Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a participé à un processus de nomination interne annoncé. Il a été déterminé qu’il ne possédait pas deux des qualifications essentielles, lesquelles ont été évaluées en partie au moyen de la vérification des références. Le plaignant a affirmé que l’intimé avait abusé de son pouvoir en se fondant sur des références qui étaient empreintes de partialité et qui ne visaient pas une période raisonnable. Il a aussi déclaré que les références fournies étaient teintées de discrimination à son endroit. Décision Le plaignant a fourni au comité d’évaluation le nom du répondant en question, lequel était son superviseur depuis un an. Le Tribunal a jugé que rien n’indiquait que les renseignements fournis par le répondant étaient peu fiables et que le comité d’évaluation n’avait aucune raison de douter de la validité des commentaires formulés par le répondant. Le simple fait qu’un candidat ne souscrive pas au récit de situations le concernant par le répondant ne prouve pas nécessairement que la référence n’est pas valable. Il n’était pas inapproprié ni excessif que le répondant fournisse des références qui couvraient une période supérieure à deux ans. Les éléments de preuve n’établissent pas que le répondant affichait de la partialité à l’encontre du plaignant ni que la race ou l’origine nationale ou ethnique du plaignant a été un facteur au fait qu’il n’a pas été nommé. La plainte est rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier :
2011-0364
Rendue à :
Ottawa, le 17 juin 2013

LAHCEN BEN JAB
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Lyette Babin-MacKay, membre
Langue de la décision :
Français
Répertoriée :
Ben Jab c. le commissaire du Service correctionnel du Canada
Référence neutre :
2013 TDFP 0022

Motifs de décision


Introduction

1 Le plaignant, Lahcen Ben Jab, a participé à un processus de nomination interne annoncé visant la dotation de postes de gestionnaires correctionnels (GC), aux groupe et niveau CX‑04, dans les établissements du Service correctionnel du Canada (SCC) de la région du Québec. Sa candidature a été rejetée parce qu’il n’a pas satisfait à deux des qualifications essentielles de compétence, soit la « réflexion stratégique » et les « valeurs et éthique ».

2 Le plaignant soutient que l’intimé, le commissaire du SCC, a abusé de son pouvoir quand il l’a évalué. Plus spécifiquement, il soutient que son répondant a fourni à son égard des références non fondées qui portent sur une période déraisonnable dépassant deux ans, et qu’il a fait preuve de partialité contre lui. Finalement, il est d’avis que les références sont teintées de discrimination basée sur sa race ou sur son origine nationale ou ethnique.

3 L’intimé nie tout abus de pouvoir et toute discrimination à l’endroit du plaignant. Il fait valoir que le plaignant a été évalué de façon juste et équitable et que la période couverte par les références n’était pas limitée à deux ans. Il soutient aussi que le plaignant n’a présenté aucune preuve à l’appui de l’allégation de discrimination.

4 Le plaignant a envoyé un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) pour l’aviser qu’il avait l’intention de soulever une question liée à l’interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne L.R.C., 1985, ch. H-6 (LCDP). La CCDP a informé le Tribunal qu’elle n’entendait pas participer à l’audience ni présenter d’observations.

5 La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas présente à l’audience mais elle a fourni des observations écrites.

6 Pour les motifs énoncés ci-après, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) conclut que le plaignant n’a pas démontré que l’intimé a abusé de son pouvoir. Le plaignant n’a notamment pas établi que des motifs illicites de discrimination ont été des facteurs dans la décision de ne pas le nommer au poste en litige.

Contexte

7 Le 17 février 2010, l’intimé a publié une Annonce de possibilité d’emploi sur le site Web du gouvernement fédéral Publiservice pour doter des postes de GC. Parmi les qualifications essentielles indiquées dans cette annonce et dans l'énoncé des critères de mérite se trouvaient les qualifications essentielles de compétence « réflexion stratégique » et « valeurs et éthique ».

8 Le comité d’évaluation (le comité) était composé de trois personnes dont Cynthia Racicot, présidente du comité et alors sous-directrice de l’établissement Archambault, à Sainte‑Anne‑des‑Plaines (QC).

9 L’évaluation des candidats comprenait plusieurs étapes: présélection des candidatures, examen écrit, entrevue et vérification des références auprès des répondants proposés par les candidats.

10 Pour les références, on avait demandé aux candidats, en novembre 2010, de fournir le nom de leur surveillant immédiat actuel ainsi que celui de leur surveillant immédiat précédent pour la période de septembre 2009 à novembre 2010. Le plaignant n’a proposé qu’un seul répondant, soit Claude Bérard, gestionnaire correctionnel à l’Établissement Leclerc, qui était son surveillant depuis un an. M. Bérard a fourni ses références le 22 décembre 2010, après avoir avisé Mme Racicot qu’il les avait validées auprès de sa sous-directrice, Marielle Normandin.

11 les qualifications de compétence « réflexion stratégique » et « valeurs et éthique » en prenant en considération les réponses des candidats à des questions d’entrevue et les références fournies par leurs répondants, qui avaient reçu un document structuré où étaient définis ces compétences et les indicateurs de performance. Selon les instructions données aux répondants, ils devaient « fournir des exemples de comportements » témoignant du rendement des candidats au travail.

12 La note d’un candidat pour chaque qualification de compétence était accordée par consensus du comité, sur la base d’une échelle de cotation de 1 à 10 points. La note de passage de chacune était 6/10 ; selon le barème et l’échelle de cotation, une note de 4 ou 5 points indiquait que le candidat « démontre des faiblesses dans l’accomplissement de la compétence évaluée ».

13 Cinquante-cinq candidats ont réussi toute l’évaluation. Le plaignant n’a pas obtenu la note de passage pour les compétences « réflexion stratégique » et « valeurs et éthique ». Pour cette raison, il n’a pas été jugé qualifié pour le poste.

14 Le 30 mars 2011, l’intimé a publié une Notification de nomination ou proposition de nomination pour la nomination de Christiane Dubord à un des postes.

15 Le 14 avril 2011, le plaignant a déposé une plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'art. 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, S.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP).

Questions en litige

16 Le Tribunal doit décider les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation des qualifications essentielles de compétence « réflexion stratégique » et « valeurs et éthique » du plaignant?
  2. L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique du plaignant?

Analyse

17 La LEFP ne définit pas l’expression « abus de pouvoir » mais l’article 2(4) précise qu’il inclut la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

18 De même, il ressort clairement de la LEFP dans son ensemble que des erreurs mineures ne constituent généralement pas un abus de pouvoir. Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend donc de la nature et de la gravité de l’erreur. L’abus de pouvoir peut aussi comprendre une omission ou une conduite irrégulière. L’ampleur de l’omission et la nature dans laquelle la conduite est irrégulière peuvent déterminer si elles constituent un abus de pouvoir ou non. Voir, par exemple, Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008.

19 Comme le Tribunal l’a affirmé dans nombre de décisions, il incombe à un plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le processus de nomination est entaché d’abus de pouvoir. Voir Tibbs au para. 49.

Question I :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation des qualifications essentielles de compétence « réflexion stratégique » et « valeurs et éthique » du plaignant?

20 Le plaignant est agent correctionnel I, aux groupe et niveau CX‑01, à l’établissement Leclerc, à Laval (QC). Durant sa carrière au SCC, il a aussi occupé à titre intérimaire des postes d’agent correctionnel II, aux groupe et niveau CX‑02.

21 Le plaignant soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir en l’évaluant sur la base des références de M. Bérard. Il prétend que M. Bérard était de mauvaise foi et a fourni des références « malveillantes et iniques » pour ternir sa réputation. Il soutient donc que ce dernier fait preuve de partialité contre lui et entretient « une animosité certaine » à son égard. Le plaignant soutient finalement que ces références portent incorrectement sur une période de plus de deux ans.

22 Dans son témoignage, le plaignant a indiqué qu’il ne remettait pas en question l’évaluation de son entrevue par le comité et que sa plainte porte uniquement sur les références qu’a fournies M. Bérard à son sujet.

23 Le plaignant a appelé M. Bérard à témoigner. Ce dernier a déclaré qu’il avait été le surveillant du plaignant à deux reprises, d’abord de 2000 à 2002 environ, en tant que GC pavillonnaire, puis durant à peu près un an en 2010, en tant que GC aux opérations. Même s’il n’a pas toujours été le surveillant immédiat du plaignant, il affirme avoir été en mesure de l’observer dans certaines tâches quand celui-ci travaillait dans son secteur de responsabilité. M. Bérard a expliqué que pour préparer les références, il a revu tout le dossier personnel du plaignant. S’il trouvait des documents faisant état de problèmes, il le notait. Il a ainsi voulu relever les occasions où le plaignant, malgré les interventions de ses gestionnaires, n’avait pas eu le comportement attendu. Il a aussi consulté un GC qui a été un des surveillants du plaignant, pour obtenir des exemples de son comportement. Finalement, il a informé la sous-directrice de l’Établissement Leclerc de la nature des références qu’il allait fournir. Selon M. Bérard, on ne lui avait pas indiqué qu’il devait se limiter à une période de deux ans et il ne l’a pas fait.

L’évaluation de la « réflexion stratégique » 

24 Les documents d’évaluation décrivent la compétence « réflexion stratégique » comme suit : « Conseille, planifie, analyse de questions. Étudie l’environnement, développe des stratégies éclairées qui tiennent compte des besoins des intervenants, partenaires et reflètent l’orientation stratégique. Positionne l’organisme sur la voie du succès». 

25 Selon M. Bérard, le plaignant a de grandes qualités, est très respectueux de l’autorité et travaille bien dans des postes de type dynamique mais il est parfois moins apprécié par ses collègues quand il occupe des postes statiques. Les postes dynamiques impliquent un contact direct avec les détenus et leurs familles alors que ce n’est pas le cas pour les postes statiques. M. Bérard a noté que le comportement du plaignant s’était maintenant amélioré.

26 M. Bérard a expliqué de façon détaillée chacun des paragraphes de ces références. Celles-ci contiennent des commentaires tels que : « verbalise une implication certaine » dans les « opérations reliées à la vie pavillonnaire » … [mais je n’ai] « aucun souvenir de résultats concrets »; ou « aucun exemple ne vient à l’esprit d’une complicité … afin de faire progresser l’ensemble de l’unité »  sauf « une idée de réaménagement du mobilier des salles communes des détenus [et le] projet était ambitieux et fort dispendieux ». M. Bérard a confirmé qu’on avait installé un porte‑gobelet dans une unité mais que cela n’avait pas été à la suite d’actions du plaignant.

27 M. Bérard a aussi expliqué qu’après que le plaignant ait réussi l’examen écrit, il l’avait invité à s’asseoir dans la chaise du GC aux opérations pour lui permettre de vivre l’expérience d’assumer les responsabilités d’un GC. M. Bérard l’a fait avec quelques autres candidats. M. Bérard affirme qu’il était aux côtés du plaignant durant les sept heures qu’avait duré cette expérience, ce qui lui avait permis d’observer le plaignant et, comme il l’indiquait dans les références, « [d’]évaluer sa capacité … à gérer une grande charge de travail … [et] la qualité de ses décisions ». M. Bérard a remarqué que le plaignant, malgré toutes ses années d’expérience des opérations, avait de la difficulté à diriger et à déléguer les tâches à effectuer aux agents dont le GC est responsable. M. Bérard affirme qu’il savait que le plaignant manquait d’expérience en matière de gestion du personnel, mais que le plaignant ne semblait pas voir l’étendue de ses responsabilités de gestion des ressources humaines et financières. Il semblait avoir un peu plus de difficultés par rapport à d’autres agents qui avaient vécu la même expérience. Cela a mené M. Bérard à conclure que le plaignant « aura[it] besoin d’une supervision étroite » dans le domaine des opérations correctionnelles.

28 Mme Racicot a déclaré que dans ses réponses à la question d’entrevue qui évaluait la réflexion stratégique, le plaignant n’avait pas abordé la majorité des indicateurs suggérés ou n’avait pas donné d’exemple à l’appui de ces indicateurs, ou encore, avait donné des exemples qui ne les appuyaient pas. Dans son examen des références, le comité a considéré comme favorable un commentaire de M. Bérard selon lequel le plaignant l’avait consulté pour bien comprendre le sens d’une orientation ou d’une directive. Cependant, selon Mme Racicot, le reste des références faisait état de difficultés du plaignant à reconnaître l’imputabilité et l’ampleur du niveau des responsabilités d’un GC, et indiquaient qu’il serait nécessaire de le surveiller étroitement malgré ses années d’expérience.

29 Commentant les références pour la « réflexion stratégique », le plaignant a déclaré que M. Bérard avait faussement affirmé qu’il n’avait pas démontré de complicité avec ses collègues pour faire progresser l’ensemble de l’unité. Ce commentaire était contredit par ce que M. Bérard avait lui-même inscrit, dans son évaluation de rendement pour la période 2009-2010, selon lequel il avait participé de façon constructive à l’évolution des unités en proposant l’installation d’un porte-gobelet dans une unité. Le plaignant a mentionné plusieurs autres suggestions qu’il dit avoir faites dans le cadre de son travail et a nommé certains gestionnaires avec qui il en avait discuté. Il a aussi souligné qu’en juillet 2010, le commissaire du SCC, Don Head, l’avait remercié d’avoir participé à la Consultation nationale du commissaire avec les employés des minorités visibles, ce qui était un autre exemple de sa contribution pour faire progresser l’organisation. De même, il avait reçu de bonnes évaluations de rendement et celle pour la période d’octobre 2004 à septembre 2005 (2004-2005) indiquait notamment qu’il est un agent qui a besoin d’une « supervision normale », non pas étroite comme l’avait affirmé M. Bérard dans ses références. Finalement, le plaignant a nié que M. Bérard lui ait permis de s’asseoir dans la chaise du GC aux opérations, comme ce dernier l’avait affirmé dans ses références. Le plaignant a souligné que seuls ceux qui ont reçu la formation nécessaire pouvaient s’asseoir dans la chaise du GC.

30 À l’entrevue, le comité avait accordé au plaignant une note provisoire de 4,5/10. Après examen des références, le plaignant a reçu une note finale de 4/10 pour cette compétence.

L’évaluation des « valeurs et éthique »

31 Les documents d’évaluation décrivent la compétence « valeurs et éthique » ainsi : « Assurer l’intégrité dans les pratiques personnelles et organisationnelles en démontrant le respect envers les gens et les pratiques y compris les valeurs ».

32 M. Bérard a convenu, avec le plaignant, que ses évaluations de rendement indiquaient généralement qu’il avait atteint les objectifs la plupart du temps ou qu’il les dépassait quelques fois. Toutefois, selon M. Bérard, il avait vu au dossier des indications de comportement qui ne reflétaient pas les compétences évaluées. Ainsi, il y avait eu un manque d’assiduité au travail de 2003 à 2009 et le plaignant avait été placé en suivi d’absentéisme à deux occasions. Le plaignant n’avait pas fait des rondes de surveillance en février 2009 et n’avait pas complété les rapports explicatifs requis pour expliquer ces manquements. De plus, un GC l’avait surpris à dormir durant un quart de travail en septembre 2009. Certains incidents avaient mené à des mesures disciplinaires, dont un survenu durant un exercice de tir à la cible en mars 2010 où le plaignant avait désobéi aux consignes de sécurité en pointant son arme chargée en direction de deux instructeurs alors qu’il avait reçu l’ordre de la garder dans l’étui.

33 Le plaignant a déclaré qu’il n’est pas d’accord avec les commentaires de M. Bérard sur son assiduité ou sur d’autres prétendus manquements. Il avait toujours remis ses certificats médicaux à temps pour justifier ses absences, sauf une fois et cela n’avait pas été de sa faute. C’est parce qu’il avait eu des problèmes de santé qu’il avait utilisé beaucoup de congés et il n’avait été que rarement absent depuis 2009. Le plaignant a convenu qu’il avait déjà manqué quelques rondes de sécurité, mais a affirmé que cela arrivait aussi à d’autres agents de temps à autre, sans conséquence. Concernant l’incident survenu durant un exercice de tir à la cible en mars 2010, le plaignant invoque que c’était une nouvelle arme qu’il apprenait à utiliser et qu’il l’avait simplement mal manipulée. Il a nié avoir pointé son arme chargée en direction des instructeurs, comme l’avait affirmé M. Bérard.

34 Le plaignant a admis avoir été placé sur un suivi d’absentéisme à quelques reprises au cours des années. Il a aussi concédé avoir reçu des suspensions pour divers incidents, y compris l’incident survenu au champ de tir. Il a convenu qu’à part le commentaire sur cet incident, l’évaluation de rendement que M. Bérard avait écrite pour la période 2009-2010 lui est favorable.

35 Mme Racicot a affirmé que les références de M. Bérard indiquaient que le plaignant avait des faiblesses marquées et donnaient des exemples de comportement contraire à celui qui était recherché. De plus, l’incident survenu au champ de tir démontrait que le plaignant avait manqué d’éthique en ne respectant pas les ordres dans le cadre de son travail. Ce n’était pas ce qu’on attendait d’un GC, qui doit toujours voir à ce que tout soit fait de façon sécuritaire, pour assurer la sécurité du personnel et des détenus.

36 Mme Racicot a indiqué que la note provisoire du plaignant après l’entrevue était de 8/10 mais que les références ont mené le comité à conclure que le plaignant ne satisfaisait pas à la compétence « valeurs et éthique ». Le comité lui a accordé une note finale de 5/10.

Crainte raisonnable de partialité

37 Le plaignant soutient aussi que la partialité dont fait preuve M. Bérard contre lui et l’« animosité certaine » qu’il entretient à son endroit expliquent la teneur des références que ce dernier a fournies. Le plaignant a décrit deux situations qui sont « probablement » la source de cette partialité. Tout d’abord, en 2009, au même moment où le plaignant était candidat dans ce processus, il avait déposé une plainte au Tribunal à l’égard d’un autre processus de nomination de GC‑04 qui avait mené à la nomination de M. Bérard au poste que ce dernier occupe maintenant. De plus, quelques années auparavant, alors que le plaignant était membre de l’exécutif syndical local, ses collègues de l’exécutif et lui avaient dénoncé au directeur de l’Établissement Leclerc le « comportement non éthique » de M. Bérard, qui avait demandé à un subalterne d’aller chercher sa fille à la piscine durant ses heures de travail et de la ramener au pénitencier. Le plaignant a fait valoir qu’il était contraire aux règlements de demander cela à un employé. Pour ces raisons, selon lui, M. Bérard était dans une situation de conflit d’intérêts et n’aurait pas dû fournir des références à son sujet pour la compétence « valeurs et éthique ». Le plaignant croit que M. Bérard lui en voulait d’avoir déposé ces plaintes et que cela a influencé les références qu’il a fournies.

38 Le plaignant a reconnu qu’il n’a pas fait part de ces deux situations au comité d’évaluation. Il a convenu que M. Bérard et lui se sont toujours fait preuve d’un respect mutuel.

39 Dans son témoignage, M. Bérard a déclaré que ces plaintes n’ont eu aucune incidence sur les références qu’il a fournies pour le plaignant et qu’il essaie de toujours être le plus intègre possible vis-à-vis son entourage. M. Bérard a expliqué le contexte de chacune de ces plaintes. Tout d’abord, il n’était pas la personne nommée qui était visée par la première plainte et celle-ci ne l’a pas préoccupé. L’autre plainte visait une situation d’urgence survenue au travail qui l’avait empêché de quitter l’établissement pour aller chercher sa fille de 12 ans à la piscine. Pour éviter qu’elle ne s’y retrouve seule, il n’avait alors eu d’autre choix que de demander à un agent correctionnel en service de la ramener à l’établissement. Il en avait d’ailleurs informé la direction à l’époque et il n’avait pas subi de conséquence adverse.

40 Dans Newfoundland Telephone Co. C. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, [1992] A.C.S. Nº 21 (QL), la Cour suprême du Canada a décrit le critère de la crainte raisonnable de partialité de la façon suivante, au paragraphe 22 (QL) : « [C]e critère consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur ». Les critères objectifs énoncés par la Cour suprême s’appliquent également aux membres des comités d’évaluation dans le cadre d’une nomination effectuée en vertu de la LEFP. Voir aussi Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010 aux paras. 72-74.

41 La vérification des références vise à obtenir des renseignements que le comité utilisera lors de son évaluation des qualifications d’un candidat. Le rôle des répondants est de fournir une appréciation franche, laquelle pourrait ou non être favorable à un candidat. Les répondants n’ont aucun pouvoir de décision, lequel est entièrement du ressort du comité. Quoiqu’un comité d’évaluation doive tenir compte de tout élément qui remettrait en question la fiabilité des renseignements fournis par un répondant, le simple fait qu’un candidat ne souscrive pas au récit de situations le concernant par son répondant ne prouve pas nécessairement que la référence n’est pas fiable. Voir Pellicore c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TDFP 0023 aux paras. 49-50.

42 Le Tribunal estime que dans la présente affaire, rien ne démontre que les renseignements fournis par M. Bérard étaient peu fiables et le comité n’avait aucune raison de douter de la validité de ses commentaires.

43 Le Tribunal constate que c’est parce que M. Bérard était son surveillant que le plaignant l’a proposé comme répondant. Ceci dit, le plaignant n’a donné aucune indication au comité qu’il pouvait y avoir un conflit quelconque ni d’autres préoccupations entre M. Bérard et lui. Selon les dires du plaignant, ils ont une relation mutuellement respectueuse. De plus, le plaignant a confirmé que la plupart des incidents mentionnés par M. Bérard ont eu lieu. De fait, certains des documents que le plaignant a lui-même déposés en preuve font aussi état des problèmes mentionnés par M. Bérard (assiduité, incident au champ de tir, par exemple).

44 Les références de M. Bérard faisaient état d’incidents préoccupants suffisamment fréquents entre 2003 et 2010 pour qu’ils demeurent au dossier et que M. Bérard en fasse état. Certains avaient mené à des mesures disciplinaires. Ils démontraient, de l’avis de M. Bérard, que le plaignant ne faisait pas preuve de réflexion stratégique et de respect des valeurs et de l’éthique, toutes deux des compétences essentielles pour un gestionnaire correctionnel.

45 Le Tribunal estime qu’un observateur relativement bien renseigné ne pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez M. Bérard à l’encontre du plaignant.

46 En outre, c’est le comité, non pas M. Bérard, qui a décidé des notes finales du plaignant. Le comité a jugé que l’information dont il disposait était suffisamment détaillée dans les références pour lui permettre de compléter son évaluation. Le comité n’avait aucune raison de croire qu’il ne devrait pas se fier aux références. Le plaignant ne lui avait fait part d’aucune préoccupation et M. Bérard avait informé Mme Racicot qu’il avait validé ses références auprès de sa sous-directrice.

47 Le document de consensus du comité indique les lacunes des réponses du plaignant aux questions de l’entrevue et explique les conclusions que le comité a tirées après l’examen des références. Le comité a jugé que des notes en deçà de la note de passage de 6/10 pour les compétences « réflexion stratégique » et « valeurs et éthique » étaient appropriées. Mme Racicot a bien expliqué dans son témoignage pourquoi le comité en est arrivé à cette conclusion.

48 Quant aux assertions du plaignant qu’il était incorrect que les références aient couvert une période de plus de deux ans, le Tribunal constate que le comité n’avait pas donné d’instructions particulières aux répondants à ce sujet. De même, le Guide « Vérification structurée des références » des Lignes directrices en matière de nomination de la CFP indique simplement qu’un « répondant approprié aura récemment travaillé avec le postulant et durant une période suffisamment longue ». Il n’était donc pas incorrect ou abusif que les références couvrent une période de plus de deux ans.

49 Le Tribunal juge que le plaignant n’a pas établi qu’il y a une crainte raisonnable de partialité dans ce processus de nomination. De même, le plaignant n’a pas démontré que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation des qualifications essentielles de compétence « réflexion stratégique » et « valeurs et éthique ».

Question II :  L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique du plaignant?

50 Le plaignant allègue que c’est « peut-être » à cause de sa race et de son origine nationale ou ethnique que M. Bérard a fourni des références défavorables à son égard. Le plaignant est une personne arabe originaire du Maroc.

51 Dans sa plainte, le plaignant affirme que bien que l’intimé ne puisse admettre qu’il ne choisit « que des blancs », l’intimé a recours à des méthodes non éthiques « en gardant dans [mon] dossier personnel une affaire quelconque, même banale pour la gonfler et faire toute une histoire » et de cette façon l’empêcher d’accéder à un poste. Le plaignant semble se rapporter ainsi au fait que M. Bérard a fait état dans ses références des incidents et des situations qui étaient indiqués au dossier personnel du plaignant.

52 À l’appui de son allégation qu’il a été l’objet de discrimination pour des motifs illicites, le plaignant a déposé en preuve le rapport Pour un SCC inclusif et exempt d’obstacles, élaboré à la suite d’une série de consultations nationales du commissaire du SCC auprès des employés membres de minorités visibles, en 2010. Selon lui, ce rapport constate que les minorités visibles sont bloquées au premier échelon des postes malgré leurs diplômes universitaires, qu’il est rare de les voir accéder à des promotions et que nombre d’entre eux finissent par démissionner à cause de la pression, de la discrimination et du racisme qu’on exerce sur eux.

53 Le plaignant a aussi appelé Guy Villeneuve à comparaître. M. Villeneuve est un collègue du plaignant et est agent de correction au SCC depuis environ 27 ans. M. Villeneuve affirme qu’il a « perçu beaucoup de problèmes » et qu’à son avis, le plaignant est « mis à part » depuis son arrivée au SCC. Selon M. Villeneuve, les gens apprécient le plaignant « mais pas tellement » et sa réputation est liée « aux préjugés de l’ensemble du personnel qui est peu scolarisé pour les postes qu’ils occupent ». M. Villeneuve n’a pas donné d’exemple pour expliquer ses dires.

Le cadre analytique pour l’allégation de discrimination

54 Aux termes de l'article 80 de la LEFP, le Tribunal peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (LCDP) pour déterminer si la plainte est fondée en vertu de l'article 77 de la LEFP.

55 L'article 7 de la LCDP stipule que le fait de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ou de le défavoriser en cours d'emploi par des moyens directs ou indirects constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. L'article 3 de cette loi énumère les motifs de distinction illicite, lesquels comprennent la race et l'origine nationale ou ethnique.

56 Dans un contexte de droits de la personne, il incombe au plaignant d’établir une preuve prima facie (à première vue) de discrimination. Dans la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (également connue sous le nom O’Malley), la Cour suprême du Canada a énoncé le critère permettant d’établir une preuve à première vue de discrimination:

28 […] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. […]

57 Si le plaignant réussit à établir une preuve prima facie de discrimination, il incombe alors à l'intimé de fournir une explication raisonnable démontrant que la discrimination ne s’est pas produite comme cela est allégué ou que la conduite était d’une manière ou d’une autre non discriminatoire. Voir Ben Achour c. le Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2012 TDFP 0024 au para. 72.

Le plaignant a-t-il réussi à établir une preuve prima facie de discrimination?

58 L'allégation du plaignant se fonde sur trois éléments de preuve : le rapport intitulé Consultation nationale du Commissaire avec les employés de minorités visibles : Pour un SCC inclusif et exempt d'obstacles, le témoignage de M. Villeneuve, et les références défavorables de M. Bérard.

59 Comme l'indique la Cour fédérale aux paragraphes 17 à 22 de la décision Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), 1998 CanLII 7740 (C.F. 1re inst.), s'il n'y a pas de preuve directe de pratiques discriminatoires, il est possible d'en démontrer l'existence par inférence, en ayant recours à des preuves circonstancielles consistant en une série de faits qui, mis ensemble, pourraient la justifier. Au paragraphe 18 de cette même décision, la Cour précise qu'un plaignant peut produire des éléments de preuve liés aux pratiques générales en matière de personnel ou à la composition générale de l'effectif de l'employeur afin d'établir que le comportement de ce dernier s'inscrit dans une tendance ou dans une pratique uniformisée de discrimination. Si la preuve en est établie, le tribunal qui instruit l'affaire peut conclure, à partir de ces circonstances générales et des autres éléments de preuve présentés à l'appui, que le plaignant a probablement lui aussi fait l'objet de discrimination.

60 Il n’y pas de doute que le rapport du commissaire du SCC soulève des préoccupations concernant la façon dont les membres des groupes de minorités visibles sont traités au sein du SCC.

61 Le plaignant doit toutefois démontrer un lien entre cette preuve circonstancielle générale et la preuve relative à la discrimination alléguée à son égard, pour établir que lui aussi a probablement fait l’objet de discrimination, notamment en démontrant un lien avec les références fournies par M. Bérard sur lesquelles le comité s’est basé pour écarter la candidature du plaignant. Ce dernier n’a cependant avancé aucun élément de preuve permettant de conclure que les références fournies par M. Bérard sont teintées de discrimination, ou que sa race, ou son origine nationale ou ethnique a été un facteur dans la conclusion de l'intimé selon laquelle il n'avait pas atteint la note de passage relativement à deux qualifications essentielles. Les références sont fondées sur des faits étayés au dossier du plaignant, et sur des observations de M. Bérard dans le milieu de travail. Le plaignant a reconnu avoir reçu des sanctions disciplinaires pour certains des incidents que M. Bérard a rapportés. Plusieurs de ces incidents, non contestés, se sont produits avant que M. Bérard ne devienne son surveillant. De plus, aux dires de M. Bérard, il n’était pas la personne visée par l’autre plainte que le plaignant a déposée devant le Tribunal et le plaignant n’a pas affirmé le contraire. De même, rien n’indique que M. Bérard ait exercé des représailles à la suite de la plainte de comportement non éthique (dont le plaignant n’a pas précisé la date) faite par l’exécutif du local du syndicat des agents correctionnels.

62 Quant à M. Villeneuve, son témoignage a été vague. Ce témoin n’a pas indiqué ce qui l’a mené à conclure que le plaignant est « mis à part » depuis son arrivée au SCC. M. Villeneuve n’a pas décrit non plus quels problèmes il dit avoir perçus et dans quel contexte, et n’a pas expliqué quelle est la « réputation » du plaignant et en quoi elle est liée aux préjugés de l’ensemble d’un personnel « peu scolarisé ». De même, le plaignant ne l’a pas interrogé plus en détail à ce sujet.

63 De l’avis du Tribunal, tous ces éléments, pris individuellement ou dans leur ensemble, n’établissent pas que le plaignant a fait l’objet de discrimination dans ce processus et que sa race ou son origine nationale ou ethnique ont été un facteur au fait qu’il n’a pas été nommé.

64 Le Tribunal conclut donc que la preuve du plaignant ne permet pas d’établir une preuve à première vue de discrimination.

Décision

65 Pour les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.


Lyette Babin-MacKay
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2011-0364
Intitulé de la cause :
Lahcen Ben Jab et le commissaire du Service correctionnel du Canada
Audience :
Les 15 et 16 janvier 2013 et
les 12 et 13 mars 2013
Montréal (QC)
Date des motifs :
Le 17 juin 2013

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant :
Lahcen Ben Jab
Pour l’intimé :
Me Anne-Marie Duquette
Pour la Commission
de la fonction publique :
Me Marc Séguin
(Représentations écrites–
10 janvier 2013)
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