Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La candidature du plaignant a été rejetée au motif qu’il n’a pas satisfait à trois qualifications essentielles établies pour le poste, lesquelles ont été évaluées en partie par la vérification de références. Lorsque les références ont été prises en considération, le plaignant n’a pas obtenu la note de passage. Le plaignant allègue que le comité d’évaluation a choisi les répondantes de façon inappropriée et qu’il s’est basé sur des références non fiables. Il maintient également que les membres du comité n’étaient pas impartiaux et qu’ils n’auraient pas dû refuser de reconsidérer leur décision d’éliminer sa candidature. Il allègue aussi que l’intimé a fait preuve de discrimination à son égard. Décision Le comité d’évaluation avait demandé que le plaignant lui fournisse les noms de deux répondants. Ayant déterminé que les références de ces répondantes étaient contradictoires, le comité d’évaluation n’était pas obligé d’obtenir le consentement du plaignant avant de consulter une autre répondante, pourvu que cette dernière ait eu une connaissance suffisante du rendement du candidat au travail. De plus, le simple fait qu’un candidat n’est pas d’accord avec les observations d’un répondant ne prouve pas que la référence n’est pas fiable. L’intimé n’avait aucune raison de douter de la fiabilité des observations des répondantes. D’autre part, nonobstant la documentation présentée par le plaignant lors de la discussion informelle à l’appui de sa candidature, le comité n’avait pas l’obligation de réévaluer ses qualifications en remplaçant les références par la documentation qu’il leur avait soumise. Le plaignant n’a également pas établi que les membres du comité ont fait preuve de partialité à son égard ni que la race, la couleur ou l’origine ethnique du plaignant ont été des facteurs dans la décision de ne pas le nommer au poste en question. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier :
2012-0973
Rendue à :
Ottawa, le 27 août 2013

GANDHI JEAN PIERRE
Plaignant
ET
LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de article 77(1)(a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
John Mooney, vice-président
Langue de la décision :
Français
Répertoriée :
Jean Pierre c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada
Référence neutre :
2013 TDFP 28

Motifs de décision


Introduction

1 Gandhi Jean Pierre, le plaignant, a participé à un processus de nomination interne annoncé pour le poste d’agent d’audience aux groupe et niveau FB-05 à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Sa candidature a été rejetée au motif qu’il n’a pas satisfait à trois qualifications essentielles établies pour le poste.

2 Le plaignant allègue que le président de l’ASFC, l’intimé, a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite dans ce processus de nomination. Plus spécifiquement, le plaignant soutient que le comité d’évaluation a choisi les répondantes de façon inappropriée, et qu’il s’est basé sur deux références qui n’étaient pas fiables parce que les répondantes n’étaient pas impartiales à son égard. Il fait également valoir que les membres du comité d’évaluation n’étaient pas impartiaux et qu’ils n’auraient pas dû refuser de reconsidérer leur décision d’éliminer sa candidature. De plus, le plaignant maintient que les répondantes et les membres du comité d’évaluation ont fait preuve de discrimination à son égard à cause de sa race, de sa couleur et de son origine ethnique.

3 L’intimé nie les allégations.

4 La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas participé à l’audience mais a fourni au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) des observations écrites dans lesquelles elle décrit les lignes directrices et les guides de la CFP qu’elle estime les plus pertinentes pour ce processus de nomination. La CFP ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte.

5 Pour les motifs qui suivent, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas établi que l’intimé a abusé de son pouvoir dans ce processus de nomination.

Contexte

6 Le 9 décembre 2010, l’intimé a affiché une Annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice, le site Web du gouvernement fédéral, pour créer un bassin de candidats qualifiés qui servirait à doter des postes d’agent d’audience aux groupe et niveau FB‑05, à titre intérimaire ou pour une période indéterminée, au sein de la division de l’Exécution de la loi de l’ASFC à Montréal.

7 Le comité d’évaluation était présidé par Khalid Meniaï qui était alors superviseur, Exécution de la Loi (Audiences-Interventions). Le comité d’évaluation comprenait également Réjean Théberge, agent d’audience, section Immigration, et Catherine Raymond, agente d’audience, Bureau des audiences de Montréal. Anne‑Marie Signori, chef des Opérations, Audiences (Appels et Interventions), était la gestionnaire à qui l’intimé avait sous-délégué le pouvoir de dotation. Miruna Vasilescu a agi à titre de conseillère en ressources humaines dans ce processus de nomination; elle ne faisait pas partie du comité d’évaluation. Toutes ces personnes travaillaient à l’ASFC.

8 La candidature du plaignant a été rejetée parce qu’il n’a pas satisfait aux qualifications essentielles « jugement », « intégrité » et « fiabilité ». La note de passage pour chaque qualification était de 60 %. Le jugement et l’intégrité étaient évalués par l’entrevue et la vérification des références. Une note globale combinant l’entrevue et les références était attribuée à chacune de ces deux qualifications. Le plaignant a offert une bonne performance à l’entrevue, mais n’a pas satisfait à ces qualifications lorsque le comité d’évaluation a pris en considération les références. Il a obtenu une note globale de 50 % pour chacune de ces deux qualifications essentielles. Pour ce qui est de la fiabilité, elle a été évaluée par la vérification des références seulement. Le plaignant a reçu une note de 44 % et n’a donc pas obtenu la note de passage pour cette qualification essentielle.

9 Le 3 juillet 2012, l’intimé a affiché l’avis intitulé Information concernant une nomination intérimaire qui annonçait la nomination intérimaire d’une personne au poste susmentionné.

10 Le 19 juillet 2012, le plaignant a présenté au Tribunal une plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, édictée par les articles 12 et 13 du ch. 22 des L.C. 2003 (la LEFP).

11 Le plaignant a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’il avait l’intention de soulever une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne L.R.C., 1985, ch. H-6 (LCDP). La CCDP a informé le Tribunal qu’elle n’entendait pas participer à l’audience ni présenter d'observations.

Question préliminaire

12 Le plaignant et l’intimé ont demandé qu’un rapport médical et des documents ayant trait à des demandes de résidence au Canada par des ressortissants étrangers soient mis sous scellé à cause de leur nature confidentielle. Le Tribunal a accordé la demande.

Questions en litige

13 Afin de déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite dans ce processus de nomination, et plus spécifiquement dans l’évaluation des qualifications du plaignant, le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. Le comité d’évaluation a-t-il choisi les répondantes de façon appropriée?
  2. Les références fournies étaient-elles fiables?
  3. Les membres du comité d’évaluation étaient-ils impartiaux?
  4. Le comité d’évaluation était-il tenu de réévaluer le plaignant?
  5. Les répondantes et les membres du comité d’évaluation ont-ils fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant?

Analyse

14 L’article 77(1) de la LEFP stipule qu’une personne qui est dans la zone de recours peut présenter une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination au motif que la CFP ou l’administrateur général a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination. La LEFP ne définit pas ce qu’est un abus de pouvoir, mais l’article 2(4) indique qu’« [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

15 Comme l’a établi la jurisprudence du Tribunal, ce libellé indique que l’abus de pouvoir doit être interprété de façon large et ne se limite pas à la mauvaise foi et au favoritisme personnel. La Cour d’appel fédérale dans la décision Kane c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 19 au para. 64, a confirmé cette interprétation en statuant qu'une erreur peut également constituer un abus de pouvoir. (La décision de la Cour d’appel a été infirmée par la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Kane, 2012 CSC 64, pour un autre motif.) La nature et la gravité de l’erreur servent à déterminer s’il s’agit d’un abus de pouvoir.

16 Une omission ou une conduite irrégulière peuvent aussi constituer un abus de pouvoir. L'ampleur de l'omission et la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière détermineront si elles constituent un abus de pouvoir ou non. Voir la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008.

17 Il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination (Tibbs aux para. 49 et 55).

Question I :  Le comité d’évaluation a-t-il choisi les répondantes de façon appropriée?

18 Le plaignant soutient que l’intimé aurait dû lui permettre de choisir ses répondantes, que l’intimé ne pouvait les choisir sans son accord, et que l’intimé n’aurait pas dû choisir une répondante qui n’était pas sa superviseure immédiate.

19 Le plaignant a expliqué que lors du processus de nomination, son poste d’attache était celui d’agent d’immigration et de citoyenneté aux groupe et niveau PM‑03 à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Lorsque le processus de nomination a débuté, il avait été nommé au poste d’agent d’examen des risques avant renvoi aux groupe et niveau PM-04 à titre intérimaire dans la division d’Examen des risques avant renvoi (ERAR) de CIC. Cette nomination intérimaire avait débuté le 15 novembre 2010 et s’est terminée le 28 octobre 2011. Pendant cette période, Cathie Giroux, coordonnatrice, ERAR, CIC, était sa superviseure. Il est retourné à son poste d’attache le 29 octobre 2011, avant la fin de ce processus de nomination.

20 Mme Raymond a expliqué comment le comité d’évaluation a procédé au choix des répondants. Avant l’entrevue, l’intimé avait remis aux candidats un formulaire sur lequel ils devaient fournir les noms de deux répondants. Le premier devait être celui de leur superviseur immédiat actuel et le second nom devait être celui d’une autre personne avec qui le candidat avait eu un lien professionnel au cours des quatre dernières années. Le plaignant a fourni le nom de Mme Giroux, sa superviseure immédiate actuelle, et celui de Sophie Kobrynsky, sa superviseure précédente.

21 Mme Raymond et M. Meniaï ont déclaré que le plaignant a remis le formulaire contenant le nom de ses répondantes lors de l’entrevue et n’a fait aucun commentaire à leur sujet.

22 Mme Raymond et M. Meniaï ont décrit comment le comité d’évaluation a mené les vérifications des références. Le comité d’évaluation faisait d’abord parvenir aux répondantes le formulaire d’entrevue de référence qui incluait les définitions des qualités personnelles évaluées et les questions de l’entrevue. Un des membres du comité d’évaluation interviewait ensuite la répondante et les trois membres du comité d’évaluation examinaient leurs réponses et leur attribuait une note par consensus.

23 Mme Raymond a déclaré qu’elle a rencontré Mme Giroux le 30 novembre 2011. Mme Raymond lui a posé les questions de référence et elle a résumé ses réponses dans le questionnaire d’entrevue de référence. Les observations de Mme Giroux à l’égard du plaignant étaient généralement défavorables.

24 Mme Raymond a affirmé que, généralement, le comité d’évaluation ne contactait qu’un répondant, c’est-à-dire le superviseur immédiat actuel du candidat. Il contactait rarement la seconde personne fournie à titre de répondant. Mais puisque le plaignant avait réussi à l’entrevue et que la référence de Mme Giroux était généralement négative, le comité d’évaluation a décidé de contacter la seconde personne dont le nom avait été fourni par le candidat, soit Mme Kobrynsky.

25 Mme Raymond a interviewé Mme Kobrynsky par téléphone le 13 décembre 2011. Elle a résumé les observations de cette seconde répondante dans le questionnaire d’entrevue de référence. Les observations de Mme Kobrynsky étaient positives.

26 Dans son témoignage, M. Meniaï a déclaré que le comité d’évaluation faisait alors face à deux évaluations contradictoires, soit une évaluation défavorable de la part de Mme Giroux et une évaluation favorable de la part de Mme Kobrynsky. Il en a discuté avec Mme Signori, la gestionnaire du poste à doter. Après cette discussion, le comité d’évaluation a décidé de contacter une troisième répondante, Dianne Clément, directrice régionale, qui était la superviseure de Mme Giroux et la gestionnaire de la division d’ERAR à CIC où travaillait le plaignant au début du processus d’évaluation. Mme Signori a offert de mener l’entrevue de référence et M. Meniaï lui a fait parvenir le questionnaire de référence.

27 Mme Signori a rencontré Mme Clément le 19 décembre 2011. Elle lui a posé les questions contenues dans le questionnaire de référence et a transcrit les réponses sur ce questionnaire. Elle a ensuite résumé les réponses de Mme Clément et les a rapportées à M. Meniaï dans un courriel en date du 4 janvier 2012. Les observations de Mme Clément au sujet du plaignant étaient généralement défavorables.

28 Le plaignant soutient que l’intimé aurait dû lui laisser choisir ses répondantes et que l’intimé ne pouvait choisir un répondant sans son consentement. Le plaignant a référé au document de la CFP intitulé Vérification structurée des références Guide des pratiques exemplaires qui précise que les candidats peuvent choisir les répondants et qu’ils devraient jouer un rôle actif dans leur sélection et leur préparation.

29 Le Tribunal juge que cette allégation n’est pas fondée. Le plaignant a participé en partie au choix des répondants en suggérant que Mme Kobrynsky agisse à ce titre, mais il est cependant vrai qu’il n’a pas participé au choix de Mmes Giroux et Clément. Pour ce qui est de Mme Giroux, il devait inclure son nom sur le formulaire de référence puisque ce formulaire demandait aux candidats de fournir le nom de deux références, dont celui de leur superviseur immédiat. Le comité d’évaluation n’a pas consulté le plaignant pour ce qui est de Mme Clément. Toutefois, rien n’oblige un comité d’évaluation d’obtenir l’aval d’un candidat pour le choix d’une répondante. Le document susmentionné de la CFP suggère que le candidat participe au choix des répondantes mais n’oblige pas le comité d’évaluation d’accepter les suggestions du candidat. Le Tribunal tient aussi à préciser que le document auquel réfère le plaignant est un guide et non des lignes directrices au sens des articles 16 et 29(3) de la LEFP lesquelles, comme l’indiquent ces dispositions, lient l’administrateur général à qui la CFP a délégué le pouvoir de dotation. Les guides, comme l’explique la CFP dans ses observations écrites, fournissent des conseils pratiques qui ne lient pas l’administrateur général.

30 Le Tribunal a jugé dans Oddie c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 0030 aux para. 68 et 69, que le consentement du candidat n'est pas nécessaire pour communiquer avec les répondants qui travaillent dans la fonction publique. Voir aussi Dionne c. le Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 0011; Gabon c. le sous-ministre d’Environnement Canada, 2012 TDFP 0029 au para. 48.

31 Le plaignant a porté à l’attention du Tribunal un autre document de la CFP concernant les références intitulé La vérification des références. Il soutient que ce document indique que le comité d’évaluation est obligé d’obtenir le consentement du candidat dans le choix des répondants. Le plaignant s’appuie sur les extraits suivants :

Regard sur le passé

[…] Le présent guide fournit des renseignements pratiques permettant de tirer le maximum de la vérification des références.

On distingue deux fins pour lesquelles sont utilisées les vérifications des références. La première est l'évaluation de la fiabilité/sécurité. La seconde est l'évaluation des capacités, compétences, qualités personnelles ou autres qualités. La même vérification des références servira souvent à ces deux fins. L'évaluation de la fiabilité/sécurité se fait conformément à la politique du Conseil du Trésor. Dans le présent guide, l'accent sera mis sur l'utilisation de la vérification des références pour évaluer les capacités, les compétences, les qualités personnelles et les autres qualités.

La question du consentement

Avant d'aborder la vérification des références, voyons la question du consentement des candidats.

Lorsque la vérification des références doit servir à évaluer la fiabilité/sécurité, le Conseil du Trésor a besoin du consentement des candidats. Lorsque cette vérification sert à évaluer une qualité autre que la fiabilité/sécurité, le consentement n'est pas nécessaire pour communiquer avec les répondants de la fonction publique, mais il l'est pour communiquer avec les répondants de l'extérieur de la fonction publique.

Étant donné que la vérification des références implique souvent la recherche d'information se rapportant à la fois à la fiabilité/sécurité et à d'autres qualités, on aura normalement besoin du consentement du candidat. Mais même dans le cas où le consentement du candidat n'est pas requis, on suggère de le lui demander quand même par courtoisie.

[Caractères gras ajoutés]

32 Ce document, comme le document précédent auquel le plaignant a fait référence, est un guide qui fournit des conseils pratiques qui ne lient pas l’administrateur général. Il précise qu’il faut obtenir le consentement du candidat lorsque l’organisme vérifie la « fiabilité-sécurité » du candidat pour les fins d’établir sa cote de sécurité. Cette vérification est faite, comme l’indique le passage ci-dessus, en vertu de pouvoirs délégués par le Conseil du Trésor. Rien n’indique qu’une telle vérification a été effectuée dans ce cas-ci. En fait, une telle vérification n’était pas nécessaire puisque, comme l’indique l’Annonce de possibilité d’emploi, la cote de sécurité pour ce poste n’était pas la cote « fiabilité », mais la cote « [s]ecrète ».

33 La « fiabilité » qui a été évaluée par le comité d’évaluation n’a rien à voir avec la cote de sécurité. Il s’agit plutôt d’une des qualifications essentielles établies par le l’intimé en vertu de l’article 30(2) de la LEFP qui lui confère le pouvoir d’établir les qualifications pour un poste. L’évaluation de cette qualification est un pouvoir délégué à l’intimé par la CFP, et non par le Conseil du Trésor comme c’est le cas pour les cotes de sécurité. Le questionnaire de référence définit cette qualification de la façon suivante : « digne de confiance ». Comme l’indique le passage ci-dessus, l’évaluation de la « fiabilité » en tant que qualification inscrite dans l’énoncé de critères de mérite auprès d’un répondant qui travaille dans la fonction publique ne requiert pas le consentement du candidat.

34 Le plaignant soutient aussi qu’en contactant Mme Clément sans son consentement, le comité d’évaluation a enfreint les articles 7 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (LPRP) qui prévoient que les renseignements personnels recueillis au sujet d’un individu ne peuvent être communiqués sans son consentement. Le Tribunal estime cependant que l’intimé pouvait contacter Mme Clément sans avoir obtenu au préalable l’accord du plaignant. L’article 8(2) de la LPRP prévoit explicitement que les renseignements personnels d’une institution fédérale peuvent être communiqués lorsqu’ils servent à un usage qui est compatible avec les fins auxquelles ils ont été recueillis. Se servir de renseignements au sujet du rendement de travail d’un candidat recueillis dans le cadre d’un processus de nomination constitue un tel usage compatible. Tel qu’indiqué ci‑dessus, le Tribunal a déjà décidé dans les affaires Dionne et Gabon qu’un comité d’évaluation peut consulter un répondant sans la permission du candidat.

35 Le plaignant maintient qu’en lui imposant le choix de Mmes Giroux et Clément, l’intimé a enfreint l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, 1975, c. 6, lequel prévoit que toute personne a droit à la sauvegarde de sa réputation, et les articles 3, 35, 37 et 40 du Code civil du Québec, 1991, c. 64, qui traitent du respect de la vie privée. Le Tribunal note que ces deux lois provinciales ne s’appliquent pas à des processus de nomination menés en vertu de la LEFP.

36 Le plaignant soutient que le comité aurait dû l’informer du choix de Mme Clément pour qu’il puisse lui faire part de ses préoccupations quant à son impartialité. Le Tribunal estime qu’en effet il aurait été préférable que le comité d’évaluation informe le plaignant de cette démarche. Cela aurait assuré une plus grande transparence dans le processus de nomination et aurait permis au plaignant de faire part au comité d’évaluation de ses appréhensionsau sujet de ce choix dès le début du processus. Quoiqu’il s’agisse certainement d’une bonne pratique, le Tribunal ne peut conclure qu’il s’agit d’une obligation.

37 Le plaignant a d’ailleurs eu l’occasion de faire part au comité d’évaluation de ses préoccupations au sujet de l’impartialité de Mme Clément lors de la discussion informelle, une étape prévue à l’article 47 de la LEFP. Le but de la discussion informelle est d’expliquer au candidat pourquoi le comité d’évaluation n’a pas retenu sa candidature. Cette étape a lieu avant la nomination d’un candidat et le comité d’évaluation peut alors, comme le prévoit l’article 48(3), changer d’idée au sujet de la candidature d’un candidat. Le plaignant s’est d’ailleurs prévalu de la discussion informelle pour faire part aux membres du comité d’évaluation de ses préoccupations au sujet de Mme Clément. Il les a réitérées dans un document en date du 6 mars 2012, intitulé Mesures correctives suite à mon élimination du processus de sélection 10-BSF-IA-QUE-850-FB-007 qu’il a fait parvenir aux membres du comité d’évaluation. Le comité d’évaluation a décidé de ne pas retenir ses accusations de partialité de la part de Mme Clément à son égard.

38  Le Tribunal conclut donc que le comité d’évaluation n’était pas obligé d’informer à l’avance le plaignant qu’il allait contacter Mme Clément et que le plaignant a eu l’occasion de faire valoir ses préoccupations au sujet de cette personne avant la fin du processus de nomination.

39Le plaignant soutient également que Mme Clément n’aurait pas dû agir à titre de répondante car elle n’était pas sa superviseure immédiate.

40 Mme Clément a expliqué dans son témoignage qu’elle était la gestionnaire des employés de la division d’ERAR dans laquelle travaillait le plaignant. Elle a basé ses observations au sujet du rendement de travail du plaignant sur des rapports de décisions qu’il avait préparés et qu’elle avait lus en partie, sur les rapports d’évaluation de rendement du plaignant dans le poste d’agent d’ERAR, sur les rapports des « coaches », ainsi que sur ses échanges avec le plaignant et avec Mme Giroux.

41Le Tribunal est d’avis que Mme Clément pouvait agir à titre de répondante. D’abord, le plaignant n’a pas établi que la répondante dans un processus d’évaluation doit nécessairement être la superviseure immédiate du candidat. Une personne peut agir comme répondante si elle a une connaissance suffisante du rendement d’un candidat au travail. Dans ce cas-ci, la preuve que le plaignant a lui-même présentée démontre que Mme Clément avait une bonne connaissance de son rendement de travail. Dans un échange de courriels datés des 25 et 30 août 2011, et du 28 octobre 2011, Mme Clément et le plaignant discutent abondamment du rendement de ce dernier au travail. Dans celui du 25 août 2011, par exemple, Mme Clément fixe pour le plaignant des objectifs de rendement précis. C’est aussi elle qui devait décider si la nomination intérimaire du plaignant au poste d’agent d’ERAR devait être renouvelée. Le Tribunal conclut donc que Mme Clément avait une connaissance suffisante du rendement au travail du plaignant pour agir à titre de répondante.

42 Le Tribunal conclut que le choix des répondantes était approprié.

Question II :  Les références fournies étaient-elles fiables?

43 Le plaignant soutient que les références fournies par Mmes Giroux et Clément n’étaient pas fiables, pour diverses raisons, dont le fait que ces deux personnes n’étaient pas impartiales à son égard, et parce que leurs observations ne cadraient pas avec ses évaluations de rendement dans des postes autres que celui d’agent d’ERAR et les commentaires d’autres observateurs de son travail tout au long de sa carrière.

44 Comme le Tribunal a constaté dans Pellicore c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TDFP 0023 aux para. 49-50, la partialité d’un répondant ne signifie pas nécessairement que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir. L’article 77(1)a) précise que l’abus de pouvoir doit avoir été commis par l’intimé à qui la CFP a délégué son pouvoir de nomination. Un comité d’évaluation devrait tenir compte de tout élément qui remettrait en question la fiabilité des renseignements fournis par un répondant. Mais le simple fait qu’un candidat n’est pas d’accord avec les observations d’un répondant ne prouve pas que la référence n’est pas fiable (Pellicore au para. 50). Pour établir que l’intimé a abusé de son pouvoir, le plaignant doit démontrer qu’il était évident au comité d’évaluation que les renseignements fournis par les répondantes étaient peu fiables que ce soit à cause d’un manque évident d’impartialité de leur part ou pour toute autre raison. Dans ce cas-ci, le plaignant n’a pas démontré que les références fournies par les répondantes n’étaient pas fiables et que le comité d’évaluation devait conclure qu’elles n’étaient pas fiables.

45 Le plaignant soutient que Mme Giroux n’était pas impartiale à son égard parce qu’il a contesté deux rapports d’évaluation de son rendement. Le Tribunal note d’abord que le plaignant n’a pas informé le comité d’évaluation lors de son entrevue, laquelle a eu lieu avant la prise de références, qu’il s’objectait à ce que Mme Giroux agisse à titre de répondante. Il n’a fait part de ses préoccupations au comité d’évaluation qu’après avoir reçu une référence défavorable. Cela étant dit, il va de soi que les employés ne sont pas toujours d’accord avec l’évaluation de leur rendement effectuée par leur superviseur. Il arrive à l’occasion qu’un employé conteste cette évaluation. Cela fait partie du schème normal des relations de travail, et traiter une telle contestation fait partie des tâches régulières d’un superviseur. Le plaignant n’a pas établi que sa contestation avait affecté l’impartialité de Mme Giroux à son égard.

46 Le plaignant signale que Mme Raymond a écrit dans un courriel qu’elle a expédié à M. Meniaï et d’autres personnes le 16 décembre 2011 que Mme Giroux avait eu des « problèmes personnels » avec le plaignant. Mme Raymond a déclaré dans son témoignage qu’elle s’était mal exprimée. Il s’agissait plutôt de problèmes liés au rendement de travail du plaignant.

47 Mme Giroux a déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait pas de problèmes personnels avec le plaignant.

48 Lors de son témoignage, Mme Signori a déclaré qu’elle avait demandé à Mme Clément pendant l’entrevue de référence si Mme Giroux avait un conflit avec le plaignant. Mme Clément lui a répondu que Mme Giroux avait des problèmes avec le rendement de travail du plaignant.

49 Le plaignant n’a fait référence à aucun incident ou parole impliquant Mme Raymond qui indiquerait l’existence d’un conflit personnel. Le Tribunal conclut donc que la preuve indique que les problèmes auxquels Mme Raymond a fait allusion dans son courriel étaient plutôt liés à des questions de rendement de travail et non à des problèmes personnels.

50 Le plaignant soutient que Mme Clément n’était pas impartiale à son égard parce qu’elle avait été présidente d’un comité d’évaluation dans un autre processus de nomination et qu’il a porté plainte au Tribunal au sujet de ce processus. Il a par la suite retiré sa plainte. Selon le plaignant, Mme Clément a fourni des observations négatives à son sujet en guise de représailles à cause de sa plainte dans cet autre processus de nomination.

51 Mme Clément a déclaré lors de son témoignage qu’elle n’a jamais eu de conflit avec le plaignant.

52 A part son témoignage, le plaignant n’a présenté aucune preuve démontrant que Mme Clément faisait partie de cet autre comité d’évaluation. Cela étant dit, même si Mme Clément avait fait partie du comité d’évaluation pour cet autre processus de nomination, le Tribunal estime que ce fait n’établirait pas une apparence de partialité. Le plaignant n’a pas établi que cette plainte avait affecté l’impartialité de Mme Clément à son égard.

53 Le plaignant soulève des doutes quant à la partialité de Mme Clément parce qu’il avait également, à la fin de 2010, présenté une plainte de pratique déloyale de la part de l’employeur en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, parce que l’adjointe de Mme Clément était en possession de la clé d’un classeur appartenant au syndicat qui contenait des renseignements confidentiels au sujet des membres du syndicat.

54Le Tribunal ne peut tirer quelque conclusion que ce soit à ce sujet parce qu’il dispose de trop peu d’information. Le plaignant n’a pas fourni plus d’explications au sujet de cet indicent et il n’a déposé aucun document au sujet de cette plainte, autre qu’une lettre d’accusé réception de la plainte en date du 22 février 2012 provenant de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Il semble que la CRTFP n’ait pas encore traité cette plainte.

55Le Tribunal note également que cette plainte à la CRTFP n’a pu influencer la référence de Mme Clément puisqu’elle a été présentée bien après que Mme Clément ait fourni sa référence au sujet du plaignant. Mme Clément a fourni ses observations à Mme Signori le 19 décembre 2011, comme l’indique le courriel portant cette date de Mme Signori à Mme Raymond et d’autres personnes. En fait la présentation de la plainte à la CRTFP a eu lieu après que M. Meniaï ait annoncé au plaignant que le comité d’évaluation n’avait pas retenu sa candidature. M. Meniaï l’a informé de cette décision le 28 janvier 2012. L’accusé de réception de la CRTFP indique que la plainte a été présentée le 22 février 2012. La présentation de cette plainte n’a donc pu influencer les commentaires de Mme Clément puisqu’elle est postérieure à l’entrevue de référence.

56 Le plaignant fait valoir que les observations de Mmes Giroux et Clément ne sont pas fiables puisqu’elles ne cadrent pas avec les évaluations de rendement faites par ses autres superviseures tout au long de sa carrière à CIC. Il travaille à CIC depuis 14 ans et a travaillé pendant neuf ans dans des postes d’agent d’immigration et de citoyenneté.

57 Le Tribunal note d’abord que le comité d’évaluation n’a pas pris connaissance, lors de l’évaluation des références, des évaluations de rendement que le plaignant a reçues lorsqu’il travaillait en tant qu’agent d’immigration et de citoyenneté. Ce n’est que lors de la discussion informelle que le plaignant lui a remis ces documents. Mais le fait que le plaignant ait eu de bonnes évaluations de rendement dans le poste d’agent d’immigration et citoyenneté n’établit pas que les observations de Mmes Giroux et Clément au sujet de son rendement dans le poste d’agent d’ERAR ne reflètent pas adéquatement son rendement dans ce dernier poste. On peut très bien avoir un bon rendement dans un poste, et connaître des difficultés de rendement dans un autre poste. C’est ce qu’a conclu le comité d’évaluation. Dans son courriel du 16 décembre 2011, Mme Raymond écrit à M. Meniaï, Mme Vasilescu et Mme Signori que le plaignant avait eu de bonnes évaluations de rendement dans le poste d’agent d’immigration et de citoyenneté, mais de mauvaises évaluations dans le poste d’agent d’ERAR. Elle écrit dans ce courriel qu’elle croit que le poste d’agent d’ERAR ne convenait pas au plaignant. C’est aussi ce que Mme Clément a dit dans son témoignage. Elle a affirmé qu’elle avait dit à Mme Signori que le plaignant n’était pas dans un poste qui lui convenait à la division d’ERAR mais qu’il avait fait un bon travail dans d’autres postes. Elle était son gestionnaire dans un autre poste en 2001 et en 2002, et il n’avait pas eu de problème de rendement à cette époque.

58 Le Tribunal note également que le poste d’agent d’audience est un poste différent de celui d’agent d’immigration et de citoyenneté. Le premier fait partie du groupe et niveau PM-04, alors que le second fait partie du groupe et niveau PM-03. Le plaignant a lui-même déclaré dans un courriel en date du 30 août 2011 à Mme Clément que la division ERAR est celle « … dont les qualités spécialisées et techniques sont les plus exigeants (sic) … » de CIC. Le Tribunal conclut donc que le fait que le plaignant ait reçu de bonnes évaluations de rendement dans le poste d’agent d’immigration et de citoyenneté n’indique pas que les observations faites par Mmes Giroux et Clément lors de l’entrevue de référence ne reflètent pas adéquatement son rendement dans le poste d’agent d’ERAR.

59 Le plaignant allègue également que les observations de Mmes Giroux et Clément sont incompatibles avec le fait qu’il a reçu pendant sa carrière de nombreux certificats de reconnaissance et de nombreuses lettres d’appréciation. Le Tribunal estime que ces certificats et ces lettres n’établissent pas que les observations de Mmes Giroux et Clément n’étaient pas fiables puisqu’ils ont trait au rendement du plaignant dans d’autres postes et pour d’autres activités, telle son implication dans le Réseau de jeunes fonctionnaires fédéraux du Québec. Le certificat de reconnaissance du Greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet, par exemple, porte sur son implication lors du séisme en Haïti. Le plaignant n’a pas établi que son implication lors de ce séisme impliquait des tâches semblables à celles d’un agent d’ERAR.

60 Le plaignant soutient que les commentaires de Mmes Giroux et Clément au sujet de ses relations avec certaines personnes en autorité et avec la gestion étaient faux. Le Tribunal n’a pas à se prononcer sur ce sujet puisque ces commentaires avaient trait à la qualification « relations interpersonnelles efficaces » et le plaignant a satisfait à cette qualification. Ces commentaires n’ont donc joué aucun rôle dans l’élimination de sa candidature.

61Le plaignant a présenté en preuve divers rapports qu’il avait rédigés en tant qu’agent d’ERAR concernant des demandes de résidence au Canada de ressortissants étrangers, ainsi que des courriels de Mme Giroux dans lesquels elle critique certains aspects de ces rapports. Selon lui, ces rapports démontrent la bonne qualité de son travail. Les commentaires de Mme Giroux dans ces courriels étaient injustifiés.

62Me Darin Jacques, commissaire à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a déclaré dans un affidavit en date du 29 janvier 2013, qu’il avait été un agent d’ERAR pendant plus de quatre ans et qu’il avait été le collègue du plaignant de novembre 2010 à octobre 2011. Pendant cette période, le plaignant lui avait demandé d’examiner une dizaine de ses rapports de décision. Me Jacques a affirmé dans son affidavit que, selon lui, les rapports de décision du plaignant étaient excellents.

63Le Tribunal note d’abord que le comité d’évaluation n’avait pas en main ces rapports lorsqu’il a mené son évaluation. C’est avec les exemples donnés oralement par les répondantes du plaignant, souvent basés sur ces rapports, que le comité d’évaluation a évalué les qualifications du plaignant. Le Tribunal souligne également que son rôle est de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans ce processus de nomination, et non pas de réévaluer le plaignant pendant l’audience. Voir, par exemple, la décision Broughton c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007 TDFP 0020. Le Tribunal ne peut donc pas réévaluer les qualifications du plaignant en examinant les rapports de décision que ce dernier a déposés lors de l’audience ou en se basant sur les commentaires de Me Jacques au sujet de la qualité du travail du plaignant.

64Le Tribunal juge qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans l’évaluation des références fournies par Mmes Giroux et Clément. Mme Giroux a fourni des explications crédibles pour sa référence défavorable. Par exemple, pour ce qui est de la qualification « jugement », elle a dit à Mme Raymond que le plaignant avait rendu des décisions contraires concernant deux cas identiques impliquant deux ressortissantes du Nigéria. Selon Mme Giroux, le plaignant ne pouvait travailler sans supervision à cause de faiblesses dans ses rapports de décision. Les observations de Mme Clément vont dans le même sens. Elle a dit dans sa référence, au sujet de la qualification « jugement », que l’intimé avait dû mettre en place un suivi personnalisé pour le plaignant parce qu’il commettait régulièrement des erreurs dans ses rapports de décision.

65 Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas établi que les références de Mmes Giroux et Clément n’étaient pas fiables et que le comité d’évaluation avait des raisons de douter de la fiabilité des observations des répondantes.

Question III :  Les membres du comité d’évaluation étaient-ils impartiaux?

66 Le plaignant allègue que les membres du comité d’évaluation n’étaient pas impartiaux à son égard.

67 Les personnes chargées de l’évaluation dans un processus de nomination ont le devoir de procéder à une évaluation impartiale et sans crainte raisonnable de partialité. Dans Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; [1992] A.C.S. No 21 (QL), la Cour suprême a décrit le critère de la crainte raisonnable de partialité de la façon suivante, au paragraphe 22 (QL): «[C]e critère consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur ». Les critères objectifs énoncés par la Cour suprême s’appliquent également aux membres des comités d’évaluation dans le cadre d’une nomination effectuée en vertu de la LEFP. Voir, par exemple, la décision Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010 aux para. 64-71.

68 Selon le plaignant, Mme Raymond n’était pas impartiale à son égard parce qu’elle avait une relation d’amitié et une relation professionnelle étroite avec Mme Giroux. Mme Raymond a écrit dans un courriel en date du 16 décembre 2011 à M. Meniaï et d’autres personnes qu’elle connaissait bien Mme Giroux et qu’elle respectait son jugement.

69 Mme Giroux a affirmé qu’elle n’a jamais eu de relation personnelle avec Mme Raymond. Elle la connaissait au niveau professionnel puisqu’elle l’avait rencontrée dans le passé dans le cadre de son travail. Elle ne l’avait cependant pas revue depuis 2005.

70 Le Tribunal juge que le plaignant n’a pas établi qu’il y a apparence de partialité de la part de Mme Raymond. Il n’a présenté aucune preuve qui démontrerait qu’il y avait une relation d’amitié entre Mmes Raymond et Giroux. Un observateur relativement bien renseigné ne pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part de Mme Raymond du simple fait qu’elle a travaillé avec Mme Giroux dans le passé et qu’en tant que collègue, elle respectait son jugement.

71 Le plaignant soutient aussi que le comité d’évaluation a fait preuve de partialité à son égard en contactant une troisième référence pour valider les propos défavorables de Mme Giroux et en écartant la référence positive de Mme Kobrynsky.

72 Cette allégation n’est pas fondée. Le comité d’évaluation avait une raison valable d’obtenir une troisième référence puisque les deux références qu’il avait obtenues étaient contradictoires. Le comité d’évaluation a donc fait preuve de diligence et non de partialité en contactant une troisième personne pour résoudre ce dilemme.

73 La preuve démontre également que, contrairement aux allégations du plaignant, le comité d’évaluation n’a pas ignoré la référence de Mme Kobrynsky. M. Meniaï et Mme Vasilescu ont expliqué dans leur témoignage que les membres du comité d’évaluation ont examiné les informations fournies par les trois répondantes, y compris celles fournies par Mme Kobrynsky, afin d’attribuer par consensus une note pour chaque qualification.

74 Le Tribunal juge également que le comité d’évaluation n’a pas fait preuve de partialité en accordant, comme l’ont expliqué M. Meniaï et Mme Vasilescu, plus d’importance aux références fournies par Mmes Giroux et Clément qu’à celle fournie par Mme Kobrynsky. Les observations de Mmes Giroux et Clément concordaient, et la supervision du plaignant par Mme Giroux était plus récente et avait duré plus longtemps que celle de Mme Kobrynsky. Mme Giroux avait supervisé le plaignant pendant un an alors que Mme Kobrynsky l’avait supervisé pendant six mois. Les membres du comité d’évaluation ont aussi accordé plus d’importance aux références fournies par Mmes Giroux et Clément parce qu’elles contenaient plus d’exemples spécifiques que celle fournie par Mme Kobrynsky. Selon le témoignage de Mme Raymond, Mme Kobrynsky avait de la difficulté à donner des exemples et ils étaient plus vagues que ceux fournis par Mmes Giroux et Clément. Ils ont aussi décidé que les observations de Mmes Giroux et Clément étaient plus pertinentes parce que le poste d’agent d’ERAR que le plaignant occupait lorsqu’il travaillait avec Mme Giroux ressemblait plus au poste à doter que le poste d’agent d’immigration et de citoyenneté qu’il occupait lorsqu’il travaillait avec Mme Kobrynsky. Mme Raymond a expliqué qu’elle avait déjà été agent d’ERAR et agent d’audience et que les deux postes exigent des qualités personnelles et des connaissances similaires.

75 Le plaignant soutient que le poste d’agent d’ERAR n’est pas plus semblable au poste à doter que ne l’est le poste d’agent d’immigration et de citoyenneté.

76 Dans son témoignage, Me Jacques a déclaré qu’il avait été agent d’ERAR pendant plus de quatre ans. Il a aussi travaillé  comme agent d’audience à l’ASFC à titre intérimaire pendant cinq mois. Selon lui, les fonctions d’un agent d’ERAR à CIC et celles d’un agent d’audience à l’ASFC sont différentes. Les agents d’ERAR rendent généralement des décisions sur dossier, c’est-à-dire à partir d’un examen de documents. L’agent d’audience à l’ASFC, par contre, participe à des audiences et traite avec des plaideurs.

77 Le Tribunal note qu’il y a des divergences d’opinions au sujet des similitudes entre les trois postes susmentionnés. Le Tribunal n’a cependant pas besoin de trancher cette question puisque la ressemblance des fonctions des postes d’agent d’ERAR et d’agent d’audience n’était pas le seul critère utilisé par le comité d’évaluation pour accorder plus d’importance aux observations de Mmes Giroux et Clément qu’à celles de MmeKobrynsky. Tel qu’expliqué ci-dessus, les membres du comité d’évaluation avaient d’autres raisons valables d’accorder plus d’importance aux observations de Mmes Giroux et Clément, dont le fait que Mme Giroux avait supervisé le plaignant pendant une période plus longue que celle de Mme Kobrynsky et que Mme Giroux avait fourni plus d’exemples concrets pour étayer ses observations.

78 Le Tribunal juge donc que le plaignant n’a pas établi que le comportement des membres du comité d’évaluation donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.

Question IV :  Le comité d’évaluation était-il tenu de réévaluer le plaignant?

79 Le plaignant fait valoir que le comité d’évaluation aurait dû, lors de la discussion informelle, accepter de reconsidérer sa décision d’éliminer sa candidature et accepter de remplacer les références défavorables de Mmes Giroux et Clément par un portfolio de documents qui illustraient ses succès pendant sa carrière à CIC.

80 Lors de la discussion informelle du 28 février 2012, le plaignant a dit à Mme Raymond et MM. Meniaï et Théberge que Mmes Giroux et Clément n’étaient pas impartiales à son égard à cause des raisons décrites ci-dessus. Il a répété ces allégations dans un document en date du 6 mars 2012 intitulé Mesures correctives suite à mon élimination du processus de sélection 10-BSF-IA-QUE-850-FB-007 qu’il a fait parvenir aux membres du comité d’évaluation. Lors de la discussion informelle et dans ce document, le plaignant a demandé au comité d’évaluation de reconsidérer sa décision de l’éliminer du processus de nomination et de faire enquête au sujet des références fournies par Mmes Giroux et Clément. Selon le plaignant, ce refus de reconsidérer la décision de l’éliminer à la lumière de ces allégations de partialité constitue un manquement grave aux règles de justice naturelle.

81 Le Tribunal n’accepte pas cet argument. Les membres du comité d’évaluation pouvaient raisonnablement conclure lors de la discussion informelle et à la lecture du document susmentionné que les allégations de partialité au sujet de Mmes Giroux et Clément n’étaient pas convaincantes et qu’il n’y avait pas lieu de scruter plus à fond ces accusations.

82 Lors de la discussion informelle, le plaignant a demandé au comité d’évaluation de remplacer les références fournies par Mmes Giroux et Clément par un portfolio de documents qui illustraient les succès de sa carrière. Ce portfolio contenait divers certificats de reconnaissance, diverses lettres d’appréciation et des rapports d’évaluation de rendement contenant des observations favorables au sujet de son rendement de travail. Le comité d’évaluation a refusé de remplacer les références fournies par Mmes Giroux et Clément par ce portfolio. Le plaignant a réitéré cette demande dans sa demande de reconsidération du 6 mars 2012 et le comité d’évaluation l’a refusée à nouveau. Selon le plaignant, le comité d’évaluation aurait dû accepter sa demande parce que Mmes Giroux et Clément n’étaient pas impartiales. Le plaignant soutient que ce refus enfreint l’équité procédurale et les principes de justice naturelle.

83 L’intimé soutient que les certificats de reconnaissance, les lettres d’appréciation et les rapports d’évaluation de rendement ne faisaient pas partie des méthodes d’évaluation choisies dans ce processus de nomination. Le comité d’évaluation ne voulait pas utiliser des méthodes d’évaluation différentes pour le plaignant parce qu’il voulait assurer une uniformité dans l’évaluation des candidats. Si le comité d’évaluation avait accepté ces documents, il aurait pu être accusé de favoritisme à l’égard du plaignant.

84 Le Tribunal ne peut accepter l’argument du plaignant. L’article 36 de la LEFP accorde aux gestionnaires délégataires une grande marge de manœuvre dans le choix des méthodes d’évaluation. Dans ce cas-ci, l’intimé a choisi d’évaluer les qualités contestées par des références comme il en avait le droit. Rien ne l’obligeait de remplacer les références de Mmes Giroux et Clément par le portfolio du plaignant. Le plaignant n’a pas démontré au comité d’évaluation que ces deux répondantes n’étaient pas impartiales. En fait, le Tribunal estime que si le comité d’évaluation avait accepté le portfolio du plaignant, il aurait commis une grave injustice envers les autres candidats. Le comité d’évaluation aurait utilisé pour ces derniers des références qui pouvaient contenir des observations défavorables à leur égard, mais aurait utilisé pour le plaignant un portfolio qui ne contenait généralement que des observations favorables.

85 Le plaignant allègue qu’en refusant de remplacer les références de Mmes Giroux et Clément par son portfolio, l’intimé a enfreint son droit de « corriger » son dossier comme le prévoit l’article 40 du Code civil du Québec. Le Tribunal estime que cet argument n’est pas fondé puisque, tel qu’expliqué ci-dessus, cette loi provinciale ne s’applique pas aux nominations faites en vertu de la LEFP.

86 Le plaignant soutient que le comité d’évaluation avait l’obligation de lui démontrer que le refus de réviser sa décision d’éliminer sa candidature n’était pas le fruit d’un « caprice ». Cette absence de justification est, selon le plaignant, une atteinte à la valeur de transparence énoncée dans les lignes directrices de la CFP et constitue une atteinte aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

87 Le Tribunal note que le comité d’évaluation a expliqué au plaignant pourquoi il refusait de réévaluer ses qualifications. M. Meniaï a déclaré lors de son témoignage qu’il avait expliqué au plaignant lors de la discussion informelle que remplacer les références de Mmes Giroux et Clément par le portfolio du plaignant aurait été injuste envers les autres candidats.

88 Le Tribunal conclut donc que le plaignant n’a pas établi que le comité d’évaluation avait l’obligation de réévaluer ses qualifications et de remplacer les références fournies par Mmes Giroux et Clément par les évaluations de rendement du plaignant, ainsi que des certificats de reconnaissance et des lettres d’appréciation au sujet de son travail.

Question V :  Les répondantes et les membres du comité d’évaluation ont-ils fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant?

89 Le plaignant soutient que les répondantes et les membres de comité d’évaluation ont fait preuve de discrimination à son égard dans ce processus de nomination à cause de sa race, sa couleur et son origine ethnique. Selon le plaignant, l’intimé a ainsi enfreint la LCDP et la Charte canadienne des droits et libertés, soit la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue elle-même l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte). Le plaignant est un homme de race noire. Il n’a pas indiqué son origine ethnique.

90 Selon l’article 80 de la LEFP, pour déterminer si la plainte est fondée en vertu de l’article 77, le Tribunal peut interpréter et appliquer la LCDP.

Le cadre analytique de la LCDP pour les allégations de discrimination

91 L’article 7 de la LCDP stipule que le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi par des moyens directs ou indirects constitue un acte discriminatoire s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. L’article 3 de la LCDP énumère les motifs de distinction illicite, lesquels comprennent la race, la couleur et l’origine ethnique.

92 Dans un contexte de droits de la personne, il incombe au plaignant d’établir une preuve à première vue de discrimination. Dans la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (également connue sous le nom de décision O’Malley), la Cour suprême du Canada a énoncé le critère permettant d’établir une preuve à première vue de discrimination :

28 […] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. […]

93 Le Tribunal doit donc déterminer si, en donnant foi à la preuve du plaignant, elle est assez complète et suffisante pour justifier une conclusion de discrimination, en l’absence d'explication de l’intimé. Si le plaignant réussit à établir une preuve à première vue de discrimination, il incombe alors à l’intimé de fournir une explication raisonnable démontrant que la discrimination ne s’est pas produite comme cela est allégué ou que la conduite était d’une manière ou d’une autre non discriminatoire. Voir Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 10 au para. 49.

94 En l’espèce, la preuve que le plaignant invoque au soutien de ses allégations est de nature circonstancielle. La Cour fédérale a indiqué dans l’affaire Canada (Human Rights Commission) c. Canada (Department of National Health and Welfare), 1998 CanLII 7740 au para. 17 (Chopra C.F.), qu’il est possible de prouver la discrimination par inférence en utilisant la preuve circonstancielle lorsqu’il n’y a pas de preuve directe. Cette preuve consiste d’une série de faits qui, ensemble, pourraient prouver la discrimination.

95 Le critère à appliquer pour examiner une preuve circonstancielle a été énoncé par Beatrice Vizkelety dans l’ouvrage Proving Discrimination in Canada (Toronto : Carswell, 1987), à la page 142, dont voici un extrait que la Cour fédérale a également cité dans l’affaire Chopra C.F. avec approbation :

Le critère approprié à appliquer lorsqu’il s’agit de preuves circonstancielles, lequel doit respecter la norme de la prépondérance de la preuve, peut donc être expliqué de la façon suivante : il est possible de conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse. [traduction]

Le plaignant a-t-il établi une preuve à première vue de discrimination?

96 Le plaignant soutient que le comité d’évaluation n’aurait pas dû accepter les références de Mmes Giroux et Clément parce qu’elles ont fait preuve de discrimination à son égard lorsqu’il était agent d’ERAR. Il maintient également que les membres du comité d’évaluation ont fait preuve de discrimination contre lui.

97 Pour ce qui est des répondantes, l’allégation du plaignant est basée sur deux faits. En novembre 2011, l’intimé a nommé des personnes, dont le plaignant, à des postes agents d’ERAR à titre intérimaire pour une période de six mois. L’intimé a renouvelé la nomination intérimaire du plaignant pour une période de six mois, tandis qu’il a renouvelé celle des autres personnes pour une période d’un an. Le second fait est qu’il est le seul employé de la division d’ERAR dont les décisions étaient révisées par Mme Giroux.

98 Pour ce qui est des membres du comité d’évaluation, l’allégation du plaignant est basée sur le fait qu’il était, selon lui, le seul employé de la division d’ERAR qui a été éliminé du processus de nomination à cause d’une référence défavorable.

99 Le Tribunal estime que le seul fait que le plaignant croit que ces événements sont dus à des motifs illicites de discrimination ne constitue pas une preuve « complète et suffisante » de discrimination à première vue comme l’exige la Cour suprême dans la décision O’Malley. C’est une preuve si minimale qu’elle n’a aucun effet juridique. Dans la décision Filgueira v. Garfield Container Transport inc., 2005 CHRT 32, le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) tient un raisonnement semblable en concluant que le simple fait qu’une personne croit qu’on l’a traitée différemment à cause d’un motif illicite de discrimination ne suffit pas à établir une preuve à première vue de discrimination :

[41] La question qui demeure est la suivante : Le fait qu’un employé croit qu’une personne d’un groupe ethnique différent fait le même travail et reçoit un salaire plus élevé est-il suffisant pour établir une preuve prima facie de discrimination? Je pense qu’il doit y avoir quelque chose de plus. Il doit y avoir quelque chose dans la preuve, indépendamment de ce que le plaignant croit, qui confirme ses soupçons. Je ne dis pas que ce que croit un plaignant n’a aucune force probante. Cela dépend des circonstances. Toutefois, le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant. [traduction]

100 Quand elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision Filgueira, la Cour fédérale a jugé que la conclusion du TCDP selon laquelle la preuve était si minimale qu’elle n’avait aucun effet juridique était appropriée au regard du critère de la preuve à première vue de discrimination (Filgueria c. Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785).

101 Le plaignant doit aussi démontrer que la distinction illicite (sa race, sa couleur ou son origine ethnique) est un facteur dans la conduite qu’il reproche à l’intimé (dans ce cas-ci des références défavorables de la part de Mmes Clément et Giroux). Or le plaignant n’a pas établi ce fait.

102 Le plaignant a déposé en preuve lors de l’audience de cette plainte plus d’une centaine de documents contenus dans deux cahiers à anneaux. L’intimé a demandé au Tribunal de ne pas prendre en considération tout document auquel le plaignant n’aurait pas fait référence lors de l’audience. Parmi cette centaine de documents se trouvait un tableau de la représentation des minorités visibles dans la région du Québec de l’ASFC. Le plaignant n’a pas fait référence à ce document lors de l’audience. Ce n’est qu’en examinant soigneusement la preuve documentaire que le Tribunal a vu ce document. Même si le plaignant n’a jamais fait référence à ce document lors de l’audience, le Tribunal formulera quelques commentaires à ce sujet.

103 Cette preuve est insuffisante pour permettre au Tribunal de conclure que l’intimé a commis des pratiques discriminatoires à l’encontre des membres des groupes minoritaires visibles qui ont posé leur candidature dans ce processus de nomination.

104 Même s’il y avait eu une preuve statistique de la sous-représentation des minorités visibles dans les postes d’agent d’audience FB-05 au Québec, il ne serait pas possible d’en conclure que cette sous-représentation découle nécessairement de la discrimination systémique, comme l’a expliqué le TCDP dans la décision Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du bien-être social), [2001] T.C.D.P. no 20, QL) aux paragraphes 236 et 237 :

[…] Toutefois, en l’absence d’un examen plus détaillé des politiques en place et des exercices de dotation en personnel, on ne peut être certain que la discrimination systémique soit la cause de la sous-utilisation. Une analyse plus approfondie pourrait, par exemple, démontrer qu’il n’y a pas suffisamment de membres de ce groupe qui se portent candidats en vue de promotions. On pourrait alors se demander pourquoi il en est ainsi, et des recherches plus poussées pourraient démontrer qu’un certain traitement discriminatoire n’est pas étranger à cette situation. Cependant, je crois que le simple fait de se fier au taux d’utilisation sans faire une plus ample analyse n’aide pas vraiment à établir une preuve circonstancielle de discrimination.

105 Le Tribunal conclut donc que dans l’ensemble, même si elle était avérée, la preuve du plaignant ne permet pas d’établir une preuve à première vue que la race, la couleur ou l’origine ethnique du plaignant ont été des facteurs dans la décision de ne pas le nommer au poste en question.

Explication raisonnable sans caractère discriminatoire

106 Bien que la conclusion ci-dessus soit suffisante pour statuer sur l’allégation de discrimination, le Tribunal estime que l’intimé a également fourni une explication raisonnable, dénuée de considérations discriminatoires, quant à sa décision de ne pas nommer le plaignant à l’issue du processus de nomination en cause.

107 Mme Clément a expliqué dans son témoignage qu’elle avait nommé en novembre 2011, cinq personnes à titre intérimaire au poste d’agent d’ERAR. Elle a renouvelé la nomination intérimaire du plaignant pour une période de six mois au lieu de 12 mois, comme c’était le cas pour les quatre autres personnes, à cause de faiblesses dans le rendement de travail du plaignant. Le Tribunal note que ces faiblesses sont amplement discutées dans les documents que le plaignant a présentés lui-même en preuve, dont le rapport de rendement complété par Mme Giroux le 4 octobre 2011 et le courriel de Mme Clément en date du 28 octobre 2011. Dans le courriel du 28 octobre 2011, Mme Clément explique au plaignant qu’elle n’a pas renouvelé sa nomination intérimaire une autre fois parce qu’il n’avait pas atteint ses objectifs de travail.

108 Mme Clément a expliqué pourquoi elle a décidé que Mme Giroux vérifierait les décisions du plaignant. Les rapports de décision des agents d’ERAR étaient souvent révisés par des « coaches » pour assurer qu’ils satisfaisaient aux normes établies par l’intimé. Certains agents remettaient également leurs rapports de décision à Mme Giroux. Vers la fin de sa nomination intérimaire, le plaignant a demandé à Mme Clément de travailler sans « coach ». Mme Clément a accordé cette demande à condition que Mme Giroux vérifie ses décisions parce que le plaignant n’avait pas établi qu’il pouvait travailler sans supervision.

109 Pour ce qui est de l’allégation du plaignant qu’il est le seul employé de la division d’ERAR qui a été éliminé du processus de nomination à cause d’une référence défavorable, Mme Raymond a déclaré dans son témoignage que le plaignant ne pouvait faire cette affirmation parce qu’il n’a pas eu accès aux références de tous les autres candidats. Le plaignant n’a pas déclaré lors de l’audience qu’il avait consulté les références des autres candidats.

110 Le Tribunal est satisfait de ces explications. Il conclut que la raison pour laquelle le plaignant n’a pas été nommé au poste est qu’il n’a pu établir lors du processus de nomination qu’il possédait trois des qualifications essentielles établies pour le poste. Les motifs illicites de discrimination qu’il invoque n’ont joué aucun rôle dans cette décision.

La Charte

111 Le plaignant soutient que l’intimé a enfreint l’article 15(1) de la Charte qui prévoit que tous les individus ont droit au même bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, la couleur et l’origine ethnique. Il fonde son allégation sur les mêmes faits invoqués plus haut concernant la LCDP. Quoique la façon de déterminer s’il y a eu discrimination est différente en vertu de ces deux textes de loi, tous deux impliquent un traitement différent à cause d’un motif illicite de discrimination. Étant donné que le Tribunal a déjà conclu dans son analyse au sujet de la LCDP que la race, la couleur et l’origine ethnique du plaignant n’étaient pas des facteurs dans la décision de ne pas le nommer au poste en question, le Tribunal conclut pour les mêmes motifs que le plaignant n’a pas établi que l’intimé a enfreint l’article 15(1) de la Charte.

Décision

112 Pour les motifs énoncés ci-haut, la plainte est rejetée.


John Mooney
Vice-président

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2012-0973
Intitulé de la cause :
Gandhi Jean Pierre et le président
de L’Agence des services
frontaliers du Canada
Audience :
Les 7, 8 et 22 février 2013
Montréal, QC
Date des motifs :
Le 27 août 2013

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant :
Ghandi Jean Pierre
Pour l’intimé :
Me Léa Bou Karam
Pour la Commission
de la fonction publique :
Me Marc Séguin
(soumissions écrites)
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