Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé à être rémunéré pour son temps de déplacement à sa résidence de Victoria pendant une période de formation prolongée à Halifax - l’employeur a obligé le fonctionnaire s’estimant lésé à suivre un cours de plus de cinq semaines - par conséquent, selon la Directive sur les voyages du Conseil national mixte, il avait droit à un voyage d'une fin de semaine s’il le souhaitait - on a refusé de le rémunérer au taux des heures supplémentaires pour son voyage en provenance et à destination de Victoria au motif que l’employeur n’avait pas exigé le voyage à son domicile - il a soutenu qu’il s’agissait d'une violation de la clause 18.03a) de la convention collective - le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué qu'il s’agissait d’un changement aux pratiques antérieures de l’employeur - l’arbitre de grief a jugé que le temps de déplacement n’avait pas été consacré à des activités liées à la formation et donc ne constituait pas du travail et n’était pas exigé par l’employeur - le fonctionnaire s’estimant lésé a décidé de retourner chez lui, et l’employeur n’exerçait aucun contrôle sur son choix - le choix du fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas créé une obligation de la part de l’employeur - l’arbitre de grief a rejeté l’argument du syndicat voulant qu'une pratique antérieure avait été établie, car il n'y avait aucune preuve présentée en l’espèce que la pratique avait été répétée, qu’elle avait été acceptée par les parties, et qu’elle n’était pas ambiguë ni contestée - l’arbitre de grief a rejeté l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé quant à la question des obligations familiales puisque la preuve présentée et les arguments n’étaient pas suffisants. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-06-26
  • Dossier:  566-02-5067
  • Référence:  2013 CRTFP 73

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DUNCAN KENNETH CHAPMAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Chapman c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Robin J. Gage, avocate

Pour l'employeur:
Lea Bou Karam, avocate

Affaire entendue à Victoria (Colombie-Britannique),
les 1er et 2 mai 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Duncan Kenneth Chapman, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), veut être rémunéré pour son temps de déplacement à sa résidence à Victoria (Colombie-Britannique) pendant une période de formation prolongée à la BFC Halifax (Nouvelle-Écosse). Selon la Directive sur les voyages du Conseil national mixte (la « Directive sur les voyages »), le fonctionnaire avait droit à un voyage d’une fin de semaine chez lui, car la formation obligatoire du ministère de la Défense nationale (l’« employeur ») était de plus de cinq semaines. Le fonctionnaire a demandé à être rémunéré au taux des heures supplémentaires pour son voyage aller-retour entre Halifax et Victoria, ce qu’on a refusé de lui accorder. Il a soutenu que ce refus était une violation de la clause 18.03a) de la convention collective entre le Conseil du Trésor et le Conseil des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (Ouest) (l’« agent négociateur ») pour le groupe Réparation des navires (Ouest) (tous les employés de la côte ouest du Canada), qui a pris fin le 30 janvier 2010 (la « convention collective »). Cette convention collective est demeurée en vigueur jusqu’à ce que les parties signent une nouvelle convention collective, le 25 février 2011.

II. Résumé de la preuve

2 Le fonctionnaire est technicien en électronique à la BFC Esquimalt. Ses tâches consistent principalement à entretenir et à réparer des systèmes de guerre électronique. Au début de l’année 2010, l’employeur lui a demandé de suivre une formation de cinq semaines sur l’entretien de canons de 57 mm à l’école navale de la BFC Halifax. Cette formation devait avoir lieu du 31 mars 2010 au 6 mai 2010 inclusivement.

3 Le fonctionnaire a quitté Victoria à 6 h (heure du Pacifique), le 30 mars 2010, et il est arrivé à Halifax vers 19 h (heure de l’Atlantique). Il a reçu la rémunération spécifiée à la clause 18.03 de la convention collective pour son temps de déplacement entre Victoria et Halifax. Le fonctionnaire a également reçu une rémunération pour son voyage de retour, après la formation, le 7 mai 2010, conformément à cette même clause.

4 Le vendredi 16 avril 2010, le fonctionnaire a quitté Halifax pour passer la fin de semaine chez lui, à Victoria. Il est parti à 16 h 30 (heure de l’Atlantique), et il est arrivé à Victoria à 23 h (heure du Pacifique). Son vol de retour vers Halifax a quitté Victoria le dimanche 18 avril 2010, à 6 h (heure du Pacifique) et est arrivé à 14 h (heure de l’Atlantique). Contrairement à ses deux voyages avant et après la formation, le fonctionnaire n’a reçu aucune rémunération pour son temps de déplacement cette fin de semaine-là.

5 Le 16 avril 2010 était pour le fonctionnaire une journée de travail normale qui se terminait à 16 h 30. Tout travail effectué après cette heure aurait été rémunéré au taux des heures supplémentaires conformément à l’article 18 de la convention collective. Le dimanche était un jour de repos normal pour le fonctionnaire. Tout travail effectué pendant un jour de repos aurait aussi été rémunéré au taux des heures supplémentaires.

6 L’employeur a exigé du fonctionnaire qu’il suive la formation, et il a organisé tous les déplacements. On a donné au fonctionnaire la possibilité de retourner chez lui une fois pendant sa formation à la BFC Halifax, et il a accepté. Le fonctionnaire a dit à l’employeur quand il souhaitait retourner chez lui pendant sa formation, et ce dernier a réservé les vols et payé le voyage. Le 29 mars 2010, moins de 24 heures avant le départ du fonctionnaire pour la formation, Brian McGaw, le gestionnaire du fonctionnaire, a avisé ce dernier qu’on ne lui paierait pas d’heures supplémentaires pour le voyage.

7 Quand il est parti à sa formation, le fonctionnaire était déterminé à présenter à son retour un grief concernant le refus de lui payer des heures supplémentaires. En 2006, le fonctionnaire avait suivi une formation de cinq semaines à Calgary et il avait profité d’une occasion de rentrer chez lui pour une fin de semaine. À son retour, il avait demandé, et croyait bien avoir reçu, le paiement au taux des heures supplémentaires pour son temps de déplacement pendant cette fin de semaine. Pour cette raison, il croyait qu’il avait droit à la même rémunération pour sa formation à Halifax. En se préparant à l’audience, le fonctionnaire a découvert que les heures qu’il avait soumises pour son voyage en 2006 n’avaient pas été approuvées. Son gestionnaire avait rejeté ces heures le jour où elles avaient été soumises dans le système de rémunération.

8 Le vice-président local de l’agent négociateur, Stanley Dzbik, a déclaré que le fonctionnaire lui avait parlé du refus de l’employeur de lui offrir une rémunération pour son voyage de fin de semaine en 2010. En tant que délégué syndical pour l’atelier d’instruments, M. Dzbik a communiqué avec M. McGaw pour tenter de déterminer pourquoi l’employeur avait refusé de rémunérer le fonctionnaire conformément à l’article 18 de la convention collective pour son voyage de fin de semaine au foyer. On lui a dit que le paiement avait été refusé parce que l’employeur n’avait pas exigé ce voyage.

9 M. Dzbik est d’avis que ce refus représente un changement dans l’interprétation des droits des employés selon la Directive sur les voyages et l’article 18 de la convention collective. Dans le passé, les employés avaient été rémunérés pour leur temps de déplacement lors de voyages de fin de semaine au foyer. La direction locale a donc changé son interprétation, ce qu’il ne fallait pas faire, car elle n’était pas censée interpréter une convention collective entre l’agent négociateur et le Conseil du Trésor.

10 L’employeur n’a pas avisé ses employés qu’il avait changé son interprétation. Pour se préparer à l’audience, M. Dzbik a examiné l’évolution de la clause 18.03 sur plusieurs conventions collectives précédentes. La numérotation des clauses et le montant à payer ont changé, mais pas le libellé. M. Dzbik n’a pas examiné d’anciennes versions de la Directive sur les voyages. Pendant qu’il était délégué syndical, aucun autre employé que le fonctionnaire ne s’est plaint auprès de lui qu’on lui avait refusé la rémunération pour le temps de déplacement pour un voyage de fin de semaine à la maison auquel il avait droit en vertu de la clause 18.03, ce qui semblait indiquer que tous les autres employés dans cette situation avaient reçu une rémunération au taux des heures supplémentaires.

11 Gary Lokkan a travaillé pour le Groupe de maintenance de la Flotte Cape Breton, à la BFC Esquimalt, de 1976 à 2012. Pendant cette période, il a voyagé à de nombreuses reprises pour l’employeur. Il a profité d’un voyage de fin de semaine au foyer toutes les fois qu’il en avait le droit. En 1982, il a passé cinq ou six semaines en formation à Halifax. Il été rémunéré conformément aux dispositions de la convention collective sur les voyages de fin de semaine à la maison. Ces déplacements étaient traités de la même façon que ceux effectués pour se rendre à la formation et en revenir. En 1999 ou en 2000, il a suivi un cours de cinq mois à Halifax. Il rentrait chez lui toutes les trois semaines. Il a fait cinq voyages à la maison et a été rémunéré pour son temps de déplacement pour tous ces voyages. M. Lokkan a déclaré que d’autres personnes avaient aussi reçu une rémunération au taux des heures supplémentaires pour des voyages de fin de semaine au foyer, mais il n’a donné aucun détail ni aucun nom.

12 M. McGaw est le gestionnaire du centre d’activité pour les ateliers d’armes et de commande de tir à la BFC Esquimalt. En 2010, il était le gestionnaire du fonctionnaire. Il a recommandé que le fonctionnaire suive la formation à Halifax. Il se rappelait avoir eu une discussion avec M. Dzbik en 2010 concernant le paiement d’heures supplémentaires pour le voyage de fin de semaine à la maison du fonctionnaire. Il a indiqué que certaines personnes avaient pu être rémunérées pour des voyages de fin de semaine à la maison, mais que tout dépendait des circonstances. Il n’a jamais approuvé ce genre de paiement pendant qu’il était gestionnaire.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

13 La clause 18.03 de la convention collective précise comment les employés sont rémunérés lorsqu’ils font des voyages en service commandé. Le fonctionnaire a suivi la formation à la BFC Halifax à la demande de l’employeur, ce qui signifie qu’il s’agissait d’un voyage en service commandé. Il avait droit, en vertu de l’article 3.3.12 de la Directive sur les voyages, à un voyage d’une fin de semaine pour retourner chez lui, ce qui déclenchait la clause 18.03. Si l’employeur n’avait pas exigé que le fonctionnaire suive une formation à Halifax, celui-ci n’aurait pas voyagé durant ses jours de repos autorisés.

14 Il n’y a pas lieu d’avancer qu’il existe une distinction selon que le déplacement a lieu parce qu’il s’agit d’un voyage d’une fin de semaine. Tous les voyages effectués pendant qu’un employé est en déplacement sont considérés comme des voyages en service commandé. L’employeur devait, aux termes de la Directive sur les voyages, offrir au fonctionnaire un voyage d’une fin de semaine à la maison, puisque sa formation durait au moins cinq semaines. L’employeur a autorisé le moment du voyage, effectué les réservations et payé les frais.

15 Il n’y a qu’une question restreinte à régler : à quels types de voyages la clause 18.03 de la convention collective s’applique. Cette clause précise comment les employés doivent être rémunérés lorsque l’employeur leur demande de voyager à l’extérieur de leur lieu de travail normal. D’après le sens ordinaire de son libellé, cette clause s’applique à toutes les heures de déplacement, si l’employeur exige de l’employé qu’il voyage à l’extérieur de son lieu de travail normal. Dès que cette condition est remplie, tous les déplacements doivent être rémunérés conformément aux dispositions de la clause 18.03.

16 La seule exigence consiste à ce que l’employeur demande à l’employé de voyager à l’extérieur de son lieu de travail normal. Cette interprétation est appuyée par la Directive sur les voyages, qui est considérée comme faisant partie de la convention collective. Ces deux documents doivent être lus ensemble. On ne conteste pas le fait que les voyages de fin de semaine au foyer satisfont à la définition de voyage en service commandé énoncée dans la Directive sur les voyages. Il n’existe aucune distinction entre un voyage normal et un voyage d’une fin de semaine. Le fonctionnaire était en déplacement selon la définition de ce terme contenue dans la section « Définitions » de la Directive sur les voyages.

17 Le fonctionnaire ne pouvait retourner chez lui pour la fin de semaine que si ce voyage n’entrait pas en conflit avec le travail qu’il devait effectuer. L’employeur avait le contrôle du moment où le voyage pouvait être effectué. Le fonctionnaire ne pouvait pas voyager durant ses heures normales de travail, puisqu’il devait alors suivre la formation à Halifax. Il ne pouvait faire le voyage qu’après les heures normales de travail le vendredi, et il devait être de retour à temps pour suivre la formation le lundi matin, le forçant ainsi à se déplacer un jour de repos.

18 On ne conteste pas le fait que le fonctionnaire avait le droit de retourner chez lui une fin de semaine, ni que son lieu de travail normal était aux chantiers maritimes d’Esquimalt, ce qui signifie que sa situation satisfaisait aux conditions requises pour qu’il soit rémunéré au taux des heures supplémentaires pour son temps de déplacement durant la fin de semaine. Toutes les heures visées par la définition d’un voyage du gouvernement pendant cette période doivent être remboursées conformément à la clause 18.03 de la convention collective. Si le fonctionnaire avait été en mesure de faire le voyage durant ses heures de travail normales, il aurait été rémunéré pour ces heures au taux horaire normal.

19 La situation du fonctionnaire est presque identique à celle visée dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 80. La disposition de la convention collective était identique à celle de la convention collective en vigueur pour le présent cas. Dans ce cas, l’arbitre de grief avait déclaré ce qui suit au paragraphe 17 :

[17] Selon l’interprétation de l’employeur, les maximums applicables seraient donc plus élevés un jour de travail normal qu’un jour férié ou un jour de repos. Autrement dit, pour des situations de voyage identiques, l’employé serait plus rémunéré un jour de travail normal qu’un jour de repos ou un jour férié pour les mêmes heures voyagées. Une telle interprétation est contraire à la logique même des taux prévus à la convention collective pour un jour de travail normal, un jour de repos et un jour férié.

20 L’interprétation du fonctionnaire n’entraîne pas une absurdité. Selon la clause 18.03 de la convention collective, les heures de déplacement sont des heures de travail si l’employeur exige que l’employé se rende à l’extérieur de la région où il habite. Elle ne fait aucune distinction entre les différentes étapes d’un voyage.

21 Le témoignage a permis de déterminer que par le passé, l’employeur rémunérait au taux des heures supplémentaires les employés qui effectuaient un voyage de fin de semaine au foyer. M. Lokkan a affirmé qu’à l’occasion de deux voyages distincts effectués au cours des vingt dernières années, il a été rémunéré en heures supplémentaires lorsqu’il est retourné chez lui pour une fin de semaine. L’agent négociateur n’a jamais reçu de plaintes d’employés au sujet du paiement d’heures supplémentaires lors d’un voyage de fin de semaine au foyer, ce qui est une autre preuve de la pratique passée qui consistait, en vertu de la clause 18.03 de la convention collective, à rémunérer les employés pour les heures de déplacement dans le cadre d’un voyage de fin de semaine au foyer. La prépondérance de la preuve indique qu’il était pratique courante de rémunérer les employés conformément à la clause 18.03 lorsqu’ils effectuaient un voyage au foyer. Il convient de souligner que, depuis 1982, il n’y a eu aucun grief sur les indemnités de voyage de fin de semaine dans le cadre de cette convention collective.

22 La rémunération accordée pendant un voyage ne peut être limitée que si la convention collective l’énonce clairement et explicitement (voir Thunder Bay Regional Health Sciences Centre v. Ontario Nurses’ Association, 2007 CanLII 21590 (ON LA)). La convention collective ne contient aucun passage limitant explicitement le droit du fonctionnaire à la rémunération aux termes de la clause 18.03.

23 Dans Landry et Raymond c. Bibliothèque du Parlement, dossiers de la CRTFP 466-LP-213 et 214 (19930518), les employés se sont déplacés durant la fin de semaine pour participer à une formation prévue du lundi au vendredi. À la page 10, l’arbitre de grief a déclaré que, pour déterminer si un employé est considéré comme étant au travail, « […] il y a lieu de se demander qui contrôle l’usage du temps personnel de l’employé? Si dans une situation donnée c’est l’employeur, il ne peut le faire qu’au prix d’une rémunération. »

24 Le fonctionnaire a le droit d’être rémunéré pour le fardeau qui lui est imposé par l’exigence de voyager. Il a en outre dû subir un fardeau supplémentaire parce qu’il a dû se déplacer un jour de repos. Toute interprétation qui ne reconnaît pas le fardeau que doit supporter un employé qui retourne à la maison plutôt que de profiter d’autres options pour un voyage de fin de semaine a des répercussions supplémentaires sur les employés ayant des obligations familiales. La Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) devrait interpréter la convention collective de façon à éviter qu’un fardeau disproportionné soit imposé aux employés ayant une famille. Si l’employeur demande à un employé d’effectuer un voyage, celui-ci a le droit d’être rémunéré conformément à la clause 18.03.

B. Pour l’employeur

25 La seule question pertinente consiste à déterminer si le fonctionnaire avait droit aux heures supplémentaires en vertu de la clause 18.03 de la convention collective. Tous les termes sur lesquels les parties s’appuient doivent être pris dans leur contexte et leur signification normaux afin d’éviter une absurdité (voir Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, paragraphe 51). La convention collective précise le contexte de l’entente survenue entre les parties.

26 Tous les mots utilisés dans la clause 18.03 de la convention collective ont leur importance. La clause 18.03 prévoit deux conditions à satisfaire : l’imposition du voyage par l’employeur et le lieu de ce voyage. Lorsque ces conditions sont satisfaites, on applique le mode de rémunération prévu. L’exigence d’effectuer le voyage est imposée par l’employeur, et non par l’employé. L’employeur est aussi l’autorité en matière d’heures supplémentaires. L’employeur détermine quand et dans quelles circonstances il convient de verser des heures supplémentaires. C’est pourquoi le terme « tenu » est utilisé dans la clause 18.03. Le fonctionnaire n’était pas tenu de retourner chez lui pour la fin de semaine. Il a choisi de le faire.

27 L’article 3.3.12 de la Directive sur les voyages indique seulement que l’employé « peut » rentrer chez lui pendant une fin de semaine lorsqu’il est en service commandé pendant une période prolongée. Il s’agit d’une option offerte à l’employé et non d’une exigence imposée par l’employeur. Une exigence n’est pas la même chose qu’un droit. C’est plutôt une obligation liée au travail imposée et contrôlée par l’employeur. Le voyage de fin de semaine au foyer est un droit sur lequel l’employé a le contrôle. Le fait que l’employé décide de se prévaloir de ce droit ne transforme pas celui-ci en une exigence imposée par l’employeur. S’il s’agissait d’une exigence, on pourrait imposer des mesures disciplinaires à l’employé qui omet de se prévaloir de ce droit. Il n’a jamais été question de la possibilité que des mesures disciplinaires soient imposées au fonctionnaire s’il refusait de retourner au foyer.

28 Si le fonctionnaire était demeuré à Halifax, on ne lui aurait pas versé un salaire ou des heures supplémentaires à moins qu’il ait travaillé durant la fin de semaine. Pour que des heures supplémentaires soient payées en vertu de la clause 2.01o) de la convention collective, il faut que l’employé travaille en dehors de ses heures normales de travail. Le fait que l’employé opte pour rentrer chez lui ne constitue pas du travail. Il serait illogique de conclure que le fait que l’employé choisisse de rentrer chez lui constitue du travail. L’employeur détermine le travail à effectuer et il contrôle et dirige les employés au travail. Le fonctionnaire n’était pas assujetti au contrôle et à la direction de l’employeur lorsqu’il a décidé de se prévaloir de l’option en vertu de la Directive sur les voyages.

29 L’interprétation avancée par le fonctionnaire du lien entre la clause 18.03 de la convention collective et la Directive sur les voyages entraîne une absurdité. La clause 18.03 s’applique dans les circonstances pertinentes, sans égard aux droits accordés en vertu de la Directive sur les voyages. Celle-ci est un document indépendant qui s’applique à tous les voyages. La clause 18.03 ne s’applique qu’aux voyages exigés par l’employeur. La Directive sur les voyages est muette sur un quelconque droit à des heures supplémentaires.

30 La position du fonctionnaire entraîne pour l’employeur l’obligation de payer des heures supplémentaires alors que le voyage est le résultat d’une décision du fonctionnaire sur laquelle l’employeur n’a aucun contrôle. La CRTFP a rejeté cette position dans Vallières c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2001 CRTFP 83, aux paragraphes 33 et 34.

31 La deuxième condition à satisfaire pour entraîner un paiement en vertu de la clause 18.03 de la convention collective est l’exigence que la destination du voyage soit éloignée du lieu de travail normal de l’employé. Lorsque l’employé est en formation, son lieu de travail normal demeure le même. La BFC Halifax était le lieu de travail temporaire du fonctionnaire. Elle n’est pas devenue son lieu de travail normal pendant la formation. Selon l’article 3.3.12 de la Directive sur les voyages, le fonctionnaire était considéré comme étant situé au lieu de travail temporaire pendant toute la durée de la formation. Il ne satisfaisait pas à la deuxième condition de la clause 18.03, puisqu’il se trouvait à Halifax pendant cette période.

32 Dans Procureur général du Canada c. Lamothe et al., 2008 CF 411, au paragraphe 40, la Cour fédérale a énoncé de la façon suivante les critères à appliquer pour déterminer l’existence d’une pratique passée :

[40] […] La preuve doit démontrer une pratique échelonnée sur plusieurs années et doit respecter les conditions suivantes :

a) Être répétée sur plusieurs années;

b) Être acceptée par toutes les parties impliquées;

c) Être absente d’ambiguïté ou de controverse.

33 La détermination d’une pratique passée permet d’éclairer l’interprétation d’un article d’une convention collective ou peut constituer un élément du principe de préclusion. Pour pouvoir servir d’aide à l’interprétation, il faut que le libellé de la convention collective contienne une ambiguïté (voir Rook et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2004 CRTFP 146, paragraphe 35). Dans son exposé introductif, l’avocate du fonctionnaire a affirmé que le libellé de la clause 18.03 de la convention collective est clair et sans ambiguïté.

34 Aucune preuve n’indique que l’on a payé des heures supplémentaires pour les déplacements dans le cadre de voyages de fin de semaine au foyer de façon répétée et pendant plusieurs années. On les a refusées au fonctionnaire à deux occasions par le passé, soit en 2006 et en 2010. M. McGaw a affirmé n’avoir jamais accordé d’heures supplémentaires dans cette situation et n’en avoir jamais reçu. Le fait de dire que d’autres auraient reçu de tels paiements n’est rien de plus que de la spéculation, du ouï-dire ou des rumeurs, alors que des preuves directes révèlent le contraire. L’interprétation de M. Dzbik selon laquelle l’absence de grief sur le refus de payer des heures supplémentaires dans le même contexte que celles que demande le fonctionnaire signifie que tout le monde doit en avoir reçu constitue une interprétation déraisonnable des faits. M. Lokkan a indiqué qu’on les lui a payées à deux occasions dans toute sa carrière.

35 La preuve produite par le fonctionnaire ne permet pas d’établir qu’il s’agissait d’une pratique répétée pendant plusieurs années. Cette pratique est manifestement contestée, puisqu’elle est l’objet de la présente audience. L’agent négociateur devait prouver qu’il s’agissait d’une pratique acceptée par l’employeur, mais aucune preuve ne soutient cette thèse. L’employeur n’avait pas à faire la démonstration qu’il n’acceptait pas cette pratique. La preuve révèle clairement que si cette pratique existait, elle n’était pas constante et était donc ambigüe.

36 Le principe de préclusion ne peut être invoqué pour empêcher l’employeur de s’appuyer sur la signification réelle de la convention collective (voir Lamothe, paragraphe 52). Aucune preuve n’indique que l’agent négociateur n’était pas au courant de l’interprétation de l’employeur de la clause 18.03 de la convention collective. On n’a pas établi de pratique passée.

37 Même en cas de pratique localisée, on ne peut s’en servir pour justifier une préclusion (voir Pronovost c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 93, paragraphe 75). La haute direction peut mettre fin à une pratique locale lorsque celle-ci est découverte (voir Katchin et Piotrowski c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2011 CRTFP 70, paragraphe 91).

38 Dans ce cas, la preuve ne permet pas de conclure que l’on s’est suffisamment appuyé sur cette pratique pour la considérer comme une pratique passée. Le fonctionnaire ne s’y est pas fié à son détriment. Il savait, avant de partir pour la fin de semaine en question, qu’il ne recevrait pas d’heures supplémentaires pour son voyage à la maison. Il s’est beaucoup appuyé sur le concept de voyage en service commandé. Cependant, la clause 18.03 de la convention collective se rapporte aux déplacements. Le concept de voyage en service commandé s’applique aux directives sur les voyages et non à la convention collective.

IV. Motifs

39 La convention collective énonce les conditions d’emploi des membres de l’unité de négociation qui ont été convenues par les parties. La Directive sur les voyages précise les normes et les droits dont les employés qui effectuent des voyages en service commandé peuvent profiter. La clause 34.03 englobe la Directive sur les voyages dans la convention collective. Par conséquent, les conditions pour les voyages en service commandé font partie de la convention collective.

40 Un des avantages dont les employés peuvent profiter est d’avoir l’occasion de rentrer à la maison pour une fin de semaine si leur horaire de travail le permet, sauf si l’employeur leur demande de rester à leur lieu de travail temporaire pendant la fin de semaine. D’autres options sont également offertes. Un employé peut décider de visiter un autre endroit plutôt que de retourner chez lui pour la fin de semaine. Un conjoint ou une personne à charge peut aussi se rendre au lieu de travail temporaire d’un employé pour rendre visite à ce dernier. Aucune de ces options n’est imposée par l’employeur. Les facteurs déterminants sont l’horaire de travail, le choix de l’employé et le coût associé à ce choix. Un employé peut également décider de rester au lieu de travail temporaire et de ne pas voyager. Dans ce cas, l’employeur est tenu de payer les frais de séjour, mais non de payer une rémunération ou des heures supplémentaires.

41 Conformément à la clause 16.08 de la convention collective, pour avoir droit à des heures supplémentaires, un employé doit faire des heures de travail en plus de ses heures de travail normales. Les heures de travail normales du fonctionnaire sont le quart de jour, du lundi au vendredi. Le samedi et le dimanche sont ses jours de repos. Ce que le fonctionnaire fait ces jours-là est à son choix, sauf s’il est tenu par l’employeur de travailler. Pour avoir gain de cause, le fonctionnaire devait me convaincre que son temps de déplacement pour se rendre chez lui la fin de semaine constituait du travail.

42 Le travail est un ensemble d’activités qui sont liées à l’emploi d’un employé et qui sont sous le contrôle et la direction de l’employeur. En somme, l’employeur contrôle ce qu’il y a à faire, quand il faut le faire, comment le faire et qui doit s’en occuper. Dans la décision Chicorelli (dossier de la CRTFP 166-2-23844 (19980114)) l’arbitre de grief a conclu que les activités liées aux programmes de formation représentaient du travail assujetti à la convention collective. Dans Chicorelli, le fonctionnaire a demandé une rémunération au taux des heures supplémentaires pour le temps consacré à des devoirs à faire dans le cadre d’une formation à laquelle il participait.

43 Pour obtenir gain de cause, le fonctionnaire dans le présent cas devait me convaincre du fait que le temps passé à voyager au cours de la fin de semaine en question était consacré à des activités liées au programme de formation qu’il suivait à Halifax ou qui lui étaient demandées par l’employeur. Pour être admissible à recevoir une rémunération en vertu de la clause 18.03, l’employé doit établir qu’il est « […] tenu par l’employeur de se rendre à un endroit qui est éloigné de son lieu de travail normal […] ». Les cas mentionnés par l’avocate du fonctionnaire portaient sur des situations où il était question de travail ou de voyage lié à une formation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le fonctionnaire n’avait pas l’obligation de se rendre à Victoria au cours de la fin de semaine en cause. Il a choisi de le faire parce qu’il devait s’occuper de certaines choses à la maison. Il aurait facilement pu choisir une autre des options qui s’offraient à lui. L’employeur n’exerçait aucun contrôle sur son choix et il ne lui a pas dit que ceux qui participaient à la formation à Halifax devaient revenir chez eux durant cette fin de semaine-là.

44 Les autres cas cités par l’avocate du fonctionnaire portaient également sur des faits différents. Dans Landry et Institut professionnel de la fonction publique du Canada, il était question de voyage aller-retour à un endroit désigné et exigé par l’employeur. Il ne fait aucun doute que dans le présent cas, le fonctionnaire avait le droit de recevoir une rémunération pour le temps de déplacement pour se rendre à Halifax et en revenir afin de participer à la formation. On lui a d’ailleurs versé cette rémunération. L’employeur lui avait demandé de faire ce voyage; il s’agissait d’une activité liée à la formation requise et cette activité était assujettie aux dispositions de la clause 18.03 de la convention collective.

45 Pour ce qui est de la fin de semaine en question, le fonctionnaire n’aurait pas travaillé s’il était demeuré à Halifax. Il aurait aussi eu une fin de semaine libre s’il avait décidé de se rendre à un autre endroit ou d’accueillir sa famille à Halifax. Son choix n’entraînait pas, pour l’employeur, une obligation au-delà de ce qui est précisé dans la Directive sur les voyages. Celle-ci ne prévoit pas le paiement d’heures supplémentaires dans le cadre de l’option sélectionnée par le fonctionnaire. La façon que ce dernier choisit d’occuper ses loisirs ne peut entraîner la création de travail. Pour recevoir un salaire et se faire payer des heures supplémentaires, il faut que du travail soit effectué ou qu’un voyage soit exigé par l’employé.

46 Étant donné que je conclus que le voyage de fin de semaine survenu dans les circonstances du présent grief ne constituait pas du travail au sens de l’article 16 de la convention collective et qu’il n’était pas exigé par l’employeur tel que le veut la clause 18.03, pour obtenir gain de cause, le fonctionnaire devait me convaincre de l’existence d’une pratique de longue date où les employés étaient rémunérés en vertu de la clause 18.03 pour un voyage de fin de semaine au foyer. La preuve produite pour appuyer l’existence d’une pratique passée était que M. Lokkan avait été rémunéré à deux reprises au cours de sa carrière auprès de l’employeur. Or, deux incidents isolés ne constituent pas une pratique passée. Que des rumeurs selon lesquelles d’autres personnes auraient été rémunérées dans le cadre d’un voyage de fin de semaine au foyer ne permettent pas plus de satisfaire aux exigences énoncées par la Cour fédérale dans Lamothe. Je n’ai aucune preuve que cette pratique a été répétée pendant plusieurs années, qu’elle a été acceptée par toutes les parties touchées et qu’elle n’était pas ambigüe ou contestée. Manifestement, cette pratique a été contestée; dans le cas contraire, ce grief aurait été accueilli.

47 Aucune pratique passée ne me convainc de changer d’avis et de conclure qu’un voyage de fin de semaine au foyer choisi par l’employé constitue du travail, ni que ce voyage était exigé par l’employeur. Il n’y a pas non plus de preuve devant moi pour appuyer la thèse selon laquelle le refus de l’employeur entraîne des répercussions plus importantes pour l’employé en raison de ses obligations familiales. Les arguments très brefs du fonctionnaire à ce sujet ne s’appuyaient sur aucune jurisprudence. Si les arguments s’appuyaient sur les droits de la personne et la discrimination en raison de la situation familiale, elle était loin de satisfaire aux critères requis. Aucun argument n’a été présenté sur la question de savoir si les gestes de l’employeur étaient de la discrimination ou même si la situation familiale du fonctionnaire était visée par cette protection. En outre, en vertu de Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), le fonctionnaire n’avait pas le droit de présenter durant l’arbitrage de nouveaux motifs qui n’avaient pas été soulevés lors du processus de règlement des griefs.

48 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

49 Le grief est rejeté.

Le 26 juin 2013.

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,
arbitre de grief

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