Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le comité d’évaluation avait conclu que le plaignant ne possédait pas deux qualifications essentielles requises pour le poste. Le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’établissement des qualifications essentielles, en particulier, en identifiant par le biais d’un astérisque certaines qualités personnelles afin d’indiquer que la performance à ces qualités pourrait être utilisée à des fins de nomination. Le plaignant alléguait également que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le choix de la vérification des références comme outil d’évaluation et en concluant qu’il n’avait pas les qualifications essentielles exigées pour le poste. L’intimé avait évalué les qualités personnelles des candidats uniquement par la vérification des références. Le plaignant a aussi allégué qu’il y avait eu partialité ou une crainte raisonnable de partialité à son encontre. Décision Le Tribunal a conclu que dans l’établissement des qualifications essentielles du poste, l’intimé pouvait exiger les qualités personnelles mentionnées et indiquer qu’il pourrait se baser sur les performances aux qualités personnelles identifiées par un astérisque aux fins de nomination. Le Tribunal a également jugé que le plaignant n’avait pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir en choisissant la vérification des références comme outil d’évaluation et en concluant , sur la base des références, que le plaignant ne possédait pas les qualifications exigées. De plus, le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas démontré que les actes ou commentaires de l’intimé dans le cadre du processus de nomination, pris individuellement ou collectivement, soulevaient une crainte raisonnable de partialité à l’encontre du plaignant. Le Tribunal a également conclu que le fait que deux des membres du comité d’évaluation étaient frère et sœur n’a pas rendu le processus de nomination injuste pour le plaignant. Il n’y avait pas de preuve pour démontrer que ces personnes étaient incapables de prendre une décision équitable. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier :
2011-0675
Rendue à :
Ottawa, le 13 juin 2013

MARTIN GAUDREAU
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Nathalie Daigle, membre
Langue de la décision :
Français
Répertoriée :
Gaudreau c. le sous-ministre des Pêches et des Océans
Référence neutre :
2013 TDFP 0023

Motifs de décision


Introduction

1 Martin Gaudreau, le plaignant, a posé sa candidature pour un poste de maître d’équipage aux groupe et niveau SC-DED-05 à la Garde côtière canadienne de Pêches et Océans Canada. Le plaignant soutient que le sous‑ministre de Pêches et Océans, l’intimé, a abusé de son pouvoir dans l’établissement des qualifications essentielles pour le poste et en concluant qu’il n’était pas qualifié pour le poste. Selon le plaignant, l'intimé a abusé de son pouvoir en choisissant la vérification des références comme outil d’évaluation et en concluant, sur la base des références, qu’il ne possédait pas certaines des qualifications essentielles exigées pour le poste. Il soutient aussi que la vérification des références n’a pas été faite correctement et que le pointage accordé au plaignant par le comité d’évaluation n’est pas fiable puisqu’il repose sur un résumé inexact des propos tenus par les répondants. Enfin, le plaignant soutient que l’intimé a fait preuve de partialité contre lui dans le processus de nomination.

2 L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir dans la conduite du processus de nomination et dans l’évaluation des qualifications du plaignant. Selon l'intimé, le plaignant a échoué aux qualifications essentielles qui étaient le leadership et les relations interpersonnelles. L’intimé soutient qu’il n’avait pas à prendre en considération d’autres informations, telles que les évaluations de rendement favorables du plaignant faites par ses superviseurs. L’intimé nie également avoir fait preuve de partialité contre le plaignant.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas présente lors de l’audience, mais elle a présenté des observations écrites concernant ses politiques et ses lignes directrices applicables. Elle n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte.

Contexte

4 Le 13 août 2010, l'intimé a commencé un processus de nomination interne annoncé pour doter deux postes de maître d’équipage SC‑DED-05 à la Garde côtière canadienne, dans la direction de la flotte dans la ville de Trois-Rivières, Québec.

5 Le processus de nomination visait à créer un bassin de candidats qualifiés en vue de procéder à des nominations pour une période indéterminée, des nominations pour une période déterminée ou des nominations à titre intérimaire selon les besoins. Le plaignant a posé sa candidature au processus annoncé.

6 Les candidats devaient fournir au comité d’évaluation certaines informations afin de démontrer qu’ils possédaient à la fois la certification requise et le niveau d’expérience exigés. Des renseignements devaient aussi être obtenus au moyen de la vérification de références.

7 Suite au processus d’évaluation, le comité d’évaluation a conclu que le plaignant ne possédait pas deux qualifications essentielles requises pour ce poste, soit le leadership et de bonnes relations interpersonnelles. Sa candidature a donc été éliminée du processus.

8 Le 25 juillet 2011, l'intimé a envoyé une lettre au plaignant qui annonçait quelles étaient les personnes proposées pour une nomination dans le processus susmentionné.

9 Le 12 août 2011, le plaignant a présenté une plainte d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’art. 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP).

Questions en litige

10 Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’établissement des qualifications essentielles pour le poste?
  2. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir en choisissant la vérification des références comme outil d’évaluation et en concluant, sur la base des références, que le plaignant ne possédait pas les qualifications liées au leadership et aux relations interpersonnelles?
  3. Le processus de dotation était-il entaché de partialité à l’encontre du plaignant?

Analyse

11 L’article 77(1)a) de la LEFP prévoit qu’une personne dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir par la CFP ou par l’administrateur général dans l’exercice des attributions que leur confère l’article 30(2) de la LEFP qui traite de l’évaluation du mérite des candidats.

12 L’article 30(2) de la LEFP accorde au gestionnaire un pouvoir discrétionnaire considérable pour établir les qualifications liées au poste qu’il souhaite doter et pour choisir la personne qui non seulement satisfait aux qualifications essentielles mais représente la « bonne personne » pour occuper le poste visé. Voir Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, au para. 63. Cependant ce pouvoir n’est pas absolu et le gestionnaire ne doit pas en abuser.

13 L’expression « abus de pouvoir » n’est pas définie dans la LEFP; toutefois, l’article 2(4) prévoit qu’elle inclut « la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». Dans la décision Tibbs, le Tribunal a jugé qu’il ressort clairement dans la LEFP que l’abus de pouvoir comprend plus que de simples erreurs ou omissions.

14 Le Tribunal a précisé dans plusieurs décisions qu’il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir dans un processus de nomination (voir, par exemple, Tibbs au para. 49).

Question I :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’établissement des qualifications essentielles pour le poste?

15 Le plaignant soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l'établissement des qualifications exigées pour le poste, en particulier, en identifiant par le biais d’un astérisque certaines qualités personnelles afin d’indiquer que la performance à ces qualités pourrait être utilisée à des fins de nomination.

16 Lise Richard, surintendante, Marine, et membre du comité d’évaluation, a expliqué que l’intimé a pris la décision d’exiger des candidats qu'ils possèdent des qualités en matière de leadership et de relations interpersonnelles parce qu’une personne doit posséder ces qualités pour être capable d’œuvrer dans ce milieu de travail où les tâches à exécuter comprennent la manutention d’équipement lourd, l’amarrage et l’arrimage, le remorquage, la recherche, le sauvetage, etc. Ce milieu de travail peut être dangereux et implique de longs séjours et une proximité avec d’autres membres de l’équipage. La capacité de mobiliser les membres de l’équipage et le respect sont importants à bord, selon ce témoin, de même qu’une attitude et un comportement positif à l’égard des subalternes et des collègues.

17 Mme Richard a expliqué que des astérisques étaient ajoutés à certaines des qualités personnelles énoncées dans l’Annonce de possibilité d’emploi et que ces astérisques servaient à indiquer que « [l]a performance aux qualités personnelles identifiées par un astérisque au niveau des qualifications essentielles pourrait être utilisée à des fins de nomination. » Il était de la volonté du ministère, selon ce témoin, d’être transparent. Ainsi, l’intimé annonçait, dès le départ, que le jugement, la fiabilité et le leadership (les qualités identifiées par un astérisque) seraient, en plus d’être des qualifications essentielles, des éléments qui pourraient être utilisés à des fins de nomination du candidat qui représente la « bonne personne ».

18 Le Tribunal est d’avis que le plaignant n'a pas démontré que l'intimé a exercé de façon déraisonnable et inappropriée le pouvoir que lui confère l'article 30(2) de la LEFP. Dans l'établissement des qualifications essentielles du poste, l’intimé pouvait exiger les qualités personnelles susmentionnées et indiquer qu’il pourrait se baser sur les performances aux qualités personnelles identifiées par un astérisque aux fins de nomination. Il l’a fait par souci de transparence. Enfin, le plaignant n'a présenté aucun élément de preuve qui remet en question la position de l'intimé selon laquelle ces qualifications essentielles sont nécessaires pour le travail à exécuter.

Question II :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir en choisissant la vérification des références comme outil d’évaluation et en concluant, sur la base des références, que le plaignant ne possédait pas les qualifications liées au leadership et aux relations interpersonnelles?

19 L’intimé a évalué les qualités personnelles des candidats uniquement par la vérification des références. Dans le cas du plaignant, trois anciens superviseurs identifiés par l’intimé ont fourni des références à son sujet, soit Alain Lacerte, Martin Chouinard et Jean-Luc Dugal (les répondants).

20 En premier lieu, le plaignant soutient que pour l’évaluation de ses qualités personnelles, l’intimé n’aurait pas dû se limiter à une évaluation de ses qualifications par la vérification des références puisque certaines déclarations faites par les répondants sont contraires et opposées aux commentaires faits par ses superviseurs dans ses rapports d’évaluation antérieurs. En d’autres mots, il soutient que l’intimé n’aurait pas dû évaluer ses qualités personnelles en se basant uniquement sur les commentaires des répondants, étant donné que leurs commentaires n’offrent pas un portrait complet de son rendement. L’intimé aurait dû, selon lui, prendre en considération d’autres informations, telles que ses évaluations de rendement favorables faites par ses superviseurs qui, au cours des années passées, ont précisé qu’il possède les connaissances et les aptitudes nécessaires pour occuper de façon indéterminée un poste de maître d’équipage. Il est à noter qu’au moment du processus de nomination, le plaignant avait occupé le poste de maître d’équipage presque sans interruption pendant une période de 17 ans dans le cadre de nominations intérimaires à répétition.

21 Plusieurs des évaluations de rendement du plaignant faites par différents superviseurs depuis 1993 ont été déposées en preuve. Elles lui sont favorables. Les commentaires indiquent qu’il a démontré par son comportement exemplaire, ses connaissances techniques et son expérience qu’il est apte à occuper un poste de maître d’équipage de façon permanente sur les navires de la Garde-côtière. Un de ses superviseurs a noté dans une évaluation que lorsque le plaignant est maître d’équipage sur un navire, le résultat est un navire bien entretenu et une bonne atmosphère à bord.

22 Lucie Lefrançois, un officier de navigation à la Garde côtière qui a travaillé avec le plaignant à partir du mois d’avril 2011, a également affirmé dans un affidavit que le plaignant est une personne fiable, qu’il est sûr de lui, qu’il est très autoritaire et directif envers les matelots mais qu’il travaille toujours sur ce sujet pour s’améliorer.

23 Un pouvoir discrétionnaire considérable est prévu à l’article 36 de la LEFP à l’intention des personnes qui détiennent les pouvoirs de dotation pour choisir et utiliser les méthodes d’évaluation qui permettront de déterminer si la personne satisfait aux qualifications essentielles.

24 Cet article accorde ainsi aux gestionnaires le pouvoir discrétionnaire d’établir la façon dont les qualifications essentielles seront évaluées. Toutefois, comme le note la CFP dans ses observations écrites, les méthodes d’évaluation utilisées doivent évaluer efficacement et de façon juste les qualifications essentielles et autres critères de mérite.

25 Dans la décision Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 0011, au para. 77, il a été établi que pour que le Tribunal puisse conclure qu'il y a eu abus de pouvoir dans le choix des méthodes d'évaluation, le plaignant doit démontrer que le résultat est inéquitable et que les méthodes d'évaluation sont déraisonnables et ne peuvent évaluer les qualifications prévues à l'énoncé des critères de mérite.

26 Le Tribunal estime que les éléments de preuve déposés au cours de l’audience ne démontrent pas que l’outil choisi, la vérification des références, ne permettait pas d'évaluer adéquatement les qualifications en question. En d’autre mots, le plaignant n'a pas établi que la vérification des références, en l’espèce, était une méthode d’évaluation déraisonnable qui ne pouvait évaluer les qualifications susmentionnées et que le résultat était inéquitable.

27 II revenait au comité d'évaluation de choisir la méthode par laquelle il évaluerait les qualités personnelles des candidats. Le comité d'évaluation a choisi d’évaluer ces qualités au moyen de la vérification de références, et non des évaluations de rendement. Le guide de la CFP intitulé Vérification des références : Regard sur le passé indique que la vérification des références est l’une des sources d’information les plus utiles sur les réalisations ou le rendement antérieur d’un candidat.

28 Ce choix de méthode d'évaluation s’inscrit pleinement dans le pouvoir discrétionnaire que l’article 36 de la LEFP accorde à l’intimé dans le choix des méthodes d'évaluation. Ainsi, l'intimé n’avait pas à prendre en considération les évaluations de rendement du plaignant dans l’évaluation de ces qualifications. Le Tribunal conclut donc que le plaignant n’a pas démontré que l'intimé a abusé de son pouvoir en choisissant d’évaluer les qualités personnelles des candidats par la vérification de références.

29 En deuxième lieu, le plaignant soutient que la vérification des références n’a pas été faite correctement et que le pointage accordé au plaignant par le comité d’évaluation n’est pas fiable puisqu’il repose sur un résumé inexact des propos tenus par les répondants.

30 L’intimé soutient que la vérification des références a été faite correctement et que le pointage accordé au plaignant par le comité d’évaluation est fiable et qu’il repose sur un résumé adéquat des propos tenus par les répondants.

31 Le Tribunal estime, pour les motifs suivants, que les éléments de preuve déposés au cours de l’audience ne démontrent pas que la vérification des références a donné lieu à une évaluation inappropriée.

32 Le plaignant a invité les trois répondants à témoigner à l’audience. Ces derniers ont expliqué que Dany Boudreault, commandant, et président du comité d’évaluation, les a rencontrés individuellement et a noté leurs réponses dans un formulaire de référence. Selon ces témoins, il a fait un résumé de leurs propos ou des exemples qu’ils ont donné en ce qui concerne le plaignant. Ces témoins ont ainsi confirmé, après avoir révisé leurs réponses transcrites par M. Boudreault, que ces réponses reflètent essentiellement leurs commentaires.

33 En ce qui concerne M. Chouinard, qui est chef officier, ce dernier a précisé ne pas avoir utilisé un langage aussi cru et tranchant que ce qui apparaît parfois dans les notes prises par M. Boudreault. Toutefois, il n’a pas nié avoir soulevé les problèmes notés par M. Boudreault dans ses réponses. M. Chouinard a affirmé qu’il s’agit d’un résumé de ses commentaires même si, à son avis, le plaignant devrait être considéré comme un bon candidat. D’ailleurs, dans son évaluation de 2008-09 du plaignant, M. Chouinard offrait les mêmes commentaires généraux positifs à l’égard du plaignant mais ajoutait que le plaignant devrait veiller à contrôler ses sautes d’humeur lorsque surviennent des situations plus confuses.

34 M. Lacerte, qui est commandant de navire, a affirmé, quant à lui, que les notes prises par M. Boudreault comportent les grandes lignes des commentaires qu’il a faits au sujet du plaignant. M. Dugal, qui est officier de navigation a affirmé, à son tour, que le formulaire de référence contient un condensé de ses réponses aux questions posées concernant le plaignant.

35 Il en résulte donc que les notes prises par M. Boudreault des réponses des répondants résument, en substance, les commentaires faits par les répondants. Ainsi, ces notes ne sont pas « inexactes », tel qu’avancé par le plaignant, malgré le fait que ces notes sont succinctes et qu’un langage tranchant est parfois utilisé. Il n’y a donc pas de preuve que ces notes ne reflètent pas les propos des répondants.

36 Après que M. Boudreault ait rencontré tous les répondants, Mme Richard et lui‑même ont examiné les réponses des répondants et en ont fait une consolidation. Ils ont ensuite attribué une note aux candidats pour chacune des qualifications essentielles selon un barème de correction préétabli. Le plaignant conteste les résultats qu’il a obtenus pour deux qualifications essentielles.

37 Le rôle du Tribunal n’est pas de réévaluer les candidats mais de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le contexte du processus de nomination. Voir Broughton c. sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007 TDFP 0020, au para. 54. Pour les motifs qui suivent, il n’y a pas de preuve que les pointages accordés au plaignant étaient déraisonnables.

38 Le plaignant s’est vu accorder par le comité d’évaluation un pointage de 50 % pour les relations interpersonnelles et un pointage de 50 % pour le leadership. La note de passage pour chacune de ces qualifications était de 60 %. Selon la grille de correction utilisée par le comité d’évaluation, un pointage de 50 % équivaut à un rendement situé entre les rendements « bon » et « pauvre ».

39 Le Tribunal estime qu’il existe une explication satisfaisante des notes de 50 % accordées au plaignant en ce qui concerne son rendement en matière de relations interpersonnelles et de leadership. Le plaignant a obtenu deux notes de 50 % parce que les répondants ont fait ressortir quelques graves lacunes dans son comportement que le comité d’évaluation a dû prendre en considération. Les répondants, par exemple, ont soulevé certaines difficultés en ce qui concerne l’attitude du plaignant à l’égard de ses confrères et subalternes et ils ont indiqué que le plaignant impose son leadership. C’est en partie pourquoi le comité d’évaluation a accordé des notes de 50 % au plaignant pour ces qualifications. En somme, il existe une explication satisfaisante et raisonnable pour ces notes.

40 Toutefois, d’après les réponses données à la question 2.1 du questionnaire qui se lit comme suit : « Travaille-t-il [le candidat] à l’atteinte d’un objectif commun ou poursuit-il ses propres intérêts? », le Tribunal note qu’aucun répondant n’a indiqué que le plaignant travaille pour ses objectifs personnels. Cependant, la première phrase du résumé préparé par M. Boudreault pour documenter les notes accordées au plaignant par le comité d’évaluation se lit comme suit : « M. Gaudreau travaille pour les objectifs personnels. » Cette phrase est donc erronée.

41 L’auteur de ces lignes, M. Boudreault, n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi il a écrit ceci. De même, il n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi il avait inséré des points de suspension ou des séries de points d’exclamations ici et là dans les formulaires de référence en résumant les commentaires des répondants. Il était récalcitrant et s’est borné à dire qu’il ne s’en souvenait plus.

42 Le Tribunal est d’avis que M. Boudreault a fait erreur en inscrivant que le plaignant travaille pour ses objectifs personnels. Toutefois, il s’agit d’une erreur isolée puisque le reste du résumé fait par M. Boudreault est appuyé par les réponses soumises par les répondants.

43 Tel qu’expliqué dans Tibbs, au para. 73 : « L’abus de pouvoir constitue plus que simplement des erreurs ou omissions. » Étant donné que le reste du résumé est appuyé par les réponses soumises par les répondants, le Tribunal conclut que le pointage accordé par le comité est raisonnable. Le comité d’évaluation pouvait accorder des notes de 50 % au plaignant en ce qui concerne son rendement en matière de relations interpersonnelles et de leadership étant donné les lacunes mentionnées par les répondants dans son comportement. Pour ces motifs, le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas établi qu’il y a eu abus de pouvoir lors de la vérification des références.

44 Le plaignant soutient également que le pointage qui lui a été accordé par le comité d’évaluation n’est pas fiable puisqu’il n’est pas identique au pointage qui lui a été accordé par les répondants. Dans le formulaire contenant les questions et réponses des répondants, un pointage a souvent été suggéré par les répondants, avec ou sans l’assistance des personnes chargées de l’évaluation, pour chacune des qualités personnelles des candidats. Toutefois, Mme Richard et M. Boudreault ont expliqué que le comité d’évaluation ne s’est pas fié à ce pointage pour déterminer quelle note accorder aux candidats.

45 Le guide de la CFP intitulé Vérification des références : Regard sur le passé indique qu’il est de la responsabilité des personnes chargées de l’évaluation, et non du répondant, d’évaluer l’information pertinente aux qualifications. L’intimé a donc eu raison de ne pas utiliser les pointages suggérés par les répondants pour déterminer quelle note accorder aux candidats. Le Tribunal estime que c’est à bon escient qu’il s’est plutôt inspiré de la grille de correction pour déterminer le pointage à accorder aux candidats pour chacune des qualifications.

46 Enfin, le plaignant soutient que le processus de nomination était entaché d’irrégularités puisque, par exemple, une lettre lui a été envoyée le 3 juin 2011 dans laquelle on l’informe qu’il pourra avoir une discussion informelle avec le comité d’évaluation, alors qu’à cette date, il n’avait pas été informé encore de l’élimination de sa candidature.

47 En fait, le plaignant a affirmé que ce n’est qu’en date du 13 juin 2011 qu’il a reçu une lettre l’informant, de façon officielle, que sa candidature au processus de nomination ne serait pas prise en considération étant donné qu’il ne possédait pas deux qualifications essentielles.

48 L’intimé a fait valoir qu’une lettre datée du 30 mai 2011 aurait dû être envoyée au plaignant mais qu’elle n’a pas été envoyée puisqu’une erreur administrative a été commise.

49 La preuve démontre qu’une lettre devait être envoyée au plaignant le 30 mai 2011, mais que le plaignant n’a pas reçu cette lettre. Toutefois, cette erreur n’a pas eu d’impact important sur le plaignant. En particulier, cette erreur n’a pas influencé les résultats qu’il a obtenus dans le cadre du processus de nomination et ne l’a pas empêché de déposer une plainte auprès du Tribunal. Ainsi, le Tribunal conclut qu’il ne s’agit que d’une simple erreur ou omission qui ne constitue pas un abus de pouvoir.

50 Somme toute, le Tribunal conclut que le plaignant n'a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir : (1) en choisissant la vérification des références comme outil d’évaluation; et (2) en concluant, sur la base des références, que le plaignant ne possédait pas les qualifications liées au leadership et aux relations interpersonnelles.

51 Enfin, l’intimé a reconnu, pendant l’audience, qu’au cours des 17 années précédant le processus de nomination, le plaignant a occupé le poste de maître d’équipage presque sans interruption dans le cadre de nominations intérimaires à répétition. L’intimé a mentionné que sa conclusion selon laquelle le plaignant ne possédait pas les qualifications liées au leadership et aux relations interpersonnelles dans le cadre de ce processus ne signifie pas que le plaignant n’a pas démontré du leadership et entretenu de bonnes relations interpersonnelles avec ses pairs au cours de sa carrière. Toutefois, dans le cadre du présent processus de nomination, l’intimé avait des motifs raisonnables pour conclure que le plaignant n’avait pas obtenu la note de passage requise pour deux des qualifications requises.

Question III :  Le processus de dotation était-il entaché de partialité à l’encontre du plaignant?

52 Dans la décision Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010, aux paras. 60 à 74, le Tribunal a déterminé que la partialité, y compris la crainte raisonnable de partialité, peut constituer un abus de pouvoir dans le cas des décisions d’évaluation et de nomination effectuées en vertu de la LEFP. Le Tribunal a adopté le critère objectif de la crainte raisonnable de partialité, décrit dans la décision Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 à la p. 394, de la cour suprême du Canada.

53 Ce critère, reformulé aux fins de la présente, consiste à déterminer si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité chez un ou plusieurs membres du comité d’évaluation. Le comité d’évaluation en l’espèce était constitué d’Yves Richard, maître d’équipage, de Mme Richard et de M. Boudreault.

54 L’argumentation du plaignant qu’il y a eu partialité ou crainte raisonnable de partialité à son encontre est fondée sur le fait que certains actes, commentaires ou événements observés avant ou pendant le processus de nomination soulèvent une crainte raisonnable de partialité.

55 L’intimé nie avoir fait preuve de partialité dans le processus de nomination. Selon lui, la candidature du plaignant n’a pas été retenue parce qu’il ne possédait pas les qualifications essentielles liées au poste.

56 Les membres de comités d’évaluation chargés de l’évaluation des candidats dans un processus de nomination ont le devoir de mener cette évaluation de façon équitable et de manière à ne pas donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir un parti pris de la part d’un ou plusieurs membres du comité d’évaluation, alors le devoir d’agir de manière équitable n’a pas été respecté. Voir Pellicore c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TDFP 0023, au para. 46. Dans le cas où une crainte raisonnable de partialité a été établie, le Tribunal peut conclure qu’il y a eu abus de pouvoir.

57 Pour les motifs qui suivent, le Tribunal estime que le plaignant n’a pas démontré que les actes ou commentaires de l’intimé dans le cadre de ce processus de dotation, pris individuellement ou collectivement, soulèvent une crainte raisonnable de partialité à l’encontre du plaignant.

58 En premier lieu, le plaignant soutient que le comité d’évaluation a réexaminé la candidature d’un autre candidat éliminé du processus alors qu’il n’en a pas fait de même pour lui. Selon la preuve présentée par le plaignant, ce candidat, qui avait été éliminé du processus, a déposé une plainte auprès du Tribunal. Il a, par la suite, été invité à une discussion informelle. Au cours de cette discussion, il a demandé une nouvelle vérification de son dossier, qui lui a été accordée.

59 Or, la preuve démontre que le comité d’évaluation a accepté la demande de réévaluation de ce candidat étant donné que l’écart de pourcentage qui le séparait de la note de passage pour la qualité essentielle qu’il n’avait pas réussie était très minime. Mme Richard a affirmé qu’il ne manquait qu’un point à ce candidat pour obtenir la note de passage et pour être ajouté au bassin des candidats qualifiés. Suite à une consultation auprès de deux répondants, le comité d’évaluation a jugé que ce candidat était qualifié pour faire partie du bassin des candidats.

60 En l’espèce, aucun élément de preuve ne démontre que le plaignant a demandé au comité de réexaminer sa candidature. De plus, le Tribunal note que l’écart de pourcentage qui séparait le plaignant de la note de passage pour les deux qualifications essentielles qu’il n’avait pas réussies était assez important et non minime. Dans de telles circonstances, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas démontré que la décision du comité d’évaluation de réévaluer le dossier de l’autre candidat mais non le sien était déraisonnable et que la décision du comité d’évaluation a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.

61 En deuxième lieu, le plaignant soutient qu’il a entendu dire, avant l’annonce des nominations, qu’une personne serait très surprise des résultats. Il n’a pu identifier l’auteur de ces paroles mais a dit qu’il s’était senti visé puisqu’il s’attendait à être nommé dans le poste. Cette rumeur l’a inquiété et lui a fait craindre que le comité d’évaluation rejette sa candidature à cause d’un parti pris contre lui.

62 Le Tribunal estime qu’il ne s’agit que de ouï-dire qui ne soulève pas, en soi, de crainte raisonnable de partialité à l’encontre du plaignant.

63 En troisième lieu, le plaignant soutient que l’intimé a bénéficié de ses services comme maître d’équipage intérimaire au cours de près de 17 ans, et ce jusqu’à aussi récemment que le 23 juin 2011, mais qu’en retour, il refuse de lui accorder un poste de maître d’équipage permanent. Le plaignant atteste que ceci démontre que l’intimé a un parti pris contre lui puisqu’il refuse de s’appuyer sur sa connaissance directe de son rendement pour le nommer dans le poste.

64 Dans son témoignage, Mme Richard a reconnu que l’intimé a souvent fait appel au plaignant pour qu’il occupe le poste de maître d’équipage sur une base intérimaire. Elle a aussi confirmé être au courant des évaluations de rendement positives passées du plaignant. Elle a expliqué que pour ce processus de nomination, toutefois, le comité d’évaluation s’est basé sur la vérification des références, afin d’obtenir des renseignements auprès des personnes qui travaillaient le plus étroitement avec les candidats, et non sur les évaluations de rendement.

65 Il a été établi que ce choix de méthode d’évaluation, c’est-à-dire la vérification des références, était acceptable et que la décision du comité d’évaluation de se fier aux renseignements fournis par des personnes qui ont travaillé récemment, et de près, avec le plaignant était raisonnable. Dans de telles circonstances, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas démontré que cette décision a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.

66 En quatrième lieu, le plaignant soutient que le processus de nomination était injuste puisqu’une des personnes nommées, Pierre Gilot, est l’époux d’une des employées de Mme Richard et que deux personnes siégeant sur le comité d’évaluation, Yves et Lise Richard, sont frère et sœur. Le plaignant soutient qu’il y a sans doute eu partialité dans l’évaluation des candidats.

67 Mme Richard, la déléguée de pouvoir dans le présent processus, a affirmé que sa subalterne, l’épouse de M. Gilot, supervise les responsables des secteurs Pont, Machine et Logistique. Or, d’après Mme Richard, le rôle de sa subalterne s’est limité à soumettre la demande d’initiation du processus de nomination. Mme Richard a également précisé que les employés de sa subalterne n’ont pas joué un rôle important dans ce processus de nomination. Une de ces personnes a simplement aidé M. Boudreault à identifier les superviseurs récents des candidats.

68 Le Tribunal estime qu’en appliquant le critère de crainte raisonnable de partialité, un observateur raisonnable et informé ne penserait pas que le plaignant a été évalué différemment des candidats choisis, dont M. Gilot. Le comité d’évaluation a préparé et utilisé un processus de vérification des références structuré afin de recueillir des renseignements sur les candidats. Pour que la démarche soit cohérente, les mêmes questions ont été posées à tous les répondants. Le comité d’évaluation a, par la suite, déterminé si les renseignements fournis démontraient que chaque candidat possédait les qualifications essentielles évaluées par la vérification des références. Le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas prouvé qu’il a été traité différemment des autres candidats dans le processus et qu’il existe une crainte raisonnable de partialité dans l’évaluation des candidats.

69 Enfin, le Tribunal a abordé la question de la composition d’un comité d’évaluation dans la décision Sampert c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 0009, au para. 53 :

Aucune disposition de la LEFP n’oblige les administrateurs généraux à constituer un comité d’évaluation ni à faire en sorte que celui‑ci soit composé d’une certaine façon (par exemple à s’assurer de la présence d’un agent des ressources humaines au sein du comité). La question de savoir si un comité d’évaluation est composé de façon appropriée ou non est une question de fait qui dépend de la plainte présentée et de la preuve produite à l’audience.

70 En l’espèce, la preuve ne démontre pas que le fait qu’Yves et Lise Richard sont frère et sœur a rendu le processus injuste pour le plaignant. En appliquant le critère de crainte raisonnable de partialité, un observateur raisonnable et informé ne penserait pas que, selon toute vraisemblance, M. ou Mme Richard avait quelque chose à perdre ou à gagner dans ce processus de nomination du fait que le plaignant soit nommé ou pas. En d’autres mots, aucune preuve n’a démontré que ces personnes étaient incapables de prendre une décision équitable.

71 Le Tribunal conclut donc, après examen des éléments de preuve, qu'une personne bien informée, examinant tous les faits, ne serait pas en mesure de conclure qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du comité à l’encontre du plaignant.

Décision

72 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.


Nathalie Daigle
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2011-0675
Intitulé de la cause :
Martin Gaudreau et le sous-ministre des Pêches et des Océans
Audience :
Les 19 et 20 février, 2013
Québec (QC)
Date des motifs :
Le 13 juin 2013

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant :
Michel Cordeau
Pour l’intimé :
Pierre-Marc Champagne
Pour la Commission
de la fonction publique :
Marc Séguin
(observations écrites)
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