Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé non payé depuis six ans en raison de son invalidité lorsque l’employeur lui a demandé de retourner travailler, de prendre sa retraite pour des raisons médicales ou de démissionner - le fonctionnaire s’estimant lésé a pris sa retraite pour des raisons médicales et a allégué qu’il avait été forcé de le faire lorsque l’employeur a rejeté sa demande de rester en congé sans solde - l’employeur a soutenu que l’arbitre de grief n'avait pas compétence - le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que l’arbitre de grief avait compétence pour entendre des affaires où il était question de violation de la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective - il a également allégué que l’employeur avait enfreint la clause d’élimination de la discrimination et la LCDP en communiquant avec les employés pendant qu’ils étaient en congé sans solde et en déterminant la date à laquelle mettre fin à leur congé - l'arbitre de grief a conclu qu’elle n’avait pas compétence - il était clair que le fonctionnaire s’estimant lésé tentait de faire annuler sa démission et ensuite demander sa réintégration - il s’est activé à obtenir une pension médicale afin d’avoir un revenu jusqu’à ce qu’il soit admissible à sa pension ordinaire - une démission est une cessation d’emploi volontaire, tel qu’il est prévu à l'article63 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, laquelle n’est pas visée par la compétence d’un arbitre de grief aux termes de l’article 211 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - l’employeur n’a pas eu recours à une approche systématique pour examiner la situation du fonctionnaire s’estimant lésé - il a tenté à plusieurs reprises d’explorer des options avec le fonctionnaire s’estimant lésé - lorsque l’employeur a communiqué avec le fonctionnaire s’estimant lésé, celui-ci était absent depuis environ six ans - lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a remis sa démission pour des raisons médicales, quatre autres années s’étaient écoulées - aucune preuve n’a été démontré voulant que l'employeur ait eu recours à un subterfuge en vue de pousser le fonctionnaire s’estimant lésé à démissionner. Les griefs sont rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-08-01
  • Dossier:  566-02-5208 et 5209
  • Référence:  2013 CRTFP 90

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JAMES MUTART

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRéSOR
(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

employeur

Répertorié
Mutart c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Patricia Harewood, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Hamilton (Ontario),
du 5 au 7 mars 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, James Mutart, a allégué avoir été forcé de prendre sa retraite pour des raisons médicales lorsque son employeur, le Conseil du Trésor, a refusé de prolonger son congé sans solde pendant qu’il attendait une greffe de rein. Par conséquent, lorsqu’il aura reçu un nouveau rein, il n’aura plus d’emploi. Cette perte d’emploi est directement imputable à l’invalidité temporaire du fonctionnaire et constitue de la discrimination en vertu de la convention collective et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP). La convention collective est entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration (date d’expiration : le 20 juin 2011; la « convention collective »).

II. Questions préliminaires

2 L’employeur a soulevé une objection préliminaire à ma compétence pour entendre ces affaires. Comme le fonctionnaire a été licencié sans faute de sa part pour incapacité en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP), la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») n’a pas la compétence en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »). À l’audience, il était trop tard pour que le fonctionnaire puisse reformuler ses griefs en tant que questions d’interprétation du contrat afin que la Commission ait compétence pour traiter l’affaire en vertu de l’article 209 de la Loi (voir Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.)).

3 L’employeur a noté que le fonctionnaire ne demande que sa réintégration à son ancien poste. Il a également observé qu’en vertu de l’article 211 de la Loi, la Commission n’a pas la compétence pour statuer sur un licenciement fondé sur la LEFP. Pour cette raison, les griefs devraient être rejetés.

4 En réponse, le fonctionnaire a soutenu que l’alinéa 226 (1)g) de la Loi m’habilite à instruire les présents griefs. J’ai la compétence pour entendre des affaires alléguant une violation de l’article 7 de la LCDP et d’une convention collective. Le licenciement du fonctionnaire était discriminatoire, ce qui m’habilite à me pencher sur cette affaire. Le fonctionnaire prétend que le fond de l’affaire est la manière dont le licenciement a été effectué, et le fait qu’il ait été forcé à démissionner lorsque sa santé l’a empêché de retourner au travail. Cela constituait de la discrimination.

5 J’ai réservé ma décision à propos de la question de ma compétence.

III. Résumé de la preuve

6 Les parties ont déposé un énoncé conjoint des faits (pièce 1), qui se lit comme suit :

[Traduction]

M. James Mutart, le fonctionnaire s’estimant lésé (« fonctionnaire »), l’Alliance de la Fonction publique du Canada (« syndicat ») et le Conseil du Trésor (« employeur ») conviennent des faits suivants relativement aux dossiers 566-02-5208 et 566-02-5209 renvoyés à l’arbitrage :

1. Le 29 juin 2009, le syndicat a déposé un grief au nom de M. Mutart pour contester le refus de l’employeur de permettre au fonctionnaire de demeurer en congé sans solde dans l’attente d’une greffe de rein (onglet 1).

2. Des extraits de la convention collective (groupe PA, date d’expiration le 20 juin 2011) s’appliquant au moment du grief sont joints sous l’onglet 2.

3. Dans une lettre datée du 8 juillet 2010, l’employeur a rejeté le grief au dernier palier (onglet 3).

4. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 17 mars 2011.

5. Le fonctionnaire a surtout travaillé comme Agent des immeubles et des installations AS-02 à TPSGC de 1981 jusqu’à la fin de son emploi en 2009. Son travail consistait à entretenir des bâtiments et des installations du gouvernement fédéral dans la région de la capitale nationale, y compris superviser les rénovations et formuler des recommandations pour réaliser des économies d’énergie.

6. Le fonctionnaire souffre d’une maladie chronique du rein. Il a subi sa première greffe de rein réussie en 1989. Au printemps de 1999, les reins du fonctionnaire se sont de nouveau mis à défaillir.

7. Vers septembre 1999, le fonctionnaire a été rendu invalide par sa maladie du rein et s’est vu incapable de continuer à travailler. Il est alors entré en congé sans solde en raison de son invalidité et a été placé sur la liste d’attente pour une greffe à Ottawa.

8. Le fonctionnaire a reçu des prestations d’invalidité de la Sun Life et a conservé la protection de son assurance contre les maladies graves.

9. Dans une lettre du 19 décembre 2003, la directrice générale de la Gestion des immeubles et des installations, Sue Hum-Hartley, a écrit au fonctionnaire pour l’informer d’un réalignement de la structure organisationnelle du ministère (onglet 3 A).

10. Depuis 2005, le syndicat avait entrepris des discussions avec l’Employeur quant à de possibles mesures d’adaptation permettant au fonctionnaire de retourner au travail.

11. Dans une lettre datée du 27 octobre 2005, l’employeur a écrit au fonctionnaire pour l’interroger sur son absence du travail et l’informer des options volontaires qui s’offraient à lui : rentrer au travail (avec certificat médical favorable), donner sa démission, ou prendre sa retraite pour des raisons médicales (sur approbation de Santé Canada). Le fonctionnaire a été avisé de communiquer avec l’employeur au plus tard le 16 décembre 2005 pour discuter de ces options (onglet 4).

12. L’échéance a été reportée au 31 janvier 2006 dans un courriel du 8 décembre 2005 (onglet 5).

13. Le 23 janvier 2006, le fonctionnaire a écrit à la direction en réponse à l’appel et à la lettre de l’Employeur en date du 27 octobre 2005 (onglet 6).

14. L’employeur a écrit au fonctionnaire le 22 février 2006 (onglet 7) et le 6 mars 2006 en réponse à ses questions sur la rémunération et les avantages sociaux (onglet 8).

15. Le 26 avril 2006, l’employeur a écrit au fonctionnaire pour faire le suivi sur des questions relatives à sa rémunération et à son état de santé (onglet 9).

16. Le 16 mai 2006, l’employeur a écrit au fonctionnaire au sujet des formulaires de Santé Canada (onglet 10) et le 27 juin 2006, au sujet de l’état de congé sans solde du fonctionnaire (onglet 11).

17. Dans une lettre du 29 juin 2006, l’employeur a écrit au fonctionnaire pour faire un suivi de son absence en congé sans solde (onglet 12).

18. Dans une lettre du 14 septembre 2006, le Dr Bell, néphrologue, a rédigé un certificat médical pour le fonctionnaire en réponse aux questions de l’employeur quant à la possibilité d’un retour au travail (onglet 13).

19. Le fonctionnaire a écrit un courriel à l’employeur le 21 septembre 2006 (onglet 14).

20. Le 2 octobre 2006, l’employeur a écrit au Dr Bell pour lui demander des renseignements supplémentaires en réponse à sa lettre du 14 septembre. L’Employeur a aussi écrit au fonctionnaire à ce sujet (onglet 15).

21. Le 11 octobre 2006, l’employeur a écrit au fonctionnaire relativement à une demande d’information de la Sun Life (onglet 16).

22. Dans une lettre du 21 décembre 2006, le Dr Bell a répondu à la lettre de l’employeur datée du 6 octobre 2006 (onglet 17).

23. Dans une lettre du 8 janvier 2007, l’employeur a demandé au fonctionnaire des renseignements supplémentaires (onglet 18).

24. Le 24 janvier 2007, le fonctionnaire a répondu par courriel à la lettre de l’employeur datée du 8 janvier 2007. L’employeur a accusé réception du courriel du fonctionnaire (onglet 19).

25. Les parties se sont rencontrées le 22 février 2007 pour discuter de l’état de congé sans solde du fonctionnaire et des options qui s’offraient à lui. Le syndicat note qu’il n’y a aucune trace montrant que des notes de réunion aient été reçues par le syndicat (note à l’onglet 20).

26. L’employeur a écrit au fonctionnaire pour faire un suivi de la réunion de février 2007 (onglet 21). Le syndicat note qu’il n’y a aucune trace de la date de la lettre.

27. Le 10 mars 2008, le fonctionnaire a accusé par courriel la réception de la lettre non datée de l’employeur (onglet 22).

28. Le 25 mars 2008, le fonctionnaire a envoyé un courriel à l’employeur (onglet 26 – fait partie d’une chaîne de courriels).

29. À la mi-mars, l’employeur a reçu un certificat médical l’avisant d’un retard dans le retour au travail anticipé du fonctionnaire (onglet 23).

30. Dans un certificat médical daté du 26 mars 2006, le Dr Knoll a noté que le fonctionnaire n’était pas capable de travailler et devait être réévalué en septembre 2008 (onglet 24). (N.B. : Lors de l’audience, la date du 26 mars 2006 a été corrigée pour le 26 mars 2008.)

31. Le 27 mars 2008, le fonctionnaire a écrit à l’employeur (onglet 25).

32. Dans un courriel du 31 mars 2008, Sylvain Legault a confirmé que le ministère demanderait une évaluation à Santé Canada pour faciliter un éventuel retour au travail (onglet 26).

33. Le 8 avril 2008, l’employeur a envoyé à Santé Canada une lettre demandant une évaluation médicale du fonctionnaire (onglet 27).

34. Le 18 avril 2008 (onglet 28) et le 23 avril 2008 (onglet 29) l’employeur a écrit au fonctionnaire. Le fonctionnaire a répondu le 23 avril 2008 (onglet 29).

35. Dans une lettre du 2 mai 2008, le Dr S. Lazaridis de Santé Canada a écrit à l’employeur pour lui signaler que davantage de renseignements médicaux étaient nécessaires et que des recommandations seraient envoyées une fois ces renseignements reçus (onglet 30).

36. Le 3 juillet 2008, Santé Canada a envoyé une lettre d’évaluation à l’employeur (onglet 31).

37. Le 17 juillet 2008, le fonctionnaire a envoyé un courriel à l’employeur pour l’informer que, selon son médecin, il ne pourrait rentrer au travail qu’en septembre 2008 (ce que confirment le certificat médical du 26 mars 2008 et la lettre subséquente de Santé Canada du 25 juillet 2008) – (onglet 32).

38. Dans une lettre datée du 25 juillet 2008, Santé Canada a révélé une absence de consensus entre les fournisseurs de soins de santé du fonctionnaire et recommandé que le fonctionnaire reste en congé (onglet 33).

39. Le 4 août 2008, l’employeur a envoyé un courriel au fonctionnaire (onglet 34).

40. Le 12 septembre 2008 (onglets 35 et 36) et le 19 septembre 2008 (onglet 37), le fonctionnaire a écrit à l’employeur.

41. Le 14 octobre 2008, Sylvain Legault a écrit une lettre au fonctionnaire en réponse aux courriels de celui-ci (onglet 38).

42. Le 23 octobre 2008, le Dr Bell a écrit un rapport médical pour l’employeur relativement à l’état de santé du fonctionnaire (onglet 39).

43. Le 27 octobre 2008, le Dr Scott Brimble, néphrologue, a rédigé une note à l’appui du fonctionnaire. L’employeur note qu’il n’y a aucune trace de la réception de ce document par TPSGC (onglet 40).

44. Le 7 novembre 2008, le représentant syndical du fonctionnaire, Craig Spencer, a écrit une lettre à M. Legault et lui a envoyé le dernier rapport du Dr Bell (onglet 41).

45. Dans une lettre reçue le 6 mars 2009, l’employeur a noté qu’il recommanderait un licenciement pour incapacité en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (onglet 42).

46. Le Dr O’Sullivan a rempli un rapport médical concernant le fonctionnaire le 20 mars 2009 (onglet 43).

47. Dans une lettre datée du 16 avril 2009, l’employeur a demandé au fonctionnaire d’écrire une lettre de démission indiquant que son dernier jour d’emploi était le 5 avril 2009 (onglet 44).

48. Le fonctionnaire a écrit sa lettre de démission à l’employeur le 20 mai 2009. Dans sa lettre, le fonctionnaire a indiqué que sa démission n’était pas son choix et qu’il avait l’intention de déposer un grief contestant la décision de l’employeur de « me forcer à démissionner à la date de ma démission forcée » (onglet 45).

49. L’employeur a accepté la démission du fonctionnaire dans une lettre datée du 3 juin 2009 (onglet 46).

7 M. Mutart a témoigné que, jusqu’au printemps de 1999, il était une personne active malgré une greffe de rein passée. Son monde a changé lorsque son médecin lui a annoncé qu’il avait besoin d’une dialyse immédiate. Il a continué à travailler durant l’été 1999 pendant sa dialyse, mais en septembre 1999, il n’était plus capable de continuer. C’est à ce moment qu’il est entré en congé sans solde pour invalidité et a été placé sur la liste d’attente pour greffe à Ottawa. Le tout est arrivé à un moment de sa carrière où sa relation avec son employeur était à son meilleur. Il gagnait de l’expérience en gestion des installations fédérales à titre de gestionnaire immobilier par intérim.

8 En mai 2009, sa relation avec son employeur avait atteint son point le plus bas. Il a été forcé à prendre sa retraite pour des raisons médicales. Il était acculé au pied du mur. L’employeur le menaçait de licenciement s’il ne rentrait pas au travail. La retraite pour des raisons médicales était la seule option lui garantissant un revenu.

9 Le fonctionnaire a affirmé avoir été dévasté lorsqu’il a reçu la lettre de son gestionnaire, Bob DeRepentigny (pièce 1, onglet 4), en octobre 2005, dans laquelle l’employeur lui laissait trois options : rentrer au travail, prendre sa retraite pour des raisons médicales ou démissionner. S’il ne choisissait pas l’une de ces options, il serait licencié pour incapacité.

10 Suivant la recommandation de Craig Spencer, son représentant syndical, M. Mutart a déposé son avis de retraite pour des raisons médicales en mai 2009 (pièce 1, onglet 45). Dans la lettre, il a souligné qu’il déposait sa demande sous toute réserve et qu’il avait l’intention de contester cette situation par l’entremise du processus de grief. M. Mutart a qualifié le traitement par l’employeur comme étant irrespectueux, inconsidéré et dépourvu de tact. Sa retraite a mis fin au processus entamé en octobre 2005 avec la lettre de M. DeRepentigny.

11 En 2005, le fonctionnaire était toujours en traitement médical pour insuffisance rénale. Il subissait quatre heures de dialyse trois fois par semaine. Sa qualité de vie était très mauvaise. En ses propres mots, il ne vivait que pour la dialyse. Il ne pouvait pas dormir, avait le souffle court, avait mal aux jambes, et était sujet à des éruptions cutanées aiguës. Rien n’avait changé depuis le début de son congé sans solde en 1999. Malgré tout, il entretenait un grand espoir de recevoir un nouveau rein et de rentrer au travail. C’est alors qu’il a reçu la lettre de M. DeRepentigny.

12 Lorsque M. Mutart a reçu la lettre, il a communiqué avec M. DeRepentigny pour discuter de ses options de retour au travail. Il a suggéré de travailler à domicile et d’exercer la fonction d’agent de service. Il a demandé s’il y avait des projets auxquels il pouvait contribuer ou des problèmes avec des clients qu’il pouvait aider à régler. On lui a seulement répondu de rentrer au travail ou de prendre sa retraite.

13 Le 23 janvier 2006, le fonctionnaire a confirmé par courriel à M. DeRepentigny son intérêt à revenir au travail dans le secteur Hamilton-Niagara. Le poste d’attache du fonctionnaire se trouvait alors dans la région de la capitale nationale (RCN). Ayant très peu de chances de trouver un jour un donneur d’organe compatible dans la RCN, il avait déménagé à Hamilton, où ses chances d’en trouver un étaient beaucoup plus élevées et où il avait le soutien de sa famille. À Hamilton, il pourrait être suivi par un seul néphrologue plutôt que par une clinique de néphrologues, et aurait un accès plus facile à la dialyse. Comme l’employeur avait des actifs dans la région de Hamilton, le fonctionnaire anticipait qu’on aurait du travail pour lui dans cette ville, qu’il pourrait effectuer à domicile, à l’hôpital ou sur les lieux tout en recevant sa dialyse.

14 Aucune décision n’avait encore été prise à la date limite en janvier. En avril 2006, M. DeRepentigny a demandé par courriel au fonctionnaire (pièce 1, onglet 9) de lui fournir un certificat médical décrivant les contraintes du fonctionnaire et proposant une date de retour au travail. M. DeRepentigny a également proposé une évaluation par Santé Canada. Il a demandé au fonctionnaire de signer le formulaire de consentement joint en fichier PDF et de le lui rendre d’ici le 26 mai 2006.

15 Le 27 juin 2006, M. DeRepentigny a envoyé un nouveau courriel au fonctionnaire pour lui demander de choisir une option. Une nouvelle date d’échéance a été fixée au 11 août 2006; son non-respect forcerait M. DeRepentigny à recommander le licenciement du fonctionnaire. Le courriel a été suivi d’une lettre le 29 juin 2006 (pièce 1, onglet 12). M. Mutart a senti qu’on lui forçait la main.

16 Une fois de plus, le fonctionnaire n’a pas répondu avant la date d’échéance. M. Mutart a reçu un certificat médical en date du 14 septembre 2006 (pièce 1, onglet 13) indiquant qu’en attendant sa greffe, il pouvait travailler [traduction] « […] en combinant le travail au bureau, à son domicile et à l’hôpital, idéalement, […] 15 heures par semaine pour commencer ». Cette mesure d’adaptation pouvait être réévaluée après six mois. Le fonctionnaire savait qu’il existait des fonctions qui lui seraient accessibles avec ce niveau d’autorisation.

17 L’employeur n’a pas accepté le certificat médical tel quel. Le 2 octobre 2006, il a demandé par courriel à M. Mutart davantage de précisions avant qu’il ne puisse lui offrir une intégration graduelle au milieu de travail (pièce 1, onglet 15). Le Dr Bell a fourni les précisions demandées le 21 décembre 2006 (pièce 1, onglet 17). Dans sa lettre, le Dr Bell a indiqué que M. Mutart avait besoin de cinq traitements de dialyse par semaine, après lesquels il était en mesure de conduire un véhicule. Il a aussi précisé que M. Mutart devrait être capable de mener des activités ordinaires de travail moins d’une heure après la fin de sa dialyse. Le Dr Bell a également fait référence aux tâches en particulier énumérées par l’employeur et noté que le fonctionnaire devrait pouvoir mener, sans grande entrave de fonctionnement, les tâches mentionnées dans le courriel du 2 octobre 2006.

18 M. Mutart n’a eu aucun autre contact avec l’employeur avant la lettre du 8 janvier 2007 de Sylvain Legault, le supérieur de M. DeRepentigny. M. Legault était prêt à trouver des mesures d’adaptation pour le problème médical du fonctionnaire, mais devait examiner la situation à la lumière de la politique sur les congés sans solde du Conseil du Trésor. Cependant, c’est dans la RCN que ces mesures devraient être mises en œuvre. Pour faciliter le processus, l’employeur a voulu savoir combien d’heures par jour le fonctionnaire pourrait travailler au bureau et lesquelles de ses tâches habituelles il pourrait le mieux exécuter. On a une fois de plus demandé au fonctionnaire s’il était prêt à se soumettre à un examen des services médicaux de Santé Canada.

19 M. Mutart était mécontent de l’usage par M. Legault du terme [traduction] « fructueux » pour qualifier les vaines tentatives de trouver du travail dans la région de Hamilton. L’employeur n’avait rien fait pour trouver un poste adapté aux contraintes médicales du fonctionnaire, y compris le souhait de ce dernier de rester dans la région de Hamilton pour son traitement. M. Mutart n’a jamais reçu d’information quant au nombre et à la nature des démarches de l’employeur effectuées en son nom, bien que l’employeur savait que, si le fonctionnaire demeurait à Hamilton, il avait de meilleures chances d’obtenir un nouveau rein. Le fonctionnaire a témoigné que l’employeur aurait pu faire avancer les choses s’il l’avait voulu. Il aurait aussi pu attendre que le fonctionnaire reçoive son rein s’il n’avait aucun travail pour lui. En fin de compte, M. Mutart ne voulait pas se retrouver sans emploi après sa greffe.

20 Le 22 février 2007, M. Mutart, accompagné de son représentant syndical, a assisté à une réunion pour discuter des solutions à son problème. L’employeur s’estimait incapable de prendre des mesures d’adaptation selon les renseignements médicaux reçus à ce jour. M. Mutart a demandé de rentrer au travail de façon limitée, mais a ajouté que s’il devait rentrer à Ottawa, il aurait à rester en dialyse pour le reste de sa vie (pièce 1, onglet 20). L’employeur a donné au fonctionnaire d’autres formulaires médicaux à faire remplir par ses médecins traitants.

21 Selon le fonctionnaire, ces réunions n’ont rien résolu. Le 25 février 2008, l’employeur a de nouveau écrit au fonctionnaire (pièce 1, onglet 21) pour lui demander de fournir les renseignements médicaux requis aux fins des mesures d’adaptation.

22 M. Mutart espérait rentrer au travail avant le 1er avril 2008. Il a exprimé ce désir dans un courriel à M. Legault le 10 mars 2008 (pièce 1, onglet 22). Son espoir a été déçu par une infection aiguë nécessitant hospitalisation et traitement par antibiotiques intraveineux. Toute discussion sur son retour au travail a dû être reportée jusqu’à son rétablissement.

23 Dans un courriel à M. Legault en date du 25 mars 2008, le fonctionnaire a décrit la situation telle qu’il la voyait (pièce 1, onglet 26). Selon lui, il s’est montré ouvert et coopératif tout au long du processus en fournissant ses renseignements médicaux. Il a été constamment disponible et a toujours répondu promptement. Il a même demandé à M. Legault de lui fournir une liste de ressources fédérales dans la région de Hamilton pour l’aider à se trouver un emploi à Hamilton (pièce 1, onglet 26). Comme il l’a dit dans le courriel, sa préoccupation principale était ce qui lui arriverait lorsqu’il aurait reçu un nouveau rein s’il optait pour une retraite pour des raisons médicales. Il a écrit qu’il continuait d’espérer qu’un rein soit trouvé et qu’il puisse reprendre son ancien poste chez l’employeur.

24 Le fonctionnaire s’est éventuellement soumis à une évaluation médicale de Santé Canada. L’employeur a été informé des résultats par lettre, le 3 juillet 2008 (pièce 1, onglet 31). Il a été déterminé que, malgré son problème de santé chronique nécessitant des soins constants, M. Mutart était en état de rentrer au travail à titre d’essai pour trois périodes de quatre heures par semaine; le total de ses heures hebdomadaires pourrait augmenter jusqu’à 15, selon sa tolérance et les besoins opérationnels.

25 M. Mutart n’est jamais rentré au travail à l’été 2008. Le 17 juillet 2008, M. Legault a envoyé un courriel au fonctionnaire pour organiser une réunion avec lui et son nouveau gestionnaire pour discuter de sa réintégration. La réunion devait inclure M. Legault, Colombe Charette, la gestionnaire de cas du fonctionnaire, et Jack Murphy, un représentant de l’employeur (pièce 1, onglet 32). M. Mutart a avisé M. Legault qu’il aimerait que son représentant syndical assiste à la réunion, mais que celui-ci ne serait disponible qu’après le 4 août 2008. M. Mutart ne comprenait pas pourquoi M. Legault était si pressé d’organiser la réunion dès la semaine prochaine.

26 Avant que la réunion ne puisse avoir lieu, le Dr Lazaridis, médecin en santé du travail à Santé Canada, a prévenu l’employeur que le fonctionnaire devait rester en congé au moins jusqu’en septembre 2008. Le 19 septembre 2008, M. Mutart a avisé M. Legault de difficultés à atteindre sa fistule, ce qui est nécessaire pour sa dialyse. Il n’était pas en état de rentrer au travail et a plaidé auprès de l’employeur pour maintenir le statu quo.

27 M. Legault n’a pas accepté de maintenir le statu quo. À ce moment, selon son témoignage, M. Mutart était en dialyse et en congé depuis environ 10 ans. (En date de l’audience, M. Mutart était toujours en congé et recevait des traitements de dialyse depuis environ 14 ans.) Le 14 octobre 2008, M. Legault a donné à M. Mutart jusqu’au 25 octobre 2008 pour prendre la décision lui ayant été imposée à l’origine en 2005 (pièce 1, onglet 38). Si M. Mutart ne faisait pas son choix, l’employeur se verrait forcé de le licencier.

28 Selon le témoignage de M. Mutart, l’employeur avait des options. Il aurait pu laisser M. Mutart en congé sans solde; le fonctionnaire aurait été capable de rentrer au travail après sa greffe, comme il l’avait déjà démontré à l’employeur en 1989, après sa première greffe. Nul ne pouvait prédire quand un rein serait disponible, mais il ne s’agissait certainement que d’une question de temps. M. Mutart avait été en dialyse durant toute cette période. Au cours de cette période, il avait été placé sur la liste d’attente pour greffe et en avait été retiré pour des raisons différentes, mais le 20 avril 2012, il a reçu la confirmation qu’il était sur la liste d’attente de la région de Hamilton.

29 Le 23 octobre 2008, le médecin de M. Mutart a donné à l’employeur un certificat médical à jour (pièce 1, onglet 39). Dans celui-ci, le Dr Bell a indiqué qu’une fois que M. Mutart aurait reçu un nouveau rein, il serait capable de rentrer au travail. Il était difficile de prédire quand la greffe aurait lieu. Personne n’aurait pu anticiper que M. Mutart serait en dialyse pendant 14 ans en attendant une greffe.

30 M. Legault a de nouveau écrit à M. Mutart le 6 mars 2009, l’informant cette fois-ci qu’il recommandait son licenciement pour incapacité en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (LGFP) (pièce 1, onglet 42). Il a également donné au fonctionnaire une dernière chance de choisir l’une des options volontaires. La lettre a fâché M. Mutart, mais celui-ci est allé voir son médecin de famille pour lui faire remplir les formulaires de retraite pour des raisons médicales (pièce 1, onglet 43). Il croyait que, s’il ne prenait pas sa retraite pour des raisons médicales, il se retrouverait dans la rue. S’il avait été licencié, il se serait jeté du haut d’un pont ou se serait fait du mal d’une autre façon.

31 Craig Spencer est un représentant du Syndicat des services gouvernementaux avec de nombreuses années d’expérience. Il a aidé M. Mutart à prendre la décision de prendre sa retraite sous toute réserve, puis a rédigé les présents griefs. Selon lui, les difficultés de M. Mutart à naviguer le dédale administratif des mesures d’adaptation sont dues à l’absence d’un point de contact unique avec l’employeur. Plusieurs fois au cours de ses 14 années de congé sans solde, M. Mutart a cherché à s’informer des possibilités de solutions de rechange au travail, de travail à temps partiel et d’affectation à Hamilton. Le système de gestion des cas d’invalidité de l’employeur n’a pas été mis au service de M. Mutart pour l’aider avec sa demande de mesures d’adaptation.

32 M. Spencer a indiqué que le dossier de mesure d’adaptation typique invite l’employé à participer au processus d’identification de possibilités de mesures d’adaptation. Un employé ne peut pas dépendre de l’employeur pour élaborer des solutions. Dans ce cas-ci, cependant, l’employeur était impatient. Le 7 novembre 2008, M. Spencer a écrit une lettre à M. Legault au nom de M. Mutart pour décrire les défis posés par le dossier (pièce 1, onglet 41). Il tentait de faire comprendre à l’employeur qu’il n’y avait aucun mal à prolonger le congé sans solde du fonctionnaire jusqu’à ce qu’il reçoive sa greffe. Après son opération, M. Mutart serait prêt à reprendre sa carrière, et l’employeur aurait à sa disposition un employé déjà formé. Après l’échec de ses efforts en faveur de M. Mutart, il a recommandé que M. Mutart demande une retraite pour des raisons médicales et remette sa lettre de démission, notant qu’il la soumettrait sous réserve. Il a ensuite aidé M. Mutart à déposer ses griefs.

33 M. DeRepentigny a témoigné qu’il est entré en contact avec le fonctionnaire pour la première fois en 2003, lorsque le service des relations de travail de l’employeur lui a fourni une liste d’employés en congé sans solde depuis plus de deux ans. Les politiques du Conseil du Trésor prévoient qu’après deux ans, l’employeur communique avec les employés en congé sans solde et détermine une date à laquelle mettre fin au congé. M. DeRepentigny a demandé l’avis de son conseiller en relations de travail, car il n’avait aucune expérience en obligation de prendre des mesures d’adaptation.

34 Le poste d’attache du fonctionnaire consistait à assurer le fonctionnement et l’entretien conformes des bâtiments fédéraux et à fournir des services aux locataires de ces bâtiments. Il lui fallait tisser des liens étroits avec les clients. Le titulaire du poste doit composer avec des propriétaires d’immeuble, des entrepreneurs et des clients. Il est rarement à son bureau; il doit plutôt se rendre sur place pour veiller à ce que le travail soit effectué correctement. Le fonctionnaire n’est pas allé au travail depuis 1999. M. DeRepentigny ignorait pourquoi aucun suivi n’avait été effectué avant 2005.

35 M. DeRepentigny a téléphoné au fonctionnaire en septembre 2005 pour l’informer qu’une lettre était en route et qu’il aurait à choisir l’une des options qu’elle propose. Selon lui, la nouvelle a grandement surpris le fonctionnaire.

36 La date limite pour répondre à la lettre était le 16 décembre 2005. Elle a plus tard été reportée au 31 janvier 2006 lorsque Poste Canada a retourné la première lettre à l’expéditeur. Au cours de cette période, M. DeRepentigny a dit à M. Mutart qu’il ne pourrait pas lui permettre de travailler sans l’approbation de son médecin. En novembre 2005, il a donné à M. Mutart les coordonnées d’une personne-ressource au bureau régional de l’Ontario à Toronto pour l’aider à trouver un poste dans la région de Toronto ou de Hamilton. Vers la fin de janvier 2006, pour aider M. Mutart, il a établi un premier contact par courriel avec le bureau de Toronto afin de l’aviser d’un éventuel contact par M. Mutart.

37 Selon M. DeRepentigny, M. Mutart s’est senti dans une impasse. Soit il demeurait là où il avait un emploi, mais n’avait pas d’accès assuré à la dialyse, soit il déménageait là où la dialyse était disponible, mais où il n’avait pas d’emploi. Le 23 janvier 2006, M. Mutart a communiqué avec M. DeRepentigny et réitéré son désir d’être muté à la région de Hamilton. À moins de vivre à Hamilton, il ne pouvait pas être placé sur la liste d’attente qui lui donnait la meilleure chance de trouver un donneur compatible et d’obtenir une greffe (pièce 1, onglet 6). Toronto n’était pas une option. Pour l’employeur, le travail à temps partiel n’était pas non plus une option; ni le travail à domicile pour la RCN. M. DeRepentigny a dit à M. Mutart qu’il y avait possibilité de chercher un poste en-dehors de ce secteur ou de cette direction générale, mais à condition d’obtenir un certificat de santé.

38 M. DeRepentigny n’a pas fait d’efforts supplémentaires pour déterminer quels postes étaient disponibles dans la région de Toronto. Il a dit à M. Mutart avec qui communiquer pour explorer les options.

39 Le fonctionnaire a débuté une série de communications par courriel avec le bureau de la rémunération de l’employeur pour clarifier ses droits s’il demandait une retraite pour des raisons médicales (pièce 1, onglets 7 et 8). Les questions touchaient la situation particulière de M. Mutart et s’appuyaient sur plusieurs scénarios de type « Et si… ». Les conseillers en rémunération ont assuré M. DeRepentigny qu’ils avaient répondu à toutes les questions. Cependant, à chaque réponse fournie, M. Mutart avait une nouvelle question. M. DeRepentigny n’avait pas la responsabilité de donner des conseils à M. Mutart, et il trouvait inapproprié de s’en mêler.

40 De décembre 2005 à janvier 2006, M. DeRepentigny a communiqué avec le fonctionnaire et insisté sur la nécessité d’obtenir un certificat de santé s’il désirait rentrer au travail. En avril 2006, il a demandé à M. Mutart de se soumettre à une évaluation de Santé Canada. Une fois de plus, le fonctionnaire n’a pas répondu.

41 Le 31 mai 2006, M. DeRepentigny a conclu que l’employeur et M. Mutart étaient encore loin d’avoir formulé un plan de retour au travail. Il n’avait toujours aucun certificat médical autorisant le retour du fonctionnaire au travail. Il sentait que M. Mutart était frustré de sa situation. Il était confus et incertain quant à ce qu’il devait faire. Ils se parlaient deux ou trois fois par mois depuis le début du processus en 2005, et toujours rien n’avait été réglé. Le 27 juin 2006, M. DeRepentigny a de nouveau présenté à M. Mutart ses options par courriel et lui a demandé d’en choisir une (pièce 1, onglet 11). Il a formalisé sa demande par une lettre en date du 29 juin 2006 (pièce 1, onglet 12), puis de nouveau le 14 août 2006.

42 M. DeRepentigny a mentionné que M. Mutart a fourni une note médicale le 14 septembre 2006 le disant prêt à travailler à temps partiel (pièce 1, onglet 13). Il a noté que la lettre ne suffisait pas à expliquer les mesures d’adaptation à prendre. M. DeRepentigny a demandé l’avis du service des relations de travail de l’employeur, qui a recommandé que ce dernier fasse appel à l’équipe de gestion de cas pour s’assurer que le retour au travail s’effectue conformément aux restrictions médicales. Après plusieurs demandes de précisions, M. Mutart a fourni un autre certificat médical en date du 21 décembre 2006 (pièce 1, onglet 17) qui ne répondait toujours pas aux préoccupations de l’employeur.

43 Le rôle de M. DeRepentigny dans le dossier s’est terminé en novembre 2006.

44 M. Legault a succédé à M. DeRepentigny à titre de responsable du dossier. C’est lui qui détenait la responsabilité des postes dits orphelins dans la RCN. Il n’avait aucun pouvoir sur ce qui se passait dans les autres régions et n’était pas au courant, ni ne pouvait l’être, des postes disponibles dans la région de l’Ontario ou le secteur Hamilton Niagara. Il s’est assuré que M. DeRepentigny fournisse une personne-ressource à M. Mutart pour faciliter son exploration des options possibles dans ces régions.

45 M. Legault n’a pas vu M. Mutart faire quelque progrès que ce soit dans sa recherche. Il n’a pas non plus cherché d’options dans la RCN. Le télétravail n’était pas possible; les gestionnaires des immeubles et des installations doivent travailler sur place, y compris sur des chantiers de construction. Le poste d’agent de service identifié par M. Mutart avait été éliminé en 1998 et était dorénavant pris en charge par un centre d’appels qui fonctionnait 24 heures par jour, 7 jours par semaine. M. Legault ne pouvait pas se fier à l’évaluation de M. Mutart de ses propres capacités.

46 À plusieurs reprises de 2005 à juillet 2008, les efforts de l’employeur pour mettre en place des mesures d’adaptation pour M. Mutart ont été ralentis par un manque de renseignements médicaux et des complications médicales, ce qui s’est soldé par le courriel du 19 septembre 2008 de M. Mutart en faveur du statu quo. L’employeur a tenté pendant trois ans d’obtenir une idée claire à savoir si M. Mutart était en mesure de rentrer au travail, mais n’en savait toujours rien. M. Legault en a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité de retour au travail pour M. Mutart dans un avenir prévisible.

47 L’employeur n’aurait subi aucun inconvénient d’ordre financier s’il avait permis à M. Mutart de demeurer en congé sans solde. Cependant, M. Mutart recevait de l’employeur des avantages sociaux pour lesquels il n’avait pas travaillé et accumulait des années de service qui augmenteraient éventuellement sa pension. Permettre à M. Mutart d’obtenir un avantage sans faire de contributions allait à l’encontre de la LGFP. Prolonger son congé sans solde n’aurait pas nui au moral des employés ou à la dotation. Il était cependant clair qu’à moins de recevoir un nouveau rein, M. Mutart ne rentrerait jamais au travail. L’employeur a déjà attendu 14 ans. Il y a peu de chances que M. Mutart rentre au travail un jour, et encore moins qu’il le fasse dans un avenir prévisible.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

48 En réponse aux enjeux de compétence soulevés par l’employeur et selon lesquels le fonctionnaire aurait changé la nature de ses griefs à l’audience, une lecture plus attentive de la lettre du 20 mai 2009 du fonctionnaire (pièce 1, onglet 45) démontre clairement qu’il a été forcé de prendre sa retraite pour des raisons médicales. L’employeur l’a forcé à le faire en rejetant sa demande de rester en congé sans solde jusqu’à une greffe de rein lui permettant de revenir au travail. Sa demande aurait dû être acceptée conformément à l’article 19 de la convention collective et l’article 7 de la LCDP. La retraite pour des raisons médicales était la seule manière pour le fonctionnaire de s’assurer un revenu pendant que la Commission se penchait sur l’absence de mesures d’adaptation de la part de l’employeur.

49 La lettre du 20 mai 2009 démontre clairement que le fonctionnaire avait été soumis à une pression indue de la part de l’employeur, qui était déterminé à se débarrasser de lui. Le fonctionnaire a soutenu que, selon les éléments de preuve, cette pression pour prendre une décision quant à une retraite pour des raisons médicales ou pour fournir une date de retour au travail camouflait un licenciement non disciplinaire. Étant donné les circonstances, l’arbitre de grief a compétence pour instruire l’affaire en vertu de l’article 209(1)c)(i) de la Loi.

50 Le fonctionnaire a aussi allégué que le défaut de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de l’invalidité du fonctionnaire en le laissant en congé sans solde jusqu’à sa greffe de rein relève de l’interprétation et de l’application de la convention collective et est visé par la LCDP. Dans ces circonstances, l’alinéa 209(1)a) de la Loi donne à l’arbitre de grief la compétence d’entendre l’affaire.

51 Le fonctionnaire a passé en revue des détails clés de ce grief et a noté qu’il s’est vu forcé de prendre un congé sans solde en 1999, lorsqu’il a dû se soumettre à une dialyse quotidienne pour cause d’insuffisance rénale. Au début, il est resté au travail, mais a pris congé en septembre 1999 lorsqu’il est devenu incapable de conjuguer dialyse et travail. De ce moment jusqu’à sa retraite forcée pour des raisons médicales le 20 mai 2009, il n’a pas travaillé. Durant sa période de congé sans solde, le fonctionnaire a reçu des prestations d’invalidité de longue durée de la Sun Life Financial et conservé la protection de son assurance contre les maladies graves.

52 À plusieurs reprises, le fonctionnaire a discuté de la possibilité de travailler à domicile ou à temps réduit pour lui permettre de poursuivre son traitement de dialyse. Une autre demande de mesure d’adaptation consistait à le muter dans la région de Hamilton, où il aurait du soutien familial et une bien meilleure chance de trouver un organe compatible. L’employeur a rejeté sa requête et lui a dit que toute mesure d’adaptation devrait être à l’intérieur même de la région de la capitale nationale. Malgré tout, le fonctionnaire a déménagé à Hamilton pour améliorer ses chances d’obtenir une greffe.

53 En 2008, des représentants de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, Syndicat des services gouvernementaux (le syndicat), ont engagé des discussions avec l’employeur au nom du fonctionnaire au sujet de mesures d’adaptation possibles. On a demandé au néphrologue du fonctionnaire si le fonctionnaire serait en mesure de travailler en étant sous dialyse et en attendant un rein. Le médecin a répondu que la longue attente du fonctionnaire avait gravement atteint sa santé générale et qu’une tentative de retour au travail pourrait réduire son espérance de vie pendant son attente d’une greffe (pièce 1, onglet 41).

54 En dépit de ce rapport, l’employeur a envoyé une lettre (pièce 1, onglet 43) au fonctionnaire pour l’informer que l’administrateur fédéral recommandait son licenciement pour incapacité en vertu de la LGFP.

55 La preuve démontre que, lorsque le fonctionnaire a reçu ses options et la menace finale de licenciement pour incapacité, il a informé l’employeur de son intention de contester le manquement de ce dernier à sa responsabilité de prendre des mesures d’adaptation. Il n’y a aucune preuve que l’employeur ait prévenu le fonctionnaire que, s’il acceptait de prendre sa retraite pour des raisons médicales, il perdrait la capacité de contester l’affaire par l’entremise du processus d’arbitrage de griefs. Pour ces raisons, l’objection de l’employeur à la compétence doit être rejetée.

56 Le fonctionnaire s’est dit victime de discrimination par son employeur pour motif d’invalidité, en violation de l’article 19 de la convention collective et de l’article 7 de la LCDP. L’employeur l’a forcé à choisir entre un licenciement pour incapacité et une retraite pour des raisons médicales. Si le fonctionnaire avait été licencié pour incapacité, il aurait été limité aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada; s’il avait accepté de prendre sa retraite pour des raisons médicales, il aurait reçu une pension médicale d’environ 3 400 $ par mois, qui prendrait fin à son retour au travail.

57 Le fonctionnaire a estimé s’être acquitté du fardeau de la preuve en établissant qu’il avait une maladie pour laquelle l’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation. Selon le critère décrit dans British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) v. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »), il incombe alors à l’employeur de prouver qu’il était impossible de mettre en place des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire sans occasionner des contraintes excessives.

58 Le fonctionnaire a mentionné plusieurs cas qui traitent du fait que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation nécessite une approche individualisée. Dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, au paragraphe 22, la Cour suprême du Canada a déclaré :

Le caractère individualisé du processus d’accommodement ne saurait être minimisé. En effet, l’obligation d’accommodement varie selon les caractéristiques de chaque entreprise, les besoins particuliers de chaque employé et les circonstances spécifiques dans lesquelles la décision doit être prise […]

59 L’employeur devait démontrer non pas qu’il était impossible de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire, mais que le faire lui occasionnerait des contraintes excessives, lesquelles peuvent prendre de nombreuses formes. (Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, paragraphe 12.) Les demandes de mesures d’adaptation doivent être traitées avec pragmatisme et flexibilité dans le contexte de la situation de fait concernée.

60 Les cas Naccarato v. Costco Wholesale Canada Ltd., 2010 ONSC 2651, et Masonite International Corporation v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 1072 (2007), 161 L.A.C. (4e) 426 (« Masonite »), traitent tous deux de maladies à long terme.

61 Dans Naccarato, la Cour supérieure de l’Ontario a traité d’un cas dans lequel un médecin n’a donné aucune opinion quant à la possibilité d’un retour au travail du plaignant dans un avenir raisonnablement proche. En appliquant le critère décrit dans Hydro-Québec, la Cour a déterminé que la défense du défendeur était vouée à l’échec, car il n’y avait aucune preuve médicale à l’appui de la conclusion selon laquelle le plaignant ne pourrait plus s’acquitter des obligations de base de son poste dans un avenir prévisible.

62 Dans Masonite, l’arbitre a fait face à une situation très similaire au cas de M. Mutart. Le plaignant dans le cas Masonite, comme M. Mutart, attendait une greffe de rein. Il souffrait d’insuffisance rénale depuis deux ans et demi lorsque l’employeur l’a licencié pour [traduction] « absentéisme involontaire ». Les éléments de preuve démontraient que le plaignant aurait été en congé pendant plus de huit ans même s’il avait obtenu un organe compatible et pris le temps de se remettre de sa chirurgie. Les éléments de preuve suggéraient qu’avec une greffe réussie, le plaignant aurait été en mesure de rentrer au travail.

63 Le plaignant dans Masonite était âgé de 56 ans et avait 18 ans d’ancienneté. Il était complètement invalide. Lors de l’audience, aucune suggestion n’a été faite de prendre des mesures d’adaptation lui permettant de travailler. Durant ses deux ans de congé, aucune tentative n’a été faite de le faire rentrer au travail. En tentant de déterminer si l’employeur s’était acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour le plaignant, l’arbitre de grief a dit à la page 446 que [traduction] « chaque cas est différent et unique et doit être considéré individuellement ». L’âge et l’ancienneté sont des facteurs importants pour déterminer si les contraintes sont excessives, mais ils n’ont pas été considérés dans le cas de M. Mutart.

64 Dans Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, paragraphe 109, la Cour d’appel fédérale a déterminé que la politique du Conseil du Trésor imposant le licenciement de tout employé en congé sans solde depuis plus de deux ans était discriminatoire à première vue dans le cas des employés invalides étant incapables de donner une date ferme de retour au travail. C’est cette même politique que l’employeur a invoquée pour forcer M. Mutart à prendre sa retraite. Le fonctionnaire a produit une preuve prima facie de discrimination.

65 Le fonctionnaire a fait référence à la lettre de l’employeur selon laquelle il serait licencié pour cause d’incapacité parce qu’il n’avait pas choisi l’une des options volontaires offertes à lui (pièce 1, onglet 42). L’employeur a identifié le fonctionnaire sur une liste d’employés fournie à M. DeRepentigny pour suivi par le service des relations de travail de l’employeur en lien avec la politique du Conseil du Trésor sur les congés sans solde pour des raisons médicales; après quoi l’employeur a entrepris une démarche pour licencier le fonctionnaire. Son action allait à l’encontre de l’article 19 de la convention collective et était discriminatoire selon l’article 7 de la LCDP.

66 L’employeur est coupable de manquement continu à sa responsabilité de mener une évaluation individualisée de la situation du fonctionnaire, de rechercher des options, de faciliter des mesures d’adaptation raisonnables et de répondre aux demandes d’information du fonctionnaire. Son ton lors de ses correspondances avec le fonctionnaire était hostile et menaçant à l’égard d’un homme déjà soumis à beaucoup de stress. L’employeur n’a pas cherché de solutions alternatives. C’est au fonctionnaire qu’on a imposé le fardeau de chercher des postes dans la région de Hamilton.

67 De 2005 à 2008, le fonctionnaire a demandé de se faire muter à Hamilton à titre de mesure d’adaptation, où il aurait du soutien médical et où il avait de la famille. Il a demandé une liste d’actifs à Hamilton. Il a demandé de pouvoir faire du télétravail. Il s’est informé sur la possibilité d’occuper la fonction d’agent de service, laquelle a été éliminée en 1998. Selon lui, d’autres postes de nature administrative auraient sûrement été disponibles, mais l’employeur n’a fait aucun effort pour lui en trouver un. L’employeur a donné au fonctionnaire le nom d’une personne-ressource et l’a laissé à lui-même pour communiquer avec cette personne et trouver un poste correspondant à ses capacités. Cette attitude nonchalante à l’égard des mesures d’adaptation pour un employé est contraire à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, qui exige un examen systématique des solutions de rechanges. L’employeur avait suffisamment de renseignements pour mener une évaluation. Le rapport transmis par Santé Canada en 2008 (pièce 1, onglet 31) autorisait le fonctionnaire à réintégrer son poste, mais l’employeur n’a toujours pas cherché de postes dans la région de Hamilton.

68 Le témoignage des témoins de l’employeur n’a pas identifié de contrainte excessive. Il n’y avait aucune preuve que le fait de laisser le fonctionnaire en congé sans solde aurait causé à l’employeur quelque difficulté financière que ce soit, aurait brimé les droits d’un autre employé, aurait nui au moral des employés ou aurait posé problème au processus de dotation.

69 À la lumière des faits du présent cas, comme l’âge et les années de service de M. Mutart, son sentiment d’avoir quitté son emploi sous la pression et d’avoir été traité de manière irrespectueuse et insensible par son employeur, il est manifeste que l’employeur a failli à ses obligations et a agi de manière discriminatoire à l’égard de M. Mutart en raison de son invalidité. Étant donné la manière irrespectueuse dont l’employeur a traité M. Mutart et a appliqué la politique du Conseil du Trésor sans considération pour la situation personnelle du fonctionnaire, des dommages allant jusqu’au maximum permis par la LCDP devraient être imposés.

70 Le fonctionnaire a aussi fait référence aux cas suivants en ce qui concerne la compétence et les contraintes : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; Audet c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 25; Desormeaux c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton, 2003 TCDP 2; Mellon c. Canada (Développement des Ressources humaines), 2006 TCDP 3; Panacci c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 2; Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 110; Cyr c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 35; Pepper c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 71; Johnstone v. Canada Border Services Agency, 2010 CHRT 20, partiellement confirmé par Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113.

B. Pour l’employeur

71 En alléguant que le grief n’est pas admissible à l’arbitrage par la Commission des relations de travail dans la fonction publique, l’employeur a fait remarquer que le fonctionnaire a pris sa retraite pour des raisons médicales après un congé sans solde d’une durée de 10 ans. Les formulaires de grief ne mentionnent aucune mesure disciplinaire; la Commission n’a donc aucune compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. La question est de savoir si la référence à l’article 19 (« Élimination de la discrimination ») de la convention collective suffit à accorder à la Commission la compétence d’arbitrer les griefs en vertu de l’alinéa 209(1)a).

72 La première étape consiste à examiner l’intention des griefs. Le paragraphe 1 de la formule de grief (pièce 1, onglet 1) traite directement de la démission de M. Mutart. Aucune mention n’est faite d’un manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Le paragraphe 2 de la même pièce fait clairement référence à la discrimination, qui est inextricablement liée à la démission forcée alléguée. Il ne s’agit pas que d’une allégation de discrimination isolée. À titre de redressement, le fonctionnaire ne demande que sa réintégration. Il ne fait aucune demande de mesure d’adaptation ou de dommages en vertu de la LCDP. Cette position n’a pas changé depuis le début des processus de grief et d’arbitrage.

73 L’employeur soutient qu’il était trop tard, dans le cadre de l’arbitrage, pour que le fonctionnaire modifie le fond de ses griefs en réclamant des dommages en vertu de la LCDP. Il s’agit d’un cas où les principes de Burchill s’appliquent :

[…] après le rejet de son seul grief présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le requérant ne pouvait présenter à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, ni transformer son grief en un grief contre une mesure disciplinaire entraînant le congédiement […]

74 Même si les griefs mentionnaient l’article sur l’élimination de la discrimination de la convention collective, le fond des griefs touchait au contexte de la démission. Citer la convention collective n’outrepasse pas l’article 211 de la Loi, qui stipule clairement que la Commission n’a aucun pouvoir sur un licenciement effectué en vertu de la LEFP. L’article 63 de la LEFP traite de la démission d’un employé de la fonction publique. L’alinéa 226(1)g) de la Loi établit le pouvoir de la Commission en ce qui concerne la LEFP, mais ce pouvoir ne s’applique que si l’affaire a été renvoyée à la Commission conformément à l’article 209 de la Loi, ce que le fonctionnaire n’a pas fait. Par conséquent, la Commission n’a pas la compétence.

75 Si la Commission détermine qu’il est approprié d’examiner le bien-fondé du cas, la question est d’établir ce qui constitue des contraintes excessives. Les deux premiers points des critères de Meiorin ont été établis. Il reste le troisième, soit de savoir si l’employeur a atteint le point de contrainte excessive dans ses tentatives de prendre des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire. Le cas McGill prône une approche pragmatique et flexible. Les mesures d’adaptation ne sont pas la responsabilité d’une seule partie; les deux ont un rôle actif à y jouer. Les contraintes excessives dues à l’absence du fonctionnaire de son lieu de travail doivent être considérées dans leur ensemble, à partir du début de l’absence. Dans McGill, l’employé a été licencié après une absence de trois ans. Pour sa part, M. Mutart a été absent pendant 10 ans.

76 Selon les critères de Meiorin, la limite des mesures d’adaptation est atteinte lorsque toute mesure supplémentaire entraînera des contraintes excessives (Hydro-Québec, paragraphe 12). L’objet de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne supplante pas entièrement le contrat de travail; l’employé a toujours le devoir de travailler en échange de sa rémunération. Si l’employeur peut démontrer que l’employé sera incapable de reprendre son travail dans un avenir raisonnablement rapproché, il se sera acquitté du fardeau de la preuve et aura établi qu’il est soumis à des contraintes excessives (Hydro-Québec, paragraphe 17). Lors de l’évaluation des contraintes excessives potentielles, ni le fonctionnaire ni l’employeur ne peuvent faire abstraction du passé (Hydro-Québec, paragraphe 21). Il est malheureusement manifeste que M. Mutart ne pouvait ni rentrer au travail dans un avenir prévisible ni prédire quand il recevrait une greffe. Lorsqu’il a démissionné, cela faisait 10 ans qu’il était sur la liste d’attente ou attendait qu’on le remette sur la liste; il était de nouveau sur la liste au moment de l’audience.

77 Contrairement à la situation de Sketchley, l’employeur n’a pas appliqué avec rigidité la période de deux ans prescrite par la politique sur les congés sans solde du Conseil du Trésor. Lorsqu’il est entré en contact avec le fonctionnaire, celui-ci avait été absent depuis environ six ans. Au moment de sa démission, quatre autres années s’étaient écoulées. Bien qu’un employé puisse vouloir demeurer en congé indéfini, l’employeur n’est pas obligé de garder indéfiniment un employé qui pourrait ne pas être en mesure de rentrer au travail avant plusieurs années (voir Re Scheuneman, [2000] A.C.F. no 1997, au paragraphe 7).

78 De 1999 à 2005, l’employeur a pris des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire. Il lui a permis de demeurer absent du travail en congé sans solde, période au cours de laquelle le fonctionnaire accumulait des années de service ouvrant droit à pension. En 2005, le service des relations de travail de l’employeur a dressé une liste d’employés en congé prolongé et a demandé aux gestionnaires d’examiner chaque cas. À partir de 2005, l’employeur a cerné les enjeux et tenté de traiter de la situation unique du fonctionnaire.

79 Le 27 octobre 2005, l’employeur a envoyé au fonctionnaire une lettre lui offrant trois options : rentrer au travail, démissionner, ou prendre sa retraite pour des raisons médicales. La lettre comprenait des documents du service de la rémunération avec des renseignements pour l’aider à prendre sa décision. Le fonctionnaire avait près de deux mois pour décider. Il avait auparavant été informé en personne de ses options et de l’imminence de la lettre. Son syndicat a tenté de le guider au cours du processus et est intervenu en son nom auprès de l’employeur.

80 Les témoins de l’employeur ont établi que le poste d’attache du fonctionnaire obligeait ce dernier à être présent sur différents sites de travail. Il lui était impossible de faire son travail à distance.

81 Une série d’échanges de courriels et de lettres s’est poursuivie au cours des trois ans et demi suivants. Les représentants de l’employeur ont répondu à beaucoup de questions et de préoccupations du fonctionnaire par écrit, au téléphone et en personne. Plusieurs certificats médicaux ont été reçus et des consultations avec Santé Canada ont eu lieu. L’employeur a continué de recevoir des renseignements contradictoires sur la capacité du fonctionnaire de rentrer au travail. C’est seulement lorsqu’il est devenu clair que la résolution du problème ne progressait pas que l’employeur a envoyé au fonctionnaire une lettre l’avisant que l’on recommandait son licenciement pour incapacité (pièce 1, onglet 42).

82 Le fonctionnaire a témoigné que, lorsqu’il est à la retraite pour des raisons médicales, il reçoit environ 70 % de son salaire. Son congé sans solde de 10 ans ajoutait à ses années de service ouvrant droit à pension – il avait au total 28 ans de service ouvrant droit à pension s’il se trouvait un jour dans une situation l’obligeant à retirer sa pension, à laquelle il a maintenant droit car il a plus de 55 ans.

83 Au moment de sa démission, le fonctionnaire était incapable de travailler et n’était pas sur une liste d’attente de greffe de rein. Il ne figurait pas sur la liste de 2008 au 20 avril 2012 (pièce 2). Lorsqu’une décision a été prise de recommander son licenciement pour incapacité, il n’y avait aucune possibilité de retour au travail soutenu par des mesures d’adaptation et aucune anticipation raisonnable que la santé du fonctionnaire s’améliore bientôt. Plutôt que de se faire licencier, le fonctionnaire a opté pour demander une retraite pour des raisons médicales, appuyée par un certificat médical de son médecin, et a remis sa lettre de démission.

84 Selon une loi bien établie, l’employeur a accordé au fonctionnaire des mesures d’adaptation allant au-delà de la limite des contraintes excessives. Les griefs et la demande de dommages devraient être rejetés.

85 Les autres cas mentionnés par l’employeur incluaient les suivants : Cie minière Québec Cartier c. Québec (Arbitre des griefs), [1995] 2 RCS 1095; English-Baker c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 24; Gauthier c. Conseil du Trésor (Comité des griefs des Forces canadiennes) et Administrateur général (Comité des griefs des Forces canadiennes), 2012 CRTFP 102; McCormick c. Conseil du Trésor (Transports Canada), [1995] C.R.T.F.P.C. no 92 (QL).

V. Motifs

86 L’employeur a prétendu que je n’avais pas la compétence pour entendre cette affaire en raison de la nature des griefs déposés. Le fonctionnaire tente essentiellement de faire annuler son avis de retraite pour des raisons médicales. Les deux présents griefs ont été présentés en vertu de l’alinéa 209(1)a) et du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi. Les griefs sont en lien avec la retraite pour des raisons médicales du fonctionnaire, bien que le fonctionnaire prétende maintenant qu’ils concernent tous deux un licenciement non-disciplinaire déguisé. Le fonctionnaire affirme que le fond de ces griefs est lié à un licenciement forcé dû à l’absence de mesures d’adaptation par l’employeur malgré la demande du fonctionnaire, ce qui n’a laissé à ce dernier nul autre choix que de prendre sa retraite pour des raisons médicales.

87 Il est clair, d’après ses formules de grief qui ont lancé la procédure, que le fonctionnaire cherche à être réintégré à son poste auprès de l’employeur et à être autorisé à demeurer en congé sans solde jusqu’à la fin de son invalidité. Les griefs contestent essentiellement la cessation de son emploi et réclament sa réintégration à son poste. Un avis de cessation d’emploi est de facto une démission volontaire. Le fonctionnaire a quitté son emploi de son propre chef pour s’assurer un revenu. Il s’agissait de son choix parmi les trois proposés par l’employeur. Il ne s’agit pas d’une demande de mesures d’adaptation, comme il a été dit à l’audience. Il était clair lors de l’audience que le fonctionnaire n’était pas d’accord avec la décision de l’employeur de lui refuser de poursuivre son congé. Il ne s’agissait cependant pas de l’enjeu faisant l’objet du grief; c’était plutôt son licenciement.

88 Le fonctionnaire a soutenu qu’il a été forcé à prendre sa retraite pour des raisons financières. Il craignait de se retrouver sans revenu si l’employeur procédait à un licenciement sans faute, comme le recommandait l’administrateur général. Il a donc préféré suivre la recommandation de son conseiller syndical et prendre sa retraite sous toute réserve. L’effet de sa démission est de lui donner droit à une pension médicale, qu’il conservera jusqu’à ce qu’il reçoive sa pension ordinaire. Si l’employeur avait accepté de prendre des mesures d’adaptation, tel qu’il a été argumenté lors de l’audience, le fonctionnaire serait demeuré officiellement employé chez son employeur, mais en congé sans solde grandement prolongé.

89 Burchill exige que je m’en tienne aux griefs présentés par le fonctionnaire à l’employeur au dernier palier du processus de règlement des griefs. Dans le cas présent, ces griefs touchent au mécontentement du fonctionnaire quant à l’option de retraite pour des raisons médicales qu’il a sélectionné et qui a marqué la fin de son emploi chez l’employeur. Le fonctionnaire ne peut pas, au moment présent, ajouter une nouvelle déclaration pour violation de la LCDP dans le seul but de me conférer la compétence de traiter de l’affaire. Le fonctionnaire [traduction] « conteste la retraite pour des raisons médicales que TPSGC [ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux] l’a forcé à prendre pour s’assurer un revenu alors qu’il attendait une greffe de rein ». Il a également allégué que le maintien du statu quo n’aurait occasionné à l’employeur aucune contrainte excessive. À titre de redressement, il a demandé [traduction] « d’être réintégré comme employé de TPSGC en congé sans solde jusqu’à ce que j’aie reçu ma greffe de rein, moment auquel je reviendrai à mon poste d’attache et reprendrai mes responsabilités à TPSGC ».

90 Le représentant du fonctionnaire a soutenu que l’employeur connaissait clairement la nature des griefs et que le fonctionnaire ne devrait pas être pénalisé en étant limité au libellé exact de ces griefs. Il est clair, selon le représentant du fonctionnaire, que le fond des griefs est le manquement de l’employeur à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire, ce qui va à l’encontre de l’article 19 de la convention collective et de l’article 7 de la LCDP.

91 Je ne suis pas d’accord. Ce qui est clair, c’est que le fonctionnaire cherche à faire annuler sa démission, qu’il a soumise à son employeur. Il comprenait la nature et les conséquences de ses actions et s’est affairé à obtenir une pension médicale pour se garantir un revenu jusqu’à ce qu’il soit admissible à sa pension ordinaire, ce qui démontre son intention de mettre fin à son emploi.

92 Essentiellement, le fonctionnaire alléguait que, si ce n’était de l’intention de l’employeur de le licencier pour incapacité, il n’aurait pas pris sa retraite pour des raisons médicales. La retraite est une coupure unilatérale de la relation d’emploi de la part d’un employé. À mon avis, il s’agit d’une démission volontaire, décrite comme suit par l’article 63 de la LEFP :

63. Le fonctionnaire qui a l’intention de démissionner de la fonction publique en donne avis, par écrit, à l’administrateur général; il perd sa qualité de fonctionnaire à la date précisée par écrit par l’administrateur général au moment de l’acceptation indépendamment de la date de celle-ci.

93 L’article 63 indique clairement que la conséquence d’une démission est la perte du statut d’employé à la date où l’administrateur général accepte la démission par écrit. Par conséquent, les conséquences d’une démission acceptée par l’administrateur général sont les mêmes que pour toute autre cessation d’emploi en vertu de la LEFP, lorsque la personne perd son statut d’employé.

94 L’article 211 de la Loi m’interdit précisément toute compétence dans toute cessation d’emploi en vertu de la LCDP. Accepter la démission du fonctionnaire et sa demande de retraite pour des raisons médicales était du ressort de l’administrateur général en vertu de l’article 63 de la LCDP, et je n’ai pas la compétence pour revoir cette décision. Les deux griefs concernent la retraite pour des raisons médicales du fonctionnaire. Ni l’un ni l’autre n’ont été déposés au motif d’un manquement allégué de l’employeur de prendre une mesure d’adaptation en permettant au fonctionnaire de demeurer en congé sans solde.

95 Pour que l’affaire relève de ma compétence, le fonctionnaire devait me persuader qu’elle portait sur une question visée à l’alinéa 209(1)a) ou au sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi, et non à la LCDP. Comme la retraite pour des raisons médicales est un type de cessation d’emploi exclu par l’article 211 de la Loi, je n’ai pas la compétence en ce qui concerne le sous-alinéa 209(1)c)(i). Je n’ai pas non plus la compétence à l’égard d’une violation de la convention collective en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. Les griefs prétendent que le fonctionnaire a été forcé à la retraite, mais celui-ci ne demande nul autre redressement que sa réintégration; autrement dit, que je l’autorise à rétracter sa démission. Il n’a demandé ni mesures d’adaptation, ni dommages en vertu de la LCDP, lesquels ont été évoqués lors de l’audience. Il est clair que la discrimination alléguée est inextricablement liée à la démission et non, comme l’a prétendu le fonctionnaire, au refus de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation. En vertu de la LCDP, il est possible de réclamer la réintégration en tant que redressement. Les redressements proposés par la Loi sont également permis. Cela constitue une indication supplémentaire de la véritable nature des présents griefs.

96 Je trouve digne de mention que le fonctionnaire ait déposé ses griefs un mois après sa démission et les ait fait rédiger par son représentant syndical, qui était un conseiller en relations de travail expérimenté. Il était trop tard lors de l’audience pour argumenter que l’objet des griefs n’était pas la démission forcée, mais plutôt le traitement du fonctionnaire par son employeur lors des années ayant mené à sa décision de prendre sa retraite pour des raisons médicales. Le fonctionnaire ne pouvait pas changer le fond de ses griefs en argumentant à l’audience que l’employeur avait failli à son obligation de prendre des mesures d’adaptation et qu’il avait droit à des dommages en vertu de la LCDP. L’essentiel des griefs est que le fonctionnaire a mis fin à son propre emploi en prenant sa retraite pour des raisons médicales.

97 Les griefs portent sur la démission du fonctionnaire et sur son mécontentement d’avoir dû décider de démissionner pour des raisons médicales, et non sur les faits qui ont mené à cette démission, comme le manquement allégué de l’employeur à son obligation de prendre des mesures d’adaptation. La discussion de ces faits est secondaire au sujet central des griefs. À l’audience, le représentant du fonctionnaire a mentionné à maintes reprises que les griefs concernaient les circonstances entourant la démission. Bien que les griefs identifient les enjeux qui ont poussé le fonctionnaire à prendre sa retraite pour des raisons médicales et mentionnent la déception du fonctionnaire de ne pas pouvoir rester en congé sans solde, cela ne suffit pas à changer la nature des griefs. De plus, comme il a été noté plus haut, le fonctionnaire avait un représentant syndical chevronné pour l’aider, et il aurait pu déposer un grief contestant le manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, mais ne l’a pas fait. Comme j’ai déterminé que l’employeur n’a pas licencié le fonctionnaire, mais que le fonctionnaire a volontairement mis fin à sa relation d’emploi en prenant sa retraite pour des raisons médicales, les allégations de discrimination sont également hors de mon champ de compétence car l’article 211 de la Loi m’interdit de traiter des affaires relevant de l’article 63 de la LEFP.

98 Le fonctionnaire a également soutenu que l’employeur enfreignait la LCDP en enquêtant sur une liste de personnes en congé sans solde. Un tel geste allait à l’encontre de l’article 19 de la convention collective et était discriminatoire, en violation de l’article 7 de la LCDP. Je ne suis pas d’accord. Dans sa lettre du 27 octobre 2005 au fonctionnaire, M. DeRepentigny n’a pas fermé la porte à d’autres discussions sur la possibilité d’un retour au travail du fonctionnaire ou de l’examen d’autres options. De plus, cette situation diffère de celle de Sketchley. Les présents faits démontrent que l’employeur n’a pas usé d’une approche systématique. Il a plutôt fait plusieurs efforts pour explorer des options avec le fonctionnaire. De plus, lorsque l’employeur est entré en contact avec le fonctionnaire, celui-ci était déjà absent depuis environ six ans; lorsque le fonctionnaire a remis sa démission pour des raisons médicales, quatre années supplémentaires s’étaient écoulées.

99 Pour tous ces motifs, bien qu’une partie du libellé du grief fasse référence à des contraintes excessives et à de la discrimination, je suis d’avis que l’essentiel des deux griefs touche à la retraite pour des raisons médicales du fonctionnaire et ne relève donc pas de ma compétence.

100 Par mesure de prudence, bien que ni l’une ni l’autre des parties n’ait allégué une quelconque supercherie ou camouflage, je détermine qu’aucune preuve ne suggère, même indirectement, que l’employeur soit coupable de supercherie ou de camouflage à l’encontre du fonctionnaire pour le faire démissionner. Pour cette raison également, je n’ai pas la compétence relativement à ces deux griefs.

101 À des fins d’élaboration, tant le grief présenté en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi que celui présenté en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) touchent à la décision du fonctionnaire de prendre sa retraite pour des raisons médicales. Le grief présenté en vertu de l’alinéa 209(1)a) est inextricablement lié à celui alléguant une cessation d’emploi forcée ou camouflée en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i). Dans un cas comme dans l’autre, si la preuve est insuffisante pour établir que la retraite représente une supercherie ou un camouflage, je n’ai pas la compétence pour entendre les griefs.

102 J’ai entendu, de la part des deux parties, des preuves substantielles sur le processus de prise de mesures d’adaptation. Ces efforts ont eu lieu sur une longue période, au cours de laquelle le congé sans solde du fonctionnaire a été prolongé. Le fonctionnaire a été incapable d’établir qu’il y avait quelque supercherie ou camouflage dans la manière dont le processus de prise de mesures d’adaptation a été mené.

103 Les éléments de preuve déposés au nom du fonctionnaire portaient sur le processus décisionnel ayant mené à sa démission. Son témoin et lui ont maintes fois déclaré qu’il ne voulait pas démissionner, mais qu’il se sentait forcé à le faire par les circonstances. De mon point de vue, il s’agissait de sa décision. Il n’a pas été forcé à démissionner, bien que l’employeur jugeait qu’il était dans son intérêt de le faire. Cela semble une conclusion raisonnable étant donné l’absence de 10 ans du fonctionnaire de son lieu de travail et les renseignements médicaux qu’il a fournis qui ne donnaient aucune idée claire de ses capacités ou de sa date prévue de retour et le déclaraient complètement invalide avant et au moment de sa démission.

104 La décision de l’employeur a été prise à la suite de plusieurs années d’efforts pour explorer la possibilité d’un retour au travail du fonctionnaire et la manière de procéder à cet égard. Une évaluation du 25 juillet 2008 de Santé Canada a modifié une recommandation antérieure en faveur d’un retour graduel au travail, car le médecin en santé du travail s’est trouvé incapable d’obtenir consensus de la part des fournisseurs de soins du fonctionnaire. Le 19 septembre 2008, le fonctionnaire a indiqué qu’il voulait maintenir le statu quo. Un rapport médical subséquent, en date du 23 octobre 2008, a indiqué que la santé du fonctionnaire avait [traduction] « considérablement empirée » depuis deux ans, alors que le médecin auteur du rapport était l’un de ses médecins traitants, et que l’on ne pouvait prédire quand une greffe serait possible. Le fonctionnaire a aussi témoigné qu’il n’était pas sur une liste d’attente pour greffe de 2008 à 2010. Je note également que le 7 novembre 2008, M. Spencer a fait référence au rapport du 23 octobre 2008 et commenté qu’un retour au travail du fonctionnaire en attendant un rein pourrait nuire à la santé de celui-ci et réduire son espérance de vie sans greffe; et, par conséquent, qu’il ne pouvait pas recommander un retour graduel de quelque sorte que ce soit pendant que le fonctionnaire attendait sa greffe.

105 Une grande partie de la jurisprudence soumise par les parties sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation comporte le principe implicite que cette obligation n’est ni absolue ni d’une durée indéfinie. Un employeur a le droit d’organiser son lieu de travail. Cela signifie qu’il peut prédire ses besoins en dotation et affecter ses ressources en conséquence. Un examen de ces besoins est essentiellement ce qui s’est passé dans le cas présent, et une décision a été prise quant à la poursuite de l’emploi de M. Mutart. Trois options lui ont été proposées et chacune était acceptable pour l’employeur.

106 Il est raisonnable pour un employeur de demander un pronostic pour l’aider à évaluer l’affectation de ses ressources à son lieu de travail. Au cours de ce processus, l’employeur doit considérer s’il est ou non capable de prendre ou de maintenir des mesures d’adaptation pour un employé absent depuis longtemps. Le moment où la longueur du congé devient inacceptable dépend des détails de chaque cas. Dans le cas présent, l’employeur a agi de façon raisonnable face à un employé en congé sans solde depuis 10 ans et attendant une greffe de rein depuis 14 ans au moment de l’audience. Il y a eu plusieurs tentatives de prendre des mesures d’adaptation, dont certaines semblaient très près d’être menées à bien et touchaient surtout aux besoins individuels du fonctionnaire quant à un retour graduel au travail. C’est le fonctionnaire qui avait besoin de reporter indéfiniment ces possibilités. Chaque report alimentait l’incertitude quant à la capacité de M. Mutart de pouvoir un jour rentrer au travail et au temps que l’employeur devrait attendre son retour. Au moment de l’audience, il n’y avait toujours aucune possibilité que le fonctionnaire puisse revenir, ni indication de quand.

107 Le fonctionnaire a mentionné Naccarato et Masonite à l’appui de ses arguments sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Dans la décision de la Cour Suprême du Canada dans Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, la Cour a clairement noté que si les caractéristiques d’une maladie sont de nature à nuire excessivement au fonctionnement correct de l’organisation ou qu’un employé atteint d’une telle maladie reste incapable de travailler dans un avenir raisonnablement rapproché malgré des mesures d’adaptation de la part de l’employeur, l’employeur aura satisfait au critère (paragraphe 18).

108 Dans McGill, la Cour Suprême du Canada a consulté plusieurs clauses de congé sans solde négociées. Bien que le cas du fonctionnaire ne traite pas de clauses de congé sans solde négociées, certaines des observations de la Cour sont dignes de mention, car la question examinée par la Cour concernait une clause de licenciement automatique après seulement trois ans. À la suite d’un examen individualisé et contextuel, la clause a été jugée raisonnable par toute la Cour. La décision majoritaire était que les contraintes excessives causées par l’absence de l’employé doivent être évaluées dans leur ensemble à partir du début de l’absence, et non à partir de l’expiration de la période de trois ans. Jugeant que cette clause constituait un accommodement raisonnable, la majorité a aussi conclu en observant que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’était ni absolue ni illimitée. L’employé a un rôle à jouer dans les tentatives d’atteindre un compromis raisonnable. La décision minoritaire, pour sa part, a déterminé que la clause elle-même n’était pas discriminatoire et, par conséquent, qu’une analyse de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’était pas nécessaire. La minorité a noté que la clause des trois ans ne visait pas des individus de manière injuste ou arbitraire en raison de leur invalidité et que la clause offrait un juste milieu entre les attentes légitimes de l’employeur et celles de l’employé. La minorité a également déclaré qu’il n’y avait rien de fondamentalement discriminatoire dans une clause de licenciement automatique après une période raisonnablement longue, en particulier si la protection qui en résulte est nettement plus longue que ne le prescrivent les lois applicables de normes d’emploi. Je juge que, dans le cas présent, il y a assez de preuves pour soutenir l’argument selon lequel le délai de 10 ans avant que l’employeur n’exige un choix de la part du fonctionnaire n’était pas du tout déraisonnable.

109 À la lumière des témoignages et des preuves documentaires devant moi et de l’argument entendu en tant qu’objection préliminaire, j’en conclus que je n’ai pas la compétence, car la cessation d’emploi du fonctionnaire s’inscrit dans les dispositions de la LEFP, et le fonctionnaire n’a présenté aucun argument ou preuve suggérant que l’employeur soit coupable de fraude, de supercherie, de camouflage ou de mauvaise foi.

110 Comme dans beaucoup d’audiences de la Commission, les preuves présentées à l’appui des arguments sur la compétence sont synonymes des preuves concernant le bien-fondé. Si l’arbitre de grief détermine qu’il a la compétence quant aux questions soulevées par le fonctionnaire s’estimant lésé, ces mêmes preuves sont évaluées d’après le bien-fondé du grief renvoyé à l’arbitrage. Les preuves et l’argument relatifs à la compétence présentés par les deux parties dans le cas présent chevauchent la question clé sur le bien-fondé, soit de savoir si l’employeur s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire. Je suis également d’avis que, même si j’avais eu la compétence dans cette affaire, les faits de ce cas et les observations formulées quant à la discrimination et à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation démontrent que l’employeur avait pris des mesures d’adaptation au point de subir des contraintes excessives.

111 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

112 L’objection préliminaire de l’employeur concernant la compétence est accueillie.

113 Les griefs sont rejetés.

Le 1er août 2013.

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,
arbitre de grief

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