Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a demandé le renvoi à l’arbitrage de nouvelles conditions d’emploi proposant l’affectation des heures de travail parmi les employés disponibles selon l’ordre d’ancienneté, la situation d’emploi et le lieu de résidence - le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu qu’un conseil d’arbitrage ne peut traiter une condition d’emploi qui touche directement ou accessoirement l’un des sujets interdits dans l’article 150 de la LRTFP - il a de plus conclu que les nouvelles conditions d’emploi que l’agent négociateur désirait renvoyer à l’arbitrage contrevenaient aux alinéas 150(1)c) et e) de la LRTFP, puisqu’elles restreignaient la capacité de l’employeur d’embaucher des nouveaux employés et d’attribuer des fonctions - enfin, il a conclu que les nouvelles conditions d’emploi que l’agent négociateur désirait renvoyer à l’arbitrage porteraient atteinte aux pouvoirs conférés au ministre d’embaucher des recenseurs en vertu de l’article 5 de la Loi sur la statistique. Questions non renvoyées.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-08-27
  • Dossier:  585-24-50
  • Référence:  2013 PSLRB 99

Devant le président de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique


DANS L’AFFAIRE CONCERNANT LA
LOI SUR LES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE
et d’un différend entre
l’Alliance de la Fonction publique du Canada, l’agent négociateur,
et les Opérations des enquêtes statistiques, l’employeur,
relativement à l’unité de négociation composée de tous les employés de l’employeur
qui participent à des activités d’enquête principalement à l'extérieur des bureaux de
Statistique Canada


Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Opérations des enquêtes statistiques


MANDAT


Destinataires:
Ken Norman, président du conseil d'arbitrage;
Joe Herbert et Guy Lauzé, membres du conseil d'arbitrage

Devant:
David P.Olsen, président par intérim de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour l’agent négociateur:
Chantal Homier-Nehmé et Morgan Gay, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Joshua Alcock, avocat, et Gloria A. Tatone Blaker, Opérations des enquêtes statistiques

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
Datés du 26 octobre 2012, des 5, 15, 26 et 27 novembre 2012 et
des 19 et 21 mars 2013,
ainsi que dans le cadre d’une audience tenue à Ottawa (Ontario),
les 27 et 28 mars 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Affaire dont est saisi le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

1 Dans une lettre datée du 26 octobre 2012, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a demandé le renvoi à l’arbitrage relativement à l’unité de négociation composée de tous les employés de l’employeur qui participent à des activités d’enquêtes principalement à l'extérieur des bureaux de Statistique Canada (l’« unité de négociation »). À sa demande, l’agent négociateur a joint la liste des conditions d’emploi qu’il souhaitait renvoyer à l’arbitrage. Ces conditions d’emploi et les pièces justificatives sont jointes à la présente, à titre d’annexe 1.

2 Dans une première lettre datée du 5 novembre 2012, les représentants des Opérations des enquêtes statistiques (l’« employeur ») ont répondu aux conditions d’emploi que l’agent négociateur souhaitait renvoyer à l’arbitrage. L’employeur a soulevé plusieurs objections à la compétence. L’employeur a également joint la liste des conditions d’emploi supplémentaires qu’il souhaitait renvoyer à l’arbitrage. Cette lettre et les pièces justificatives sont jointes à la présente, à titre d’annexe 2.

3 Dans une deuxième lettre datée du 5 novembre 2012, l’employeur a décrit plus en détail les objections à la compétence qu’il avait soulevées concernant certaines conditions d’emploi que l’agent négociateur souhaitait renvoyer à l’arbitrage. L’employeur a apporté les précisions suivantes quant aux objections :

  • l’employeur s’est opposé à la proposition de l’agent négociateur de redéfinir le terme employé nommé pour une période indéterminée à l’article 2 (Interprétation et définitions) de la convention collective au motif qu’elle violait les alinéas 150(1)a), c) et e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et qu’elle empiétait sur l’alinéa 4(2)b), le paragraphe 5(1) et l’article 7 de la Loi sur la statistique;
  • l’employeur s’est opposé aux nombreuses propositions de l’agent négociateur concernant l’article 20 (Sécurité d’emploi) de la convention collective au motif qu’elles violaient les alinéas 150(1)a), c) et e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et qu’elles allaient à l’encontre de l’alinéa 4(2)b) et l’article 7 de la Loi sur la statistique;
  • en ce qui a trait à la proposition de l’agent négociateur concernant l’ajout des clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution de travail d’enquête sur le terrain – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux), l’employeur s’y est opposé au motif qu’elles contrevenaient aux alinéas 150(1)a) et e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique en plus d’aller à l’encontre de l’alinéa 4(2)b) et de l’article 7 de la Loi sur la statistique.

Cette lettre et les pièces justificatives sont jointes à la présente, à titre d’annexe 3.

4 Dans un courriel daté du 15 novembre 2012, l’agent négociateur a répondu aux objections à la compétence formulées par l’employeur. L’agent négociateur a retiré la dernière phrase de sa proposition visant les clauses 20.06 et 20.07 de la convention collective, mais a maintenu sa position en ce qui concerne ses propositions visant l’article 20 (Sécurité d’emploi) de la convention collective. L’agent négociateur a de plus fait valoir que les autres éléments de ses propositions ne violaient aucunement les dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ni de la Loi sur la statistique et ne devraient donc pas être exclus du processus d’arbitrage. Le courriel précité est joint aux présentes à titre d’annexe 4.

5 Le 20 novembre 2012, à la suite de l’examen des documents présentés, les Services de règlement des conflits de la Commission des relations de travail dans la fonction publique ont écrit à l’employeur, à ma demande, pour lui demander de donner sa position à l’égard de l’ajout d’un nouveau paragraphe à l’article 49 (Durée) de la convention collective.

6 Dans un courriel daté du 26 novembre 2012, l’employeur a formulé ses observations au sujet de la teneur du courriel de l’agent négociateur daté du 15 novembre 2012. L’employeur a réitéré les objections qu’il avait formulées à l’égard de plusieurs propositions de l’agent négociateur concernant l’article 20 (Sécurité d’emploi) de la convention collective. Le courriel précité daté du 26 novembre 2012 est joint aux présentes à titre d’annexe 5.

7 Dans un courriel daté du 27 novembre 2012, l’employeur a retiré sa proposition d’ajouter un nouveau paragraphe à l’article 49 (Durée) de la convention collective. Ce courriel est joint à la présente à titre d’annexe 6.

8 Le 11 janvier 2013, les parties ont été informées que le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique avait décidé de tenir une audience afin d’examiner les objections à la compétence soulevées par les parties. L’audience a été fixée aux 25 et 28 mars 2013.

9 Dans un courriel daté du 19 mars 2013, l’agent négociateur a retiré ses propositions visant les clauses 20.02, 20.06, 20.10, 20.13, 20.14, 20.15 et 20.16 de l’article 20 (Sécurité d’emploi) de la convention collective. Par la même occasion, l’agent négociateur a présenté des propositions modifiées visant l’ajout de deux nouvelles clauses soit, les clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux). L’agent négociateur a également maintenu, dans ce courriel, sa position relativement aux autres questions en matière de compétence. Ce courriel est joint aux présentes à titre d’annexe 7.

10 Dans un courriel daté du 21 mars 2013, l’employeur s’est opposé aux propositions modifiées de l’agent négociateur visant l’ajout des nouvelles clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux), au motif qu’elles contrevenaient aux alinéas 150(1)a), c) et e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ainsi qu’à l’alinéa 4(2)b) et à l’article 7 de la Loi sur la statistique. Ce courriel est joint aux présentes à titre d’annexe 8.

11 Avant l’audience, les parties avaient résolu toutes les questions relatives aux objections à la compétence en suspens, sauf en ce qui concerne la nouvelle définition du terme employé nommé pour une période indéterminée à l’article 2 (Interprétation et définitions) de la convention collective et l’introduction des nouvelles clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux). L’audience a été tenue les 27 et 28 mars 2013.

II. Audience

12 Au début de l’audience, les deux parties ont présenté des exposés introductifs précisant leurs positions respectives. Lors de l’audience, l’agent négociateur a retiré sa proposition de redéfinir le terme employé nommé pour une période indéterminée à l’article 2 (Interprétation et définitions) de la convention collective.

13 L’agent négociateur a proposé de renvoyer à l’arbitrage une proposition modifiée visant l’ajout d’une nouvelle clause, soit la clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain). Selon l’employeur, la proposition modifiée viole l’article 150 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, car elle détermine comment l’employeur doit attribuer les fonctions à ses employés, ce qui crée une restriction quant à la capacité d’embauche de l’employeur. L’obligation d’attribuer les heures de travail par ordre d’ancienneté détermine comment l’employeur doit offrir du travail à ses employés. La structure même de la clause proposée illustre l’empiétement que cela constitue sur le droit de l’employeur d’attribuer le travail à ses employés. La proposition modifiée visant l’ajout de la nouvelle clause 23.14 est libellée comme suit :

[Traduction]

23.14 Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain

  1. Les heures de travail sont offertes par ordre d’ancienneté, selon l’ordre de préséance ci-après :
    1. l’employé/e nommé/e pour une période indéterminée dont le lieu de résidence est situé à l’intérieur de la grappe visée par l’enquête où les heures de travail doivent être effectuées;
    2. l’employé/e nommé/e pour une période indéterminée dont le lieu de résidence est situé à l’intérieur d’un rayon de vingt (20) kilomètres de la grappe visée par l’enquête où les heures de travail doivent être effectuées;
    3. l’employé/e nommé/e pour une période déterminée dont le lieu de résidence est situé à l’intérieur de la grappe visée par l’enquête où les heures de travail doivent être effectuées;
    4. l’employé/e nommé/e pour une période déterminée dont le lieu de résidence est situé à l’intérieur d’un rayon de vingt (20) kilomètres de la grappe visée par l’enquête où les heures de travail doivent être effectuées.
  2. Dans l’éventualité où il n’y aurait aucun/e employé/e disponible dont le lieu de résidence serait situé à l’intérieur de la grappe visée par l’enquête ou à l’intérieur d’un rayon de vingt (20) kilomètres de la grappe visée par l’enquête, l’Employeur doit :
    1. soit embaucher un/e nouvel/le employé/e pour effectuer l’enquête,
    2. soit offrir les heures de travail à l’employé/e dont la résidence est située le plus près de la grappe visée par l’enquête.
  3. Si l’Employeur choisit d’offrir les heures de travail suivant l’alinéa b) (ii) ci-dessus, dans l’éventualité où il y aurait deux employés/es ou plus dont le lieu de résidence serait équidistant de la grappe visée par l’enquête à l’intérieur d’un rayon de cinq (5) kilomètres, les heures de travail sont offertes par ordre d’ancienneté.
  4. Les heures de travail sont offertes en premier lieu à l’employé/e disponible possédant la formation requise pour effectuer l’enquête, en suivant le processus décrit au paragraphe a) ci-dessus.
  5. S’il n’y a pas un nombre suffisant d’employés/es disponibles possédant la formation requise, l’Employeur offre alors les heures de travail et fournit la formation requise, en suivant le processus décrit au paragraphe a) ci-dessus.
  6. Les employés/es doivent satisfaire les exigences linguistiques pour se voir attribuer les heures associées à une enquête.

14 L’agent négociateur a également proposé le renvoi à l’arbitrage d’une proposition modifiée visant l’ajout d’une nouvelle clause, soit la clause 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux). La proposition modifiée porte sur l’attribution du travail aux intervieweurs principaux en fonction de zones géographiques. Selon l’employeur, la proposition modifiée demande que l’employeur attribue le travail selon une zone géographique fixe, ce qui a une incidence sur l’organisation du travail ainsi que sur l’attribution des fonctions, contrevenant ainsi à l’alinéa 150(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La proposition modifiée visant l’ajout de la nouvelle clause 23.15 est libellée comme suit :

23.15 Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux

  1. Les heures de travail se rapportant aux enquêtes courantes continueront d’être offertes aux intervieweuses principales et intervieweurs principaux en fonction des zones géographiques en vigueur au 1er décembre 2011.
  2. Si l’Employeur choisit de ne pas doter en effectifs une zone géographique donnée, les heures de travail à effectuer relativement à cette zone géographique sont offertes en premier lieu aux intervieweuses principales ou intervieweurs principaux travaillant dans les mêmes régions selon l’ordre de proximité de ces personnes par rapport à la zone géographique visée.
  3. Les heures de travail se rapportant à du travail additionnel d’enquête sont attribuées par l’Employeur en premier lieu aux intervieweuses principales ou intervieweurs principaux travaillant dans la province où le travail additionnel d’enquête doit être effectué, ces heures de travail devant être attribuées de manière à optimiser le nombre d’heures de travail attribuées par ordre d’ancienneté et selon la disponibilité des employé/es.

15 L’agent négociateur a affirmé que les propositions modifiées relatives à l’inclusion des nouvelles clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux) portaient sur la planification des heures de travail, une question reconnue comme pouvant faire l’objet d’une négociation collective par les formations de la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement. Quatre unités de négociation de la Chambre des communes et du Sénat avaient renvoyé à l’arbitrage des propositions portant sur les heures de travail.

A. Résumé de la preuve

16 Les deux parties ont cité des témoins pour justifier leurs positions respectives.

1. Pour l’employeur

17 L’employeur a cité Guy Oddo, directeur général des bureaux régionaux de Statistique Canada, à témoigner. M. Oddo est responsable de la gestion des enquêtes sur le terrain et des enquêtes téléphoniques. Ses fonctions comprennent la planification et l’établissement d’un budget pour des enquêtes précises, ainsi que la répartition du travail et la gestion des effectifs.

18 M. Oddo a défini un certain nombre de termes afin d’expliquer le contexte dans lequel les propositions en question peuvent être évaluées.

19 Une enquête permanente désigne une enquête qui se poursuivra dans un avenir prévisible selon les hypothèses de planification de l’employeur. L’Enquête sur la population active, qui est utilisée pour évaluer mensuellement le nombre d’emplois créés et le nombre de personnes en chômage sur le marché du travail, est un exemple d’enquête permanente. On dénombre environ 12 enquêtes permanentes. Certaines enquêtes portent sur des entreprises, tandis que d’autres concernent le public, comme l’Enquête auprès des ménages.

20 Une enquête ad hoc est une enquête que l’employeur doit réaliser de façon ponctuelle ou irrégulière et qui est planifiée à court préavis. L’Enquête sur la sécurité financière, qui porte sur le revenu et la richesse des Canadiens, est une enquête effectuée de manière irrégulière.

21 Les employés de l’unité de négociation ne sont pas astreints à un horaire de travail nécessitant qu’ils se présentent au bureau. L’employé se rend plutôt au domicile du répondant afin de remplir le questionnaire requis pour chaque enquête à effectuer. Il fixe un rendez-vous avec chaque répondant afin de réaliser l’entrevue à effectuer dans le cadre de l’enquête. Puisque la majorité du travail consiste à rencontrer le public canadien individuellement à leur domicile, le travail est effectué le soir ou la fin de semaine.

22 Une formation générale est donnée à tous les nouveaux employés. Les employés affectés à une enquête précise reçoivent une formation propre à cette dernière. La formation dans le cadre d’une enquête individuelle consiste à expliquer aux employés les raisons pour lesquelles l’enquête sera réalisée, à leur fournir les outils nécessaires pour mener l’enquête et à leur expliquer le contenu de l’enquête afin de persuader les Canadiens de remplir le questionnaire. Les employés reçoivent également une formation informatique plus technique, car chaque enquête est unique. Dans le cas d’une enquête permanente, les employés reçoivent une formation de recyclage.

23 La charge de travail, la zone géographique et la distance à parcourir entre le domicile de l’intervieweur et celui du répondant sont autant de facteurs à considérer dans l’affectation des intervieweurs sur le terrain. Les enquêtes réalisées par les employés membres de l’unité de négociation se font par grappes. Une grappe visée par une enquête consiste en des groupements de logements, constitués par des spécialistes en méthodologie, formant ainsi les échantillons de l’enquête. Les grappes ne sont pas définies géographiquement. La situation géographique varie d’un échantillon à l’autre et d’une enquête à l’autre. La variance entre les grappes peut être minime, notamment dans une zone densément peuplée, comme le centre-ville de Toronto, ou dans une zone beaucoup plus vaste, comme le Nord de l’Alberta. Les logements visités par les intervieweurs pour réaliser les entrevues varieront aussi selon l’enquête à effectuer. Parmi les autres facteurs à considérer, il y a le moment où l’enquête doit être réalisée, le budget attribué à l’enquête, la disponibilité des intervieweurs, et la charge de travail déjà accomplie. S’il ne s’agit pas d’une nouvelle enquête, la formation déjà reçue ou non par l’employé dans la conduite d’une telle enquête est également un facteur à prendre en considération. Si les employés sont déjà affectés à d’autres enquêtes et ont déjà atteint le nombre maximal d’heures au moment où débute une nouvelle enquête, il pourrait être nécessaire d’assigner des tâches à de nouveaux enquêteurs.

24 Comme le travail est planifié sept jours à l’avance pour le mois suivant, la direction ne veut pas préparer des horaires très modifiés. La direction demande régulièrement aux employés d’indiquer leur disponibilité. Elle essaie de tenir compte de la disponibilité des employés au moment de planifier le travail. Elle envisage de faire appel à de nouveaux employés lorsque les employés ne sont pas disponibles pour réaliser une enquête parce qu’ils sont affectés à une autre enquête ou qu’ils ne sont simplement pas disponibles. Il n’est pas toujours pratique de retirer un employé qui participe à une enquête en cours. S’il n’arrive pas à obtenir des résultats dans les délais impartis en raison du volume de travail par rapport à la capacité actuelle, l’employeur envisagera de faire appel à de nouveaux employés. En outre, si les frais de déplacement sont trop élevés à cause de la distance à parcourir pour interviewer les répondants, l’employeur embauchera du personnel.

25 Les employés sont divisés en deux groupes distincts : les employés permanents, dont la période d’emploi n’a aucune date de fin, et les employés nommés pour une période déterminée, dont la période d’emploi a une date de fin précise. Tous les employés sont embauchés en vertu de la Loi sur la statistique. Ces employés, tous à temps partiel, ont le même contrat de travail.

2. Pour l’agent négociateur

26 L’agent négociateur a cité son négociateur en chef, Morgan Gay, à témoigner, afin de situer le contexte. M. Gay travaille pour l’agent négociateur depuis environ six ans et demi et représente les employés de l’unité de négociation depuis février 2011. Depuis lors, M. Gay a rencontré un certain nombre d’employés et a participé à une opération d’établissement des priorités.

27 M. Gay a assisté à 11 séances de négociation avec l’employeur. Parmi les principaux sujets examinés figuraient les heures de travail, les affectations et la semaine de travail dans le contexte des pensions. En ce qui concerne les employés faisant partie de l’unité de négociation, la question principale porte sur les heures de travail et les enquêtes. M. Gay a fait allusion aux remarques préliminaires qu’il avait formulées lors des négociations, selon lesquelles un certain nombre de questions étaient demeurées en suspens depuis la dernière ronde de négociations, notamment la reconnaissance de l’ancienneté aux fins de l’attribution des heures de travail. M. Gay a précisé que les circonstances avaient changé depuis la dernière ronde, car des décisions arbitrales touchant la Chambre des communes et le Sénat avaient été rendues. Plus précisément, les formations de la Commission des relations de travail dans la fonction publique avaient reconnu l’ancienneté aux fins de l’établissement des horaires en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement. M. Gay a déclaré qu’il avait tenté de faire comprendre à l’employeur que l’agent négociateur souhaitait que les employés de l’unité de négociation bénéficient des mêmes droits d’ancienneté aux fins de la planification des heures de travail.

28 M. Gay a demandé aux représentants de l’employeur impliqués dans la négociation d’aider l’agent négociateur à comprendre les facteurs que la direction prenait en considération pour établir les horaires de travail. L’employeur a présenté à l’agent négociateur un exposé complet sur les facteurs considérés lors de l’établissement des horaires. Selon l’exposé, le nombre d’heures requis est lié à la taille de l’échantillon d’une enquête. En février 2012, l’agent négociateur a déposé une proposition visant l’introduction d’une nouvelle clause 23.14 (Attribution des tâches – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) qui aurait obligé l’employeur à attribuer les heures de travail selon l’ancienneté et, dans la mesure du possible, les heures de travail préférées des employés selon l’ordre de préséance suivant : a) les employés nommés pour une période indéterminée et b) les employés nommés pour une période déterminée. Lors de son exposé à l’intention de l’agent négociateur, l’employeur a fait savoir que le coût, la qualité ou le taux de réponse s’en ressentent lorsque l’ancienneté est le principal aspect pris en considération lors du processus de planification dans l’environnement de travail actuel.

29 À la suite de l’exposé de l’employeur sur l’établissement des horaires de travail, l’agent négociateur a indiqué qu’il voulait avoir une discussion avec la direction. L’agent négociateur convenait que c’était bien la direction qui déterminait les besoins en effectifs. L’agent négociateur était d’avis que la direction ne comprenait pas la proposition visant à introduire une nouvelle clause 23.14 (Attribution des tâches – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain), car l’exposé de la direction évoquait la préoccupation que les employés utilisent leur ancienneté pour choisir les périodes de pointe. L’agent négociateur ne cherchait pas à obtenir cet engagement. Il incombait à la direction de déterminer le nombre de personnes nécessaires, le moment où les entrevues devaient être effectuées et le nombre d’heures requises. La direction a fait valoir que les coûts de formation polyvalente seraient élevés. L’agent négociateur a déclaré que la responsabilité de l’attribution des fonctions revenait à la direction. M. Gay a affirmé que les représentants de l’employeur avaient discuté des observations de l’agent négociateur et déclaré que l’ancienneté et l’établissement des horaires étaient cruciaux pour eux. Les représentants de l’employeur ont demandé à l’agent négociateur de leur fournir des copies des décisions arbitrales reconnaissant l’ancienneté aux fins de l’établissement des horaires de travail.

30 M. Gay a indiqué qu’il avait informé conceptuellement la direction de la façon dont la proposition de l’agent négociateur fonctionnerait. Il a fait valoir que l’attribution des fonctions était sans importance pour l’agent négociateur et que c’étaient les heures qui comptaient. La direction a répondu que tous les facteurs étaient importants, étant donné que l’horaire reposait sur l’enquête et que le nombre d’heures était prévu dans le budget, de même que le nombre d’interviewers requis, la période de collecte, le nombre d’heures disponibles ainsi que les exigences linguistiques. L’agent négociateur a convenu que les horaires étaient établis sur la base de l’enquête, des heures ciblées, de la période de collecte, des besoins en effectifs bilingues et du nombre d’intervieweurs requis. L’agent négociateur a en outre indiqué qu’il s’agissait d’un cadre à partir duquel les parties pouvaient travailler.

31 L’ancienneté pourrait s’appliquer à l’affectation des effectifs à une enquête et au nombre d’heures de travail à consacrer à cette enquête. L’agent négociateur a affirmé qu’il s’efforçait de répondre aux besoins de la direction et que cette dernière pourrait prendre en considération tous les facteurs, y compris la méthodologie. L’agent négociateur tenait à proposer une solution qui permette à la direction de poursuivre ses activités tout en accordant des droits aux employés. La direction a indiqué qu’elle était disposée à poursuivre le dialogue. L’employeur a fait état de ses préoccupations selon lesquelles les heures attribuées pouvaient être spécifiques au type d’enquête réalisée.

32 En définitive, les parties ont abouti à une impasse sur le libellé proposé pour les nouvelles clauses 23.14 (Attribution des tâches – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution de travail d’enquête sur le terrain – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux).

B. Résumé des arguments

1. Pour l’employeur

33 L’employeur a fait valoir que bien que l’agent négociateur ait tenté de situer le contexte dans le cadre de l’audience, la portée de la preuve était au-delà ce qui était prévu. Les premiers principes étaient, bien entendu, la pertinence. Même si la preuve était intéressante, elle n’a, en fin de compte, fourni aucun fondement probatoire permettant de statuer sur les questions en litige. Le programme de l’agent négociateur visait l’utilisation de l’ancienneté pour les employés de l’unité de négociation et il a tenté de réaliser cet objectif en formulant diverses propositions. Manifestement, il s’agit de la preuve de l’une des parties. L’autre partie a sa propre interprétation des discussions.

34 En l’espèce, il s’agit d’une question d’interprétation laquelle est assez explicite. Le conseil d’arbitrage a-t-il la compétence pour incorporer des propositions sur l’utilisation de l’ancienneté dans une convention collective? Il est nécessaire d’examiner les propositions modifiées visant l’inclusion des nouvelles clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux), le libellé de la Loi sur les relations du travail dans la fonction publique et la jurisprudence. La preuve de l’agent négociateur n’a pas contribué à répondre à la question fondamentale.

35 Le paragraphe 150(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est ainsi formulé :

150. (1) La décision arbitrale ne peut avoir pour effet direct ou indirect de modifier, supprimer ou établir une condition d’emploi

[…]

c) soit qui porte sur des normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la mutation, le renvoi en cours de stage ou la mise en disponibilité des fonctionnaires;

[…]

e) soit de manière que cela aurait une incidence sur l’organisation de la fonction publique, l’attribution de fonctions aux postes et aux personnes employées au sein de celle-ci et leur classification.

L’employeur m’a renvoyé à la décision rendue par le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans Association des juristes de justice c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 20, en ce qui concerne la proposition voulant que l’article 150 soit interprété au sens large et qu’une décision arbitrale ne puisse pas concerner une condition d’emploi, même si elle touche accessoirement l’un des motifs illicites évoqués dans l’article ou qu’elle empiète sur ce dernier.

36 Le 19 mars 2013, l’agent négociateur a présenté une proposition modifiée visant à inclure une nouvelle clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) dans le mandat du conseil d’arbitrage. L’employeur a soutenu que la proposition modifiée comportait trois éléments interdépendants : elle prescrit comment l’employeur doit attribuer les tâches aux employés laquelle restreint la capacité d’embauche de l’employeur; elle prescrit quel employé sera formé et dans quel ordre; elle prescrit que les heures de travail doivent être attribuées par ordre d’ancienneté. Il s’agit d’une restriction de la capacité de l’employeur d’attribuer les fonctions à ses employés. La proposition modifiée prévoit un ordre de préséance suivant lequel le travail doit être attribué aux employés. De plus, elle établit deux groupes distincts d’employés : les employés nommés pour une période indéterminée, et les employés nommés pour une période déterminée. Ainsi, selon la proposition modifiée, l’employeur serait tenu d’offrir des heures de travail à la réalisation d’enquêtes tout d’abord aux employés nommés pour une période indéterminée résidant dans la grappe visée par l’enquête, et ensuite, s’il n’y en a pas, aux employés nommés pour une période indéterminée résidant dans un rayon de 20 km de la grappe visée par l’enquête. Les heures seraient ensuite offertes aux employés nommés pour une période déterminée résidant dans la grappe visée par l’enquête et ensuite aux employés nommés pour une période déterminée résidant dans un rayon de 20 km de la grappe visée par l’enquête. La proposition modifiée est peut-être logique; toutefois, la question n’est pas de déterminer si la proposition est valable. 

37 La structure de la nouvelle clause proposée, soit la clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain), illustre l’empiétement que cela constitue sur le droit de l’employeur d’attribuer le travail à ses employés. La proposition modifiée prévoit en outre que, dans l’éventualité où aucun employé ne serait disponible dont le lieu de résidence serait situé à l’intérieur de la grappe visée par l’enquête ou à l’intérieur d’un rayon de vingt (20) kilomètres de la grappe visée par l’enquête, l’employeur doit soit embaucher un nouvel employé pour effectuer l’enquête, soit offrir les heures de travail à l’employé dont la résidence est située le plus près de la grappe visée par l’enquête. Par ailleurs, la limite est de 16 km avant que la Directive sur les voyages n’entre en vigueur; les employés devant parcourir plus de 16 km pour se rendre au travail ont droit à une indemnité. L’employeur est d’avis qu’il ne peut attribuer du travail en fonction de considérations géographiques. Par ailleurs, avant qu’il puisse embaucher un nouvel employé, l’employeur doit effectuer au préalable toutes les démarches prévues dans la proposition modifiée. Cela porte atteinte au droit de l’employeur en matière d’organisation du travail, contrevenant ainsi aux dispositions de l’alinéa 150(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. De plus, cela porte également atteinte au processus régissant la nomination des fonctionnaires, contrevenant ainsi aux dispositions de l’alinéa 150(1)c) de la loi précitée.

38 L’agent négociateur a également proposé la suppression de la clause 23.16 de la convention collective actuelle. Cette clause est libellée comme suit :

23.16 Lorsque les nécessités du service le permettent, l'Employeur s'efforce d’offrir du travail additionnel d'enquêtes « terrain » disponible dans une zone géographique raisonnable, déterminée par l'Employeur, aux employés/es qualifiés qui sont facilement disponibles dans cette zone, avant d'embaucher du personnel additionnel. Cette clause ne doit pas être interprétée ou appliquée de façon à empêcher l’Employeur d’embaucher du personnel additionnel, à n’importe quel moment, pour répondre aux besoins du service, ni de façon à empêcher l’Employeur d’embaucher du personnel additionnel avant d’offrir aux employés/es du travail à temps plein.

Cette clause accorde à l’employeur la souplesse voulue pour embaucher des employés avant de fournir des heures de travail à temps plein. En comparant la proposition modifiée de l’agent négociateur visant l’ajout d’une nouvelle clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) avec la clause 23.16 de la convention collective existante, on voit clairement que la nouvelle clause proposée entrave le droit de l’employeur d’attribuer le travail et d’assurer l’organisation des effectifs.

39 La proposition modifiée en ce qui concerne la nouvelle clause 23. 14e) de la convention collective obligerait l’employeur à offrir de la formation suivant la liste prioritaire établie en fonction de considérations géographiques, ainsi qu’une distinction entre les employés nommés pour une durée indéterminée et ceux nommés pour une durée déterminée avant d’embaucher un nouvel employé, ce qui contrevient aux dispositions de l’alinéa 150(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, car cela a une incidence sur l’organisation du travail, l’attribution de fonctions et l’embauche du personnel.

40 L’agent négociateur a également proposé la suppression de la clause 23.14 de la convention collective actuelle. Cette clause est libellée comme suit :

23.14 Consultation

  1. Si les heures de travail qui existent à la signature de la présente convention diffèrent de celle qui sont prévues au paragraphe 23.08, l’Employeur, sur demande, doit consulter l’Alliance à ce sujet et établir, lors des consultations, que ces heures sont nécessaires pour répondre aux besoins du public et/ou assurer le bon fonctionnement du service.
  2. Si les heures de travail doivent être modifiées de sorte qu'elles diffèrent de celles qui sont indiquées au paragraphe 23.08, l'Employeur, doit consulter au préalable l’Alliance à ce sujet, et établir, lors des consultations, que ces heures sont nécessaires pour répondre aux besoins du public et/ou assurer le bon fonctionnement du service.
  3. Les parties doivent, dans les cinq (5) jours qui suivent la signification d’un avis de consultation par l'une ou l'autre partie, communiquer par écrit le nom de leur représentant officiel autorisé à agir en leur nom pour les besoins de la consultation. La consultation tenue à des fins d’établissement des faits et de mise en œuvre a lieu au niveau local.

En vertu de cette clause, l’employeur doit consulter l’agent négociateur au sujet de l’établissement des heures de travail et de tout changement envisagé à cet égard. Suivant la nouvelle clause 23.14 proposée (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain), les heures de travail devront obligatoirement être attribuées par ordre d’ancienneté, et ce, suivant l’ordre de préséance énoncé dans la proposition. Dans son essence-même, la proposition modifiée porte sur l’attribution du travail. Un conseil d’arbitrage ne peut dicter à l’employeur comment il doit attribuer le travail. 

41 L’agent négociateur a également formulé une proposition modifiée visant l’ajout d’une nouvelle clause, soit la clause 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux), aux fins d’inclusion dans le mandat confié au conseil d’arbitrage. Les réserves de l’employeur relativement à cette dernière proposition, tel qu’il a été témoigné par M. Oddo, consistent dans le fait qu’au regard de la définition d’une grappe visée par une enquête, les zones géographiques ne sont pas statiques et sont établies par des spécialistes en méthodologie. L’employeur n’est pas tant préoccupé par la contravention à l’article 150 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique que par l’atteinte que cela porterait aux pouvoirs conférés au ministre en vertu de la Loi sur la statistique en ce qui a trait de manière générale à l’application de la Loi sur la statistique, à la direction des opérations, et à l’embauche des recenseurs qui sont nécessaires à la collecte des statistiques et des renseignements qu’il estime utiles et d’intérêt public. Quoi qu'il en soit, la proposition modifiée a toujours une incidence sur l’alinéa 150(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L’obligation d’attribuer le travail en fonction de zones géographiques fixes aurait une incidence sur l’organisation du travail et l’attribution des fonctions aux employés. La proposition modifiée prescrit effectivement la manière dont les fonctions doivent être attribuées, et à qui. Un conseil d’arbitrage ne peut dicter à l’employeur d’attribuer des fonctions d’une manière particulière.

42 La proposition modifiée visant l’ajout de la nouvelle clause 23.15c), portant sur les enquêtes additionnelles, obligerait l’employeur à attribuer la réalisation de ces enquêtes aux intervieweurs principaux travaillant dans la province visée. Cette proposition établit les modalités et dicte à l’employeur à qui il doit attribuer ce travail et contrevient tant à la Loi sur la statistique qu’à l’alinéa 150(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

43 L’argument fondamental présenté dans Association des juristes de justice, au paragraphe 28, renvoie au paragraphe 150 (1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, lequel stipule que la décision arbitrale ne peut pas avoir pour effet direct ou indirect de modifier, supprimer ou établir une condition d’emploi dans certaines circonstances : « […] [s]i un élément porte “directement ou indirectement sur […]” quelque chose, il est clair que même si le lien n’est qu’accessoire par rapport à la question, cet élément est visé par la disposition législative […] » et « l’utilisation des termes “avoir pour effet indirect” révèle que le législateur entendait que la disposition fasse l’objet d’une interprétation large ». La fin visée par les propositions modifiées d’ajout des nouvelles clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux) importe peu; cependant, si leur ajout a une incidence sur une question ne pouvant faire l’objet de négociations, ces propositions ne peuvent être renvoyées à un conseil d’arbitrage.

44 Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Commission canadienne de la sûreté nucléaire, 2005 CRTFP 174, démontre la portée de l’alinéa 150(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Dans cette affaire, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada a proposé, notamment, de renvoyer à l’arbitrage les définitions des termes mise en disponibilité et poste d’attache. Au paragraphe 39, le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a déterminé que « [m]ême s’il s’agit uniquement d’une définition, l’objet de cette définition, en l’occurrence la “mise en disponibilité”, est certainement une question qui n’est pas arbitrable » et qu’« [o]n cherche par cette définition à établir le “principe” de mise en disponibilité, ce qui contrevient à l’alinéa 150(1)c) de la [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique]. » Au paragraphe 40, le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a estimé que « [d]ans le même ordre d’idées, le terme “poste d’attache” est intégralement relié aux “normes, procédures ou méthodes régissant la nomination”, ce qui est expressément interdit par l’alinéa 150(1)c) […] »

45 Dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada a aussi proposé de renvoyer à l’arbitrage une clause stipulant que, dans le cas de congés de plus de six mois, la Commission canadienne de sûreté nucléaire pouvait nommer ou muter une autre personne, pour une durée indéterminée, au poste qu’occupait l’employé et qu’au retour de celui–ci, elle ferait le maximum pour lui attribuer un emploi comparable. Au paragraphe 44, le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que : « cette proposition se rapporte essentiellement à la dotation, ce qui est interdit par l’alinéa 150(1)c) de la [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique] […] »

46 Toujours dans cette affaire, au paragraphe 45, le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a déterminé que « [l]es questions relatives à l’attribution des tâches ne sont pas arbitrables en vertu de l’article 7 et de l’alinéa 150(1)e) de la [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique] […] »

47 Dans Conseil des métiers et du travail du chantier maritime du gouvernement fédéral Est c. Conseil du Trésor, 2005 CRTFP 42, le Conseil des métiers et du travail du chantier maritime du gouvernement fédéral a proposé de renvoyer à l’arbitrage une clause limitant la capacité du Conseil du Trésor de sous-traiter du travail normalement accompli par des employés. Aux paragraphes 19 et 20, le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a déclaré que le droit du Conseil du Trésor « de déterminer l’organisation de la fonction publique et d’attribuer des fonctions aux postes au sein de celle-ci est protégé par la loi » et qu’« une proposition empêchant la sous-traitance “[…] porte clairement atteinte au droit que possède l’employeur quant à l’organisation de ses services […]” et ne pouvait être examinée dans le cadre d’une demande d’arbitrage. » Dans le même ordre d’idées, le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a déclaré, au paragraphe 25, que l’obligation proposée d’embaucher des employés supplémentaires lorsqu’il y a suffisamment de travail disponible pour créer un poste à temps plein empiète sur « le droit de l’employeur de déterminer l’organisation de la fonction publique et d’attribuer des fonctions aux postes au sein de celle-ci [lequel est] protégé par l’article 7 de la [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique] […] ». L’employeur a soutenu que la proposition modifiée visant l’ajout d’une nouvelle clause, soit la clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain), quoiqu’elle ne porte pas sur la sous-traitance, a le même effet, puisqu’elle impose des contraintes sur la capacité de l’employeur d’embaucher des employés.

48 Dans A.F.P.C. c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 C.F. 471, la Cour d’appel fédérale a dû statuer sur une proposition visant à « […] limiter le nombre d’heures de classe que les professeurs pourraient être tenus de donner par jour […] ». À la page 478, la Cour a soutenu ce qui suit :

[…] La détermination du nombre maximal d'heures pendant lesquelles les titulaires de certains postes peuvent être tenus quotidiennement de remplir certaines fonctions, à mon sens, ne fait pas qu'entraver la liberté de l'employeur, mais elle fait partie intégrante de l'attribution de fonctions à des postes. L'élément temps est seul visé mais il est essentiel. Il est en effet facile de réaliser que si une détermination de cette nature était introduite quant à l'une des fonctions attachées à un poste, rien n'empêcherait de l'étendre à toutes et chacune des fonctions de ce poste : il en résulterait évidemment une sérieuse entrave à la liberté d'action du gouvernement-employeur d'attribuer des fonctions à ce poste, ce que le Parlement a précisément voulu éviter.

[…]

Les propositions à l’étude ont un effet similaire.

2. Pour l’agent négociateur

49 Les parties ont eu des discussions exhaustives au sujet des questions en litige. M. Gay a déclaré qu’il avait visité de nombreux lieux de travail où il était question des mêmes préoccupations au sujet des heures de travail.

50 Quatre unités de négociation différentes de la Chambre des communes et du Sénat ont renvoyé à l’arbitrage des propositions traitant des heures de travail des employés qui n’avaient aucune garantie sur le nombre d’heures. Les membres du personnel de la Chambre des communes et du Sénat ont des conditions de travail semblables à celles des employés de l’unité de négociation en l’espèce; ils n’ont pas d’heures de travail garanties et travaillent, pour la plupart, à temps partiel.

51 Il convient de tenir compte de l’évolution de la proposition visant l’ajout des nouvelles clauses 23.14 et 23.15. Après l’explication détaillée de l’employeur en ce qui concerne les facteurs dont il faut tenir compte pour l’attribution des heures de travail, l’agent négociateur a décidé de modifier ses propositions de manière à tenir compte des préoccupations de l’employeur.

52 L’agent négociateur m’a renvoyé au témoignage de M. Gay selon lequel les fonctions assignées aux employés n’avaient aucune importance pour l’agent négociateur et que c’était plutôt les heures de travail qui importaient. L’ancienneté et l’établissement des horaires sont aussi des éléments cruciaux pour l’agent négociateur. Dans la proposition modifiée visant à introduire les nouvelles clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail  – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux), il est clair que l’employeur décide du moment et de l’endroit où une enquête sera réalisée. L’agent négociateur demande seulement que les fonctions soient attribuées aux employés disponibles par ordre d’ancienneté. Cette demande s’accorde bien avec les facteurs associés à l’établissement de l’horaire définis par la direction pendant les négociations ainsi qu’avec le cadre auquel M. Oddo a fait allusion dans son témoignage.

53 L’employeur a contesté la pertinence du témoignage de M. Gay. Le témoignage de M. Gay est aussi pertinent que celui de M. Oddo, car il permet de comprendre parfaitement les enjeux.

54 Il ressort clairement de la lecture de la jurisprudence qu’il incombe à la partie qui soulève une objection à la compétence de démontrer qu’une proposition, telle qu’elle est rédigée, nécessite la modification d’une loi, ce qui va à l’encontre de l’alinéa 150(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou qu’elle a une incidence sur l’organisation de la fonction publique ou l’attribution de fonctions aux membres de la fonction publique, ce qui est contraire à l’alinéa 150(1)e). L’agent négociateur m’a également renvoyé à Association des juristes de justice en ce qui concerne la proposition selon laquelle l’employeur devait démontrer qu’il serait alors nécessaire d’adopter ou de modifier une loi en vertu de l’alinéa 150(1)a) de la Loi sur les relations du travail dans la fonction publique. L’employeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau de la preuve. La majeure partie de l’argumentation de l’employeur repose sur des hypothèses et des présomptions. La décision du président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique doit se fonder sur des éléments de preuve, la législation et la jurisprudence, et non sur des présomptions ou des hypothèses.

55 Ce n’est pas l’ensemble de la proposition modifiée visant à introduire les nouvelles clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux) qui traite de l’attribution des fonctions. L’agent négociateur propose que les heures de travail soient attribuées par ordre d’ancienneté lorsque le nombre d’employés disponibles est trop élevé. L’agent négociateur reconnaît également que la formation est une prérogative de la direction, comme le sont les exigences linguistiques.

56 L’agent négociateur m’a renvoyé à ses propositions formulées dans le cadre des négociations, datées de février 2012, en particulier en ce qui a trait à l’article 23 de la convention collective, où il est précisé que l’agent négociateur se réserve le droit de présenter des propositions au sujet des articles 23, 24 et 25 de la convention collective après discussion avec l’employeur au sujet de ses pratiques et politiques actuelles. L’agent négociateur a rappelé l’exposé présenté par la direction au sujet de la planification des enquêtes concernant les employés de l’unité de négociation. La clause 23.02 de la convention collective actuelle prévoit que l’attribution du travail incombe à l’employeur :

23.02 La nature du travail est à « temps partiel » et il incombe à l’Employeur d’attribuer le travail.

La proposition modifiée visant l’ajout de la nouvelle clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain), ne renferme aucune mention de l’attribution des fonctions. Elle ne nécessite pas la modification d’une disposition législative existante. Il ressort clairement que les propositions de l’agent négociateur visant l’article 23 de la convention collective dans son ensemble ne portent aucunement sur l’attribution de fonctions. Il s’agit là d’une prérogative de l’employeur.

57 La proposition modifiée visant l’ajout de la nouvelle clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) tend à ce que les heures de travail soient offertes par ordre d’ancienneté. L’employeur a affirmé que l’ordre de préséance était problématique. Il est évident que le libellé de la proposition modifiée concerne les facteurs qui importent au plus haut point à l’employeur, comme l’a démontré le témoignage de M. Oddo. Les heures de travail et l’ancienneté relèvent de la compétence d’un conseil d’arbitrage chargé de rendre une décision arbitrale en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L’employeur refuse de reconnaître des conditions d’emploi qui constituent la norme dans d’autres milieux de travail syndiqués. Lorsque tous les employés travaillent à temps partiel, le roulement est extrêmement élevé. Lorsque les employés n’ont aucune garantie d’heures de travail, il doit y avoir une solution. Le mécanisme de négociation collective devrait être utilisé pour résoudre ces types de problèmes. Selon l’agent négociateur, les propositions représentent un moyen équitable de répondre aux préoccupations de l’employeur et de donner aux employés un mécanisme juste pour se voir attribuer des heures par l’intermédiaire d’un régime limité d’ancienneté qui ne lèse pas les droits de la direction. La protection de l’ancienneté favorise l’équité et procure une stabilité accrue aux employés, et il est fort probable que la productivité de ceux-ci augmentera.

58 L’agent négociateur cherche simplement à obtenir la parité avec les autres fonctionnaires fédéraux. L’agent négociateur est conscient qu’il s’agit d’une loi différente, mais la jurisprudence établie par les formations de la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement indique qu’il est possible d’attribuer des quarts de travail selon l’ancienneté sans empiéter sur les pouvoirs de la direction. Les employés à temps partiel et les employés saisonniers de la Chambre des communes n’ont aucune garantie d’heures de travail; ils ont toutefois droit à la protection due à leur ancienneté. Les dispositions des articles 5, 43 et 55 de la Loi sur les relations de travail au Parlement sont presque identiques aux dispositions correspondantes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Les articles 5, 43 et 55 de la Loi sur les relations de travail au Parlement sont libellés comme suit :

5. (1) La présente partie a pour objet d’assurer à certaines personnes affectées aux services parlementaires certains droits, dont celui de négociation collective, dans le cadre de leur emploi.

(2) Un employé peut adhérer à une organisation syndicale et participer à l’activité légitime de celle-ci.

(3) La présente partie n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité de l’employeur quant à l’organisation de ses services, à l’attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers.

[…]

43. (1) Sous réserve de l’affectation par le Parlement, ou sous son autorité, des crédits nécessaires, les parties à une convention collective commencent à l’appliquer :

a) au cours du délai éventuellement prévu à cette fin dans la convention ;

b) en l’absence d’un délai de mise en application, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de la signature de la convention ou dans le délai plus long estimé raisonnable par la Commission et accordé sur demande de l’une ou l’autre des parties à la convention.

(2) Une convention collective ne peut avoir pour effet direct ou indirect de

a) modifier, supprimer ou établir une condition d’emploi de manière que cela nécessiterait ou entraînerait l’adoption ou la modification d’une loi fédérale, exception faite des lois affectant les crédits nécessaires à son application

b) modifier ou supprimer une condition d’emploi établie, ou établir, après l’entrée en vigueur de la présente partie, une condition d’emploi pouvant l’être, en conformité avec la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État ou la Loi sur la pension de la fonction publique.

[…]

55. (1) Le paragraphe 43(2) s’applique aux décisions arbitrales, compte tenu des adaptations de circonstance.

(2) Sont exclues du champ des décisions arbitrales les normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en disponibilité ou le renvoi d’employés, ainsi que toute condition d’emploi n’ayant pas fait l’objet de négociations entre les parties avant que ne soit demandé l’arbitrage à son sujet.

(3) Une décision arbitrale ne vaut que pour les conditions d’emploi des employés faisant partie de l’unité de négociation relativement à laquelle l’arbitrage a été demandé.

Quant aux dispositions correspondantes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, elles sont libellées comme suit :

[…]

5. Le fonctionnaire est libre d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à toute activité licite de celle-ci.

[…]

6. La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor conféré par l’alinéa 7(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

7. La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor ou d’un organisme distinct quant à l’organisation de tout secteur de l’administration publique fédérale à l’égard duquel il représente Sa Majesté du chef du Canada à titre d’employeur, à l’attribution des fonctions aux postes et aux personnes employées dans un tel secteur et à la classification de ces postes et personnes.

[…]

113. La convention collective ne peut avoir pour effet direct ou indirect de modifier, supprimer ou établir :

a) une condition d’emploi de manière que cela nécessiterait l’adoption ou la modification d’une loi fédérale, exception faite des lois affectant les crédits nécessaires à son application ;

b) une condition d’emploi qui a été ou pourrait être établie sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la Loi sur la pension de la fonction publique ou la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État.

[…]

117. Sous réserve de l’affectation par le Parlement, ou sous son autorité, des crédits dont l’employeur peut avoir besoin à cette fin, les parties à une convention collective commencent à appliquer celle-ci :

a) au cours du délai éventuellement prévu à cette fin dans la convention;

b) en l’absence de délai de mise en application, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de la signature de la convention ou dans le délai plus long dont peuvent convenir les parties ou que fixe la Commission sur demande de l’une ou l’autre des parties.

[…]

150. (1) La décision arbitrale ne peut avoir pour effet direct ou indirect de modifier, supprimer ou établir une condition d’emploi :

a) soit de manière à nécessiter ou entraîner l’adoption ou la modification d’une loi fédérale, exception faite des lois affectant les crédits nécessaires à son application;

b) soit qui a été ou pourrait être établie sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la Loi sur la pension de la fonction publique ou la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État;

c) soit qui porte sur des normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la mutation, le renvoi en cours de stage ou la mise en disponibilité des fonctionnaires;

d) soit, dans le cas d’un organisme distinct, qui porte sur le licenciement, sauf le licenciement imposé pour manquement à la discipline ou inconduite ;

e) soit de manière que cela aurait une incidence sur l’organisation de la fonction publique, l’attribution de fonctions aux postes et aux personnes employées au sein de celle-ci et leur classification.

(2) Sont exclues du champ de la décision arbitrale les conditions d’emploi n’ayant pas fait l’objet de négociations entre les parties avant que ne soit demandé l’arbitrage.

[…]

Il est parfaitement acceptable d’invoquer la jurisprudence établie sous le régime de la Loi sur les relations de travail au Parlement en rendant des décisions en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L’attribution des heures de travail selon l’ancienneté n’empiète pas sur les pouvoirs de l’employeur.

59 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Chambre des communes, dossier de la CRTFP 485-H-10 (19900828), une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a dû examiner un certain nombre d’objections à la compétence concernant des propositions de l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour rendre sa décision arbitrale en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement. L’Alliance de la Fonction publique du Canada proposait notamment une clause où l’ancienneté d’un employé serait un facteur déterminant dans le choix des quarts de travail. La Chambre des communes s’est opposée à la clause à la fois pour des motifs de compétence et sur le fonds. La Chambre des communes a fait valoir que « […] la clause […] proposée va à l’encontre des paragraphes 5(3) […] de la [Loi sur les relations de travail au Parlement] […] » en s’appuyant sur le fait que « […] l’ancienneté déterminerait comment les fonctions seraient assignées […] ». L’Alliance de la Fonction publique du Canada a pour sa part soutenu que « la clause […] proposée parle de l’attribution des heures de travail et porte que le choix de ces heures de travail est fondé sur l’ancienneté ». La formation de la Commission des relations du travail dans la fonction publique a conclu comme suit au paragraphe 26 :

[…] la clause […] qui est proposée ne porte pas atteinte aux droits ni aux pouvoirs que le paragraphe 5(3) de la [Loi sur les relations de travail au Parlement] reconnaît à l’employeur. De plus, elle ne viole pas le paragraphe 55(2) de la [Loi sur les relations de travail au Parlement] puisqu’elle porte sur le choix des postes de travail, qui ont trait aux heures de travail. La clause proposée vise à faire de l’ancienneté le facteur déterminant dans le choix des heures de travail de l’employé. Néanmoins, la commission décide de rejeter la proposition de l’Alliance à l’égard de l’article 32.

60 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Chambre des communes, 2010 CRTFP 28, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a examiné sur le fond l’introduction d’une méthode d’attribution des quarts de travail selon l’ancienneté dans la convention collective. La Chambre des communes a proposé « de maintenir le statu quo ». L’agent négociateur a expressément fait référence aux observations de la formation aux paragraphes 45 à 47, lesquels sont ainsi formulés :

[45] Les clauses d’ancienneté sont monnaie courante dans les conventions collectives du secteur privé; elles ont également commencé à faire leur apparition dans les conventions collectives de diverses unités de négociation du secteur public fédéral. Pour certains employeurs, le terme « ancienneté » est synonyme de perte du droit de gérer les effectifs, d’attribuer le travail, d’établir les quarts de travail et d’accorder des promotions, or cela n’est pas nécessairement le cas. La Commission reconnaît que l’employeur a le droit de gérer ses effectifs, d’établir les quarts de travail et de classifier les postes. Mais l’ancienneté peut aussi se définir comme la somme des capacités acquises après des années d’expérience. Autrement dit, l’employé acquiert un bagage de connaissances théoriques et pratiques tout au long de ses années d’emploi pour l’organisation. Au fil du temps, il devient un précieux atout avec plus de compétences, ce qui devrait être reconnu en conséquence.

[46] L’introduction d’un régime limité d’ancienneté est un moyen de récompenser les employés, non pas de façon pécuniaire, mais en reconnaissant leur valeur et leur contribution à l’organisation. Les hauts dirigeants du gouvernement ont reconnu récemment que l’absence de sécurité d’emploi et les mouvements continuels de personnel entre les divers ministères, sociétés d’État et autres organisations fédérales constituaient un problème significatif.

[47] Le fait d’appliquer des clauses limitées d’ancienneté pour attribuer les heures de travail et les quarts d’horaire ne porte aucunement atteinte aux droits de la direction. Il s’ensuit que les quarts et les heures de travail seront dorénavant attribués par ordre d’ancienneté.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

61 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Chambre des communes, 2010 CRTFP 14, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a examiné une proposition de l’Alliance de la Fonction publique du Canada consistant à attribuer par ordre d’ancienneté aux employés à temps partiel et aux employés saisonniers accrédités pour une période indéterminée les heures de travail au taux normal en sus de celles prévues pour les employés à plein temps nommés pour une période indéterminée. La formation a modifié la disposition sur les heures de travail de la convention collective « afin de renforcer la protection offerte aux employés [saisonniers accrédités pour une période indéterminée] », y compris l’attribution du travail selon l’ancienneté. L’agent négociateur a soutenu que l’ordre de préséance établi par la formation était similaire aux questions en litige dans sa proposition modifiée visant à introduire une nouvelle clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain).

62 Selon l’agent négociateur, les questions des heures de travail, de l’ancienneté et de la planification peuvent faire l’objet d’un arbitrage. La proposition modifiée visant à introduire une nouvelle clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux) n’empiète pas sur la dotation ni sur l’attribution des fonctions. Les prérogatives de l’employeur demeurent intactes. À titre subsidiaire, si une partie du libellé entraînait un empiétement, la clause devrait être modifiée comme il convient.

3. Réplique de l’employeur

63 Le libellé de la Loi sur les relations du travail dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail au Parlement est similaire en ce qui concerne la portée des négociations et ce qui peut être inclus dans une décision arbitrale. En particulier, le paragraphe 5(3) de la Loi sur les relations de travail au Parlement et l’article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui traitent de la protection des droits de l’employeur.

64 Le paragraphe 55(2) de la Loi sur les relations de travail au Parlement énonce les questions exclues du champ des décisions arbitrales. De même, le paragraphe 150(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique énonce les questions exclues du champ de la décision arbitrale.

65 La Loi sur les relations de travail au Parlement n’a aucune disposition équivalente à l’alinéa 150(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, lequel alinéa fait obstacle à ce qu’une décision arbitrale ait pour effet direct ou indirect de modifier, de supprimer ou d’établir une condition d’emploi « soit de manière que cela aurait une incidence sur l’organisation de la fonction publique, l’attribution de fonctions aux postes et aux personnes employées au sein de celle-ci et leur classification ».

66 Le paragraphe 55(2) de la Loi sur les relations de travail au Parlement stipule que « [s]ont exclues du champ des décisions arbitrales les normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en disponibilité ou le renvoi d’employés, ainsi que toute condition d’emploi n’ayant pas fait l’objet de négociations entre les parties avant que ne soit demandé l’arbitrage à son sujet […] ». Cette disposition est semblable à l’alinéa 150(1)c) et au paragraphe 150(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Aux termes de l’alinéa 150(1)c), « [l]a décision arbitrale ne peut avoir pour effet direct ou indirect de modifier, supprimer ou établir une condition d’emploi […] soit qui porte sur des normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la mutation, le renvoi en cours de stage ou la mise en disponibilité des fonctionnaires. » Quant au paragraphe 150(2), il précise ce qui suit : […] [s]ont exclues du champ de la décision arbitrale les conditions d’emploi n’ayant pas fait l’objet de négociations entre les parties avant que ne soit demandé l’arbitrage ».

III. Motifs

67 J’approuve l’analyse du président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans Association des juristes de justice. Le président a jugé que l’article 150 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique devait être interprété au sens large. Un conseil d’arbitrage ne peut pas traiter d’une condition d’emploi, même si elle touche incidemment l’un des motifs illicites évoqués dans l’article 150 ou qu’elle empiète sur ce dernier. Je considère que le libellé que l’agent négociateur propose pour les nouvelles clauses 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) et 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux) contrevient à l’article 150 et, en particulier, aux alinéas (1)c) et e). Ces alinéas interdisent qu’un conseil d’arbitrage établisse, modifie, ou supprime, directement ou indirectement, une condition d’emploi « […] soit qui porte sur des […] procédures […] régissant la nomination […] des fonctionnaires » ou « soit de manière que cela aurait une incidence sur l’organisation de la fonction publique, l’attribution de fonctions […] aux personnes employées au sein de celle-ci […] ».

68 La proposition modifiée de l’agent négociateur visant l’ajout de la nouvelle clause 23.14 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses/intervieweurs sur le terrain) prévoit que les heures de travail pour effectuer du travail se rapportant à une grappe visée par une enquête devraient être attribuées par ordre d’ancienneté, en accordant la préséance aux employés nommés pour une période indéterminée résidant dans la grappe visée par l’enquête, et ensuite à ceux résidant dans un rayon de 20 km de la grappe visée par l’enquête. S’il n’y a pas suffisamment d’employés nommés pour une période indéterminée disponibles, l’employeur doit alors offrir les heures de travail aux employés nommés pour une période déterminée résidant dans la grappe visée par l’enquête et ensuite à ceux résidant dans un rayon de 20 km de la grappe visée par l’enquête. S’il n’y a toujours pas suffisamment d’employés pour effectuer le travail, l’employeur peut alors embaucher un nouvel employé ou offrir les heures à un l’employé résidant le plus près de la grappe visée par l’enquête. J’estime que la proposition modifiée restreint la capacité de l’employeur d’attribuer des fonctions aux employés, ce qui va à l’encontre de l’alinéa 150 (1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, car elle dicte la façon dont l’employeur doit attribuer les heures de travail. En outre, je juge que la proposition modifiée empêche l’employeur d’embaucher de nouveaux employés tant qu’il n’a pas suivi les étapes décrites dans la proposition modifiée, ce qui contrevient à l’alinéa 150(1)c) de la Loi sur les relations du travail dans la fonction publique.

69 La proposition modifiée de l’agent négociateur visant l’ajout de la nouvelle clause 23.15 (Attribution des heures de travail – Intervieweuses principales/intervieweurs principaux) obligerait l’employeur à attribuer les heures de travail des enquêtes continues aux intervieweurs principaux en fonction de la zone géographique. Je conclus que cette proposition modifiée porterait atteinte aux pouvoirs conférés au ministre en vertu de l’article 5 de la Loi sur la statistique, notamment « […] employer […], les […] recenseurs […] qui sont nécessaires à la collecte […] des statistiques et des renseignements qu’il estime utiles et d’intérêt public […] ». Elle contreviendrait également à l’alinéa 150(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, en ce que l’obligation d’attribuer le travail selon une zone géographique fixe aurait une incidence sur l’organisation du travail ainsi que sur l’attribution des fonctions aux employés.

70 Bien que les décisions rendues par les formations de la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement présentent un intérêt, le fait que la Loi sur les relations de travail au Parlement n’a aucune disposition équivalente à l’alinéa 150(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui limite davantage les questions pouvant être renvoyées à l’arbitrage, distingue ces cas de la situation qui nous occupe, à mon avis. Bien que je comprenne l’importance que revêt la question soulevée dans les propositions pour l’agent négociateur et les employés de l’unité de négociation ainsi que le raisonnement qui sous-tend les propositions, le législateur a expressément limité le champ autorisé des questions pouvant être renvoyées à un conseil d’arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

71 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit:

IV. Ordonnance

72 En vertu de l’article 144 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, les questions en litige à propos desquelles le conseil d’arbitrage doit rendre une décision arbitrale sont énoncées aux annexes 1 à 8 inclusivement, jointes à la présente, accompagnées des précisions suivantes :

  • la proposition de l’agent négociateur visant à introduire une nouvelle clause 23.14 ne sera pas incluse dans le mandat
  • la proposition de l’agent négociateur visant à introduire une nouvelle clause 23.15 ne sera pas incluse dans le mandat.

73 Toute question de compétence soulevée pendant l’audience concernant l’inclusion d’une question dans le mandat doit être soumise sans délai au président de la Commission des relations de travail de la fonction publique, qui est, selon le paragraphe 144(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la seule personne autorisée à prendre une telle décision.

Le 27 août 2013

Traduction de la CRTFP

David P. Olsen,
Président par intérim de la
Commission des relations de travail dans la fonction publique

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