Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Peu avant l’expiration du délai pour la mise en œuvre de la convention collective, l’employeur a sollicité une prorogation de délai auprès de la Commission- l’agent négociateur s’est opposé à cette demande, affirmant qu’elle engendrait du cynisme à l’égard du processus de négociation collective et que les délais étaient prévisibles- il est ressorti de la preuve que le demandeur avait cru par erreur que le délai commencerait à s’écouler à partir de la date d’entrée en vigueur, ou de la signature, de la convention collective et non à partir de la date d’émission de la décision arbitrale- la majorité des conventions collectives conclues entre le demandeur et le défendeur comportait des périodes de mise en œuvre commençant à partir de la date d’entréeen vigueur, ou de la signature, de la convention collective- de fait, cela permettait une plus longue période de mise en œuvre - une fois l’hypothèse erronée mise au jour, des efforts ont rapidement été consacrés, notamment le transfert de certaines tâches à un centre régional- avant de présenter sa demande à la Commission, le demandeur avait communiqué avec le défendeur et l’avait rencontré au sujet de la mise en œuvre de la convention collective et avait sollicité son consentement à une prorogation de délai- la Commission a noté que le critère de prévisibilité provenait d’une jurisprudence pauvre et datant de nombreuses années, en vertu de l’ancienne LRTFP - le libellé des dispositions pertinentes de l’ancienne LRTFP prescrit que, dans certaines circonstances, le délai commence à s’écouler à partir de la date d’entrée en vigueur de la convention collective - le libellé de la LRTFP ajoute un nouvel élément à prendre en considération, prescrivant que, dans certaines circonstances, le délai s’écoule à partir de la date d’émission d’une décision arbitrale - le libellé de la disposition de la LRTFP se traduit effectivement par un délai plus court pour mettre en œuvre la convention collective, lorsqu’aucun délai de mise en œuvre n’a été spécifié - l’élaboration du critère de prévisibilité en vertu de l’ancienne jurisprudence doit être interprété dans un contexte où il y a des différences claires entre le libellé de l’ancienne et de la nouvelle LRTFP- d’autres facteurs doivent être pris en considération, comme les réalités du milieu de travail, la raison des hypothèses erronées du demandeur, le caractère exigeant de la nature du travail et les efforts diligents déployés en vue de la mise en œuvre- la démarche pour la demande de prorogation n’a pas engendré de cynisme car le demandeur a fait preuve de transparence à l’égard du défendeur tout au long du processus. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-02-05
  • Dossier:  548-02-17 XR: 585-02-46
  • Référence:  2014 CRTFP 13

Devant une formation de la Commission des relations de
travail dans la fonction publique


ENTRE

CONSEIL DU TRÉSOR

demandeur

et

CONSEIL DE L'EST DES MÉTIERS ET DU TRAVAIL DES CHANTIERS MARITIMES DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

défendeur

Répertorié
Conseil du Trésor c. Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral


Affaire concernant une demande d'exercice par la Commission de l’un ou l’autre des pouvoirs prévus à l'article 36 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique
Pour le demandeur:
Michel Girard, avocat
Pour le défendeur:
Jillian Houlihan, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2014. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

1 Le demandeur, le Conseil du Trésor, et le défendeur, le Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (le « CMTCM-E »), sont les parties à une décision arbitrale datée du 18 septembre 2013 (dossier de la CRTFP 585-02-46; la « décision arbitrale »).

2 Le 18 décembre 2013, le demandeur a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), lui demandant une prorogation du délai en vertu de l’article 157 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») pour mettre en œuvre la décision arbitrale. Le défendeur s’est opposé à la demande.

3 Le demandeur a cité deux témoins à comparaître, soit John Park et Muriel Henderson, et le défendeur a convoqué un témoin, soit Lorne Brown, président du CMTCM-E.

II. Résumé de la preuve

4 Le paragraphe 20 de la décision arbitrale prévoit ce qui suit :

20.  La tendance visant l’octroi d’augmentations supplémentaires de 0,25 % pour la première année et de 0,50 % de plus pour la troisième année, afin de compenser la suppression de l’accumulation continue du droit à une indemnité de départ en cas de démission ou de départ à la retraite, est également fondée dans des conventions conclues précédemment et est ainsi accordée, et a effectivement été reconnue par les parties lors de l’audience, ce qui a entraîné un remaniement des indemnités de départ énoncées à l’appendice 1 jointe à la présente décision arbitrale.

5 Il est question de l’indemnité de départ aux articles 14.10 à 14.13 de l’appendice 1. Les sections pertinentes de l’article 14 de l’appendice 1 aux fins de la présente affaire se trouvent sous le titre « modalités de paiement » et sous l’article 14.12, Choix de l’option, libellé comme suit :

14.12 Choix de l’option

a) L’Employeur informera l’employé du nombre de ses années d’emploi continu au plus tard trois (3) mois après la date de signature de la décision arbitrale.

6 La période de trois mois suivant la décision arbitrale se terminait le 18 décembre 2013.

7 Le paragraphe 51 de la décision arbitrale est libellé comme suit :

51. La mise en œuvre de la présente décision arbitrale, comme convenu entre les parties, prend effet 100 jours après la date à laquelle la présente décision est rendue.

8 Le centième jour suivant la date de la décision arbitrale était le 27 décembre 2013.

9 Le 18 décembre 2013, le demandeur a écrit à la Commission pour demander la prorogation du délai jusqu’au 28 février 2014 afin de mettre en œuvre la décision arbitrale. Le demandeur a présenté sa demande comme suit :

[Traduction]

Conformément à la décision arbitrale, les parties ont 100 jours à partir de la date à laquelle la décision est rendue pour la mettre en œuvre, ce qui nous amène au 27 décembre 2013. Bien que le ministère ait travaillé diligemment pour se conformer à cette condition, les calculs du paiement tenant lieu d’indemnité de départ pour certains employés prennent plus de temps parce qu’ils sont faits manuellement.

Comme il a été confronté à certaines difficultés lors de la mise en œuvre d’autres conventions collectives, l’employeur s’attendait, avec raison, à éprouver également des problèmes avec la convention collective du groupe Réparation des navires - Est. C'est pourquoi nous avons exposé la situation franchement à l’agent négociateur et nous avons demandé une prorogation du délai de 90 jours prévu par la loi. Même après que le conseil d’arbitrage a confirmé que le délai serait de 100 jours, l’employeur a demandé à l’agent négociateur de prolonger le délai, ce qu’il a refusé.

Dans Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 139, la commissaire Kate Rogers a déclaré ce qui suit : « […] il n’y a aucune preuve ou indication que l’employeur a tenté de proroger le délai de mise en œuvre de la décision arbitrale » [au paragraphe 28]. Cette affirmation porte à croire que, si l’employeur avait demandé une prorogation pour mettre en œuvre la décision arbitrale, la décision rendue par la commissaire Rogers aurait été différente.

[…]

10 M. Park travaille pour la fonction publique fédérale depuis 2000, et au Conseil du Trésor depuis six ans et demi; il est un négociateur du Conseil du Trésor depuis quatre ans. Il a fait valoir que bien qu’il n’était pas le négociateur en ce qui concerne la convention collective avec le défendeur, il a été impliqué dans l’affaire à partir d’avril 2013 et a assumé la responsabilité de la préparation de l’audience d’arbitrage du 16 mai 2013.

11 M. Park a traité des délais de mise en œuvre et de la différence entre les délais qui sont enchâssés dans une convention collective et ceux qui sont fixés par une décision arbitrale.

12 M. Park a déclaré que, de manière générale, lorsqu’une nouvelle convention collective a été négociée, le délai inclus aux fins de la mise en œuvre est habituellement de 90 jours suivant la date de la signature de la convention collective. Il a expliqué qu’il s’écoulait un laps de temps entre la conclusion d’une entente de principe et la date à laquelle la convention collective était réellement signée par les parties, ce qui donne au demandeur suffisamment de temps pour ficeler les détails et apporter les modifications aux différents systèmes avant d’entreprendre la mise en œuvre. M. Park a précisé qu’en ce qui concerne les délais de mise en œuvre prévus dans les décisions arbitrales, il y a deux possibilités, à savoir que la décision arbitrale ordonnera que la période de mise en œuvre soit calculée à compter de la date de la signature de la convention collective ou à compter de la date de la décision arbitrale.

13 Selon l’article 157 de la Loi, les parties doivent mettre en œuvre les conditions de la décision arbitrale dans les 90 jours suivant la date à compter de laquelle la décision arbitrale lie les parties ou à l’intérieur d’un délai plus long au sujet duquel les parties se seront entendues. M. Park a expliqué que le délai était très différent lorsqu’il s’agissait d’une décision arbitrale par rapport à une convention collective, parce qu’il commençait à courir immédiatement au moment où la décision arbitrale était rendue. Il a fait valoir qu’à titre d’employeur, le demandeur tentera de s’entendre avec l’agent négociateur pour un délai plus long que 90 jours et d’obtenir dans la décision arbitrale que la période de mise en œuvre soit calculée à compter de la date de signature de la convention collective, au lieu de la date de la décision arbitrale.

14 M. Park a soutenu que selon sa compréhension de l’entente conclue avec le défendeur, le délai de 100 jours devait commencer à courir à la date de la signature de la convention collective. Il a expliqué que pour 26 des 27 conventions collectives conclues dans l’administration publique centrale, le délai était calculé à compter de la date de signature de la convention collective. Il a également indiqué qu’il y avait eu, au mois d’août 2013, un échange de courriels avec le représentant du demandeur au conseil d’arbitrage, Jock Climie, portant expressément sur cette question. À l’appui de sa compréhension que l’entente prévoyait un délai de 100 jours à compter de la date de signature de la convention collective, il a présenté un échange de courriels entre lui et M. Climie à cet égard. Une ébauche de l’appendice 1 était jointe au premier courriel, lequel a été envoyé par M. Climie à M. Park, le 9 août 2013, et incluait l’article 14.12, établissant le délai relatif à l’indemnité de départ, qui était libellé comme suit :

14.12 Choix de l’option

a) L’Employeur informera l’employé(e) du nombre de ses années d’emploi continu au plus tard trois (3) mois après la signature de la convention collective.   

15 Comme M. Park était en vacances lorsque M. Climie lui a envoyé le libellé, il a répondu à M. Climie qu’il demanderait à une autre personne de l’étudier; il a transmis le courriel à cette autre personne.

16 M. Park a déclaré qu’à la suite de la décision arbitrale, il a eu plusieurs discussions et rencontres avec M. Brown au sujet du processus de mise en œuvre et de l’état de la situation. Il a soulevé que la question de la quantité de travail à accomplir a été discutée pour la première fois à la rencontre du 4 octobre 2013. Le 13 novembre 2013, il a avisé M. Brown qu’il était fort probable que le demandeur ne puisse pas respecter le délai fixé dans la décision arbitrale. Lors d’une autre discussion avec M. Brown, le 4 décembre 2013, il a confirmé que le délai ne pourrait être respecté et a demandé à M. Brown si le demandeur devrait demander formellement une prorogation du délai. Il a affirmé que M. Brown lui avait dit qu’il étudierait la question et lui laisserait savoir. M. Park a soutenu avoir parlé de nouveau avec M. Brown, le 13 décembre, pour lui signifier que le demandeur ne pourrait de toute évidence pas respecter le délai fixé dans la décision arbitrale et pour lui demander une prorogation du délai.

17 M. Brown n’a pas accepté de proroger le délai, comme l’ demandé M. Park.

18 Lors du contre-interrogatoire, M. Park a admis que le demandeur ne s’était pas adressé au conseil d’arbitrage lorsqu’il a constaté que la période de mise en œuvre était de 100 jours à compter de la date de la décision arbitrale et qu’il n’avait pas non plus demandé de contrôle judiciaire de la décision arbitrale.

19 MmeHenderson est la gestionnaire des Services de rémunération au Centre de service de la région de l’Atlantique du ministère de la Défense nationale (le « MDN »). Elle occupe ce poste depuis 1996 et œuvre au sein de la fonction publique dans le domaine des ressources humaines depuis 1978. Mme Henderson a expliqué que ses fonctions et responsabilités comportent la supervision du paiement des salaires et avantages sociaux au personnel civil du MDN dans la région de l’Atlantique. Elle gère un effectif de 30 à 35 employés, de ce nombre, entre 25 et 27 sont des conseillers en rémunération.

20 L’unité de Mme Henderson est chargée de la mise en œuvre des changements reliés aux nouvelles conventions collectives. Mme Henderson m’a décrit le travail qu’effectue son unité lorsqu’elle est informée d’une décision arbitrale ou de la conclusion d’une nouvelle convention collective. D’après ce qu’elle avait compris, le délai pour mettre en œuvre les changements découlant de la décision arbitrale était de trois mois à compter de la date de la signature de la convention collective. Elle a mentionné avoir reçu cette information par courriel. Cependant, aucune copie de ce courriel n’a été produite à l’audience. Mme Henderson a toutefois invoqué un échange de courriels où elle mentionne sa compréhension des choses. Cet échange de courriels se trouve à la pièce A-1, onglet 7. Le premier courriel de l’échange a été envoyé à M. Brown par Mme Henderson, le 19 novembre 2013. Dans ce courriel, Mme Henderson indique à M. Brown que le libellé de l’article 14.12, Choix de l’option, prévoit que le délai pour la mise en œuvre est de trois mois après la date officielle de la signature de la convention collective.

21 Le deuxième courriel (pièce A-1, onglet 7) est la réponse de M. Brown (également en date du 19 novembre 2013) informant Mme Henderson que le libellé de la décision arbitrale prévoyait un délai de trois mois à compter de la signature de la décision arbitrale et lui fournissant un lien vers le site Web de la Commission où elle pouvait trouver la décision arbitrale.

22 MmeHenderson a affirmé qu’après avoir pris connaissance de l’erreur, elle a dû réorganiser le travail au sein de son unité. Il a fallu réattribuer les charges de travail et confier du travail au Centre de service régional de l’Ontario. Elle a aussi expliqué que son unité avait dû attendre que Travaux publics et Services gouvernementaux Canada mette à jour le fichier de contrôle des taux de paye et le bulletin sur la mise en application des taux de rémunération pour être en mesure d’effectuer une grande partie du travail associé à la mise en œuvre.

23 Mme Henderson a décrit ce que signifie une « mise hors service ». Lors d’une mise hors service, l’unité ferme ses portes à la clientèle pour être en mesure de faire son travail. Pendant cette période, après le 19 novembre 2013, une mise hors service a eu lieu tous les deux jours. Ses employés ne répondaient plus aux appels ou aux demandes de renseignements des clients, et les appels étaient réacheminés vers un numéro central. Ils pouvaient ainsi travailler sans interruption aux tâches liées à la mise en œuvre.

24 Mme Henderson a aussi abordé la question de la méthode de calcul liée à la « prime d’équipe autonome de travail » et a fait valoir qu’il s’agissait d’un long processus. Les membres du défendeur sont les seuls membres de l’unité de négociation à recevoir cette prime.

25 Mme Henderson a également décrit les autres tâches qui tenaient les employés de son unité occupés et qui ajoutaient à la charge de travail de l’unité pendant la période de novembre à décembre 2013. Il a notamment fallu saisir les cotisations pour la Campagne de charité en milieu de travail du gouvernement du Canada (Centraide) dans le système de paie, de sorte que les déductions puissent commencer en janvier de la nouvelle année. Mme Henderson a aussi souligné le fait qu’il y a eu la période des Fêtes.

26 Mme Henderson a admis en contre-interrogatoire que la rémunération et les avantages sociaux décrits dans son témoignage n’avaient rien de nouveau pour elle et son unité. La prime d’équipe autonome de travail et les différentes autres allocations existent depuis des années, et son unité a l’habitude de les traiter. Elle a aussi admis que les autres tâches exécutées par son unité, notamment les calculs pour Centraide et les paiements tenant lieu d’indemnités de départ, n’étaient pas nouvelles et que plusieurs faisaient partie intégrante de la charge de travail normale de l’unité.

27 Mme Henderson a fait valoir qu’elle croyait que tout le travail requis pour se conformer au délai de mise en œuvre prévu aux paragraphes 20 et 51 de la décision arbitrale devrait être terminé le 31 janvier 2014.

28 M. Brown a expliqué qu’en plus d’être président du CMTCM-E, il était négociateur en chef de la négociation collective et avait participé à l’arbitrage ayant mené à la décision arbitrale.

29 M. Brown a renvoyé à la pièce A-1, onglet 1. Il s’agit d’un extrait du mémoire d’arbitrage que le demandeur a soumis à l’appui de sa position dans le cadre de l’arbitrage qui a eu lieu le 16 mai 2013. Il s’agit d’un graphique en trois colonnes pour chacun des articles de la convention collective contenant, respectivement, le libellé actuel, le libellé proposé par le demandeur et le libellé proposé par le défendeur. L’article 14.12 sur l’indemnité de départ se trouve à la page 57. On n’y retrouve ni libellé actuel ni libellé proposé par le défendeur, seulement le libellé proposé par le demandeur, qui est identique au libellé du paragraphe 14 de la décision arbitrale, qui prévoit que la période de mise en œuvre de trois mois serait calculée à partir de la date officielle de la signature de la convention collective.

30 M. Brown a fait valoir que le CMTCM-E n’était pas d’accord avec la période de trois mois à compter de la signature de la convention collective pour fournir aux employés l’information sur leurs années de service aux fins de l’indemnité de départ et pour se conformer à l’article 14.12. 

31 Également à la pièce A-1, onglet 1, à la page 74, on retrouve un autre extrait du mémoire d’arbitrage du demandeur,  soit un autre graphique en trois colonnes pour chaque section de la convention collective soit, respectivement, le libellé actuel, le libellé proposé par le demandeur et le libellé proposé par le défendeur pour l’article 34.02. Le libellé existant indiquait la date d’expiration de la convention collective. Dans la section de la proposition de l’employeur, le demandeur a ajouté « Article 34.03 ». Le défendeur n’a rien proposé. Le libellé proposé par le demandeur se lisait comme suit :

[Traduction]

Article 34.03 Les dispositions de la présente convention collective doivent être mises en œuvre par les parties dans les cent cinquante (150) jours de la date de sa signature.

32 On a montré le nouvel « Article 34.03 » proposé (pièce A-1, onglet 1) à M. Brown et on lui a demandé s’il était arrivé dans le passé que le défendeur accepte un délai de 150 jours. Il a répondu que dans le cas du CMTCM-E, le délai avait toujours été de 90 jours à compter de la date de signature de la convention collective.

33 M. Brown a aussi mentionné un échange de courriels avec M. Park, en date du 7 octobre 2013 (pièce A-1, onglet 5), dans lequel il mentionne la période de mise en œuvre de la décision arbitrale et la date limite du 27 décembre 2013. Lorsqu’on a questionné M. Brown au sujet de ses discussions avec M. Park à ce moment, il a déclaré que M. Park se renseignait sur les conséquences de ne pas respecter le délai prévu dans la décision arbitrale. M. Brown a dit lui avoir répondu que le CMTCM-E devrait déposer une plainte.

34 M. Brown a fait valoir qu’il a refusé la prorogation de délai qui lui a demandé M. Park parce qu’il estimait qu’une période de 100 jours aurait été suffisante si les calculs avaient été entrepris plus tôt.

35 En contre-interrogatoire, M. Brown a admis qu’il n’était pas gestionnaire ni analyste de la rémunération et qu’il ne connaissait pas les calculs que devaient faire ces personnes dans le cadre de leur travail. Il a déclaré que c’était la raison pour laquelle il parlait avec Mme Henderson. Il a aussi affirmé qu’il comprenait que le travail effectué par l’unité de Mme Henderson était complexe.

36 M. Brown a aussi reconnu avoir discuté à plusieurs reprises de la mise en œuvre avec M. Park et que ce dernier lui a signifié, tôt après que la décision arbitrale a été rendue, qu’il y avait des problèmes quant à la compréhension du demandeur relativement à la mise en œuvre de la décision arbitrale.

37 Les trois témoins ont confirmé qu’ils avaient de bonnes relations entre eux, ce qui m’est apparu évident à l’audience.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour le demandeur

38 Le demandeur a déclaré que le critère qui s’appliquait au moment d’octroyer une prorogation avait d’abord été établi dans Conseil du Trésor c. L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada Canada, dossier de la CRTFP 151-02-4 (19691118; « Conseil du Trésor c. IPFPC »). Ce critère a été appliqué de manière constante, moyennant certaines nuances subtiles. Le critère établi par l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») est décrit comme suit au paragraphe 5 :

[…] La « soupape de sécurité » prévue par l’article 56(1)b)(ii) n’a été instituée que pour tenir compte de situations normalement imprévisibles au moment de la signature de la convention, ou de situations qui se développent par la suite et qui sont indépendantes de la volonté de l’employeur. […]

39  Le demandeur m’a renvoyé à Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 151-02-7 (19760716; « AFPC 1 »). Dans cette affaire, l’ancienne Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 8 :

[…] En tout état de cause, le fait que l’employeur a attendu jusqu’à l’avant-dernier jour de la période de 90 jours pour présenter une demande de prolongation préoccupe la Commission. En tardant ainsi à faire sa demande, l’employeur s’accordait par ce fait même une prolongation du délai pour mettre en œuvre les clauses salariales de la convention collective.

40 Le demandeur m’a renvoyé à Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 148-02-367 (« AFPC 2 »). Dans cette affaire, l’ancienne Commission a déclaré ce qui suit au quatrième paragraphe de la page 5 :  

En ce qui a trait à la convention conclue à la table II, je suis convaincu que les motifs invoqués par l’employeur pour expliquer le fait qu’il n’a pu mettre la convention en application dans les quatre-vingt-dix jours suivant sa signature, et le fait qu’il a apprécié les problèmes qui ont surgi et qu’il a réagi rapidement, justifient la prolongation du délai […]

41 Le demandeur a fait valoir que la preuve démontrait clairement qu’il avait été franc avec le défendeur concernant les problèmes de mise en œuvre et qu’il avait signifié au défendeur, à plusieurs occasions et bien avant la date limite, qu’une prorogation serait vraisemblablement nécessaire. Le représentant du demandeur a rencontré le représentant du défendeur le 4 octobre, le 13 novembre et le 4 décembre 2013 pour discuter des problèmes liés à la mise en oeuvre. Le 13 décembre 2013, le demandeur a présenté une demande officielle de prorogation du délai au défendeur, à la suite d’une suggestion de ce dernier en ce sens. À tout moment, le demandeur a agi de bonne foi et ce n’est que lorsque le défendeur a refusé de lui accorder une prorogation de délai qu’il a présenté sa demande. 

42 Le demandeur a également invoqué Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 151-02-12 (19890818; « AFPC 3 »), à l’appui de son allégation selon laquelle la présentation tardive de la demande ne devrait pas constituer un obstacle à l’octroi de la prorogation. Dans AFPC 3,les délais de 90 jours pour la mise en œuvre de différentes conventions collectives devaient expirer entre le 15 et le 17 août 1989. Le demandeur a présenté une demande de prorogation le 11 août 1989 seulement. Le demandeur a fait valoir que, même si le délai était court entre les dates d’expiration et la date de mise en œuvre, l’ancienne Commission a examiné le fond de la demande et a accordé la prorogation. Selon le demandeur, AFPC 3 apporte des nuances à la jurisprudence précédente dans ce domaine. La Commission doit évaluer la complexité du travail devant être effectué et en tenir compte au moment d’évaluer si une prorogation du délai devrait être accordée.

43 En l’espèce, le demandeur a fait valoir que la preuve témoignait amplement de la complexité du travail qui était en cours et qu’il restait à accomplir. Le demandeur a déclaré que le paragraphe 20 de la décision arbitrale était incorrect parce qu’il n’avait jamais convenu que la période de mise en œuvre serait de 90 jours à compter de la date de la décision arbitrale. Le demandeur a convenu d’un délai de 90 jours à compter de la date de signature de la convention collective. La différence est importante entre un délai de 90 jours à compter de la date de signature de la convention collective et un délai de 90 jours à compter de la date de la décision arbitrale, et elle a des répercussions sur la capacité du demandeur d’accomplir le travail. Le délai raccourci, en plus de la publication tardive du fichier de contrôle des taux de paye et du bulletin sur la mise en application des taux de rémunération de TPSGC, des calculs de la prime d’équipe autonome de travail et autres allocations et du caractère particulier du congé de maladie sans rémunération, démontre la complexité de la question.

B. Pour le défendeur

44 Le défendeur a fait valoir que la preuve présentée ne satisfaisait pas le critère établi par la jurisprudence.

45 Le défendeur n’a pas remis en question la difficulté du travail de Mme Henderson ou du personnel des Services de rémunération. Il lui était difficile de comprendre pourquoi le demandeur ne pouvait pas respecter le délai. Les parties s’étaient entendues sur un délai de 100 jours. Le demandeur aurait dû évaluer ses ressources avant d’accepter le délai pour s’assurer d’être en mesure de le respecter. Il est évident que si le demandeur avait vérifié auprès de Mme Henderson, il aurait su que le respect du délai comportait des défis.

46 Selon le défendeur, aucun des éléments de preuve produits par le demandeur pour démontrer les problèmes liés à la mise en œuvre n’était imprévisible; la période des Fêtes, le calcul de la prime d’équipe autonome de travail et autres allocations, ainsi que la mise en œuvre des déductions pour Centraide étaient tous des facteurs connus du demandeur avant que la décision arbitrale ne soit rendue. Plusieurs de ces activités, fonctions et tâches revenaient annuellement ou étaient continues et aucune d’entre elles ne constituait une surprise ou un imprévu.

47 Le défendeur a fait valoir que, même s’il y avait des discussions continues entre M. Park, Mme Henderson et M. Brown au sujet de la mise en œuvre, le demandeur ne pouvait pas simplement attendre et regarder les événements se dérouler. Le demandeur a attendu pratiquement jusqu’à la veille de Noël pour déposer sa demande. Au moment où il a demandé une prorogation, il savait qu’il contrevenait à la Loi.

48 La Loi prévoit un délai obligatoire pour mettre en œuvre une décision arbitrale. L’arbitre de grief est demeuré saisi de l’affaire pour se pencher sur les problèmes pouvant survenir dans l’exécution de la décision arbitrale. Le libellé de la décision est clair. Ce qui s’est passé entre le demandeur et son représentant avant que la décision arbitrale soit rendue n’est pas pertinent, parce que la décision arbitrale a été rendue. Le demandeur n’a pas demandé au conseil d’arbitrage d’examiner l’erreur relative au délai et n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision arbitrale. Le demandeur n’a pas soulevé l’erreur alléguée auprès du défendeur. De plus, le représentant du demandeur au conseil d’arbitrage a émis une opinion dissidente dans laquelle il n’est pas question de l’erreur alléguée relativement au délai de mise en œuvre.

49 Le demandeur doit faire preuve de diligence raisonnable. Ses employés doivent obtenir des renseignements exacts et dans les délais prescrits pour être en mesure d’effectuer leur travail. Mme Henderson a obtenu une information erronée en ce qui concerne le délai de mise en œuvre. Cette information a été corrigée par le défendeur deux mois seulement après la date de la décision arbitrale. Cette situation est inexcusable.

50 Le défendeur m’a renvoyé à la demande actuelle datée du 18 décembre 2013. Le demandeur ne mentionne pas dans ce document la date limite du 18 décembre 2013 pour la prestation de l’information sur l’indemnité de départ. Il déclare simplement qu’il a eu à traiter certains problèmes lors de la mise en œuvre d’autres conventions collectives, et qu’il s’attendait également à ce que l’exécution de la décision arbitrale lui pose aussi quelques difficultés. Il ressort clairement de ces propos que le demandeur avait prévu le travail qui devait être accompli.

51 Le défendeur a fait valoir que, dans sa demande du 18 décembre, le demandeur avait invoqué la décision récente de la Commission Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 139 (« Association des chefs d’équipe »), et que le demandeur s’inquiétait des risques de dommages pouvant être accordés si le défenseur déposait une plainte. Selon le défendeur, le demandeur ne cherchait pas réellement à obtenir une prorogation du délai, puisqu’il s’était déjà accordé une prorogation en attendant jusqu’au tout dernier moment pour en faire la demande; l’intention réelle de la demande était d’éviter les dommages pouvant être associés au dépôt d’une plainte.

52 Le défendeur a déclaré que, dans Conseil du Trésor c. IPFPC, l’employeur travaillait avec les toutes premières conventions collectives de la fonction publique fédérale. Bien que la tâche fut énorme et ardue, la Commission a déclaré ce qui suit lorsqu’il lui a accordé une prorogation de 15 jours seulement : « À l’avenir, il incombera à l’employeur de démontrer que le retard apporté dans la mise en œuvre de la convention est dû à des circonstances qui ne pouvaient être normalement prévues par lui ou qui sont indépendantes de sa volonté ».

53 En ce qui concerne AFPC 1, le défendeur a renvoyé aux propos de l’ancienne Commission au paragraphe 8 :

[…] le fait que l’employeur a attendu jusqu’à l’avant-dernier jour de la période de 90 jours pour présenter une demande de prolongation préoccupe la Commission. En tardant ainsi à faire sa demande, l’employeur s’accordait par ce fait même une prolongation du délai pour mettre en œuvre les clauses salariales de la convention collective.

54 Le défendeur a fait valoir qu’en l’espèce, c’est exactement ce que le demandeur a fait.

55 Le défendeur a également renvoyé à la déclaration suivante de l’ancienne Commission au paragraphe 11 d’AFPC 1 : « […] la requête devrait être présentée suffisamment tôt pour accorder à la Commission le temps d’évaluer pleinement les positions respectives des parties ». Le défendeur a de nouveau fait valoir qu’en l’espèce, le demandeur ne s’était pas conformé à ce qui était prévu par la jurisprudence.

56 En ce qui concerne AFPC 3, le défendeur a déclaré que ce cas était distinct des autres cas cités parce qu’il avait été instruit sans audience et que les parties devaient gérer la mise en œuvre de 40 conventions collectives s’appliquant à plus de 160 000 employés. Les faits dans AFPC 3 se distinguent clairement de ceux en l’espèce.

57 Le défendeur m’a renvoyé au paragraphe 38 de l’Association des chefs d’équipe, où la Commission a déclaré ce qui suit : « Il est impossible d’établir des relations patronales-syndicales harmonieuses, ce qui est l’un des objets de la LRTFP, lorsque l’une des parties n’hésite pas à faire fi des dispositions de la LRTFP, lesquelles visent à assurer la paix dans les relations de travail ». La décision dans Association des chefs d’équipe a été rendue le 13 novembre 2013, et la décision arbitrale, le 18 septembre 2013. Dans Association des chefs d’équipe, la Commission a réprimandé publiquement le même demandeur, lequel a quand même attendu jusqu’au 18 décembre 2013 pour soumettre une demande de prorogation à la Commission. Cela témoigne d’un manque de respect à l’égard du défendeur et de la Commission.

58 Il ne suffit pas que le demandeur déclare que la mise en œuvre de la décision arbitrale est compliquée. Le délai imposé par la Loi est obligatoire et ne peut être prolongé que sur consentement du défendeur ou de la Commission, si des circonstances imprévues surviennent dans le cadre de la mise en œuvre ou s’il existe des facteurs échappant au contrôle du demandeur.

59 Le défendeur a invoqué AFPC 2 et Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 103 (« AFPC 4 »).

C. Réplique du demandeur

60 En ce qui concerne Association des chefs d’équipe, il ne fait aucun doute que le demandeur a agi de bonne foi en tout temps et qu’il a fait preuve de franchise à l’endroit du défendeur pendant la période visée en partageant ses préoccupations relativement au respect du délai.

IV. Motifs

61 La question en litige dans le cadre de la présente demande concerne une requête en vue de prolonger le délai prévu à l’article 157 de la Loi pour mettre en œuvre une décision arbitrale. L’article 157 est libellé comme suit :

157. Sous réserve de l’affectation, par le Parlement ou sous son autorité, des crédits dont l’employeur peut avoir besoin à cette fin, les parties commencent à appliquer les conditions d’emploi sur lesquelles statue la décision arbitrale dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à compter de laquelle la décision arbitrale lie les parties ou dans le délai plus long dont celles-ci peuvent convenir ou que la Commission peut, sur demande de l’une d’elles, accorder.

62 La décision arbitrale a été rendue le 18 septembre 2013. Deux délais différents pour la mise en œuvre ont été établis par la décision arbitrale. Selon le premier délai, le demandeur devait informer les employés du nombre de leurs années d’emploi continu au plus tard trois mois après la date de la décision arbitrale, tel qu’il est prévu à l’article 14.12 de l’appendice 1. Ce délai de trois mois expirait le 18 décembre 2013. Le deuxième délai est fixé au paragraphe 51 de la décision arbitrale, qui prévoit simplement que « La mise en œuvre de la présente décision arbitrale, comme convenu entre les parties, prend effet 100 jours après la date à laquelle la présente décision arbitrale est rendue ». Ce délai de mise en œuvre de 100 jours est venu à échéance le 27 décembre 2013. Aucun de ces délais n’a été respecté.

63 Le 18 décembre 2013, soit le dernier jour du premier délai fixé pour la mise en œuvre, le demandeur a demandé à la Commission de lui accorder une prorogation du délai pour la mise en œuvre de la décision arbitrale. La demande est reproduite au paragraphe 9 de la présente décision arbitrale et ne fournit pas de précision permettant de comprendre pourquoi le demandeur n’a pas été en mesure de respecter les deux délais.

64 La jurisprudence dans ce domaine est mince et date de nombreuses années. Le problème que pose la jurisprudence actuelle est qu’elle n’examine pas les situations qui peuvent survenir lorsqu’il y a un malentendu relativement à la mise en oeuvre, comme c’est le cas en l’espèce. Elle ne traite pas non plus des différences entre le libellé de l’ancienne loi et de la Loi en vigueur, pas plus que des réalités actuelles ayant trait à la mise en œuvre.

65 Dans Conseil du Trésor c. IPFPC rendue en 1969, l’ancienne Commission a établi ce que l’on prétend être le critère à respecter dans le cadre des demandes de prorogations de délai aux termes de la loi antérieure. Le critère est énoncé au paragraphe 5 de cette décision, comme suit :

[…] La « soupape de sécurité » prévue par l’article 56(1)b)(ii) n’a été instituée que pour tenir compte de situations normalement imprévisibles au moment de la signature de la convention, ou de situations qui se développent par la suite et qui sont indépendantes de la volonté de l’employeur. […]

66 L’article 56 de l’ancienne LRTFP est reproduit au paragraphe 4 de Conseil du Trésor c. IPFPC :

56. (1) Les dispositions d’une convention collective doivent, sous réserve de l’affectation par le Parlement ou sous son autorité des crédits dont l’employeur peut avoir besoin à cette fin, être mises en œuvre par les parties,

a) Lorsque la convention collective spécifie un délai pour la mise en œuvre de la convention collective, au cours de ce délai; et

b) lorsque aucun délai de mise en œuvre n’est ainsi spécifié,

(i) dans les quatre-vingt-dix jours de la date de sa signature, ou

(ii) dans tel autre délai plus long que la Commission peut, à la requête de l’une ou l’autre des parties à la convention, estimer raisonnable.

67 L’article 56 de la loi antérieure, l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne LRTFP »), a ensuite été modifié et est devenu l’article 57 de l’ancienne LRTFP. Le libellé est demeuré sensiblement le même, quoique pas identique, et prévoyait la mise en œuvre de la convention collective dans un délai de 90 jours suivant la date de sa signature, notamment dans le cas où aucune période de mise en œuvre n’était précisée. En voici le texte :

Délai d'application d'une convention

57. (1) Sous réserve de l’affectation par le Parlement, ou sous son autorité, des crédits dont l’employeur peut avoir besoin à cette fin, les parties à une convention collective commencent à appliquer celle-ci :

a) au cours du délai éventuellement prévu à cette fin dans la convention;

b) en l’absence d’un délai de mise en application, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de la signature de la convention ou dans le délai plus long dont peuvent convenir les parties ou que fixe la Commission sur demande de l’une ou l’autre de celles-ci.

68 L’article 56 de l’ancienne LRTFP est au cœur du litige dans Conseil du Trésor c. IPFPC et AFPC 1; et l’article 57 de l’ancienne LRTFP est au cœur du litige dans AFPC 2, AFPC 3 et AFPC 4.Cette disposition prévoit un délai de 90 jours pour mettre en œuvre la convention collective, soit à compter de la date de signature de la convention collective ou du délai convenu par les parties. La disposition de la Loi qui est en cause en l’espèce, l’article 157, ajoute une nouvelle exigence, à savoir, la mise en œuvre dans un délai de 90 jours de la date à compter de laquelle la décision arbitrale lie les parties. Par conséquent, le nouveau libellé pourrait mener à un délai plus court pour mettre en œuvre la convention collective; un délai qui pourrait ne pas être réaliste. En limitant l’examen d’une prorogation de délai selon une interprétation stricte de « soupape de sécurité », d’autres considérations pourraient ne pas être évaluées convenablement, même dans les cas où il y a eu bonne foi, transparence et diligence raisonnable pour atteindre une échéance qui a été imposée.

69 J’estime que le demandeur ne pouvait pas prévoir que le délai puisse être de 90 jours après la date de la décision arbitrale. C’est ce qui se dégage clairement du témoignage de M. Park, qui a déclaré que, dans sa position de négociation initiale, le demandeur avait demandé un délai de 150 jours. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le demandeur avait accepté le délai de 100 jours, M. Park a répondu que le demandeur savait qu’à défaut d’une entente sur le délai, la Loi prévoyait une limite de 90 jours et que, par conséquent, il était préférable d’avoir 100 jours plutôt que 90 jours. Il ressort également du courriel du 7 octobre 2013 (pièce A-1, onglet 5), que M. Brown a envoyé à M. Park, que le délai de 100 jours se terminait le 27 décembre 2013. M. Brown déclare expressément ce qui suit : [traduction] « [E]n conclusion, tel qu’il a été discuté le matin du vendredi 4 octobre 2013, je comprends que nous tenterons d’effectuer la mise en œuvre dans une période de 100 jours, c’est-à-dire d’ici le 27 décembre 2013 ». Cependant, je conclus également que, jusqu’à ce moment, M. Park aurait pu croire par inadvertance que le demandeur disposait d’une plus longue période pour effectuer le travail.

70 La preuve a clairement démontré qu’un délai de mise en œuvre à compter de la date de signature de la convention collective avait souvent été utilisé et pouvait toujours l’être. Comme M. Park a expliqué, dans 26 des 27 conventions collectives, le délai pour la mise en œuvre a été calculé à compter de la date de signature des différentes conventions collectives. Il a également fait valoir qu’il y avait habituellement un laps de temps entre la négociation comme telle d’une entente et sa signature. En réalité, le délai minimum pour mettre en œuvre les dispositions d’une entente est de 90 jours, plus la période qui s’écoule entre la date de conclusion d’une entente de principe et la signature de la convention. M. Park a mentionné que la convention collective en l’espèce n’avait pas encore été signée. C’est dans ce contexte qu’un malentendu quant à la mise en œuvre peut se produire. J’accepte le témoignage de M. Park, à savoir qu’il avait initialement compris que, selon l’entente avec le défendeur, le délai de 100 jours pour mettre en œuvre la décision arbitrale s’écoulait à partir de la date de signature de la convention collective.

71 Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel il n’y avait aucun imprévu dans les faits soumis par le demandeur. Les questions liées à la prime d’équipe autonome de travail et à l’indemnité de départ n’étaient pas nouvelles ni imprévisibles, pas plus que ne l’était le début de la période des Fêtes, la campagne de charité en milieu de travail de Centraide ou l’émission du fichier de contrôle des taux de paye et du bulletin sur la mise en application des taux de rémunération par TPSGC. Il s’agissait de facteurs existants avec lesquels le demandeur devait, de manière générale, composer chaque année, ou de facteurs particuliers à cette unité de négociation que le demandeur avait eu à gérer par le passé.

72 Je suis également d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel le travail à accomplir n’avait rien d’extrêmement complexe. Les questions liées à la mise en œuvre n’avaient rien de nouveau ou d’inédit.

73 Cependant, j’accepte la preuve du demandeur selon laquelle il y a eu une erreur honnête en ce qui a trait à la période de mise en œuvre. Les témoignages de M. Park et de Mme Henderson, ainsi que les nombreux courriels produits, appuient cette preuve. Autre élément tout aussi important, la preuve démontre clairement la diligence raisonnable qui a été exercée afin de respecter ce délai, une fois que l’erreur d’interprétation a été constatée. 

74 La preuve produite par le demandeur et qui, selon son argumentation, témoignait du caractère imprévisible et complexe de la tâche à accomplir démontre plutôt qu’il devait gérer une charge de travail excessive. Le témoignage de Mme Henderson a permis de bien comprendre la charge de travail considérable qui incombe à son unité de manière générale, ainsi que la lourdeur du travail associé à la mise en œuvre de la décision arbitrale. Elle a déclaré qu’elle avait dû prendre des mesures pour interrompre les contacts avec la clientèle tous les deux jours de sorte à permettre à l’unité de travailler sans être dérangé et qu’elle a demandé et obtenu l’aide du bureau régional de l’Ontario. Je déduis du témoignage de Mme Henderson que ce qui a été perçu comme étant imprévisible, par elle et par son unité, a probablement été la quantité de travail à accomplir suite à la décision arbitrale. Dans ses courriels, elle a également exprimé des préoccupations à l’égard de la quantité inhabituelle de temps qu’elle devait consacrer pour saisir les données sur les primes d’équipe autonome de travail.

75 Je conclus que le délai de 90 jours prévu à l’article 157 de la Loi raccourcit considérablement le délai pour la mise en œuvre comparativement à ce qui a été établi aux articles 56 et 57 des lois antérieures, sur lesquels étaient fondées les demandes de prorogations dans la jurisprudence. Dans les anciens articles 56 et 57, le délai pour la mise en œuvre était établi sur consentement des parties ou, à défaut d’une entente sur la question, il était de 90 jours à compter de la signature de la convention collective.

76 Bien que j’accepte le raisonnement du paragraphe 5 de Conseil du Trésor c. IPFPC et que je sois d’accord avec lui, je ne crois pas que la Commission doive se limiter à ce raisonnement, compte tenu de la modification du libellé de la Loi.

77 Il ressort très clairement de la preuve devant moi que le demandeur s’inquiétait du délai dont il disposait pour mettre en œuvre les modalités de la nouvelle convention collective. Selon M. Park, le demandeur a d’abord demandé un délai de 150 jours. Il a également fait valoir que le demandeur avait convenu d’un délai de 100 jours parce qu’il avait besoin de temps. Des 27 conventions collectives qu’il devait mettre en œuvre, toutes sauf une prévoyaient un délai s’écoulant à compter de la date de la signature de la convention collective, ce qui correspond au libellé de l’ancienne loi. Dans son témoignage, M. Brown a effectivement déclaré que, par le passé, le CMTCM-E avait convenu d’un délai de 90 jours à compter de la date de signature de la convention collective pour mettre en œuvre de nouvelles conventions collectives.

78 Le demandeur s’est peut-être basé sur des hypothèses erronées en ce qui a trait à la période de mise en œuvre, mais on ne peut pas dire que ces hypothèses ont été formulées de mauvaise foi ou que le demandeur n’a pas effectué son travail diligemment pour mettre en œuvre la décision arbitrale, une fois qu’il a pris connaissance de l’erreur. Je n’ai pas de problème à accepter que l’unité des Services de rémunération du Centre de service de la région de l’Atlantique du MDN a travaillé extrêmement fort, au point où il a fallu faire appel au Centre de service de l’Ontario pour être en mesure de terminer les tâches requises à la mise en œuvre de la décision arbitrale. Il ne fait aucun doute que l’unité a été débordée de travail, dont une grande partie était attribuable à la mise en œuvre de la décision arbitrale.

79 Le délai de 90 jours prévu à l’article 157 de la Loi ne tient pas nécessairement compte des variables de la réalité dans le milieu du travail. Dans toutes les conventions collectives conclues par le demandeur, à l’exception d’une seule, les délais étaient plus de 90 jours. M. Brown a lui-même admis que dans les conventions collectives que le défendeur avait conclues avec le demandeur dans le passé, les délais de 90 jours étaient calculés à compter de la date de signature de la convention collective. Dans l’environnement actuel des relations de travail, il faut du temps pour mettre en œuvre des changements aux conventions collectives, souvent plus que les 90 jours prévus par la Loi. Le temps nécessaire dépendra de différentes variables. Bien que le demandeur soit un employeur important et averti et composé d’une expertise variée, la réalité est que son effectif est constitué d’un nombre déterminé de personnes qui peuvent accomplir les tâches associées à la rémunération. Il y a des limites à ce que ces personnes peuvent accomplir dans un délai donné. 

80 Je ne suis pas d’accord avec l’argument du défendeur voulant que le demandeur n’était pas sincère lorsqu’il a demandé une prorogation du délai, ce qui laissait entendre que la demande aurait engendré du cynisme, pour citer Association des chefs d’équipe. Comme le démontre la preuve, le demandeur a fait preuve de transparence au sujet de ses difficultés à respecter le délai de mise en œuvre et en a discuté avec le défendeur. Il ne s’agit pas d’une situation où le demandeur est demeuré passif et inactif, pour ensuite présenter à la Commission une demande de prorogation du délai. Le demandeur s’est peut-être mépris sur la période lui étant allouée pour accomplir certaines tâches, mais rien dans la preuve n’a démontré qu’il se soit croisé les bras pendant cette période en ne faisant rien. Il m’apparaît clairement que les personnes responsables de la mise en œuvre ont travaillé diligemment pour assurer cette mise en œuvre, au point d’interrompre les autres tâches et d’impartir du travail à d’autres unités.

81 Les périodes de mise en œuvre visent à favoriser et à renforcer les relations de travail harmonieuses, et il est important que les périodes convenues ou imposées soient réalistes et atteignables. Dans le cas contraire, la « soupape de sécurité » dont fait état la jurisprudence devrait s’appliquer aux circonstances, comme celles en l’espèce, où le demandeur a démontré qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable et qu’il avait été confronté à une situation qui, même si elle n’était pas imprévue, était impossible à corriger en raison d’une erreur honnête et du travail exigeant associé à la mise en œuvre. Ceci étant, le demandeur a demandé le consentement du défendeur, mais il aurait dû faire preuve d’une plus grande prudence en s’adressant plus tôt à la Commission. M. Park comptait peut-être sur la bonne volonté entre lui et M. Brown pour obtenir de ce dernier son consentement, mais, dans l’intervalle, le temps s’écoulait. De son propre aveu, dès le 13 novembre 2013 (quelque cinq semaines avant le dépôt de la demande), le demandeur savait qu’il ne pourrait vraisemblablement pas respecter la date limite. Bien que le demandeur aurait dû prendre certaines autres mesures, ce qu’il n’a pas fait, le défendeur n’a certainement pas été surpris par la demande, puisque M. Park et M. Brown se sont rencontrés et ont discuté souvent des réalités de la mise en œuvre et que le demandeur a clairement signifié au défendeur, et ce, dès le début décembre 2013, qu’il aurait besoin de plus de temps. 

82 Pour ces motifs, la Commission rend l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

83 La demande de prorogation du délai en vertu de l’article 157 de la Loi est accordée comme suit :

  1. La date de mise en œuvre indiquée à l’article 14.12 de l’appendice 1 de la décision arbitrale est prolongée du 18 décembre 2013 jusqu’au 14 février 2014.
  2. La date de mise en œuvre indiquée au paragraphe 51 de la décision arbitrale est prolongée du 27 décembre 2013 jusqu’au 14 février 2014.

Le 5 février 2014.

Traduction de la CRTFP

John G. Jaworski,
une formation de la Commission
des relations de travail dans la
fonction publique

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.