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Informations sur la décision

Résumé :

À l’issue d’un processus annoncé de nomination à durée indéterminée, le comité d’évaluation avait jugé la personne nommée qualifiée pour le poste mais avait retardé la nomination en attendant l’approbation finale de l’opération de dotation. Dans l’intervalle, la personne nommée a eu une altercation avec un autre employé et cet accrochage a valu à la première de reconnaître sa culpabilité pour voies de fait devant une Cour provinciale cinq mois après sa nomination; il a alors obtenu une absolution inconditionnelle. Le plaignant a fait valoir que la personne nommée n’aurait plus dû être censée posséder les qualités personnelles essentielles au moment de sa nomination. Décision L’intimé a démontré qu’il avait enquêté sur l’incident avant d’effectuer la nomination. Il en a conclu qu’il s’agissait d’un incident isolé et qu’il n’y avait aucune raison valable d’infirmer la décision du comité d’évaluation selon laquelle la personne nommée était qualifiée pour le poste. Le plaignant n’a pas démontré que la conclusion de l’intimé constituait un abus de pouvoir. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier :
2011-1155
Rendue à :
Ottawa, le 4 février 2013

MILES DENNY
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Joanne B. Archibald, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale
Référence neutre :
2013 TDFP 3

Motifs de décision


Introduction

1 Le plaignant, Miles Denny, a postulé un poste de technicien civil des munitions (GT-04) au ministère de la Défense nationale, plus précisément au Dépôt de munitions des Forces canadiennes à Bedford, en Nouvelle‑Écosse (DMFC Bedford), mais il n’a pas été nommé. Le plaignant affirme que l’intimé, le sous‑ministre de la Défense nationale, a abusé de son pouvoir en nommant une personne qui ne possède pas les qualités personnelles requises pour le poste GT-04 visé.

2 L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir. Il précise que la personne nommée a été évaluée au regard de tous les critères, et il a été établi qu’elle possédait les qualifications exigées pour le poste.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas représentée à l’audience, mais elle a présenté des observations écrites concernant ses politiques et ses lignes directrices applicables. Elle n’a pas pris position sur le bien‑fondé de la plainte.

4 Pour les motifs énoncés ci‑après, le Tribunal conclut que la décision de nomination en l’espèce ne constitue pas un abus de pouvoir. Le Tribunal souligne que le plaignant avait à l’origine présenté d’autres allégations d’abus de pouvoir, mais que ce dernier les a retirées à l’audience. La présente décision ne tient donc pas compte de celles‑ci.

Contexte

5 Lors du processus de nomination interne annoncé pour le poste GT‑04 visé, six personnes avaient posé leur candidature, dont le plaignant et la personne nommée. Le comité d’évaluation a terminé l’évaluation des candidats le 22 septembre 2011. Le plaignant a été avisé qu’il n’avait pas été jugé qualifié. Le comité d’évaluation a déterminé que la personne nommée et un autre candidat étaient qualifiés aux fins de nomination au poste GT-04 visé.

6 Le processus de nomination était destiné à doter deux postes GT‑04 au DMFC Bedford. Il s’agissait de procéder à des nominations à durée indéterminée. Le capitaine de corvette Brian Hammett, soit le gestionnaire d’embauche pour le poste GT-04, est le commandant du DMFC Bedford. Lorsque les résultats ont été connus, il avait le pouvoir de doter seulement un des deux postes GT-04. Il a choisi de remettre à plus tard les nominations à durée indéterminée en attendant l’autorisation de doter les deux postes. Dans l’intervalle, il a décidé de nommer les deux candidats qualifiés à titre intérimaire aux postes GT-04.

7 Le 9 novembre 2011, une notification de nomination ou de proposition de nomination a été publiée, et les nominations à durée indéterminée aux postes GT‑04 effectuées.

8 Le plaignant a par la suite présenté une plainte pour abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (la LEFP) au sujet de la nomination d’un des deux candidats qualifiés.

9 Le plaignant fonde ses allégations d’abus de pouvoir sur une altercation qui s’est produite au travail le 7 octobre 2011 (l’incident) entre la personne nommée et un autre employé. À cette date, la personne nommée occupait le poste GT-04 par intérim en utilisant les résultats obtenus au processus de nomination. Après l’incident, la police militaire a été appelée; elle a remis à la personne nommée une citation à comparaître devant la Cour provinciale de la Nouvelle‑Écosse. Le 22 novembre 2011, une dénonciation a été faite sous serment contre la personne nommée, l’accusant de voies de fait. Selon la dénonciation, la personne nommée avait poussé un autre employé en le touchant sur la poitrine. Le 13 avril 2012, la personne nommée a plaidé coupable et obtenu une absolution inconditionnelle. La personne est par conséquent réputée ne pas avoir été condamnée à l’égard de l’infraction. (Code criminel, L.R.C. (1985), ch. 46, art. 730.)

Question en litige

10 Le Tribunal doit déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir en nommant une personne qui ne posséderait pas les qualifications requises pour le poste GT‑04 visé.

Analyse

11 Le plaignant a présenté sa plainte en vertu de l’article 77(1)a) de la LEFP. Cette disposition habilite le Tribunal à examiner un processus de nomination interne afin de déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir d’effectuer des nominations fondées sur le mérite. Une nomination repose sur le mérite lorsque l’administrateur général est convaincu que la personne à nommer possède les qualifications essentielles établies pour le travail à accomplir (article 30(2)a) de la LEFP).

12 Dans le cas d’une plainte d’abus de pouvoir présentée en vertu de l’article 77 de la LEFP, le fardeau de la preuve incombe au plaignant. Voir la décision Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, paras. 49, 50 et 55. Afin de s’acquitter de ce fardeau, il doit présenter une preuve suffisante pour permettre au Tribunal de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s’il y a lieu de conclure à un abus de pouvoir.

13 Il est bien reconnu que le rôle du Tribunal ne consiste pas à réévaluer les candidats ni à substituer son jugement à la décision du comité d’évaluation, mais plutôt à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination. Voir, par exemple, la décision Jalal c. le sous‑ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 0038, para. 39. Toutefois, pour se prononcer sur la question de l’abus de pouvoir, le Tribunal peut examiner toutes les circonstances qui ont mené à la nomination. Voir la décision Maxwell c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 0021, para. 22.

14 En l’espèce, le Tribunal doit déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir en nommant la personne nommée. Le plaignant ne conteste pas la décision du comité d’évaluation datant de septembre 2011 selon laquelle la personne nommée était jugée qualifiée. Le plaignant soutient cependant que l’incident du 7 octobre 2011 a des répercussions sur la conclusion du comité d’évaluation, dans la mesure où la personne nommée ne devrait plus être considérée comme qualifiée.

15 Le plaignant affirme que, en raison du rôle que la personne nommée a joué dans l’incident, il est devenu manifeste qu’elle ne possède pas les qualités personnelles essentielles précisées dans l’énoncé des critères de mérite (ECM) établi pour ce processus de nomination, et donc que l’intimé n’aurait pas dû la nommer. Les qualifications essentielles énoncées dans l’ECM sous la rubrique «qualités personnelles» sont libellées comme suit :

Compréhension et jugement – Connaître tous les aspects des munitions. Le ou la titulaire doit prendre de solides décisions dans le cadre de la réalisation des tâches liées aux munitions. Une erreur de jugement ou un manque de compréhension risquerait d’entraîner de graves blessures ou la mort et la perte de stocks de munitions, d’équipement et de biens vitaux stratégiquement.

Conséquences des erreurs – Le ou la titulaire doit assumer la responsabilité de s’assurer du respect des procédures générales de sécurité et de fonctionnement dans le cadre de toutes les tâches et opérations liées aux munitions et des procédures et des techniques sécuritaires de manutention des munitions. Les erreurs au niveau de la manutention, de l’entretien et de l’élimination des munitions, les erreurs de jugement ou les fautes sur le plan de la transmission de l’information et des ordres risqueraient d’entraîner de graves blessures ou la mort ou la perte de stocks de munitions, d’équipement et de biens vitaux stratégiquement.

Relations interpersonnelles – Le ou la titulaire doit développer et maintenir des relations interpersonnelles positives.

16 Le plaignant n’était pas personnellement sur les lieux lors de l’incident, mais selon ce qu’il a entendu dire, il s’agissait d’une dispute à propos des procédures à suivre dans le cas d’un véhicule transportant des munitions. Il affirme que l’incident prouve que la personne nommée ne possède aucune des trois qualités personnelles, tout particulièrement du fait que la dispute portait sur l’importante question de la manipulation des munitions, laquelle est très précisément mentionnée dans les énoncés concernant les deux premières qualités personnelles. Le plaignant estime que l’intimé a fait fi des conséquences liées à la participation de la personne nommée à l’incident lorsqu’il a procédé à la nomination.

17 L’intimé réfute l’allégation du plaignant et affirme avoir tenu compte des circonstances entourant l’incident et y avoir remédié avant d’effectuer la nomination à durée indéterminée. Selon l’intimé, les faits liés à l’incident ne démontrent pas qu’il manquait à la personne nommée les qualités personnelles requises pour le poste.

18 Le capitaine de corvette Hammett a déclaré avoir immédiatement réagi à l’annonce de l’incident en demandant à Sophie Doucette – officier, Contrôle du matériel (OCM) au DMFC Bedford et superviseur des postes GT-04 visés – de mener une enquête disciplinaire. Il a en outre décidé de surseoir à la dotation des postes à durée indéterminée jusqu’à la conclusion de l’enquête, sans égard au moment où il recevrait l’autorisation de dotation.

19 Mme Doucette a déclaré être l’OCM et le superviseur immédiat de la personne nommée depuis 2009. Elle était chargée de rédiger l’ECM pour le processus de nomination visant les postes GT‑04. Elle a précisé avoir tiré les qualités personnelles d’une directive d’embauche du ministère. Les qualités personnelles relatives, d’une part, à la compréhension et au jugement et, d’autre part, aux conséquences des erreurs, visaient à évaluer les qualités d’un employé compétent qui ne permettrait pas que des erreurs nuisent à la santé et à la sécurité des employés. Quant aux relations interpersonnelles, elles concernent les qualités de chef d’équipe que doit posséder le titulaire du poste GT-04.

20 Elle a rappelé que le capitaine de corvette Hammett lui avait demandé le 7 octobre 2011 d’ouvrir une enquête sur l’incident, ce qu’elle a fait immédiatement. L’enquête s’est conclue le 22 octobre 2011.

21 Le capitaine de corvette Hammett a déclaré qu’après avoir examiné le rapport d’enquête de Mme Doucette, il estimait que l’incident était un incident isolé. Selon l’évaluation qu’il en a faite, il s’agissait d’un incident regrettable mais peu susceptible de se reproduire. Il estimait en outre que les deux employés avaient contribué à son amplification. Il a ajouté que si l’enquête disciplinaire avait conclu à une inconduite grave ou laissé sous‑entendre qu’un tel incident pourrait se reproduire, il aurait réexaminé la décision de nommer la personne. Cependant, d’après lui, l’enquête n’a mis en lumière aucune raison valable d’infirmer la décision du comité d’évaluation selon laquelle la personne nommée était qualifiée pour le poste.

22 Il faut évaluer le point de vue du plaignant par rapport à la preuve produite par le capitaine de corvette Hammett et Mme Doucette concernant les gestes qu’ils ont faits après l’incident et la décision de nomination qui a été prise par la suite. L’enquête disciplinaire menée par Mme Doucette a convaincu le capitaine de corvette Hammett, tant à titre de commandant du DMFC Bedford qu’à titre de gestionnaire d’embauche pour le poste GT-04, qu’il s’agissait d’un incident isolé et peu susceptible de se reproduire. Il a déterminé que l’incident n’avait aucune répercussion sur la conclusion du comité d’évaluation selon laquelle la personne nommée était qualifiée. En foi de quoi, l’intimé a procédé à la nomination.

23 Le Tribunal conclut que la preuve n’a pas établi qu’il y a eu abus de pouvoir. L’intimé n’a manifestement pas pris l’incident à la légère. Les mesures prises par le capitaine de corvette Hammett après l’incident démontrent que celui‑ci y a porté attention et qu’il était convaincu que rien ne justifiait de changer la décision de nomination. Bien que le plaignant ne souscrive pas à cette décision, il n’a pas établi la preuve d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé au sens de l’article 77(1)a) de la LEFP.

Décision

23 Pour les motifs qui précèdent, la plainte est rejetée.


Joanne B. Archibald
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2011-1155
Intitulé de la cause :
Miles Denny et le sous-ministre de la Défense nationale
Audience :
Les 4 et 5 décembre 2012
Halifax (Nouvelle-Écosse)
Date des motifs :
Le 4 février 2013

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Louis Bisson
Pour l’intimé :
Pierre-Marc Champagne
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
(observations écrites)
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