Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La candidature du plaignant avait été rejetée au motif qu’il lui manquait l’une des qualifications essentielles. Au cours de la discussion informelle avec l’intimé, le plaignant a indiqué que son dossier de candidature n’avait pas été évalué correctement. L’intimé n’a pas changé sa décision initiale d’éliminer la candidature du plaignant à la présélection. Néanmoins, après le dépôt de la plainte, l’intimé a procédé à la réévaluation du dossier de candidature du plaignant pour ensuite conclure que ce dernier avait toutes les qualifications requises. L’intimé a nommé le plaignant au poste en question plusieurs mois avant l’audition de la plainte. Décision En guise d’introduction, le Tribunal a jugé que la plainte était sans objet puisqu’il n’y avait plus de litige entre les parties. Il n’y avait pas lieu pour le Tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider du bien-fondé des allégations du plaignant. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier :
2012-0855
Rendue à :
Ottawa, le 25 mars 2013

SERGE DUBORD
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
John Mooney, vice-président
Langue de la décision :
Français
Répertoriée :
Dubord c. le commissaire du Service correctionnel du Canada
Référence neutre :
2013 TDFP 0010

Motifs de décision


Introduction

1 Serge Dubord, le plaignant, a participé à un processus de nomination interne annoncé pour doter à titre intérimaire ou pour une période indéterminée des postes d’agent correctionnel aux groupe et niveau CX-02 (le ou les postes) au Service correctionnel du Canada (SCC) à l’Établissement Ste-Anne-des-Plaines. Sa candidature a d’abord été rejetée au motif qu’il n’avait pas satisfait à une des qualifications essentielles établies pour ces postes.

2 Le plaignant allègue que le commissaire du SCC, l’intimé, a abusé de son pouvoir dans ce processus de nomination parce qu’il a commis plusieurs erreurs. Selon le plaignant, l’intimé a, entre autres, mal évalué ses réponses à l’examen écrit, refusé de corriger son erreur lors de la discussion informelle et refusé de lui accorder une seconde discussion informelle.

3 L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir et soutient que cette plainte est devenue théorique. En effet, l’intimé a réévalué les réponses du plaignant après que ce dernier ait présenté sa plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal), a conclu que le plaignant avait réussi le processus de nomination et l’a nommé au poste.

4 La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas participé à l’audience mais a fait parvenir au Tribunal des observations écrites dans lesquelles elle décrit ses lignes directrices et ses guides en matière de nomination qui sont pertinents à cette plainte. La CFP ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte.

5 Pour les raisons qui suivent, la plainte est rejetée. Le Tribunal juge que la plainte est devenue théorique parce qu’il n’y a plus de litige entre les parties.

Contexte

6 Le 4 avril 2011, l’intimé a affiché une Annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice, le site Web du gouvernement fédéral, pour doter les postes susmentionnés.

7 Le comité d’évaluation était composé de Simon Brunet, gestionnaire, Opérations, et de Louise Desrosiers, agente de recrutement. Julie-Anne Cardinal a participé au processus en tant que conseillère en ressources humaines (RH). Suzanne Hamon, conseillère principale en RH pour la région du Québec a aussi participé au processus en donnant des conseils à Mme Cardinal au sujet du processus de plainte.

8 Cent-deux candidats ont présenté leur candidature. Dix-huit candidats ont été éliminés du processus à l’étape de la présélection. Quatre-vingt-quatre candidats ont été invités à un examen écrit qui évaluait trois connaissances essentielles, deux capacités essentielles et deux capacités qui constituaient des atouts. Les qualités personnelles ont été évaluées par des vérifications de références. Vingt-cinq candidats ont réussi toutes les étapes du processus et leurs noms ont été placés dans un bassin de candidats qualifiés pour les postes à doter.

9 Le 25 août 2011, l’intimé a informé le plaignant qu’il avait été éliminé du processus de nomination parce qu’il avait échoué à deux questions de l’examen écrit qui évaluaient une qualification essentielle du poste.

10 Le 11 avril 2012, l’intimé a affiché la Notification de nomination ou de proposition de nomination pour la nomination de huit personnes aux postes en question.

11 Le 24 avril 2012, le plaignant a présenté au Tribunal une plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article
77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13 (LEFP).

12 Le 28 juin 2012, un second comité d’évaluation composé de M. Brunet et de Madeleine Mainville, coordonnatrice des activités de recrutement, a révisé les réponses aux questions que le plaignant avait échouées. Ce comité a conclu que le plaignant avait réussi ces questions. Le comité a ensuite évalué les autres qualifications du plaignant et a conclu qu’il satisfaisait à toutes les exigences du poste. L’intimé a nommé le plaignant à un des postes le 25 septembre 2012.

Question préliminaire

13 Au début de l’audience, l’intimé a soulevé le caractère théorique de la plainte. Ce sujet a été débattu et mis en délibéré. Le Tribunal a entendu la plainte sur le fond, de manière à être en mesure de statuer sur la totalité de la plainte sans devoir rappeler les parties s’il décidait de se prononcer sur les allégations du plaignant.

Question en litige

14 Le Tribunal doit statuer sur la question suivante : la plainte est-elle devenue théorique parce que le plaignant a été nommé au poste?

Résumé de la preuve pertinente

L’évaluation initiale des questions de l’examen écrit

15 Le plaignant a expliqué au Tribunal qu’il a subi son examen le 10 juin 2011. Lors de l’évaluation initiale de ses réponses, l’intimé avait déterminé que le plaignant n’avait pas obtenu la note de passage pour les deux questions qui évaluaient la qualification essentielle « capacité de définir et d’analyser les situations problématiques, de déterminer les solutions possibles et de recommander ou de prendre les mesures appropriées ». La première question décrivait une situation où une femme subissait un malaise à l’épicerie. L’autre question traitait d’une situation où un prisonnier refusait d’effectuer le travail qui lui était assigné. Une note globale était accordée aux deux réponses. Le plaignant a reçu une note de un sur cinq alors que la note de passage était de trois sur cinq. La candidature du plaignant a donc été éliminée à cette étape du processus et le comité d'évaluation n’a pas corrigé ses réponses aux autres questions de l’examen.

16 Le plaignant a déclaré à l’audience qu’il avait été très surpris d’avoir échoué à ces deux questions puisqu’il a une formation poussée en secourisme et en gestion de situations de crise et d’urgence.

17 M. Brunet travaille au SCC depuis 1998. Il a occupé plusieurs postes au sein de cet organisme, dont celui de gestionnaire des opérations, poste qu’il avait quitté temporairement pour s’occuper à plein temps de ce processus de nomination en tant que membre du comité d’évaluation. Il a déclaré que son rôle était d’élaborer avec Mme Desrosiers, à partir des critères de mérite, les outils d’évaluation, les critères d’évaluation, c’est-à-dire des exemples de réponses attendues, ainsi que le guide de cotation. C’est l’administration centrale à Ottawa qui avait établi les critères de mérite.

18 M. Brunet a expliqué pourquoi le comité d'évaluation avait d’abord jugé que les réponses du plaignant aux deux questions susmentionnées ne méritaient qu’un point sur cinq. Selon le comité, ses réponses ne correspondaient pas aux critères que le comité d’évaluation avait établis. Par exemple, sa réponse à la question traitant d’un malaise subi par une personne dans une épicerie démontrait que le plaignant avait une connaissance du secourisme, mais cette question n’évaluait pas des connaissances, mais bien des capacités. De plus, ses réponses étaient plutôt de nature abstraite, technique et théorique.

19 M. Brunet ne connaissait pas le plaignant et ne l’avait jamais rencontré avant la tenue de la discussion informelle.

20 Mme Desrosiers a déclaré qu’elle a travaillé au SCC depuis 1980 dans différents postes, dont celui d’agente de recrutement, poste qu’elle occupait lors du processus de nomination. Elle a expliqué que M. Brunet et elle discutaient des réponses des candidats et accordaient les points par consensus. Elle a ajouté qu’elle ne connaissait pas le plaignant.

La discussion informelle

21 Le plaignant a expliqué que le 21 septembre 2011, il a eu une discussion informelle, une étape du processus prévue à l’article 47 de la LEFP, avec M. Brunet et Mme Desrosiers. Lors de cette discussion, le plaignant leur a présenté des documents qui, selon lui, démontraient que ses réponses étaient correctes, dont un livre de l’Ambulance St-Jean sur le secourisme et un document de SCC sur la gestion des situations d’urgence. Selon le plaignant, les personnes présentes ont refusé de tenir compte de ces documents. De plus, M. Brunet n’était pas vraiment capable d’expliquer pourquoi ses deux réponses ne valaient qu’un point sur cinq. Selon le plaignant, l’intimé aurait dû alors corriger son erreur dans l’évaluation de ses qualifications puisque c’est le but de la discussion informelle.

22 M. Brunet a déclaré que lors de cette rencontre, il avait expliqué au plaignant pourquoi le comité d'évaluation lui avait accordé une aussi basse note. M. Brunet lui a fourni les explications mentionnées plus haut.

Demande d’une seconde discussion informelle et révision des réponses du plaignant

23 Le plaignant a demandé une seconde discussion informelle à  Mme Cardinal par courriel le 18 janvier 2012. Mme Cardinal a répondu, dans un courriel expédié à son adresse de travail le 24 janvier 2012, qu’elle tiendrait une autre discussion informelle le surlendemain. Le plaignant n’a cependant pas reçu ce courriel puisqu’il était alors absent de son bureau pour une période de sept jours. Mme Cardinal n’était pas au courant de son absence parce que le plaignant n’avait pas programmé son ordinateur pour annoncer son absence à ceux qui lui acheminaient des courriels.

24 Le plaignant a déclaré qu’entre la fin janvier 2012 et la fin avril 2012, il a échangé plusieurs courriels avec Mme Cardinal pour tenter de fixer une date pour une seconde discussion informelle. Cet échange de courriels lui donnait nettement l’impression que l’intimé allait tenir une seconde réunion.

25 Mme Cardinal a déclaré que pendant cette période, elle avait eu de la difficulté à rejoindre M. Brunet. Il est retourné à son poste d’attache de gestionnaire des opérations à Ste-Anne-des-Plaines en février 2012. Ses disponibilités étaient alors limitées. De plus, un des membres de sa famille avait des problèmes de santé. Les disponibilités du plaignant étaient également limitées puisqu’il devait s’absenter de son travail pendant trois semaines.

26 Entretemps, M. Brunet a discuté de la possibilité d’une deuxième discussion informelle avec Céline Laplante, gestionnaire intérimaire en recrutement et en dotation. Elle lui a demandé de revoir les réponses du plaignant à l’examen écrit. Elle lui avait dit que s’il concluait que les réponses valaient plus de points, l’intimé agirait en conséquence. Si, par contre, M. Brunet décidait de ne pas changer la note accordée, il n’y aurait pas de raison de tenir une seconde discussion informelle.

27 Une grande partie du témoignage du plaignant portait sur la façon dont M. Brunet avait obtenu une copie de son examen pour effectuer sa révision. Mme Cardinal lui avait dit dans le cadre du traitement de sa plainte que M. Brunet était allé le chercher au centre d’administration régional à Laval. M. Brunet avait dit la même chose lors d’une réunion de communication de renseignements. Il appert cependant, selon le témoignage de M. Brunet et de Mme Cardinal, que cette dernière avait plutôt remis une copie de l’examen à la conjointe de M. Brunet qui travaillait au SCC en tant qu’agente de recrutement, pour qu’elle le lui remette. Le plaignant a déclaré qu’il avait été offusqué par le fait qu’on ne lui avait pas dit la vérité à ce sujet. M. Brunet et Mme Cardinal ont déclaré qu’ils ne voyaient pas la pertinence de ce détail.

28 M. Brunet a expliqué qu’il a révisé les réponses du plaignant le 27 avril 2012 à son bureau et a conclu qu’il n’y avait pas lieu de changer la note accordée à ses réponses. M. Brunet a informé le plaignant par courriel le même jour qu’il avait procédé à un examen minutieux de ses réponses et qu’il n’allait pas apporter de changements à sa correction. Par conséquent, M. Brunet ne voyait pas de raison de tenir une seconde discussion informelle.

Réévaluation des qualifications du plaignant après le dépôt de la plainte

29 Le 24 avril 2012, le plaignant a présenté sa plainte au Tribunal. Il a par la suite rencontré M. Brunet et Mme Cardinal dans le cadre de la communication de renseignements, une étape du traitement de la plainte prévue aux articles 16 à 18 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6, modifié par DORS/2011-116.

30 Lors de cette rencontre, le plaignant a comparé ses réponses à celles de certains candidats ayant réussi l’examen et il a fait valoir que ses réponses étaient aussi bonnes que les leurs. Après la réunion, M. Brunet a discuté de la rencontre avec Mme Cardinal et ils ont conclu que le plaignant avait soulevé des points intéressants qui apportaient une nouvelle perspective à ses réponses. M. Brunet a alors décidé de réviser les réponses du plaignant, mais il préférait ne pas le faire seul. Il a donc demandé aux RH de lui suggérer une personne qui assumerait cette tâche avec lui. Comme Mme Desrosiers avait pris sa retraite en novembre 2011, les RH ont suggéré que Mme Mainville fasse partie du nouveau comité d'évaluation.

31 Mme Mainville travaille au SCC depuis 1983 et occupait le poste de coordonnatrice en réinsertion sociale et de coordonnatrice des activités de recrutement lorsque sa gestionnaire, Mme Laplante, lui a demandé de compléter quatre évaluations de candidats, dont celle du plaignant, parce que Mme Desrosiers avait pris sa retraite. M. Brunet et elle ont donc réévalué les réponses du plaignant le 28 juin 2012, ont trouvé de nouveaux éléments de réponses et lui ont accordé trois points sur cinq, c’est-à-dire la note de passage. Ils ont ensuite évalué ses autres réponses aux questions de l’examen et ils ont conclu que le plaignant avait réussi cette étape du processus. Il en est de même pour la vérification des références. M. Brunet et Mme Mainville ont donc conclu que le plaignant était pleinement qualifié.

32 Le 9 juillet 2012, Mme Cardinal a organisé une rencontre avec le plaignant, son délégué syndical Pierre Morin, M. Brunet et Chantal Lanthier, la directrice du Centre régional de réception, pour annoncer au plaignant qu’il avait réussi le processus de nomination. M. Brunet lui a expliqué pourquoi le nouveau comité d'évaluation jugeait que ses réponses méritaient plus de points. Mme Cardinal lui a alors demandé s’il allait retirer sa plainte devant le Tribunal puisque l’intimé le jugeait maintenant qualifié pour le poste. Le plaignant a répondu qu’il maintenait sa plainte.

33 Après la réunion, le plaignant a demandé à Mme Lanthier pourquoi elle avait été invitée à la réunion. Elle lui a répondu qu’elle s’était présentée à la réunion parce qu’on l’avait invitée. Elle n’était pas au courant de la plainte. Selon le plaignant, Mme Lanthier avait été invitée à la réunion pour faire pression sur lui et l’intimider pour qu’il retire sa plainte.

34 M. Brunet a déclaré que Mme Cardinal lui a dit qu’elle avait invité Mme Lanthier parce qu’elle pouvait indiquer au plaignant les postes qui étaient disponibles.

35 Le 17 juillet 2012, le plaignant a rencontré M. Brunet à son bureau pour vérifier son dossier. M. Brunet lui a alors demandé pourquoi il maintenait sa plainte au Tribunal puisque l’intimé jugeait qu’il était pleinement qualifié pour le poste. Selon M. Brunet, le plaignant l’a alors informé qu’il retirerait sa plainte si l’intimé avouait avoir abusé de son pouvoir et satisfaisait à certaines autres conditions. M. Brunet lui a répondu qu’il n’était pas autorisé à faire de tels aveux, mais que le plaignant pouvait transmettre ses suggestions à l’administration centrale régionale.

36 Richard Marier est le directeur adjoint aux opérations au Centre régional de réception du SCC à Montréal. Il a déclaré que sa gestionnaire lui avait demandé de contacter le plaignant et trois autres personnes qui avaient été intégrées au bassin de candidats qualifiés pour leur demander s’ils étaient encore intéressés au poste. Parfois, des candidats dans le bassin perdaient leur intérêt pour le poste pour diverses raisons, dont les heures de travail. M. Marier a contacté le plaignant en septembre 2012 pour lui demander s’il était encore intéressé au poste. Le plaignant lui a répondu qu’il désirait être nommé au poste.

Analyse

37 L’article 77(1) de la LEFP stipule qu’une personne qui est dans la zone de recours peut présenter une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination au motif que la CFP ou l’administrateur général a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination.

La plainte est-elle devenue théorique?

38 Le plaignant soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir lors de la correction initiale de son examen écrit parce qu’il a mal évalué ses réponses. L’intimé admet avoir mal évalué les qualifications du plaignant, mais il soutient que le Tribunal devrait rejeter la plainte sans se prononcer sur les allégations du plaignant parce qu’elle est devenue théorique lorsque l’intimé l’a nommé au poste suite à une réévaluation de ses qualifications. Selon l’intimé, il n’y a plus de litige entre les parties.

39 Le plaignant soutient que le Tribunal devrait demeurer saisi de l’affaire pour qu’il puisse conclure que l’intimé a abusé de son pouvoir dans ce processus de nomination.

40 Dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour suprême a statué qu’en vertu de la doctrine relative au caractère théorique (« mootness » en anglais) un tribunal peut refuser d’instruire une cause si elle ne soulève qu’une question hypothétique. Cette doctrine peut s’appliquer quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a des conséquences sur les droits des parties (p. 353):

Le caractère théorique

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer …

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. La jurisprudence n'indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s'applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s'il s'applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d'entendre. Pour être précis, je considère qu'une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel ». Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient.

41 La Cour fédérale a jugé que la doctrine relative au caractère théorique s’appliquait à une demande de révision d’une décision du Tribunal qui avait accueilli une plainte et a constaté son caractère théorique puisque la personne avait été nommée depuis. Voir Canada (Procureur général) c. Grundison,2009 CF 212 (CanLII).

42 Cette analyse comprend donc deux questions :

  1. Existe-t-il encore un litige, c’est-à-dire un « différend concret et tangible » entre les parties?
  2. S’il n’y a plus de litige entre les parties, le Tribunal devrait-il quand même utiliser son pouvoir discrétionnaire pour décider du fond de la plainte?

43 Le Tribunal estime que le « différend concret et tangible » entre les parties a disparu. En effet, selon l’article 77 de la LEFP, la plainte doit porter sur le fait que le plaignant n’a pas été nommé au poste en question à cause d’un abus de pouvoir. Dans ce cas-ci, il y avait initialement un litige entre les parties puisque, lorsque la plainte a été présentée au Tribunal, le plaignant n’avait pas été nommé au poste. Mais ce « différend concret et tangible » a disparu lorsque l’intimé l’a nommé au poste après une réévaluation de son examen écrit.

44 Le Tribunal tient à préciser que lorsqu’un plaignant est nommé par la suite au poste visé par sa plainte, celle-ci ne devient pas nécessairement théorique à cause de ce seul fait. Dans certains cas, il peut encore y avoir litige s’il y a lieu d’imposer des mesures correctives même si la personne a été nommée au poste.

45 Dans l’instance actuelle, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu d’ordonner les mesures correctives demandées par le plaignant. Le Tribunal note d’abord que le plaignant ne conteste pas les qualifications des personnes nommées suite à ce processus de nomination et ne demande pas la révocation de leurs nominations.

46 Le plaignant demande que le Tribunal ordonne à l’intimé d’admettre avoir abusé de son pouvoir et d’émettre une lettre d’excuses parce qu’il a pris trop de temps pour corriger son erreur. Le Tribunal juge qu’il n’y a pas lieu d’ordonner de telles mesures. Dans Canada (Procureur général) c. Stevenson, 2003 CFPI 341 aux paras. 34 et 35 (CanLII), la Cour fédérale a jugé qu’il n’était pas approprié qu’un tribunal administratif émette de telles ordonnances à moins que la loi habilitante du tribunal ne le prévoie, et on ne retrouve pas un tel pouvoir dans la LEFP. De toute façon, le Tribunal ne croit pas que l’intimé ait pris trop de temps pour réévaluer les réponses du plaignant à l’examen écrit. La LEFP ne prévoit pas qu’un organisme doive réévaluer les qualifications d’un candidat. Contrairement à ce que soutient le plaignant, le but de la discussion informelle prévue à l’article 47 de la LEFP n’est pas de réévaluer les qualifications des candidats qui n’ont pas été choisis pour le poste, mais de leur expliquer pourquoi ils ont échoué au processus. Voir, par exemple, Rozka c. Sous‑ministre Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 0046 au para. 76. Si le comité d'évaluation constate lors de la discussion informelle qu’il a commis une erreur lors du processus, il devrait évidement la corriger. Mais il s’agit habituellement d’erreurs évidentes, comme une erreur de calcul. Dans ce cas-ci, il ne s’agit pas d’une erreur à la face même du dossier, mais plutôt d’une divergence de vues sur la valeur des réponses du plaignant à certaines questions de l’examen écrit.

47 Le plaignant demande également comme mesure corrective que le Tribunal ordonne que M. Brunet ne fasse pas partie d’un comité d’évaluation dans le cadre d’un processus de nomination pendant une période de deux ans. Le Tribunal estime que rien dans la conduite de M. Brunet ne justifierait une telle mesure. M. Brunet a fini par admettre que les réponses du plaignant méritaient plus de points, mais il ne s’agissait pas d’une erreur criante qui justifierait une telle mesure corrective. De toute façon, le Tribunal ne peut rendre une telle ordonnance. Voir Procureur général du Canada c. Cameron, 2009 CF 618 aux paras. 18-23.

48 En résumé, le Tribunal conclut que la plainte est devenue théorique parce qu’il n’y a plus de litige entre les parties. La décision du Tribunal n’aurait aucun effet sur les droits des parties.

49 La deuxième partie de l’analyse consiste à décider si, malgré son caractère théorique, les circonstances de cette plainte justifient que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire d’instruire la plainte. Cela pourrait être le cas, par exemple, lorsqu’une plainte soulève des questions importantes qui pourraient avoir un effet sur la dotation en général ou si la conduite alléguée de l’intimé représente des manquements flagrants à la LEFP. Dans ce cas-ci, les questions abordées par le plaignant ne soulèvent pas des principes généraux de dotation et les allégations ne concernent pas des manquements flagrants. Cette plainte traite d’une divergence de vues sur la valeur des réponses du plaignant à l’examen écrit. Le Tribunal conclut donc que cette plainte ne représente pas une situation dans laquelle il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider du bien-fondé des allégations du plaignant.

50 Ayant conclu que cette plainte est devenue théorique parce que le litige entre les parties a disparu, il n’est pas nécessaire d’aborder les allégations du plaignant. Le Tribunal veut quand même formuler quelques commentaires au sujet de ses allégations.

51 Le plaignant soutient que l’intimé aurait dû lui accorder une seconde discussion informelle. Mme Cardinal avait organisé une seconde rencontre qui devait avoir lieu le 26 janvier 2012, mais elle n’a pu rejoindre le plaignant puisqu’il était absent de son travail. Selon le plaignant, elle aurait dû entreprendre d’autres démarches pour organiser une autre rencontre. Le Tribunal ne partage pas cet avis. L’article 47 de la LEFP prévoit que la CFP ou son délégué peut tenir une discussion informelle avec les candidats dont la candidature n’a pas été retenue lors d’un processus de nomination interne. Rien n’oblige un organisme régi par cette Loi d’accorder plus d’une discussion informelle à un candidat qui échoue à un examen.

52 Le plaignant a beaucoup fait état de la manière dont M. Brunet s’est procuré son dossier pour effectuer une révision de ses réponses. Mme Cardinal l’avait remis à la conjointe de M. Brunet qui est une agente de recrutement du SCC, pour qu’elle le remette à M. Brunet. Le Tribunal juge que cela n’a aucune pertinence puisque le fait qu’il l’ait reçu par l’entremise de sa conjointe au lieu d’aller le chercher lui-même au centre d’administration régional n’a eu aucune incidence sur ce processus de nomination.

53 Le plaignant soutient que Mme Lanthier avait été invitée à la rencontre du 9 juillet 2012 pour mettre de la pression sur lui pour qu’il retire sa plainte. Le Tribunal estime que le plaignant n’a pas présenté de preuve pour appuyer cette allégation. Le but de la rencontre était d’annoncer au plaignant qu’il satisfaisait aux exigences du poste suite à une révision de ses qualifications. Selon M. Brunet, la présence de Mme Lanthier à cette rencontre pouvait s’avérer utile puisqu’elle savait quels postes étaient vacants.

54 Il n’est pas clair pourquoi le plaignant a appelé M. Marier à témoigner. M. Marier avait contacté le plaignant en septembre 2012 pour lui demander s’il était encore intéressé au poste. Si le plaignant insinue par cela que l’intimé a tenté de le dissuader d’accepter le poste, le Tribunal doit rejeter une telle interprétation. Rien ne prouve que ce fût l’intention de l’intimé. Comme l’a expliqué M. Marier, il arrive parfois que certains candidats dont le nom a été placé dans le bassin des candidats qualifiés refusent le poste pour diverses raisons, dont les heures de travail.

Décision

55 La plainte est rejetée. Elle est devenue théorique puisqu’il n’y a plus de litige entre les parties.


John Mooney
Vice-président

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2012-0855
Intitulé de la cause :
Serge Dubord et le commissaire du Service correctionnel du Canada
Audience :
Les 13 et 14 décembre 2012 et
Le 25 janvier 2013
Montréal (Québec)
Date des motifs :
Le 25 mars 2013

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant :
Serge Dubord
Pour l’intimé :
Me Christine Diguer
Pour la Commission
de la fonction publique :
Me Marc Séguin
(soumissions écrites)
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