Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont contesté la décision de l’employeur de ne pas leur rembourser les frais de déplacement et de ne pas leur payer les indemnités de repas lorsqu'ils étaient en détachement - l’arbitre de grief a estimé que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas droit au remboursement des frais de déplacement ni aux indemnités de repas selon la Directive sur les voyages du Conseil national mixte, qui était incorporée dans leurs conventions collectives - en outre, les ententes de détachement des fonctionnaires s’estimant lésés prévoyaient que ces derniers n’avaient pas droit au remboursement de leurs frais de déplacement ni aux indemnités de repas - l’arbitre de grief était également d'avis que le remboursement des frais de déplacement et le versement des indemnités de repas n’avaient pas été préalablement autorisés par l’employeur - finalement, l’arbitre de grief a jugé qu’il n’y avait pas de préclusion promissoire, puisqu’il n’y avait pas de promesse claire et mon équivoque de remboursement des frais de déplacement ou de versement d’indemnités de repas sur laquelle les fonctionnaires s’estimant lésés se seraient fiés à leur détriment. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-08-01
  • Dossier:  566-02-5661 et 5662
  • Référence:  2013 CRTFP 91

Devant un arbitre de grief


ENTRE

IAN HAMILTON ET LINDA HUTCHINSON

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Hamilton et Hutchinson c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret T.A. Shannon, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Abudi Awaysheh, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Christine Langill, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 21 mars et 7 juin 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Ian Hamilton et Linda Hutchinson, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») avaient, pendant toute la période pertinente, accepté un détachement à un poste de gestionnaire de cours, classifié au groupe et niveau AS-05, au Centre d’apprentissage en gestion correctionnelle (le « CAGC »), exploité par le Service correctionnel du Canada (le « SCC »). Les détachements étaient de trois ans, durant lesquels les fonctionnaires n’étaient pas appelés à se rendre à leur lieu de travail régulier. M. Hamilton occupait un poste d’éducateur (ED) à l’Établissement de Joyceville, exploité par le SCC, à Kingston (Ontario). Mme Hutchinson occupait un poste classifié au groupe et niveau PE-03 au quartier général de la Défense nationale du ministère de la Défense nationale, à Ottawa. Les fonctionnaires demandent le remboursement de leurs frais de repas et de déplacement à leur lieu de travail de détachement situé à Cornwall, en Ontario, conformément à la Directive sur les voyages du Conseil national mixte (CNM) (la « Directive sur les voyages »).

2 À toute époque pertinente aux griefs en question, M. Hamilton était membre de l’unité de négociation Enseignement et bibliothéconomie et visé par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada : Enseignement et bibliothéconomie (tous les employé(e)s), venant à échéance le 30 juin 2011. Mme Hutchinson était membre de l’unité de négociation Services des programmes et de l’administration et visée par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada : Services des programmes et de l’administration (tous les employé(e)s), venant à échéance le 20 juin 2011. Les deux conventions collectives précitées contiennent un libellé identique incorporant des ententes intervenues avec le CNM, notamment la Directive sur les voyages.

II. Résumé de la preuve

3 À l’époque pertinente à son grief, M. Hamilton résidait à Brockville (Ontario), à une distance approximative de 77 kilomètres du CAGC. En mai 2007, M. Hamilton a accepté un détachement au CAGC et a signé une entente dans laquelle il était expressément prévu que [traduction] « […] les frais de déplacement de la résidence au CAGC ainsi qu’au retour ne sont pas remboursés » (pièce 2, onglet 9). À l’instar de M. Hamilton, Mme Hutchinson a également accepté une offre de détachement au CAGC et signé une entente de détachement contenant la même disposition au sujet du remboursement des frais de déplacement entre le CAGC et sa résidence que celle dans l’entente de détachement de M. Hamilton (pièce 2, onglet 10). Les deux ententes de détachement précitées ont été reconduites pour les années suivantes.

4 Le 4 décembre 2008, les fonctionnaires ont reçu un courriel de M. Denis Barbe, le directeur par intérim du CAGC, les informant qu’ils pourraient avoir droit au remboursement de leurs frais de déplacement de leur domicile au CAGC ainsi qu’au versement de l’indemnité de repas pour les journées où ils travaillaient au CAGC. M. Barbe y avait joint une note de service portant sur l’application de la Directive sur les voyages à l’égard des employés du SCC de la région du Québec. M. Barbe a informé les fonctionnaires qu’ils [traduction] « […] pouvaient être touchés par cette interprétation. Plusieurs employés reçoivent présentement des montants, et on parle de milliers de dollars […] » (pièce 2, onglet 18).

5 À la suite du courriel de M. Barbe, les fonctionnaires lui ont transmis leurs demandes d’indemnité de déplacement couvrant leur période d’affectation au CAGC. M. Hamilton a présenté sept (7) demandes d’indemnité de déplacement et de repas pour la période durant laquelle il était en service commandé entre sa résidence et son lieu de travail, et ce, rétroactivement à partir de la date du début de son détachement au CAGC. Au total, sa demande de remboursement se chiffrait à 34 819,41 $ (pièce 2, onglet 6). Mme Hutchinson a présenté quatorze (14) demandes d’indemnité de déplacement et de repas pour la période durant laquelle elle était en service commandé, et ce, rétroactivement à partir de la date du début de son détachement au CAGC. Sa demande de remboursement se chiffrait à 20 036,10 $ (pièce 2, onglet 7). Dans les deux cas, le lieu de travail auquel ils étaient détachés, soit le CAGC, se trouvait plus près de leur résidence respective que leur lieu de travail habituel.

6 Les 30 et 31 mars 2009, toutes leurs demandes ont été approuvées aux fins de paiement par M. Barbe puis transmises pour traitement au service des comptes créditeurs. Le SCC a consulté le Secrétariat du Conseil du Trésor (le « SCT ») pour vérifier si la note de service se rapportant à la région du Québec qui avait été communiquée aux fonctionnaires par M. Barbe s’appliquait effectivement à leur situation. L’avis du SCT à cet égard, fourni en février 2009, mentionnait que puisque les fonctionnaires avaient signé une entente de détachement excluant expressément le remboursement des frais de déplacement engagés en raison du changement de leur lieu de travail et qu’ils n’étaient pas en service commandé, les demandes devraient être refusées. Le SCC a communiqué cet avis aux fonctionnaires. M. Barbe a tenté d’intervenir en leur faveur le 31 mars 2009, mais la décision de refuser leur demande a été maintenue (pièce 1, onglet 10).

7 M. Steven Fiore, directeur, Planification financière et budgets, SCC, a témoigné au sujet du processus ayant permis d’établir que les fonctionnaires n’avaient pas droit à l’indemnité de déplacement entre leur résidence respective et le CAGC à Cornwall ni à l’indemnité de repas durant la période de leur détachement à cet établissement. Il a notamment fait valoir qu’il avait l’autorité de refuser le paiement d’une demande d’indemnité de déplacement qui n’avait pas été dûment autorisée ou qui n’était pas visée par les dispositions de la Directive sur les voyages. L’objet de la Directive sur les voyages est d’établir la norme de ce qui peut être remboursé aux fonctionnaires en service commandé.

8 La Directive sur les voyages vise à faire en sorte que les fonctionnaires n’aient pas à subir une perte lorsqu’ils sont en service commandé. Aucun des deux fonctionnaires n’avait subi de perte; en fait, leur trajet entre leur résidence et leur lieu de travail avait été considérablement réduit, si bien que cela leur a permis de réaliser des économies.

9 Selon la définition, lorsqu’un fonctionnaire voyage en service commandé, il ou elle se rend à un lieu de travail différent de son lieu de travail régulier, afin d’y représenter un ministère ou un organisme gouvernemental ou pour y effectuer du travail pour le compte de ce ministère ou de l’organisme gouvernemental en question. Dans le cas des fonctionnaires, en signant l’entente de détachement, leur lieu de travail est devenu le CAGC; ils ne faisaient que voyager tous les jours pour se rendre à leur lieu de travail et en revenir, ce qui ne correspond pas à la définition de voyage en service commandé. Dans des circonstances particulières, les déplacements pour se rendre au travail et en revenir peuvent donner droit au remboursement des frais de déplacement, par exemple lorsque le lieu de travail est changé parce qu’il n’est pas accessible ou lorsque l’employeur assigne l’employé à un autre lieu de travail pour des raisons opérationnelles. Dans les deux cas, le changement du lieu de travail est indépendant de la volonté du fonctionnaire. La note de service concernant la région du Québec invoquée par les fonctionnaires et que M. Barbe leur avait communiquée s’appliquait de façon spécifique à la région administrative du Québec du SCC et visait à satisfaire des nécessités du service propres à cette région. Il ne s’agissait pas d’une directive nationale à l’intention de tous les employés du SCC.

10 Sur la foi de ces renseignements, et après moult consultations, M. Fiore a refusé les demandes de remboursement des fonctionnaires (pièce 1, onglet 9, et pièce 2, onglet 18), malgré le fait que M. Barbe en ait autorisé le paiement et soit intervenu en leur nom. Le paiement des frais de voyage doit avoir été autorisé à l’avance, en principe, sauf dans des circonstances particulières qui ne s’appliquaient pas à la situation en l’espèce. M. Barbe a autorisé le paiement après le fait, et non avant les déplacements en question, contrairement à ce qui est prévu par la Directive sur les voyages. Selon M. Fiore, M. Barbe a contrevenu à la Loi sur la gestion des finances publiques (la « LGFP »), L.R.C., (1985), ch. F-11, lorsqu’il a autorisé les paiements aux fonctionnaires, allant également à l’encontre de la décision du SCT et en violation de la politique existante à cet égard.

11 Le service des Finances du SCC avait le pouvoir d’annuler l’autorisation de paiement de M. Barbe, ce qu’ils ont fait, au motif que les fonctionnaires n’avaient subi aucune perte, qu’ils n’étaient pas en service commandé. De plus, les fonctionnaires avaient tous deux signé des ententes de détachement prévoyant expressément qu’ils n’auraient pas droit au remboursement des frais de déplacement pour se rendre au CAGC et revenir chez eux, et que les frais engagés concernaient le déplacement pour se rendre au travail et en revenir ainsi que les frais pour les repas pendant leurs heures de travail.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires

12 Les fonctionnaires n’ont jamais été avisés avant l’audience que leurs demandes d’indemnité de déplacement n’avaient pas été autorisées. Les décisions du CNM rendues au dernier palier de la procédure de règlement des griefs ne mentionnaient pas si les demandes avaient été dûment autorisées ou non. Ce n’est que lors du témoignage de M. Fiore que la question à savoir si leurs demandes étaient autorisées ou non a été portée à l’attention des fonctionnaires pour la première fois. Il s’agissait là d’un abus de pouvoir de la part de l’employeur, car l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») aurait traité le dossier différemment si elle avait su que l’autorisation des demandes d’indemnité de déplacement en était l’enjeu.

13 À titre de directeur par intérim du CAGC, M. Barbe était dûment habilité à approuver les acomptes. Il a approuvé les demandes des fonctionnaires et le paiement devait donc être effectué. Leur approbation après le fait ne devrait pas en empêcher le paiement, car la Directive sur les voyages prévoit explicitement qu’un voyage peut être approuvé après le déplacement s’il n’était pas possible de l’approuver avant ou si le fonctionnaire voyage fréquemment.

14 L’employeur a une certaine souplesse pour accepter ou non une demande lorsque le voyage a lieu sans avoir été dûment approuvé. L’agent négociateur n’a pas été informé que le directeur par intérim avait outrepassé ses pouvoirs. L’argumentation des fonctionnaires tout au long de la procédure de règlement des griefs reposait plutôt sur la période pendant laquelle un fonctionnaire pouvait être en service commandé.

15 Après avoir initié les demandes d’indemnité par l’envoi de son courriel (pièce 1, onglet 9 et pièce 2, onglet 18) aux fonctionnaires, et après avoir approuvé le paiement de ces demandes les 30 et 31 mars 2009, et ce, après avoir reçu l’interprétation du SCT en février 2009, M. Barbe a rédigé une note de service à l’appui de sa décision, faisant valoir des enjeux comme le recrutement d’effectifs et le moral des employés travaillant au CAGC (pièce 1, onglet 10). La note de service faisait notamment état de l’équité dans le traitement des employés et de l’application irrégulière de la Directive sur les voyages. Il y a indiqué avoir approuvé le paiement entre autres pour favoriser un meilleur milieu de travail.

16 Il n’y a aucune raison d’exclure l’application de la Directive sur les voyages à la situation des fonctionnaires faisant la navette entre leur résidence et le CAGC parce que leurs demandes auraient été approuvées après le fait. On ne peut s’appuyer sur les ententes de détachement, car elles constituent une tentative par l’employeur de se soustraire aux dispositions de la convention collective applicable aux fonctionnaires. L’agent négociateur n’était pas partie à ces ententes de détachement. Or, le consentement de l’agent négociateur est requis à toute entente ayant pour but de modifier les conditions d’emploi des membres de l’unité de négociation.

17 Un arbitre de grief a le pouvoir d’ordonner le remboursement des frais de déplacement prévus à la Directive sur les voyages même si l’employeur ne les a pas approuvés (voir Baird et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2012 CRTFP 117). Dans cette affaire, l’employeur pouvait autoriser les paiements en vertu de son pouvoir discrétionnaire, mais il a choisi de ne pas le faire. Lorsque les fonctionnaires ont été affectés au CAGC, ils ont alors été affectés à un lieu de travail temporaire tel qu’il est défini dans Allain et Fraser-Layes c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2009 CRTFP 54. Un lieu de travail temporaire n’est pas un lieu de travail permanent. Il était prévu que les fonctionnaires retourneraient à leur lieu de travail permanent respectif à l’expiration de leur entente de détachement; il s’ensuit que le CAGC était leur lieu de travail temporaire, et qu’ils étaient donc en service commandé lorsqu’ils se rendaient au travail et en revenaient.

18 Lamothe et al. c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 60, fait jurisprudence sur la question de l’autorisation de tels paiements lorsque les dépenses ont été engagées afin de fournir un meilleur service à la clientèle et si l’employeur en a bénéficié. Dans cette affaire, la présence et l’assiduité des fonctionnaires au CAGC ont bénéficié à l’employeur et ces frais auraient donc dû être approuvés et acquittés par l’employeur. Il convient d’adopter le raisonnement de l’arbitre de grief dans Lamothe et. al. et de l’appliquer à la présente affaire, en dépit du fait que la décision ait été annulée lors de son contrôle judiciaire par la Cour fédérale puis par la Cour d’appel fédérale.

19 La notion de voyage en service commandé a été définie dans Clerveaux et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 7, aux paragraphes 32 et 33. La Directive sur les voyages ne s’applique pas aux personnes dont les voyages sont régis par d’autres autorités. Il n’y a aucune raison d’exclure l’application de la Directive sur les voyages des déplacements pour aller et revenir du lieu de travail lorsque le voyage a été autorisé après le fait, puisqu’un voyage en service commandé est défini comme étant tout voyage en service commandé autorisé par l’employeur. En l’occurrence, M. Barbe avait approuvé le paiement de ces déplacements, ce qui fait en sorte qu’il s’agissait de déplacements correspondant à la définition d’un voyage en service commandé pour lequel le paiement d’une indemnité est prévu. L’employeur ne peut se prévaloir des ententes de détachement pour éviter le versement des indemnités, car elles auraient alors pour effet de le soustraire aux dispositions de la convention collective.

20 Le refus des demandes d’indemnité de déplacement est directement lié à l’application de l’article 36 de la convention collective visant M. Hamilton, et de l’article 7 de la convention collective visant Mme Hutchinson, lesquels incorporent la Directive sur les voyages. Les fonctionnaires ont consacré beaucoup de leur temps à se déplacer pour se rendre à leur nouveau lieu de travail et en revenir. À la différence de Wurdell c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2002 CRTFP 27, les fonctionnaires avaient toujours accès à leur lieu de travail permanent respectif. Par ailleurs, s’ils avaient su que leurs demandes d’indemnité initiées par M. Barbe n’avaient pas été approuvées, la situation aurait été toute autre. Le refus de l’employeur de verser les indemnités de déplacement malgré cette approbation constituait un abus de pouvoir. Par souci d’équité, il devrait être ordonné à l’employeur de verser les indemnités de déplacement. Les fonctionnaires ne s’attendaient certes pas à avoir droit à des indemnités de déplacement au début de leur nouvelle affectation, mais une fois que le remboursement de ces frais leur a été offert, on ne pouvait pas leur enlever. Cette situation peut être assimilée à celle où une personne donnerait quelque chose à une autre personne, puis le reprendrait ensuite. Diverses raisons ont été avancées durant la procédure de règlement des griefs pour justifier le fait d’enlever aux fonctionnaires le remboursement qui leur a été offert. Le fait que M. Barbe n’avait pas le pouvoir de le leur accorder ne figurait pas parmi les raisons invoquées.

21 Pour ces motifs, les griefs devraient être accueillis et, par conséquent, les demandes de remboursement présentées par les fonctionnaires et approuvées par M. Barbe devraient être acquittées.

B. Pour l’employeur

22 Selon Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), les fonctionnaires s’estimant lésés doivent clairement indiquer dans leur renvoi à l’arbitrage les questions devant y être tranchées. Ils ne peuvent invoquer que les questions soulevées dans le cadre de la procédure de règlement de leurs griefs. Dans ces cas, les éléments à l’appui de leurs griefs ne sont pas clairs. Pendant l’audience, leur représentant a invoqué la question de la préclusion. Afin d’avoir succès en soulevant la question de la préclusion promissoire, il faut qu’une promesse claire et non équivoque ait été faite aux fonctionnaires selon laquelle leurs frais de déplacement pour se rendre au CAGC de leur résidence et en revenir leur seraient remboursés. Le courriel de M. Barbe dans lequel ce dernier indiquait qu’ils [traduction] « pourraient » avoir droit à l’indemnité mentionnée dans la note de service pour la région du Québec ne mentionnait pas avec certitude qu’ils y auraient droit. Bien qu’il ait été souligné dans Légaré c. Canada (Conseil du Trésor) (1987), 76 N.R. 353 (C.A.) que la préclusion promissoire se fonde sur une interprétation de ce qui a été dit, les fonctionnaires doivent néanmoins établir l’existence d’une confiance préjudiciable relative à une promesse. En l’espèce, les fonctionnaires demandent un paiement rétroactif de deux années après avoir chacun posé leur candidature et accepté un poste au CAGC, notamment à la condition qu’ils n’avaient pas droit au paiement qu’ils tentent d’obtenir.

23 Aucun des deux fonctionnaires n’a remis en question son droit à des indemnités de déplacement lorsqu’il ou elle, selon le cas, a accepté son affectation au CAGC. Les deux ont continué à demeurer au même endroit et ont bénéficié d’un temps de déplacement plus court entre leur résidence respective et leur lieu de travail. Par ailleurs, Mme Hutchinson a également demandé le paiement d’indemnités de repas, bien qu’elle ait témoigné qu’elle se rendait chez elle le midi pour y prendre le déjeuner. Il était clairement énoncé dans les ententes de détachement initiales et leur renouvellement subséquent que les fonctionnaires n’avaient pas droit à des indemnités de déplacement en raison du changement de leur lieu de travail.

24 La note de service de la région du Québec, à l’origine de ces demandes d’indemnité, précisait les personnes visées par sa teneur et les conditions à respecter. Elle était en vigueur pendant une durée limitée. Même si la note de service s’était appliquée aux fonctionnaires, aucun des deux ne satisfaisait les conditions pour présenter une demande d’indemnité en vertu de ces dispositions. Par ailleurs, il ressort clairement de la preuve que la note de service en cause n’avait pas été approuvée par le SCT. Aucune preuve n’a été présentée pouvant laisser entendre qu’elle aurait été approuvée par le CNM. Il n’y a pas non plus de preuve établissant qu’elle ait été appliquée de manière uniforme ni qu’elle ait été connue du SCT. Or, il incombait aux fonctionnaires de démontrer que c’était le cas (voir Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, au paragraphe 71).

25 Aucune disposition de la Directive sur les voyages ne prévoit le paiement d’une indemnité de déplacement à un fonctionnaire pour se rendre à son lieu de travail régulier et en revenir. Faire la navette n’équivaut pas à un voyage en service commandé. Seuls les voyages dûment autorisés sont admis à un remboursement. À la rubrique « Objet et portée » de la Directive sur les voyages, il est indiqué que « [l]es dispositions de la présente directive sont impératives et prévoient le remboursement de dépenses raisonnables qui ont dû être engagées pendant un voyage en service commandé. Ces dispositions font en sorte que les fonctionnaires n'ont pas à engager des frais supplémentaires […] » Il incombe à l'employeur d'autoriser les voyages en service commandé et de déterminer s'il est nécessaire de voyager. De plus, il est prévu au paragraphe 1.1.3 de la Directive sur les voyages qu’une interprétation erronée ou une erreur découlant de l’administration de la Directive sur les voyages ne constituent pas un motif en vue d’un remboursement et doivent être examinées au cas par cas. Le SCC a procédé à un examen rigoureux des demandes d’indemnité des fonctionnaires, a consulté le SCT, a demandé un complément d’information des fonctionnaires à l’appui de leurs demandes et a établi qu’il n’était pas approprié de leur verser les indemnités demandées.

26 M. Fiore a témoigné qu’il n’y avait pas eu de changement relativement au lieu de travail des fonctionnaires qui aurait pu faire en sorte que leur situation soit visée par le paragraphe 1.9 de la Directive sur les voyages, lequel prévoit une durée maximale d’affectation de vingt-neuf (29) jours. D’ailleurs, l’employeur ne les a pas « assignés » au CAGC. Les fonctionnaires ont postulé à un poste et ont réussi un concours. Le CAGC est devenu leur nouveau lieu de travail pendant la durée de leur détachement respectif et de la prolongation de ceux-ci. Il n’était pas prévu que leur détachement soit pour une durée de 30 jours ou moins. La réinstallation au CAGC depuis leur lieu de travail permanent ne constituait pas un changement de leur lieu de travail aux termes du paragraphe 1.9 de la Directive sur les voyages et ne justifiait pas le paiement de leurs frais de déplacement. Ils se présentaient à leur lieu de travail régulier pendant toute la durée de leur détachement respectif.

27 Pour les motifs précités, il y a lieu de rejeter les griefs.

IV. Motifs

28 Les conventions collectives de M. Hamilton et de Mme Hutchinson énoncent les conditions d’emploi convenues entre l’agent négociateur des fonctionnaires et leur employeur. La Directive sur les voyages établit ce à quoi doit s’attendre un fonctionnaire voyageant en service commandé relativement aux normes régissant ce déplacement et les indemnités qui s’y rapportent. L’article 7 de la convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration y incorpore la Directive sur les voyages. L’article 36 de la convention collective du groupe Enseignement et bibliothéconomie inclut également la Directive sur les voyages. Ainsi, les dispositions régissant les voyages en service commandé sont réputées être des dispositions de la convention collective.

29 L’expression « voyage en service commandé » désigne tous les voyages autorisés par l'employeur. Elle est utilisée lorsque les circonstances dans lesquelles les dépenses ou les indemnités prévues dans la Directive sur les voyages peuvent être payées ou remboursées par les fonds publics. Lorsqu’un fonctionnaire est assigné temporairement à un autre lieu de travail, le paragraphe 1.9 de la Directive sur les voyages prévoit la période durant laquelle le fonctionnaire aura droit au remboursement de ses frais en lien avec ses déplacements à destination et en provenance de son lieu de travail temporaire :

1.9 Changement du lieu de travail (ne s'applique que dans la zone d'affectation)

1.9.1 Lorsqu'un fonctionnaire est assigné d'un lieu de travail permanent à un lieu de travail temporaire pour une durée de moins de 30 jours civils consécutifs, les dispositions de la présente directive doivent être suivies.

1.9.2 Lorsqu'un fonctionnaire est assigné d'un lieu de travail permanent à un lieu de travail temporaire, pour une durée de 30 jours civils consécutifs et plus, les dispositions de la présente directive doivent être suivies sauf si les conditions suivantes sont réunies : le fonctionnaire doit obtenir, par écrit, un préavis de 30 jours civils concernant le changement du lieu de travail. Dans les cas où le fonctionnaire n'est pas avisé par écrit du changement de lieu de travail, les dispositions de la présente directive doivent être suivies pour la durée du changement de lieu de travail jusqu'à concurrence de 60 jours civils […]

Les circonstances décrites par les fonctionnaires ne sont certes pas visées par ces dispositions. Ils n’ont pas été assignés au CAGC par leur employeur. Ils ont présenté une demande et obtenu un détachement au CAGC pour une période de plus de 30 jours. Leur entente de détachement indiquait clairement que leurs frais de déplacement pour se rendre à leur travail et en revenir ne seraient pas remboursés. C’est l’entente qui a été conclue lorsqu’ils ont entrepris leur nouvelle affectation au CAGC. Les deux réduisaient du coup leur temps de déplacement et bénéficiaient d’une nouvelle expérience de travail, plus près de leur résidence respective. Dans le cas de Mme Hutchinson, elle pouvait même aller déjeuner à la maison, ce qu’elle faisait.

30 Il est clair qu’une demande d’indemnité de déplacement doit être approuvée par la personne qui a l’autorité en vertu des articles 32 et 34 de la LGFP. Il est également clair que le service des Finances du SCC disposait du pouvoir d’annuler l’approbation en cause lorsqu’il a été découvert que l’approbation n’était pas conforme à la LGFP, à la Directive sur les voyages ou à la politique du ministère. La procédure normale en vue d’assurer le remboursement des frais de voyage consiste à faire approuver au préalable le déplacement. De toute évidence, cela n’a pas été le cas, puisque les ententes de détachement excluaient expressément le paiement des indemnités réclamées par les fonctionnaires et que les fonctionnaires demandaient le paiement rétroactif des indemnités sur une période de deux ans.

31 Les efforts de M. Barbe visant à aider ses employés étaient bien intentionnés, mais allaient au-delà des pouvoirs qui lui étaient conférés et de l’entente de détachement conclue entre les fonctionnaires et le SCC. Par ailleurs, il n’a pas promis aux fonctionnaires qu’on leur rembourserait leurs frais de déplacement; il n’a fait que leur signaler qu’en se fiant à la teneur de la note de service de la région du Québec, il y avait une possibilité qu’ils puissent obtenir un remboursement. Il ne s’agissait pas d’une promesse claire et non équivoque sur laquelle les fonctionnaires se sont appuyés. Ils avaient déjà commencé à travailler au CAGC, et ce, depuis quelque temps déjà, lorsqu’on a attiré leur attention sur l’existence de la note de service diffusée dans la région du Québec. Ils avaient déjà commencé à profiter des avantages inhérents au temps de déplacement plus court et à l’occasion de travailler au CAGC. La preuve à l’appui de la préclusion promissoire et de la confiance préjudiciable, avancée de manière générale par le représentant des fonctionnaires et tel qu’il est énoncé dans Légaré, est insuffisante.

32 Par ailleurs, si j’avais acquiescé à l’existence de conditions permettant de conclure à une situation de préclusion promissoire, j’aurais quand même refusé d’y donner suite en raison de la règle énoncée dans Burchill. Il s’agissait clairement d’un nouveau motif soulevé par les fonctionnaires à l’audience, un motif dont il n’avait pas été question au cours de la procédure de règlement des griefs.

33 Il n’y a pas non plus de preuve suffisante permettant d’étayer l’argument du représentant des fonctionnaires voulant que l’application de la Directive sur les voyages devrait s’étendre au paiement de leurs frais de déplacement à leur nouveau lieu de travail. Selon le représentant des fonctionnaires : [traduction] « [l]es fonctionnaires ne s’attendaient aucunement à avoir droit au paiement d’une indemnité de déplacement dès le départ […]. » Il est entendu qu’il incombe à chaque fonctionnaire de se présenter au travail à son lieu de travail régulier à moins que, pour une raison indiquée dans la Directive sur les voyages, il y ait eu un changement de son lieu de travail. Le fait de se déplacer pour se présenter à son travail n’équivaut pas à voyager en service commandé. Les ententes de détachement viennent d’ailleurs renforcer cette idée.

34 En l’espèce, le lieu de travail régulier des fonctionnaires pendant qu’ils travaillaient au CAGC était le campus de Cornwall. Cela dépasserait l’entendement s’il fallait les dédommager pour le kilométrage parcouru pour se rendre à leur nouveau lieu de travail et en revenir (le nouveau lieu de travail étant plus près que leurs lieux de travail régulier respectif : soit Kingston et Ottawa), alors qu’ils travaillent à des affectations temporaires qu’ils ont volontairement et activement tenté d’obtenir. Cela dépasse également l’entendement qu’une personne puisse aller déjeuner chez elle le midi, parce que son lieu de travail où elle a été détachée est plus près de sa résidence que son lieu de travail régulier, demande ensuite une indemnité de repas en invoquant le fait que, puisqu’elle est affectée à un nouveau lieu de travail, elle se trouverait alors en service commandé.

35 Lorsqu’il n’y a pas d’attente de remboursement ni moyen d’établir un cas de préclusion promissoire, et que tant la Directive sur les voyages que la LGFP n’appuient l’option du remboursement, je ne peux pas l’ordonner. Les fonctionnaires n’ont pas subi une perte. Le fait d’ordonner le remboursement demandé ne ferait que les enrichir en raison d’une erreur de la part de leur supérieur.

36 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

37 Les griefs sont rejetés.

Le 1er août 2013.

Traduction de la CRTFP

Margaret T.A. Shannon,
arbitre de grief

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