Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La candidature du plaignant avait été éliminée d’un processus de nomination interne à un poste AS-06 au motif qu’il ne possédait pas la qualification nécessaire par rapport aux études. La présélection des candidats se faisait sur la base d’une qualification constituant un atout, à savoir la possession d’un grade universitaire d’une université reconnue. Le plaignant a formulé à l’encontre de l’intimé des allégations d’abus de pouvoir aux motifs suivants : évaluation inappropriée de ses études; favoritisme personnel envers la personne nommée; discrimination et parti pris contre lui en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique. L’intimé a fait valoir que l’élimination de la candidature du plaignant était attribuable au fait qu’il manquait à celui-ci une qualification évaluée à la présélection et constituant un atout. Il a ajouté que la personne nommée avait été évaluée et jugée tout à fait qualifiée pour le poste. Décision En ce qui concerne la qualification liée aux études, le Tribunal a jugé que le plaignant n’avait pas réussi à établir la preuve d’un abus de pouvoir dans l’établissement de ladite qualification. Il ressortait des éléments de preuve que le gestionnaire d’embauche avait établi la nécessité pour les candidats de posséder un grade universitaire sur la base du travail à accomplir. Le Tribunal a estimé en outre que le gestionnaire d’embauche n’était aucunement tenu d’accepter les certificats de compétence, les affiliations et autres attestations du plaignant à titre d’équivalences à la qualification liée aux études requise. Il a fait remarquer que la législation applicable ne contient aucune disposition interdisant à un gestionnaire d’utiliser une qualification constituant un atout à l’étape de la présélection d’un processus de nomination. Par ailleurs, le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas réussi à établir la preuve d’un parti pris de l’un des membres du comité d’évaluation contre lui. Si la preuve a fait état d’une divergence d’opinions survenue antérieurement entre le plaignant et le membre du comité par rapport à une enquête en milieu de travail, il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour conclure à un parti pris de la part du membre du comité ni à une crainte raisonnable de partialité. S’agissant de l’allégation de discrimination, le Tribunal a établi que le plaignant n’avait présenté aucune preuve, directe ou circonstancielle, démontrant que sa race ou son origine nationale ou ethnique a eu une quelconque incidence sur la décision d’éliminer sa candidature du processus de nomination. En conséquence, le plaignant n’avait pas réussi à établir de preuve prima facie de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique. Enfin, le Tribunal a jugé que le plaignant n’avait pas apporté d’éléments établissant la preuve d’un favoritisme personnel dans le processus de nomination. Une nomination intérimaire antérieure ne suffit pas en soi à établir une preuve de favoritisme personnel. Bien qu’il n’y ait pas suffisamment d’éléments pour conclure à un abus de pouvoir en l’espèce, le Tribunal n’a pas manqué de faire remarquer que l’intimé a failli à son obligation d’aviser les employés en temps opportun de la nomination intérimaire antérieure, et de respecter du même coup les principales valeurs de dotation de la fonction publique que sont l’accessibilité et la transparence. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2011-1176
Rendue à :
Ottawa, le 1er mars 2013

CHARLES HAARSMA
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)(a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Joanne B. Archibald, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Haarsma c. le sous-ministre de la Défense nationale
Référence neutre :
2013 TDFP 5

Motifs de décision


Introduction

1 Le plaignant, Charles Haarsma, était candidat dans un processus de nomination interne annoncé visant le poste AS‑06 de directeur adjoint, Sécurité de la Force aérienne, au ministère de la Défense nationale (MDN), à Winnipeg, au Manitoba. Le plaignant soutient que l’intimé, le sous‑ministre de la Défense nationale, a abusé de son pouvoir au motif de favoritisme personnel envers Nicole Stoddart, qui a été nommée au poste. En outre, le plaignant affirme que l’intimé a aussi abusé de son pouvoir au motif d’évaluation inappropriée de ses études, ainsi que de discrimination et parti pris contre lui.

2 L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir. Il affirme qu’à l’issue de son évaluation, Mme Stoddart a été jugée entièrement qualifiée et nommée au poste. La candidature du plaignant a été éliminée du processus parce qu’il lui manquait l’une des qualifications constituant un atout évaluées durant la présélection. L’intimé nie que le processus de nomination a été teinté de favoritisme personnel, de parti pris ou de discrimination.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas pris position sur le bien­fondé de l’affaire. La CFP n’a pas assisté à l’audience, mais elle a présenté des observations écrites concernant ses politiques et ses lignes directrices applicables.

4 Conformément à l’article 78 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (LEFP), le plaignant a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’il entendait soulever une question liée à l’interprétation et à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H­6 (LCDP). Avant la tenue de l’audience, la CCDP a indiqué qu’elle ne serait pas présente et qu’elle ne formulerait aucune observation en l’espèce.

5 Pour les motifs énoncés ci‑après, la plainte est rejetée. Il n’a pas été démontré que la nomination de Mme Stoddart avait été teintée de favoritisme personnel, que l’évaluation du plaignant était inappropriée ni que l’intimé avait abusé de son pouvoir au motif de discrimination ou de parti pris contre le plaignant.

Contexte

6 En 2011, le MDN a publié une annonce de possibilité d’emploi pour un poste AS‑06 à Winnipeg. La date limite des candidatures était fixée au 21 juin 2011. L’énoncé des critères de mérite (ECM) du poste précisait que les candidats devaient posséder un grade d’une université reconnue (qualification liée aux études). Il s’agissait d’ailleurs d’une qualification essentielle.

7 Peu après, le MDN a publié une deuxième annonce de possibilité d’emploi pour le poste AS‑06. Le numéro du processus de nomination était le même, mais l’annonce indiquait maintenant deux lieux de travail : Winnipeg et Ottawa. L’ECM a également été modifié; en l’espèce, il est particulièrement important de souligner que la qualification liée aux études était devenue une qualification constituant un atout plutôt qu’une qualification essentielle.

8 Les candidatures reçues pour le poste AS‑06 ont été transmises aux membres du comité d’évaluation pour qu’ils puissent effectuer une présélection individuelle au regard des exigences du poste. Le comité d’évaluation était composé de Jeff Helps, directeur du Centre de sécurité de la Force aérienne de Winnipeg et gestionnaire d’embauche pour le poste de Winnipeg, de David Hentschel, gestionnaire de la sécurité des RF du MDN et des FC à Ottawa et gestionnaire d’embauche pour le poste d’Ottawa, et de Sandra Douville, agente des ressources humaines civiles à Winnipeg.

9 Le 20 juillet 2011, le plaignant a reçu un avis écrit lui indiquant que sa candidature ne serait pas retenue pour les postes offerts dans les deux lieux de travail. Le gestionnaire d’embauche a invoqué la qualification liée aux études à l’étape de présélection initiale. Il a été déterminé que le plaignant ne possédait pas de grade universitaire; sa candidature a donc été éliminée du processus de nomination au moment de la présélection. La lettre comportait également des détails sur les critères de présélection auxquels le plaignant ne répondait pas pour le poste d’Ottawa. Sa candidature n’a donc été retenue pour aucun des deux lieux de travail.

10 Le 17 novembre 2011, une notification de nomination ou de proposition de nomination a été publiée pour annoncer la nomination de Mme Stoddart au poste AS‑06 de Winnipeg. Le 22 novembre 2011, le plaignant a présenté au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) une plainte d’abus de pouvoir concernant la nomination, en vertu de l’article 77 de la LEFP.

Questions en litige

11 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans la définition et l’évaluation de la qualification liée aux études pour le poste de Winnipeg?
  2. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir au motif de parti pris contre le plaignant?
  3. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir au motif de discrimination à l’endroit du plaignant en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique?
  4. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir au motif de favoritisme personnel à l’endroit de Mme Stoddart?

Analyse

12 En vertu de l’article 77(1) de la LEFP, une personne qui est dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir. Dans une plainte d’abus de pouvoir, le fardeau de la preuve incombe au plaignant. Voir la décision Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, paras. 48‑55.

Question I : L’intimé a­t­il abusé de son pouvoir dans la définition et l’évaluation de la qualification liée aux études pour le poste de Winnipeg?

13 L’ECM relatif au processus de nomination comportait deux qualifications liées aux études, soit une qualification essentielle et une qualification constituant un atout. La qualification essentielle consistait à posséder un diplôme d’études secondaires ou une équivalence approuvée par l’employeur, tandis que la qualification constituant un atout exigeait de posséder un grade d’une université reconnue. La qualification constituant un atout a été invoquée dans le processus visant le poste de Winnipeg et a été utilisée, en plus de la qualification essentielle, pour présélectionner les candidats au poste AS-­06 au regard de leurs études.

14 Le plaignant remet en question la nécessité d’évaluer la qualification liée aux études utilisée pour le poste de Winnipeg, mais il n’a présenté aucune preuve pour étayer sa position. Il soutient également que bien qu’il ne possède pas de grade universitaire, ses certificats de compétence, affiliations et autres attestations constituaient une équivalence acceptable.

15 L’article 30(2) de la LEFP confère à l’administrateur général le pouvoir d’établir les qualifications essentielles et les qualifications constituant un atout. Au paragraphe 42 de la décision Visca c. Sous-­ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024, le Tribunal a établi que l’article 30(2) accorde à l’administrateur général un pouvoir discrétionnaire considérable pour établir les qualifications liées à un poste.

16 Aux termes de l’article 31 de la LEFP, les qualifications établies par l’administrateur général doivent respecter ou dépasser les normes de qualification fixées par l’employeur. Voir la décision Fraser c. Sous­-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0005, para. 46. Le Tribunal a compétence pour instruire des plaintes selon lesquelles l’administrateur général a abusé de son pouvoir en établissant une qualification constituant un atout qui ne respectait ou ne dépassait pas les normes de qualification applicables fixées par l’employeur. Voir la décision Rinn c. Sous-­ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 0044, para. 41.

17 Le Tribunal a expliqué dans nombre de décisions que les gestionnaires sont tenus d’établir les qualifications pour le travail à accomplir. Voir, par exemple, la décision Fraser, paras. 44-53.

18 M. Helps a témoigné au sujet de l’établissement de la qualification liée aux études, affirmant qu’il avait recommandé l’ajout de cette qualification en vue de répondre aux besoins actuels de l’organisation. Il savait que le titulaire du poste AS­-06 aurait à produire des textes et des rapports, à les étayer et à effectuer des recherches à cet égard. Selon lui, il s’agissait d’activités normales pour un étudiant souhaitant obtenir un grade universitaire. Le fait de posséder un grade améliorait également la crédibilité du titulaire du poste AS‑06 en le plaçant sur un pied d’égalité avec les autres professionnels accomplissant le même type de travail à l’échelle nationale et internationale. En outre, le poste AS‑06 faisait partie d’un groupe de relève pour les postes de cadre. Or, le grade universitaire constitue une exigence pour la majorité des postes de cadre au MDN. M. Helps a énoncé ces motifs dans un courriel envoyé à Mme Douville le 12 juillet 2011.

19 M. Helps a aussi expliqué la différence entre la première annonce de possibilité d’emploi et la deuxième. Il a indiqué qu’après la publication de la première annonce, M. Hentschel a demandé si le processus pouvait être élargi en vue de doter un poste AS‑06 à Ottawa. Cette demande a été acceptée, et puisque le grade universitaire n’était pas requis pour le poste d’Ottawa, la qualification liée aux études est devenue une qualification constituant un atout qu’il était possible d’appliquer uniquement pour le poste de Winnipeg.

20 M. Helps a également témoigné au sujet de l’évaluation du plaignant au regard de la qualification constituant un atout liée aux études. Il a indiqué avoir cherché dans le dossier de candidature du plaignant une preuve montrant qu’il possédait un grade universitaire, sans succès. Par conséquent, il a éliminé la candidature du plaignant à l’étape de la présélection puisqu’il ne possédait pas la qualification liée aux études. Aucune preuve montrant que des candidats retenus à l’étape de la présélection pour le poste de Winnipeg ne possédaient pas la qualification liée aux études n’a été présentée.

21 Le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas réussi à établir la preuve d’un abus de pouvoir dans l’établissement de la qualification liée aux études. Les éléments de preuve montrent que le gestionnaire a établi que les candidats devaient posséder un grade universitaire en se fondant sur le travail à accomplir au bureau de Winnipeg.

22 Le plaignant soutient également que ses certificats de compétence, affiliations et autres attestations constituent une équivalence acceptable à un grade universitaire. Le plaignant n’a fait référence à aucune disposition de la LEFP ou du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005­334 (REFP) établissant qu’un gestionnaire d’embauche doit tenir compte des équivalences à un grade universitaire. Le Tribunal a d’ailleurs confirmé que ni la LEFP ni le REFP ne contiennent de disposition obligeant l’administrateur général à établir ou à accepter des équivalences aux qualifications essentielles. Voir la décision Bowman c. le Sous­-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 0012, para. 99. Il n’existe pas non plus de telle disposition concernant les qualifications constituant un atout. Le Tribunal conclut donc que le gestionnaire d’embauche n’était aucunement tenu d’accepter les certificats de compétence, les affiliations et autres attestations du plaignant à titre d’équivalences à la qualification liée aux études requise pour le poste de Winnipeg.

23 Enfin, le Tribunal souligne qu’il a récemment établi qu’aucune disposition de la LEFP ou du REFP n’empêche un gestionnaire d’utiliser une qualification constituant un atout à l’étape de la présélection d’un processus de nomination. En effet, dans la décision Pugh c. le sous­-ministre de la Justice, 2012 TDFP 0031, para. 31, le Tribunal a affirmé ce qui suit :

En outre, ni la LEFP ni le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005­334 (le REFP), ne contiennent de disposition qui précise l’étape du processus de nomination à laquelle les qualifications constituant un atout peuvent être utilisées, ou qui indique que celles­ci ne peuvent pas être utilisées à l’étape de la présélection.

Question II : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir au motif de parti pris contre le plaignant?

24 Le plaignant soutient que M. Helps avait un parti pris contre lui en raison de leur rôle respectif dans une plainte relative à un refus de travailler qu’a déposée M. Helps en 2008 au sujet de conditions de travail se rapportant à la santé et à la sécurité. Le plaignant a indiqué qu’il était l’agent de sécurité ministériel responsable de l’enquête pour cette plainte. Étant donné leur rôle respectif dans cette affaire, le plaignant est d’avis que M. Helps aurait dû se retirer pour ne pas avoir à évaluer sa candidature dans le processus de nomination.

25 Pour étayer son argument par rapport au parti pris, le plaignant a présenté un courriel daté du 30 décembre 2008. Dans ce courriel, M. Helps parle de sa plainte relative à un refus de travailler et fait référence aux « amateurs » [traduction] qui lui citent des passages de la loi et qui l’interprètent pour lui. Le plaignant croit être la personne visée par ce terme.

26 Dans son témoignage, M. Helps a indiqué que lorsqu’il a pris conscience de certaines conditions de travail, il a soulevé ses préoccupations auprès du plaignant, qui était alors agent de sécurité. Selon M. Helps, le plaignant a indiqué qu’il n’y avait aucun problème et l’a invité à communiquer avec Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) pour déposer une plainte, ce qu’il a fait. M. Helps avait l’impression qu’après la présentation de la plainte, le plaignant, à titre d’agent de sécurité, remettait en question tout ce qu’il proposait et que leur relation s’était détériorée.

27 En ce qui concerne le courriel du 30 décembre 2008, M. Helps a nié qu’il faisait référence au plaignant. Il a affirmé qu’il parlait plutôt de l’ingénieur responsable du projet, qui, selon M. Helps, ne comprenait pas les lois applicables.

28 Le Tribunal estime que le plaignant n’a pas réussi à établir que M. Helps avait un parti pris contre lui. Il n’y a aucune preuve de partialité en l’espèce. Les tribunaux ont reconnu qu’il est difficile d’établir une preuve directe de parti pris, et que l’équité exige qu’il n’y ait aucune crainte raisonnable de partialité. Le Tribunal a appliqué le critère de crainte raisonnable de partialité dans plusieurs de ses décisions, notamment au paragraphe 125 de la décision Denny c. le sous­-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, où il fait référence aux décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 et Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623. À la lumière de ces décisions, le Tribunal a formulé le critère suivant : en examinant le processus, un observateur relativement bien renseigné pourrait­il raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou de plusieurs personnes ayant pris part à l’évaluation du plaignant?

29 L’argument du plaignant repose sur son interaction avec M. Helps dans le cadre d’une plainte relative à un refus de travailler, et plus précisément sur l’attitude de M. Helps envers lui, dont fait état un courriel datant de la fin 2008. Leurs points de vue à l’égard de la question de santé et de sécurité différaient manifestement. Selon le plaignant, M. Helps l’a traité d’amateur. M. Helps a nié cette déclaration et expliqué le contexte entourant le courriel, mais il a reconnu que sa relation avec le plaignant s’était détériorée au cours de l’enquête. Rien n’indique que d’autres événements ou conflits se soient produits de décembre 2008 à juin 2011, période de deux ans et demi durant laquelle le plaignant s’est porté candidat dans le processus de nomination en l’espèce. Rien n’indique non plus qu’il existe un lien significatif entre la plainte relative au refus de travailler et le présent processus de nomination. Voir la décision Praught et Pellicore c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2009 TDFP 0001, para. 66.

30 En examinant cette preuve, une personne raisonnablement bien renseignée ne conclurait pas que M. Helps a un parti pris contre le plaignant. La preuve présentée au Tribunal montre plutôt qu’ils défendaient des intérêts différents dans un conflit de travail soumis à RHDCC aux fins d’enquête et de décision. Quoi qu’il en soit, la qualification liée aux études était objective, et le point de vue subjectif de M. Helps n’aurait rien changé au fait que le plaignant la possédait ou non. En outre, comme l’a indiqué M. Helps dans son témoignage, il ne connaissait pas le niveau de scolarité du plaignant avant de recevoir sa candidature aux fins de présélection.

31 Examinée dans son ensemble, la preuve fait état d’une divergence d’opinions dans une enquête en milieu de travail; il ne s’agit toutefois pas d’une preuve suffisante pour conclure à un parti pris ou à une crainte raisonnable de partialité.

Question III : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir au motif de discrimination à l’endroit du plaignant en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique?

32 En vertu de l’article 80 de la LEFP, le Tribunal peut interpréter et appliquer la LCDP lorsqu’il détermine si la plainte est fondée au regard de l’article 77.

33 L’article 7 de la LCDP précise qu’il est discriminatoire de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu et de le défavoriser en cours d’emploi, que ce soit par des moyens directs ou indirects, pour des motifs de distinction illicites, lesquels comprennent, aux termes de l’article 3(1) de la LCDP, la race et l’origine nationale ou ethnique.

34 Dans son dossier de candidature pour le poste AS‑06, le plaignant a indiqué qu’il est métis. Il estime que si sa candidature n’avait pas été éliminée à l’étape de la présélection, son appartenance à un groupe visé par l’équité en matière d’emploi (Autochtones) aurait pu l’avantager. L’équité en matière d’emploi peut constituer un besoin organisationnel. Aux termes de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44, les quatre groupes visés par l’équité en emploi sont les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les membres des minorités visibles.

35 Pour établir que l’intimé a fait preuve de discrimination à son endroit, le plaignant doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination, tel que la Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (arrêt O’Malley).

36 La preuve prima facie porte sur les allégations formulées; elle est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant en l’absence d’une réplique de l’intimé, pour peu que lesdites allégations soient crédibles. Lorsqu’une telle preuve est établie, il revient alors à l’intimé de réfuter les allégations ou de fournir une autre explication raisonnable. Le Tribunal ne peut prendre en considération la réponse de l’intimé avant que n’ait été établie une preuve prima facie de discrimination. Voir l’arrêt Lincoln c. Bay Ferries Ltd., [2004] C.A.F. 204, para. 22.

37 Pour qu’une plainte soit jugée fondée, il n’est pas nécessaire que les considérations liées à la discrimination soient le seul motif de la conduite reprochée. Le plaignant doit simplement démontrer que la discrimination est l’un des facteurs qui ont motivé la décision de l’intimé. Voir la décision Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990) 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), para. 7.

38 Le Tribunal estime que le plaignant n’a pas réussi à établir de preuve prima facie de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique. La seule preuve dont dispose le Tribunal est la déclaration du plaignant selon laquelle il est métis et sa croyance que le fait d’appartenir à ce groupe l’aurait aidé dans le processus de nomination, s’il avait été retenu à la présélection. Bien que le Tribunal puisse accorder du poids à la croyance d’un plaignant, comme l’a indiqué le Tribunal canadien des droits de la personne, « le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant ». Voir la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, para. 41; demande de contrôle judiciaire rejetée : 2006 CF 785. Le plaignant n’a présenté aucune preuve, directe ou circonstancielle, montrant que sa race ou son origine nationale ou ethnique a eu une quelconque incidence sur la décision d’éliminer sa candidature du processus de nomination. Le Tribunal estime donc que le plaignant n’a pas réussi à établir de preuve prima facie de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique.

Question IV : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir au motif de favoritisme personnel à l’endroit de Mme Stoddart?

39 D’après l’article 2(4) de la LEFP, l’abus de pouvoir comprend notamment le favoritisme personnel. Le plaignant est d’avis que la nomination de Mme Stoddart est attribuable à du favoritisme personnel.

40 Toutefois, la preuve présentée au Tribunal ne permet pas d’établir que le processus de nomination en l’espèce était teinté de favoritisme personnel.

41 L’argument du plaignant repose sur une nomination intérimaire de Mme Stoddart en 2010 et l’annulation d’un processus de nomination annoncé au cours de la même année. Ces deux événements concernaient le poste AS‑06 dont il est question en l’espèce.

42 Le plaignant a affirmé qu’en mai 2010, le MDN a lancé un processus de nomination interne annoncé pour une nomination à durée déterminée au poste AS‑06, auquel il s’était porté candidat. Le 14 janvier 2011, il a été avisé que le processus était annulé.

43 Le 18 novembre 2010, un avis de nomination intérimaire a été affiché sur le site Web Publiservice du gouvernement du Canada. Cet avis indiquait que Mme Stoddart avait été nommée au poste AS‑06 pour la période du 10 mai au 30 novembre 2010. Selon cet avis, la zone de sélection comprenait les employés du MDN qui appartenaient au groupe visé par l’équité en matière d’emploi que sont les femmes et qui occupaient un poste au Quartier général de la 1re Division aérienne du Canada. Le plaignant est d’avis que la nomination de Mme Stoddart en 2010, l’affichage tardif de l’avis de nomination intérimaire et la zone de sélection limitée prouvent qu’il y a eu favoritisme personnel dans le présent processus de nomination. L’intimé soutient quant à lui qu’une simple nomination intérimaire en 2010 ne garantissait pas à Mme Stoddart d’être retenue à l’issue du processus de nomination de 2011.

44 Les éléments de preuve présentés au Tribunal ne permettent pas de démontrer que le favoritisme personnel est à l’origine de la nomination de Mme Stoddart pour le processus de nomination en l’espèce. Dans la décision Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007, le Tribunal a établi qu’il était important de noter que la LEFP fait mention de favoritisme personnel, mettant ainsi en évidence l’intention du législateur de faire en sorte que les deux mots soient lus ensemble. Comme le Tribunal l’a indiqué au paragraphe 41 de la décision Glasgow, la sélection d’une personne seulement en fonction d’une relation personnelle, la sélection à titre de faveur personnelle et la sélection pour obtenir la faveur de quelqu’un d’autre sont des exemples de favoritisme personnel.

45 M. Helps a affirmé que Bruce Wolfe était le titulaire du poste AS‑06 en 2010. Le processus de nomination interne annoncé a été lancé pour doter le poste pendant l’absence de M. Wolfe. Il a ajouté que M. Wolfe avait indiqué qu’il partirait à la retraite après ce congé, mais qu’il avait changé d’idée par la suite et était retourné au travail. M. Helps a expliqué que Mme Stoddart, qui travaillait au sein de l’équipe depuis 2001, avait été nommée de façon intérimaire à la suite d’un processus non annoncé pour assurer la continuité des opérations pendant l’absence de M. Wolfe. M. Helps n’avait aucune information sur la zone de sélection définie pour le processus de nomination non annoncé. Mme Douville a indiqué qu’elle n’était pas l’agente des ressources humaines responsable et qu’elle ne pouvait donc fournir aucun renseignement sur le processus.

46 L’article 30(4) de la LEFP stipule expressément que l’intimé n’est pas tenu de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. Par ailleurs, la zone de sélection du processus de 2010 respecte les dispositions de l’article 34 de la LEFP au sujet de l’établissement de la zone de sélection. En l’espèce, il est pertinent de noter que cet article permet à l’intimé de prendre en compte des critères géographiques, organisationnels ou occupationnels, de même que l’appartenance à un groupe désigné au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44, au moment d’établir la zone de sélection. Or, les femmes sont l’un des groupes visés par l’équité en matière d’emploi. En outre, les qualifications de Mme Stoddart pour le poste AS‑06 n’ont pas été remises en question.

47 Le Tribunal fait remarquer toutefois que l’avis de nomination intérimaire de Mme Stoddart a été affiché en retard. L’article 13 du REFP est pourtant clair : pour les nominations intérimaires de quatre mois ou plus, un avis doit être publié au moment où la nomination est effectuée ou proposée. Mme Stoddart ayant été nommée le 10 mai 2010, il aurait dû être constaté à tout le moins en septembre 2010 que la nomination durerait plus de quatre mois, même si ce n’était pas prévu au départ. La publication tardive de l’avis, soit peu avant la fin de la nomination intérimaire, a empêché les employés de se prévaloir en temps opportun de mesures de recours efficaces à l’égard de cette nomination intérimaire. Bien que ce fait soit insuffisant pour conclure à un abus de pouvoir en l’espèce, il n’en demeure pas moins qu’en 2011 l’intimé a manqué à son obligation d’aviser les employés en temps opportun, obligation qui découle de l’article 13 du REFP. Il n’a donc pas respecté les valeurs fondamentales de la fonction publique que sont l’accessibilité et la transparence. Le Tribunal a déjà établi dans d’autres décisions que le fait de ne pas fournir un avis en temps opportun constitue une omission dans un processus de nomination. Voir notamment la décision Robert et Sabourin c. le Sous‑ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 0024, para. 90.

Décision

48 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.


Joanne B. Archibald
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2011-1176
Intitulé de la cause :
Charles Haarsma et le sous-ministre de la Défense nationale
Audience :
Les 11 et 12 décembre 2012
Winnipeg (Manitoba)
Date des motifs :
Le 1er mars 2013

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Louis Bisson
Pour l’intimé :
Anne-Marie Duquette
Pour la Commission
de la fonction publique :
Laurence St-Gelais
(observations écrites)
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.