Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la décision de l’employeur de la rétrograder de façon permanente du groupe et niveau FI-04 au groupe et niveau FI-03 à la suite des conclusions de rapports d’enquête où elle a été reconnue coupable de harcèlement envers des employés qu’elle supervisait - selon ses évaluations du rendement de 2004 à 2010, elle avait atteint la totalité des attentes du poste, elle avait contribué de façon marquée à la réussite de l’organisation et elle était très compétente - elle a fait l’objet de deux plaintes de harcèlement en 2009 et les rapports d’enquête sur les incidents ont conclu qu’elle avait harcelé des employés - l’employeur lui a imposé une réprimande écrite et lui a demandé de participer à une série de cours de formation, ce qu’elle a fait - en 2010 et 2011, d’autres plaintes de harcèlement ont été déposées contre la fonctionnaire s’estimant lésée concernant des incidents qui sont survenus en 2009 et 2010 - l’employeur a fait enquête et a conclu qu’elle était encore coupable de harcèlement - l’employeur l’a convoqué à une audience disciplinaire mais lui a ensuite envoyé un deuxième avis indiquant que la rencontre ne serait pas une audience disciplinaire - l’employeur a dit s’être ravisé et a décidé d’imposer une mesure qu’il qualifiait d’administrative - selon l’employeurs la mesure était une rétrogradation pour rendement insuffisant - la fonctionnaire a allégué que la rétrogradation était une mesure disciplinaire - l’arbitre de grief a conclu que la mesure était disciplinaire - l’intention de l’employeur était disciplinaire - l’inconduite de la fonctionnaire s’estimant lésée était grave et il ne s’agissait pas d’une première infraction - l’employeur n’avait pas respecté le principe de la gradation des sanctions - une sanction importante était justifiée, mais une sanction de nature permanente ne l’était pas - l’arbitre de grief a conclu qu’une rétrogradation de 24 mois suffirait - l’arbitre de grief a refusé ses demandes de lettre d’excuses, de remboursement de congés de maladie et de dommages moraux. Directives données.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-08-02
  • Dossier:  566-02-6850
  • Référence:  2013 CRTFP 94

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CLAIRE GAUTHIER

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié
Gauthier c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Vicky Ringuette et Nicolas Brunette-D'Souza, Association canadienne des agents financiers

Pour le défendeur:
Sean Kelly, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 22 au 25 avril et le 25 juin 2013.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le 14 octobre 2011, Claire Gauthier (la « fonctionnaire s’estimant lésée ») a déposé un grief contestant la décision du ministère de la Défense nationale (l’ « employeur ») de la rétrograder du groupe et niveau FI-04 au groupe et niveau FI-03 à compter du 21 septembre 2011. Mme Gauthier a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéas 209(1)b) et du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. (2003), ch.22 (la « Loi ») alléguant qu’elle avait été rétrogradée pour des motifs disciplinaires (209(1)b)) et pour rendement insuffisant (209(1)c)(i)). Lors de l’audience, Mme Gauthier a allégué qu’elle avait été rétrogradée pour des motifs disciplinaires.

2 La lettre de l’employeur du 20 septembre 2011 informant Mme Gauthier qu’elle était rétrogradée comprend les passages suivants :

[…]

1. L’objectif de cette lettre est de vous informer de ma décision en ce qui attrait la mesure administrative qui sera prise suite aux conclusions des enquêtes qui ont démontrées que vous n’avez pas les compétences requises pour occuper un poste de gestion. Vous avez été informé des conclusions de ces enquêtes le 27 juillet 2011.

2. En déterminant la mesure appropriée, j’ai tenu compte du fait que vous aviez harcelé deux autres subordonnés en 2009. Suite à ces évènements, plusieurs mesures ont été prises afin de vous aider à améliorer vos compétences en gestion ainsi que vos qualités interpersonnelles. En outre, vous avez complété le cours de Diversité et équité en emploi en novembre 2008, le cours de relations de travail pour les gestionnaires et superviseurs en mars 2009. De plus, en mai 2010, vous nous avez fait parvenir une offre de service personnalisé développée par la firme Spiralis, spécialisée en communication non-violente, afin d’améliorer vos habilités relationnelles en communication, affirmation et leadership. Puisque cette proposition était bien ciblée afin d’obtenir les résultats visés, elle avait été approuvée. Spécifiquement, entre le 23 juin et le 3 décembre 2010, vous avez complété une période de 20 heures de coaching et participé à une formation initiale de 2 jours en communication authentique à Montréal. En décembre 2010, vous avez demandé des périodes additionnelles de coaching afin de continuer à développer vos compétences en communication et leadership. Cette demande a également été approuvée et, entre janvier et mars 2011, vous avez complété une période additionnelle de 13,5 heures de coaching.

3. Malheureusement, aucune amélioration n’a été observée et les conclusions des enquêtes démontrent clairement que vous n’avez pas bénéficié de tous ces efforts. Je dois donc conclure que ce comportement est attribuable au fait que vous n’avez pas les qualités interpersonnelles et les compétences en gestion nécessaires pour superviser des employés. Conséquemment, je vous informe que vous ne répondez pas aux exigences de votre poste.

4. Je suis convaincu que vous avez les connaissances et les compétences techniques pour travailler dans le domaine des finances et j’entends maintenir votre statut d’employé au sein de l’organisation à un poste qui vous permettra d’utiliser plus efficacement vos compétences. Nous avons exploré toutes les options mais il nous a été impossible de trouver un poste sans supervision au groupe et niveau FI-04 au Ministère. Ainsi, conformément aux pouvoirs qui me sont délégués en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques, j’ai déterminé qu’une rétrogradation pour cause de rendement insatisfaisant est la mesure appropriée.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

3 Dans l’énoncé de son grief, Mme Gauthier conteste aussi les conclusions des rapports d’enquête dont il est question au premier paragraphe de la lettre reproduite ci-haut. Cependant, lors de l’audience, ses représentants ont déclaré qu’ils ne contestaient plus ces rapports d’enquête et qu’ils en acceptaient les conclusions.

II. Résumé de la preuve

4 Les parties ont produit conjointement en preuve trois recueils relativement volumineux de documents. L’employeur a appelé comme témoin la lieutenant–colonel Annick Chantal, la sergent Judy Hudec, Christian Stumpf, André Deschênes, le lieutenant-colonel Pierre Bouffard, Claude Rochette, le major Christopher Côté, Mario Villeneuve, Jonathan Hood et le major-général R. P. F. Bertrand. Mme Gauthier a aussi témoigné. Au moment des incidents qui les concernent particulièrement, la lieutenant-colonel Chantal (alors major) se reportait à Mme Gauthier tout comme la sergent Hudec, le major Côté et M. Villeneuve qui était alors un militaire. Entre mai 2008 et septembre 2011, M. Stumpf, M. Deschênes, le lieutenant-colonel Bouffard et M. Hood ont successivement supervisé Mme Gauthier. Le major-général Bertrand occupe des fonctions de direction générale des finances pour l’employeur depuis août 2010. Exception faite de M. Rochette, tous les témoins se reportaient au major-général Bertrand à un moment ou l’autre au cours de la période en question. Entre juin 2009 et août 2010, M. Rochette était militaire au rang de brigadier-général. Il occupait alors les fonctions par la suite occupées par le major-général Bertrand.

5 Mme Gauthier travaille pour l’employeur dans le domaine des finances depuis 1997. Elle possède deux baccalauréats, le premier en administration des affaires, option ressources humaines, obtenu en 1992 et le second en sciences comptables obtenu en 1995. Elle est aussi titulaire d’une maîtrise en administration publique faite à temps partiel et complétée en 2001. Entre 1997 et 2003, Mme Gauthier a occupé divers postes d’analyste en finances classifiés au groupe et niveau FI-01 à FI-03. Puis, en 2003, elle a obtenu une promotion au groupe et niveau FI-04. De 2003 à 2007, elle occupait le poste de conseillère-ressources à la délégation conjointe du Canada auprès de l’OTAN à Bruxelles. En septembre 2007, elle a été mutée au poste de chef de section aux arrangements financiers au bureau-chef à Ottawa. À ce dernier poste, elle supervisait une équipe variant de 6 à 10 employés civils et militaires.

6 La description de travail du poste occupé par Mme Gauthier de septembre 2007 à septembre 2011 énumère les activités clés du poste incluant une série d’activités reliée à l’administration et à la gestion des finances. La dernière activité se lit comme suit : « Superviser un personnel de jusqu’à (7) employés à temps plein. »

A. L’évaluation du rendement de Mme Gauthier

7 Les parties ont présenté en preuve les rapports d’évaluation du rendement de Mme Gauthier pour les années financières 2004-2005, 2005-2006 et 2006-2007, période au cours de laquelle Mme Gauthier travaillait pour l’employeur à Bruxelles au groupe et niveau FI-04. Pour chacun de ces rapports, Mme Gauthier a obtenu l’excellence et les commentaires sont élogieux quant au travail accompli, incluant en juin 2006 et en avril 2007 des commentaires positifs sur l’excellence de ses compétences en gestion des ressources financières et humaines.

8 Les parties ont aussi présenté en preuve les rapports d’évaluation du rendement de Mme Gauthier pour les années financières 2007-2008, 2008-2009 et 2009-2010. En juin 2008, le lieutenant-colonel B.G. Pelletier a évalué le rendement de Mme Gauthier pour la période de septembre 2007 au 31 mars 2008. Il a alors indiqué qu’elle avait atteint la totalité des attentes du poste et qu’elle avait contribué de façon marquée à la réussite de l’organisation. Ce rapport ne contient aucun commentaire négatif sur la gestion du personnel. Au contraire, le superviseur écrit que « […] Mme Gauthier est une FI compétente qui inspire le respect des autres et qui a été capable de rehausser la conscientisation du personnel du DEFSO à l’égard de leurs responsabilités ».

9 En juin 2009, M. Stumpf a évalué le rendement de Mme Gauthier pour la période du 1er mai 2008 au 31 mars 2009 et lui a donné la même cote qu’elle avait reçue lors de l’évaluation précédente, à savoir qu’elle avait atteint la totalité des attentes du poste. L’agent de révision a écrit que Mme Gauthier était très compétente et qu’elle avait utilisé ses compétences professionnelles pour atteindre les objectifs organisationnels. Eu égard à la gestion des ressources humaines, le rapport contient les commentaires suivants :

[…]

Mme Gauthier a bien informé le personnel dans sa section au sujet de leurs responsabilités, leurs tâches et leurs rôles afin de soutenir les besoins des clients…

[…]

Mme Gauthier a toujours fait de son mieux pour informer et aider les membres de sa section avec la planification de leurs carrières et de leurs formations pour augmenter leurs connaissances, leurs efficacités et leurs cheminements de carrières.

[…]

Mme Gauthier a fortement donné la chance aux membres de sons équipe afin d’obtenir la formation linguistique (française et anglaise). Elle a bien géré les besoins de sa section même si elle a perdu 5 membres durant la dernière année.

[…]

J’aimerais que Mme Gauthier obtienne plus de formation sur la gérance des effectifs en prenant en considération les besoins de chacun par exemple.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

10 En août 2010, M. Deschênes a évalué le rendement de Mme Gauthier pour la période du 1er juin 2009 au 31 mars 2010 et lui a donné la même cote qu’elle avait reçue lors des deux évaluations précédentes, à savoir qu’elle avait atteint la totalité des attentes du poste. L’agent de révision, M. Rochette, s’est dit d’accord avec les commentaires de M. Deschênes quant au potentiel futur pour des fonctions supérieures. Les commentaires de M. Deschênes sont dans l’ensemble très positifs. Eu égard à la gestion des ressources humaines, le rapport contient les commentaires suivants :

[…]

Ms. Gauthier a supervisé un groupe de six employés militaires et civils de différents niveaux, dont trois sous sa supervision directe. Pour diverses raisons, au cours de la période 01 juin 2009 – 31 mars 2010, quatre des six employés étaient nouveaux dans leurs fonctions. Ms. Gauthier a donc dû faire face à une situation d’une certaine complexité (niveaux, militaires vs civils) exigeant une grande souplesse dans les approches. Bien que Ms. Gauthier a très bien performé au niveau du soutien donné au personnel des points de vue du développement professionnel et rendement, il demeure qu’un certain travail devra être accompli pour assurer une meilleure stabilité de l’environnement de travail.

[…]

De plus Ms. Gauthier a su suivre de près l’évolution des différents dossiers sous sa responsabilité pour s’assurer que tous respectent les termes et règles établies. Elle a définitivement l’intellect et les capacités professionnels pour progresser vers des niveaux plus avancés une fois le peaufinement de certains aspects de la gestion de personnel complété.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

11 Entre juillet 2010 et septembre 2011, Mme Gauthier se reportait à M. Hood. Ce dernier n’a jamais évalué son rendement. M. Hood a témoigné qu’il n’a pas complété l’évaluation du rendement de Mme Gauthier pour ne pas interférer avec l’enquête faite à la suite des plaintes de harcèlement déposées contre elle.

12  Tous les témoins qui ont supervisé directement ou indirectement Mme Gauthier sont d’avis qu’elle est une personne très compétente dans le domaine de la gestion des ententes financières.

B. Les plaintes de harcèlement contre Mme Gauthier

13 À la suite d’une plainte déposée par la major Chantal (maintenant lieutenant-colonel) le 10 mars 2009, une enquête menée par une firme externe a conclu le 2 février 2010 que Mme Gauthier avait harcelé la lieutenant-colonel Chantal le 4 novembre 2008 en lui adressant des critiques sur un ton élevé devant d’autres personnes, puis le 23 janvier 2009 en critiquant son jugement et en prononçant des paroles blessantes et inconvenantes dans les circonstances.

14 Le 2 février 2010, cette même firme externe a aussi déposé un rapport de l’enquête tenue à la demande de l’employeur à la suite d’un incident survenu le 13 mars 2009 impliquant la sergent Hudec et Mme Gauthier. Ce rapport indique que, ce jour-là, Mme Gauthier a été agressive verbalement avec la sergent Hudec et s’est adressée à elle au bureau en parlant très fort et en criant. Le rapport indique aussi qu’il ne s’agissait pas d’un incident isolé.

15 Après le dépôt de ces deux rapports d’enquête, M. Rochette a convoqué Mme Gauthier à une audience disciplinaire qui a eu lieu le 30 mars 2010. M. Rochette a conclu que Mme Gauthier avait harcelé la lieutenant-colonel Chantal et la sergent Hudec et avait enfreint les normes de conduite et le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Le 4 mai 2010, il lui a imposé une réprimande écrite et lui a demandé de participer à une série de cours de formation. Les extraits suivants de la lettre en résument l’essence :

[…]

[…] je conclus que vous avez enfreint les normes de conduite et le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Vous avez fait preuve d’un comportement d’harcèlement envers le Major Chantal en novembre 2008 et le Sergent Hudec le 13 mars 2009. Il s’agit d’un comportement inadmissible qui ne peut être ni approuvé ni toléré […]

Ainsi, conformément aux pouvoirs qui me sont délégués en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), j’ai déterminé qu’une réprimande écrite constitue une sanction appropriée. En déterminant la sanction disciplinaire appropriée, j’ai tenu compte des conclusions de l’enquête d’harcèlement, de l’information recueillie à l’audience disciplinaire du 30 mars 2010 et du fait que vous n’aviez aucun antécédent.

Veuillez vous familiariser avec les normes de conduite et le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Je vous prie également de prendre les mesures correctives suivantes, soient de participer aux cours suivant dans la langue de votre choix d’ici le 31 mars 2011.

[…]

Vous devez prendre conscience de la gravité de votre conduite et de votre comportement et comprendre que d’autres mesures disciplinaires seront prises en cas d’inconduite subséquente, quelle qu’en soit la nature ou la gravité, jusqu’au licenciement, le cas échéant.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

16 Le 29 octobre 2010, le sergent Villeneuve (maintenant un civil) a déposé une plainte de harcèlement contre Mme Gauthier relativement à quelques incidents qui se sont produits entre octobre 2009 et septembre 2010. Dans son rapport d’enquête daté du 4 juillet 2011, l’enquêteur conclut qu’un de ces incidents constitue du harcèlement. Lors de cet incident qui s’est produit le 25 févier 2010, Mme Gauthier s’est adressée au sergent Villeneuve de façon agressive en utilisant un ton fort et brusque et en criant.

17 Le major Côté a déposé deux plaintes de harcèlement concernant 13 incidents impliquant l’intimidation, l’abus d’autorité et l’utilisation d’un langage inapproprié et d’un ton abusif et humiliant de la part de Mme Gauthier. La première plainte a été déposée le 5 octobre 2010 et la seconde le 11 janvier 2011. Dans son rapport d’enquête daté du 14 juillet 2011, l’enquêteur conclut que huit de ces incidents constituent du harcèlement contre le major Côté. Un de ces incidents date de 2009. Dans quatre de ces incidents, Mme Gauthier a utilisé un ton déplacé et agressif et a fait preuve d’une attitude irrespectueuse avec le major Côté qui s’est senti offensé et humilié. Dans un cinquième incident, Mme Gauthier a demandé à un civil de la remplacer pendant ses vacances au lieu de s’en remettre à la pratique établie qui était de nommer le militaire le plus haut gradé qui en l’occurrence était le major Côté. Dans un sixième incident, Mme Gauthier a tenté d’empêcher le major Côté de participer à une réunion en Alberta à laquelle il était censé participer. Dans un septième incident, Mme Gauthier a enlevé un mandat au major Côté ce qui l’a offensé compte tenu qu’il s’est alors vu retirer des responsabilités professionnelles. Dans un huitième incident, Mme Gauthier a harcelé le major Côté par sa négligence à l’évaluer correctement et à discuter avec lui de son rendement professionnel, pouvant ainsi lui causer un préjudice.

18 Dans son analyse de ce que constitue ou pas du harcèlement, l’enquêteur a tenu compte de la définition de harcèlement de l’employeur et a examiné si les comportements en question étaient inopportuns et injurieux et s’ils pouvaient offenser ou causer préjudice et s’il était raisonnable pour Mme Gauthier de savoir que son comportement pouvait offenser ou causer préjudice.

19 Le 27 juillet 2011, le major-général Bertrand a informé Mme Gauthier des conclusions des enquêtes à la suite des plaintes de harcèlement du sergent Villeneuve et du major Côté. Il lui a fait part qu’il était d’accord avec les constatations de l’enquêteur en concluant : « […] votre comportement constitue du harcèlement ». Dans le cas du rapport d’enquête visant le major Côté, le major-général Bertrand termine sa lettre ainsi :

[…]

8. Une rencontre avec vous aura lieu sous peu pour discuter des mesures administratives qui s’imposent suite a [sic] la détermination que plusieurs allégations de harcèlement sont fondées, tel que ci-haut mentionnées [sic]. Je vous informe également de mon intention de procéder à une audition disciplinaire à laquelle vous serez convoquée par correspondance distincte.

[…]

Dans le dernier paragraphe de sa lettre concernant la plainte du sergent Villeneuve, le major-général a terminé sa lettre en faisant mention de la rencontre pour discuter des mesures administratives qui s’imposaient mais n’a pas fait mention d’une audition disciplinaire à laquelle Mme Gauthier serait convoquée.

20 La même journée, soit le 27 juillet 2011, le major-général a envoyé à Mme Gauthier une lettre intitulée : « AVIS DE CONVOCATION À UNE AUDITION DISCIPLINAIRE [souligné dans l’original]». Après avoir rappelé les plaintes de harcèlement et les rapports d’enquête, le major-général écrit ce qui suit au quatrième paragraphe de cette lettre :

4. En lien avec ce qui précède, je souhaite vous rencontrer le mercredi 17 août à 09h00. Cette rencontre vous donnera l’occasion de me faire part des circonstances ayant mené aux gestes reprochés. Je serai ensuite à même de décider si des mesures disciplinaires s’imposent. Veuillez noter que cette rencontre vise non pas à rendre une décision, mais à recueillir des renseignements.

21 Mme Gauthier a demandé que la rencontre du 17 août 2011 soit reportée car c’était la journée où elle revenait de vacances. L’employeur a accepté de reporter la rencontre qui a finalement eu lieu le 20 septembre 2011. Un nouvel avis de convocation a été envoyé par le major-général Bertrand le 1er septembre 2011. Le premier paragraphe de cet avis se lit ainsi :

1. La présente lettre a pour but de vous convoquer à une rencontre pour vous informer de ma décision suite aux conclusions des enquêtes de harcèlement. Veuillez noter que cette rencontre ne sera pas une audience disciplinaire et n’aura pas pour objectif de discuter les conclusions de l’enquête de harcèlement. […]

22 Selon le témoignage de Mme Gauthier, la rencontre du 20 septembre 2011 a duré six ou sept minutes. Le major-général Bertrand a remis à Mme Gauthier la lettre datée du même jour qui la rétrogradait au niveau FI-03 (voir le paragraphe 2 de la présente décision). Le major-général a alors indiqué qu’il ne voulait pas en discuter et que la rétrogradation était immédiate. Mme Gauthier est retournée dans son bureau, a ramassé certains documents et est partie chez elle. Elle a rencontré son médecin peu de temps après. Elle est en arrêt de travail depuis, au départ en congé de maladie, puis par la suite en arrêt en vertu de l’assurance-invalidité. Elle se dit pour l’instant encore incapable de travailler.

C. Les éléments pris en compte dans la décision de rétrogradation

23 Le major-général Bertrand a témoigné qu’il avait pris lui-même la décision de rétrograder Mme Gauthier. Tout d’abord, il a pris connaissance des rapports des enquêtes faites à la suite des plaintes de harcèlement du sergent Villeneuve et du major Côté. Puis, il a pris beaucoup de temps entre la fin juillet et le début septembre 2011 pour relire ces rapports en détail et tous les témoignages des personnes interviewées. Il a aussi reçu des commentaires des spécialistes en ressources humaines. À la fin juillet 2011, il avait convoqué Mme Gauthier pour une rencontre disciplinaire qui devait avoir lieu à la mi-août 2011 mais cette réunion n’a jamais eu lieu. Puis, il s’est ravisé, et il a décidé d’imposer une mesure administrative.

24  Le major-général Bertrand a expliqué qu’il était confronté à une gestionnaire qui avait été disciplinée en mai 2010 pour avoir harcelé deux employées, mais qui n’avait pas changé son comportement car de nouvelles plaintes, qui se sont avérées fondées, ont été par la suite déposées contre elle. Devant une telle situation, il ne croyait pas qu’il pouvait laisser Mme Gauthier continuer à superviser des employés. Il n’a constaté aucun changement dans son comportement à la suite de la mesure disciplinaire imposée. Elle n’a jamais admis avoir mal agi. À la lumière de ces informations et compte tenu qu’il n’y avait aucun poste vacant sans supervision au niveau FI-04, le major-général a donc décidé de rétrograder Mme Gauthier. Il y avait un poste de FI-04 dans l’organigramme de la direction générale mais, selon le major-général Bertrand, c’était un poste de transition pour les employés qualifiés qui reviennent de Bruxelles. Ils y sont affectés temporairement avant d’être affectés dans un autre poste. Il ne pouvait donc pas offrir ce poste à Mme Gauthier.

25 Selon le major-général, son intention n’était pas de discipliner Mme Gauthier. Elle était une personne compétente dans le domaine des finances et le major-général a décidé de la garder en emploi. Il voulait aussi prendre soin de ses employés et il n’était pas question que Mme Gauthier continue de les superviser. Selon lui, ce n’est pas une pratique acceptable dans un ministère de tolérer qu’une gestionnaire crie et insulte ses employés.

26 En contre-interrogatoire, le major-général Bertrand a réaffirmé qu’il avait consulté le personnel des ressources humaines dans sa prise de décision, mais qu’il n’avait pas discuté avec les directeurs à qui Mme Gauthier se reportait ou s’était reportée dans le passé. Il n’a pas non plus parlé avec les quatre employés qui avaient été harcelés par Mme Gauthier. Il a admis qu’aucun avertissement n’avait été donné dans le passé à Mme Gauthier qu’elle pourrait subir une rétrogradation si elle ne changeait pas son comportement. Il a aussi admis que l’employeur n’avait obtenu aucune expertise médicale ou professionnelle voulant que Mme Gauthier pourrait ou ne pourrait pas changer son comportement.

D. Les autres éléments de preuve présentés par les parties

27 L’employeur a déposé en preuve divers documents attestant de la formation que Mme Gauthier a suivie, particulièrement entre 2008 et 2011. Entre autres, elle a suivi des cours sur la gestion dans la fonction publique, sur la gestion des ressources humaines civiles, sur la prévention du harcèlement, sur la gestion des conflits et sur le langage dans les communications. L’employeur a aussi approuvé le remboursement des frais de formation de Mme Gauthier pour des formations individualisées ou du coaching en intégration émotionnelle et affirmation de soi en mars 2010 et en communication et leadership de juillet 2010 à mars 2011.

28 Les quatre civils et militaires qui ont été harcelés par Mme Gauthier ont témoigné sur ce qu’ils ont vécu. Je ne reprendrai pas les détails de cette partie de leur témoignage car la décision du major-général Bertrand a été prise uniquement sur la base des rapports d’enquête. Qui plus est, Mme Gauthier et ses représentants ont dit qu’elle acceptait les conclusions des rapports. La lieutenant-colonel Chantal et le major Côté étaient sous la supervision directe de Mme Gauthier, la première, de l’été 2008 à février 2009, et le second, de septembre 2009 à septembre 2011. Le sergent Villeneuve et la sergent Hudec étaient sous la supervision d’un superviseur qui était sous la supervision de Mme Gauthier. Le sergent Villeneuve a été sous la supervision indirecte de Mme Gauthier d’avril 2009 à juin 2011 et la sergent Hudec de janvier 2007 à mars 2009.

29 Selon la lieutenant-colonel Chantal, Mme Gauthier avait un style de gestion dictatorial et intimidant. L’atmosphère de travail était infernale. Par contre, elle a aussi témoigné qu’il arrivait à Mme Gauthier de reconnaître qu’elle faisait du bon travail. Selon la sergent Hudec, les habilités de gestion de Mme Gauthier et les habilités interpersonnelles de celle-ci étaient très pauvres. Les commentaires du major Côté et du sergent Villeneuve vont dans le même sens. Le major Côté a aussi témoigné qu’il n’avait jamais travaillé dans un environnement de travail aussi toxique.

30 M. Stumpf a supervisé Mme Gauthier du 1er mai 2008 à 31 mars 2009. Il a dit qu’elle était une gestionnaire forte sur laquelle il pouvait toujours se fier. Elle agissait d’ailleurs comme directrice intérimaire en son absence. Parfois elle était dure avec le personnel et elle élevait la voix. Il a dit avoir discuté avec elle que ses capacités limitées de gestion du personnel pourraient nuire à sa progression de carrière. M. Stumpf a témoigné que le major-général Bertrand ne lui avait pas parlé ou ne l’avait pas consulté dans sa décision de rétrograder Mme Gauthier.

31 M. Deschênes a supervisé Mme Gauthier du 1er juin 2009 au 30 avril 2010. Il a dit qu’elle avait une grande compétence technique. Elle recherchait l’excellence et elle avait ses propres critères pour la définir. Il y avait des aspects de ses communications interpersonnelles qu’elle devait améliorer. Selon M. Deschênes, l’atmosphère de travail était difficile et les employés de Mme Gauthier se sentaient nerveux. Il avait des discussions fréquentes avec elle sur le sujet des communications avec les employés. M. Deschênes a témoigné que le major-général Bertrand ne l’avait pas consulté dans sa décision de rétrograder Mme Gauthier.

32 Le lieutenant-colonel Bouffard était un gestionnaire au même niveau organisationnel que Mme Gauthier. Toutefois, il a été directeur intérimaire de mai à juillet 2010 et, à ce titre, il a supervisé Mme Gauthier au cours de ces quelques semaines. Il a dit que Mme Gauthier avait un style de gestion direct et n’y allait pas par quatre chemins pour dire ce qu’elle voulait dire. Il n’a par contre pas été témoin de situations où elle a manqué de respect envers d’autres personnes. Le lieutenant-colonel Bouffard a témoigné que le major-général Bertrand aurait discuté avec lui avant de rétrograder Mme Gauthier. Il lui aurait demandé s’il était au courant des plaintes du sergent Villeneuve et du major Côté. Par contre, il a aussi témoigné qu’il n’était pas au courant que Mme Gauthier serait rétrogradée.

33 M. Hood a supervisé Mme Gauthier de la mi-juillet 2010 au 20 septembre 2011. Il a dit que ses habilités de gestion et de communications étaient très limitées. Il a cependant admis en contre-interrogatoire qu’il ne lui avait jamais fait part de ces faiblesses particulières ou de problèmes avec son rendement. Par contre, il lui a dit à quelques reprises qu’elle devrait respecter le personnel. M. Hood n’a jamais rédigé de rapport d’évaluation du rendement de Mme Gauthier car il attendait les résultats des enquêtes de harcèlement avant de le faire. M. Hood a témoigné que le major-général Bertrand l’avait consulté dans sa décision de rétrograder Mme Gauthier. Compte tenu des circonstances, il était d’avis que la décision de la rétrograder était la bonne.

34 De juin 2009 à août 2010, M. Rochette occupait le poste par la suite occupé par le major-général Bertrand. Il a souvent travaillé avec Mme Gauthier sur des dossiers, mais n’a jamais observé directement son style de gestion. Il a dit qu’elle était une employée exceptionnelle, consciencieuse et expérimentée. Il a donc voulu lui donner une chance à la suite des deux premières plaintes de harcèlement, a pris la moindre des mesures disciplinaires et a mis l’accent sur la formation. M. Rochette n’a jamais envisagé de rétrograder Mme Gauthier. M. Deschênes a témoigné que le major-général Bertrand ne l’avait pas consulté dans sa décision de rétrograder Mme Gauthier.

35 Mme Gauthier a témoigné qu’il y avait un fort taux de roulement de main-d’œuvre quand elle a été nommée au poste qu’elle occupait lors de sa rétrogradation. Il y avait aussi beaucoup de processus administratifs à mettre en place. De façon générale, elle a dit que les commentaires de ses supérieurs sur son rendement étaient très positifs. M. Hood l’encourageait à continuer dans la même direction. Ni lui ni personne d’autre ne lui avait dit qu’elle pourrait être rétrogradée. Elle a dit n’avoir jamais eu de rétroaction sur son rendement du major-général Bertrand. Elle l’a rencontré deux fois en 2010 pour lui faire signer des documents, mais n’a pas eu affaire à lui par la suite si ce n’est que de le saluer quand elle le rencontrait ou dans le cadre de la présente affaire.

36  Mme Gauthier a aussi témoigné qu’elle était exténuée à l’automne 2010 et qu’elle en a souvent parlé avec M. Hood. La direction lui avait même alors suggéré de prendre un congé de maladie, ce qu’elle n’a pas fait. En 2009 et 2010, ses parents octogénaires étaient tous deux malades. Sa mère a subi une intervention chirurgicale. Son père a été hospitalisé à de multiples reprises.

37 Les parties ont aussi déposé en preuve les politiques suivantes de l’employeur : Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail; Lignes directrices sur la prévention et la résolution du harcèlement; Lignes directrices concernant le licenciement ou la rétrogradation pour rendement insatisfaisant, le licenciement ou la rétrogradation pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, et le licenciement en cours de stage.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

38 L’employeur soutient que la décision de rétrograder Mme Gauthier fut une décision de nature administrative prise en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques (la « LGFP »). Compte tenu des faits de la présente affaire, il était raisonnable pour l’employeur d’estimer que le rendement de Mme Gauthier était insatisfaisant. Celle-ci n’avait pas les qualités interpersonnelles et les compétences pour superviser des employés. Malgré les efforts de l’employeur de lui offrir de la formation, Mme Gauthier a harcelé 4 employés à 12 occasions distinctes sur une période de deux années.

39 L’employeur rappelle toute la formation qui a été offerte à Mme Gauthier, les discussions fréquentes que ses superviseurs ont eues avec elle sur la façon de communiquer et sur ses relations interpersonnelles, ainsi que les rappels à cet égard dans ses évaluations du rendement.

40 À la suite de plaintes de harcèlement déposées par la lieutenant-colonel Chantal et la sergent Hudec, Mme Gauthier a reçu en mai 2010 une réprimande écrite relative à son comportement avec ses employés.

41 La situation ne s’est pas améliorée et de nouvelles plaintes de harcèlement ont été déposées contre Mme Gauthier. À la suite des enquêtes, il s’est avéré que les plaintes étaient fondées. L’employeur a alors décidé de rétrograder Mme Gauthier car, selon lui, elle n’a pas les qualités interpersonnelles et les compétences en gestion nécessaires pour superviser des employés.

42 Selon l’employeur, la mesure prise est une rétrogradation pour rendement insuffisant. Pour déterminer, comme le prétend Mme Gauthier, qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée, l’arbitre de grief doit examiner si la mesure est « une imposture ou un subterfuge ». Il importe de noter qu’une décision de l’employeur ne devient pas en soi disciplinaire pour la seule raison que les motifs sous-jacents à la décision soient liés de quelque manière à une inconduite ou un écart de comportement de l’employé.

43 Une décision de rétrograder un fonctionnaire manifestant des problèmes de qualités personnelles envers ses subordonnés n’est pas en soi une décision de nature disciplinaire. Aussi, la jurisprudence sur les renvois en cours de stage confirme qu’un tel renvoi en raison de problèmes de qualités interpersonnelles ou du harcèlement n’est pas en soi une décision de nature disciplinaire.

44 Aucune preuve n’a été présentée en l’espèce démontrant que les mesures prises par l’employeur étaient une imposture ou un subterfuge. La lettre de rétrogradation indique clairement qu’il s’agit d’une mesure administrative et que Mme Gauthier n’a pas les compétences requises pour occuper un poste de gestion.

45 La compétence d’un arbitre de grief dans les cas de rétrogradation pour rendement insuffisant est relativement limitée. Dès que l’arbitre de grief conclut que l’employeur a évalué le rendement du fonctionnaire de façon raisonnable, il a épuisé sa compétence. L’arbitre de grief n’a alors pas le mandat d’apprécier le caractère approprié de la mesure de rétrogradation. Le rôle de l’arbitre de grief est alors comparable à celui d’un tribunal supérieur en ce sens qu’il examine le caractère raisonnable de la décision. L’arbitre de grief doit se demander si la conclusion de l’employeur sur le rendement de l’employé est une conclusion possible acceptable à laquelle il pouvait arriver.

46 Mme Gauthier savait très bien ce qui était attendu d’elle en matière de relations interpersonnelles et de gestion des employés. Ses gestionnaires ont tous constaté des lacunes à ce chapitre et lui ont signalées ces lacunes. De plus, l’employeur lui a donné tous les outils pour s’améliorer en lui permettant de suivre plusieurs séances de formation. Mme Gauthier n’a pas été capable de mettre en pratique ce qu’on lui a enseigné et a été incapable de démontrer qu’elle possédait les compétences exigées d’un superviseur.

47 Le fardeau de prouver que la rétrogradation est une mesure disciplinaire appartient à Mme Gauthier. Dans l’éventualité où l’arbitre de grief déterminait que la rétrogradation était une mesure disciplinaire, l’employeur maintient que sa décision était justifiée. L’arbitre de grief devrait alors déterminer s’il y a eu inconduite, puis décider si la mesure imposée est excessive. Mme Gauthier a déjà admis qu’il y avait eu inconduite.

48 Si l’arbitre de grief s’en remet à la thèse de Mme Gauthier à savoir que la décision de l’employeur était disciplinaire, l’employeur était en droit d’imposer une rétrogradation permanente à cause de la sévérité de l’inconduite (harcèlement), du grand nombre d’incidents, du dossier disciplinaire de l’employée qui avait été réprimandée à la suite de trois incidents de harcèlement, du fait que Mme Gauthier était en position d’autorité, et parce qu’elle n’avait jamais reconnu son comportement répréhensible.

49 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Stevenson c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 89 ; Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.) ; Habib c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), dossier de la CRTFP no. 166-2-26634 (19960414) ; Ondo-Mvondo c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CRTFP 52 ; Ducharme c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 136 ; Parsons c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2012 CRTFP 5 ; Stamp c. Administrateur général (Conseil du Trésor), 2012 CRTFP 73 ; Raymond c. Conseil du Trésor, 2010 CRTFP 23 ; Plamondon c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2011 CRTFP 90 ; Mazerolle c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CRTFP 6 ; Reddy c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2012 CRTFP 94 ; Canada (Procureur général) c. Basra, 2010 CAF 24 ; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 110 ; MacArthur c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 90 ; Narayan c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 40 ; Shek v. Bank of Nova Scotia, [2001] C.L.A.D. No. 356 ; Phillips c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 67 ; Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) ; Maas et Turner c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123.

B. Pour Mme Gauthier

50 Mme Gauthier souligne d’entrée de jeu qu’elle est demeurée en poste et a continué à superviser du personnel pour une durée de 225 jours après le dépôt de la dernière plainte de harcèlement contre elle et 68 jours après la réception du rapport d’enquête.

51 Le 20 septembre 2011, au moment de la décision de la rétrograder, l’employeur n’a fait aucune évaluation du rendement de Mme Gauthier. Le major-général Bertrand a pris la décision seul sans consulter les directeurs qui étaient en mesure d’évaluer sa performance. Il ne s’est fié qu’aux rapports d’enquête. Pourtant, tous les rapports d’évaluation du rendement de Mme Gauthier indiquaient qu’elle satisfaisait à toutes les attentes de son poste. Qui plus est, Mme Gauthier n’a jamais été informée qu’elle risquait d’être rétrogradée si elle n’améliorait pas certains aspects de son rendement.

52 Il est clair que la décision de rétrograder Mme Gauthier est une mesure disciplinaire. L’employeur a invoqué qu’il n’avait pas de poste de FI-04 sans supervision pour Mme Gauthier. C’est faux. De plus, même s’il est vrai que l’employeur a aidé Mme Gauthier en lui offrant de la formation, il n’a pas examiné son comportement à la suite de la formation, mais plutôt avant la fin de la formation. En effet, aucun indicent de harcèlement n’a été rapporté à la suite de la formation de Mme Gauthier.

53  Ce qui est ici en jeu n’est pas la compétence de Mme Gauthier, mais des problèmes de comportement qu’on cherchait à corriger. La rétrogradation de Mme Gauthier est donc disciplinaire et non pas administrative. L’employeur n’a pas pris en compte qu’elle avait 14 ans de service sans sanction. La mesure était donc nettement excessive compte tenu de son caractère permanent.

54 À cause des façons de faire de l’employeur, Mme Gauthier est tombée malade. La décision de l’employeur a eu un impact majeur sur sa santé mentale et physique.

55 À titre de réparation, Mme Gauthier demande à l’arbitre de grief de révoquer la rétrogradation et d’ordonner à l’employeur de lui rembourser les pertes financières encourues, d’annuler la lettre du 20 septembre 2011, de lui rembourser ses congés de maladie, de lui offrir des excuses, de lui verser 10 000 $ à titre de dommages moraux, et d’évaluer les pertes de perspectives de carrière encourues et de lui rembourser ces pertes.

56 Mme Gauthier m’a renvoyé aux décisions suivantes : MacArthur; Raymond; Mazerolle; Plamondon; Spawn c. Agence Parcs Canada, 2004 CRTFP 25; Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70; Canada (Procureur général) c. Grover, 2007 CF 28.

IV. Motifs

57 Selon l’employeur, la décision de rétrograder de Mme Gauthier a été prise parce que cette dernière ne possédait pas les compétences requises pour occuper un poste de gestion. Il s’agirait donc d’une rétrogradation pour rendement insuffisant. Selon Mme Gauthier, la rétrogradation qui lui a été imposée est une mesure disciplinaire. Il s’agit de la première question que je dois trancher. Par la suite, j’examinerai, selon le cas, s’il était raisonnable pour l’employeur d’estimer que le rendement de Mme Gauthier était insuffisant ou encore, si la rétrogradation était une mesure disciplinaire appropriée compte tenu de la gravité de l’inconduite de Mme Gauthier et des autres facteurs à considérer.

58 Quelle que soit ma décision sur la première question, le grief peut être renvoyé à l’arbitrage selon les alinéas 209(1)b) ou c) de la Loi. Si je conclus au renvoi pour insuffisance du rendement, l’article 230 de la Loi doit aussi être considéré. Ces dispositions de la Loi se lisent ainsi :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire ;

230. L’arbitre de grief saisi d’un grief individuel portant sur le licenciement ou la rétrogradation pour rendement insuffisant d’un fonctionnaire de l’administration publique centrale ou d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe 209(3) doit décider que le licenciement ou la rétrogradation étaient motivés s’il conclut qu’il était raisonnable que l’administrateur général estime le rendement du fonctionnaire insuffisant.

A. S’agit-il d’une rétrogradation disciplinaire ou pour rendement insuffisant?

59 Ce n’est pas parce que l’employeur affirme qu’il a rétrogradé Mme Gauthier pour rendement insuffisant que je doive automatiquement adhérer à son explication. Je dois au préalable examiner les faits et le processus décisionnel qui a mené à la décision de l’employeur de rétrograder Mme Gauthier afin de déterminer s’il s’agit d’une rétrogradation pour rendement insuffisant, comme le prétend l’employeur, ou s’il s’agit plutôt d’une rétrogradation disciplinaire comme l’allègue Mme Gauthier. Même s’il s’agissait d’une question différente à celle que je me pose, la Cour suprême écrivait dans Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30 :

93 Ce n’est pas parce que M. Vaid prétend que ses droits fondamentaux ont été violés que sa cause est nécessairement du ressort de la Commission canadienne des droits de la personne étant donné qu’« il faut s’attacher non pas à la qualité juridique du tort, mais aux faits qui donnent naissance au litige » (Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, par. 49; St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. C. Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986] 1 R.C.S. 704, p. 721).

60 Analysons tout d’abord la preuve qui m’a été présentée sur les compétences et les performances de Mme Gauthier.

61 Mme Gauthier possède deux baccalauréats, le premier en administration, option ressources humaines et le second en comptabilité. Elle possède donc une formation universitaire de premier cycle portant en partie sur les ressources humaines. Qui plus est, elle est détentrice d’une maîtrise en administration publique. Enfin, elle a suivi plusieurs cours offerts ou payés par l’employeur dont certains portaient sur la gestion du personnel ou sur la prévention du harcèlement. A priori, Mme Gauthier est très bien formée. Cela ne garantit absolument pas sa compétence et un rendement acceptable. Toutefois, il me semble assez clair que Mme Gauthier est très bien formée dans le domaine particulier pour lequel l’employeur conclut qu’elle est incompétente.

62 Mme Gauthier a été promue au niveau FI-04 en 2003. Les parties ont déposé en preuve les évaluations de son rendement d’avril 2004 au 31 mars 2010. Pour chacune de ces évaluations du rendement, Mme Gauthier a satisfait à toutes les exigences de son poste selon les directeurs qui la supervisaient. De façon générale, chacune des évaluations comprenaient des commentaires forts positifs sur le rendement de Mme Gauthier. Les trois dernières évaluations du rendement portaient sur les fonctions occupées par Mme Gauthier au moment de sa rétrogradation. J’ai reproduit aux paragraphes 8, 9 et 10 de cette décision les commentaires particuliers de ces évaluations sur les questions de supervision du personnel. Ces commentaires sont beaucoup plus de nature favorable que défavorable. On n’y retrouve pas des commentaires qui pourraient laisser présager l’incompétence de Mme Gauthier ou un rendement déficient en matière de gestion du personnel même si M. Deschênes et M. Stumpf croient qu’un certain travail reste à faire de la part de Mme Gauthier pour peaufiner certains aspects de la gestion du personnel ou pour prendre en considération les besoins de chacun.

63 M. Stumpf, M. Deschênes, M. Hood et le lieutenant-colonel Bouffard ont tous supervisé Mme Gauthier dans les fonctions qu’elle occupait avant d’être rétrogradée. Pour sa part, M. Rochette l’a supervisé indirectement. Aucun d’entre eux n’a témoigné que Mme Gauthier ne possédait pas les compétences requises pour occuper un poste de gestion ou qu’elle démontrait un rendement insuffisant. Au plus, ils ont dit qu’elle devrait améliorer certaines dimensions de sa gestion du personnel, mais ils ont quand même, pour ceux qui l’ont fait, conclu à un rendement pleinement satisfaisant. Il y a là tout un écart avec une conclusion voulant que Mme Gauthier était incompétente.

64 Le major-général Bertrand a conclu que Mme Gauthier n’avait pas les compétences requises pour occuper des fonctions de gestion sur la base qu’elle avait harcelé des employés qui étaient sans sa direction. Il a témoigné qu’il avait pris cette décision seul sans consulter les superviseurs passés de Mme Gauthier. M. Stumpf, M. Deschênes, le lieutenant-colonel Bouffard et M. Rochette ont confirmé ne pas avoir été consulté. Par contre, M. Hood dit l’avoir été sans trop préciser comment. Il est possible que le major-général Bertrand ait discuté de sa décision avec M. Hood avant de la prendre, mais je crois le major-général Bertrand quand il dit avoir pris la décision seul de rétrograder Mme Gauthier sur la base des rapports d’enquête de harcèlement.

65 Ces rapports sont éloquents sur le comportement de Mme Gauthier à l’égard du major Côté et de M. Villeneuve. Mme Gauthier les a harcelés et a clairement manqué de respect envers eux en utilisant un ton inapproprié, déplacé et agressif, en s’adressant à eux en criant et en les offensant. Ces comportements déplacés ressemblent d’ailleurs à ceux que Mme Gauthier avait eu dans le passé à l’endroit de la lieutenant-colonel Chantal et de la sergent Hudec. De plus, les rapports d’enquête concluent que Mme Gauthier a aussi harcelé le major Côté en le privant d’une occasion d’agir temporairement dans un poste supérieur, en l’empêchant de participer à une rencontre à Calgary, en lui retirant des responsabilités et en négligeant de l’évaluer correctement.

66 Compte tenu du reste de la preuve, des évaluations du rendement de Mme Gauthier et des témoignages de ses superviseurs, s’agit-il là, pour l’employeur,  de questions de compétences déficientes ou d’un comportement déviant? En d’autres termes, est-ce que l’employeur a voulu corriger des gestes d’inconduite impliquant la responsabilité de Mme Gauthier ou est-ce qu’il était plutôt question d’actions indépendantes de sa volonté, pour lesquelles elle n’est pas coupable mais plutôt incompétente?

67 Les politiques du Conseil du Trésor et du ministère de la Défense nationale définissent le harcèlement comme « […] tout comportement inopportun et injurieux d’une personne envers une ou d’autres personnes en milieu de travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice [je souligne]». Le fait de crier, insulter, humilier ses subordonnés en les privant sciemment d’opportunités comme l’a fait Mme Gauthier relève beaucoup plus d’un comportement déviant volontaire que de l’incompétence. Les définitions en question laissent présager a priori que le harcèlement résulte d’un comportement volontaire visant à offenser, et non pas des compétences ou de l’incompétence de la personne qui en a harcelé d’autre. C’est d’ailleurs sur la base de cette définition et des concepts qu’elle comprend que l’enquêteur a conclu que Mme Gauthier avait harcelé ses subordonnés, et c’est sur la base des rapports de cet enquêteur, je me dois d’ajouter sur cette seule base que le major-général Bertrand a décidé de rétrograder Mme Gauthier.

68 À la suite du rapport d’enquête déposé le 2 février 2010 et concluant que Mme Gauthier avait harcelé deux subordonnés, M. Rochette lui a imposé une mesure disciplinaire, en l’occurrence une réprimande écrite. Il l’a avisée que d’autres mesures disciplinaires seraient prises en cas d’inconduite subséquente. Mme Gauthier a donc été avisée formellement que si elle ne corrigeait pas son comportement fautif, d’autres mesures disciplinaires seraient imposées.

69 Puis, surviennent les plaintes de harcèlement du major Côté et de M. Villeneuve qui entraînent ultimement deux rapports d’enquête déposés les 4 et 14 juillet 2011. Le 27 juillet 2011, le major-général Bertrand fait parvenir à Mme Gauthier une lettre intitulée : « Avis de convocation à une audition disciplinaire ». Dans cette lettre, il lui indique qu’il sera en mesure après la rencontre de décider si des mesures disciplinaires s’imposent. On a convenu de reporter cette réunion. Un nouvel avis de convocation a été envoyé le 1er septembre 2011, cette fois-ci avec la mention que la rencontre ne sera pas une audience disciplinaire.

70 La version des faits telle que relatée dans les documents de l’employeur semblerait laisser croire qu’entre le 27 juillet et le 1er septembre, l’employeur aurait changé d’idée et que, ce qui a toutes les apparences d’une démarche disciplinaire, est tout à coup devenu une question d’incompétence sur la seule base des rapports d’enquête, sans consultation des évaluations du rendement de Mme Gauthier ou des superviseurs qui l’avaient encadrée.

71 Comme la Cour fédérale d’appel le rappelle dans Basra, je dois me demander, à la lumière des faits qui m’ont été soumis, quelle était l’intention de l’employeur lorsqu’il a rendu sa décision de rétrograder Mme Gauthier. Chacun des faits pris seul ne suffirait pas pour me convaincre que l’intention de l’employeur de rétrograder Mme Gauthier était disciplinaire, mais une analyse de la somme de ces faits révèle une intention clairement disciplinaire.

72 Tout d’abord, l’employeur considérait le comportement déviant de Mme Gauthier. C’est pourquoi M. Rochette a décidé de la discipliner pour avoir harcelé deux subordonnés. C’est aussi la voie que le major-général Bertrand avait décidé de prendre lors de la convocation de juillet 2011 qu’il faisait parvenir à Mme Gauthier. Bien que le fardeau de la preuve repose sur Mme Gauthier de me prouver l’intention disciplinaire de l’employeur, ce dernier aurait dû à tout le moins me fournir une explication raisonnable pour motiver son changement de cap. Il ne m’a rien présenté de la sorte. Bien au contraire, le major-général Bertrand a conclu que Mme Gauthier n’avait pas les compétences pour occuper ses fonctions de gestion sans consulter ses superviseurs passés au sujet de son rendement, sans lire ou analyser ses rapports d’évaluation du rendement, et j’ajouterai sans même lui parler de ses problèmes de rendement. Dans un tel contexte, je conclus que Mme Gauthier a prouvé que l’intention de l’employeur n’était pas administrative mais bel et bien disciplinaire. Sa décision visait à punir Mme Gauthier à la suite de son comportement qu’il jugeait, à juste titre, inacceptable. Il n’avait d’ailleurs pas en main les éléments qui lui auraient permis de rétrograder Mme Gauthier pour rendement insatisfaisant.

73 L’employeur m’a renvoyé à plusieurs décisions impliquant des renvois en cours de stage ou des fins d’emploi pour des motifs administratifs pour lesquels l’arbitre de grief n’avait pas compétence. La question ici n’est pas de savoir si j’ai la compétence pour trancher le grief, mais plutôt de déterminer quelle disposition particulière de la Loi me donne la compétence. Quoiqu’il en soi, même si je m’en remettais à cette logique, je conclurais quand même que l’intention de l’employeur était disciplinaire.

74 Dans les cas de renvoi en cours de stage par exemple, une fois qu’il a été établi que l’employé était en stage et que l’employeur, de bonne foi, estimait que l’employé ne possédait pas les qualités requises pour occuper l’emploi, l’arbitre de grief n’a pas la compétence pour décider du grief (voir Penner) à moins que la décision de l’employeur ne soit une imposture, un subterfuge ou un camouflage.

75 Loin de moi l’idée de conclure que la décision de l’employeur est une imposture. Néanmoins, la preuve prépondérante m’amène à croire que la décision de rétrograder Mme Gauthier pour des motifs de rendement cache des intentions disciplinaires en modifiant les apparences (camouflage) et en utilisant un moyen habile et détourné (subterfuge) pour qualifier d’incompétence ce qui, au départ, était pour l’employeur un comportement déviant volontaire. Je ne veux absolument pas faire un procès d’intention à l’employeur en concluant qu’il y avait ici une intention de tromper, mais en bout de ligne, c’est ce qu’on a fait.

76 Sur la base de la jurisprudence sur les renvois en cours de stage, l’employeur a argumenté que des problèmes de qualités interpersonnelles d’un superviseur envers ses subordonnés peuvent mener à des mesures disciplinaires mais que de tels manquements ne sont pas nécessairement des motifs de mesures disciplinaires. Je suis d’accord avec l’employeur. Cependant, dans le cas présent, les rapports d’évaluation du rendement confirmaient, année après année, que Mme Gauthier satisfaisait aux exigences de son poste. Je ne rejette pas d’emblée qu’il soit impossible de conclure que Mme Gauthier ne satisfaisait plus aux exigences de son poste, mais certainement pas sur la base des faits qui m’ont été présentés.

77  L’employeur m’a renvoyé entre autres à Habib. Dans cette affaire, l’arbitre a conclu que l’employeur avait eu raison de rétrograder le fonctionnaire pour son mauvais rendement en supervision du personnel. Certes, un certain parallèle peut être établi avec le présent cas, mais la comparaison s’arrête là. Contrairement au présent cas, dans Habib, l’employeur avait démontré que le fonctionnaire ne possédait pas les capacités pour exercer des fonctions de supervision en lui indiquant au préalable que son rendement était insatisfaisant et en basant sa décision sur l’évaluation du rendement où on lui avait attribué une cote globale d’insatisfaction. Ce n’est pas le cas de Mme Gauthier qui a toujours eu des évaluations du rendement pleinement satisfaisante.

78 L’employeur m’a aussi renvoyé à Raymond, Plamondon, Mazerolle et Reddy qui sont tous des cas de rétrogradation ou de renvoi pour rendement insatisfaisant. J’ai déjà conclu que le présent cas est une rétrogradation disciplinaire. Ceci dit, je me permettrai d’ajouter que les faits dans ces cas sont bien différents de ceux du présent cas. Dans Raymond, la fonctionnaire avait eu deux rapports successifs d’évaluation du rendement avec une cote d’insatisfaction. Dans Plamondon, sur une période de près de cinq années, l’employeur avait noté des problèmes avec le rendement du fonctionnaire et lui en avait fait part sur une base régulière. Dans Mazerolle, l’employeur avait évalué de façon formelle le rendement du fonctionnaire à 15 reprises sur une période de 4 ans et avait souligné les lacunes du fonctionnaire à maintes reprises. Dans Reddy, le fonctionnaire avait reçu une évaluation du rendement très négative avant le licenciement pour rendement insuffisant. De plus, l’employeur l’avait rencontré plus d’une soixantaine de fois pour discuter de ses lacunes dans l’année qui avait précédé son licenciement.

B. La mesure disciplinaire était-elle justifiée et excessive?

79 Compte tenu du comportement fautif de Mme Gauthier, je n’ai aucun doute que l’employeur était en droit d’imposer une mesure disciplinaire contre elle. La preuve démontre qu’elle a harcelé ses subordonnés et cela justifie que l’employeur l’ait disciplinée. Comme mentionné précédemment, Mme Gauthier a eu un comportement inopportun et injurieux envers ses subordonnés. En exerçant son autorité de gestionnaire, elle a crié, insulté, humilié ses subordonnés et les a privés sciemment d’opportunités. Lors de l’arbitrage, Mme Gauthier n’a d’ailleurs pas contesté qu’elle avait harcelé des subordonnés. Reste donc à voir si la mesure disciplinaire imposée, c’est-à-dire la rétrogradation, est excessive.

80 L’employeur m’a renvoyé à quelques décisions disciplinaires. Dans Narayan, un vérificateur d’impôt a été congédié pour avoir accepté des pots de vin de contribuables. L’employeur a prouvé l’inconduite alléguée et l’arbitre de grief a maintenu le congédiement. Dans Shek, l’arbitre a maintenu le congédiement d’un directeur de succursale bancaire qui s’était placé dans une situation de conflit d’intérêts en faisant des affaire personnelles avec un client et en harcelant du personnel. Dans Philips, l’arbitre de grief a maintenu le congédiement d’un employé qui a récidivé au sujet des mêmes infractions pour lesquelles il avait auparavant été suspendu à plusieurs reprises, la dernière fois étant pour une période de 20 jours. La gravité de l’inconduite et les circonstances de chacun des cas sont différentes du présent cas. Mme Gauthier n’a jamais été en conflit d’intérêts ou accepté de pots de vin. Elle a été disciplinée une seule fois avant la rétrogradation, et il s’agissait d’une mesure disciplinaire mineure, soit une lettre de réprimande.

81 Les parties m’ont renvoyé à deux décisions d’arbitres de grief de la Commission portant sur des rétrogradations disciplinaires permanentes. Dans les deux cas, les arbitres de grief ont accueilli les griefs en partie en changeant les rétrogradations permanentes en une rétrogradation temporaire. Dans MacArthur, le fonctionnaire, un agent des services frontaliers, avait été rétrogradé comme commis après avoir causé, en dehors des heures de travail, un accident impliquant des blessés graves alors qu’il était en état d’ébriété et qu’il avait fui la scène de l’accident. L’arbitre de grief a annulé la rétrogradation permanente car il était d’avis que le fonctionnaire avait appris sa leçon. Dans Spawn, le fonctionnaire, un superviseur, a été rétrogradé parce qu’il avait pris indûment de l’essence appartenant à l’employeur. L’arbitre de grief a annulé la rétrogradation permanente car elle croyait que la peine était trop sévère car les comportements en question étaient survenus dans une période de grand stress pour le fonctionnaire.

82 Autant dans MacArthur que dans Spawn, les arbitres de grief ont exprimé des réserves sur l’utilisation de la rétrogradation permanente comme mesure disciplinaire. L’arbitre de grief dans Spawn a écrit qu’au plan de la sévérité, une telle mesure s’apparente à un congédiement. L’arbitre de grief dans MacArthur abonde dans le même sens. Selon lui, une telle rétrogradation ne devrait être imposée que dans des circonstances exceptionnelles. Les paragraphes 122 et 123 de sa décision me semblent des plus pertinents :

[122] La décision qui fait jurisprudence dans le domaine des rétrogradations pour motifs disciplinaires m’a été citée par le fonctionnaire. Dans Air Canada, l’éminent arbitre avait ceci à dire sur les rétrogradations :

[Traduction]

[…]

[…] Si la rétrogradation doit servir de sanction, elle doit être imposée avec des limites précises et ne pas avoir pour effet de mettre le fonctionnaire s’estimant lésé dans la même position que tout autre employé cherchant à obtenir une promotion pour l’ancien poste du fonctionnaire s’estimant lésé rétrogradé. Pour que la sanction qu’est la rétrogradation soit équitable, l’employé doit savoir que la « souffrance » causée par la rétrogradation est temporaire et qu’il lui sera possible de retrouver son ancien poste à un moment plus ou moins précis, à condition d’avoir un comportement acceptable.

[…]

[123] Je suis arrivé à la conclusion que la rétrogradation pour motifs disciplinaires est un outil dans l’arsenal de l’employeur. Bien que cette partie ait été officialisée avec la modification de la LGFP, pour servir à leur fin, les rétrogradations devraient être temporaires, sauf dans les circonstances les plus exceptionnelles. À mon avis, la raison de la nature temporaire des rétrogradations est compatible avec la nature corrective fondamentale qui entoure le principe bien accepté de la discipline progressive.

83 L’inconduite de Mme Gauthier est grave et est constituée de gestes répétés de harcèlement à l’endroit de deux employés. Le fait que ces employés étaient des subordonnés de Mme Gauthier est certainement une circonstance aggravante. De plus, il ne s’agissait pas d’une première infraction, car Mme Gauthier avait reçu une réprimande écrite en mai 2010 à la suite d’autres plaintes de harcèlement.

84 En contrepartie, l’employeur n’a pas vraiment respecté le principe de la gradation des sanctions en passant directement d’une mesure mineure, soit une lettre de réprimande, à une mesure extrême et permanente. Certes, le comportement de Mme Gauthier justifiait une sanction importante mais, à mon avis, pas une sanction de nature permanente comme celle qui a été imposée. Qui plus est, l’employeur n’a pas tenu compte des circonstances personnelles dans lesquelles Mme Gauthier se trouvait relativement à ses parents et à sa santé. Même si cela importe peu pour ma décision, je note que l’employeur ne lui a même pas demandé s’il y avait des raisons personnelles pour expliquer son comportement. De telles circonstances ne justifient pas l’inconduite de Mme Gauthier, mais peuvent peut-être l’expliquer en partie. Enfin, l’employeur n’a pas tenu compte non plus que l’incident de harcèlement impliquant M. Villeneuve s’est produit le 25 février 2010 et un des incidents impliquant le major Côté s’est produit en 2009, soit avant que Mme Gauthier ne reçoive une réprimande écrite et ne puisse corriger son comportement fautif.

85 C’est donc dire que la sévérité de la mesure disciplinaire doit être estimée en ne tenant compte que du harcèlement que Mme Gauthier a fait subir au major Côté. Il est évidemment de mise de ne pas tenir compte des incidents impliquant la lieutenant-colonel Chantal et la sergent Hudec, car Mme Gauthier a déjà été disciplinée et elle ne peut l’être deux fois pour les mêmes incidents.

86 Dans MacArthur, l’arbitre de grief a donné six semaines à l’employeur pour réintégrer le fonctionnaire à son ancien niveau. La rétrogradation permanente a été remplacée par une rétrogradation qui aura duré 30 mois au total. Dans Spawn, l’arbitre de grief a donné trois semaines à l’employeur pour réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésée à son ancien niveau. La rétrogradation permanente a été remplacée par une rétrogradation qui aura duré 31 mois au total.

87 En l’espèce, rien ne justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire de nature permanente. L’employeur aurait plutôt dû imposer une mesure disciplinaire temporaire qui respecte les principes de la discipline progressive et qui permet à la fonctionnaire de corriger son comportement fautif. Compte tenu de la gravité de l’inconduite une suspension de longue durée, à savoir de plusieurs semaines, ou encore une rétrogradation de longue durée s’impose.

88 À la lumière de la preuve présentée, de l’analyse que j’en ai fait, de la jurisprudence en matière disciplinaire et de celle plus particulière sur les rétrogradations, j’en conclus que Mme Gauthier devrait être rétrogradée temporairement pour une période de 24 mois se terminant le 20 septembre 2013. À compter du lundi qui suit cette date, l’employeur devra lui redonner un poste de niveau FI-04 dans la région de la capitale nationale. Certes, le fait de harceler un employé à plusieurs reprises constitue une inconduite grave, mais cette faute est moindre que de voler son employeur ou de commettre des gestes de nature criminelle en-dehors des heures de travail, comme ce fut le cas dans Spawn ou dans MacArthur.

89 Selon la convention collective applicable, la perte salariale encourue par la rétrogradation de FI-04 à FI-03 est approximativement de 1 000 $ par mois et le salaire mensuel moyen d’un FI-04 entre septembre 2011 et septembre 2013 est approximativement de 9 000 $ par mois. C’est donc dire que la perte salariale d’une rétrogradation temporaire de 24 mois, soit 24 000 $ équivaut approximativement à une suspension sans paye de deux mois et deux tiers, ce qu’on peut qualifier de suspension de longue durée, généralement imposée dans des cas d’inconduite grave. Une telle mesure disciplinaire me semble suffire compte tenu que la première mesure imposée était une réprimande écrite.

90 Mme Gauthier m’a demandé de révoquer la rétrogradation et d’ordonner à l’employeur de lui rembourser les pertes financières encourues, d’annuler la lettre du 20 septembre 2011, de lui rembourser ses congés de maladie, de lui offrir des excuses, de lui verser 10 000 $ à titre de dommages moraux, et d’évaluer les pertes de perspectives de carrière encourues et de lui rembourser ces pertes. Exception faite de l’annulation de la rétrogradation à compter du 23 septembre 2013, je ne suis pas disposé à lui accorder ce qu’elle demande. Elle a eu un comportement inacceptable.

91 Même si j’ai conclu que la mesure imposée était trop sévère, je ne crois pas que l’employeur devrait compenser Mme Gauthier pour les conséquences négatives qu’a eu sur elle cette rétrogradation tout à fait méritée de 24 mois. Elle doit assumer elle-même les conséquences de son propre comportement inacceptable. Je n’ai reçu aucune preuve médicale ou objective pour établir que l’employeur a causé la maladie de Mme Gauthier. Dans les circonstances, je ne suis pas disposé à l’en tenir responsable. Quant à la lettre d’excuse et aux dommages, je ne suis pas disposé non plus à les inclure dans mon ordonnance. Il s’agit de mesures punitives envers l’employeur et ses actions ne justifient certainement pas que de telles sanctions lui soient imposées.  

92 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

93 Le grief est accueilli en partie.

94 L’employeur doit réintégrer Mme Gauthier dans un poste de FI-04 dans la région de la capitale nationale à compter du 23 septembre 2013.

95 Je demeure saisi du grief pour une période de 90 jours pour intervenir au besoin sur la mise en œuvre de ma décision.

Le 2 août 2013.

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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