Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Lorsque l’employeur a offert au fonctionnaire s’estimant lésé une affectation intérimaire, l’employeur lui a dit qu’il aurait à utiliser son véhicule personnel pour se rendre à son poste et qu’aucune dépense ne lui serait remboursée - le fonctionnaire s’estimant lésé s’est acquitté du coût de son déplacement quotidien à son lieu de travail tout au long de son affectation intérimaire - il a déposé une demande de remboursement de frais de déplacement beaucoup plus tard, après avoir participé à une formation durant laquelle il a appris qu’il était inapproprié qu’un employeur de la fonction publique se serve d’affectations intérimaires pour éviter d’avoir à rembourser des frais de déplacement - la demande a été rejetée et le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief, qui a été rejeté à chaque palier de la procédure de règlement des griefs au motif qu’il était hors délai - de plus, le Comité exécutif du CNM est arrivé à une impasse lorsqu’il a examiné les arguments du défendeur et de l’agent négociateur relativement au respect des délais - le grief a été renvoyé à l’arbitrage par l’agent négociateur - le défendeur a alors soulevé une objection au motif que le grief était hors délai avant de formuler, quelque temps avant l’audience, une seconde objection contestant la compétence du vice-président parce que le fonctionnaire s’estimant lésé occupait un poste exclu lors de son affectation intérimaire - le vice-président a rejeté le grief au motif du non-respect des délais et n’a par conséquent pas traité la deuxième objection à la compétence - il a soulevé le fait que la convention collective exigeait le dépôt d’un grief au plus tard le 25 e jour suivant la date à laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé avait pris conscience pour la première fois de l’acte ou des circonstances à l’origine du grief - ces circonstances sont survenues lorsque le gestionnaire a dit au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il n’avait pas droit au remboursement de ses frais de déplacement pour son affectation intérimaire, et non en 2009, lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a appris d’un formateur qu’il aurait pu avoir droit à une indemnité de déplacement - le vice-président a jugé qu’il n’y avait pas de motifs clairs, logiques et convaincants pour justifier le retard de deux ans du dépôt du grief - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas fait preuve de diligence lorsque la direction a pris sa décision sur les frais de déplacement en 2007, et c’est cette dernière date qui importe pour déterminer si une prorogation du délai devrait être accordée - le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu faire sa propre recherche, vérifier la Directive sur les voyages du CNM, consulter son agent négociateur, et déposer un grief s’il n’était pas satisfait de la décision prise en 2007 par la direction de ne pas rembourser ses frais de déplacement - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas acquis un nouveau droit de grief lorsqu’un formateur lui a dit, en 2009, qu’il aurait peut-être le droit de se faire rembourser ces frais. La demande de prorogation de délai est rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-08-21
  • Dossier:  568-02-225 XR : 566-02-4845
  • Référence:  2013 CRTFP 97

Devant le président de la
Commission des relations de
travail dans la fonction publique


ENTRE

ROBERT SAFIRE

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Anciens Combattants)

défendeur

Répertorié
Safire c. Conseil du Trésor (ministère des Anciens Combattants)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, vice-président

Pour le demandeur:
Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Magdalena Persoiu, avocate

Affaire entendue à Halifax, Nouvelle-Écosse,
le 7 août 2013.
(Traduction de la CRTFP)

Demande devant le président

1 Robert Safire (le « demandeur ») travaille au ministère des Anciens Combattants (le « défendeur ») à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Du 30 avril au 31 octobre 2007, le demandeur occupait à titre intérimaire un poste d’agent principal de libération conditionnelle au Service correctionnel du Canada (le « SCC ») à Truro, en Nouvelle-Écosse. L’affectation intérimaire constituait, pour M. Safire, une promotion temporaire au niveau immédiatement supérieur. M. Safire travaillait alors pour le SCC.

2 En février 2007, le SCC a publié une annonce d’emploi pour des postes intérimaires d’agent principal de libération conditionnelle dans les districts de Nouvelle-Écosse du SCC. M. Safire a postulé et s’est qualifié. Vers la mi-avril 2007, Gisèle Smith, une directrice du SCC, a verbalement offert à M. Safire une affectation intérimaire d’agent principal de libération conditionnelle à Truro; offre qu’elle a plus tard confirmée par écrit. L’affectation originale était de quatre mois, mais a par la suite été prolongée de deux mois.

3 M. Safire vit dans le secteur de Halifax, à 110 kilomètres de Truro. Lors de sa discussion avec Mme Smith à la mi-avril 2007, M. Safire a abordé la question de son déplacement quotidien à Truro. Mme Smith l’a informé qu’il devrait utiliser son propre véhicule et qu’aucune dépense ne lui serait remboursée. M. Safire a cru Mme Smith. Il n’a consulté ni son syndicat, ni la convention collective pertinente ou la Directive sur les voyages du Conseil national mixte (CNM) pour vérifier la décision de Mme Smith. Rien dans l’offre initiale d’affectation intérimaire ou dans ses renouvellements ne traite des frais de déplacement.

4 M. Safire s’est acquitté du coût de ses déplacements quotidiens à Truro. Il a fait confiance à Mme Smith et l’a crue sur parole lorsqu’elle lui a dit que ses frais de déplacement à Truro ne seraient pas remboursés.

5 Vers la fin de février 2009, M. Safire a suivi un cours de dotation à l’intention des gestionnaires. Au fil des discussions dans le cadre du cours, les formateurs l’ont avisé qu’il était inapproprié pour un employeur de la fonction publique de se servir des affectations intérimaires pour éviter d’avoir à rembourser des frais de déplacement. En d’autres termes, selon M. Safire, il a appris que la décision de Mme Smith selon laquelle il n’avait pas droit au remboursement de ses frais de déplacement durant la période où il voyageait à Truro était erronée.

6 Le 25 mars 2009, il a parlé de la situation à son directeur, Peter Wickwire, et lui a expliqué qu’il estimait avoir droit au remboursement de ces frais. Son directeur lui a suggéré de déposer une demande de remboursement des frais et lui a dit qu’il la regarderait. Le 2 avril 2009, M. Safire a déposé sa demande de remboursement pour 83 jours de déplacements quotidiens à Truro (kilométrage et repas), totalisant 9 731,85 $. Il a également soumis des explications détaillées en ce qui concerne les raisons pour lesquelles sa demande devrait être acceptée.

7 Le 22 avril 2009, M. Wickwire a informé M. Safire que sa demande avait été rejetée. Le 19 mai 2009, M. Safire a déposé un grief contestant le rejet de sa demande. Le défendeur a rejeté le grief à chaque palier de la procédure de règlement des griefs au motif qu’il était hors délai. Le Comité exécutif du CNM a considéré les arguments du défendeur et de l’agent négociateur relativement au respect des délais et a atteint une impasse. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage par l’agent négociateur. Le 9 décembre 2010, le défendeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief au motif que le grief était hors délai. Le 6 janvier 2011, M. Safire a répondu qu’il avait déposé son grief dans les 25 jours, conformément à la convention collective pertinente; subséquemment, il a demandé une prorogation.

8 Cette affaire m’a été confiée en juillet 2013. Le 16 juillet 2013, j’ai informé les parties que l’objet de cette audience serait d’entendre des preuves et des arguments pour déterminer si le demandeur avait déposé son grief en retard et, le cas échéant, si je devrais lui accorder la prorogation demandée.

9 En vertu de l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), le président m’a autorisé, à titre de vice-président, à exercer tout pouvoir ou toute fonction qu’il possède, conformément à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »), pour entendre et trancher toute question relative aux prorogations de délai en l’espèce.

10 Le demandeur est représenté par son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC »). La convention collective pertinente est celle conclue entre le Conseil du Trésor et l’AFPC pour le groupe Service des programmes et de l’administration (date d’expiration : le 20 juin 2011) (la « convention collective »). Quelques jours avant l’audience, le défendeur s’est opposé à ma compétence au motif que le poste intérimaire occupé par M. Safire du 30 avril au 31 octobre 2007 était exclu de l’unité de négociation et que, par conséquent, M. Safire ne pouvait pas renvoyer à l’arbitrage un grief concernant l’interprétation de la convention collective. J’ai proposé aux parties de ne pas aborder la question de cette objection lors de l’audience, car il manquait alors certaines preuves pertinentes. Il a été entendu qu’il serait de nouveau question de cette objection plus tard, au besoin.

Résumé de l’argumentation

11 M. Safire a soutenu avoir déposé son grief dans les délais. C’est vers la fin de février 2009 qu’il a appris que ses frais de déplacement pour son affectation intérimaire de 2007 pouvaient lui être remboursés. Il en a parlé à son directeur, qui lui a suggéré de soumettre une demande de remboursement des frais. Cette demande a été rejetée le 22 avril 2009. C’est là que M. Safire a pris connaissance de la décision ou des circonstances qui ont mené à son grief, qu’il a déposé le 19 mai 2009. La date de dépôt de son grief respectait le délai de 25 jours prévus dans la convention collective. De plus, la Directive sur les voyages du CNM n’impose aucune limite de temps pour soumettre une demande de remboursement de frais de déplacement. Par conséquent, l’objection du défendeur pour non-respect du délai devrait être rejetée.

12 Dans le cas contraire, M. Safire a fait valoir qu’une prorogation du délai pour présenter son grief devrait lui être accordée, au nom de l’équité.

13 M. Safire a plaidé qu’il avait des motifs clairs, logiques et convaincants pour expliquer le délai relatif au dépôt son grief. Il a été mal informé par une personne de confiance, laquelle lui a dit qu’il n’avait pas droit au remboursement de ses frais de déplacement pendant son affectation intérimaire. Lorsqu’il a appris qu’il pouvait être admissible à ce remboursement, il a agi avec diligence : il a soumis sa demande de remboursement et, peu de temps après le rejet de celle-ci, a déposé un grief.

14 M. Safire a argumenté que la longueur du délai pour déposer son grief devrait être calculée à partir du moment où il a appris qu’il avait droit au remboursement de ses frais de déplacement. Dans le cas contraire, il a soutenu que le moment servant à calculer la prorogation du délai devrait être la fin de son affectation intérimaire, soit le 30 octobre 2007, soit 18 mois avant qu’il ne dépose son grief.

15 M. Safire a également avancé qu’une prorogation du délai ne causerait aucun préjudice au défendeur. Subsidiairement, si son grief n’était pas entendu, il perdrait potentiellement une somme importante. Il a également soutenu que son grief, s’il était entendu, avait de bonnes chances d’être admis par un arbitre de grief.

16 M. Safire m’a renvoyé aux décisions suivantes : Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRFTP 1; Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59; Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65; Richard c. Agence du revenu du Canada, 2005 CRTFP 180; Hamilton et Hutchinson c. Conseil du Trésor (Service correctionnel Canada), 2013 CRTFP 91.

17 Le défendeur a soutenu que le grief de M. Safire avait été déposé trop tard. L’action ou les circonstances ayant mené au grief se sont produites à la mi-avril 2007, lorsque Mme Smith a informé M. Safire que ses frais de déplacement à Truro ne seraient pas remboursés. Le délai de 25 jours pour déposer son grief commençait à ce moment, et non en avril 2009, quand M. Wickwire a rejeté sa demande. Il aurait pu consulter son syndicat en 2007 ou s’informer des droits qui lui étaient conférés par la convention collective ou la Directive sur les voyages du CNM, mais il ne l’a pas fait.

18 Le défendeur a avancé que les prorogations de délai devraient être réservées à des circonstances exceptionnelles. Selon lui, M. Safire n’avait pas de motif clair, logique et convaincant de déposer son grief en retard. On lui a dit en 2007 que ses frais de déplacement à Truro ne seraient pas remboursés; il a alors consciemment fait le choix de ne pas déposer de grief contestant cette décision. Le fait d’avoir appris lors d’une formation en 2009 qu’il aurait peut-être eu droit au remboursement n’est pas une raison convaincante pour lui accorder une prorogation.

19 Le défendeur a également soutenu qu’une prorogation de délai lui porterait préjudice. Les incidents en question ont eu lieu en 2007, ce qui remonte à plus de six ans. Certains témoins pourraient avoir oublié ce qui a été fait ou dit à l’époque. Il pourrait également être difficile de retracer certains des documents pertinents. Le défendeur a aussi estimé qu’en fonction de la jurisprudence récente, le grief avait très peu de chances d’être accueilli.

20 Le défendeur m’a renvoyé à Schenkman; Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110; Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut du réfugié), 2011 CRTFP 68; Brady c. Personnel des fonds non publics (Forces canadiennes), 2011 CRTFP 23; Cloutier c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 31; Cowie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 14; Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada) et administrateur général (Commission de la fonction publique), 2010 CRTFP 72; Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92; Marks c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2012 CRTFP 77; Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117; Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96.

Motifs

21 Les faits relatifs à cette demande sont très simples. M. Safire a accepté une affectation intérimaire de six mois en 2007, à Truro, situé à environ 100 kilomètres de son lieu de résidence. Avant le début de son affectation intérimaire, il a demandé à la directrice responsable de l’offre d’affectation si ses frais quotidiens de déplacement à Truro seraient remboursés. Elle lui a répondu par la négative, et il l’a crue sur parole. En 2009, lors d’un cours, des formateurs lui ont dit qu’il aurait pu être admissible au remboursement de ses frais de déplacement lors de son affectation intérimaire de 2007. En avril 2009, il a réclamé le remboursement de ces frais, mais on le lui a refusé. Moins de 25 jours plus tard, il a déposé un grief contestant ce refus.

22 La clause 18.15 de la convention collective établit le délai pour présenter un grief. Elle est libellée comme suit :

18.15 Un employé-e s’estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite par la clause 18.08 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief […]

23 On a avisé M. Safire avant son affectation intérimaire, en 2007, que ses frais de déplacement ne seraient pas remboursés. Il avait alors 25 jours pour déposer un grief. Il aurait alors pu faire sa propre recherche, vérifier la Directive sur les voyages du CNM, consulter son syndicat, et déposer un grief s’il n’était pas satisfait de la décision. Or, il a cru la réponse de Mme Smith et a accepté de faire le déplacement quotidien à Truro à ses propres frais. Il n’a pas acquis un nouveau droit de grief lorsqu’un formateur lui a dit, en 2009, qu’il aurait peut-être le droit de se faire rembourser ces frais. Les actions et les circonstances ayant donné lieu au grief ne sont pas ce qu’il a reçu comme renseignements en 2009, mais plutôt la décision prise en 2007 de ne pas rembourser ses frais de déplacement. Pour ces motifs, M. Safire aurait dépassé de plus de deux ans l’échéance de 25 jours pour déposer son grief. En mai 2009, il a déposé un grief contre une décision de Mme Smith datant d’avril 2007. Sa demande de 2009 importe peu; la décision de ne pas lui rembourser ses frais de déplacement a été prise en 2007 et lui a été communiquée à cette même époque.

24 M. Safire a également fait valoir qu’il n’y avait pas de date limite pour soumettre une demande de remboursement de frais de déplacement. Il a déposé sa demande en 2009 pour des dépenses encourues en 2007. Cependant, l’article 1.1.2 de la Directive sur les voyages du CNM exige habituellement que le voyage ait été approuvé au préalable. Il est clair que M. Safire n’a jamais reçu une telle approbation. Au contraire, Mme Smith lui a explicitement refusé le remboursement de ses frais de déplacement au cours de son affectation. Cet article de la Directive sur les voyages du CNM est libellé comme suit :

1.1.2 Les voyages en service commandé doivent être autorisés par écrit au préalable de manière à garantir que tous les préparatifs de voyage sont conformes aux dispositions de la présente directive […]

25 Les demandes de prorogation sont régies par l’article 61 du Règlement, libellé comme suit :

61. Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

  1. soit par une entente entre les parties;
  2. soit par le président, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

26 Les critères à considérer pour déterminer si une prorogation est de mise sont décrits dans Schenkman :

  • Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

27 Ces critères ne sont pas nécessairement d’une importance égale. Si les motifs du retard ne sont pas clairs, logiques et convaincants, alors la durée du retard, la diligence du demandeur, l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur et les chances de succès du grief n’auront que peu d’importance dans la plupart des cas. Au minimum, il faut que le retard soit validé par une raison valable afin de justifier une prorogation du délai par souci d’équité. La Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a toujours suivi cette approche ces deux dernières années (voir par exemple Lagacé et Callegaro). De plus, comme je l’ai écrit dans Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, la Commission accorde rarement des prorogations sans motif clair, logique et convaincant.

28 M. Safire ne m’a pas convaincu qu’il avait un motif clair, logique et convaincant pour expliquer le retard de deux ans de son grief. Son seul motif était qu’en février 2009, il avait appris d’un formateur qu’il avait droit au remboursement de ses frais de déplacement à Truro au cours de son affectation intérimaire. Je conviens avec lui qu’il a par la suite fait preuve de diligence, mais il n’a pas fait preuve de la même diligence lorsque la direction a pris sa décision sur les frais de déplacement en 2007; or, c’est cette dernière date qui importe pour déterminer si une prorogation du délai devrait être accordée. De nouvelles échéances ne sont pas créées par le simple fait qu’un employé apprend quelque chose concernant un droit dont il aurait pu bénéficier; si tel était le cas, il serait rare qu’on arrive à conclure une décision en matière de relations de travail. Voilà l’une des raisons qui justifient l’existence des dispositions comme la clause 18.15 dans les conventions collectives.

29 La direction prend des décisions et les employés ont 25 jours pour contester ces décisions. Une fois ce délai écoulé, les employés ne peuvent pas déposer de griefs au motif qu’ils ont ensuite appris que l’interprétation par l’employeur de la convention collective ou de la loi était erronée. Tel qu’il est mentionné dans Allard et al. c. Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-6012 à 6039 (19791115), page 86, l’ignorance de la loi n’est pas une excuse.

30 Le demandeur m’a renvoyé à Thompson et Richard, où des demandes de prorogation ont été accordées. Or, les faits de ces cas sont très différents de ceux en l’espèce. Dans Thompson, la demanderesse avait été licenciée. La demande a été accueillie au motif que la demanderesse n’aurait pas dû être pénalisée pour l’inaction de son agent négociateur. Évidemment, ce n’est pas le cas ici. Dans Richard, la demande a été accueillie au motif que la demanderesse souffrait du syndrome de stress post-traumatique, ce qui constituait un motif logique et convaincant pour justifier son retard. Dans le cas présent, le fait que M. Safire n’a appris ses droits allégués au remboursement de ses frais qu’en 2009 constitue le motif du retard.

31 Comme j’ai déjà déterminé que M. Safire n’avait pas de motif clair, logique et convaincant justifiant le retard de son grief, je vais rejeter sa demande de prorogation. La diligence dont il a fait preuve après avoir été mis au fait de ses droits par un formateur en 2009 n’est pas pertinente. Toutefois, le fait qu’il n’ait agi que deux ans après qu’on l’ait informé que ses frais de déplacement à Truro ne seraient pas remboursés, alors qu’il aurait dû agir dans les 25 jours, est pertinent. Je ne peux pas commenter le bien-fondé du grief de M. Safire, car je n’ai pas entendu les preuves à ce sujet. Cependant, cela importe peu. Sans motif clair, logique et convaincant pour justifier le retard, je ne peux pas accorder de prorogation sous prétexte que le grief est bien fondé. Cela contreviendrait à la loi qui régit les deux parties, notamment la convention collective, qui stipule que les griefs doivent être déposés dans les 25 jours après les actions et les circonstances donnant lieu au grief. Une prorogation n’est accordée que dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’elle est justifiée au nom de l’équité par des motifs convaincants et logiques.

32 Je tiens à ajouter, même si ça ne joue pas de rôle dans les motifs de ma décision, que je ne suis pas d’accord avec l’argument du défendeur en ce qui concerne le préjudice. Bien que le refus de rembourser les frais de déplacement de M. Safire remonte à plus de six ans, M. Safire n’est responsable que du tiers de ce délai, soit la période d’avril 2007 à mai 2009. Le grief a ensuite mis un an à être traité et renvoyé à l’arbitrage. Enfin, la Commission a mis près de trois ans à entendre l’affaire. M. Safire n’avait aucun contrôle sur ce délai supplémentaire.

33 Comme j’ai déjà rejeté la demande de prorogation du délai, il n’y a nul besoin de traiter l’objection du défendeur selon laquelle M. Safire ne pouvait pas déposer de grief à l’époque au motif qu’il occupait un poste exclu.

34 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

35 La demande de prorogation de délai est rejetée.

36 Le grief du dossier de la CRTFP 566‑02‑4845 est fermé.

Le 21 août 2013.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
vice-président

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.