Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Sans préavis ni représentation, la fonctionnaire s’estimant lésée a été convoquée à une [traduction] <<audience disciplinaire de niveau 2>>, lors de laquelle des accusations lui ont été adressées concernant son style de gestion et où elle a été avisée qu’elle serait mutée - la fonctionnaire s’estimant lésée a porté plainte - le rapport d’enquête a rejeté plusieurs de ses allégations, mais a conclu que l’allégation selon laquelle l’audience était de nature disciplinaire était fondée - l’employeur a rejeté cette conclusion - la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé son grief, mais n’a pas mentionné explicitement la question de la mesure disciplinaire - la fonctionnaire s’estimant lésée a affirmé que son grief touchait à toutes les circonstances et à toutes les questions entourant la perte de son poste, y compris le fait d'avoir été injustement soumise à des mesures disciplinaires et mutée sans son consentement, ce qui a entraîné des sanctions pécuniaires sous forme de perte de salaire, de refus d’augmentations salariales, de perte du droit à la rémunération au rendement, de la diminution de sa cotisation au régime de retraite et de la perte de congés de maladie, et lui a occasionné des dépenses médicales - l’employeur a soulevé plusieurs objections quant à la compétence de l’arbitre de grief pour entendre le grief - selon lui, aucune mesure disciplinaire n’a été imposée à la fonctionnaire s’estimant lésée; de plus, il a fait valoir qu’en tant qu’employeur distinct, il n’était pas assujetti à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique - il a aussi allégué que la fonctionnaire s’estimant lésée avait enfreint le principe énoncé dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1C.F.109 (C.A.) et que le grief n’avait pas été présenté dans les délais prescrits - l’arbitre de grief a conclu que, bien que le grief ne fasse pas explicitement mention de mesures disciplinaires, la plainte originale déposée par la fonctionnaire s’estimant lésée mentionnait clairement ce qu’elle considérait comme étant le contexte disciplinaire de la rencontre, et le rapport d’enquête mentionnait aussi l'insubordination et les mesures disciplinaires - le renvoi à l’arbitrage n’allait pas à l’encontre du principe Burchill - le grief ne peut être rejeté au motif du non-respect des délais, car l’employeur n’a soulevé cette objection pour la première fois qu’au début de l’audience - l’employeur n’a pas respecté l’article 95 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, ayant soulevé son objection trop tard - l’arbitre de grief a soutenu que les mesures de l'employeur n'étaient pas de nature administrative et qu’elles visaient à punir la fonctionnaire s’estimant lésée - l'acte de retirer la fonctionnaire s’estimant lésée de son poste était une mesure disciplinaire ayant entraîné des sanctions pécuniaires - l’arbitre de grief a rejeté la demande de l’employeur de mettre sous scellés le rapport d’enquête, car l’intérêt public l’emporte sur les renseignements personnels que l’employeur tente de protéger - jusqu’à l’audience sur le fond de l’affaire, le rapport sera caviardé de manière à cacher le nom des tiers non impliqués dans le grief - la question sera réévaluée lors de l’audience sur le fond - l’arbitre de grief a compétence pour entendre le grief sur le fond, et l’affaire sera mise au rôle d’audience. bjection préliminaire rejetée; compétence assumée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-06-03
  • Dossier:  566-34-5956
  • Référence:  2013 CRTFP 64

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SUSAN MCMULLEN

fonctionnaire s'estimant lésée

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
McMullen c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
David Olsen, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
M. James McMahon, avocat

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 17 au 19 décembre 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le 23 juillet 2010, l’avocat représentant Susan McMullen, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a écrit au commissaire de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC » ou l’« employeur » ou l’« Agence ») et a joint un grief daté du 20 juillet 2010 contestant le rapport final sur l’allégation de harcèlement de sa cliente qui lui a été envoyé le 30 juin 2010.

2 La lettre décrivait la nature du grief en partie de la manière suivante :

[Traduction]

[…]

Par la présente, je conteste le rapport final de l’ancien sous-commissaire, George Arsenijevic, sur le harcèlement dont a été victime ma cliente, Mme Susan McMullen […], ainsi que le déroulement de l’enquête.

[…]

3 Mme McMullen conteste le déroulement de l’enquête et le rapport définitif, [traduction] « notamment, mais sans s’y limiter, la description, l’enquête, l’analyse, les conclusions, les décisions et les mesures » de la plainte de harcèlement du 28 juillet 2008, dans laquelle elle a allégué que MM. Cloutier et Bouchard l’ont harcelée séparément et collectivement. Voici un extrait des mesures correctives demandées :

[Traduction]

  • Qu’une enquête complète et exhaustive soit réalisée par une partie tierce indépendante sur les allégations de la plaignante; les déclarations des défendeurs et des témoins; les éléments de preuve; la méthodologie, l’analyse et les conclusions de l’enquêteur; les conclusions du sous-commissaire; la décision du sous-commissaire sur la plainte de harcèlement ;
  • Que des preuves additionnelles ou supplémentaires soient recueillies, évaluées et incluses dans l’enquête;
  • Qu’une enquête complète et exhaustive soit réalisée par une partie tierce indépendante en ce qui concerne les allégations de délais délibérés de l’employeur et le parti pris important et envahissant de la part de l’enquêteur;

[…]

4 Il s’en est suivi quelque 20 demandes supplémentaires de réparation découlant du préjudice grave subi par Mme McMullen en ce qui concerne sa santé, sa réputation, sa carrière et ses finances.

5 Le 1er juin 2011, la réponse à ce grief a été apportée par Cheryl-Ann Fraser, sous-commissaire, Direction des ressources humaines, Agence du revenu du Canada. Le grief a été rejeté. La réponse se lit en partie comme suit :

[Traduction]

Par la présente, nous répondons à votre grief, dans lequel vous contestez le traitement de vos trois plaintes de harcèlement déposées le 28 juillet 2008 ainsi que les recommandations formulées et les décisions prises dans les trois rapports finaux sur le harcèlement rédigés par Duff Friesen; tous datés du 30 avril 2010.

[…]

À la suite de mon examen, je suis convaincue que la direction a répondu avec diligence à vos allégations de harcèlement et les a soumises à une enquête menée par un cabinet extérieur reconnu qui se spécialise dans les enquêtes relatives aux plaintes de harcèlement. En outre, je suis convaincue que la décision de M. Arsenijevic était raisonnable, compte tenu des circonstances, et qu’elle relevait de ses compétences à titre d’agent responsable désigné en vertu de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement en milieu de travail de l’Agence du revenu du Canada pour la Direction générale des services de cotisation et des prestations.

[…]

6 Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 4 août 2011 en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui traite des mesures disciplinaires entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire, et du sous-alinéa 209(1)c)(ii), qui régit la mutation d’un employé dans l’administration publique centrale en vertu de la Loi sur l’emploi de la fonction publique sans le consentement de l’employé alors que celui-ci est nécessaire.

7 Le 20 septembre 2011, en réponse à une demande de clarification de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») datée du 18 août 2011, l’avocat de la fonctionnaire a écrit à la Commission, fournissant des détails supplémentaires sur le grief de Mme McMullen portant sur l’alinéa 209(1)b) de la manière suivante :

[Traduction]

Sans donner de motif ni d’avis, et sans demander de consentement, l’employeur a retiré Mme McMullen de son poste en mai 2008 et a annoncé à son personnel avant de le lui faire savoir qu’elle allait travailler sur un projet. En réalité, nous avons obtenu et avons fourni à l’employeur des éléments de preuve démontrant qu’un tel poste n’existait pas. La mutation de Mme McMullen nécessitait son consentement, qui n’a été ni demandé ni accordé. De plus, le fait qu’on ait retiré Mme McMullen de son poste de direction a entraîné des sanctions pécuniaires comprenant la baisse de son salaire, le refus des augmentations salariales rétroactives de la convention collective pertinente, la perte du droit à la rémunération au rendement qui s’élève jusqu’à 5 %, et la diminution de sa cotisation au régime des retraites et de ses congés de maladie ainsi que de ses crédits de congé. Il convient de noter que la révocation de la qualité de gestionnaire exclu s’est faite sans préavis et qu’une telle révocation a été appliquée rétroactivement, entraînant la révision de son salaire, la révision de ses relevés T4, que l’employeur n’a pas expliquée, et des redressements fiscaux. De plus, l’employeur a refusé ou manqué à sa responsabilité de réaliser une évaluation de rendement appropriée pour Mme McMullen pour la période du 1er avril 2007 au 31 mars 2008, la privant d’une rémunération au rendement allant jusqu’à 5 %, pour laquelle elle était admissible pour cette période. Enfin, le manquement ou le refus de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de Mme McMullen entre janvier et juillet 2010 lui a coûté 30 % de son salaire pour cette période, et lui a fait perdre le temps qu’il lui fallait pour se réadapter, ce qui a engendré des pertes financières supplémentaires durant la période d’octobre et de novembre 2010.

Merci de prendre en considération cette clarification supplémentaire en ce qui concerne les raisons pour lesquelles les mesures prises par l’ARC ont débouché sur des mesures disciplinaires, ou plus exactement, des « mesures disciplinaires déguisées ».

8 Le 19 octobre 2011, le directeur, négociations collectives, interprétation et recours, de la direction des relations en milieu de travail et de la rémunération de la direction générale des ressources humaines de l’ARC a écrit à la Commission, affirmant, en partie, ce qui suit :

[Traduction]

L’employeur fait respectueusement valoir que la Commission des relations de travail de la fonction publique (CRTFP) n’a pas compétence pour instruire et trancher cette affaire en vertu de l’article 209, pour les raisons exprimées dans les paragraphes suivants.

Premièrement, l’article 209 de la LRTFP reconnaît que dans le cas d’un employeur distinct, seule une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire peut être renvoyée à l’arbitrage. Dans la formule 21, la fonctionnaire a indiqué que l’affaire était renvoyée en vertu de la disposition de l’alinéa 209(1)b), traitant des mesures disciplinaires entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire. Aucune mesure disciplinaire n’a été imposée à la fonctionnaire.

Deuxièmement, l’Agence du revenu du Canada (ARC) ne fait pas partie de l’administration publique centrale et ne relève pas de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. L’ARC est un employeur distinct et par conséquent la fonctionnaire ne peut pas renvoyer son grief à la CRTFP en vertu des dispositions du sous-alinéa 209(1)c)(ii).

9 Le 2 novembre 2011, l’avocat de la fonctionnaire a répondu à l’objection relative à la compétence de la manière suivante :

[Traduction]

  1. Aucune mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire n’a été imposée à Mme McMullen;
  2. L’employeur ne relève pas de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;
  3. ma lettre du 20 septembre 2011 renvoie aux sous-alinéas 209(1)b), (i)(ii) et l’employeur affirme que ces sous-alinéas n’existent pas.

En ce qui concerne la question 1, je vais rappeler les faits. Le 28 mai 2008, Mme McMullen a été retirée de son poste par les directeurs Clément Bouchard et Michel Cloutier. Par la suite, l’ARC a refusé ou n’a pas été en mesure de réaliser une évaluation exacte et impartiale du rendement de ma cliente pour le cycle 2007-2008 et de lui payer la prime au rendement connexe à laquelle elle avait droit. Des sanctions pécuniaires supplémentaires se sont ensuivies; la révocation de la qualité de gestionnaire exclu, qui l’a rendue inadmissible pour une rémunération au rendement supplémentaire et qui a mis à sa charge le paiement des cotisations syndicales; la diminution de son salaire le 22 décembre 2008; l’exigence qu’elle passe à travers dix niveaux d’augmentations salariales dans une catégorie qui n’est composée que de 9 niveaux; une diminution supplémentaire de son salaire en vertu de l’application d’une politique arbitraire de l’ARC s’accompagnant du refus de lui accorder des augmentations salariales rétroactives fondées sur le niveau auquel se trouvait son salaire immédiatement avant l’augmentation; l’incapacité de la réintégrer à un poste exclu pour les trois premiers mois qui ont suivi son retour sur le lieu de travail en juillet 2010; le refus ou l’incapacité de l’ARC de prendre des mesures d’adaptation entraînant la perte de 30 % de son salaire de janvier à juillet 2010 et des pertes financières supplémentaires en octobre et en novembre 2010 dues à l’insuffisance du temps de réadaptation.

Avec tout le respect que je dois aux fonctionnaires de l’ARC, la mesure qui a été prise d’écarter ma cliente de son poste était une mesure disciplinaire déguisée. Je tiens à préciser qu’ils ne contestent pas qu’une mesure a été prise, et c’est cette mesure qui a entraîné les sanctions pécuniaires ainsi que bien d’autres éléments qui ont causé du tort à ma cliente. Malgré les éléments de preuves et les conclusions de l’enquêteur engagé par l’ARC démontrant que les actions des directeurs Bouchard et Cloutier de retirer Mme McMullen de son poste constituaient un cas de harcèlement, notamment à travers les menaces et les abus de pouvoir de gestion, l’ARC a « décidé » qu’elle n’avait pas été victime de harcèlement. Même le témoin expert des ressources humaines de l’ARC a indiqué dans son témoignage que le fait de la retirer de son poste n’aurait pas pu s’inscrire dans le cadre de la gestion du rendement, car ni les directeurs Bouchard et Cloutier ni tout autre fonctionnaire de l’ARC n’étaient en mesure de produire la moindre preuve à l’appui de cette allégation. Le fait non contesté est que ma cliente a été retirée de son poste. Elle a non seulement subi de nombreuses sanctions pécuniaires et de pertes financières en conséquence, mais elle a également été informée par les directeurs Bouchard et Cloutier au début de la réunion du 28 mai 2008 qu’elle se trouvait à une « audience disciplinaire de niveau 2 ». Ainsi, il faut inévitablement conclure qu’une mesure disciplinaire a été imposée à Mme McMullen et que, l’alinéa 209(1)b) s’applique […]

10 Le 15 novembre 2011, le directeur des négociations collectives de l’ARC a répondu en partie de la manière suivante :

[Traduction]

[…] la position de l’employeur est que la décision administrative de retirer Mme McMullen de son poste ne constituait pas une mesure disciplinaire. L’employeur a le droit de gérer le lieu de travail, ce qui comprend l’affectation des ressources, l’établissement des attentes en matière de rendement et la définition de ses exigences en ce qui concerne les ressources humaines.

11 Le 22 novembre 2011, l’avocat de la fonctionnaire a répondu à l’argument avancé par l’ARC selon lequel Mme McMullen n’avait pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Il a en partie affirmé ce qui suit :

[Traduction]

Compte tenu du fait qu’un compte rendu détaillé des éléments de preuve de Mme McMullen est entre les mains de l’ARC depuis plus d’un an et contient de nombreux renvois probants démontrant l’existence de mesures correctives de ses anciens superviseurs, il n’est pas concevable qu’ils continuent à soutenir leur position aveuglément.

Pour le moment, j’ai simplement joint les pages 104 à 110 du rapport d’enquête, qui traite précisément des questions qui vous ont été présentées. L’enquêteur a conclu que les politiques et les procédures n’ont pas été respectées par les superviseurs de Mme McMullen. L’enquêteur Friesen déclare précisément dans la dernière phrase de l’avant-dernier paragraphe à la page 108 de son rapport que les mesures de MM. Cloutier et Bouchard étaient de « nature punitive ».

12 Le 25 novembre 2011, la Commission a renvoyé l’affaire à un arbitre de grief pour instruction.

13 Le 27 août 2012, l’avocate de l’employeur a écrit à la Commission, l’informant de l’objection relative à la compétence formulée par l’employeur en vertu du principe énoncé dans Burchill. Ce principe établit fondamentalement que la fonctionnaire ne peut pas renvoyer un grief nouveau ou différent à l’arbitrage et que c’est seulement le grief déposé tel quel qui peut être renvoyé à l’arbitrage.

14 Le 17 décembre 2012, au début de l’audience, l’avocate de l’employeur a fait un compte rendu de l’objection quant à la compétence d’un arbitre de grief pour instruire cette affaire en se fondant sur le principe énoncé dans Burchill. De plus, l’avocate a affirmé que le grief avait été déposé après le délai prescrit et que, par conséquent, je n’avais pas compétence pour instruire cette affaire pour ce motif également.

15 Après avoir entendu les exposés préliminaires des deux parties, l’avocat a cité la fonctionnaire à témoigner en vue d’établir ma compétence pour instruire ce grief au motif qu’une mesure disciplinaire a été imposée à la fonctionnaire.

II. Résumé de la preuve

A. Susan McMullen

16 Mme McMullen travaille pour le gouvernement fédéral depuis 23 ans. Ces 20 dernières années, elle a été employée par l’Agence du revenu du Canada, au siège social, dans la Direction générale des services de cotisation et de prestations.

17 Plus précisément, elle a travaillé dans les programmes d’observation relatifs à la politique et à la législation. Elle a déjà travaillé dans les bureaux de district d’impôt dans le domaine du recouvrement ainsi que dans les centres fiscaux.

18 En juin 2002, elle a été nommée au poste de gestionnaire, législation et liaison avec les partenaires, direction des services de cotisation et de prestations. La mission de ce service chargé de la politique législative était de demander et d’interpréter des avis juridiques.

19 On lui a demandé de raconter ce qui lui était arrivé le 28 mai 2008. Elle a indiqué dans son témoignage qu’elle s’était absentée de son lieu de travail avant le 28 mai pour cause de maladie. Elle a avisé son bureau qu’elle se rendrait au travail à midi le 28 mai et tenterait de travailler une demi-journée.

20 Peu après être arrivé au travail, M. Bouchard, son nouveau directeur, est entré dans son bureau et a fermé la porte. Mme McMullen lui a dit qu’elle était malade et qu’elle souhaitait rentrer chez elle.

21 M. Bouchard a déclaré qu’il souhaitait qu’elle reste jusqu’à la fin de la journée pour le rencontrer ainsi que M. Cloutier, son ancien directeur. Sa participation à la réunion n’était pas facultative.

22 Une réunion a eu lieu à environ trois heures. M. Bouchard, M. Cloutier et Mme McMullen étaient présents. La réunion s’est tenue à huis clos.

23 Mme McMullen a souligné dans son témoignage que M. Cloutier avait annoncé qu’elle se trouvait à une audience disciplinaire de niveau II. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas reçu d’avis de convocation à l’audience disciplinaire.

24 On lui a demandé si elle comprenait ce qu’était une audience disciplinaire de niveau II. Elle a répondu, [traduction] « Non ». Elle a indiqué dans son témoignage que M. Cloutier lui avait dit de manière agressive qu’elle pourrait faire des recherches par elle-même lorsque la réunion serait finie.

25 M. Cloutier a commencé à critiquer la manière dont elle gérait son personnel.

26 Mme McMullen a répété qu’elle était malade. Elle a alors demandé un représentant. On l’a informée que l’adjoint administratif de M. Cloutier pourrait jouer le rôle de représentant. Mme McMullen a demandé à être représentée par un autre gestionnaire, un pair. On lui a fait savoir que l’autre gestionnaire était déjà rentré chez lui.

27 M. Cloutier a lancé un certain nombre d’accusations, notamment une plainte selon laquelle elle avait mis sur la sellette un employé lors d’une réunion sur le rendement. Mme McMullen a nié cette accusation.

28 Il a également été allégué que certains employés s’étaient plaints à son sujet à leur syndicat.

29 Elle a indiqué dans son témoignage que les directeurs ne suivaient pas de scénario; elle n’a pas non plus reçu la moindre plainte écrite. Seul un échange verbal a eu lieu.

30 M. Cloutier lui a dit que c’était à lui de parler. Il a déclaré qu’elle ne serait plus la gestionnaire du service législatif.

31 Elle a affirmé que, si elle était mutée, elle préférerait une unité opérationnelle plutôt que d’être détachée pour une affectation spéciale.

32 Les directeurs lui ont décrit un emploi qui impliquerait l’examen et la formulation de commentaires concernant les exigences opérationnelles et la conception des solutions pour les directions générales des ressources humaines des finances et de l’administration pour une mise à niveau du SAP de l’Agence. Elle a affirmé durant son témoignage que cet emploi, à sa connaissance, ne consistait qu’en quelques jours de travail par mois.

33 Elle a ensuite demandé aux directeurs de lui parler des tâches qu’elle allait assumer. Ils lui ont répondu qu’elle ferait ce qu’ils lui demanderaient de faire.

34 Ils ont par la suite parlé du projet de prison provinciale, mais il faisait partie des responsabilités qui venaient de lui être retirées. À la fin de la réunion, il était clair pour elle qu’elle n’avait plus de travail.

35 Elle a déclaré dans son témoignage que, à la suite de la réunion, son état de santé s’était détérioré. Dans son témoignage, elle a raconté qu’elle avait souffert d’une longue période d’abus sous la direction de M. Cloutier, qui a atteint son paroxysme à la réunion du 28 mai 2008. Elle a déposé une plainte officielle auprès de M. George Rabinovitch, le sous-ministre adjoint. Elle a inclus dans sa plainte des incidents qui se sont produits plusieurs années avant les évènements du 28 mai 2008 ainsi que ces évènements. Elle a affirmé qu’elle avait clairement dit que la réunion était une audience disciplinaire.

36 Dans la plainte déposée auprès du sous-ministre adjoint, Mme McMullen a fait un certain nombre d’allégations. La plainte n’a pas été déposée auprès de la Commission; toutefois, toutes les allégations sont relatées dans le rapport que M. Arsenijevic a rédigé à l’intention de Mme McMullen, datant du 30 juin 2010, qui a suivi la conclusion de l’enquête de l’Agence, dont le rapport m’a été présenté en preuve.

37 L’allégation dont on peut soutenir la pertinence pour trancher cette question de compétence et qui se trouve à la pièce 1, onglet 34 se lit comme suit :

[Traduction]

Que pendant une réunion qui s’est tenue dans votre bureau le 28 mai 2008, M. Bouchard vous a harcelé en refusant abusivement de vous accorder la permission de quitter le bureau alors que vous étiez malade, et en vous disant que vous deviez rester au bureau pour assister à une réunion plus tard dans l’après-midi avec M. Cloutier et lui-même. Que M. Cloutier et M. Bouchard, avant le 28 mai 2008 et à cette même date, ont violé vos droits ainsi que la politique sur le harcèlement et la discipline et le Code de déontologie et de conduite de l’ARC, et vous ont harcelé en : inventant et en menant une « audience disciplinaire de niveau 2 » le 28 mai 2008; en dissimulant de manière délibérée l’objet de la réunion susmentionnée; en vous niant le droit de savoir de quoi on vous accusait, et sans vous fournir la possibilité de préparer une réponse et d’être accompagnée d’une personne de votre choix; en utilisant l’« audience » fabriquée de toutes pièces comme moyen de vous intimider; en vous réprimandant verbalement et en vous intimidant psychologiquement; en lançant des accusations injustes et infondées concernant votre gestion de votre unité; en vous menaçant de suspension; en vous privant de votre droit de présomption d’innocence et d’être traitée avec respect et dignité; et en vous retirant vos responsabilités à titre de gestionnaire sans raison valable.

[Je souligne]

38 Le 12 août 2008, M. Arsenijevic a répondu à Mme McMullen. Il a accusé réception de sa plainte de harcèlement, l’a informé de la procédure à suivre, et a confirmé que sa plainte satisfaisait aux critères d’admissibilité énoncés dans les lignes directrices de l’Agence, notamment le fait qu’elle avait été présentée dans les délais prescrits. De plus, M. Arsenijevic l’a informée que, en vue de régler la plainte rapidement, il demanderait à une société privée de mener l’enquête et qu’elle serait informée de chaque étape de la procédure. Il lui a rappelé qu’elle devait s’abstenir de discuter de la plainte avec toute personne qui n’avait pas besoin d’en connaître la teneur et que toute information ou toute documentation relative à la plainte devait être considérée comme confidentielle et ne devait pas être divulguée à d’autres parties.

39 Mme McMullen a indiqué dans son témoignage que, au moment où elle a déposé sa plainte, elle ne travaillait pas. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait pas retourner au travail, étant donné qu’elle n’avait pas de travail qui l’attendait. Elle était malade et a fini par prendre un congé d’invalidité.

40 En août 2008, les ressources humaines lui ont demandé de reformuler sa plainte et de diviser les allégations en trois parties distinctes, soit : une partie portant sur les allégations contre un des directeurs, une partie traitant des allégations contre l’autre directeur et une troisième partie abordant les allégations communes faites contre les deux directeurs. Elle s’attendait à ce que l’enquête soit menée assez vite par la suite.

41 En février 2009, elle a été contactée par M. Duff Friesen, de Quintet Consulting, l’enquêteur dont les services ont été retenus par l’Agence pour enquêter sur la plainte.

42 Compte tenu du fait que l’Agence ne lui avait pas encore fourni à ce moment-là les documents nécessaires, il n’a pas fixé de réunion.

43 Finalement, des réunions ont été organisées, et M. Friesen a réalisé des entrevues avec Mme McMullen ainsi que d’autres personnes désignées dans la plainte et des témoins indépendants.

44 M. Friesen a préparé un rapport de son enquête pour l’ARC, qui a été communiqué à Mme McMullen le 30 juin 2010 par M. Arsenijevic, accompagné d’un rapport distinct préparé par l’Agence du revenu du Canada portant la signature de M. Arsenijevic.

45 M. Friesen, dans son rapport définitif, (pièce 2, onglet 6) a conclu en partie ce qui suit aux pages 104-110 :

[Traduction]

La preuve ne permet pas de conclure que M. Cloutier ou M. Bouchard a inventé une « audience disciplinaire de niveau 2 ». Il n’y avait rien d’inventé à propos de la réunion. M. Cloutier a organisé la réunion afin de confronter Mme McMullen à propos d’un message datant du 20 mai 2008 qu’il considérait comme étant un acte d’insubordination, et de discuter avec elle de ses préoccupations en ce qui concerne son comportement et son rendement, ainsi que de l’informer de sa décision de la retirer de son poste de gestionnaire de SLP. Il l’a rencontrée pour le faire en personne dès qu’il en a eu l’occasion.

[…]

La preuve démontre que M. Cloutier a décidé, quelques heures ou quelques jours après avoir reçu le message de Mme McMullen du 20 mai 2008, qu’il considérait cela comme un acte d’insubordination, ce qui constituait un facteur, mais non pas le seul facteur, dans sa décision, également prise à ce moment-là, de la retirer de son poste de gestionnaire de SLP et de la réaffecter en tant que représentante de DDE du groupe d’utilisateurs MG […]

[…]

M. Cloutier et M. Bouchard savaient ou auraient dû savoir qu’il était déplacé de leur part de convoquer Mme McMullen à une réunion pour lui annoncer qu’elle ne serait plus la gestionnaire de SLP sans avoir suivi au préalable les principes et les procédures de la politique sur les mesures disciplinaires ou le Guide de gestion – rendement insatisfaisant […].

[…]

L’allégation de harcèlement par M. Cloutier et M. Bouchard est fondée, en ce qu’ils ont abusé de leurs pouvoirs de gestion en la convoquant à la réunion dans le bureau de M. Cloutier l’après-midi du 28 mai 2008 dans le but de lui retirer ses responsabilités de gestion sans l’aviser au préalable de la véritable nature et de l’objectif réel de la réunion.

[…]

La mesure de retrait des responsabilités de gestion d’une personne n’est pas punitive par nature. Il s’agit du type de mesure que l’on pourrait qualifier de mesure administrative visant à répondre à des questions liées au rendement. Toutefois, dans ce cas, la mesure a été prise sans aucune réunion de rendement préalable au cours de laquelle cette possibilité aurait fait l’objet d’une discussion. Cette manière de procéder était injuste, car Mme McMullen n’a pas eu l’occasion d’expliquer son point de vue avant que la décision ne soit prise et avant de répondre aux préoccupations de M. Cloutier, et cela a été fait sans prendre en considération son droit de donner ou non son consentement. Aussi, cela a été fait dans une réunion au cours de laquelle M. Cloutier a dit à Mme McMullen qu’il considérait son message du 20 mai 2008 comme étant un acte d’insubordination. Ces caractéristiques faisaient que la mesure était de nature punitive.

[…]

En conclusion, les allégations de harcèlement contre M. Cloutier sont fondées, en ce qu’il a agi de manière arbitraire dans la réunion du 28 mai 2008 en retirant à Mme McMullen ses responsabilités de gestion sans son consentement et sans avoir suivi les procédures requises au préalable, et en l’ayant menacée dans le cadre de la réunion en l’avertissant que ses actes pourraient être considérées comme des actes d’insubordination.

L’allégation de harcèlement contre M. Bouchard est fondée, en ce qu’il a participé à la convocation de la réunion du 28 mai 2008 sans avoir respecté les exigences de procédure, et qu’il a assisté à la réunion en soutien à M. Cloutier en sachant la mesure que M. Cloutier avait l’intention de prendre. La conclusion est tempérée par le fait que la réunion était planifiée et dirigée par M. Cloutier, que le rôle de M. Bouchard dans cette réunion n’était pas actif, et que sa seule intervention au cours de la réunion était de soutenir les déclarations de Mme McMullen indiquant qu’elle avait appelé son bureau pour les avertir qu’elle était malade et qu’elle ne se présenterait pas au travail.

[…]

46 L’Agence a rejeté les résultats et les conclusions cités ci-dessus provenant du rapport de l’enquêteur.

47 M. Arsenijevic, dans le rapport qu’il a adressé à la fonctionnaire, en réponse aux allégations dans la plainte a déclaré (pièce 1, onglet 34) :

[Traduction]

Constatations de l’enquête 1 et 2 : les allégations selon lesquelles M. Bouchard vous a harcelée en ne vous accordant pas la permission de quitter le bureau alors que vous étiez malade, et en vous disant que vous deviez rester au bureau et assister à une réunion avec M. Cloutier et lui-même ne sont pas fondées sur des preuves suffisantes. Les allégations selon lesquelles tant M. Cloutier que M. Bouchard vous ont harcelée en dissimulant de manière délibérée l’objectif de la réunion susmentionnée le 28 mai 2008; en inventant une « audience de niveau 2 » dans le but de vous intimider, de vous réprimander verbalement et de vous intimider psychologiquement; en lançant des accusations injustes et infondées concernant votre gestion de votre unité; en vous menaçant de suspension; en vous privant de votre droit de présomption d’innocence et d’être traitée avec respect et dignité ne reposent pas sur des preuves suffisantes.

[…]

Conclusion : les allégations susmentionnées sont jugées non fondées à l’exception d’une allégation, à savoir, plus précisément, la manière dont la réunion du 28 mai 2008 a été convoquée. En ce qui concerne la réunion, la preuve démontre, d’après la prépondérance des probabilités, que M. Cloutier et M. Bouchard ont gardé une attitude respectueuse durant la réunion, et que M. Cloutier exerçait ses droits de gestion et exprimait ses préoccupations en ce qui concerne le fait que votre rendement et votre comportement ne répondaient pas à ses attentes. M. Cloutier, à titre de gestionnaire responsable, et M. Bouchard, en tant que gestionnaire participant, partageaient la responsabilité de veiller à ce que les procédures et les principes qui s’imposent, tel qu’il est stipulé dans la politique sur les mesures disciplinaires ou le Guide de gestion – rendement insatisfaisant de l’ARC, soient respectées. Toutefois, ils n’ont pas assuré le respect de ces principes et procédures et par conséquent, cette allégation est fondée.

48 En ce qui concerne la mesure corrective, M. Arsenijevic a déclaré (pièce 1, onglet 34) :

[Traduction]

[…]

Je dois reconnaître, en revanche, que pour ce qui est de la réunion du 28 mai 2008, qui s’est tenue entre vous et MM. Cloutier et Bouchard, les procédures administratives appropriées n’ont pas été suivies pour ce qui est de vous informer de l’intention et du résultat de cette réunion. À cet égard, je veillerai à ce qu’une mesure corrective soit prise comme il se doit. M. Cloutier et M. Bouchard seront également informés de ma conclusion sous pli séparé.

[…]

49 M. Arsenijevic a conclu ce qui suit dans son rapport : [traduction] « En vertu de la Loi sur les relations de travail de la fonction publique, vous avez le droit de contester cette décision au moyen d’un grief dans les 25 jours qui suivent la réception de la présente lettre ».

50 Mme McMullen a indiqué dans son témoignage que M. Cloutier avait pris sa retraite en 2009 et que M. Bouchard avait été promu en juin 2010 après qu’elle ait reçu la lettre.

51 Elle a déclaré qu’elle avait présenté son grief le 23 juillet 2010, contestant le rapport final sur le harcèlement préparé par l’ancien sous-commissaire George Arsenijevic et le déroulement de l’enquête.

52 Une audience relative au grief a eu lieu le 25 octobre 2010.

53 Le 1er juin 2011, elle a reçu la réponse de l’employeur au dernier palier. Le grief était rejeté.

54 Durant le contre-interrogatoire, Mme McMullen a reconnu que des réunions en face à face avec l’enquêteur, M. Friesen, avaient eu lieu.

55 Avant de recevoir le rapport d’enquête définitif, elle a reçu un rapport provisoire au sujet duquel il lui a été demandé de formuler des commentaires.

56 Elle a reconnu avoir été préoccupée par la lenteur de l’enquête.

57 Elle a reconnu qu’elle n’avait aucun problème et qu’elle se sentait à l’aise en ce qui concerne la réalisation d’une enquête sur ses allégations.

58 On lui a laissé entendre que personne ne l’avait jamais empêchée de déposer un grief en 2008. Elle a répondu qu’elle était une gestionnaire non représentée et qu’elle n’avait personne pour la conseiller. Personne ne lui a recommandé de suivre une autre voie.

59 Elle a confirmé que, préalablement à son départ en congé de maladie et avant mai 2008, son poste était celui d’un gestionnaire classifié MG-06 du programme de prestations, lequel poste était exclu, car il s’agissait du premier palier de la procédure de règlement des griefs. On lui a laissé entendre qu’elle savait en quoi consistait un grief. Elle a répondu qu’elle n’avait jamais eu affaire à une procédure de règlement des griefs durant sa carrière.

60 Elle a déclaré être partie en congé de maladie après le 28 mai 2008 et avoir ensuite fait une demande de congé d’invalidité de longue durée.

61 Elle est retournée au travail le 20 juillet 2010 après que son médecin a attesté qu’elle était en mesure de retourner au travail. La preuve documentaire indique que l’Agence l’avait nommé par intérim à la direction des déclarations des entreprises dans le cadre d’un projet spécial sans responsabilité de supervision et avec un salaire au groupe et niveau MG‑06. Cette affectation ou ce poste n’était pas exclu de la négociation collective, et ses conditions d’emploi étaient soumises aux termes de la convention collective conclue entre l’Agence et l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

62 Elle a déclaré que, en raison de son absence, elle n’a dans les faits pas travaillé sur le projet qui lui a été confié le 28 mai 2008. Elle a toutefois confirmé qu’elle avait vu des courriels interministériels indiquant que le travail ne nécessitait que quelques heures par mois.

63 Elle a affirmé que, du fait qu’elle avait été relevée de ses fonctions et qu’elle n’était plus une gestionnaire exclue, elle n’était plus admissible à la rémunération au rendement. Elle n’a pas bénéficié de la rémunération au rendement pour l’exercice 2007-2008 ni pour tous les autres exercices qui ont suivi. On lui a fait comprendre que le versement de la rémunération était discrétionnaire et que l’employé devait atteindre les buts et les objectifs établis dans le cadre du plan.

64 Dans la plainte qu’elle a déposée auprès du sous-commissaire, les allégations qui sont énoncées dans le rapport datant du 30 juin 2010 (pièce 2, onglet 6) comprennent également l’allégation suivante :

[Traduction]

Que M. Cloutier et M. Bouchard ont violé vos droits aux termes de la politique de gestion du rendement de l’employé et les lignes directrices sur la rémunération au rendement de l’ARC de 2008 et vous ont harcelée en :

- refusant de réaliser une évaluation de votre rendement dans les 90 jours qui ont suivi la fin de l’exercice 2007-2008;

- vous privant de votre droit de recours en vous refusant votre évaluation;

- refusant de discuter de l’évaluation de rendement qui a fini par être réalisée et en refusant de vous fournir une justification des changements apportés à l’évaluation de rendement réalisée;

- en vous privant de la possibilité d’être retenue pour la rémunération au rendement en refusant de finaliser votre évaluation de rendement.

65 Les parties n’ont pas remis à la Commission le rapport et les conclusions de l’enquête de M. Friesen, en ce qui concerne cette allégation.

66 Le rapport du 30 juin de l’Agence, signé par M. Arsenijevic, énumère les conclusions et les résultats de l’Agence en ce qui a trait à cette allégation de la manière suivante :

[Traduction]

En ce qui concerne l’allégation du traitement inapproprié de l’évaluation de votre rendement pour l’exercice 2007/2008, du refus de réaliser l’évaluation de votre rendement, et de la formulation de commentaires abusifs sur votre rendement; la preuve démontre que vous et M. Cloutier avez des points de vue différents sur certains évènements et une interprétation différente de certains évènements. Toutefois, M. Cloutier avait le droit et la responsabilité de réviser les documents d’évaluation afin qu’ils reflètent sa perception et son interprétation des évènements, de votre rendement et de votre comportement. Il existe un ensemble de preuves considérable dans ce rapport démontrant que M. Cloutier avait un motif raisonnable pour faire les déclarations qu’il a incluses dans les documents d’évaluation, et les éléments de preuves ne démontrent pas que lui ou M. Bouchard ont agi de manière malhonnête ou de mauvaise foi ou sans tenir compte de vos droits.

Conclusion : les allégations selon lesquelles M. Cloutier et M. Bouchard vous ont harcelée en refusant de réaliser votre évaluation avant la date limite, en vous privant de vos droits de recours et de la possibilité d’être retenue pour la rémunération au rendement en refusant de réaliser l’évaluation de votre rendement; en préparant de manière inappropriée vos documents d’évaluation et en refusant de finaliser votre évaluation et de vous en remettre une copie, sont toutes jugées non fondées.

67 Mme McMullen a affirmé que, en plus de ne pas avoir droit à une rémunération au rendement, il y a eu une incidence défavorable sur son salaire, elle a épuisé ses crédits de congé de maladie, elle a été obligée de racheter des années de service ouvrant droit à pension et a dû engager des dépenses médicales, décrites plus en détail dans son grief.

68 Elle a soutenu qu’elle avait présenté un grief pour contester toutes les circonstances et questions entourant la perte de son poste, y compris les mesures disciplinaires.

69 Elle a affirmé qu’elle n’était coupable d’aucune inconduite.

70 Elle a reconnu avoir demandé une copie de la politique disciplinaire de l’ARC en janvier 2009. On lui a mentionné qu’un employé pouvait contester une mesure disciplinaire en vertu de la politique. Mme McMullen ne se souvenait pas d’avoir lu cette disposition et a déclaré qu’elle était en plein milieu du processus et qu’à son avis elle avait couvert toutes les questions dans sa plainte, y compris les mesures disciplinaires.

71 On l’a renvoyée à l’audience du grief qui avait eu lieu en octobre 2010. Il a été soulevé qu’aucune mesure disciplinaire n’était mentionnée dans les titres de la table des matières de sa présentation. Elle a répondu que le résumé faisait uniquement référence à un certain nombre d’exemples, et qu’il y avait beaucoup d’exemples d’abus.

72 Elle a admis que rien n’indiquait dans le document qu’elle était suspendue.

73 On lui a posé un certain nombre de questions au sujet de l’audience du grief. Elle a indiqué que la réunion portait principalement sur les mesures que l’Agence devrait prendre en vue de l’indemniser intégralement. Elle n’avait pas assez de temps pour aborder toutes les allégations qu’elle avait avancé dans sa plainte; toutefois, M. McMahon, son avocat, les a abordées de façon sommaire. On lui a demandé si quelqu’un lui avait dit de ne pas se présenter au travail le lendemain de la réunion du 28 mai 2008. Elle a répondu que cela ne signifiait pas qu’elle avait un travail auquel elle devait se présenter.

B. Sylvie Bolduc

74 Mme Sylvie Bolduc est directrice adjointe, relations de travail de l’Agence, à l’Agence du revenu du Canada. Elle a assisté à l’audience du grief, le 25 octobre 2010, et a pris des notes. Mme Cheryl-Ann Fraser était présente pour l’Agence.

75 Elle a témoigné que, pour résumer ce qui s’est passé lors de la réunion, celle-ci portait sur un grief concernant l’enquête et le traitement d’une plainte de harcèlement. Elle a précisé que l’expression [traduction] « mesure disciplinaire » n’avait pas été mentionnée au cours de la réunion. Elle a déclaré que les postes MG-06 ne sont pas tous exclus des unités de négociation et que, à son avis, les changements apportés à un poste de gestionnaire MG-06 ne constituent pas une mesure disciplinaire. Elle a ajouté que Mme McMullen n’avait pas présenté un grief disciplinaire.

76 Lorsqu’une plainte de harcèlement est déposée, c’est le commissaire adjoint qui rend la décision définitive sur le bien-fondé de la plainte. Si une personne n’est pas satisfaite de la décision du commissaire, elle peut s’adresser à la Cour fédérale.

77 En contre-interrogatoire, elle a reconnu ne pas avoir examiné le rapport d’enquête ou le mémoire préparé par la fonctionnaire. Elle ne comprenait pas ce qui s’était passé lors de la réunion du 28 mai 2008. On lui a seulement demandé de prendre des notes et elle n’a consigné que les renseignements qui lui semblaient importants.

78 On lui a demandé si le consentement d’un employé est nécessaire pour que son poste soit modifié par voie administrative. Elle a répondu, [traduction] « Oui ».

79 En réinterrogatoire, elle a nuancé sa réponse en ajoutant que le consentement n’était pas toujours nécessaire, et qu’il pouvait y avoir des exceptions, comme dans le cas d’une situation de harcèlement où l’on doit retirer une personne d’un environnement de travail hostile, ou en cas d’urgence opérationnelle où il faut changer la façon dont le travail est organisé.

III. Résumé de l’argumentation

A. Arguments de l’employeur

80 L’employeur a soutenu que le grief présenté par Mme McMullen ainsi que les arguments qu’elle a soumis au cours de la procédure de règlement des griefs traitaient de diverses plaintes concernant des allégations de harcèlement en milieu de travail et de lacunes perçues dans l’enquête sur la plainte de harcèlement qui a été menée par la suite. La fonctionnaire ne peut pas reformuler maintenant son grief en alléguant qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire afin de le présenter à un arbitre de grief de la Commission. En plus d’être contraire à l’esprit de la LRTFP, ce serait un abus de procédure que de permettre à la fonctionnaire de saisir la Commission d’une affaire autre que celle contenue dans le grief ou différente de celle présentée durant la procédure de règlement des griefs. Le principe établi dans Burchill prévoit fondamentalement qu’un fonctionnaire s’estimant lésé ne peut pas présenter à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, et que seul le grief tel qu’il a été présenté peut être renvoyé à l’arbitrage. Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), au paragr. 110.

81 Que les événements du 28 mai 2008 constituent ou non une mesure disciplinaire, la situation demeure problématique, puisque le grief n’a pas été présenté dans le délai prescrit. Il est prévu à l’article 68 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique qu’un fonctionnaire peut présenter un grief individuel au premier palier de la procédure de règlement des griefs au plus tard 35 jours après le jour où la prétendue mesure disciplinaire a été prise. L’incident disciplinaire allégué a eu lieu le 28 mai 2008, et le grief a été présenté en juillet 2010.

82 De même, le principe énoncé dans Coallier limite la demande en réparation à un délai de 25 jours avant la date de présentation du grief.

83 À la suite des événements de la réunion du 28 mai 2008, Mme McMullen n’a pas été licenciée, rétrogradée ou suspendue. Elle a conservé un poste classifié au groupe et niveau MG-06.

84 Le retrait présumé des fonctions de gestion était administratif. Il appartient au directeur général d’attribuer des fonctions. Ce pouvoir tire son origine de l’alinéa 30(1)d) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, qui prévoit que l’Agence a compétence pour toutes les questions liées à la gestion des ressources humaines.

85 En vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, seuls les griefs liés à une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire peuvent être renvoyés à l’arbitrage.

86 Dans Hanna c. Administrateur général (ministères des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2009 CRTFP 94, l’arbitre de grief devait déterminer si le rejet de la demande d’un employé portant sur le remboursement de frais juridiques aux termes de la Politique sur l’indemnisation des fonctionnaires de l’État et sur la prestation de services juridiques à ces derniers du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, pouvait être renvoyé à l’arbitrage au motif qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire ayant entraîné une sanction pécuniaire. En concluant qu’elle n’avait pas compétence, l’arbitre de grief a déclaré que « […] pour [être] arbitrable en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, une sanction pécuniaire doit être le résultat d’une mesure disciplinaire ou être directement liée à une mesure disciplinaire. Une sanction pécuniaire qui n’est pas le résultat d’une mesure disciplinaire ne peut pas être renvoyée à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b). »

87 Dans Frazee, (Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176), les principes qu’il faut appliquer pour déterminer si les actes de l’employeur constituent une mesure disciplinaire sont résumés. La Cour fédérale renvoie à l’extrait de la 4e édition de Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty, au paragraphe 7:4210 :

[Traduction]

[…]

Afin de déterminer si un employé a fait ou non l’objet d’une mesure disciplinaire, les arbitres examinent à la fois l’objet et l’effet de la mesure prise par l’employeur. La caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon. Une confirmation de l’employeur déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire suffit souvent, mais pas toujours, à régler la question.

Lorsque la conduite d’un employé est non coupable ou que l’objectif de l’employeur n’est pas de punir, toute mesure qui est prise sera généralement qualifiée de non disciplinaire […]

Une mesure disciplinaire doit à tout le moins avoir le potentiel de porter préjudice à la situation de l’employé, même si celui-ci ne subit pas une perte économique immédiate. Les suspensions avec traitement, dont l’objectif principal est de corriger un comportement inacceptable, par exemple, seraient considérées comme étant de nature disciplinaire même si elles ne pénalisent pas l’employé au plan financier.

[…]

88 La Cour a déclaré que la jurisprudence confirme que toute mesure prise par l’employeur ayant un effet préjudiciable sur l’employé n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. Même si un employé peut se sentir lésé par des décisions qui ont une incidence négative sur ses conditions d’emploi, la grande majorité des aménagements faits en milieu de travail sont de nature purement administrative et ne visent pas à sanctionner.

89 Au vu des faits en l’espèce, aucune lettre disciplinaire n’a été consignée au dossier de Mme McMullen. Il faut examiner les documents afin de déterminer si l’employeur avait l’intention de prendre des mesures disciplinaires à l’égard de l’employée. Mme McMullen a déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait pas commis d’inconduite.

90 Une perte financière n’équivaut pas à une sanction pécuniaire. Elle a été placée dans un nouveau poste, mais au même groupe et niveau. Les pertes liées à la rémunération au rendement ne devraient pas être considérées comme étant une sanction pécuniaire, puisque l’attribution d’une rémunération au rendement est discrétionnaire.

91 L’avocat a également fait valoir que le congédiement implicite est un concept du secteur privé et que, dans la fonction publique fédérale, les questions qu’un employé peut renvoyer à l’arbitrage sont limitées. Il m’a renvoyé à Johnston c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CRTFP 53.

B. Arguments de la fonctionnaire s’estimant lésée

92 Mme McMullen a perdu son emploi par suite des mesures prises par M. Cloutier et M. Bouchard lors de la réunion du 28 mai 2008. Ils lui ont dit au début de la réunion que les mesures prises à son égard étaient de nature disciplinaire.

93 Elle était malade et, n’étant pas une experte en relations de travail, elle comprenait mal sa situation. Elle s’est plainte auprès de M. Arsenijevic, qui lui a dit qu’il se chargerait de la procédure et qu’il mènerait une enquête pour faire toute la lumière sur l’affaire.

94 Il a nommé un enquêteur qui n’a fait qu’allonger la période allant de la date de l’incident à la date du grief; néanmoins, lorsqu’on lui a transmis le rapport final de l’Agence, rejetant les conclusions de l’enquêteur et ne fournissant aucune réparation efficace, elle a fait preuve de diligence et a rapidement présenté son grief.

95 Il n’a jamais été affirmé que Mme Cheryl-Ann Fraser avait lu le rapport de M. Friesen. Si elle l’avait lu, les pages 104 à 110 en particulier, il aurait été évident que l’enquêteur avait conclu que Mme McMullen avait manifestement perdu son emploi. Les circonstances entourant cette perte auraient aussi été claires.

96 Le témoignage de Mme Bolduc n’était pas vraiment utile, car elle n’était pas en mesure de nous informer de ce qui s’était passé en mai 2008.

97 Les pertes financières de Mme McMullen consistaient précisément en sa rémunération au rendement de 5 320 $, représentant 5 % de son salaire du 30 juin 2008, avec intérêts, la rémunération au rendement de 2009-2011, etc.

IV. Motifs

A. La fonctionnaire s’estimant lésée a renvoyé à l’arbitrage un grief différent de celui qui a été présenté durant la procédure de règlement des griefs, contrevenant ainsi au principe établi dans Burchill

98 À l’appui de son objection préliminaire concernant le sujet même du grief et le caractère arbitrable de ce dernier, l’employeur a invoqué Burchill. En effet, les deux parties se sont entendues sur les principes énoncés dans Burchill, mais elles n’étaient pas d’accord quant à son application aux faits en l’espèce.

99 Dans Burchill c. Conseil du Trésor (Commission de lutte contre l’inflation), dossier de la CRTFP 166-02-5298 (19790927), le fonctionnaire s’estimant lésé, un employé de la CLI nommé pour une période déterminée qui a été mis en disponibilité, a cherché à renvoyer à l’arbitrage un grief dans lequel il alléguait avoir été injustement congédié, car son statut d’employé nommé pour une période indéterminée n’avait pas été reconnu, et il ne bénéficiait pas des dispositions législatives particulières qui s’appliquaient aux employés nommés pour une période indéterminée dans la réduction des effectifs à la CLI. Cependant, quand le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief à l’arbitrage, il a annexé une déclaration alléguant que le grief entrait dans la catégorie des mesures disciplinaires entraînant un congédiement. L’arbitre de grief Frankel, aux pages 42 et 43, a affirmé que la question préliminaire était la suivante :

[…] de savoir si le grief de M. Burchill, en tenant compte de toutes les imprécisions et les ambiguëtés de sa formulation, peut ou non être renvoyé à l’arbitrage […] M. Burchill a présenté un grief contre la décision imminente de l’employeur de mettre fin à son emploi. Il a déclaré qu'au moment où il était au service de la CLI, il avait conservé sa situation d'employé nommé pour une période indéterminée et qu'il était par conséquent assujetti aux dispositions spéciales établies par le Conseil du Trésor à l'égard des employés dans cette situation. Comme l’employeur refusait d'appliquer lesdites dispositions à son endroit, M. Burchill a prétendu que la mise en disponibilité « constituait un congédiement injustifié » […] Ce n’est que [… lorsqu’] il a présenté son « avis de renvoi à l’arbitrage », qu’il a joint une déclaration alléguant que le « grief tombe dans la catégorie des mesures disciplinaires qui entraînent le congédiement […] »

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

100 L’arbitre de grief Frankel a entrepris de déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé avait effectivement fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Après six jours d’audience, il a conclu qu’il n’avait pas compétence, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé ne l’avait pas convaincu qu’il avait en fait été victime d’une mesure disciplinaire déguisée.

101 Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale, et c’est à ce niveau que la Cour a fait remarquer que le fonctionnaire s’estimant lésé avait seulement affirmé qu’il était un employé permanent, et donc qu'il avait le droit de se prévaloir des dispositions législatives particulières. Son grief, tel qu’il est libellé, comprenait une allégation de manquement aux dispositions législatives, laquelle était entièrement distincte d’une allégation de mesure disciplinaire et par conséquent, ne pouvait à bon droit être renvoyé à l’arbitrage. La Cour a conclu qu’il n’était pas possible de présenter à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief tout à fait différent.

102 La décision de la Cour était conforme aux principes des relations de travail. Le grief et la procédure de règlement des griefs existent dans le but de permettre aux parties d’exprimer leurs « griefs » particuliers et d’exposer tous leurs arguments sur le sujet. Lorsque le grief est renvoyé à l’arbitrage, aucune partie ne devrait être surprise par les arguments soulevés par l’autre partie. En effet, selon le principe établi dans Burchill, un employé n’a pas le droit de transformer un grief en un autre entièrement différent parce que, ce faisant, cela risquerait de surprendre l’autre partie, de la priver de son droit d’examiner les questions de manière convenable, et de rendre la procédure de règlement des griefs inutile.

103 Il est vrai que, selon une interprétation stricte du grief, la fonctionnaire a présenté ce grief pour contester le rapport sur le harcèlement, la façon dont il a été préparé et ses conclusions. Le grief ne comporte pas d’allégation que le rapport ou l’enquête constituaient des mesures disciplinaires. En effet, l’expression [traduction] « mesure disciplinaire » ne figure nulle part dans le texte du grief. Toutefois, le libellé du grief n’est pas le seul élément à prendre en considération pour déterminer si le grief est arbitrable ou non. Je dois plutôt tenir compte du contexte global de la situation en question, notamment de l’imprécision et de l’ambiguëté du libellé du grief, comme l’a souligné l’arbitre de grief Frankel. La décision dans Burchill n’était pas une décision technique restreinte qui évaluait uniquement le libellé du grief en cause. La décision est plutôt fondée sur des principes politiques généraux, qui découlent du concept d’équité.

104 L’incident du 28 mai 2008 a été apparemment provoqué par un courriel que la fonctionnaire a envoyé et que l’employeur a considéré comme un acte d’insubordination de sa part. En plus d’autres facteurs qui préoccupaient l’employeur, dont les plaintes au syndicat par les employés qui étaient sous la supervision de la fonctionnaire, l’employeur a reconnu avoir convoqué la fonctionnaire à une [traduction] « audience disciplinaire de niveau II », en lui donnant le droit d’être [traduction] « représentée » par l’adjoint administratif de la personne qui avait la responsabilité de tenir l’audience disciplinaire. Il est évident que le contexte ayant provoqué les événements était de nature disciplinaire, et une telle allégation, avancée à l’époque, n’aurait guère surpris l’employeur.

105 À la suite de la réunion, qui était de toute évidence de nature disciplinaire, la fonctionnaire a déposé une plainte auprès de l’employeur et a déclaré dans son témoignage qu’elle avait clairement affirmé dans sa plainte qu’elle considérait la réunion du 28 mai comme étant de nature disciplinaire. Bien que la plainte en tant que telle n’ait pas été déposée en preuve, elle a été reprise, dans sa teneur, dans la lettre de M. Arsenijevic jointe au rapport de M. Friesen, qui m’a été soumis comme pièce justificative. J’ai estimé que je devais tenir compte du libellé de la plainte. Comme je l’ai indiqué aux pages 9 et 10 de la présente décision, la plainte telle qu’elle est résumée par l’employeur renvoie à une violation de la [traduction] « politique sur le harcèlement et la discipline » de l’ARC et fait référence à la réunion comme étant une [traduction] « audience disciplinaire de niveau II », aux [traduction] « accusations » portées contre la fonctionnaire, à son droit d’être accompagnée d’un représentant, aux menaces de suspension et à son retrait [traduction] « sans raison valable » de son poste de gestionnaire. Il ressort clairement du récit que fait l’employeur de la plainte de la fonctionnaire que le contexte de nature disciplinaire des allégations de la fonctionnaire a été clairement exposé à l’employeur. À la lecture de la plainte, l’employeur a facilement compris ce qu’elle contestait, et l’insatisfaction de la fonctionnaire était en partie attribuable à la nature disciplinaire de la réunion.

106 Enfin, le rapport de Friesen était en partie favorable à la fonctionnaire puisqu’il a conclu non seulement qu’elle avait été harcelée par la direction, mais aussi que la conduite de la direction comportait un aspect disciplinaire. Le rapport fait référence à une insubordination et à la violation par la direction de la politique sur la discipline, et indique que les mesures de l’employeur étaient [traduction] « de nature punitive ». À la suite du dépôt du rapport, la fonctionnaire a présenté son grief. Le grief, tel qu’il est libellé, renvoie à sa plainte de harcèlement. Cependant, le grief, tout comme la plainte qui l’a précédé, renvoie clairement à toute la situation en question, y compris l’aspect disciplinaire.

107 L’explication la plus convaincante de ce qui s’est produit est la suivante : au début, la fonctionnaire se représentait elle-même et ne connaissait pas ses droits en tant que fonctionnaire exclue. Elle a peut-être choisi par inadvertance de recourir à la voie de la plainte, et d’alléguer, en réponse à ce qui semblait être des allégations de harcèlement portées contre elle, que la conduite de l’employeur constituait du harcèlement injuste pour diverses raisons, y compris des raisons disciplinaires. Elle ne savait pas qu’elle avait le droit de présenter un grief et, en fait, elle n’a peut-être eu l’idée de présenter un grief qu’après avoir lu la déclaration de l’employeur dans la lettre d’accompagnement du rapport d’enquête lui indiquant qu’elle avait le droit de contester les résultats du rapport en présentant un grief.

108 Il semble que c’est à ce stade des événements que la fonctionnaire a soulevé la question disciplinaire. Cela n’est pas surprenant étant donné le contenu du rapport et le fait que celui-ci indiquait qu’un aspect disciplinaire entachait le traitement qu’elle avait reçu de la direction, en plus de la lettre que la direction lui avait transmise. Le fait que la fonctionnaire ignorait ses droits et qu’elle ait eu recours, en premier lieu, à une procédure inadéquate pour contester ce qu’elle considère comme une mesure disciplinaire n’est pas pertinent pour ma décision basée sur le principe établi dans Burchill. En effet, le fait que la fonctionnaire ait exercé tardivement son droit de présenter un grief n’est pas lié à l’arbitrabilité du grief, mais plutôt au respect du délai prescrit, question que j’aborderai plus loin dans la présente décision.

109 Pour déterminer si un grief est arbitrable, ma tâche consiste à déterminer si le grief que la fonctionnaire souhaite me présenter est un nouveau grief ou un grief différent de celui qu’elle a présenté durant la procédure de règlement des griefs. Le critère d’arbitrabilité dans ces cas est de savoir si l’employeur, au cours de la procédure de règlement des griefs, connaissait l’objet du grief et avait eu l’occasion d’aborder la question. Aucune partie ne devrait être surprise par l’objet du grief au stade de renvoi à l’arbitrage. Je dois déterminer si la question qui m’a été soumise par la fonctionnaire est la même que celle qu’elle a soumise aux fins de décision au cours de la procédure de règlement des griefs. Traditionnellement, l’arbitrabilité de tels griefs est déterminée par divers facteurs, tels que le contexte de la situation, le libellé du grief, la preuve au sujet des propos tenus lors de l’audience du grief et par l’examen de la réplique de l’employeur dans toute réponse au grief.

110 Comme je l’ai mentionné précédemment, la situation en l’espèce a commencé lors d’une réunion qui était clairement de nature disciplinaire. La fonctionnaire a ensuite déposé une plainte dans laquelle elle contestait tout le contexte de la situation, y compris l’aspect disciplinaire. L’employeur a alors présenté son rapport d’enquête, lequel confirmait que l’employeur avait agi dans un contexte disciplinaire. Enfin, le rapport que M. Arsenijevic a communiqué à la fonctionnaire mentionne clairement les aspects de la situation tels qu’ils sont soulevés par la fonctionnaire et qui sont de nature disciplinaire. Il mentionne l’allégation de la fonctionnaire selon laquelle la réunion était en fait une [traduction] « audience disciplinaire de niveau II » et son allégation qu’elle a été menacée par une suspension et qu’on lui refusait le droit de prouver son innocence.

111 Je conclus que le cas présent est très semblable au cas tranché par l’arbitre de grief Galipeaudans Gingras c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), 2002 CRTFP 46 :

[…]

[19] L'employeur remet en question l'arbitrabilité du présent grief. L'employeur s'oppose à la compétence d'un arbitre pour instruire cette affaire pour deux raisons : 1) le fait que, de la façon dont il est rédigé, le grief n'est pas arbitrable, car il ne comporte pas d'allégation de « mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire »; 2) le fait que, selon l'employeur, la décision de rappeler le fonctionnaire s'estimant lésé était une décision administrative et non « une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire ».

[20] Dans la présente décision préliminaire, je me prononce sur le premier chef. Une fois que la présente décision aura été rendue, je m'attacherai à trancher la seconde raison à la reprise des audiences.

[21] Je suis d'avis que, dans la formulation du grief en instance, les termes employés ou non employés ne constituent pas un obstacle à son arbitrabilité pour les raisons qui suivent.

[22] Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas bénéficié des services d'un avocat ou des conseils de son agent négociateur lorsqu'il a rédigé son grief, de sorte que l'on devrait, jusqu'à un certain point, lui accorder un certain degré de latitude.

[23] Même s'il n'a pas qualifié la mesure de l'employeur de le rappeler au Canada de « disciplinaire », le fonctionnaire s'estimant lésé a clairement fait valoir l'objet de son grief, soit son rappel au pays alors qu'il était en poste à l'étranger. S'il ne l'a pas explicitement écrit, il a au moins implicitement laissé entendre qu'il considérait son rappel comme une mesure « disciplinaire » en disant que l'employeur avait pris sa décision de le rappeler « pour raison présumée d'inconduite ». On peut à tout le moins déduire de cette formulation que le fonctionnaire s'estimant lésé considérait la décision comme de nature « disciplinaire ».

[24] Les termes « sanction pécuniaire » n'ont pas été employés, mais les représentants des deux parties ont convenu que les deux parties savaient et comprenaient, au moment du rappel, que, puisque le fonctionnaire s'estimant lésé était rappelé à Ottawa, ce rappel signifierait pour lui la perte de sa prime de service extérieur (à la suite de l'application de la convention collective).

[25] Dans la mesure où les deux parties savaient que le fonctionnaire s'estimant lésé perdait la prime de service extérieur directement à cause de son rappel à Ottawa et dans la mesure où il est clair, d'après la décision Massip (supra), que la perte de cette prime constitue une sanction pécuniaire, le fait que les mots « sanction pécuniaire » n'aient pas été utilisés n'invalide pas le caractère arbitrable du présent grief.

[26] Je suis convaincue que, dès le jour où il a reçu le grief, l'employeur a compris la nature de ce grief, à savoir que le fonctionnaire s'estimant lésé lui demandait d'annuler sa « décision de le rappeler à Ottawa », dont l'une des conséquences était la perte de la prime de service extérieur. En conséquence, pendant toute la procédure de règlement du grief à l'interne, l'employeur comprenait la nature de ce que demandait le fonctionnaire s'estimant lésé; il a eu l'occasion de se pencher sur les préoccupations du fonctionnaire s'estimant lésé et, en bref, il n'a pas été pris au dépourvu ni n'a subi de préjudice de quelque sorte.

[…]

112 J’ai également lu avec intérêt la décision de l’arbitre de grief Galipeau dans Thibault c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-26613 (19960909), et j’ai noté les extraits suivants :

[…]

Le fonctionnaire énonce clairement dans son grief qu'il s'oppose à la décision de son employeur […] de le retirer de ses fonctions intérimaires. De plus, il est clair à la lecture des mesures correctives demandées que ce que le fonctionnaire recherche, c'est d'être remis dans l'état où il était avant d'être l'objet de cette décision, le tout incluant le remboursement des pertes de salaire résultant de la décision de le retirer de ses fonctions intérimaires. Les réponses de l'employeur à ce grief ne laissent aucun doute que l'employeur comprenait bien quelle était la décision attaquée et quel était le redressement recherché […] Par conséquent, j'estime que ce n’est pas sans raison que le fonctionnaire s’est cru l’objet d’une mesure disciplinaire, bien qu’il n’ait pas utilisé les mots « mesure disciplinaire » dans son grief. Par ailleurs, il est clair que l’employeur n'a pas été pris par surprise et qu'il n'a pas subi de préjudice du fait que le fonctionnaire ait omis d'utiliser les mots « mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire » […] Le grief était suffisamment clair pour lui permettre de comprendre que le fonctionnaire contestait le bien-fondé de la décision et la véracité du motif invoqué par l'employeur. Qui plus est […] la preuve présentée par l'employeur confirme qu'en aucun moment l'employeur n'a été dans le noir quant à la décision attaquée et au redressement recherché. De plus, il n'a pas présenté de preuve que l'omission dans le grief des mots magiques « mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire » lui ait causé quelque préjudice […] Finalement, quel que soit le nom donné à la décision de l’employeur, le résultat était le même: l’employeur savait que l’employé voulait obtenir son annulation ainsi que le remboursement des pertes qu’il avait essuyées.

Compte tenu de l'objection de l'employeur et, le recul aidant, il aurait probablement été préférable que le fonctionnaire s'assure de qualifier la décision et d'avoir recours aux mots « mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire » dans l'énoncé du grief. Toutefois, je ne crois pas que cette omission soit fatale.

En effet, il importe que la forme ne l'emporte pas sur le fond. […]

[…]

113 Compte tenu de la preuve, je conclus que la plainte originale et son renouvellement ultérieur en tant que grief ont soulevé la question de mesure disciplinaire déguisée, et que le renvoi à l’arbitrage ne constituait pas une tentative de présenter à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, ni de transformer le grief présenté en un grief contre une mesure disciplinaire. Les allégations et les arguments avancés par la fonctionnaire n’ont aucunement pris l’employeur au dépourvu. En effet, la fonctionnaire avait déjà soulevé ces questions et allégations depuis longtemps, et les parties avaient débattu de toute la situation au cours de l’enquête et lors de la procédure de règlement des griefs. À mon avis, le grief dans son contexte allègue une mesure disciplinaire déguisée, et le renvoi à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) ne va pas à l’encontre du principe établi dans Burchill.

B. Respect des délais

114 Le paragraphe 68(1) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique prévoit ce qui suit :

68. (1) Le fonctionnaire s’estimant lésé peut présenter un grief individuel au premier palier de la procédure applicable aux griefs individuels au plus tard trente-cinq jours après le jour où il a eu connaissance de la prétendue violation ou fausse interprétation ou du prétendu fait portant atteinte à ses conditions d’emploi ayant donné lieu au grief individuel ou après le jour où il en a été avisé, le premier en date étant à retenir.

115 L’article 95 du Règlement est également pertinent. Le paragraphe 95(1) est libellé comme suit :

95. (1) Toute partie peut, au plus tard trente jours après avoir reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage :

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté;

b) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour le renvoi du grief à l’arbitrage n’a pas été respecté.

116 L’incident à l’origine du grief a eu lieu le 28 mai 2008. Le 28 juillet 2008, la fonctionnaire a déposé une plainte auprès du commissaire adjoint de l’Agence. L’Agence a considéré que la plainte a été déposée dans les délais prescrits selon ses procédures. Elle a nommé un enquêteur indépendant pour enquêter sur les allégations de la fonctionnaire. Le cabinet a présenté son rapport à l’Agence le 30 avril 2010, avec ses conclusions et ses recommandations. L’Agence a écrit à la fonctionnaire le 30 juin 2010 pour l’informer des conclusions de l’Agence et lui transmettre le rapport de l’enquêteur. Dans la lettre, l’Agence a informé Mme McMullen que, en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, celle-ci avait le droit de présenter un grief pour contester la décision dans les 25 jours suivant la réception de la lettre. Le 23 juillet 2010, la fonctionnaire a présenté un grief concernant le rapport définitif de l’Agence. L’Agence a rejeté le grief au cours de la procédure de règlement des griefs, et le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 20 août 2010.

117 L’Agence a soulevé, pour la première fois, une objection pour non-respect des délais le 17 décembre 2012, au début de l’audience, en soutenant que l’article 68 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique prévoit qu’un fonctionnaire doit présenter un grief dans les 35 jours après le jour où la prétendue mesure disciplinaire a été prise, et que le grief a été présenté avec deux ans environ de retard et que, par conséquent, je n’avais pas compétence pour entendre le grief.

118  De prime abord, l’objection pour le non-respect des délais semble avoir quelque fondement; cependant, selon la preuve qui m’a été soumise, l’employeur n’a jamais soulevé la question du respect des délais au cours de la procédure de règlement des griefs ni au moment où le grief a été renvoyé à l’arbitrage. La question a été soulevée la première fois au début de l’audience le 17 décembre 2012, environ deux ans et demi après la présentation du grief. L’article 95 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique exige qu’une partie soulève une objection au motif que le délai prévu n’a pas été respecté dans les 30 jours après avoir reçu une copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage. Le présent grief a été renvoyé à l’arbitrage le 20 août 2010, et l’employeur n’a soulevé son objection qu’en décembre 2012. L’employeur ne s’est pas conformé aux exigences du Règlement sur la question du respect des délais, je rejette donc son objection à cet égard.

119 L’employeur a soulevé la question de l’application de Coallier aux présentes circonstances. J’estime qu’il est prématuré de décider de cette question en ce moment. En fonction de ma décision à l’égard de cette question préliminaire et dans l’éventualité où l’employeur ne serait pas en mesure d’établir le bien-fondé des mesures disciplinaires imposées, cette question peut devenir pertinente pour décider de la réparation appropriée.

C. Le retrait présumé des fonctions de la fonctionnaire était une mesure administrative plutôt que disciplinaire

120 Pour établir la compétence d’un arbitre de grief, la fonctionnaire a la charge de prouver qu’elle fait l’objet d’une « mesure disciplinaire entraînant […] une sanction pécuniaire », tel qu’il est prévu par l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Comme l’employeur l’a soutenu, la décision Frazee, citant des extraits de l’ouvrage de Brown et Beatty, résumait les principes qu’il faut appliquer pour déterminer si les actes de l’employeur constituent une mesure disciplinaire :

[…]

Afin de déterminer si un employé a fait ou non l’objet d’une mesure disciplinaire, les arbitres examinent à la fois l’objet et l’effet de la mesure prise par l’employeur. La caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon […]

[…]

121 L’employeur, en décrivant le comportement fautif de la fonctionnaire dans le contexte de ce qu’il décrit comme étant une [traduction] « audience disciplinaire de niveau II » et en retirant la fonctionnaire de son poste et en lui confiant un projet qui ne nécessitait que quelques heures par mois sans responsabilité de supervision, avait de toute évidence l’intention de corriger son comportement et de la punir en quelque sorte. M. Friesen semble être arrivé à la même conclusion dans son rapport. Il a déclaré que, même si le retrait des responsabilités de gestion d’un employé pouvait être qualifié de mesure administrative prise pour remédier à des problèmes de rendement, dans les circonstances de la présente affaire, la mesure imposée avait un [traduction] « caractère punitif ».

122 L’employeur a fait valoir que la décision de retirer la fonctionnaire de son poste était de nature purement administrative. Néanmoins, la preuve a démontré que les politiques et les procédures de l’Agence concernant les questions administratives n’ont pas été respectées. La fonctionnaire n’a reçu aucun avertissement au sujet de son prétendu mauvais rendement, et M. Arsenijevic a reconnu que la politique de l’ARC, intitulée [traduction] « Guide de gestion – rendement insatisfaisant », n’avait pas été respectée. En outre, aucune preuve directe n’a été présentée pour démontrer que le retrait de la fonctionnaire de son poste était requis en réponse à une situation de harcèlement ou à un besoin urgent de modifier la façon dont le travail était organisé, deux situations que Mme Bolduc a désignées comme étant des exceptions à la nécessité d’obtenir le consentement de l’employé avant de faire changer de poste à un employé administrativement. En revanche, la fonctionnaire a été convoquée à une [traduction] « réunion disciplinaire de niveau II » afin de discuter, au moins en partie, d’un présumé acte d’insubordination de sa part; on lui a accordé le droit à la représentation et, en fin de compte, on l’a retirée de son poste et affectée à un autre qui, selon la preuve qui m’a été présentée, ne correspond pas du tout à un poste. Par conséquent, je conclus que les actes de l’employeur étaient motivés par une intention disciplinaire.

123 Selon l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, j’ai compétence pour entendre les griefs alléguant une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire. L’employeur a fait valoir que tout effet négatif lié à la rémunération au rendement n’était pas une sanction pécuniaire, puisque l’attribution d’une rémunération au rendement est discrétionnaire. La rémunération au rendement a beau être discrétionnaire, le fait de ne pas l’accorder à un employé peut être disciplinaire, selon l’intention de l’employeur.

124 L’employeur a toutefois raison de faire valoir que la jurisprudence indique clairement qu’une perte financière ne correspond pas nécessairement à une sanction pécuniaire. La fonctionnaire s’est vu refuser sa rémunération au rendement pour 2007-2008. Elle s’est plainte du fait que M. Cloutier et M. Bouchard ont refusé d’effectuer une évaluation du rendement dans un délai approprié et que, finalement, ils ont apporté des changements à l’évaluation sans en discuter avec elle ni lui fournir une justification de ces changements. L’employeur a soutenu que M. Cloutier avait le droit de réviser les documents de l’évaluation pour refléter sa perception et sa compréhension des événements et le rendement de la fonctionnaire et son comportement. Compte tenu de la prépondérance des probabilités, je conclus que le retrait de la rémunération au rendement de la fonctionnaire pour 2007-2008 était inextricablement lié et motivé par son inconduite présumée, qui a également entraîné la perte de son poste.

125 En outre, la fonctionnaire a perdu sa rémunération au rendement de façon prospective et, en raison de sa nouvelle affectation, elle était tenue de payer des cotisations syndicales, puisqu’elle n’assumait plus de fonctions de gestion, même si elle a conservé le même niveau de classification. Même si les pertes financières prospectives qu’elle a subies n’ont pas été « imposées » par l’employeur de la même façon dont la direction « impose » une suspension ou un licenciement découlant d’une mauvaise conduite, les pertes qu’elle a subies étaient néanmoins le résultat de la mesure disciplinaire prise à son égard. Si l’employeur prend,de façon explicite ou déguisée, une mesure disciplinaire à l’égard d’un employé, laquelle « entraîne », pour reprendre les termes utilisés dans la Loi, une sanction pécuniaire imposée à l’employé, cette mesure est arbitrable.

126 En l’espèce, la mesure disciplinaire que la direction a prise à l’égard de la fonctionnaire a causé une perte financière à cette dernière. L’employeur ne peut pas prendre une mesure disciplinaire à l’égard d’un employé en lui imposant une sanction qui rend la mesure non arbitrable, sauf s’il s’agit d’une réprimande verbale ou écrite. De telles réprimandes étaient considérées comme étant tellement minimes que la suppression des droits de recours était acceptable. Cependant, toutes les autres formes de mesures disciplinaires ont été incluses à l’alinéa 209(1)b) de la Loi comme étant arbitrables. L’employeur ne peut pas contourner les dispositions de la Loi en imposant à l’employé une mesure disciplinaire déguisée tout en le privant de toute voie de recours en lui imposant une sanction pécuniaire non pas directement, mais sous couvert d’un autre mécanisme. Je souligne que l’arbitre de grief Galipeau a mentionné à cette question dans Thibault lorsqu’elle a écrit ce qui suit :

[…]

J’en déduis que, dans les faits, Gérald Thibault a fait l'objet d'une mesure disciplinaire que son employeur a choisi de qualifier de « décision administrative […] » dans l'espoir d'éviter […] de voir cette décision portée devant un arbitre et éventuellement annulée […]

[…]

[…] la qualification que voudrait en faire l'employeur apparaît comme une tentative pour mettre la décision à l'abri du regard critique d'un tiers impartial, en l'occurrence, un arbitre.

Or, en faisant cela, l'employeur tente de priver cet employé [de son] droit […] de déposer un grief à l'encontre d'une mesure disciplinaire et de renvoyer ce grief à l'arbitrage. Je suis d'avis que l'intention du législateur […] était de permettre aux employés de se protéger des mesures disciplinaires injustifiées, soient-elles prises ouvertement ou soient-elles prises sous le couvert de différents noms, tels « mesure administrative, etc. » Dans les deux cas, il appartient à l'arbitre de décider de la véritable nature de la décision. Il me semble qu'il n'est pas déraisonnable de penser que la protection accordée par le législateur s'étend aux cas où un employeur a recours à un subterfuge ou, pour des raisons que lui seul connaît, aux cas où un employeur manque de transparence sur la nature disciplinaire d'une décision.

[…]

127 Je conclus, par conséquent, conformément à la preuve et à la jurisprudence, que le retrait de la fonctionnaire de son poste constituait une mesure disciplinaire qui lui a causé une sanction pécuniaire.

D. Critère de Dagenais/Mentuck

128 Enfin, au cours de l’audience, l’employeur a demandé que le rapport d’enquête, déposé comme pièce justificative, soit scellé en vue de protéger les identités de tierces parties, conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’avocat de la fonctionnaire ne s’est pas opposé à la demande de l’employeur. Cependant, toute ordonnance de mise sous scellés doit satisfaire au critère établi par la Cour suprême du Canada, communément appelé « critère de Dagenais/Mentuck ». En outre, le principe de transparence judiciaire l’emporte sur les intérêts énoncés dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je conclus que l’employeur ne m’a pas convaincu de l’existence d’un risque sérieux pour un intérêt important nécessitant la mesure exceptionnelle de mettre sous scellés le document en question, concernant les parties ou les témoins nommés dans la présente décision. La fonctionnaire et les témoins de l’employeur ont eu la possibilité de se défendre contre tout ce qui était contenu dans le rapport. L’avocate n’a pas fourni de détails au sujet de sa demande ni précisé les parties du rapport qui seraient problématiques, même si j’avais bien compris que l’intérêt que l’avocate voulait protéger était uniquement de nature personnelle. Elle n’a pas nommé les personnes qu’elle cherchait à protéger. Tel que l’a affirmé l’arbitre de grief Rogers dans Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120, une telle demande de mise sous scellés devrait être rejetée, car l’employeur cherche à protéger des renseignements personnels, ce qui ne l’emporte pas sur l’intérêt du public quant à la transparence et à l’accessibilité des procédures liées à l’audience.

129 J’ai conclu que, jusqu’à l’audience sur le fond du présent grief, le rapport d’enquête sera réécrit de façon à supprimer tous les noms des tierces parties qui n’avaient pas participé au grief et qui n’avaient pas encore eu l’occasion de témoigner pour leur défense. La question sera réexaminée par les parties devant moi à l’audience sur le fond.

130 Par conséquent, je conclus que le grief de Mme McMullen porte sur une mesure disciplinaire ayant entraîné une sanction pécuniaire, et que j’ai compétence pour entendre le grief sur le fond.

131 Comme mentionné dans le paragraphe 8 de la présente décision, l’employeur a soulevé ce qu’il a qualifié d’objection préliminaire à ma compétence lorsqu’il a écrit à la Commission pour l’informer que le grief n’était pas arbitrable, puisque le retrait des fonctions de la fonctionnaire était de nature administrative plutôt que disciplinaire. Cette objection préliminaire est inévitablement et inextricablement liée au fond de l’affaire. Cependant, à l’audience, l’avocate de l’employeur n’a abordé que la question de savoir si l’intention de l’employeur était disciplinaire, mais n’a pas abordé la question de savoir si l’intention et les actes disciplinaires de la direction étaient justifiés. Après avoir entendu et examiné toute la preuve documentaire et tous les témoignages, j’ai conclu que la fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire, pour les motifs exposés précédemment. Toutefois, il reste à aborder la question de savoir si les actes de la direction étaient justifiés ou non, et une audience sera mise au rôle pour trancher cette question.

132 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

133 L'affaire sera mise au rôle d'audience pour être entendue sur le fond.

Le 3 juin 2013.

Traduction de la CRTFP

David Olsen,
arbitre de grief

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