Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’intimé a lancé un processus de sélection aux fins de maintien en poste ou de mise en disponibilité (SMPMD) afin de désigner les employés qui seraient sélectionnés pour une mise en disponibilité. Les employés devaient soumettre à l’évaluation d’un comité deux exemples de situations illustrant en quoi ils répondaient à chacun des quatre critères de mérite. Le comité a jugé que les exemples du plaignant étaient trop généraux et manquaient de profondeur, et que les commentaires des répondants consultés pour valider ces exemples n’apportaient pas de précision appréciable. Les membres du comité ont indiqué que dans le cadre d’un processus de dotation régulier, elles auraient demandé des éclaircissements au plaignant, mais que l’intimé leur avait donné comme consigne de ne poser aucune question et de ne demander aucune clarification aux employés et aux répondants. Décision Les instructions de l’intimé ont empêché le comité d’évaluation d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour poser des questions et obtenir des éclaircissements sur les renseignements dont il disposait. L’application stricte de cette règle a entravé la capacité du comité d’évaluer le plaignant avec un esprit ouvert; l’évaluation du mérite du plaignant était par conséquent fondée sur des éléments insuffisants. Il s’agit là d’erreurs graves qui constituent un abus de pouvoir. La plainte est accueillie. Mesure corrective Le Tribunal a ordonné à l’intimé d’annuler immédiatement sa décision de mettre en disponibilité le plaignant.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2012-0953
Rendue à :
Ottawa, le 22 août 2013

ESHETE HAILU
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE SANTÉ CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de article 65(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est accueillie
Décision rendue par :
Joanne B. Archibald, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Hailu c. Sous-ministre de Santé Canada
Référence neutre :
2013 TDFP 27

Motifs de décision


Introduction

1 Le plaignant, Eshete Hailu, occupe le poste de gestionnaire de l’évaluation, des groupe et niveau EC­07, au sein de Santé Canada. Il estime que l’intimé, le sous­ministre de Santé Canada, a abusé de son pouvoir en le sélectionnant aux fins de mise en disponibilité. Selon lui, l’évaluation de ses qualifications réalisée dans le cadre du processus de sélection aux fins de maintien en poste ou de mise en disponibilité (processus de SMPMD) comportait des lacunes et constituait un abus de pouvoir.

2 L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir. Il affirme avoir déterminé qu’il était nécessaire d’éliminer des postes EC­07 de chef d’équipe dans la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits (DGSPNI) de Santé Canada, dont le poste du plaignant faisait partie. L’intimé a mené un processus de SMPMD au terme duquel le plaignant a été sélectionné aux fins de mise en disponibilité.

3 La Commission de la fonction publique a participé à l’audience en fournissant des observations écrites au sujet de ses politiques et lignes directrices portant sur la sélection de fonctionnaires aux fins de maintien en poste et de mise en disponibilité.

4 Pour les motifs exposés ci­dessous, le Tribunal conclut que la plainte est fondée. L’adoption d’une règle interdisant l’exercice de tout pouvoir discrétionnaire en vue de prendre des mesures raisonnables pour poser des questions ou clarifier certains renseignements dans le cadre du processus de SMPMD a nui à la capacité des personnes concernées à évaluer adéquatement le plaignant.

Contexte

5 Le 8 mai 2012, le plaignant a reçu par écrit une invitation à participer au processus de SMPMD visant les chefs d’équipe EC­07, dont l’objectif était de désigner les employés qui seraient maintenus en poste et ceux qui seraient mis en disponibilité parmi les quatre employés touchés.

6 Dans ce processus, quatre critères de mérite étaient évalués : ils portaient respectivement sur la collecte et le traitement de renseignements, le sens des affaires, le réseautage et le leadership d’équipe. Il avait été déterminé que les critères concernant la collecte et le traitement de renseignements ainsi que le leadership d’équipe permettraient de déterminer qui était la bonne personne et qu’ils serviraient à départager les évaluations des employés maintenus en poste de celles des employés mis en disponibilité. Voir, par exemple, la décision Tibbs c. Sous­ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, para. 63.

7 L’avis envoyé le 8 mai 2012 informait les employés qu’ils auraient à préparer un formulaire de sélection aux fins de maintien en poste (formulaire de SMP) et à le soumettre au comité d’évaluation et de sélection aux fins de maintien en poste (CESMP). Ils devaient y fournir deux exemples de situation illustrant en quoi ils répondaient à chacun des quatre critères de mérite. L’avis indiquait que le formulaire de SMP était un outil d’évaluation crucial et qu’il permettrait aux employés de démontrer de façon concise, claire et précise en quoi ils respectaient les critères de maintien en poste. En outre, les employés devaient fournir le nom de répondants pouvant confirmer chacun des exemples donnés. Les répondants recevaient une copie du document contenant les exemples donnés par les employés. Ils devaient ensuite répondre au CESMP en indiquant, explications à l’appui, si l’employé s’était évalué fidèlement dans l’exemple fourni. Les répondants devaient également formuler des commentaires supplémentaires sur chaque critère de mérite, ainsi que des observations générales.

8 Le CESMP était formé de Monique Stewart, directrice exécutive par intérim, Planification, information et mesure du rendement, DGSPNI, et de Cindy Moriarty, directrice, Division de la gestion des programmes et Langues officielles. Elles ont évalué le formulaire de SMP de chaque employé de même que les commentaires fournis par les répondants, pour ensuite formuler des recommandations sur le maintien en poste ou la mise en disponibilité des employés. Mme Stewart présentait par la suite les recommandations du CESMP au comité de maintien en poste de la Direction générale (CMPDG), aux fins d’approbation. Enfin, les recommandations étaient soumises au sous­ministre adjoint, qui prenait la décision finale concernant le maintien en poste ou la mise en disponibilité des employés.

9 Le 20 juin 2012, le plaignant a été informé qu’en raison des résultats obtenus dans le processus de SMPMD, il ferait l’objet d’une mise en disponibilité. Le 5 juillet 2012, il a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’article 65(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), au motif que sa sélection aux fins de mise en disponibilité constituait un abus de pouvoir.

Question en litige

10 Le Tribunal doit déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir dans la sélection du plaignant aux fins de mise en disponibilité.

Cadre législatif

11 L’article 64 de la LEFP, qui régit le processus à adopter pour désigner les fonctionnaires à mettre en disponibilité, est libellé comme suit :

64. (1) L’administrateur général peut, conformément aux règlements de la Commission, mettre en disponibilité le fonctionnaire dont les services ne sont plus nécessaires faute de travail, par suite de la suppression d’une fonction ou à cause de la cession du travail ou de la fonction à l’extérieur des secteurs de l’administration publique fédérale figurant aux annexes I, IV ou V de la Loi sur la gestion des finances publiques; le cas échéant, il en informe le fonctionnaire.

(2) Dans les cas où il décide dans le cadre du paragraphe (1) que seulement certains des fonctionnaires d’une partie de l’administration seront mis en disponibilité, la façon de choisir les fonctionnaires qui seront mis en disponibilité est déterminée par les règlements de la Commission.

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans les cas où le fonctionnaire est licencié dans les circonstances prévues à l’alinéa 12(1)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

(4) Le fonctionnaire mis en disponibilité perd sa qualité de fonctionnaire.

12 L’article 21 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005­334 (le REFP) prévoit la tenue d’un processus de SMPMD lorsque des mises en disponibilité doivent être effectuées parmi des fonctionnaires occupant des postes semblables ou exerçant des fonctions semblables et appartenant aux mêmes groupe et niveau professionnels. Plus précisément, cet article établit ce qui suit :

21. (1) Lorsque les services d’un ou de plusieurs fonctionnaires d’un secteur de l’administration ne sont plus nécessaires aux termes de l’article 64 de la Loi, l’administrateur général évalue le mérite des fonctionnaires qui occupent des postes semblables ou exercent des fonctions semblables des mêmes groupe et niveau professionnels dans ce secteur et désigne, en fonction du mérite, lesquels seront conservés pour l’accomplissement des fonctions permanentes de ce secteur de même que ceux des fonctionnaires restants qui seront informés que leurs services ne sont plus nécessaires et qui seront mis en disponibilité.

13 L’article 65(1) de la LEFP prévoit un recours dans les situations de mise en disponibilité :

65. (1) Dans les cas où seulement certains des fonctionnaires d’une partie de l’administration sont informés par l’administrateur général qu’ils seront mis en disponibilité, l’un ou l’autre de ces fonctionnaires peut présenter au Tribunal, dans le délai et selon les modalités fixés par règlement de celui­ci, une plainte selon laquelle la décision de le mettre en disponibilité constitue un abus de pouvoir.

14 La LEFP ne définit pas l’abus de pouvoir, mais l’article 2(4) précise qu’il inclut la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Il faut plus qu’une simple erreur pour qu’il y ait abus de pouvoir. Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend de la nature et de la gravité de l’erreur. L’abus de pouvoir peut également comprendre la conduite irrégulière et les omissions. Ce sont la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière et l’ampleur de l’omission qui permettent de déterminer si celles­ci constituent un abus de pouvoir ou non. (Voir la décision Tibbs, para. 66.)

15 La définition d’abus de pouvoir est large et ne comprend pas la notion d’intention. (Voir la décision Kane c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 19, para. 57-67, infirmée pour d’autres motifs – décision Canada (Procureur général) c. Kane, 2012 CSC 64; et la décision Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, para. 31-40.) À ce sujet, le Tribunal a établi ce qui suit au paragraphe 74 de la décision Tibbs :

Lorsqu’un gestionnaire involontairement procède à une nomination qui va clairement à l’encontre de la logique et des renseignements disponibles, cela peut ne pas constituer un acte de mauvaise foi, un acte répréhensible intentionnel ou une conduite irrégulière, mais le gestionnaire peut avoir abusé de son pouvoir discrétionnaire.

16 Les plaintes instruites dans les décisions Kane, Lahlali et Tibbs ont été présentées en vertu de l’article 77 de la LEFP, qui concerne les nominations découlant de processus de nomination internes. Au paragraphe 93 de la décision Maclean c. le secrétaire du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, 2012 TDFP 0021, le Tribunal a établi que l’abus de pouvoir doit avoir le même sens, que la plainte ait été présentée en vertu de l’article 65(1) de la LEFP (mise en disponibilité) ou de l’article 77 de la LEFP.

Analyse

17En l’espèce, le plaignant soutient qu’il y a eu abus de pouvoir dans sa sélection aux fins de mise en disponibilité. Il affirme que le processus d’évaluation de SMPMD était déficient, que les commentaires fournis par ses répondants n’ont pas été bien utilisés et que l’examen des recommandations du CESMP réalisé par le CMPDG n’était pas pertinent.

18Dans son témoignage, Mme Stewart a fourni des précisions sur le processus d’évaluation mené par le CESMP. Elle a affirmé que l’équipe de direction de la DGSPNI l’avait informée qu’il était interdit au CESMP de poser des questions ou de demander des précisions aux employés ou à leurs répondants. L’évaluation devait reposer uniquement sur le formulaire de SMP et les commentaires des répondants tels qu’ils avaient été présentés.

19Mme Stewart a affirmé que pour amorcer le processus d’évaluation, Mme Moriarty et elle avaient d’abord évalué individuellement les employés en fonction du formulaire de SMP et des commentaires des répondants. Elles s’étaient ensuite rencontrées pour s’expliquer mutuellement leur évaluation et les résultats attribués. Si leurs résultats pour un critère de mérite donné étaient identiques, elles considéraient que l’évaluation de l’employé faisait consensus. Si les résultats différaient, elles discutaient plus en profondeur de leur évaluation. Après avoir atteint un consensus, elles étudiaient les commentaires des répondants pour valider le résultat.

20Mme Stewart a témoigné au sujet de son évaluation du plaignant. Elle a affirmé que selon elle, le formulaire de SMP du plaignant comportait moins de renseignements précis et détaillés que celui des autres employés. Les formulaires de SMP des autres employés n’ont pas été présentés aux fins de comparaison. Toutefois, pour illustrer ce qu’il manquait dans le formulaire du plaignant, Mme Stewart a donné comme exemple l’explication que celui­ci avait fournie pour démontrer en quoi il répondait au critère de mérite relatif au réseautage. Il avait en effet décrit les mesures qu’il avait prises pour créer et coordonner un groupe de travail et un comité consultatif. Selon elle, le plaignant n’avait pas décrit les méthodes qu’il utilisait pour présider les réunions, gérer les groupes de travail, recruter des membres, prendre des décisions et gérer les conflits. Ces aspects n’avaient pas non plus été traités par les répondants. Les commentaires de l’un deux ne décrivaient pas avec précision les indicateurs de comportement et n’ont donc pas influé sur l’évaluation. L’autre répondant n’avait quant à lui fourni aucun détail.

21 En ce qui concerne le critère concernant la collecte et le traitement de renseignements, Mme Stewart estimait que l’exemple fourni par le plaignant, qui décrivait une analyse des données manquantes relatives à la santé mentale et à la dépendance, n’était pas suffisamment détaillé pour lui permettre d’effectuer l’évaluation. En effet, bien que le plaignant ait indiqué avoir réalisé une telle analyse, Mme Stewart n’avait aucun moyen de déterminer les processus utilisés, les données manquantes ou la méthode d’analyse employée. Il lui était impossible d’évaluer le degré de compétence du plaignant. Les répondants ont confirmé l’exemple, mais n’ont ajouté aucun renseignement qui aurait pu aider le CESMP à évaluer le plaignant.

22 Mme Stewart a ajouté que s’il s’était agi d’un processus de dotation régulier, et non d’un processus de SMPMD, elle aurait demandé des éclaircissements à l’employé ou aux répondants.

23 Une fois l’évaluation du CESMP terminée, Mme Stewart a présenté au CMPDG les recommandations relatives au maintien en poste ou à la mise en disponibilité. Selon Mme Stewart, le rôle du CMPDG consistait à poser un regard critique sur les recommandations. À cette fin, les membres du CMPDG pouvaient examiner les feuilles de résultats et les évaluations du CESMP. Ils n’ont toutefois pas consulté les formulaires de SMP des employés ni les commentaires des répondants. Mme Stewart a indiqué que les membres du CMPDG n’avaient posé aucune question.

24 Selon Mme Stewart, le CMPDG a accepté les recommandations du CESMP, lesquelles ont été envoyées au sous­ministre adjoint pour que celui­ci prenne la décision finale; le plaignant a par la suite été informé qu’il avait été sélectionné aux fins de mise en disponibilité.

25 Mme Moriarty a témoigné au sujet de son rôle dans le processus de SMPMD en tant que membre du CESMP. Elle a confirmé avoir reçu les formulaires de SMP et les commentaires des répondants et avoir préparé son évaluation préliminaire avant de rencontrer Mme Stewart pour discuter des résultats et atteindre un consensus.

26 Mme Moriarty a indiqué que les commentaires des répondants servaient à valider les exemples. Les membres du CESMP cherchaient des renseignements sur les critères de mérite. Selon elle, les commentaires des répondants n’avaient aucun poids et n’étaient pas évalués, sauf dans le cas du plaignant, pour qui le résultat sur le leadership d’équipe a été abaissé à la lumière de ces commentaires, comme il en sera fait état ci­après.

27 Mme Moriarty a expliqué le processus d’évaluation du plaignant, qui reposait sur les exemples présentés dans son formulaire de SMP et les commentaires de ses répondants. Pour démontrer qu’il répondait au critère relatif à la collecte et au traitement de renseignements, le plaignant a indiqué qu’il avait effectué une analyse des données manquantes. Selon Mme Moriarty, les activités et les mesures décrites par le plaignant correspondaient à celles d’un niveau supérieur, et elle ne doutait aucunement du fait que le plaignant savait ce qu’il faisait. Bien que le plaignant ait énuméré les mesures prises pour réaliser l’analyse des données manquantes, Mme Moriarty aurait souhaité, à des fins d’évaluation, qu’il décrive plus en détail les activités effectuées et qu’il donne des précisions sur les données manquantes en question. Mme Moriarty a affirmé qu’elle n’avait aucun doute que le plaignant avait bel et bien réalisé ces activités, mais qu’il lui était néanmoins impossible de déterminer la raison d’être du projet, la démarche employée et les mesures prises par le plaignant pour remédier à la situation. Le répondant qui devait commenter cet exemple a affirmé que l’autoévaluation du plaignant était fidèle, mais selon Mme Moriarty, les explications appuyant cette affirmation n’étaient pas concluantes. Elle a souligné que le répondant avait indiqué qu’il avait participé à l’étape de planification du projet, et qu’il avait cru comprendre que le projet n’avait pas été mené à terme. Ces affirmations ont amené Mme Moriarty à se demander si le répondant pouvait réellement valider l’exemple donné. Aucune mesure visant à éclaircir cette impression n’a été prise.

28 Dans son témoignage, Mme Moriarty a également abordé l’exemple fourni par le plaignant pour démontrer qu’il répondait au critère relatif à la collecte et au traitement des renseignements, à savoir son rôle d’évaluateur principal dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones. Selon elle, l’exemple n’était pas suffisamment détaillé. Bien que le répondant concerné ait confirmé la validité de l’exemple et ajouté que le plaignant avait réalisé d’importants progrès en tant qu’évaluateur, Mme Moriarty a indiqué que le CESMP souhaitait obtenir des renseignements concrets plutôt que des commentaires généraux de cet ordre. Elle estimait qu’il était malheureux que le plaignant et son répondant n’aient pas fourni davantage de détails.

29 Dans l’exemple concernant le critère de mérite relatif au sens des affaires, le plaignant décrivait le rôle qu’il avait joué et les mesures qu’il avait prises pour lancer un processus de planification de l’évaluation. Mme Moriarty a affirmé qu’elle était au courant du projet en question et que sa compréhension de la description du plaignant s’en trouvait améliorée, mais qu’elle n’en avait pas tenu compte dans son évaluation. Pour évaluer le plaignant, elle souhaitait vérifier si les travaux du plaignant avaient entraîné des résultats positifs pour la DGSPNI; toutefois, aucune information à cet égard n’était fournie dans l’exemple. Elle estimait qu’il lui était donc impossible d’attribuer une note élevée au plaignant, étant donné que celui­ci n’avait pas bien décrit ses travaux dans l’exemple donné. Les commentaires généraux du répondant, lesquels validaient la description de l’exemple, n’étaient d’aucune aide dans l’évaluation.

30 En ce qui concerne les exemples fournis au sujet du réseautage, Mme Moriarty trouvait qu’ils étaient trop généraux. La description n’était pas mauvaise, mais elle manquait de détail et le plaignant aurait pu approfondir sa réponse. Les commentaires d’un des répondants étaient très positifs, mais il était difficile pour Mme Moriarty d’établir leur lien avec le critère à évaluer. L’autre répondant, qui n’avait pas non plus traité du critère en question, se montrait quant à lui un peu plus critique à l’égard du plaignant.

31 Enfin, pour ce qui est de l’exemple concernant le leadership d’équipe, Mme Moriarty était d’avis que les intentions étaient bonnes, mais elle avait tout de même des questions sur le contexte, les défis relevés, la tenue des réunions et l’exploitation des forces des membres de l’équipe. Pour que Mme Moriarty soit en mesure d’évaluer l’exemple rigoureusement, il aurait fallu que celui‑ci soit plus détaillé. Elle a souligné que dans son exemple, le plaignant avait fait référence à des exigences en matière de protection des renseignements personnels, mais qu’elle ne comprenait pas la pertinence de ces observations. Le répondant critiquait quant à lui les capacités du plaignant, sans toutefois donner d’exemple à l’appui. Le CESMP a donc abaissé le résultat du plaignant pour ce critère de mérite à la lumière des commentaires négatifs du répondant. Toutefois, cette réduction n’a eu aucune incidence sur le classement final du plaignant dans le processus de SMPMD.

32 Mme Moriarty a affirmé que le CESMP n’entreprenait aucune démarche lorsque des questions étaient soulevées au sujet des documents présentés. Ces derniers étaient évalués tels quels, car elle avait cru comprendre que les recommandations devaient se fonder uniquement sur les observations fournies par écrit.

33 Au paragraphe 70 de la décision Tibbs, le Tribunal énumère quelques exemples d’abus de pouvoir, lesquels comprennent l’adoption d’une politique qui entrave indûment la capacité d’examiner les cas individuels avec un esprit ouvert ainsi que la prise de décision à partir d’éléments insuffisants. Selon les éléments de preuve, ces deux situations s’appliquent en l’espèce et, par conséquent, il y a eu abus de pouvoir.

34 Un processus de SMPMD vise à sélectionner, en fonction du mérite, les fonctionnaires qui demeureront en poste pour poursuivre les travaux de la partie touchée de l’organisation et ceux qui seront mis en disponibilité. En l’espèce, les deux membres du CESMP ont affirmé avoir des questions sur les exemples du plaignant et les commentaires des répondants. Toutes deux estimaient que les renseignements fournis n’étaient pas suffisamment détaillés. Il est certes possible que le plaignant et les répondants n’aient rien eu à ajouter; en revanche, il est tout aussi possible qu’ils n’aient pas bien compris le degré de détail exigé pour la description des qualifications. Quoi qu’il en soit, en posant des questions et en obtenant les réponses voulues, le CESMP aurait pu évaluer plus rigoureusement le mérite du plaignant au regard des quatre critères de mérite évalués dans le processus de SMPMD. Toutefois, comme l’a indiqué Mme Stewart, le CESMP avait reçu la consigne de ne poser aucune question et de ne demander aucune précision aux employés ou aux répondants.

35 Les instructions de la DGSPNI ont empêché les membres du CESMP d’exercer leur pouvoir discrétionnaire en vue de poser des questions ou d’obtenir des éclaircissements au sujet des renseignements dont elles disposaient. Le processus de SMPMD visait à sélectionner, en fonction du mérite, les fonctionnaires qui demeureraient en poste dans la partie touchée de l’organisation, mais l’application stricte de cette interdiction a fait en sorte que les qualifications du plaignant n’ont pas été examinées avec un esprit ouvert. Le témoignage des membres du CESMP comporte de nombreux exemples de situations où l’application stricte de la règle a mené les évaluatrices à faire fi de la possibilité que le plaignant puisse posséder des compétences supérieures à ce qu’indiquaient les renseignements fournis. Mentionnons à titre d’exemple, pour n’en nommer qu’un, la déclaration de Mme Moriarty selon laquelle elle ne doutait aucunement des capacités du plaignant en ce qui concerne l’analyse des données manquantes, mais qu’étant donné que le plaignant n’avait pas fourni suffisamment de détail dans son formulaire de SMP, elle était limitée dans son argumentation et ne pouvait pas obtenir les renseignements qui manquaient selon elle.

36 Aux paragraphes 122 et 123 de la décision Bowman c. le Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 0012, le Tribunal a établi ce qui suit :

122 […] Il a été bien établi qu’on ne peut pas adopter des politiques ou des lignes directrices qui entraveraient l’exercice du pouvoir discrétionnaire des décideurs. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, il faut appliquer ce pouvoir à tous les cas. Chaque cas doit être examiné sur le fond. (Voir, par exemple : Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S. et Dorothea Knitting Mills Ltd. c. Canada (Ministre du revenu national - M.R.N.), [2005] A.C.F. no 394, 295 F.T.R. 314 (C.F.P.I.).)

123 Ainsi, lorsqu’on accorde à un délégué un pouvoir discrétionnaire, comme c’est le cas en l’espèce, et qu’au lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire il ne s’appuie que sur l’application d’une ligne directrice pour évaluer une qualification essentielle en particulier, cela peut constituer un abus de pouvoir. On peut déterminer qu’une application stricte de la ligne directrice entrave la capacité du délégué de tenir compte des cas individuels avec un esprit ouvert.

37 L’adoption d’une règle interdisant au CESMP d’obtenir des renseignements a entravé indûment sa capacité d’évaluer le plaignant avec un esprit ouvert. Comme Mme Stewart l’a elle­même souligné, s’il s’était agi d’un processus de nomination normal, elle aurait certainement cherché à obtenir réponse à ses questions. Il est souvent permis de demander des renseignements ou des éclaircissements dans le cadre d’une évaluation, pourvu que la demande soit formulée avec précaution et qu’elle ne constitue pas, par exemple, un traitement de faveur ou un geste de partialité. Voir la décision Morgenstern c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2010 TDFP 0018. S’il est jugé pertinent de poser des questions et d’obtenir des éclaircissements lorsqu’il s’agit de sélectionner des employés à des fins de nomination, il devrait être tout aussi pertinent de le faire lorsqu’il s’agit de sélectionner les employés qui seront maintenus en poste dans le cadre d’un processus de SMPMD.

38 Le CESMP n’a pas pris les mesures nécessaires pour vérifier si des renseignements complets et fiables pouvaient raisonnablement être obtenus en vue de l’évaluation du plaignant. Ces mesures n’ayant pas été prises, l’évaluation du plaignant était fondée sur des éléments insuffisants, ce qui a fait en sorte que la décision concernant le mérite du plaignant ne reposait pas sur des bases fiables. Il s’agit là d’erreurs graves qui constituent un abus de pouvoir. Voir la décision Poirier c. le sous­ministre des Anciens Combattants, 2011 TDFP 0003, para. 65­67.

39 Le plaignant avait également soulevé une question concernant le rôle du CMPDG et sa capacité de poser un véritable regard critique sur les recommandations du CESMP, fonction décrite dans le témoignage de Mme Stewart. Bien que la plainte ait été accueillie pour d’autres motifs, le Tribunal doute que le CMPDG ait été en mesure d’évaluer de façon pertinente les recommandations du CESMP sans avoir accès aux documents qui en constituaient la base, à savoir les formulaires de SMP et les commentaires des répondants. Le CMPDG n’avait en fait d’autre choix que de se fier exclusivement aux recommandations du CESMP.

Décision

40 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est accueillie.

Ordonnance

41 Le Tribunal ordonne à l’intimé d’annuler immédiatement sa décision de mettre en disponibilité le plaignant.


Joanne B. Archibald
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2012-0953
Intitulé de la cause :
Eshete Hailu et le sousministre de Santé Canada
Audience :
Les 7 et 8 mai 2013
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 22 août 2013

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant :
Karen Brook
Pour l’intimé :
Allison Sephton
Pour la Commission
de la fonction publique:
Claude Zaor
(observations écrites)
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