ou les circonstances qui ont donné lieu au grief. Selon le fonctionnaire, il a déposé son grief après qu'il est devenu manifeste que, selon les discussions en cours, l'employeur ne prolongerait pas son congé non payé ou ne réexaminerait pas sa position concernant la prétendue démission du fonctionnaire.

5 En décembre 2012, l'employeur s'est également opposé à ma compétence au motif que le fonctionnaire avait démissionné et que le grief n'aurait pas pu être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 209(1)b) ou c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), compte tenu du fait qu'il ne concernait pas une mesure disciplinaire ou un licenciement.

6 Au début de l'audience, j'ai demandé aux parties de présenter leurs éléments de preuve et leurs arguments ayant trait aux objections et au bien-fondé du grief. Pour des raisons pratiques, j'ai réservé ma décision à propos des objections et j'ai entendu le grief sur le fond.

II. Résumé de la preuve

7 L'employeur a cité Yvan Guay comme témoin. Depuis 2002, M. Guay occupe le poste de chef de section au sein de la Direction des brevets de l'OPIC. Il était le superviseur du fonctionnaire. À ce titre, il avait la responsabilité et le pouvoir d'approuver les demandes de congé du fonctionnaire. L'employeur a également produit 18 documents en preuve. Le fonctionnaire a également témoigné. Il a de nouveau présenté en preuve certains des documents produits par l'employeur. Il a également produit en preuve une lettre qu'il a envoyée au greffe de la Commission le 24 novembre 2011 et une lettre qu'il a envoyée à l'employeur le 28 octobre 2010.

8 Le fonctionnaire est titulaire d'un diplôme de maîtrise en ingénierie. Il a été engagé en janvier 2007 en tant qu'examinateur de brevets. De janvier 2007 à janvier 2009, il a suivi le programme de formation de l'employeur à l'intention des nouveaux examinateurs de brevets. Il a dans un premier temps suivi une formation en classe de trois mois sur le droit des brevets et a ensuite été appelé à travailler avec un examinateur principal pendant 21 mois. Il a achevé son programme de formation avec succès. Selon M. Guay, le fonctionnaire était un très bon employé qui satisfaisait pleinement aux attentes de l'employeur à titre d'examinateur de brevets.

9 Le 2 décembre 2008, l'employeur a approuvé la demande du fonctionnaire pour un congé non payé d'un an pour des obligations personnelles. Ce congé allait du 19 janvier 2009 au 15 janvier 2010. Le fonctionnaire a utilisé ce congé pour travailler comme examinateur de brevets à l'Office européen des brevets à La Haye aux Pays-Bas.

10 En septembre 2009, le fonctionnaire a demandé une réunion avec l'employeur. La réunion a eu lieu au début du mois d'octobre 2009. Les parties ont discuté de plusieurs exigences avancées par le fonctionnaire à propos de son retour au travail en janvier 2010. Dans le cadre du suivi de cette réunion, M. Guay a envoyé un courriel au fonctionnaire le 13 octobre 2009, lui rappelant qu'il aurait bientôt une décision importante à faire concernant son avenir et qu'il était crucial qu'il choisisse l'organisme dans lequel il s'épanouirait le plus. M. Guay faisait allusion à l'OPIC et à l'Office européen des brevets. Pendant toute la période de son congé non payé, le fonctionnaire avait encore accès au réseau de courriel interne de l'employeur.

11 Le 4 décembre 2009, M. Guay a envoyé un courriel au fonctionnaire, lui demandant de lui communiquer sa décision quant à son retour au travail le 18 janvier 2010. Le 9 décembre 2009, le fonctionnaire a répondu qu'il se mariait le 16 janvier 2010 et qu'il attendait une réponse de la section des ressources humaines concernant la possibilité d'obtenir une semaine de congé payé à cette fin. Il a également mentionné qu'il allait prendre une décision pour savoir s'il réintégrait son poste durant la période des fêtes. Le 4 janvier 2010, M. Guay a relancé le fonctionnaire quant à son intention de reprendre le travail. Il lui a demandé de lui communiquer sa décision. Le 12 janvier 2010, M. Guay a écrit au fonctionnaire lui demandant encore une fois de lui faire part de sa décision. Il a rappelé au fonctionnaire de se présenter au travail le 18 janvier 2010. Il a également informé le fonctionnaire qu'il aurait droit à une semaine de congé de mariage, mais qu'il faudrait d'abord qu'il en fasse la demande.

12 Le 15 janvier 2010, le fonctionnaire a appelé M. Guay pour l'informer qu'il attendait la confirmation de l'Office européen des brevets le 29 janvier 2010 de sa nomination comme employé permanent. Il a indiqué à M. Guay que M. Guay devait prolonger sa période de congé pour lui rendre service. M. Guay a approuvé l'octroi d'une semaine supplémentaire au fonctionnaire afin qu'il puisse se marier. Toutefois, il n'a pas accepté de prolonger le congé du fonctionnaire de deux semaines. M. Guay a écrit au fonctionnaire le 20 janvier 2010, affirmant qu'il était impossible de prolonger son congé et qu'aucun prolongement de congé supplémentaire ne lui serait octroyé. M. Guay a également écrit que, compte tenu de l'intention exprimée par le fonctionnaire de rester avec son nouvel employeur, ce dernier devrait envoyer une lettre de démission.

13 Le 22 janvier 2010, M. Guay et le fonctionnaire ont eu une discussion téléphonique. Le fonctionnaire a demandé que son congé non payé soit prolongé. M. Guay a refusé. Il a laissé entendre au fonctionnaire qu'il serait plus professionnel de sa part de démissionner plutôt que de simplement abandonner son poste. Plus tard dans la journée, le fonctionnaire a écrit ce qui suit à Mr Guay :

[…]

Suite à notre conversation par téléphone aujourd'hui :

Je confirme ma décision de ne pas revenir à partir du 25 janvier 2010 inclusivement à mon poste d'examinateur de brevets à l'OPIC. Ceci est suite à un congé personnel sans solde d'un an et à un congé personnel d'une semaine, qui ont pris fin le 22 janvier 2010. Je comprends que notre relation de travail sera gérée suivant la convention collective en vigueur, en consultation avec Mme Suzanne Louis-Seize.

Je confirme aussi que depuis le 2 février 2009, je travaille en tant qu'examinateur de brevets à l'Office européen des brevets à Rijswijk (La Haye) aux Pays-Bas. D'après notre conversation, cela ne constitue pas de conflit d'intérêts.

J'espère que nous aurons la chance de travailler ensemble dans le futur.

[…]

14 Le fonctionnaire a témoigné que cette lettre ne constituait pas une lettre de démission. Son intention était de maintenir sa relation de travail avec l'employeur. Il souhaitait bénéficier d'un prolongement de son congé non payé selon la convention collective en vigueur. Il se souvient clairement d'avoir demandé verbalement à M. Guay un congé non payé de trois mois. M. Guay a témoigné qu'il ne se souvenait pas que le fonctionnaire ait présenté cette demande verbale. Le fonctionnaire a toujours nourri l'espoir que l'employeur changerait d'avis et lui permettrait de prolonger son congé non payé.

15 Le 4 février 2010, M. Guay a écrit au fonctionnaire l'informant qu'il avait accepté sa lettre de démission du 22 janvier 2010. Il a écrit que cette lettre mettait fin à la relation de travail entre le fonctionnaire et l'OPIC.

16 Le 8 février 2010, le fonctionnaire a appelé M. Guay et lui a demandé de lui accorder un congé non payé de trois mois. M. Guay a refusé au motif que le fonctionnaire n'était plus un employé. Le fonctionnaire a soutenu que sa lettre du 22 janvier 2010 ne constituait pas une lettre de démission. M. Guay a ajouté que, même si le fonctionnaire était toujours un employé, ce qui n'était pas le cas, sa demande aurait été refusée. Plus tard dans cette même journée, M. Guay a envoyé un courriel au fonctionnaire pour lui réaffirmer qu'il avait démissionné le 22 janvier 2010 et qu'il n'était plus considéré comme un employé de la fonction publique fédérale.

17 Le 12 mars 2010, le fonctionnaire a écrit à M. Guay et a affirmé que, faute d'une réponse de la part de M. Guay à sa lettre du 22 janvier 2010, il considérait qu'il était désormais en congé non payé de trois mois qui prenait fin le 25 avril 2010, et que sa date de retour au travail à l'OPIC était le 26 avril 2010. Il a également écrit que, s'il décidait de ne pas revenir à l'OPIC le 26 avril 2010, il enverrait une lettre de démission au plus tard le 12 avril 2010. M. Guay a témoigné qu'il n'avait jamais autorisé le congé non payé de trois mois du fonctionnaire. Le 16 mars 2010, M. Guay a écrit au fonctionnaire en lui disant qu'il avait répondu à sa lettre du 22 janvier 2010 le 4 février 2010, qu'il avait accepté la démission du fonctionnaire à ce moment-là et qu'il l'avait informé que cette lettre mettait fin à sa relation de travail avec l'OPIC. M. Guay s'est également référé à sa conversation téléphonique avec le fonctionnaire, dans laquelle il a refusé d'accorder au fonctionnaire un congé non payé supplémentaire au motif qu'il n'était plus un employé.

18 Le 23 avril 2010, le fonctionnaire a écrit à M. Guay, pour lui demander [traduction] « […] trois années supplémentaires de congé non payé spécial […] similaire au congé accordé aux fonctionnaires canadiens lorsqu'ils sont nommés pour une mission à l'étranger ». Le 30 avril 2010, M. Guay a écrit au fonctionnaire l'informant qu'il avait accepté la démission du fonctionnaire le 4 février 2010 et qu'il n'était plus considéré comme un employé de la fonction publique fédérale. Le 4 juin 2010, le fonctionnaire a répondu à M. Guay que sa lettre du 22 janvier 2010 indiquait seulement qu'il ne réintégrerait pas son poste à la date initialement prévue. Il a également affirmé que la lettre était écrite de façon que la possibilité de prolonger son congé non payé de l'OPIC lui soit conservée. Il a également demandé que sa demande d'un congé de trois ans effectuée le 19 avril 2010 soit examinée. Le 10 juin 2010, M. Guay a écrit au fonctionnaire que sa démission avait été acceptée le 4 février 2010 et qu'il n'était plus considéré comme un employé de la fonction publique du Canada. Le 27 juin 2010, le fonctionnaire a fourni une nouvelle adresse postale à M. Guay. Le jour suivant, M. Guay a envoyé de nouveau la lettre du 10 juin 2010 au fonctionnaire.

19 En réponse à la question du fonctionnaire, M. Guay a réaffirmé qu'il avait demandé au fonctionnaire de présenter sa démission, car il pensait qu'il s'agissait de la meilleure manière de procéder compte tenu des circonstances. M. Guay avait besoin d'un document officiel et il a demandé une lettre signée par le fonctionnaire. M. Guay a témoigné qu'il avait les pleins pouvoirs pour autoriser une prolongation du congé non payé, mais qu'il n'était pas prêt à le faire. M. Guay était convaincu que la lettre du 22 janvier 2010 était une lettre de démission; autrement, il aurait demandé une autre lettre au fonctionnaire.

20 Le fonctionnaire a réaffirmé qu'il n'avait jamais démissionné de son poste à l'OPIC. Il a admis avoir écrit la lettre du 22 janvier 2010, mais il a soutenu qu'il ne s'agissait pas d'une lettre de démission. Il a témoigné qu'il avait maintenu le dialogue avec l'employeur, après cette lettre, pour laisser la porte ouverte à un retour à l'OPIC. Le fonctionnaire estimait que l'employeur aurait pu approuver d'autres possibilités pour préserver la relation de travail.

21 La plupart des documents produits en preuve par l'employeur étaient des courriels envoyés ou reçus par le fonctionnaire. Le fonctionnaire a témoigné qu'il n'était pas sûr d'avoir reçu ou envoyé ces courriels. De plus, il aurait pu en avoir reçu quelques-uns, mais il n'était pas en mesure de vérifier si leur contenu avait été modifié avant d'être produits en preuve.

22 Le fonctionnaire a inscrit le [traduction] « 17 juillet 2010 » dans la partie 1(C) de la formule de grief indiquant la « Date de chaque action, omission ou situation ayant donné lieu au grief ». Dans son témoignage, il ne se souvenait de rien de particulier qui serait arrivé ce jour-là.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour l'employeur

23 L'employeur a soutenu que le grief était hors délai. Il a été déposé plusieurs mois après que le fonctionnaire a été informé de la décision de l'employeur à l'origine du grief. La décision de l'employeur d'accepter la décision du fonctionnaire lui a été communiquée le 4 février 2010. Cette décision a été de nouveau communiquée au fonctionnaire à plusieurs reprises en mars, en avril et en juin 2010. Il était donc trop tard en août 2010 pour contester la décision de l'employeur. Il a trop attendu. L'employeur a refusé le grief à chaque palier de la procédure de règlement des griefs pour cause de non-respect des délais.

24 L'employeur a soutenu que le fonctionnaire ne satisfaisait pas aux critères élaborés dans la jurisprudence justifiant une prorogation de délai. Je ne reproduirai pas cet argument étant donné qu'il n'est pas en litige, car le fonctionnaire n'a jamais demandé une prorogation de délai.

25 L'employeur s'est également opposé à ma compétence pour instruire le grief au motif que le fonctionnaire avait démissionné. Il incombait au fonctionnaire de prouver que sa démission n'était pas valide. Or, il ne l'a pas fait. Le fonctionnaire n'a pas démissionné sous la contrainte. De prime abord, sa lettre de démission reflétait objectivement son intention de démissionner. Cette lettre a été acceptée par l'employeur.

26 Durant la procédure de règlement du grief, le fonctionnaire n'a jamais allégué que les actions ou les décisions de l'employeur constituaient une mesure disciplinaire ou un licenciement en vertu de l'alinéa 209(1)b) ou c) de la Loi. Le fonctionnaire ne pouvait pas demander le renvoi à l'arbitrage de son grief sur cette base, ainsi qu'il l'a fait. En agissant ainsi, il a modifié son grief, ce qui est en contradiction avec le principe énoncé dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).

27 L'employeur m'a renvoyé aux décisions suivantes : Payne et Ohl c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 33; Mangat c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 86; Dubord & Rainville Inc. v. Métallurgistes Unis d'Amérique, Local 7625 (1996), 53 L.A.C. (4e) 378; Bodner c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-21332 (19910607); Arsenault c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-23957 (19930722); Hanna c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2009 CRTFP 94; Procureur général du Canada c. Frazee, 2007 CF 1176; Brown c. Administrateur général (ministère du Développement social), 2008 CRTFP 46; Lindsay c. Agence des services frontaliers du Canada, 2009 CRTFP 62.

B. Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

28 Le fonctionnaire a soutenu qu'il n'avait jamais démissionné de son poste de l'OPIC. La lettre du 22 janvier 2010 ne constituait pas une lettre de démission, mais plutôt un avis destiné à l'employeur pour lui dire qu'il ne se présenterait pas au travail le 25 janvier 2010.

29 Le fonctionnaire a soutenu que son grief n'était pas hors délai, car des échanges se sont poursuivis avec l'employeur après janvier 2010. Il essayait de trouver une solution raisonnable et constructive à sa situation d'emploi. En tout temps, il souhaitait maintenir sa relation de travail avec l'OPIC. Il a à plusieurs reprises demandé qu'on lui accorde un congé non payé, et il a fait en sorte qu'en tout temps, l'employeur soit au fait de sa situation. L'employeur a ignoré ses demandes et a choisi à tort d'affirmer qu'il avait démissionné.

30 Le fonctionnaire n'est toujours pas sûr de vouloir rester en Europe et souhaiterait maintenir la possibilité de retourner à son poste à l'OPIC s'il le décide. Il a affirmé avoir payé le prix que lui a coûté ce différend avec l'employeur. Tout d'abord, il fallait qu'il soit présent à l'audience. Il a également fallu qu'il vive dans l'attente du dénouement incertain de ce cas. Cela n'a rien coûté à l'employeur, qui ne subirait d'ailleurs aucun préjudice s'il accordait au fonctionnaire un congé non payé. Au contraire, son expérience en Europe représenterait une contribution précieuse à l'OPIC s'il réintégrait son poste ici.

IV. Motifs

31 Le fonctionnaire a présenté un grief alléguant qu'il avait été injustement licencié et que sa demande de congé non payé n'avait pas été dûment examinée. Il a renvoyé le grief à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 209(1)b) et du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi. L'article 209 dit ceci :

209. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l'interprétation ou l'application, à son égard, de toute disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s'il est un fonctionnaire de l'administration publique centrale,

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l'alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l'insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, s'il est un fonctionnaire d'un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l'arbitrage un grief individuel du type visé à l'alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d'arbitrage.

(3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l'application de l'alinéa (1)d), tout organisme distinct.

32 Compte tenu du fait que l'agent négociateur n'a pas représenté le fonctionnaire à l'arbitrage et que le grief n'a pas été renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 209(1)a) de la Loi, le grief ne peut pas être tranché comme s'il s'agissait d'un grief portant sur l'application ou l'interprétation de la convention collective. Cela signifie que la partie du grief concernant la demande du fonctionnaire d'un congé non payé ne sera pas examinée puisqu'elle porte sur la convention collective. J'examinerai donc l'allégation selon laquelle le fonctionnaire a été injustement licencié. Toutefois, avant d'évaluer le bien-fondé de cette partie du grief, je dois dans un premier temps me pencher sur les objections de l'employeur.

33 L'employeur s'est tout d'abord opposé au renvoi à l'arbitrage au motif du non-respect des délais. Le grief a été rejeté pour ces motifs à chaque palier de la procédure de règlement des griefs. De plus, l'employeur a soulevé son objection concernant le respect des délais prescrits dans les 30 jours suivant le renvoi du grief à l'arbitrage. Les dispositions suivantes de la convention collective précisent les délais à respecter en vue de déposer un grief :

35.12 L'auteur du grief peut présenter un grief au premier (1er) palier de la procédure de la manière prescrite au paragraphe 35.06, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle l'auteur du grief est informé ou devient conscient de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief […]

[…]

35.17 Lorsqu'il s'agit de calculer le délai au cours duquel une mesure quelconque doit être prise dans le cadre de la présente procédure, les samedis, les dimanches et les jours fériés désignés sont exclus.

[…]

34 Le grief a été déposé le 9 août 2010. Si l'on prend en considération les clauses 35.12 et 35.17 de la convention collective, il devait porter sur des actions ou des circonstances au sujet desquels le fonctionnaire a été informé ou est devenu conscient le 5 juillet 2010 ou plus tard afin de respecter les délais.

35 Absolument aucune preuve n'a été produite à l'audience démontrant que les actions ou circonstances qui ont donné lieu au grief sont survenus le 5 juillet 2010 ou après cette date ou que le fonctionnaire a été informé ou est devenu conscient de ces actes ou circonstances le 5 juillet 2010 ou après cette date. En effet, même si le fonctionnaire a donné la date du 17 juillet 2010 dans son grief comme la date à laquelle le délai a commencé à courir, il n'a pas été en mesure, lorsqu'on lui a posé la question à ce sujet, de donner une quelconque raison pour laquelle il avait déterminé cette date. De plus, toutes les preuves produites devant moi indiquent que le fonctionnaire était ou aurait dû être informé de l'acceptation de l'employeur de sa démission aux alentours du 4 février 2010, et qui lui a été confirmée à plusieurs reprises avant le mois de juillet 2010. Que l'interprétation de l'employeur de la lettre du 22 janvier 2010 soit correcte ou non n'est aucunement pertinent en ce qui concerne les délais prescrits. À mon avis, il est manifeste que le grief est hors délai.

36 Le fonctionnaire n'a pas nié les éléments de preuve présentés par l'employeur. Toutefois, il a témoigné qu'il n'était pas sûr d'avoir reçu ou envoyé les courriels produits en preuve. De plus, il a témoigné qu'il aurait pu en avoir reçu quelques-uns, mais qu'il n'était pas en mesure de vérifier si leur contenu avait été modifié avant d'être produits en preuve. Malgré ces commentaires, le fonctionnaire n'a produit aucune preuve écrite ou verbale que les courriels n'étaient pas exacts. Je pense que les éléments de preuve produits par l'employeur sont crédibles. Il n'y avait pas de contradiction entre le témoignage de M. Guay et les courriels qui ont été produits en preuve. M. Guay n'a jamais montré d'hésitation dans son témoignage. Il m'a nettement donné l'impression d'être très franc et honnête. Le fonctionnaire n'a pas remis en cause la crédibilité ou le témoignage de M. Guay si ce n'est pour dire que le fonctionnaire a témoigné qu'il avait fait une demande verbale pour obtenir un congé de trois mois en janvier 2010, dont M. Guay n'a pas gardé le souvenir.

37 La preuve révèle que le fonctionnaire était en congé non payé et qu'il devait réintégrer son poste le 25 janvier 2010, faute d'une prolongation de son congé non payé ou d'un nouveau congé. Le 4 février 2010, l'employeur a écrit au fonctionnaire affirmant la cessation de la relation de travail. Le fonctionnaire a avancé que sa lettre du 22 janvier 2010 ne constituait pas une lettre de démission. Il n'en demeure pas moins que l'employeur considérait que la relation de travail avait cessé et qu'il en a clairement informé le fonctionnaire. Le fonctionnaire n'a pas nié avoir reçu cette information. Il savait que l'employeur estimait que la relation de travail avait cessé. Il avait alors 25 jours à sa disposition pour déposer son grief, mais il ne l'a pas fait.

38 L'employeur a confirmé par écrit au fonctionnaire le 8 février, le 16 mars, le 30 avril et le 10 juin qu'il considérait que leur relation de travail avait cessé. L'employeur a écrit au fonctionnaire à ces dates en guise de réponse aux demandes répétées de congé adressées par le fonctionnaire à l'employeur ou aux lettres [traduction] « informant » l'employeur que le fonctionnaire était en congé. Le fonctionnaire n'a pas tenu compte des courriels et des lettres de l'employeur où ce dernier déclarait ne plus considérer le fonctionnaire comme un employé. Le fonctionnaire a avancé qu'il avait poursuivi les discussions avec l'employeur en ce qui concerne sa situation ou son retour éventuel au travail. Les faits n'appuient pas cette affirmation. L'employeur a pris une décision le 4 février 2010 et il n'a jamais laissé le fonctionnaire croire qu'il était possible de négocier cette décision.

39 Compte tenu de tous ces éléments, le grief est clairement hors délai et je n'ai donc pas la compétence pour l'examiner.L'employeur a soulevé la question du respect des délais lorsqu'il l'a jugé nécessaire, conformément aux paragraphes 95(1) et (2) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Ces dispositions se lisent comme suit :

95. (1) Toute partie peut, au plus tard trente jours après avoir reçu copie de l'avis de renvoi du grief à l'arbitrage :

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d'un grief à un palier de la procédure applicable au grief n'a pas été respecté;

b) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour le renvoi du grief à l'arbitrage n'a pas été respecté.

(2) L'objection visée à l'alinéa (1)a) ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n'a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de ce non-respect.

40 Il ne m'est pas nécessaire de statuer sur l'autre objection ou sur le bien-fondé du grief, car j'ai déjà conclu qu'il est hors délai. Toutefois, je souhaiterais ajouter que, comme l'a affirmé l'employeur, ce grief n'aurait pas pu être renvoyé à l'arbitrage en tant que grief disciplinaire étant donné qu'aucune mesure disciplinaire n'a été imposée ou même alléguée.

41 Je souhaiterais également ajouter que, s'il n'avait pas démissionné, ainsi qu'il le soutient, le fonctionnaire avait pour obligation de se présenter au travail le 25 janvier 2010, mais il ne l'a pas fait, que ce soit ce jour-là ou plus tard. Par conséquent, il était en congé non autorisé, vu qu'il n'avait ni le droit ni les pouvoirs d'autoriser son propre congé, comme il l'a laissé entendre le 12 mars 2010. Un employeur a pleinement le droit de s'attendre à ce qu'un employé se présente au travail en l'absence d'un congé autorisé. Ces attentes font partie intrinsèque de la relation et du contrat de travail, et le fonctionnaire a clairement violé cette règle.

42 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

43 J'ordonne la fermeture du dossier.

Le 24 janvier 2013.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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