Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant, qui est d’origine japonaise, a affirmé que l’intimé avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique. Il a aussi soutenu que le favoritisme personnel et la partialité avaient influé sur la nomination de deux candidats. Le plaignant croyait qu’un membre du comité avait un « lien personnel étroit » [traduction] avec les deux personnes qui avaient été nommées. L’intimé a indiqué que les employés participaient souvent à des activités sociales à l’extérieur du lieu de travail, et que cela faisait partie de la culture organisationnelle. Le membre du comité et l’un des candidats nommés avaient assisté à leurs mariages respectifs, et le membre du comité avait participé à l’enterrement de vie de garçon du candidat en question à Las Vegas, environ trois et six ans avant le début du processus de nomination. Le membre du comité avait aussi croisé l’autre personne nommée, alors qu’ils étaient à Las Vegas. Le membre du comité et l’une des personnes nommées devaient suivre en même temps une formation visant un renouvellement d’accréditation, mais il n’avait pas été établi que la personne nommée l’avait bel et bien suivie. Décision Le Tribunal a jugé que le plaignant n’avait pas établi une preuve prima facie de discrimination et que l’allégation de discrimination n’avait donc pas été prouvée. Il a été établi que les employés se rencontraient souvent ailleurs qu’au travail lors d’activités sociales, et que cela faisait partie de la culture organisationnelle, ce qui était chose courante. À la lumière des éléments de preuve présentés, le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas prouvé ses allégations de favoritisme personnel et de partialité. La plainte est rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2012-0056
Rendue à :
Ottawa, le 27 septembre 2013

DEAN TAJITSU
Plaignant
ET
LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de article 77(1)(a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Joanne B. Archibald, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Tajitsu c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada
Référence neutre :
2013 TDFP 30

Motifs de décision


Introduction

1Le plaignant, Dean Tajitsu, a postulé un emploi de surintendant (FB‑05) à l’aéroport international de Vancouver dans le cadre d’un processus de nomination interne annoncé. Sa candidature a été éliminée du processus de nomination, car il ne possédait pas une des qualifications essentielles utilisées pour effectuer la présélection des candidats.

2Le plaignant affirme que l’intimé, le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), a abusé de son pouvoir dans ce processus de nomination. Le plaignant, d’ascendance japonaise, soutient que l’intimé a fait preuve de discrimination à son égard pour les motifs de distinction illicites que sont la race et l’origine nationale ou ethnique. En outre, il allègue que les nominations de deux candidats, Jeffrey Goddard et Bonnie Yan, ont fait l’objet de favoritisme personnel et de partialité.

3L’intimé nie tout abus de pouvoir et déclare qu’il n’y a eu ni discrimination ni favoritisme personnel ou partialité dans le processus de nomination.

4La Commission de la fonction publique (CFP) a participé à l’audience. Elle n’a pas pris position sur le bien-fondé de l’affaire.

5Conformément à l’article 78 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), le plaignant a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’il entendait soulever une question liée à l’interprétation et à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H­6 (la LCDP). Avant la tenue de l’audience, la CCDP a présenté des observations écrites dans lesquelles elle évoque la loi et la jurisprudence pertinentes. Elle n’a pas pris position sur le bien-fondé de l’affaire.

6Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) juge que la plainte n’est pas fondée. Il n’a pas été démontré que l’intimé a fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant pour des motifs de distinction illicites ni que la nomination de M. Goddard ou de Mme Yan était entachée de favoritisme personnel ou de partialité.

Contexte

7En 2011, l’ASFC a publié une annonce de possibilité d’emploi pour un poste de surintendant (FB-05) à l’aéroport international de Vancouver.

8Ce sont Nicole Goodman, David Lee et Ken McPherson qui ont effectué la présélection. Les membres du comité d’évaluation, George Morris, M. Lee et M. McPherson, ont ensuite évalué les candidats retenus à la présélection, au moyen d’une entrevue et d’une vérification des références. Une employée de la CFP, Lynne MacKay, leur a fourni de l’aide et des avis spécialisés tout au long du processus de nomination.

9Le plaignant fait partie des 97 personnes qui ont postulé. Sa candidature a été éliminée du processus de nomination lors de la présélection, car il ne possédait pas l’une des qualifications essentielles, à savoir une expérience récente et appréciable de la tenue d’un rôle de leadership au sein d’une division ou d’un district de l’ASFC (qualification relative au leadership).

10Le 25 janvier 2012, l’ASFC a publié une Notification de nomination ou de proposition de nomination indiquant que dix nominations auraient lieu par suite du processus de nomination. Le plaignant a par la suite présenté une plainte d’abus de pouvoir au Tribunal en vertu de l’article 77(1)a) de la LEFP.

11Conformément aux prescriptions du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6, modifié par DORS/2011-116, le plaignant a présenté des allégations écrites avant la tenue de l’audience. Au cours de l’audience, il a retiré l’allégation portant sur le compte de mots imposé aux postulants pour décrire leur expérience, de même que l’allégation concernant l’abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination annoncé. En conséquence, les présents motifs de décision ne portent ni sur le compte de mots prescrit ni sur le choix du processus de nomination.

Questions en litige

12Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en agissant de façon discriminatoire à l’endroit du plaignant en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de favoritisme personnel ou de partialité à l’égard de M. Goddard ou de Mme Yan?

Analyse

13En vertu de l’article 77(1) de la LEFP, une personne qui est dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou elle n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir. Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend de la nature et de la gravité de l’erreur en question et de la mesure dans laquelle elle est irrégulière. Voir Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, para. 66.

14Dans la décision Tibbs, le Tribunal a déterminé que le fardeau de la preuve incombe au plaignant (voir les paragraphes 49, 50 et 55). Afin de s’acquitter de ce fardeau, le plaignant doit présenter une preuve suffisante pour permettre au Tribunal de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s’il y a lieu de conclure à un abus de pouvoir.

Question I :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en agissant de façon discriminatoire à l’endroit du plaignant en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique?

15En vertu de l’article 80 de la LEFP, le Tribunal peut interpréter et appliquer la LCDP lorsqu’il détermine si la plainte est fondée au regard de l’article 77.

16L’article 7 de la LCDP précise qu’il est discriminatoire de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu et de le défavoriser en cours d’emploi, que ce soit par des moyens directs ou indirects, pour des motifs de distinction illicites, lesquels comprennent, aux termes de l’article 3(1) de la LCDP, la race et l’origine nationale ou ethnique.

17Étant d’origine japonaise, le plaignant estime qu’il a fait l’objet de discrimination en cours d’emploi en raison de sa race ou de son origine nationale ou ethnique. Le plaignant n’a présenté aucune allégation d’abus de pouvoir en ce qui a trait à la décision d’éliminer sa candidature à la présélection du fait qu’il ne possédait pas la qualification relative au leadership. Il n’a pas soutenu qu’il possédait l’expérience requise ni que cette expérience avait fait l’objet d’une évaluation inappropriée. En ce qui concerne la race et l’origine nationale ou ethnique, le plaignant a seulement souligné qu’un autre candidat avait produit une autodéclaration selon laquelle il était d’origine mixte, soit en partie d’origine japonaise, et que la candidature de cette personne avait été retenue à la présélection.

18Pour établir que l’intimé a fait preuve de discrimination à son endroit, le plaignant doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination, tel que la Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (O’Malley).

19La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on y ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l’absence d’une réplique de l’intimé. Lorsqu’une telle preuve est établie, il revient alors à l’intimé de réfuter les allégations ou de fournir une autre explication raisonnable. Le Tribunal ne peut prendre en considération la réplique de l’intimé avant que n’ait été établie une preuve prima facie de discrimination. Voir la décision Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, para. 22.

20Il n’est pas nécessaire que les considérations liées à la discrimination soient le seul motif de la conduite reprochée pour que la plainte soit accueillie. Le plaignant doit démontrer que la discrimination était l’un des facteurs qui a influé sur la décision de l’intimé. Voir la décision Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12, (C.A.F.), para. 7.

21Plusieurs décisions servent à illustrer les éléments susceptibles d’établir une preuve prima facie de discrimination. Dans l’affaire Shakes c. Rex Pak Ltd., (1981) 3 C.H.R.R. D/1001, où il était question d’un employeur qui aurait refusé d’engager la plaignante en se fondant sur des motifs de distinction illicites, la Commission d’enquête de l’Ontario a précisé trois facteurs à prendre en compte pour déterminer si une preuve prima facie a été établie. Il s’agit des facteurs suivants :

  1. le plaignant possédait les qualifications pour l’emploi en question;
  2. le plaignant n’a pas été embauché;
  3. une personne qui n’était pas plus qualifiée, mais qui n’avait pas le trait distinctif à l’origine de la plainte de discrimination, a obtenu le poste.

22Il faut examiner les circonstances entourant chaque affaire afin de déterminer si le critère établi dans la décision Shakes peut s’appliquer sous sa forme originale ou s’il faut plutôt l’adapter au contexte. Voir, par exemple, la décision Shanga c. l’Office des terres et des eaux de la Vallée du Mackenzie, 2006 TCDP 9, para. 194; renversé sur la question de mesures correctives seulement dans 2007 CF 856. En définitive, il faut déterminer si une preuve prima facie a été établie, selon ce qui a été établi dans l’arrêt O’Malley. Voir Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2005 C.A.F. 154, para. 25 à 30 (« arrêt Morris »).

23Même si la jurisprudence établit que le critère Shakes ne devrait pas s’appliquer de façon automatique, il est approprié en l’espèce.

24Le Tribunal juge que la preuve prima facie n’a pas été établie, car la preuve présentée par le plaignant est incomplète et qu’elle ne justifie pas une décision en sa faveur, en l’absence d’une réplique de l’intimé.

25Selon la preuve examinée, le plaignant ne satisfait pas au premier élément du critère Shakes, car il n’est pas qualifié pour occuper l’emploi visé, en l’occurrence un poste FB-05. Même si le plaignant soutient que la discrimination a constitué un facteur dans le processus de nomination, il ne conteste pas la décision de le juger non qualifié parce qu’il ne possédait pas la qualification relative au leadership. Le plaignant n’a pas soutenu qu’il possédait la qualification relative au leadership pas plus qu’il n’a contesté l’un ou l’autre volet de la décision du comité d’évaluation de le juger non qualifié.

26Étant donné que le plaignant ne répond pas au premier élément du critère Shakes, il n’est pas nécessaire d’en analyser les autres.

27Même si le Tribunal peut accorder du poids à ce que croit le plaignant, c’est‑à‑dire, en l’espèce, qu’il a fait l’objet de discrimination en raison de son ascendance japonaise; le Tribunal canadien des droits de la personne a indiqué que « le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant ». Voir la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, para. 41; demande de contrôle judiciaire rejetée : 2006 CF 785. En l’espèce, le candidat n’a pas été jugé qualifié pour le poste et n’a démontré aucun lien entre cette décision et les motifs de distinction illicites qu’il invoque.

28Le plaignant n’ayant pas réussi à établir une preuve prima facie de discrimination, l’intimé n’est pas tenu de fournir une réplique ou une explication raisonnable.

29Le plaignant n’a pas prouvé qu’il avait fait l’objet de discrimination en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique.

Question II :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de favoritisme personnel ou de partialité à l’égard de M. Goddard ou de Mme Yan?

30Le terme « abus de pouvoir » n’est pas défini dans la LEFP, mais l’article 2(4) précise que celui-ci comprend le favoritisme personnel et la mauvaise foi.

31Dans la décision Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007, para. 41, le Tribunal a établi que la sélection d’une personne uniquement en fonction de liens personnels, à titre de faveur personnelle ou pour obtenir la faveur de quelqu’un d’autre sont des exemples de favoritisme personnel.

32Pour établir la partialité, il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu partialité comme telle. Une crainte raisonnable de partialité peut constituer un abus de pouvoir. Voir la décision Denny c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, para. 125, où le Tribunal fait référence à la décision Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, page 394.

33Le plaignant a déclaré savoir que M. Lee entretenait « un lien personnel étroit » [traduction] avec M. Goddard et Mme Yan. Il a affirmé que M. Lee faisait référence à ces derniers comme à ses amis lors de la communication des renseignements entre les parties. Selon le plaignant, un tel lien ne peut qu’avoir fait en sorte que le processus de nomination soit empreint de partialité et de favoritisme personnel à l’endroit de M. Goddard et de Mme Yan.

34Pour étayer cette allégation, le plaignant a décrit certains incidents qui, selon lui, prouvent le lien personnel étroit qui a créé chez lui la perception de favoritisme personnel et de partialité à l’endroit de ces candidats dans le processus de nomination. Une grande quantité d’éléments de preuve visait également à décrire la culture sociale qui régnait chez les employés de l’ASFC à l’aéroport international de Vancouver.

Activités sociales des employés de l’ASFC à l’aéroport international de Vancouver

35Alexander Bishop, agent des services frontaliers (ASF) à l’aéroport international de Vancouver, a décrit l’organisation du milieu de travail. Les employés travaillent en équipe selon un même horaire. Les heures de travail et les jours de congé sont les mêmes, et le travail en équipe est important. M. Bishop a affirmé avoir été informé de la tenue d’activités caritatives en dehors du milieu de travail, auxquelles participaient des ASF et des surintendants. Il a lui-même participé à de nombreuses activités sociales avec les membres de son équipe, notamment des barbecues, des voyages de camping et des mariages. Ces activités avaient lieu au domicile des membres de l’équipe et ailleurs. Il y avait parfois deux personnes et parfois des centaines de personnes.

36Mme Goodman, chef des Opérations à l’aéroport international de Vancouver et membre du comité de présélection dans le cadre du processus de nomination, a déclaré que les employés de l’aéroport international de Vancouver se fréquentaient souvent en dehors du travail. Étant donné que les membres des équipes travaillent selon le même horaire, ils participent souvent à des activités de groupe en dehors du milieu de travail. Elle a notamment mentionné des voyages de camping, des vacances à Las Vegas et des sorties de magasinage. Selon elle, la participation à de telles activités n’a eu aucune incidence sur le processus de nomination. Elle a affirmé par ailleurs ne pas s’inquiéter de la présence simultanée de membres du comité de présélection et de candidats à ces activités.

37M. Morris, président du comité d’évaluation et directeur adjoint par intérim, Enquêtes et mesures de renvoi, a déclaré qu’il était naturel que les employés se fréquentent dans un milieu de travail aussi grand que celui de l’ASFC à l’aéroport international de Vancouver. Il a ajouté ne pas s’inquiéter du fait que M. Lee, à titre de membre du comité d’évaluation, avait lui aussi participé à de telles activités.

38M. Lee, chef des Opérations, a affirmé avoir occupé pendant 11 ans un poste de gestionnaire à l’aéroport international de Vancouver et avoir travaillé avec des centaines d’agents, dont plusieurs, notamment M. Goddard et Mme Yan, étaient candidats dans le cadre du processus de nomination. M. Lee a lui aussi décrit la culture organisationnelle qui règne à l’ASFC. Il a expliqué que les employés de l’ASFC se fréquentent beaucoup. Il a attribué la multitude d’activités sociales au fait que les employés travaillent dans un milieu soumis à de fortes tensions et qu’ils ont besoin de décompresser. M. Lee a déclaré avoir vu le plaignant à des activités sociales et il s’est rappelé avoir été assis à côté de ce dernier lors de tournois de cartes auxquels participaient généralement de 20 à 50 employés.

39En réponse à l’affirmation du plaignant selon laquelle M. Goddard et Mme Yan étaient des amis proches de M. Lee, ce dernier a déclaré avoir pu lui mentionner qu’ils étaient des « amis de travail », lors de la communication des renseignements entre les parties, sans toutefois avoir l’intention de laisser sous-entendre qu’ils entretenaient un lien étroit ou personnel. Ils étaient des collègues.

Participation à des mariages

40Le plaignant soutient avoir entendu dire que M. Lee avait assisté au mariage de M. Goddard.

41M. Lee reconnaît avoir été présent au mariage de M. Goddard en 2008, année où ils faisaient partie de la même équipe. Selon lui, 15 ou 20 employés de l’ASFC étaient invités au mariage. Par ailleurs, lorsque M. Lee s’est marié, en 2005, il avait invité quelque 16 collègues, dont M. Goddard.

42M. Lee a participé à l’enterrement de vie de garçon de M. Goddard, à Las Vegas, avant le mariage de ce dernier. Il a déclaré que M. Goddard y avait invité ses collègues qui étaient aussi conviés au mariage, et certains d’entre eux avaient voyagé ensemble pour se rendre à l’événement.

Participation de M. Goddard à la formation sur les tactiques de maîtrise et de défense

43Le plaignant a déclaré avoir obtenu des renseignements selon lesquels MM. Lee et Goddard devaient participer en même temps à la formation pour le renouvellement de l’accréditation en tactiques de maîtrise et de défense en décembre 2011, alors que l’évaluation des candidats au processus de nomination était en cours. Selon le plaignant, il était étonnant que M. Goddard suive ce cours, car il occupait un poste de FB-04 pour lequel cette accréditation n’était pas exigée, à l’unité du commerce et de l’observation de l’ASFC. Cette accréditation ne figure pas parmi les qualifications exigées dans l’énoncé des critères de mérite relatif au processus de nomination.

44M. Lee a confirmé qu’il devait participer à cette formation à ce moment-là. Un courriel l’avisant de la formation précisait les dates de cours et le nom des participants, dont celui de M. Goddard. M. Lee a affirmé qu’il n’avait rien à voir avec la décision de convoquer M. Goddard à cette formation. Il a en outre déclaré que la formation devait être approuvée par le gestionnaire de l’employé et que M. Goddard ne relevait pas de lui ni de quiconque à l’aéroport international de Vancouver à cette époque-là. En décembre 2011, c’est le gestionnaire de M. Goddard à l’unité du commerce et de l’observation de l’ASFC qui avait le pouvoir d’approuver la participation à la formation.

45David Langlands, ASF et délégué syndical principal à l’aéroport international de Vancouver, a déclaré qu’un membre lui avait signalé le fait que M. Goddard était convoqué à la formation pour le renouvellement de l’accréditation en tactiques de maîtrise et de défense. L’accréditation doit être renouvelée tous les trois ans. M. Langlands ne savait rien au sujet de l’autorisation ni des motifs derrière la décision de faire participer M. Goddard à cette formation. Selon lui, toutefois, la présence à cette formation d’un candidat au processus de nomination en cause posait problème. Il estime qu’il aurait fallu offrir la formation à un agent FB-03 en uniforme pour qui la formation était requise plutôt qu’à M. Goddard, pour qui elle ne l’était pas. M. Langlands a déclaré s’être opposé à cette décision au nom du syndicat et avoir par la suite été informé que M. Goddard ne participerait pas à la formation.

46M. Morris a déclaré que M. Goddard avait demandé en 2011 une rétrogradation d’un poste FB-04 à un poste d’ASF FB-03 à l’aéroport international de Vancouver. M. Morris a soutenu qu’il y a un besoin constant d’agents FB-03 à l’aéroport international de Vancouver et que ceux-ci doivent posséder l’accréditation en tactiques de maîtrise et de défense. Il savait que M. Goddard n’aimait pas son travail au poste de FB-04. Selon lui, M. Goddard a demandé une rétrogradation à un poste de FB‑03 à cause de la possibilité d’une plus grande capacité de gagner sa vie due aux primes de poste et aux heures supplémentaires qui y sont rattachées, possibilités que n’offre pas le poste FB-04.

Voyage à Las Vegas avec Mme Yan

47Le plaignant a affirmé savoir que Mme Yan et M. Lee s’étaient rendus ensemble à Las Vegas en 2008, car M. Lee l’en avait informé lors de la communication des renseignements.

48M. Lee a nié avoir dit au plaignant qu’il était allé à Las Vegas avec Mme Yan. En 2008, il s’était rendu à Las Vegas avec ses collègues. Sur place, ils ont rencontré des collègues d’un autre district, dont Mme Yan. Les deux groupes ont participé à une activité en soirée ensemble.

Autres éléments de preuve

49Le plaignant a laissé entendre que M. Lee aurait séjourné au chalet de M. Goddard.

50M. Lee a nié cette allégation. En outre, M. Lee a déclaré que ni M. Goddard ni Mme Yan n’étaient jamais allés chez lui et que lui-même n’était jamais allé chez eux.

51M. Lee a déclaré connaître M. Goddard et Mme Yan comme des collègues de travail depuis leur entrée en fonction à l’aéroport international de Vancouver en 2001 ou en 2002. Même s’ils se fréquentaient à des activités sociales auxquelles participaient d’autres collègues, il n’a jamais entretenu de lien personnel avec eux. Outre les mariages mentionnés ci-dessus, ils ne participent à aucune fête de famille ni à aucun événement marquant, comme un anniversaire les uns chez les autres. Il a nié l’allégation selon laquelle ils sont des amis proches.

Conclusion concernant le favoritisme personnel

52Le Tribunal juge qu’aucun élément de preuve, réel ou circonstanciel, ne montre que M. Goddard ou Mme Yan ont fait l’objet de favoritisme personnel.

53En ce qui concerne M. Goddard, il a été établi qu’il a participé au mariage de M. Lee, et vice-versa, et que M. Lee a participé à l’enterrement de vie de garçon de M. Goddard. Chaque fois, il s’agissait d’une activité à laquelle étaient conviés d’autres employés de l’ASFC. Aucun élément de preuve ne montre qu’ils étaient choisis pour exécuter des tâches ou des responsabilités spéciales lors de ces événements, qui sont survenus de trois à six ans environ avant le début du processus de nomination.

54Les événements invoqués par le plaignant ont eu lieu dans un cadre social, comme en fait foi le témoignage de MM. Bishop, Morris, Lee et de Mme Goodman. Les nombreuses rencontres sociales en dehors du milieu de travail font partie de la culture organisationnelle qui règne dans le milieu de travail de l’ASFC, à l’aéroport international de Vancouver. Selon les témoins, ces rassemblements y sont chose courante. Les éléments de preuve qui concernent des événements pris individuellement, sans tenir compte du contexte global, peuvent prêter à confusion.

55Le plaignant n’a pas réussi à établir que la participation de MM. Lee ou Goddard à ces activités était autre chose qu’une participation à des activités sociales entre collègues.

56Le plaignant n’a pas réussi à démontrer de lien entre l’allégation d’abus de pouvoir et l’inscription de MM. Lee et Goddard à la formation pour le renouvellement de l’accréditation en tactiques de maîtrise et de défense. M. Lee n’avait pas le pouvoir d’approuver la participation de M. Goddard à ce cours. Il n’a pas non plus été démontré que M. Goddard a bel et bien suivi cette formation, tout particulièrement après que M. Langlands eut reçu l’assurance que tel ne serait pas le cas. En outre, le plaignant n’a pas réussi à démontrer qu’il y a un lien entre la participation à la formation et le processus de nomination.

57En ce qui a trait à l’affirmation selon laquelle M. Lee et Mme Yan se seraient rendus ensemble à Las Vegas, les éléments de preuve indiquent qu’elle est inexacte. M. Lee a déclaré qu’ils se trouvaient à Las Vegas en même temps, mais chacun avec un groupe distinct d’employés de l’ASFC dont leurs voyages se sont chevauchés ou il y a eu coïncidence. Voilà qui est très différent du fait de voyager ensemble, comme le soutient le plaignant, et qui ne permet nullement de penser qu’il existait un lien personnel susceptible de faire en sorte que la sélection repose sur d’autres éléments que le mérite.

58Le Tribunal juge que le plaignant n’a pas établi que les nominations de M. Goddard et de Mme Lee étaient entachées de favoritisme personnel. Le plaignant a indiqué que M. Lee entretenait un lien personnel avec eux, mais il n’a pas démontré que tel était vraiment le cas. Les incidents sur lesquels repose son témoignage, lorsqu’ils sont remis en contexte, ne suffisent pas à établir qu’il y a eu favoritisme personnel.

59Le Tribunal conclut que le plaignant n’est pas parvenu à prouver son allégation de favoritisme personnel.

Conclusion concernant la partialité

60Le Tribunal ne relève aucune preuve de partialité de la part du comité d’évaluation. Il doit donc déterminer si la preuve présentée est suffisante pour établir une crainte raisonnable de partialité.

61Dans la décision Denny, au paragraphe 125, le Tribunal a fait référence à la décision Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, [1976] A.C.S. n° 118 (QL), qui établit le critère de la crainte raisonnable de partialité, à la page 386 (R.C.S.) :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. […] Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

62Dans la décision Denny, le Tribunal a également fait référence à une formulation plus récente de ce critère, figurant dans la décision Newfoundland Telephone Company c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, [1992] A.C.S. n° 21 (QL), au paragraphe 22 (QL), et l’a appliqué aux circonstances de la plainte. En fonction de la jurisprudence établie, le critère de la crainte raisonnable de partialité dans le contexte d’une plainte relative à la dotation peut être formulé comme suit : En examinant le processus, un observateur relativement bien renseigné pourrait-il raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou de plusieurs personnes ayant pris part à l’évaluation du plaignant? Voir Gignac c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010.

63Comme il a été indiqué ci-dessus, les éléments de preuve démontrent bien que les fréquentations sociales entre les membres des équipes de l’ASFC à l’aéroport international de Vancouver sont chose courante. M. Lee a admis avoir travaillé avec des centaines de personnes à l’aéroport international de Vancouver et avoir participé à des activités sociales entre collègues avec eux. Les mariages, l’enterrement de vie de garçon et la rencontre à Las Vegas sont survenus des années avant la tenue du processus de nomination, et nombre d’autres employés de l’ASFC travaillant à l’aéroport international de Vancouver y ont participé. Les éléments de preuve ne portent pas à croire que M. Lee entretient avec M. Goddard ou avec Mme Yan un lien plus fort ou plus étroit qu’avec n’importe quel autre employé à l’aéroport international de Vancouver. Dans ce contexte, un observateur relativement bien renseigné ne percevrait pas de partialité de la part de M. Lee à l’égard des personnes nommées.

64En conséquence, le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas prouvé son allégation de partialité.

Décision

65Pour les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.


Joanne B. Archibald
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2012-0056
Intitulé de la cause :
Dean Tajitsu et le président de l’Agence des services frontaliers du Canada
Audience :
Les 13 et 14 août 2013
Vancouver (C.-B.)
Date des motifs :
Le 27 septembre 2013

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant :
Roxane Gunning
Pour l’intimé :
Karen Clifford
Pour la Commission
de la fonction publique :
Trish Heffernan
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