Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte contre son agent négociateur et le vice-président de sa section locale, affirmant que les défendeurs ne lui avaient pas fourni une représentation juste et équitable en mai 2011 et février 2012 lorsqu’elle a fait face à des accusations venant de ses employés pendant qu’elle était gestionnaire - l’agent négociateur s’est opposé à la compétence de la Commission d’entendre la plainte - la plaignante a demandé que la Commission permette une prorogation du délai pour le dépôt d’une plainte, expliquant que le retard était attribuable au fait qu’elle avait donné plusieurs mois au syndicat pour répondre, mais que malgré de nombreuses tentatives de sa part pour régler le dossier, elle n’avait jamais obtenu de réponse - aussi, elle ne connaissait pas ses recours, et ni l’employeur ni le syndicat ne l’avaient informée de ses droits - elle dit avoir agi dans un délai raisonnable - la plainte a été déposée en juillet 2012 - le délai de 90 jours est ferme et ne peut être prorogé - ni le syndicat ni l’employeur n’avaient l’obligation de l’informer de ses droits, et elle ne peut évoquer l’ignorance de ses recours pour justifier le non-respect d’un délai obligatoire - selon la Loi, le calcul du délai doit se faire à partir du moment où la plaignante a eu connaissance des faits reprochés. Objection accueillie. Dossier fermé.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-08-09
  • Dossier:  561-02-579
  • Référence:  2013 CRTFP 96

Devant la Commission des relations de
travail dans la fonction publique


ENTRE

NATHALIE CRÊTE

plaignante

et

JEAN-PIERRE OUELLET ET ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeurs

Répertorié
Crête c. Ouellet et Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Linda Gobeil, vice-présidente

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour les défendeurs:
Goretti Fukamusenge, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d'arguments écrits
déposés le 19 juillet, les 15 et 28 août et 4 septembre 2012,
le 27 juin et le 10 juillet 2013.

Plainte devant la Commission

1  Le 19 juillet 2012, Nathalie Crête, (« la plaignante ») a renvoyée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique L.C. (2003), ch. 22 (« la Loi ») contre Jean-Pierre Ouellet et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (les « défendeurs »). Au moment des faits en cause, la plaignante était gestionnaire en rémunération auprès de l’Agence canadienne de développement international. La plaignante était alors membre de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’ « agent négociateur »). M. Ouellet était le vice-président de la section locale 70044 auprès de l’agent négociateur.

2  Dans sa plainte, Mme Crête a affirmé que les défendeurs n’ont pas représenté ses intérêts et qu’ils ont agi de façon arbitraire à son égard. De plus, la plaignante a, dès le départ, demandé à la Commission d’utiliser son pouvoir discrétionnaire afin de permettre une prorogation du délai pour le dépôt de sa plainte en raison des circonstances exceptionnelles de son dossier.

3 Essentiellement, la plaignante allègue que les défendeurs ne lui ont pas fourni de représentation juste et équitable lorsqu’elle a fait face à des accusations venant de ses employés pendant qu’elle était gestionnaire en rémunération.

4 La plaignante soutient que le défendeur M. Ouellet n’a jamais vérifié sa version des faits avant de porter contre elle des accusations arbitraires, notamment en lui émettant une mise en demeure le 18 mai 2011, et en préparant et coordonnant, aux noms de 10 employés, une plainte de harcèlement contre elle le 8 février 2012. La plaignante allègue également que la plainte de harcèlement qui aurait été préparée et coordonnée par le défendeur M. Ouellet a eu pour effet que son poste a été déclaré excédentaire.

5 La plaignante demande également à la Commission d’être relevée de son défaut d’avoir déposé sa plainte au-delà du délai de 90 jours prévu par la Loi au motif que, malgré de nombreuses tentatives par courriels, courrier et en personne, elle n’a jamais obtenu de réponse de l’agent négociateur, ce qui explique le retard pour le dépôt de la plainte.

6 Dans sa plainte, Mme Crête soutient avoir donné « plusieurs mois au syndicat » afin de régler le dossier.

7 Au soutien de ses allégations, la plaignante a soumis des annexes qui font référence à la mise en demeure et à la plainte de harcèlement et qui indiquent que ces événements sont survenus respectivement le 18 mai 2011 et le 8 février 2012.

8 Il est important de noter que la plaignante ne conteste pas avoir été mise au courant des événements du 18 mai 2011 et du 8 février 2012 les jours mêmes de leur survenance.

9 Le 15 août 2012, la représentante des défendeurs a fait valoir que la plainte était hors délai et que, pour cette raison, elle devrait être rejetée et que de plus, la plainte n’était pas fondée sur le mérite. Selon la représentante des défendeurs, les points en litige précisés dans la plainte n’ont pas été présentés à l’intérieur du délai de 90 jours prévu par le paragraphe 190(2) de la Loi. Ce paragraphe se lit comme suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

10 La représentante des défendeurs soutient que la plainte est nettement en dehors des 90 jours prévus par la Loi pour déposer une plainte compte tenu du fait que les événements donnant lieu à la plainte, soit la mise en demeure et la plainte de harcèlement, remontent respectivement au 18 mai 2011 et au 8 février 2012 et que la plainte a été déposée le 19 juillet 2012.

11 La représentante des défendeurs plaide que le délai prévu au paragraphe 190(2) de la Loi est un délai de rigueur et qu’à cet égard, la Loi ne permet pas de prorogation. Au soutien de ses arguments, la représentante des défendeurs me renvoie aux décisions suivantes : Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78; Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92; Exeter c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 14; Ouellet c. Luce St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107; Mangat c. Alliance de le Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52; Diane Métayer c. Syndicat des employé-e-s de l’impôt (Alliance de la Fonction publique du Canada), 2011 CRTFP 88.

12 De plus, la représentante des défendeurs soutient que la plainte doit également être rejetée sur le bien-fondé puisque la plaignante ne s’est pas déchargée du fardeau de la preuve qui lui incombait. La représentante des défendeurs soutient qu’il incombait à la plaignante de démontrer que les défendeurs avaient agi de façon arbitraire, ce qui n’a pas été démontré.

13 Le 28 août 2012, la plaignante a répliqué à l’objection des défendeurs en maintenant avoir agi avec célérité en informant, le 27 février 2012, le président de l’agent négociateur ainsi que le président de son Élément, M. Doug Marshall, qu’elle déposait une plainte contre M. Ouellet, et qu’elle a respecté les délais prévus dans les Règlements internes du Syndicat des employés nationaux (les « Règlements »). La plaignante soutient de plus avoir voulu donner le temps à l’agent négociateur de lui répondre et qu’en aucun cas elle a renoncé à sa plainte. Finalement, la plaignante soutient qu’elle n’était pas au courant qu’un recours en vertu de l’article 190 de la Loi existait et que somme toute, le retard est attribuable au fait que l’agent négociateur ne lui a jamais répondu, qu’elle ne connaissait pas ses recours en vertu de la Loi et que ni l’employeur ni le syndicat ne l’avait informée de ses droits.

14 Le 30 mai 2013, la Commission a informé les parties que l’objection des défendeurs quant au délai de l’article 190 de la Loi serait d’abord traitée et que les parties devaient soumettre leurs arguments par écrit. Les parties ont également été informées qu’une décision de la Commission pouvait être rendue sur la base de leurs arguments écrits.

15  Le 27 juin 2013, après avoir examiné les arguments reçus des parties, le greffe de la Commission a envoyé, à ma demande, une lettre aux parties, dans laquelle la Commission demandait à la plaignante de présenter d’autres arguments, le cas échéant sur la question du délai. Cette lettre mentionnait également que la Commission allait se prononcer sur cette affaire en fonction de ces arguments supplémentaires et de ceux se trouvant déjà au dossier. Pour donner suite à cette lettre, la plaignante a envoyé des arguments écrits supplémentaires le 10 juillet 2013.

16 Dans ces arguments du 10 juillet 2013, la plaignante a réitéré que le défendeur, M. Ouellet, lui avait envoyé une mise en demeure de ne pas communiquer avec d’autres employés et que, le 8 février 2012, elle avait été informée qu’une plainte de harcèlement avait été déposée contre elle par le défendeur M. Ouellet, au nom de 10 employés. La plaignante a plaidé que les défendeurs avaient manqué à leur devoir de représentation prévu à l’article 187 de la Loi.

17 La plaignante a de nouveau maintenu avoir agi avec diligence en soulevant la question et en portant plainte contre le défendeur M. Ouellet le 27 février 2012 auprès du président de l’agent négociateur et du président de son Élément.

18 La plaignante a plaidé avoir tenté d’obtenir à maintes fois, du 27 février 2012 au 12 juillet 2012, d’obtenir des réponses de l’agent négociateur, mais qu’à chaque fois, ses tentatives sont restées sans réponse.

19 La plaignante a indiqué avoir déposé une plainte auprès du Conseil canadien des relations industrielles le 12 juillet 2012, mais que le Conseil l’avait informée le 19 juillet 2012 ne pas avoir compétence sur l’objet de sa plainte.

20 La plaignante maintient que la réponse en date du 23 mai 2012 de la présidente de l’agent négociateur devrait servir de date de départ pour le calcul du délai de 90 jours prévu par la Loi, puisque cette dernière lui avait alors promis de lui revenir dans un délai rapproché. Le cas échéant, la plaignante plaide avoir déposé sa plainte dans le délai imparti de 90 jours puisque sa plainte a été déposée le 19 juillet 2012.

21 Finalement, la plaignante conclut qu’elle a agi dans un délai raisonnable, que même si je conclus qu’il y a un retard dans le dépôt de la plainte, celui-ci n’est pas énorme et que le refus de lui accorder une prorogation du délai lui causerait un important préjudice.

Motifs

22 Il est à noter que cette décision porte uniquement sur l’objection du défendeur, à savoir que la plainte de Mme Crête est hors délai, car elle n’a pas été déposée à l’intérieur du délai de 90 jours prescrit par l’article 190 de la Loi. Tel que mentionné ci-dessus, à ma demande, le greffe de la Commission a invité la plaignante le 30 mai 2013 à présenter ses arguments sur la question du respect des délais. Le greffe de la Commission a également avisé la plaignante le 27 juin 2013 qu’une décision serait prise sur la base de ces arguments ainsi que sur l’information déjà au dossier.

23 Après avoir examiné le dossier et tous les arguments des parties, j’ai conclu que j’avais suffisamment d’information pour rendre une décision sur l’objection des défendeurs quant au délai stipulé à l’article 190 de la Loi.

24 La question du délai de 90 jours a fait l’objet de plusieurs décisions de la Commission et à plusieurs reprises la Commission a conclu que ce délai de 90 jours devait être respecté en tout temps. Par exemple, au paragraphe 55 de Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, la Commission a déclaré ce qui suit concernant l’interprétation du paragraphe 190(2) de la Loi :

[55] Le libellé de cette disposition revêt manifestement un caractère obligatoire en raison des mots « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours […] ». Aucune autre disposition de la nouvelle LRTFP n’habilite la Commission à proroger le délai prescrit par le paragraphe 190(2). Par conséquent, le paragraphe 190(2) de la nouvelle LRTFP fixe une limite de temps, limitant ainsi le pouvoir de la Commission d’examiner et d’instruire toute plainte selon laquelle une organisation syndicale s’est livrée à une pratique déloyale de travail, au sens de l'article 185 (lequel est mentionné à l’alinéa 190(1)g) de la nouvelle LRTFP), et cela vaut pour les actions ou circonstances dont le plaignant avait connaissance ou, de l’avis de la Commission, aurait dû avoir connaissance, dans les 90 jours précédant la date de la plainte.

25  Je suis d’accord avec les commentaires du vice-président dans la décision England c. Taylor et al., 2011 CRTFP 129, au paragraphe 16 à savoir que la compétence de la Commission est passablement limitée quant à l’interprétation du paragraphe 190(2) de la Loi :

[16] La seule latitude donnée à la Commission dans l’interprétation du paragraphe 190(2) de la Loi est de déterminer le moment où la plaignante a eu – ou aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

26 Dans Martell c. Association des employés du Conseil de recherches et Van Der Bergh, 2011 CRTFP 141, l’arbitre de grief a commenté comme suit, au paragraphe 51, le délai prévu au paragraphe 190(2) de la Loi : « Le délai prescrit de quatre-vingt-dix-jours est ferme, et je n’ai pas le pouvoir de proroger ce délai. »

27 Dans le cas qui nous occupe, la plaignante a déposé sa plainte le 19 juillet 2012. Or, dans le renvoi de sa plainte à la Commission, la plaignante ne nie pas avoir eu connaissance, le 18 mai 2011 et le 8 février 2012, des faits donnant lieu à sa plainte, soit une mise en demeure du défendeur M. Ouellet et le dépôt d’une plainte de harcèlement de la part de ce dernier. Il ne fait donc aucun doute que la plaignante avait pris connaissance des faits reprochés au défendeur, mais qu’elle n’a pas déposé sa plainte dans les 90 jours suivant l’un ou l’autre de ces événements.

28 Dans ses arguments écrits, la plaignante explique qu’elle a écrit au présidents du syndicat et de son Élément dès le 27 février 2012, que son retard est dû au fait qu’elle a maintes fois tenté de communiquer avec des représentants de son syndicat (sans succès), qu’elle ne connaissait pas l’existence de ses recours en vertu de la Loi, qu’elle a suivi les délais prescrits par les Règlements, que l’employeur aurait dû l’informer de ses droits et que le défaut de proroger le délai lui causerait un important préjudice.

29 Bien que je comprenne que la plaignante a d’abord essayé de régler son différend en prenant d’autres moyens, il n’en demeure pas moins que pour être recevable aux termes de la Loi, cette plainte aurait dû être renvoyée dans le délai imparti. Selon moi, le fait que la plaignante ait à un moment donné soulevé ses doléances auprès du président de l’agent négociateur ou de son président d’Élément ou que les Règlements lui permettent de déposer une plainte ne changent pas le fait qu’elle n’a pas saisi la Commission dans le délai prévu par la Loi.

30 Quant à l’affirmation de la plaignante voulant que le syndicat et l’employeur ne l’avaient pas informée de ses droits et qu’elle ne connaissait pas l’existence de ses recours en vertu de la Loi, je tiens à préciser d’une part que ni le syndicat ni l’employeur avaient cette obligation et que, d’autre part, selon un principe de droit bien établi, une personne ne peut évoquer l’ignorance de la Loi pour justifier le non-respect d’un délai obligatoire.

31 Dans ses arguments en date du 10 juillet 2013, la plaignante a aussi fait valoir que le calcul du délai de 90 jours devait se faire à partir du 23 mai 2012, date à laquelle la présidente de l’agent négociateur lui a promis de lui revenir dans un avenir rapproché, ce qui aurait pour résultat que la plainte aurait alors été déposée à l’intérieur des 90 jours.

32 À mon avis, la date du 23 mai 2012 ne peut servir de point de départ pour calculer le délai prescrit. Encore une fois, le paragraphe 190(2) de la Loi est clair : la plainte doit être instruite par la Commission, et ce, dans un délai de 90 jours à partir du jour où la plaignante a eu connaissance des faits reprochés. Or, il est admis que la plaignante a été informée les jours mêmes soit le 18 mai 2011 et le 8 février 2012, des faits qui ont donné naissance au litige et à la plainte. Tel que mentionné plus haut, le délai du paragraphe 190(2) de la Loi est de rigueur, et son calcul doit se faire à partir du moment où le plaignant a connaissance des faits reprochés. Dans les circonstances, je me dois de conclure que la plainte a été renvoyée à la Commission le 19 juillet 2012, soit après que le délai de 90 jours ait été écoulé.

33 Le délai de 90 jours pour déposer une plainte auprès de la Commission débutait au moment où la plaignante a eu connaissance des gestes qu’elle accusait le défendeur d’avoir commis, soit le 18 mai 2011 et le 8 février 2012. La plaignante ne l’a pas fait. Si elle jugeait que le défendeur M. Ouellet, en lui envoyant une mise en demeure et en coordonnant une plainte de harcèlement, avait manqué à son devoir de représentation équitable, elle aurait dû présenter une plainte à la Commission à ce moment-là. La Loi est claire : une plainte doit être déposée à l’intérieur du délai de 90 jours. Dans les circonstances, puisque la Loi ne me permet pas de proroger ce délai, je n’ai pas à me prononcer sur le bien-fondé de cette plainte.

34 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

35 La plainte est rejetée.

36 J’ordonne la fermeture du dossier.

Le 9 août 2013.

Linda Gobeil,
vice-présidente

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