Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Une ordonnance de production des copies non modifiées d’un rapport d’enquête disciplinaire et de tous les documents connexes ainsi que de l’information liée à la surveillance vidéo a été rendue - le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (le <<syndicat>>) a par la suite demandé une déclaration afin que d’autres catégories de documents soient incluses dans cette ordonnance - il a allégué qu’on avait fait preuve de mauvaise foi au cours du processus d’examen et a demandé que le défendeur confirme qu’il avait remis tous les documents potentiellement pertinents en sa possession - le défendeur a demandé que le syndicat produise un dossier contenant l’information de nature criminelle et d’autres documents pertinents que le fonctionnaire pourrait avoir en sa possession - la demande faisait également référence à de l’information visée par une entente antérieure avec l’employeur selon laquelle l’information ne devait pas être divulguée - l’arbitre de grief a accueilli la demande du syndicat dans son ensemble - il a décrit la portée de ses pouvoirs, aux termes de l’alinéa 226(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, lui permettant d’exiger la production de documents - le critère de la pertinence défendable en ce qui concerne la production de documents avant l’audience est beaucoup plus vaste que le critère de l’admissibilité d’une preuve lors de l’audience - la Loi sur la protection des renseignements personnels n'a aucun effet sur l’obligation qui incombe à une partie de divulguer des documents en vertu d’une ordonnance - l’arbitre de grief a accueilli en partie la demande de divulgation du défendeur, autorisant la production d’un dossier contenant de l’information de nature criminelle - l’information demandée est liée aux événements en cause pendant l’enquête disciplinaire; elle n’était pas liée à un quelconque événement subséquent - le fonctionnaire s’estimant lésé a été invité à donner des détails sur les restrictions relatives à la divulgation d’information, mais il ne l’a pas fait - le critère à appliquer concerne l’obligation de produire des documents potentiellement pertinents et non le fardeau de la preuve - l’objectif de la production de documents diffère de l’exigence de fournir des détails - l’arbitre de grief a refusé d’ordonner la production de l’information visée par une entente antérieure parce que le défendeur s’était privé de son droit d’en avoir une copie - il a précisé qu’il rendait cette décision en supposant que le syndicat ne tenterait pas de se servir de cette information comme preuve durant l’audience. La demande d’ordonnance de production de documents avant l’audience présentée par le syndicat est accueillie. La demande d’ordonnance de production de documents avant l’audience présentée par le défendeur est accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-08-08
  • Dossier:  566-02-5699
  • Référence:  2013 CRTFP 95

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DONALD JAMES SATHER

Fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

Défendeur

Répertorié
Sather c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Dans l'affaire d'un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
William H. Kydd, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Michael J. Prokosh, avocat

Pour le défendeur:
Barry Benkendorf, avocat

Décision rendue sur la base d'arguments écrits,
déposés le 22 mai, les 12 et 24 juin, et le 2 juillet 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Décision provisoire

1 Cette décision provisoire porte sur des demandes du fonctionnaire s'estimant lésé et du défendeur concernant la production de documents préalable à l'audience.

II. Contexte

2 Le 26 avril 2011, le fonctionnaire s'estimant lésé, Donald James Sather, (le « fonctionnaire ») a déposé un grief contestant la décision du 20 avril 2011 du Service correctionnel du Canada (le « SCC ») de le licencier pour avoir prétendument agressé sexuellement une autre employée du SCC. Le grief a été renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Le fonctionnaire était représenté par le Syndicat des agents correctionnels du Canada (CSN) (le « syndicat »).

3 L'arbitrage devait initialement faire l'objet d'une audience à Saskatoon, en Saskatchewan, du 12 au 15 mars 2013.

4 Une téléconférence préparatoire à l'audience a été tenue le 4 mars 2013 pour discuter du partage des documents et de questions procédurales. Lors de la téléconférence, l'avocat du syndicat a soutenu qu'avant le licenciement du fonctionnaire, le défendeur avait rempli et s'était appuyé sur un rapport d'enquête disciplinaire (le « rapport »), en date du 9 mars 2011. Le fonctionnaire en a reçu une copie, mais l'avocat du syndicat a fait remarquer que la grande majorité des 53 pages de la copie du fonctionnaire avaient été grandement modifiée. Selon l'avocat du syndicat, le défendeur aurait rejeté les demandes du syndicat pour une version non modifiée du rapport et de ses annexes ainsi que des copies intégrales et non modifiées des enregistrements vidéo et téléphoniques, des courriels et des messages mentionnés dans le rapport. Il a soutenu que les principes de justice naturelle donnaient au fonctionnaire droit d'accès aux copies intégrales et non modifiées. Ses services ayant été retenus deux semaines et demie avant la téléconférence, l'avocat a dit qu'il avait besoin de temps pour étudier les documents non modifiés. Il a demandé que l'audience soit reportée à la seconde moitié du mois d'août. L'avocat du défendeur a répondu qu'il pourrait envoyer la version non modifiée du rapport d'enquête et de ses annexes d'ici le 5 mars. Il a cependant ajouté qu'il ne pourrait pas envoyer immédiatement les vidéos, car ceux-ci n'étaient alors pas dans un format transférable ou livrable; l'avocat ignorait quand le défendeur serait en mesure de les livrer. Il a ajouté qu'il ignorait si d'autres documents potentiellement pertinents étaient en la possession du défendeur. Le défendeur s'est opposé à la demande d'ajournement.

5 J'ai informé les parties que je serais prêt à reconsidérer la question de l'ajournement plus tard cette semaine et que je tiendrais une autre téléconférence le 8 mars. Entre-temps, le 4 mars, j'ai émis une ordonnance de production exigeant que le défendeur produise et fournisse au syndicat des copies des documents suivants d'ici le 5 mars 2013 :

  1. Une copie intégrale et non modifiée du rapport d'enquête disciplinaire du 9 mars 2011 concernant Donald Sather;
  2. des copies intégrales et non modifiées de toutes les annexes du rapport d'enquête disciplinaire mentionné ci-dessus;
  3. des copies intégrales et non modifiées de tous les enregistrements SaskTel mentionnés dans le rapport d'enquête disciplinaire;
  4. des copies intégrales et non modifiées de tous les courriels et messages envoyés par appareil mobile mentionnés dans le rapport d'enquête disciplinaire.

6 Selon l'ordonnance de production, le défendeur devait également produire ou fournir des copies des documents suivants au plus tard à la date qui sera fixée lors de la téléconférence du 8 mars 2013 :

  1. des copies intégrales et non modifiées de toute la surveillance vidéo de Rogue's Tavern à Prince Albert, en Saskatchewan (à l'intérieur comme à l'extérieur de la taverne) les 12 et 13 janvier 2011;
  2. des copies intégrales des enregistrements vidéo des réunions d'enquête du 20 et du 27 janvier 2011 avec Donald Sather;
  3. tout autre document potentiellement pertinent à l'affaire décrite ci-dessus.

7 Le 7 mars, le syndicat a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») pour l'informer qu'il avait reçu la version non modifiée du rapport le 5 mars et que celle-ci contenait de l'information pertinente qui pourrait aider le fonctionnaire à préparer de façon appropriée son cas. Ces renseignements incluaient le nom des témoins; des observations pertinentes faites le soir et le matin en question concernant les actions, le comportement et les déclarations de la personne qui a formulé les allégations à l'endroit du fonctionnaire; le nom d'un restaurant que l'accusatrice aurait visité le soir en question; la déclaration d'un témoin qui contredirait la version des faits et les observations de l'accusatrice; des déclarations d'autres individus à l'appui du fonctionnaire.

8 Le syndicat a soutenu que ces renseignements, combinés au fait qu'il n'avait toujours pas de copie des enregistrements de surveillance vidéo, ne lui laisseraient pas le temps d'enquêter suffisamment quant à l'exactitude et l'intégralité de la surveillance vidéo ou de retracer et interroger les témoins potentiels divulgués par les documents et les enregistrements vidéo non modifiés. Le syndicat a donc réitéré sa demande de report de l'audience prévue du 12 au 15 mars et a réclamé la divulgation immédiate des documents faisant partie des trois catégories mentionnées dans la dernière partie de l'ordonnance de production du 4 mars.

9 Le 8 mars, j'ai accédé à la demande du syndicat concernant le report de l'audience, sous réserve des modalités convenues par les deux parties et paraphrasées ci-dessous :

  1. L'audience aura lieu du 26 au 30 août 2013 et sera entendue à Prince Albert, Saskatchewan.
  2. Mon ordonnance du 4 mars 2013 était toujours en vigueur; le syndicat étudiera dès que possible les six CD et DVD d'information fournis plus tôt le jour même par le défendeur pour vérifier si l'ordonnance a été respectée, puis avisera le défendeur de faire de même le plus tôt possible.
  3. Dans les six semaines après avoir confirmé que l'ordonnance du 4 mars avait été respectée, le syndicat divulguerait au défendeur tous les documents non confidentiels en sa possession sur lesquels il compte s'appuyer lors de l'audience (laquelle sera tenue au plus tard huit semaines après le 8 mars, à moins de problèmes extrêmes ou de défectuosité des six CD et DVD fournis aujourd'hui par le défendeur).
  4. Rien dans l'entente n'empêchait l'une ou l'autre des parties de réclamer d'autres divulgations.
  5. Les parties se sont entendues pour indiquer dès que possible à la CRTFP si les cinq nouvelles dates en août suffisaient ou si des dates supplémentaires sont nécessaires.

10 Le 22 mai 2013, le syndicat a demandé à la Commission les ordonnances suivantes :

[Traduction]

A) Une déclaration que tous les documents faisant partie des 3 catégories de documents suivantes sont couverts par l'ordonnance du 4 mars 2013 de la Commission des relations de travail dans la fonction publique :

Tous les documents en la possession de l'Employeur qui sont potentiellement pertinents à l'affaire décrite ci-dessus, y compris, mais sans s'y limiter :

1) tous les documents (lettres, notes, notes de service, courriels, messages texte, BBM, etc.) transmis ou reçus par le service des ressources humaines du Pénitencier de la Saskatchewan ou les Services correctionnels du Canada potentiellement pertinents à :

a) tous commentaires, questions, lignes directrices ou directives ayant été communiqués et qui porte sur comment le rapport d'enquête disciplinaire du 9 mars 2011 devrait être examiné ou modifié avant d'être remis au fonctionnaire;

et

b) la manière dont le rapport d'enquête disciplinaire du 9 mars 2011 devrait être examiné ou modifié avant d'être remis au fonctionnaire.

2) des copies non examinées et non modifiées de toutes les notes, notes de service et lettres potentiellement pertinentes à la discussion du 26 janvier 2011 de l'équipe du comité d'enquête disciplinaire du SCC avec l'agent de police Ratt (mentionnée à la page 35 du rapport d'enquête disciplinaire du 9 mars 2011);

3) des copies non examinées et non modifiées de toutes les notes, notes de service et lettres potentiellement pertinentes à l'audience disciplinaire du 12 avril 2011 concernant le fonctionnaire.

(Collectivement, les « documents potentiellement pertinents »)

et

B) Que le Défendeur divulgue des copies de tous les documents potentiellement pertinents au Syndicat (a/s de Michael J. Prokosh) au  plus tard 7 jours civils après la décision concernant cette demande par la CRTFP.

11 Le syndicat a affirmé que sa demande devrait être traitée sur la base d'arguments écrits. Le défendeur a répondu en demandant une audience et en invoquant qu'il s'agissait de la pratique courante. Par la même occasion, il a indiqué son intention d'apporter sa propre demande de production de la part du syndicat. Étant donné la longueur et la complexité des demandes, j'ai décidé de trancher les demandes au moyen d'arguments écrits.

12 Le 12 juin 2013, le défendeur a déposé ses arguments écrits en réponse à la demande du syndicat. Il y a joint plusieurs documents relatifs à l'examen du rapport d'enquête disciplinaire, aux discussions avec l'agent policier Ratt, et à l'audience disciplinaire du 12 avril 2011. Le défendeur a inclus en même temps sa propre demande de production du [traduction] « syndicat/employé ». Il a affirmé que la question clé de l'arbitrage était de savoir si le fonctionnaire avait agressé sexuellement une employée du SCC. Il a déclaré que ces allégations ont mené à l'accusation criminelle du fonctionnaire et que l'affaire avait fait l'objet d'une enquête préliminaire. Le fonctionnaire, selon le défendeur, aurait pris connaissance des divulgations en vertu de R. c. Stinchcombe [1991] 3 R.C.S. 326 et des dispositions du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Ainsi, le défendeur a affirmé avoir écrit à l'avocat du syndicat le 5 avril pour réclamer la divulgation de tous les documents liés à l'enquête criminelle, de même que tout document découlant des témoignages lors de l'enquête préliminaire.

13 Selon le défendeur, étant donné la participation du fonctionnaire au processus d'enquête criminelle, celui-ci détenait probablement beaucoup de renseignements dont le SCC et le défendeur ne disposaient pas. Le défendeur a déclaré que la position du syndicat était qu'il n'avait à produire que les documents sur lesquels il comptait s'appuyer à l'audience. Le défendeur a reconnu qu'il s'agissait de l'une des modalités de l'ordonnance du 8 mars, mais a déclaré qu'à la lumière des arguments anticipés de mauvaise foi de la part du syndicat, il a été demandé que le syndicat soit forcé de produire des documents au même motif que lui, c'est-à-dire des documents qui [traduction] « pourraient être pertinents ». Par exemple, il a allégué que le syndicat avait enregistré plusieurs des réunions au cours du processus disciplinaire, mais qu'il ne les avait pas produits.

14 Le défendeur a donc demandé à la Commission de rendre l'ordonnance suivante :

  1. Que le syndicat et M. Sather produisent tout document potentiellement pertinent.
  2. Que l'ordonnance de production comprenne précisément toute divulgation liée à l'enquête criminelle que M. Sather a reçue directement ou par l'entremise de son avocat au fil des processus d'enquête criminelle lors desquels il a été accusé d'agression sexuelle à l'encontre de [la victime alléguée].
  3. S'il y a entrave juridique à la divulgation de tout document potentiellement pertinent par M. Sather, celui-ci devra fournir des détails précis relatifs à tout obstacle de droit par l'entremise de l'avocat du syndicat.
  4. Si le défendeur a besoin de présenter une demande supplémentaire pour surmonter un obstacle de droit relativement à la divulgation des documents de M. Sather, il sera libre de présenter la demande, après notification appropriée à l'égard de toute partie pouvant détenir un intérêt juridique quant aux documents.

III. Résumé des arguments

 A. Production de documents supplémentaires par le défendeur

1. Entre le service des RH du Pénitencier de la Saskatchewan et le défendeur en ce qui concerne la manière dont le rapport du 9 mars 2011 devrait être examiné ou modifié 

15 Dans ses arguments du 22 mai 2013, le syndicat a affirmé qu'après avoir reçu la version non modifiée du rapport, conformément à l'ordonnance du 4 mars, il a immédiatement noté qu'une grande partie de l'information modifiée était pertinente et que dans plusieurs cas, cette information était en sa faveur. Selon le syndicat, l'information incluait le nom de certains témoins qui ont fait des dépositions lors de l'enquête disciplinaire deux ans auparavant; des observations pertinentes faites la nuit et le matin en question sur les actions, le comportement et les déclarations de la personne qui a fait les allégations; le nom d'un restaurant visité par plusieurs personnes, y compris l'accusatrice, et des observations sur qui a consommé de l'alcool; des observations et déclarations d'un témoin dont le nom avait été expurgé, qui affirme avoir observé l'accusatrice et le fonctionnaire peu de temps avant que l'inconduite présumée ait lieu. Le syndicat a allégué que les observations et les déclarations de ce témoin étaient en faveur du fonctionnaire. Ce témoin a déclaré que, selon ses observations, elle ne croyait pas à la version des faits de l'accusatrice. Le syndicat a souligné que l'information incluait également des observations et des déclarations faites la nuit et le matin en question par d'autres individus et qui appuyaient elles aussi le cas du fonctionnaire.

16 Le syndicat a soutenu qu'à la lumière de l'étendue de l'information modifiée, il comptait faire valoir que l'enquête du défendeur et la manière dont celui-ci avait licencié le fonctionnaire constituaient de la mauvaise foi et une conduite malveillante. Il a avancé que le défendeur avait délibérément modifié le rapport d'enquête de manière à dissimuler beaucoup plus d'information que nécessaire. Selon lui, 53 des 72 pages du rapport étaient modifiées. Sur la base de ce fait, il compte alléguer lors de l'audience que le défendeur a « […] agi délibérément et avec malice à l'égard du fonctionnaire […] », citant Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70, paragraphe 346; [2010] C.P.L.R.B. no 79, paragraphe 346 (QL).

17 Dans sa réponse du 12 juin 2013 relative à cette partie de la demande du syndicat, le défendeur a ajouté à ses arguments plusieurs documents qui, espérait-il, satisferaient le syndicat et la Commission afin qu'aucune autre ordonnance de production de la part de l'employeur ne soit requise. Le défendeur a joint une copie d'une note de présentation du Pénitencier de la Saskatchewan à la division de l'accès à l'information et protection des renseignements personnels (AIPRP) du SCC indiquant que le rapport y était joint et lui demandant de créer une [traduction] « copie examinée » qui pourrait être partagée avec le fonctionnaire. L'argument du défendeur comprenait également une note de service du directeur adjoint de la division de l'AIPRP de l'administration centrale, portant le sceau [traduction] « Reçu le 30 mars 2011 » et accompagnée d'une copie examinée du rapport. La note de service indiquait que le rapport avait été examiné en vertu des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21, et que [traduction] « certains renseignements personnels concernant d'autres individus avaient été supprimés ». On pouvait également y lire [traduction] : « La divulgation de cette information se fait donc dans le respect des principes d'"application régulière de la loi" et de "justice naturelle", permettant ainsi à Donald Sather de recevoir tous les faits et toutes les circonstances touchant aux allégations et aux constatations. »

18 Le défendeur a également joint une lettre datée du 12 avril 2011. Cette lettre provenait du directeur intérimaire du Pénitencier de la Saskatchewan et était adressée à l'avocat du fonctionnaire à l'époque. La lettre disait, entre autres choses :

[Traduction]

Toute l'information relative à l'enquête disciplinaire a été transmise à la direction générale de l'accès à l'information et protection des renseignements personnels, comme l'exige le protocole de partage d'information. L'information que vous avez demandée dans vos communications a été examinée conformément aux articles 22 et 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels [] Je ne peux pas autoriser la diffusion d'information supplémentaire.

19 Le défendeur a également joint à ses arguments une série de courriels datés du 18 au 31 mars 2011 entre le Pénitencier de la Saskatchewan et le bureau de l'AIPRP. Ces courriels visaient à faire le suivi quant à l'avancement de l'examen. Le défendeur a avancé que selon les documents qu'il avait présentés avec ses arguments, il ne devrait y avoir aucun doute que les documents avaient été examinés en vertu des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et transmis en vertu des considérations d'AIPRP. Le défendeur a exprimé des réserves relativement à la notion selon laquelle la méthode d'examen pourrait mener à un argument de mauvaise foi. Il a également fait valoir qu'à moins que le syndicat puisse préciser en quoi une déclaration de mauvaise foi pourrait être effectuée sur la base de l'examen menée en vertu des dispositions de l'AIPRP, il était impossible d'établir un motif où toute documentation supplémentaire à ce sujet pourrait être pertinente. Ainsi, il a donc demandé que cette partie de la demande soit considérée classée ou rejetée.

20 Dans sa réponse du 24 juin 2013 à la réponse du défendeur, le syndicat a fait valoir que le défendeur n'avait pas déclaré que les documents produits avec ses arguments pouvaient être inclus dans la catégorie de document intitulée, dans sa réponse, [traduction] « première catégorie » des documents qu'il demandait. Par souci de commodité, nous recopions ci-dessous cette première catégorie :

[Traduction]

Tous les documents en la possession de l'Employeur qui sont potentiellement pertinents à l'affaire décrite ci-dessus, y compris, mais sans s'y limiter :

1. tous les documents (lettres, notes, notes de service, courriels, messages texte, BBM, etc.) transmis ou reçus par le service des ressources humaines du Pénitencier de la Saskatchewan ou les Services correctionnels du Canada potentiellement pertinents à :

a) tous commentaires, questions, lignes directrices ou directives ayant été communiqués quant à la manière dont le rapport d'enquête disciplinaire du 9 mars 2011 devrait être examiné ou modifié avant d'être remis au fonctionnaire;

et

b) la manière dont le rapport d'enquête disciplinaire du 9 mars 2011 devrait être examiné ou modifié avant d'être remis au fonctionnaire.

21 Le syndicat a ajouté qu'au lieu de confirmer que tous les documents de la première catégorie en la possession du défendeur avaient été divulgués, le défendeur avait dit [traduction] « qu'il était impossible de trouver un fondement quant à la pertinence potentielle de toute documentation supplémentaire à ce sujet » (je souligne). Le syndicat a avancé que, par cette déclaration, le défendeur sous-entendait qu'il possédait – ou, du moins, avait de fortes chances de posséder – d'autres documents appartenant à la première catégorie.

2. Au regard de la discussion avec l'agent de police Ratt

22 Dans ses arguments déposés le 22 mai 2013, le syndicat a souligné que des notes prises lors d'une discussion entre le SCC et l'agent de police Ratt, le 26 janvier 2011, étaient pertinentes. En effet, un courriel mentionné dans le rapport, lequel courriel aurait été envoyé par l'accusatrice, faisait valoir que celle-ci remettait en doute certains des détails ayant mené aux faits et qu'elle était si confuse qu'elle avait écrit un courriel à l'agent de police Ratt afin que les accusations soient retirées. Un peu plus loin dans le rapport, on apprend que, [traduction] « […] le 26 janvier, l'équipe d'enquête a parlé à l'agent de police Ratt ».

23 Dans sa réponse à cette partie des arguments du syndicat, le défendeur a dit, notamment : [traduction] « Nous avons à présent eu l'occasion de rechercher toute documentation en lien avec l'argument ci-dessus, et il semble qu'il n'en existe qu'une page ». Il a joint la page à ses arguments et a poursuivi [traduction] : « quoi qu'il en soit, il ne s'agissait apparemment que d'une brève conversation et qu'il n'aurait pu raisonnablement découler de cette conversation quoi que ce soit d'important en matière de documentation ».

24 Le syndicat a répondu ainsi à cette réplique :

[Traduction]

Avec tout le respect que nous devons à l'Employeur, soit celui-ci possède d'autres documents potentiellement pertinents à la seconde catégorie, soit il n'en possède pas. Des commentaires de l'ordre de « il semble qu'il n'en existe qu'une page [] » et « il ne s'agissait apparemment que » ne représentent pas une confirmation écrite que l'Employeur n'a pas d'autres documents potentiellement pertinents en sa possession.

3. Documents qui pourraient être pertinents dans le cadre de l'audience disciplinaire du 12 avril 2011 et tout autre document potentiellement pertinent en la possession du défendeur

25 Dans ses arguments du 22 mai 2013, le syndicat a soumis que, généralement, le critère de production au stade préalable à l'audience est de déterminer si un document est potentiellement pertinent ou d'une pertinence défendable, citant Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2010 CRTFP 46. Le syndicat a fait valoir que le critère de la pertinence défendable d'un document est plus large que le critère de pertinence au stade de l'audience. Sa position est donc qu'il faudrait produire tous les documents en lien avec l'audience disciplinaire du 12 avril 2011 ou tout autre document en la possession du défendeur d'une pertinence défendable ou potentielle relativement à la question de savoir si le défendeur a agi de manière délibérée et malicieuse à l'encontre du fonctionnaire.

26 En ce qui concerne l'audience disciplinaire, le défendeur a répondu en joignant à ses arguments une note de service de Laura Macadam, directrice des ressources humaines du Pénitencier de la Saskatchewan, résumant le déroulement de l'audience disciplinaire. Il a également joint une lettre à l'intention du fonctionnaire en lien avec le rapport et les notes prises par Mme Macadam lors de la réunion.

27 Dans sa réponse du 24 juin 2013, le syndicat a de nouveau fait valoir que le défendeur n'avait jamais confirmé par écrit qu'il ne possédait pas d'autres documents potentiellement pertinents à l'audience disciplinaire. Il a réitéré sa demande d'une ordonnance exigeant que le défendeur confirme par écrit qu'il ne possède pas d'autres documents potentiellement pertinents à l'audience disciplinaire du 12 avril 2011.

B. Production de documents supplémentaires par le syndicat

1. Documents de la Couronne reçus par le fonctionnaire lors de l'enquête criminelle

28 À l'appui de la demande de production de documents que le fonctionnaire a reçue de la Couronne, le défendeur a soutenu que la question clé du grief était de savoir si le fonctionnaire avait agressé sexuellement une employée du SCC. Il a fait valoir qu'à la suite de ces allégations, le fonctionnaire a fait face à une accusation criminelle et l'affaire a fait l'objet d'une enquête préliminaire. Ainsi, le fonctionnaire devrait avoir reçu des documents de la Couronne. Le défendeur a affirmé que le fonctionnaire possédait sans doute beaucoup de renseignements que lui-même n'avait pas. Il a réclamé ces renseignements à l'avocat du syndicat, mais celui-ci a refusé de les produire au motif que tout document divulgué par la Couronne était sans doute sujet à des conditions très strictes. Le défendeur a alors demandé à l'avocat du syndicat de demander au fonctionnaire s'il existait des obstacles juridiques à la divulgation de ces documents et d'informer le défendeur de sa position quant à la question d'obtenir les documents, que ce soit par ordonnance de la cour ou directement auprès de la Couronne. Selon le défendeur, l'avocat du syndicat n'a pas répondu.

29 Le défendeur a affirmé savoir que l'accusatrice avait fait une déclaration vidéo et a soutenu que la production de l'enquête policière aiderait la Commission à déterminer la question centrale. Le fonctionnaire n'était pas à l'abri d'une exigence de divulgation de documents.

30 Le défendeur a reconnu que l'une des modalités de l'ordonnance du 8 mars 2013, convenue par les deux parties, faisait en sorte que le syndicat ne devait produire que les documents sur lesquels il comptait s'appuyer à l'audience. Cependant, cette même ordonnance précisait que rien dans cette entente n'empêchait l'une ou l'autre des parties de réclamer la divulgation d'autres documents.

31 Le défendeur a soutenu qu'à la lumière des arguments prévus de mauvaise foi soulignés par le syndicat, ce dernier devrait avoir à produire des documents aux mêmes motifs que le défendeur, soit des documents [traduction] « potentiellement pertinents ».

32 En ce qui concerne la tentative de l'avocat du syndicat de différencier l'obligation du syndicat de produire les documents en sa possession de ceux en la possession du fonctionnaire, le défendeur a noté que plusieurs documents en lien avec les dommages potentiels, y compris des dossiers d'impôt, ont été produits récemment par le syndicat. Or, ces documents ne seraient normalement pas en sa possession; c'est donc probablement le fonctionnaire qui les lui a donnés. Le défendeur a soutenu qu'il n'y avait aucune raison de produire tous ses documents alors que le fonctionnaire et le syndicat conservaient les leurs.

33 Le syndicat a répondu que l'ordonnance du 8 mars ne lui demandait de divulguer que les documents sur lesquels il comptait s'appuyer à l'audience. Il a satisfait à cette exigence, ce que le défendeur a confirmé. Le syndicat n'avait donc pas à divulguer d'autres documents.

2. Tous les autres documents potentiellement pertinents en la possession du syndicat

34 Le défendeur a affirmé savoir que le syndicat avait enregistré plusieurs des réunions tenues lors du processus disciplinaire. Il a prévu que le syndicat formulerait des critiques à l'égard de ces réunions, mais les enregistrements n'ont pas été produits. De plus, le défendeur a présumé que des notes devaient avoir été prises par le fonctionnaire ou un membre du syndicat lors des réunions. Selon lui, tous ces documents, y compris les enregistrements, devraient être produits.

35 En réponse, le syndicat a soutenu qu'en 2009, le défendeur et le syndicat avaient signé une entente qui était toujours en vigueur. Le syndicat a joint cette entente à ses arguments. L'entente disait entre autres :

[Traduction]

L'objet de la présente entente est de clarifier les droits du représentant de l'employé et de l'employé faisant l'objet d'une audience ou d'une enquête disciplinaire, ou d'une audience ou d'une enquête administrative.

[…]

[L]'employé et son représentant n'ont pas à fournir une copie de leurs notes au groupe responsable de l'enquête.

L'employé et son représentant ont le droit d'enregistrer toute réunion d'enquête; cet enregistrement est leur propriété. Le port d'équipement d'enregistrement dans l'établissement pour enregistrer l'entrevue doit être préalablement autorisé par le responsable de l'établissement.

L'employé et son représentant n'ont pas à laisser une copie de l'enregistrement au comité responsable de l'enquête.

36 Selon le syndicat, le défendeur et lui avaient clairement conclu une entente établissant que le fonctionnaire et le syndicat, à titre de représentant du fonctionnaire, avaient le droit lors des réunions de prendre des notes et des enregistrements et qu'ils n'étaient pas obligés de les divulguer. La demande du défendeur pour une ordonnance de divulgation de ces notes et enregistrements allait à l'encontre de l'entente et devrait être rejetée.

37 Le syndicat a soutenu que, comme ce cas concernait un licenciement, il incombait au défendeur de prouver sa thèse. Il a cité l'extrait suivant de Riverside Forest Products Limited, Armstrong Division v. Industrial Wood and Allied Workers of Canada, Local 1‑423, [2000] B.C.C.A.A.A No. 31 (QL), qui met en valeur ce principe :

[Traduction]

Le jury a aussi affirmé que c'est « l'inconduite fondamentale alléguée par un employeur qui doit être prouvée d'après la prépondérance des probabilités, avec ou sans explication de l'employé ».

Il s'agit d'un cas de licenciement. C'est à l'employeur qu'il incombe de prouver les faits sur lesquels il s'est appuyé pour le licenciement. Le syndicat a le droit de garder le silence jusqu'à ce que l'employeur ait présenté ses arguments.

38 De plus, le syndicat a soutenu que la tâche principale de la Commission à l'audience serait d'examiner la décision du défendeur dans le contexte où elle a été prise, selon l'information à la disposition du défendeur à l'époque, en 2011; il a cité Cie minière Québec Cartier c. Québec, [1995] 2 R.C.S. 1095 (« Québec Cartier »). Le syndicat a fait valoir que le défendeur avait reconnu qu'il ne possédait pas les documents divulgués propres à l'enquête criminelle au moment de prendre sa décision de licencier le fonctionnaire en 2011 et qu'il ne les possédait toujours pas. Le syndicat a donc affirmé que toute information contenue dans les documents divulgués propres à l'enquête criminelle, que le défendeur ne possédait pas lorsqu'il a licencié le fonctionnaire en 2011, ne pouvait pas, conformément à Québec Cartier, soutenir la thèse du défendeur à l'audience.

39 En réponse à la réplique du syndicat, le défendeur a laissé entendre qu'une différence d'opinion fondamentale existait entre le syndicat et lui quant à la nature de l'arbitrage. Selon lui, le syndicat s'appuyait sur Québec Cartier pour dire que la tâche de la Commission serait [traduction] « d'examiner la décision du défendeur dans le contexte où elle a été prise, selon l'information à la disposition du défendeur à l'époque, en 2011 ». Le défendeur a allégué que si tel était le cas, l'audience à venir serait essentiellement un contrôle judiciaire de la décision de l'administrateur général du SCC et il n'y aurait que peu ou pas de besoin de réclamer des preuves, sauf pour demander à l'auteur de la décision d'expliquer sa décision. Le défendeur a affirmé que la position du syndicat était fausse, citant Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, paragraphe 26 : « Il incombe à l'employeur de prouver les faits sous‑jacents invoqués pour justifier l'imposition d'une mesure disciplinaire […] »

40 Dans le cas présent, le défendeur a reconnu qu'il lui revenait de démontrer que le fonctionnaire avait agressé sexuellement l'accusatrice. La Commission devra évaluer la crédibilité et peut-être accepter certaines preuves et en rejeter d'autres. En l'espèce, le défendeur a interrogé plusieurs témoins clés au fil de son enquête et a conservé et produit leurs déclarations. Plusieurs de ces témoins auraient probablement fourni des preuves lors de l'enquête criminelle, ce qui est pertinent car cela aiderait à évaluer leur crédibilité.

41 Le défendeur n'a pas demandé à la Commission de prendre une décision sur les éléments de preuve admissibles à l'audience. Il s'agit d'une demande préliminaire de divulgation. La divulgation à ce stade permettra à toutes les parties de mieux comprendre les preuves des témoins proposés et évitera les surprises lors de l'audience.

42 Le défendeur a affirmé que Québec Cartier appuyait sa position. La décision en question indique au paragraphe 13 :

Ceci m'amène à la question que j'ai soulevée plus tôt quant à savoir si un arbitre peut prendre en considération la preuve d'événements subséquents lorsqu'il statue sur un grief relatif au congédiement d'un employé par la compagnie. À mon avis, un arbitre peut se fonder sur une telle preuve, mais seulement lorsqu'elle est pertinente relativement à la question dont il est saisi. En d'autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné […]

43 Le défendeur n'a pas cherché de preuve d'événements subséquents, comme il a été envisagé dans Québec Cartier. Il a cherché des déclarations et des documents sur la même série de transactions que celles dont il était question lors de l'enquête disciplinaire.

44 Au sujet de sa demande d'enregistrements et d'autres documents, le défendeur a soutenu que, bien que le syndicat et lui aient convenu que des copies des notes d'enregistrement n'avaient pas à être fournis au groupe responsable de l'enquête, cette entente ne s'appliquait qu'à l'enquête disciplinaire. Le processus de grief est en cours et le syndicat a indiqué qu'il comptait contester le processus disciplinaire et soulever des arguments sur la mauvaise foi alléguée du défendeur lors de ce processus. Il ne fait aucun doute qu'un ou plusieurs témoins devront témoigner quant au déroulement des réunions disciplinaires. Le défendeur a affirmé qu'il serait contraire aux principes fondamentaux de notre système judiciaire de laisser la Commission prendre une décision sur les faits en question sans avoir à sa disposition les preuves les plus solides, comme les notes et les enregistrements audio.

IV. Motifs

45 L'alinéa 226(1) e) de la Loi m'habilite à « […] obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont [l'arbitre] est saisi […] »

46 Le critère de pertinence est très large dans le cas de la production de documents préalables à l'audience, tel qu'il est expliqué dans Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2010 CRTFP 46, paragraphes 27 à 29 :

[27] […] Dans leur ouvrage intitulé Canadian Labour Arbitration (4e édition), Brown et Beatty ont décrit en ces termes les paramètres applicables pour déterminer si une ordonnance de production s'impose :

[Traduction]

3:1400 Communication préalable à l'audience

[…]

[…] la justice naturelle exige que les parties ne se prennent pas par surprise, et c'est pourquoi certains arbitres ont exigé la communication avant l'audience des renseignements et des documents nécessaires pour qu'elles puissent participer correctement à la procédure d'arbitrage des griefs.

[…]

3:1420 Production de documents

La raison pour laquelle il faut produire des documents diffère quelque peu de celle pour laquelle on doit produire des détails, en ce que la production de documents aide une partie à préparer effectivement sa cause, alors que les détails l'informent simplement de la preuve qu'elle devra réfuter […]

3:1422 Ordonner la production

Le critère fondamental pour ordonner la production de documents consiste à décider s'ils peuvent être pertinents relativement aux questions en litige. À cet égard, le critère à l'étape de la communication préalable à l'audience consisterait à déterminer si l'on peut prétendre qu'ils sont pertinents ou s'ils sont « potentiellement pertinents » […]

[28] Dans Toronto District School Board, l'arbitre Owen Shime a souscrit au principe bien établi selon lequel il faut privilégier une position libérale quant à la production des documents à l'étape préalable à l'audience. Il l'a exprimé en ces termes au paragraphe 24 de sa décision :

[Traduction]

[…]

(iii) Tous les documents dont on peut dire qu'ils sont pertinents ou qui semblent ou paraissent pertinents doivent être produits. Le critère de la pertinence pour les fins de la production avant l'audience est beaucoup plus large et beaucoup moins strict que celui qui s'applique à l'audience même. Un conseil d'arbitrage avant l'audience n'est tout simplement pas en mesure d'imposer des règles précises sur ce qui pourrait être pertinent à l'audience, et il ne devrait pas non plus en imposer.

[29] Dans Malaspina University College, l'arbitre a souligné que [traduction] « […] le fait que [les documents réclamés] sont pertinents ou pas et l'importance [qu'il faut] leur accorder ne sont pas les questions déterminantes à ce stade […] »

A. Ordonnance de production relative au service des RH du Pénitencier de la Saskatchewan en ce qui concerne la manière dont le rapport devrait être examiné ou modifié

47 Le premier point à considérer est la demande du syndicat que le défendeur produise tous les documents échangés entre le service des RH du Pénitencier de la Saskatchewan et le SCC qui concernent la manière dont le rapport devrait être examiné ou modifié.

48 Le défendeur a joint à ses arguments plusieurs documents échangés entre ces parties qui devraient, selon lui, satisfaire le syndicat et la Commission, ajoutant qu'il contestait par ailleurs l'idée que la méthode d'examen puisse mener à un argument de mauvaise foi. Le syndicat a cité Robitaille comme exemple d'un cas où des dommages ont été accordés lorsque les représentants d'un employeur ont agi délibérément et avec malice à l'encontre d'un fonctionnaire s'estimant lésé. Le syndicat a allégué que, dans le cas présent, l'étendue des modifications et la pertinence de certains des renseignements révélés lorsque le rapport intégral a été produit laissaient planer des soupçons de mauvaise foi, dans la mesure où les documents étaient pertinents.

49 Au stade préalable à l'audience, il n'y a nul besoin d'aller au-delà d'une décision établissant la pertinence défendable des documents. À mon avis, les documents relatifs à la manière dont le rapport devrait être examiné ou modifié, que réclame le syndicat, répondent à ce critère. Le syndicat a souligné que l'avocat du défendeur n'avait jamais déclaré dans ses arguments que tous les documents demandés avaient été produits; seulement que le contenu des documents produits devrait suffire. J'ordonne donc la production de tous les documents de cette catégorie n'ayant pas encore été produits. La Loi sur la protection des renseignements personnels ne change rien à l'obligation du défendeur de divulguer et de produire les documents conformément à l'ordonnance de la Commission. Le pouvoir de la Commission pour forcer la production de documents est large et fondé sur le principe de justice naturelle.

B. Documents relatifs à la discussion avec l'agent de police Ratt

50 La question suivante concerne la demande du syndicat pour que le défendeur produise tous les documents en lien avec la discussion du 26 janvier 2011 avec l'agent de police Ratt et l'audience disciplinaire du 12 avril 2011.

51 Le défendeur a produit un document en lien avec cette demande, celui mentionné par son avocat lorsqu'il a dit [traduction] « il semble qu'il n'en existe qu'une page ». L'avocat du syndicat a de nouveau commenté qu'une telle déclaration n'équivalait pas à une confirmation écrite que le défendeur n'avait aucun autre document potentiellement pertinent. J'interprète la déclaration de l'avocat du défendeur comme signifiant qu'il croyait que le seul document en la possession du défendeur était celui produit; j'accepte cette allégation. Cependant, le syndicat, peut-être par excès de prudence influencé par ses soupçons de mauvaise foi, a réclamé une ordonnance liant le défendeur; j'estime que le syndicat a droit à cette ordonnance afin de s'assurer que si d'autres documents existent, il incombe au défendeur de les produire.

C. Documents relatifs à l'audience disciplinaire du 12 avril

52 Les mêmes commentaires s'appliquent aux documents pertinents à l'audience disciplinaire du 12 avril. Il est sous-entendu que les trois documents joints aux arguments du défendeur dans le cadre de la réplique constituaient tous les documents en sa possession qui étaient potentiellement pertinents à l'audience disciplinaire. Il n'y a cependant aucune confirmation écrite qu'il n'existe pas d'autres documents. Le syndicat a droit à une ordonnance où le défendeur confirmerait l'absence d'autres documents ou que le défendeur produise tout document potentiellement pertinent qu'il n'a pas encore divulgué.

D. Documents remis par la Couronne au fonctionnaire lors de la procédure pénale

53 La question suivante porte sur la demande du défendeur que le syndicat produise tous les documents reçus de la Couronne par le fonctionnaire dans le cadre de la procédure pénale.

54 Le syndicat a fait valoir que l'ordonnance du 4 mars ne lui demandait de produire que les documents sur lesquels il comptait s'appuyer. Nul ne conteste qu'il ait produit ces documents. Cependant, selon les modalités de l'ordonnance du 8 mars, aucune des parties n'était empêchée de demander des divulgations supplémentaires.

55 Dans ses arguments, le défendeur a avancé que les divulgations de la Couronne comprenaient probablement des déclarations de témoins, qui seraient pertinentes pour aider à juger de la crédibilité des témoins; cela sera sans doute un enjeu important lors de l'audience d'arbitrage. J'estime que les documents divulgués par la Couronne répondent au critère de pertinence défendable.

56 Pour sa part, le syndicat a fait valoir que les preuves de la Couronne n'étaient pas pertinentes, car le défendeur ne les possédait pas et ne les a pas invoquées au moment de sa décision de licencier le fonctionnaire. Il a cité Québec Cartier à l'appui de cet argument. Je ne suis pas d'accord. Dans Québec Cartier, le défendeur a licencié l'un de ses employés en raison d'un grave problème d'alcool. À la suite du licenciement, le syndicat a déposé un grief et l'employé s'est soumis à une cure de désintoxication. L'arbitre de grief dans le cas original a déterminé que le licenciement de l'employé était justifié au moment des faits, mais qu'à la suite du traitement réussi de l'employé, il était approprié que le défendeur annule son licenciement et le fasse réintégrer. La Cour suprême du Canada a ensuite déterminé que l'arbitre de grief avait commis une erreur en considérant les preuves du traitement réussi du fonctionnaire après son licenciement. Au paragraphe 13, la Cour a commenté :

Ceci m'amène à la question que j'ai soulevée plus tôt quant à savoir si un arbitre peut prendre en considération la preuve d'événements subséquents lorsqu'il statue sur un grief relatif au congédiement d'un employé par la compagnie. À mon avis, un arbitre peut se fonder sur une telle preuve, mais seulement lorsqu'elle est pertinente relativement à la question dont il est saisi. En d'autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné […]

57 Le commentaire de la Cour suprême portait sur la pertinence des faits ultérieurs au licenciement. Or, dans le cas présent, le défendeur réclame la production d'éléments de preuve devant prouver des faits antérieurs au licenciement. Dans sa réponse du 2 juillet 2013, le défendeur a noté qu'il cherchait à obtenir des déclarations et des documents relatifs à la même série de transactions que celle dont il était question lors de l'enquête disciplinaire. La Cour n'a jamais interdit l'usage d'éléments de preuve supplémentaires qui n'ont pas été considérés au moment du licenciement, mais pourraient servir à prouver ou à réfuter les faits ayant entraîné le licenciement.

58 Le syndicat a aussi suggéré, dans des arguments déposés plus tôt, qu'il y avait [traduction] « probablement une restriction quelconque » de l'avocat de la couronne interdisant au fonctionnaire de partager avec d'autres personnes les documents qui lui ont été divulgués. L'avocat du défendeur a demandé au syndicat des détails sur une telle restriction, mais n'en a reçu aucun.

59 Le critère de pertinence défendable est un critère plus large que celui de pertinence au stade de l'audience. Le syndicat a également fait valoir que, comme il s'agissait d'un cas de licenciement, il incombait au défendeur de prouver ses allégations. Le syndicat a également laissé entendre qu'il ne devrait pas être permis au défendeur de démontrer le bien-fondé de son cas en s'appuyant sur des documents que le fonctionnaire a été forcé de produire. Je rejette cet argument. S'il est clair que le fardeau de la preuve repose sur le défendeur, cela ne change en rien l'obligation de produire des documents d'une pertinence défendable.

60 Dans Riverside Forest Products Limited, Armstrong Division, mentionnée par le fonctionnaire, il est question d'une demande de précision plutôt que d'une demande de divulgation. L'objet d'une demande de précision, mentionné plus tôt dans mes motifs dans la citation de Canadian Labour Arbitration comprise dans Zhang, diffère du critère de divulgation. Par ailleurs, l'arbitre de grief de Riverside Forest Products, Armstrong Division a clairement indiqué au paragraphe 15 qu'il existait des situations où les moyens de défense soulevés au nom du plaignant pourraient [traduction] « nécessiter une directive de donner des précisions afin de répondre au droit à une audience équitable, ainsi que pour accélérer l'arbitrage et éviter un ajournement ».

61 Le syndicat a également prétendu qu'il ne possédait pas les documents en la possession du fonctionnaire, que le fonctionnaire n'était pas l'une des parties à l'arbitrage, et qu'une ordonnance de production de documents adressée au syndicat ne s'appliquerait donc pas aux documents en la possession du fonctionnaire. Cependant, le défendeur a rappelé que le syndicat avait produit les dossiers d'impôt du fonctionnaire, qui ne pouvaient venir que du fonctionnaire lui-même et seront, présume-t-il, utilisés comme preuve des dommages invoqués par le fonctionnaire. Le défendeur estime que le fonctionnaire ne devrait pas pouvoir choisir quels documents il produit ou pas.

62 Comme l'a souligné le syndicat, le critère de divulgation est plus large que le critère de pertinence au stade de l'audience. Selon moi, lors de la production de documents préalable à l'audience, le fonctionnaire et le syndicat sont conjointement responsables de produire les documents d'une pertinence défendable en leur possession. Je souligne que l'article 226(1)e) de la Loi habilite l'arbitre de grief à obliger quiconque à produire les documents et les éléments potentiellement pertinents.

63 Je suis d'avis que les documents divulgués par la Couronne répondent au critère de pertinence défendable et que le fonctionnaire et son syndicat doivent les produire.

E. Les enregistrements du syndicat et les notes prises lors du processus disciplinaire

64 Le dernier point concerne la demande du défendeur pour que le syndicat produise les notes et les enregistrements pris lors du processus disciplinaire. Or, je suis d'accord avec le syndicat que l'entente de 2009 avait pour but que l'utilisation des notes et des enregistrements du syndicat soit limitée à une utilisation privée par le syndicat. Je crois que l'entente est tout à fait claire en ce qui concerne les notes. La clause selon laquelle [traduction] « l'employé et son représentant n'ont pas à fournir une copie de leurs notes au groupe responsable de l'enquête » démontre sans ambiguïté que, selon l'esprit de l'entente, les notes étaient censées être restreintes à l'usage exclusif du syndicat. Si tel en était l'esprit, alors ces notes restent privées. Le défendeur, en acceptant cette entente, a renoncé à tout droit de consulter les notes. La situation n'est pas la même pour les enregistrements : puisqu'il s'agit de l'enregistrement de procédures auxquelles les deux parties ont assisté, la question de la confidentialité ne se pose donc pas. Toutefois, l'entente stipule que ces enregistrements sont la propriété du syndicat et que le groupe responsable de l'enquête n'avait pas le droit d'en recevoir une copie. Le groupe responsable de l'enquête et le défendeur sont synonymes dans le cas présent, car je crois qu'il est entendu que si le défendeur voulait un enregistrement, c'était à lui d'en faire un. Par conséquent, bien que les enregistrements puissent être pertinents, le défendeur a renoncé à son droit d'en avoir une copie lorsqu'il a accepté l'entente. Par conséquent, je refuse d'ordonner la production de ces notes ou de ces enregistrements. J'exerce mon pouvoir discrétionnaire en présumant que le syndicat ne tentera pas de présenter les enregistrements ou les notes à titre d'éléments de preuve lors de l'audience.

65 La Commission souligne que les motifs indiqués ci-dessus concernent les ordonnances de production d'information et que leur objet n'est pas de décider quels éléments de preuve seront admissibles à l'audience.

66 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

67 Je déclare que les 3 catégories suivantes de documents sont couvertes par l'ordonnance du 4 mars 2013 de la Commission :

Tous les documents en la possession du défendeur potentiellement pertinents à cette affaire, y compris, mais sans s'y limiter :

1) tous les documents (lettres, notes, notes de service, courriels, messages textes, etc.) transmis et reçus par le service des RH du Pénitencier de la Saskatchewan ou par le SCC potentiellement pertinents à :

a) tout commentaire, question, ligne directrice ou directive ayant été communiqué quant à la manière dont le rapport devrait être examiné ou modifié avant d'être remis au fonctionnaire;

et

b) la manière dont le rapport devrait être examiné ou modifié avant d'être remis au fonctionnaire.

2) des copies intégrales non examinées et non modifiées de toutes les notes, notes de service et lettres potentiellement pertinentes à la discussion du 26 janvier 2011 entre l'équipe du comité d'enquête disciplinaire du SCC et l'agent de police Ratt (mentionnée à la page 35 du rapport);

3) des copies intégrales non examinées et non modifiées de toutes les notes, notes de service et lettres potentiellement pertinentes à l'audience disciplinaire du fonctionnaire, le 12 avril 2011.

68 Il est ordonné au défendeur de divulguer et de produire à l'intention du syndicat (a.s. de l'avocat du fonctionnaire) des copies de tous les documents décrits ci-dessus, au plus tard 7 jours civils après la date de la présente décision. De plus, il est ordonné au défendeur de confirmer qu'il a produit tous ces documents en sa possession au plus tard 7 jours civils après la date de cette décision. S'il a déjà produit tous les documents en sa possession correspondant à ceux décrits ci-dessus, alors le défendeur doit confirmer qu'il a produit tous les documents en sa possession.

69 Il est ordonné au syndicat de divulguer et de produire tous les documents non confidentiels en sa possession ou celle du fonctionnaire qui seraient potentiellement pertinents au présent cas, à l'exception des notes et des enregistrements pris par le syndicat lors des réunions du processus disciplinaire et reconnus comme étant la propriété du syndicat par l'entente de 2009 entre le SCC et le syndicat. Les documents que doit divulguer et produire le syndicat comprennent, entre autres, mais sans s'y limiter : tout document lié à l'enquête criminelle que le fonctionnaire puisse avoir reçu, directement ou par l'entremise de son avocat, au cours de la procédure pénale lors de laquelle il a été accusé d'agression sexuelle à l'encontre de l'accusatrice.

70 Il est ordonné au syndicat de divulguer au défendeur (a.s. de son avocat) des copies des documents décrits ci-dessus, au plus tard 7 jours civils après la date de la présente décision.

71 S'il y a obstacle juridique à la divulgation de tout document potentiellement pertinent par le fonctionnaire, celui-ci doit fournir des détails sur cet obstacle par l'entremise de l'avocat du syndicat.

72 Si le défendeur doit déposer une autre demande pour contourner tout obstacle juridique à la divulgation des documents du fonctionnaire, il est libre de le faire à condition d'aviser de sa démarche toute partie pouvant avoir un intérêt juridique pour les documents.

Le 8 août 2013.

Traduction de la CRTFP

William H. Kydd,
arbitre de grief

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