Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée a allégué qu'elle a été victime de discrimination fondée sur son sexe et sa situation de famille de la part de son employeur lorsqu'il a refusé sa demande de télétravail à domicile à plein temps pendant un an à la suite de la fin de son congé de maternité – elle souhaitait poursuivre l'allaitement – en partie en raison des réductions d'effectif passées et prévues et en partie en raison des problèmes passés relatifs aux mesures d'adaptation à prendre pour le télétravail, l'employeur a examiné l'effet de ces mesures d'adaptation sur ses opérations et a conclu, compte tenu des changements, que de telles mesures d'adaptation seraient limitées aux cas impliquant des circonstances atténuantes – la demande de télétravail à plein temps de la fonctionnaire s'estimant lésée a été refusée et elle a accepté une période de congé non payé combiné aux congés annuels, mais les parties ont continué les discussions au sujet d'autres mesures d'adaptation, comme une garderie plus près du travail et le télétravail à temps partiel – les parties ne sont pas arrivées à s'entendre sur les détails des mesures d'adaptation et se sont retrouvées dans une impasse, puisque la fonctionnaire s'estimant lésée insistait sur son souhait de faire du télétravail cinq jours par semaine et l'employeur refusait d'accorder plus d'une journée, ce qui a poussé la fonctionnaire s'estimant lésée à déposer son grief – elle a pris un congé non payé et un congé annuel pendant plusieurs mois afin de satisfaire à ses besoins, mais les parties ont continué à négocier pendant cette période – l'employeur s'est opposé à la présentation de preuve concernant les discussions qui ont eu lieu après le dépôt du grief – la formation de la Commission a permis sa présentation à titre provisoire, puisqu'elle pourrait avoir été pertinente dans le cas où il y a eu une obligation de prendre des mesures d'adaptation – la formation de la Commission a conclu que le grief dont elle était saisie contestait le refus par l'employeur d'accéder à la demande de la fonctionnaire s'estimant lésée de faire du télétravail cinq jours par semaine, et non moins – la formation de la Commission a conclu que l'analogie tirée dans la jurisprudence entre la grossesse et l'allaitement maternel posait un problème – la capacité d'allaiter est une condition physique qui constitue une caractéristique immuable ou un trait propre au sexe; toutefois, l'allaitement maternel est différent et constitue un sous-groupe et une expression de facteurs complexes plus importants découlant de la relation entre un parent et un nourrisson – il a conclu que l'allaitement maternel constitue autant, sinon plus, une expression de la situation de famille qu'une expression propre au sexe – l'allaitement maternel n'est pas immuable, mais un choix – la formation de la Commission a soutenu que l'obligation de ne pas discriminer en fonction de la situation de famille est déclenchée lorsqu'un engagement professionnel a une répercussion importante sur un aspect important des obligations familiales d'un employé – la fonctionnaire s'estimant lésée n'avait pas établi une preuve prima facie – l'obligation parentale en l'espèce, la responsabilité d'alimenter un enfant, a été engagée, mais la manière dont un parent rempli cette obligation constitue un choix – il n'existait aucune preuve selon laquelle l'enfant de la fonctionnaire s'estimant lésée souffrait d'un état de santé qui rendait l'allaitement maternel nécessaire – la fonctionnaire s'estimant lésée avait omis d'expliquer pourquoi le télétravail à plein temps était nécessaire, puisque, dans le passé, elle avait accepté de le faire deux jours par semaine – la preuve n'a pas démontré que la fonctionnaire s'estimant lésée avait déployé des efforts raisonnables, mais infructueux, afin de trouver des solutions de rechange raisonnables – dans le cas où elle serait dans l'erreur, la formation de la Commission a conclu que l'employeur avait satisfait à son obligation de prendre des mesures d'adaptation au point de subir une contrainte excessive – la restriction a été adoptée en bonne foi, a été appliquée à tous les employés et répondait aux changements du lieu de travail – malgré cela, l'employeur a essayé de prendre des mesures d'adaptation pour la fonctionnaire s'estimant lésée, qui n'a pas expliqué pourquoi elle exigeait une année de télétravail ou pourquoi elle ne pouvait utiliser une garderie plus près de son lieu de travail. Grief rejeté.

Contenu de la décision

 Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie)


Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date: 20141113
  • Dossier: 566-02-9135
  • Référence: 2014 CRTEFP 02


ENTRE

LAURA MARIE FLATT

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l’Industrie)

employeur

Répertorié
Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Augustus Richardson, une formation de la Commission
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
James L. Shields, avocat
Pour l'employeur:
Richard E. Fader, avocat
Affaire entendue à Hamilton (Ontario),
les 3 et 4 juillet 2014.
(Arguments écrits déposés les 27 juin, 31 juillet, 1er et 5 août 2014.)
(Traduction de la CRTEFP)

I. Introduction

1 La fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), Laura Marie Flatt, a présenté un grief pour contester qu’elle a été victime de discrimination fondée sur son sexe et sa situation de famille de la part de son employeur, le Conseil du Trésor, lorsqu’il a refusé sa demande de télétravail à domicile à plein temps, du lundi au vendredi, pendant un an à la suite de la fin de son congé de maternité d’un an en mars 2013. Tel qu’elle l’a indiqué dans son grief, elle a présenté la demande parce qu’elle devait [traduction] « […] changer la façon [dont elle travaillait] en raison d’allaitement maternel ».

2 Le grief et l’état actuel de la jurisprudence ont soulevé les questions suivantes :

  1. La discrimination fondée sur l’allaitement maternel constitue-t-elle une discrimination fondée sur le sexe ou sur la situation de famille ou sur les deux?
  2. Quel est le critère nécessaire pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur l’allaitement maternel? La fonctionnaire y a-t-elle répondu en l’espèce?
  3. Si la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination, l’employeur a-t-il pris des mesures d’adaptation au point d’une contrainte excessive?
  4. Dans la négative, quelle est la réparation?

3 Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no2 sur le plan daction économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (CP2014-1107). En vertu de l’article 393 de la Loi no2 sur le plan daction économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant la date d’entrée en vigueur du paragraphe 366(1) de la Loi no2 sur le plan daction économique de 2013 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 366 à 470 de la Loi no2 sur le plan daction économique de 2013.

II. Audience

4 L’audience a eu lieu à Hamilton, en Ontario, les 3 et 4 juillet 2014.

5 J’ai entendu le témoignage de la fonctionnaire. Elle était le seul témoin appelé à témoigner pour son compte.

6 J’ai entendu le témoignage des personnes suivantes pour le compte de l’employeur :

  1. Peter Kohl, un délégué syndical, de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 (l’« agent négociateur »);
  2. Lou Battiston, directeur du Bureau de district du centre et de l’ouest (le « BDCO » de la Direction générale des opérations de la gestion du spectre d’Industrie Canada, qui travaille à l’administration centrale régionale du BDCO situé à Burlington, en Ontario;
  3. Lyse Bossy, gestionnaire sectorielle des ressources humaines du Secteur du spectre, des technologies de l’information et des télécommunications d’Industrie Canada, qui travaille à Ottawa, en Ontario.

7 Puisque le grief soulevait une question liée à l’interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C (1985), ch. H-6, le représentant de la fonctionnaire avait envoyé une formule 24 (« Avis à la Commission canadienne des droits de la personne » (la « CCDP »)) à la CCDP en son nom. Un représentant de la CCDP n’a pas assisté à l’audience, mais il a déposé des arguments écrits le 27 juin 2014.

8 Tous les témoins ont témoigné de manière directe. Ils ont témoigné au sujet des événements qui étaient relativement frais à leur esprit et qui étaient, dans une large mesure, préservés dans des courriels et la correspondance qu’ils ont échangés entre eux et avec d’autres pendant la période pertinente. Aucune question pertinente quant à la crédibilité ne distinguait leur témoignage. La question qu’ils devaient trancher – soit celle de savoir s’ils doivent prendre des mesures d’adaptation ou comment prendre des mesures d’adaptation pour permettre à la fonctionnaire de continuer l’allaitement maternel de son enfant, tel qu’elle le souhaite, pendant sa deuxième année – est complexe, peu développée et relève d’une zone grise du droit. J’ai été convaincu que tout le monde a fait de son mieux dans de telles circonstances. Tel que je leur ai dit à la fin de l’audience, si l’un d’eux a, en fin de compte, pris une mauvaise décision, ce n’était pas parce qu’ils ont fait preuve de mauvaise foi. Cela aurait simplement découlé du fait que la loi et la jurisprudence existantes avaient fourni peu, voire aucune, orientation claire quant à la façon d’aborder les questions auxquelles ils faisaient face. En tenant compte de ces points, je ne constate aucun besoin de fournir une description exhaustive du témoignage de chaque témoin. J’indiquerai simplement les faits, selon mon interprétation fondée sur l’ensemble de la preuve.

9 Il y a un dernier point. Après l’audience et pendant mon examen des arguments et de la jurisprudence, j’ai demandé aux avocats de répondre à la question suivante :

[Traduction]

La question de savoir si les quarts de travail, les heures ou les affectations peuvent être modifiées et les circonstances dans lesquelles elles peuvent être modifiées parce qu’une employée allaite son enfant peut-elle être traitée selon les règles établies dans KVP en vertu de la clause portant sur les droits de la direction?

10 Les avocats des parties ont fourni des réponses écrites le 31 juillet 2014. De plus, les 1er et 5 août, les avocats de l’employeur et de la fonctionnaire ont chacun déposé des réponses à la réponse écrite de l’autre.

III. Objections préliminaires

11 L’avocat de l’employeur a signifié un avis de son intention de s’opposer à certains éléments de preuve dont il prévoyait le dépôt pour le compte de la fonctionnaire. Il a indiqué que, selon ce qu’il comprenait, les éléments de preuve comprendraient des événements et des négociations qui ont eu lieu après le dépôt du grief le 28 mars 2013. Son objection à ces éléments de preuve comporte deux raisons.

12 En premier lieu, les éléments de preuve sont privilégiés parce qu’ils faisaient partie des négociations ou des discussions en vue d’un règlement tenues entre les parties ou parce qu’ils faisaient partie de la procédure de règlement des griefs, ou des deux.

13 En deuxième lieu, ces éléments de preuve changeraient la portée et la nature du grief, tel qu’il a été déposé. Il a mis l’accent sur le fait que la réparation demandée par la fonctionnaire en l’espèce – et le grief dont je suis saisi – était fondée sur l’allégation selon laquelle le refus par son employeur de sa demande de télétravail à domicile cinq jours par semaine constituait une discrimination fondée sur le sexe ou sur la situation de famille. Il ne s’agissait pas d’un grief dont l’offre de télétravail pendant moins de jours de télétravail – ou d’une solution de rechange afin de s’adapter à l’horaire d’allaitement maternel – constituait également une discrimination.

14 J’ai remercié l’avocat de l’employeur pour le préavis et je lui ai dit que j’entendrai ses arguments et ceux de l’avocat de la fonctionnaire lorsque nous parviendrons à cette étape de la preuve.

IV. Contexte

15 La fonctionnaire est une agente de la gestion du spectre (« AGS ») qui travaille à la Direction générale des opérations de la gestion du spectre d’Industrie Canada. Elle est membre de l’unité de négociation représentée par l’agent négociateur. L’agent négociateur et l’employeur sont des parties à une convention collective qui prévoie, entre autres, une clause de non-discrimination.

16 La Direction générale des opérations de la gestion du spectre d’Industrie Canada supervise et gère le spectre des radiofréquences au Canada. Les radiofréquences sont régies au Canada comme une ressource naturelle. Les utilisateurs du spectre des radiofréquences – comme les stations de radio, les services policiers ou d’incendie, les exploitants d’embarcations et les pilotes, entre autres – obtiennent des licences pour les fréquences qu’ils utilisent. L’utilisation de ces fréquences est administrée, contrôlée et supervisée par les diverses Directions générales des opérations de la gestion du spectre partout au Canada. Les AGS travaillent au sein de chaque direction générale. Leurs responsabilités comprennent l’examen des demandes d’utilisation de fréquences particulières, de la délivrance des licences pour cette utilisation et la gestion et le règlement de l’interférence aux fréquences radio électriques qui survient parfois entre ceux qui utilisent diverses fréquences. En général, la partie administrative des fonctions d’un AGS consiste en un travail de bureau exécuté dans un bureau régional. Toutefois, le règlement des conflits relatifs aux fréquences concernant le travail sur le terrain ou comportant un déplacement où l’AGS visite les titulaires de licences utilise de l’équipement spécialisé pour déterminer la source de l’interférence et pour régler le problème (par exemple, voir la pièce U1, onglet 7).

17 Le BDCO de la Direction générale des opérations de la gestion du spectre était responsable des activités exécutées à Mississauga, en Ontario, à l’ouest au-delà de Collingwood jusqu’à Tobermory, en Ontario, et ensuite au sud-ouest en passant par la péninsule du Niagara et par Burlington jusqu’à London et Windsor, en Ontario. Son administration centrale était située à Burlington. Un certain nombre de bureaux satellites relevaient de cette dernière, ce qui comprenait, à un moment donné, des bureaux à Kitchener, à Windsor et à London.

18 La fonctionnaire est une AGS du groupe EL (électroniques) au niveau 5. Elle a travaillé pendant de nombreuses années au bureau de Burlington. Elle a commencé à travailler pour l’employeur au niveau EL-01 en janvier 2003 au BDCO. Au début, elle était supervisée par un EL-05 et elle exerçait, entre autres, des fonctions liées à la communication et aux inspections des installations. Par avril 2003, elle avait passé au niveau EL-02, lequel comportait les mêmes fonctions. Elle a ensuite passé au niveau EL-03, moment auquel elle effectuait seule des inspections moins complexes des installations. À ce stade, ses fonctions comprenaient également l’évaluation des propositions déposées par les clients et les fournisseurs de services visant les licences de radio mobile. En 2005, elle avait atteint le niveau EL-05, travaillant, selon elle, [traduction] « presque par [elle-]même, en effectuant les inspections de radio aux installations et en enquêtant sur les cas d’interférence aux fréquences radio électriques ».

19 En avril 2007, la fonctionnaire est tombée enceinte. À compter de ce moment-là, un certain nombre d’AGS, y compris la fonctionnaire, pouvait effectuer et effectuait, de temps à autre, des visites sur place. Elle a arrêté d’effectuer des inspections des installations, je suppose, en raison de sa grossesse et elle a limité son travail à l’exécution du travail de bureau. Elle a pris son congé de maternité en septembre 2007. Son congé de maternité a pris fin en septembre 2008 et elle est retournée au travail. Selon son témoignage, elle n’a pas effectué de visites sur place depuis cette date (et, en fait, elle avait effectué sa dernière visite sur place avant septembre 2007; voir la pièce U1, onglet 7). Lorsque son avocat l’a interrogée à ce sujet au cours de l’interrogatoire principal, elle a expliqué qu’il n’y avait pas beaucoup de travail comportant un déplacement depuis 2007. Cela étant ainsi, ce travail était en général attribué aux AGS subalternes du bureau afin qu’ils puissent acquérir de l’expérience. De plus, le travail comportant un déplacement serait habituellement attribué au bureau le plus à proximité de l’installation à visiter. Depuis cette date, la fonctionnaire comptait le plus d’ancienneté et, comme le travail comportant un déplacement était généralement exécuté par un AGS du bureau le plus à proximité, il s’avérait, en pratique, que la nouvelle personne au bureau le plus à proximité du problème serait affectée à la tâche et que cette personne ne serait pas la fonctionnaire.

20 Je m’arrête ici pour indiquer un élément au sujet des régimes de télétravail et de la semaine de travail comprimée de l’employeur. Il semble qu’à la fin des années 90 et qu’au début des années 2000, le passage grandissant aux bureaux électroniques, ainsi que les progrès technologiques, l’accès Internet, les réseaux privés virtuels et le passage à des rendez-vous avec les clients plutôt que sans rendez-vous signifiait que l’employeur avait commencé à reconnaître la possibilité d’offrir des régimes de télétravail à certains de ces employés. Dans ces cas, les employés pouvaient exécuter leur travail dans d’autres bureaux du gouvernement plus près de leur domicile ou, en fait, travailler à domicile pendant une partie de leur semaine normale de travail. Il semble que l’employeur a élaboré une politique sur le télétravail vers décembre 1999, sinon avant cette date. Industrie Canada a adopté une politique sur le télétravail en 2003 et un exemplaire de ses [traduction] « Lignes directrices concernant le télétravail » qui sont entrées en vigueur à compter de novembre 2013 a été produit en preuve à titre de pièce E3, onglet 2; voir également la pièce U1, onglet 8, qui consiste en un courriel en date du 13 janvier 2009 provenant de Peter Dougall. Les AGS qui pouvaient faire du télétravail pouvaient travailler à domicile ou à un autre bureau du gouvernement plus près de leur domicile pendant une partie de la semaine de travail. Ceux assujettis à une semaine de travail comprimée pouvaient travailler leurs heures normales, mais au cours d’une période de quatre jours plutôt que de cinq jours.

21 Le préambule des Lignes directrices concernant le télétravail de six pages de 2013 indique ce qui suit :

[Traduction]

Industrie Canada est déterminé à élaborer des politiques et des lignes directrices visant à aider les employés à établir un équilibre entre leurs obligations professionnelles, personnelles et familiales. Conformément à notre objectif d’avoir un milieu de travail composé de personnes dévouées qui font toute la différence, les présentes lignes directrices concernant le télétravail permettront aux secteurs, aux directions générales et aux régions à réaliser les objectifs opérationnels et de développement durable, tout en répondant aux besoins croissants des employés d’améliorer la qualité globale de la vie.

22 Les Lignes directrices comprennent un certain nombre de principes directeurs, dont les sept premiers sont ainsi rédigés :

[Traduction]

  1. Dans le cadre d’une entente de télétravail, les employés sont autorisés à exercer régulièrement les fonctions de leur poste qui sont habituellement exercées au lieu de travail désigné des employés à un autre emplacement, habituellement le domicile des employés pendant une période déterminée.
  2. Le télétravail ne suppose pas nécessairement qu’un employé sera absent du bureau cinq jours par semaine. Dans la plupart des cas, un équilibre entre les heures travaillées à l’emplacement de télétravail et celles travaillées au bureau constitue l’avantage mutuel du gestionnaire et de l’employé.
  3. Le télétravail doit être convenable sur le plan opérationnel.
  4. Il ne doit entraîner aucune perte de productivité.
  5. Le télétravail ne doit pas occasionner des coûts supplémentaires (sauf les coûts uniques de démarrage, qui peuvent être récupérés au cours d’une période raisonnable).
  6. Le télétravail ne constitue pas un droit de l’employé. La décision d’approuver une demande de télétravail relève du pouvoir discrétionnaire de la direction et elle sera prise de manière juste, équitable et transparente. Chaque demande devrait être traitée en fonction de chaque cas, puisque le télétravail n’est pas convenable pour chaque emploi. Les considérations comprennent ce qui suit : le rapport coût-efficacité du régime, la compatibilité personnelle et le rendement de l’employé, ainsi que l’incidence sur les activités, les collègues, les clients et les autres intervenants.
  7. Le télétravail consiste en une activité volontaire. Un employé ne peut pas être obligé de faire du télétravail.
  8. Le télétravail ne doit pas être utilisé à titre de remplacement à long terme aux fins des obligations familiales; il peut cependant aider les employés à établir un équilibre entre ses obligations professionnelles et familiales au court terme. Les employés doivent gérer leurs obligations familiales d’une manière qui leur permet de s’acquitter avec succès de leurs obligations professionnelles.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

23 En revenant aux faits du grief dont je suis saisi, en janvier 2009, la fonctionnaire a déposé une demande de télétravail à domicile les jeudis entre 6 h et 15 h 30 (pièce U1, onglet 8). À ce moment-là, elle a expliqué que, depuis qu’elle avait commencé à travailler au bureau de Burlington, elle avait voyagé de son domicile (140 km aller-retour) pendant plus de six ans. Le voyage aller-retour au bureau lui prenait plus de deux heures chaque jour, ce qui devenait de plus en plus long en raison du volume accru de la circulation routière sur la voie Queen Elizabeth. Elle a justifié sa demande en indiquant les diverses améliorations quant à la productivité, à la morale et aux effets sur l’environnement qu’elle prévoyait en découler, ainsi que le fait d’avoir [traduction] « […] moins de stress et d’inquiétude quant à la nécessité d’établir un équilibre entre les [besoins] professionnels, personnels et familiaux » (pièce U1, onglet 8). À la suite de certaines discussions sur les conditions qui s’appliqueraient au télétravail (comme retourner rapidement les appels, le fait que son travail serait limité au travail d’« autorisation » (c.-à-d. administratif), puisqu’elle ne travaillait plus sur le terrain et la sécurité concernant son bureau à domicile), sa proposition a été acceptée (pièce U1, onglet 8).

24 L’arrangement selon lequel elle travaillait au bureau de Burlington quatre jours par semaine et qu’elle faisait du télétravail une fois par semaine est demeuré en vigueur jusqu’à ce que la fonctionnaire prenne un autre congé de maternité en septembre 2009.

25 La fonctionnaire est retournée au travail à la fin de son congé de maternité en septembre 2010. La preuve n’était pas claire quant à savoir si le régime de télétravail qu’elle avait conclu en janvier 2009 était toujours en vigueur. Aux fins de la présente décision, je supposerai qu’il l’était. Toutefois, la fonctionnaire a témoigné que la politique sur le télétravail de l’employeur avait été modifiée vers 2011 en vue d’exiger que ces régimes soient renouvelés chaque année. En 2011, elle a proposé un régime de télétravail selon lequel elle travaillerait à domicile les mardis et les jeudis de 6 h à 14 h (pièce U1, onglet 8). La proposition a évidemment été approuvée d’avril 2011 à mars 2012.

26 La fonctionnaire a commencé son congé de maternité pour son enfant suivant en mars 2012.

27 Je m’arrête ici pour indiquer qu’en 2009, le BDCO comptait 17 employés répartis dans ses quatre bureaux à Burlington, à Kitchener, à London et à Windsor. Vers 2013, l’effectif avait diminué, passant de 17 à 11 en raison de la réduction des effectifs. Selon le témoignage de M. Battiston, la réduction des effectifs avait touché les activités du BDCO, en ce qu’il comptait moins d’employés (et moins d’AGS) pour couvrir la même région et le même travail. Il a également témoigné qu’au début de 2012, les directeurs des régions de l’Atlantique et de l’Ontario avaient examiné l’incidence que les divers autres régimes de travail, comme le télétravail et les semaines comprimées, avaient eue sur ses activités et sur le personnel qui travaillait selon des régimes plus ordinaires. L’examen avait été amorcé en partie en raison des réductions de l’effectif antérieures et prévues (découlant en partie des retraites). Il a révélé que le BDCO comptait de nombreux employés qui travaillaient en vertu de régimes de télétravail et de semaine de travail comprimée.

28 M. Battiston a consigné les résultats de l’examen dans une note de service placée au dossier interne portant sur le télétravail et les semaines de travail comprimées en date du 12 avril 2012, qui prévoit en partie comme suit (pièce 3, onglet 3) :

[Traduction]

[…]

L’effectif du BDCO a été réduit en 2012 de quatre postes au moyen de trois retraites (les postes ont été éliminés par attrition) et une démission. Cela représentait une réduction de la taille de l’effectif au bureau de 23,5 %. Il a été noté qu’avec un effectif réduit au bureau, lequel est responsable d’une région relativement vaste, le télétravail et les STC [semaines de travail comprimées] imposaient une demande plus élevée sur le reste de l’effectif réparti entre les divers emplacements, au point où il était devenu plus difficile de répondre aux  situations d’urgence qui surviennent, par exemple une demande de renseignements à l’intention du ministre à court préavis et un ELT, ou les enquêtes en matière d’interférence concernant la sécurité publique pendant nos heures de bureau principales. Même les tâches simples, comme l’accueil d’un préposé aux services de messagerie ou l’aide à apporter à un collègue ou gestionnaire relativement à une question, l’établissement de l’horaire des employés, les réunions avec les clients ou les séances de formation, deviennent de plus en plus difficile lorsque les employés travaillent à domicile ou selon un horaire régulier. D’autres employés qui demandent le télétravail ne feraient qu’aggraver la situation.

Étant donné les changements indiqués ci-dessus et afin d’assurer l’uniformité à l’échelle des divers bureaux de la RAO [région de l’Atlantique et de l’Ontario], le télétravail pour l’effectif du BDCO sera limité aux circonstances atténuantes, comme une adaptation médicale, des conditions météorologiques particulièrement mauvaises ou une urgence familiale et uniquement l’option de la STC serait offerte aux employés.

[…]

29 La fonctionnaire était en congé de maternité pendant un an de mars 2012 à mars 2013. Elle allaitait son nouvel enfant. Au cours de l’année, elle a décidé qu’elle continuera de l’allaiter pendant une autre année suivant sa date de retour au travail en mars 2013.

30 Le 27 novembre 2012, elle a envoyé un courriel à son employeur pour lui demander de prendre une mesure d’adaptation en vue de lui permettre de continuer l’allaitement maternel, tel qu’elle le souhaite, selon laquelle elle pourrait travailler à domicile cinq jours par semaine pendant un an à compter de mars 2013. Elle a indiqué ce qui suit : [traduction] « En vue de faciliter cela, il faudrait que mes fonctions soient modifiées afin de me permettre de l’allaiter [son enfant] à 8 h, à 12 h et à 14 h 30. »

31 La fonctionnaire a continué en indiquant ce qui suit (pièce U1, onglet 9) :

[Traduction]

Afin de réaliser cela, j’apprécierais grandement de pouvoir travailler à plein temps à domicile entre les heures de 6 h et 14 h. Cela me permettrait de l’allaiter à 8 h, juste avant qu’il soit apporté à la garderie. Ma maison est située à 10 minutes de la garderie, donc une visite à midi pour l’allaiter serait possible. Si je termine ma journée de travail à 14 h, cela me permettra de l’allaiter à 14 h 30.

32 La fonctionnaire a ajouté un extrait tiré d’un document de l’Association pour la santé publique de l’Ontario selon lequel les employeurs qui appuient leurs employées en ce qui concerne l’allaitement maternel pourraient bénéficier de ce qui suit (pièce U1, onglet 9, page 2) :

[Traduction]

  1. Un absentéisme réduit – les femmes qui allaitent sont moins susceptibles de s’absenter du travail pour prendre soin d’un enfant malade.
  2. Une productivité, une morale et une loyauté accrues – Les femmes dont les employeurs reconnaissent leur objectif d’allaitement maternel continu et qui les aident à ce sujet éprouvent une satisfaction accrue relativement au travail.
  3. Un roulement du personnel réduit – Les femmes qui allaitent sont plus susceptibles de retourner au travail, ce qui entraîne un roulement du personnel réduit. Cela permet aux employeurs de retenir un personnel formé, chevronné et motivé.

33 Dans son témoignage, la fonctionnaire a expliqué le motif de sa demande. Elle a témoigné que, vers novembre 2012, elle allaitait toujours son fils, qui avait environ 9,5 mois. Son horaire était 8 h, 12 h et 14 h 30 et ensuite au début de la soirée. Sa proposition de commencer son jour de travail à 6 h à domicile lui aurait permis d’allaiter son fils avant que son époux l’apporte à la garderie à 8 h. La garderie n’était située qu’à quelques minutes de sa maison, elle pouvait s’y rendre à midi et encore à 14 h 30 pour l’allaiter.

34 La fonctionnaire n’a reçu aucune réponse officielle à sa demande avant le 25 janvier 2013. Elle a trouvé le retard très stressant.

35 Le 25 janvier 2013, elle a eu une conversation avec M. Battiston et un autre superviseur. Ils n’étaient pas disposés à lui accorder sa demande de télétravail de cinq jours par semaine lors de son retour au travail en mars. Ils lui ont offert l’option de prendre un congé non payé prolongé conformément à la clause 18.09 (« Congé non payé pour s’occuper de la proche famille ») de la convention collective applicable. Dans un courriel qu’elle a envoyé le 25 janvier, la fonctionnaire a confirmé que M. Battiston et le superviseur avaient : [traduction] « […] refusé [sa] demande d’adapter [ses] fonctions de travail afin qu’[elle puisse] continuer à allaiter [son] fils » (pièce U1, onglet 11, page 1. Elle a exprimé sa déception quant à la décision et elle a expliqué ce qui suit (pièce U1, onglet 11, page 1) :

[Traduction]

En raison des nombreux problèmes de santé de mon dernier fils, j’ai décidé de faire une recherche approfondie relativement à l’allaitement maternel. J’ai découvert que même l’Organisation mondiale de la Santé indique, et je cite, qu’elle [traduction] « recommande l’allaitement maternel pendant au moins deux ans ou plus. Le lait maternel humain est la forme de lait la plus saine pour les bébés. L’allaitement maternel favorise la santé et aide à prévenir de nombreuses maladies. » Il y a de nombreux autres avantages physiques, tels que cela est indiqué aux liens ci-dessous. [liens omis] Comme vous le savez, je souhaite retourner au travail le 4 mars 2013. Pendant une période où l’effectif est réduit, mon télétravail peut offrir un appui important à notre district.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

36 La fonctionnaire a conclu son courriel en leur demandant d’examiner de nouveau leur refus et de [traduction] « [l’]aider à respecter l’horaire de l’allaitement maternel de son fils pendant [son] retour au travail après son congé de maternité ». Elle a ajouté qu’[traduction] « un congé autorisé du travail entraînerait des difficultés financières pour [sa] famille ».

37 Je remarque que la fonctionnaire ne suggère aucunement dans son témoignage, sinon la mention des problèmes de santé de son autre fils, que son dernier enfant a une condition ou une maladie quelconque qui a fait en sorte que l’allaitement maternel après l’âge d’un an constituait une nécessité physique ou médicale, à titre de source unique d’alimentation ou à titre de complément. Ce qu’elle a indiqué au cours de l’interrogatoire principal est que [traduction] « ce n’est pas quelque chose que tu peux arrêter et commencer ». Elle a ajouté ce qui suit, en indiquant qu’elle n’aurait jamais prévu qu’une note ou une lettre médicale serait nécessaire pour appuyer sa demande : [traduction] « parce que l’allaitement maternel est si naturel […] donc, pourquoi dois-je avoir un problème médical pour allaiter mon fils? » Néanmoins, elle a demandé et a reçu une note de son médecin de famille en date du 18 décembre 2012 qui indiquait qu’elle [traduction] « allaite actuellement son fils ». Son médecin a ajouté qu’elle « prévoit continuer de l’allaiter dans un avenir prévisible » et il a conclu de la façon suivante (pièce U1, onglet 10) : « Elle demande l’autorisation de travailler à domicile, tel qu’elle l’a fait avant la naissance de son fils afin de continuer à l’allaiter. J’appuie sa demande relativement à cette question. »

38 L’avocat de l’employeur s’est opposé à la présentation de la lettre du médecin au motif que le médecin n’était pas présent aux fins de contre-interrogatoire. J’ai admis la lettre en preuve et j’ai indiqué que je tiendrai compte de son objection dans l’appréciation de la preuve.

39 Les superviseurs de la fonctionnaire n’étaient pas disposés à examiner de nouveau leur décision de refuser sa demande de télétravail cinq jours par semaine. En conséquence, le 27 janvier 2013, elle a envoyé un courriel à M. Battiston et à l’autre superviseur pour accepter leur offre de proroger son congé du 4 mars au 28 juin 2013, dont sa date de retour au travail était le 1er juillet 2013 (pièce U1, onglet 12, page 2). La demande de prorogation de son congé qu’elle a présentée en même temps mentionnait la clause 18.09 de la convention collective applicable (pièce U1, onglet 12, page 1).

40 M. Battiston a répondu le 28 janvier en indiquant que sa demande avait été approuvée (pièce U1, onglet 12, page 2).

41 Le 27 février 2013, la fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Battiston et une copie conforme au directeur régional et à son superviseur immédiat. Elle a indiqué ce qui suit : [traduction] « […] afin de clarifier le fait que, lorsque j’ai demandé et accepté un congé non payé en vertu de la clause 18.09, c’était seulement parce que j’ai été informée que ma demande initiale qui vous été envoyée le 27 novembre 2012 concernant le télétravail avait été refusée et je croyais qu’il ne s’agissait que du seul recours applicable à ma situation » (pièce U1, onglet 13, page 1). Elle a reconnu sa compréhension de la façon suivante :

[Traduction]

[Que le BDCO] traite actuellement un manque d’EL en raison des retraites récentes, sans mentionner le fait que le mois de mars constitue le mois le plus occupé [et], par conséquent, je crois véritablement que j’aurais pu être de nouveau une EL productive si j’avais été autorisée à travailler à domicile comme dans le passé, plutôt que de ne pas travailler ou de ne pas contribuer du tout au BDCO.

42 La fonctionnaire a ensuite indiqué qu’elle était [traduction] « catégorique au sujet de l’allaitement maternel de [son] fils et souhaitait continuer et essayer d’obtenir un régime de télétravail » (pièce U1, onglet 13, page 1). Elle a conclu son courriel en demandant à M. Battiston d’examiner de nouveau sa demande initiale. Elle a ensuite acheminé une copie de ce courriel à M. Kohl, son représentant syndical.

43 La fonctionnaire a étudié la possibilité de trouver une garderie plus près du bureau de Burlington qui lui aurait permis de continuer de respecter son horaire d’allaitement maternel tout en travaillant physiquement au bureau. Le 4 mars 2013, à 17 h 26, elle a informé M. Kohl qu’elle avait été informée de ce qui suit le matin : [traduction] : « […] la garderie de mon choix [Peekaboo Daycareà Burlington], qui me permet les visites pendant le jour aux fins de l’allaitement maternel, a une place pour mes deux enfants » (pièce E3, onglet 9, page 4). Elle a proposé un horaire selon lequel elle travaillait à domicile les mardis et les vendredis de 6 h 30 à 16 h et qu’elle travaillait au bureau les lundis, mercredis et jeudis selon l’horaire modifié suivant qui lui permettait de rendre visite à son fils à la garderie pour l’allaiter (ce qui prendrait environ 45 minutes; pièce E3, onglet 9, page 4) :

[Traduction]

8 h – commence à travailler
9 h 30 – quitter le bureau pour l’allaitement maternel
(environ 45 minutes)
14 h 30 – quitter le bureau pour l’allaitement maternel
(environ 45 minutes)
15 h – finir de travailler pour la journée (une heure de fin de travail à 15 h ces jours-là) me permettrait de me rendre à la maison à temps pour récupérer mon fils à l’autobus à 16 h 15.

44 M. Kohl a présenté cette proposition aux superviseurs de la fonctionnaire. Le 4 mars, il lui a répondu à 19 h 12, de la façon suivante (pièce E3, onglet 9, page 4) :

[Traduction]

BONNES NOUVELLES[…] moyennant quelques modifications, Lou [Battiston] et John [Baggio] ont accepté votre proposition de travailler à domicile pendant deux jours et au bureau pendant les trois autres jours.

          Les seuls problèmes sont les suivants :

          1) Les heures pendant lesquelles vous « travaillez » doivent correspondre à 37,5 heures par semaine – cela ne comprend pas vos pauses-repas ni les heures associées à l’allaitement maternel.

          2) Cette entente sera en vigueur pendant une période maximale d’un (1) an ou moins, selon votre choix.

          VEUILLEZ NOTER que Lou a examiné votre proposition et a conclu que vos « heures de travail » ne correspondent pas à 37,5 heures. Elles ne correspondent qu’à 32,75 heures pour une semaine.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

45 M. Kohl a indiqué à la fonctionnaire qu’il l’appellerait pour discuter de la question.

46 Le résultat de cette discussion a été appelé une « contre-proposition, même si, à proprement parler, il s’agirait d’une modification de la proposition initiale de la fonctionnaire. Le 4 mars, M. Kohl a envoyé à 20 h 54 un courriel à M. Battiston et à M. Baggio pour décrire la nouvelle proposition de la fonctionnaire. Il a expliqué que la fonctionnaire avait confirmé la place disponible à une garderie [Peekaboo Daycare] qui se situait à environ 3,5 km ou à environ 5 minutes de route du bureau de Burlington. En fonction de cela, elle était disposée à travailler trois jours par semaine au bureau (les lundis, mercredis et jeudis) et à travailler à domicile les deux autres jours. Toutefois, elle demandait les éléments suivants :

47 En premier lieu, la fonctionnaire souhaitait que la période temporaire soit prorogée d’un an à un an et demi, car elle [traduction] « […] n’était pas certaine combien de temps [son] fils exigerait l’allaitement maternel et elle choisit de demander la période supplémentaire, au cas où » (le passage en évidence l’est dans l’original; pièce E3, onglet 9, page 3).

48 En deuxième lieu, elle souhaitait [traduction] « […] que l’allaitement maternel soit inclus dans [ses] heures de travail payées et elle ne souhaitait pas renoncer à [ses] pauses-repas. Toutefois, [elle] compterait [ses] deux pauses-café de 15 minutes dans les heures consacrées à l’allaitement maternel. » Voici l’horaire qu’elle a proposé (pièce E3, onglet 9, page 3) :

[Traduction]

          Lundi, mercredi et jeudi = de 8 h à 15 h (moins 0,5 heure pour son repas du midi) = 6,5 heures X 3 jours = 19,5 heures (ce qui comprend les périodes d’allaitement maternel).

          Mardi et vendredi = de 7 h à 16 h 30 = 9,5 heures (moins 0,5 heure pour son repas du midi) = 9 heures X 2 jours = 18 heures (ce qui comprend les périodes associées à l’allaitement maternel).

          TOTAL GÉNÉRAL pour la semaine = 37,5 heures.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

49 En troisième lieu, elle était disposée [traduction] « à conserver les heures de mardi et de vendredi semblables à ceux des heures principales de bureau, conformément à ce qui a été suggéré. [Ses] nouvelles heures les mardis et les vendredis seraient de 7 h à 16 h 30 » (pièce E3, onglet 9, page 3).

50 Le 5 mars 2013, la fonctionnaire a envoyé un courriel à 13 h 45 à M. Kohl. Elle a exprimé le fait qu’elle leur était reconnaissante au sujet du fait [traduction] « […] que [lui], Lou et John, prennent le temps d’essayer de répondre à [ses] besoins en matière d’allaitement maternel ». Elle a ajouté qu’elle comprenait qu’elle [traduction] « […] se trompait en pensant qu’[elle] pouvait demander des pauses payées aux fins de l’allaitement maternel », mais elle a ajouté qu’elle « ne savait pas où [elle] pouvait tirer ces heures de [son] horaire pour ce faire ». Elle a expliqué que la « […] situation liée à l’établissement de l’horaire est très stressante et c’est donc la raison pour laquelle [sa] première proposition visait le télétravail à plein temps ». Elle comprenait également que « […] le fait d’être présente au bureau est important et [qu’elle avait] donc établi une autre proposition de l’horaire ». Elle estimait qu’il « […] permettrait d’éviter qu’[elle] soit tenue de quitter le bureau et d’interrompre la journée » (pièce E3, onglet 9, page 2). Voici l’horaire qu’elle a proposé :

[Traduction]

Lundi, mercredi et jeudi
De 6 h à 8 h 30 – télétravail
8 h 30 – allaitement maternel (suivi par le déplacement au bureau)
10 h – commencer à travailler au bureau
14 h 30 – finir de travailler pour aller allaiter son fils

Horaire de télétravail :
Mardi et vendredi De 7 h à 16 h 30

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

51 Le 5 mars 2013, M. Kohl a informé M. Battiston à 14 h 25 que la fonctionnaire avait [traduction] « […] examiné de nouveau l’option d’une garderie à Burlington » (pièce E3, onglet 9, page 1). Elle présentait une nouvelle proposition qui [traduction] « […] éliminait la nécessité de recourir à une garderie à Burlington et de transporter ses fils à Burlington ». L’horaire qu’elle proposait [traduction] « […] éliminait le besoin pour IC [Industrie Canada] de couvrir les heures associées à l’allaitement maternel et au voyage aller-retour à la garderie », lequel figure ci-dessous (pièce E3, onglet 9, page 1) :

[Traduction]

          Les heures de travail commencent et se terminent avant et après les séances d’allaitement maternel :

De 6 h à 8 h 30 = 2,5 heures + de 10 h à 14 h 30 = 4,5 heures (- 0,5 heure pour le repas du midi) = 4,5 [sic] heures X 3 jours = 19,5 heures.

De 7 h à 16 h 30 = 9,5 heures (- 0,5 heure pour le repas du midi) = 9,0 heures X 2 jours = 18,0 heures.

TOTAL GÉNÉRAL pour la semaine = 37,5 heures.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

52 M. Baggio a répondu le 5 mars à 14 h 38. Il a indiqué que la proposition faisait l’objet d’un examen (pièce E3, onglet 9, page 1).

53 La fonctionnaire a ensuite intensifié ses discussions en vue d’inclure Mme Bossy. Le 6 mars, Mme Bossy a indiqué dans un courriel qu’après les discussions tenues avec les Relations patronales de gestion de travail, il avait été déterminé que l’employeur ne pouvait pas accepter la dernière proposition de la fonctionnaire parce que [traduction] « […] le contexte du travail avait changé considérablement depuis qu’elle [la fonctionnaire] avait été absente, lequel ne permettait plus les mesures d’adaptation qu’elle demande » (pièce E3, onglet 10, page 2). Toutefois, « afin d’essayer de respecter la Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, nous sommes disposés à offrir les options suivantes : »

[Traduction]

  1. que la fonctionnaire travaille à domicile une journée par semaine et au bureau à Burlington quatre jours par semaine, en travaillant au moins 7,5 heures par jour lorsqu’elle est au bureau de Burlington;
  2. que la fonctionnaire travaille à temps partiel;
  3. que la fonctionnaire continue à prendre son congé non payé jusqu’à ce qu’elle estime que l’allaitement maternel est terminé (pièce E3, onglet 10, page 2).

54 Mme Bossy a acheminé ces options à M. Kohl et à la fonctionnaire le 6 mars 2012 (pièce U1, onglet 14). La fonctionnaire a répondu à Mme Bossy le 7 mars pour lui demander des éclaircissements quant à la première option (pièce E3, onglet 10, page 2) :

[Traduction]

Au cours de ce jour de travail de 7,5 heures, si j’utilise 2 fois 30 minutes non payées aux fins de l’allaitement maternel, puis-je ajouter ces heures au jour où je fais du télétravail? Par conséquent, au cours des 4 jours x 4 heures d’allaitement maternel pour travailler 4 heures supplémentaires le jour où je fais du télétravail. Ou indiquez-vous que je dois travailler une journée de 7,5 heures plus 1 heure non payée pour l’allaitement maternel? Par conséquent, chaque période de quatre jours au bureau comprendrait 7,5 heures payées + 0,5 pour le repas du midi + 60 minutes totales non payées aux fins de l’allaitement maternel = 9 heures par jour pour travailler au bureau à Burlington?

55 À la suite d’autres discussions entre Mme Bossy et la fonctionnaire, Mme Bossy a envoyé un courriel à la fonctionnaire le 8 mars pour lui demander si elle envisagerait de nouveau l’option de travailler à temps partiel. La fonctionnaire lui a répondu ce qui suit (pièce E3, onglet 10, page 1) :

[Traduction]

Je vous remercie de m’avoir répondu. Malheureusement, un travail à temps partiel ne constitue pas une option pour moi. Les frais de garderie pour mes enfants à la garderie à Burlington s’élèveraient à 2 040 $ par mois. Je travaillerais simplement pour payer les frais de garderie.

Il semble que ma demande initiale de travailler à plein temps constituerait l’option le plus convenable à titre de mesure d’adaptation à l’allaitement maternel. J’éviterais ainsi une perte de salaire et/ou l’exigence de refaire les heures utilisées pour l’allaitement maternel. Malheureusement, ce n’est pas moi qui prend la décision […]

56 En fin de compte, la fonctionnaire et l’employeur se sont retrouvés dans une impasse. La fonctionnaire a maintenu son souhait de faire du télétravail cinq jours par semaine pour lui permettre de respecter l’horaire d’allaitement maternel de son fils; l’employeur n’était pas disposé à lui permettre de faire du télétravail pendant plus d’un jour par semaine. Par conséquent, le 28 mars 2013, la fonctionnaire a déposé un grief individuel aux termes de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Elle a allégué ce qui suit :

[Traduction]

J’ai été victime de discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille de la part de la direction lorsque cette dernière a omis de se conformer à la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement à ma demande d’adaptation. La direction a également omis de respecter la clause 61.01 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et la section locale 2228 de la FIOE.

Je dois modifier la façon dont je travaille en raison de l’allaitement maternel. La direction m’a mis dans une situation non convenable et m’a assujetti à des difficultés financières en m’obligeant de prendre un congé non payé.

57 À titre de réparation, la fonctionnaire a demandé une ordonnance enjoignant à son employeur qu’il se conforme à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H 6; la « LCDP ») « […] relativement « à son sexe et à sa situation de famille » et que la direction s’acquitte de ses obligations prescrites par la Politique sur l’obligation d’adaptation de la Commission canadienne des droits de la personne », ainsi qu’en vertu de la convention collective applicable. Elle a également demandé ce qui suit (pièce U1, onglet 1) :

[Traduction]

Que je sois autorisée à travailler à domicile à plein temps, du lundi au vendredi, de 7 h à 15 h pour me permettre d’allaiter mon fils jusqu’en mars 2014.

Que je bénéficie d’une compensation pour toute perte de salaire et d’avantages sociaux découlant du refus de ma demande et du fait que j’ai dû accepter de prendre un congé non payé pendant une période où une politique sur l’adaptation acceptable aurait pu avoir été adoptée, et ce, à compter de la date d’entrée en vigueur du 4 mars 2013 [sa date initiale de retour au travail].

58 Le grief a été acheminé à l’employeur le 3 avril 2013 (pièce E3, onglet 11, page 1).

59 Le grief de la fonctionnaire a franchi les premier, deuxième et dernier paliers de la procédure de règlement des griefs et il a été renvoyé à l’arbitrage devant l’ancienne Commission le 21 octobre 2013 (pièce U1, onglet 5). Le 29 octobre 2013, l’avis de grief a été donné à la CCDP. Le sexe et la situation de famille ont été indiqués comme les motifs de distinctions illicites. La mesure corrective demandée était [traduction] « [u]ne mesure d’adaptation fondée sur le sexe et la situation de famille comportant une semaine de travail qui permettrait [à la fonctionnaire] d’allaiter son enfant jusqu’en mars 2014 et une compensation pour tout le salaire et tous les avantages sociaux perdus en raison du refus de la demande par l’employeur » (pièce U1, onglet 6).

60 La fonctionnaire a finalement sevré son fils de l’allaitement maternel et elle est retournée au travail à plein temps à compter du 1er octobre 2013. Entre le 28 mars et le 1er octobre, elle a utilisé une combinaison de congé non payé et de congés annuels, en se réintégrant progressivement au travail à plein temps le 1er octobre. Pendant cette période, les parties ont continué de négocier la façon dont l’employeur pourrait adopter une mesure d’adaptation permettant à la fonctionnaire de continuer l’allaitement maternel de son fils, tel qu’elle le souhaite. L’avocat de la fonctionnaire a indiqué qu’il avait l’intention de présenter une preuve relative à ces négociations, en indiquant qu’elle était pertinente à la question de savoir si l’employeur a fait des efforts de bonne foi pour adopter une mesure d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire. Il a également soutenu que le grief constituait essentiellement un grief continu précisément parce qu’il concernait la prétendue omission d’adopter une mesure d’adaptation et que, par conséquent, la preuve d’un refus constant d’adopter une mesure d’adaptation était pertinente et admissible.

61 Pour sa part, l’avocat de l’employeur s’est opposé vigoureusement à la présentation d’une telle preuve. Il a soutenu que cette preuve était privilégiée pour l’une ou les deux raisons. En premier lieu, il s’agissait de négociations en vue d’un règlement qui, selon sa définition, sont considérées comme privilégiées; autrement, les parties à un différend n’essayeraient jamais de régler une question de crainte que toute concession faite dans le cadre de ces négociations puisse être utilisée contre elles si la question n’est pas réglée. En deuxième lieu, il a soutenu que les négociations entre les parties pendant les diverses étapes d’une procédure de règlement des griefs sont considérées comme privilégiées pour la même raison. Il a invoqué la doctrine de Gorsky et Usprich, Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration (Toronto, 1994), vol. 1, ch. 4.1; Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1; Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 33.

62 L’avocat de l’employeur a également répété son objection selon laquelle, si la preuve était présentée, elle ne devait pas être utilisée pour changer la nature du grief, passant d’une demande de télétravail de cinq jours à autre chose.

63 J’ai conclu qu’étant donné la nature du grief, la preuve devait être présentée de façon provisoire. J’ai conclu ainsi, car s’il s’agissait d’une obligation d’adaptation, la preuve quant à savoir si l’employeur avait fait des efforts pour adopter une mesure d’adaptation après le dépôt du grief pourrait être pertinente. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation consiste en une obligation souple qui exige la collaboration de l’employeur et de l’employé, ainsi que, dans une moindre mesure, du syndicat. Elle exige des discussions continues. Par conséquent, le fait que certaines de ces discussions ou enquêtes ont eu lieu – ou n’ont pas eu lieu – après le dépôt d’un grief pourrait être pertinent s’il est déterminé qu’il existait une obligation de prendre des mesures d’adaptation. J’ai également constaté que, dans Melanson et Schenkman, une preuve semblable avait été admise de façon provisoire et les arbitres de griefs des deux cas ont ensuite conclu que la preuve n’était pas pertinente (et, par conséquent, elle n’a pas été répétée dans leur décision).

64 Par conséquent, j’ai admis la preuve, de façon provisoire et sous réserve de ma conclusion définitive quant à la pertinence ou au caractère privilégié de la preuve en question. La preuve comprenait également l’élément de preuve présenté à titre de pièce E2, onglets 14 à 36, consistant en des courriels et de la correspondance entre l’employeur et la fonctionnaire ou son représentant après la date de dépôt du grief. Après avoir examiné toutes les questions en litige et les éléments de preuve, je suis convaincu qu’une preuve après le dépôt du grief n’est pas pertinente. Les motifs de ma conclusion sont indiqués dans le cadre de mon analyse et de ma décision. Par conséquent, je ne répéterai pas la preuve après le dépôt du grief à ce stade et je ne la mentionnerai pas non plus dans le cadre de ma décision.

V. Arguments

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

65 Le représentant de la fonctionnaire a commencé en indiquant que les faits ne sont pas contestés ou ils sont peu contestés. Il a indiqué que tous les témoins avaient témoigné de manière directe et franche. Les questions en litige consistaient essentiellement en des questions de droit plutôt que des questions concernant la crédibilité.

66 Le représentant de la fonctionnaire a renvoyé à l’article 61 de la convention collective pertinente, lequel interdit la discrimination fondée, entre autres, sur le sexe et la situation de famille. Il a également invoqué le paragraphe 3(1), les articles 3.1 et 10, ainsi que l’alinéa 7b) de la LCDP. Il a soutenu que l’effet total de ces dispositions est d’interdire à un employeur d’établir ou de suivre des politiques qui ont pour conséquence d’empêcher un employé de profiter des possibilités d’emploi pour un motif de distinction illicite et plus particulièrement au motif du sexe ou de l’état de la famille ou d’une combinaison de ces derniers. Les articles 7 et 10 sont ainsi rédigés :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

67 Le représentant de la fonctionnaire a affirmé que les politiques ou les exigences en matière d’emploi qui ont eu une incidence négative sur la décision d’une femme d’allaiter son enfant pourraient être considérées comme une discrimination fondée sur le sexe, sur la situation de famille ou sur les deux. Il s’agissait d’une discrimination fondée sur le sexe en ce que les femmes sont les seules qui peuvent allaiter un enfant. Il s’agissait d’une discrimination fondée sur la situation de famille en ce que l’allaitement maternel découlait du statut de la femme en tant que parent ayant des obligations et des responsabilités quant au soin et à l’alimentation de son enfant.

68 Le représentant de la fonctionnaire a affirmé que la jurisprudence indique clairement que l’acte d’allaitement maternel est unique aux femmes et que, par conséquent, il s’agit d’une caractéristique fondée sur le sexe. Par conséquent, toute conduite discriminatoire relativement à l’allaitement maternel constitue une discrimination fondée sur le sexe. Il ainvoquéPoirier v. British Columbia (Ministry of Municipal Affairs, Recreation & Housing), [1997] B.C.H.R.T.D. No. 14 (QL) (« Poirier »), aux paragraphes 7 et 8; Cole v. Bell Canada, 2007 CHRT 7 (« Cole »), aux paragraphes 59 à 64; Carewest v. H.S.A.A. (2001), 93 L.A.C. (4e) 129 (« Carewest »), aux paragraphes 76 à 78.

69 Le représentant de la fonctionnaire a reconnu qu’il incombe à la fonctionnaire d’établir la preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe ou la situation de famille. Il a soutenu que le critère a été respecté.

70 Le représentant de la fonctionnaire a ensuite invoqué la décision récente rendue par la Cour d’appel fédérale, Canada (Attorney General) v. Johnstone, 2014 FCA 110 (« CAF – Johnstone »). Il a soutenu que, même si cette décision a été prise dans le contexte d’une discrimination fondée sur la situation de famille, ses principes s’appliquent également à une discrimination fondée sur le sexe. Il a fait valoir que les énoncés de la Cour au paragraphe 68 selon lesquels les motifs de distinction illicites fondés sur la situation de famille [traduction] « […] traitent habituellement de caractéristiques personnelles immuables ou considérées immuables […] » et au paragraphe 71 selon lequel « […] les obligations parentales dont l’acquittement est protégé par la Loi canadienne sur les droits de la personne sont celles qui engagent, si elles ne sont pas acquittées, la responsabilité légale du parent envers l’enfant » appuyaient les arguments de la fonctionnaire.

71 Le représentant de la fonctionnaire a invoqué le critère établi par la Cour au paragraphe 93 de sa décision. La Cour a conclu qu’afin d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille, un demandeur devait démontrer ce qui suit :

[Traduction]

[…] i) qu’un enfant est sous ses soins et sa supervision; ii) que l’obligation relative aux soins des enfants en litige engage la responsabilité légale de la personne à l’égard de cet enfant, contrairement à un choix personnel; iii) qu’il a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ces obligations relatives aux soins des enfants à l’aide de solutions de rechange raisonnables et qu’aucune solution de rechange n’est accessible; iv) que la règle relative au milieu de travail contestée nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à l’acquittement de l’obligation relative aux soins des enfants.

72 Le représentant de la fonctionnaire a affirmé que les quatre facteurs ont tous été établis en l’espèce. Le premier était évident. En ce qui concerne le deuxième critère, le représentant de la fonctionnaire a soutenu que l’allaitement maternel constitue une caractéristique personnelle immuable ou considérée immuable du sexe féminin (en ce que les femmes sont les seules qui peuvent allaiter un enfant). Il a insisté sur le fait que la décision liée à l’allaitement maternel ne consistait pas simplement en un choix personnel. Le choix lié à l’allaitement maternel a été fait au moment de la naissance du bébé et, une fois fait, il devient un aspect de l’obligation légale de la mère d’alimenter son enfant. Puisqu’il faisait partie de l’obligation légale de la femme, à titre de parent, d’alimenter son enfant, son employeur ne pouvait porter atteinte à cette obligation sans que cela soit considéré comme une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe et, en fait, sur la situation de famille.

73 À ce stade, le représentant de la fonctionnaire a mis l’accent sur le fait que la question en litige ne consistait pas à savoir si le nourrisson avait un besoin physique ou médical particulier qui exigeait l’allaitement maternel (comme dans Cole et Carewest). Au contraire, la question en litige était fondée uniquement sur la décision initiale d’une mère de savoir comment elle alimenterait son enfant. Une fois qu’elle a choisi d’engager son obligation légale d’alimenter son enfant par l’allaitement maternel, elle avait le droit de continuer de le faire aussi longtemps qu’elle le souhaitait, sans être victime d’une discrimination. Lorsqu’elle a été interrogée relativement à la question de savoir s’il existait une limite quant à la durée pendant laquelle une décision d’allaiter un enfant pouvait être protégée en vertu de ce principe, le représentant s’est ravisé quelque peu en soutenant qu’elle pouvait le faire pendant une [traduction] « période raisonnable ».

74 En ce qui concerne la troisième exigence, le représentant de la fonctionnaire a soutenu que la fonctionnaire a tenté de présenter des solutions de rechange, mais qu’aucune solution n’était raisonnablement disponible. En dernier lieu, le refus de l’employeur de lui laisser faire du télétravail à domicile cinq jours par semaine nuisait de manière plus que négligeable ou insignifiante à sa capacité de s’acquitter de son obligation légale de continuer d’allaiter son enfant.

75 Le représentant de la fonctionnaire a ensuite traité de la question liée à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur. Il a indiqué que la fonctionnaire avait présenté sa demande initiale bien en avance de sa date prévue de retour au travail, mais l’employeur a omis de lui fournir une réponse rapide. La réponse qui a finalement été donnée constituait un simple refus de sa demande, ne lui offrant qu’un congé non payé prolongé. Aucune autre solution de rechange n’a été offerte. La fonctionnaire a ensuite offert de modifier sa demande pour inclure quelques jours de télétravail, à laquelle la réponse initiale de l’employeur lui permettait de faire du télétravail deux jours par semaine, offre qui a ensuite été retirée pour lui offrir qu’un seul jour de télétravail par semaine. Aucune explication n’a été donnée pour le refus de l’employeur de lui accorder sa demande initiale ou pour son retrait subséquent de son offre initiale de lui permettre de faire du télétravail deux jours par semaine, autre que la réduction des effectifs qui a eu lieu. Toutefois, il n’y avait aucune preuve pour suggérer que le bureau de Burlington avait subi des conséquences négatives en raison de la réduction des effectifs. Il n’y avait aucune preuve non plus pour expliquer la raison pour laquelle le télétravail cinq jours par semaine par la fonctionnaire était moins avantageux relativement aux activités de l’employeur que son congé non payé. En résumé, l’employeur avait omis de présenter une contre-proposition raisonnable à la demande d’adaptation de la fonctionnaire.

76 En guise de conclusion, le représentant de la fonctionnaire a fait valoir que je devrais conclure qu’une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe ou sur la situation de famille ou sur les deux a été établie, que l’employeur a omis d’adopter une mesure d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire et qu’elle a subi des dommages et une perte en conséquence. En guise de réparation, il a affirmé que je devrais ordonner une compensation selon la forme suivante :

[Traduction]

  1. le congé qu’elle a été obligée de prendre entre mars et juillet 2013;
  2. le rétablissement des congés annuels qu’elle a dû utiliser au cours de cette même période;
  3. les dommages subis pour avoir mis fin à l’allaitement maternel par le 1er octobre 2013 plutôt qu’en mars 2014;
  4. les dommages prévus par la LCDP, tel que cela a été indiqué dans les arguments de la CCDP;
  5. que [je] réserve la compétence relativement à la mise en œuvre de la décision dans l’éventualité où les parties ne sont pas en mesure de parvenir à une entente.

B. Pour l’employeur

77 L’avocat de l’employeur a commencé ses arguments en indiquant qu’il s’agissait d’un cas important pour l’employeur, dont la décision pourrait avoir des répercussions profondes sur son organisation. Tel qu’il l’a fait au début de l’audience, il a mis l’accent sur le fait que ce grief porte sur une demande de télétravail à domicile cinq jours par semaine pour permettre à la fonctionnaire d’allaiter son enfant, tel qu’elle le souhaite, après un an de congé de maternité. Il ne portait pas sur aucune autre mesure d’adaptation possible ni sur aucun autre nombre de jours de télétravail. Il a soutenu que les discussions et les négociations qui ont eu lieu après le dépôt du grief ne sont pas pertinentes à la question de savoir si la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination. Une telle preuve pourrait devenir pertinente uniquement après une conclusion selon laquelle la fonctionnaire avait établi de tels arguments.

78 L’avocat de l’employeur s’est fondé en grande partie sur la décision récente rendue dans CAF-Johnstone. Il a soutenu que la décision représentait une élaboration importante du droit relativement à la discrimination fondée sur la situation de famille. Il a indiqué que le critère nécessaire pour établir une preuve prima facie, déjà examiné dans le cadre de la présente décision, et il a soutenu que, selon les faits de l’espèce, la fonctionnaire ne pouvait pas répondre au deuxième critère ni au troisième critère, à savoir :

[Traduction]

[…] ii) que l’obligation relative aux soins des enfants en litige engage la responsabilité légale de la personne à l’égard de cet enfant, contrairement à un choix personnel; iii) qu’il a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ces obligations relatives aux soins des enfants à l’aide de solutions de rechange raisonnables et qu’aucune solution de rechange n’est accessible. […]

79 L’avocat de l’employeur a soutenu que la « responsabilité légale » d’un parent dans une situation comme celle-ci correspond à l’obligation d’alimenter son enfant. Cette obligation est engagée uniquement dans les situations où l’enfant a un certain besoin médical qui ne peut être traité que par cette mesure. Sinon, l’allaitement maternel ne peut pas remplir, en soi, la condition. Dans la mesure où le critère « efforts raisonnables » était concerné, la fonctionnaire n’avait pas établi qu’elle avait envisagé ou essayé d’autres mesures. Par exemple, à un moment donné, elle a indiqué qu’elle avait trouvé une garderie près du bureau de Burlington qui lui aurait permis de continuer de respecter l’horaire d’allaitement maternel, mais qu’elle a ensuite décidé de ne pas se prévaloir de cette option et est, en fin de compte, revenue à sa proposition initiale. Par conséquent, l’avocat a soutenu que la fonctionnaire n’avait pas répondu au premier critère énoncé dans CAF-Johnstone et qu’elle avait donc omis d’établir une preuve prima facie de discrimination.

80 Subsidiairement, l’avocat de l’employeur a soutenu qu’il y avait un critère plus « souple » relativement à l’établissement d’une preuve prima facie. Il a invoqué la décision Coast Mountains School District No. 82 v. BC Teachers’ Federation (2006), 155 L.A.C. (4e) 411 (« Coast Mountains ») à l’appui de cette observation. Il a mis l’accent sur le fait que l’affaire dont je suis saisi concernait une mère qui retournait au travail après un congé de maternité d’un an. Il a soutenu que l’argument de l’avocat de la fonctionnaire – qu’un choix d’allaiter déclenchait automatiquement une obligation de prendre des mesures d’adaptation – a été présenté à l’arbitre de différends dans Coast Mountains et il a été rejeté. Un choix par rapport à plusieurs options possibles constitue simplement un choix personnel qui n’engage pas une protection en vertu des dispositions législatives en matière des droits de la personne ni des dispositions d’une convention collective.

81 L’avocat de l’employeur a ensuite soutenu que, même si la fonctionnaire avait établi une preuve prima facie, la preuve n’établissait pas une omission de la part de l’employeur de prendre une mesure d’adaptation à son égard. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne constitue pas une obligation à voie unique. L’employé doit collaborer dans le cadre du processus et il n’a pas droit à son choix parmi plusieurs autres solutions de rechange, dont chacun représente une mesure d’adaptation convenable. Il s’agit d’un choix que l’employeur a le droit de faire. Il a invoqué Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 60, et King c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 122. En l’espèce, l’employeur avait déployé des efforts avant le dépôt du grief pour adopter des solutions de rechange que la fonctionnaire avait proposées à l’origine, des efforts qui ont été contrecarrés lorsque la fonctionnaire a choisi de revenir à sa proposition initiale.

82 En ce qui concerne les questions concernant des exigences professionnelles justifiées et la contrainte excessive, l’avocat de l’employeur a invoqué le critère établi dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, telle qu’elle est expliquée dans Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43.L’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur n’abroge pas l’obligation de l’employé de travailler ou de s’acquitter au moins des obligations fondamentales de son emploi. L’avocat a également indiqué qu’il n’existe aucune obligation de prendre des mesures d’adaptation procédurale une fois qu’une contrainte excessive est établie et il a invoqué Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) et Cruden, 2014 CAF 131.

83 En l’espèce, l’employeur a subi une réduction des effectifs au cours des années. Il avait un nombre réduit d’employés pour exécuter le travail qui devait être effectué au bureau et dans le cadre de visites sur place. En avril 2012, l’employeur a pris une décision de bonne foi qu’il ne pouvait plus permettre aux employés de faire du télétravail, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, et certainement pas pour cinq jours par semaine. Le fait d’exiger que l’employeur abroge sa décision en permettant à la fonctionnaire de faire du télétravail à domicile cinq jours par semaine pendant un an ou plus constituait une contrainte excessive sur un effectif minime et sur les activités de l’employeur. En l’espèce, les fonctions fondamentales de l’emploi exigeaient que le travail soit exécuté au bureau au moins quatre jours par semaine par (ce que l’employeur a offert à la fonctionnaire). La fonctionnaire a soutenu qu’elle n’était pas en mesure d’accepter cette condition ou qu’elle n’était tout simplement pas disposée à l’accepter. La fonctionnaire essayait de forcer son employeur à créer un nouvel emploi à son égard et de la rémunérer pour cet emploi, ce que Hydro-Québec n’oblige pas à faire.

84 L’avocat de l’employeur a traité les décisions invoquées par l’avocat de la fonctionnaire. Il a soutenu qu’elles pouvaient toutes être distinguées selon leurs faits. Dans certaines, les employeurs ont agi de façon entièrement déraisonnable, en omettant de déployer des efforts médiocres pour adopter des mesures d’adaptation à l’égard de leurs employés. Et outre, ces décisions ont toutes été rendues avant CAF-Johnstone et ne pouvaient plus être invoquées sans risque de se tromper. Par conséquent, la décision rendue dans Cole, par exemple, selon laquelle toute répercussion négative était discriminatoire ne pouvait plus être considérée comme fondée en droit.

85 L’avocat de l’employeur a conclu en soutenant que le grief devrait être rejeté.

C. Pour la CCDP

86 L’avocat de la CCDP n’a pas assisté à l’audience. Ses arguments écrits ont été déposés avant le début de l’audience. Par conséquent, la CCDP a indiqué ce qui suit au paragraphe 3 que ses arguments sont fondés sur sa compréhension des allégations de la fonctionnaire :

[Traduction]

  1. L’horaire de travail imposé par l’employeur avait des répercussions négatives particulières sur Mme Flatt, à titre de mère qui allaite son enfant;
  2. l’employeur aurait pu prendre des mesures d’adaptation pour permettre à Mme Flatt de respecter son horaire d’allaitement maternel sans contrainte excessive en lui offrant un régime de télétravail.

87 L’avocat de la CCDP a indiqué au paragraphe 4 de ses arguments que la CCDP ne représentait pas une partie, mais qu’elle [traduction] « […] agit plutôt dans le cadre de son rôle de représentante de l’intérêt public, en fournissant des arguments concernant l’interprétation ou l’application générale de la LCDP ».

88 L’avocat de la CCDP a soutenu au paragraphe 5 que les questions concernant les droits de la personne soulevées dans ce cas étaient les suivantes :

[Traduction]

  1. La fonctionnaire pouvait-elle établir une preuve prima facie de discrimination?
  2. Dans l’affirmative, l’employeur pouvait-il établir une certaine autre explication non discriminatoire pour sa conduite, par exemple, une fondée sur une exigence professionnelle justifiée?
  3. Dans la négative, quelles sont les réparations convenables?

89 Le début des arguments de l’avocat de la CCDP consistait en une analyse des principes généraux applicables aux cas de présumée discrimination. En ce qui concerne le fardeau initial imposé à un plaignant pour établir une preuve prima facie, il a invoqué le paragraphe 17 de CAF-Johnstone et son commentaire selon lequel le critère était [traduction] « nécessairement souple et contextuel » (je constate que l’avocat de la CCDP n’a mentionné aucunement l’examen de la Cour d’appel fédérale quant à savoir ce qui est nécessaire pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille).

90 En abordant la première question, l’avocat de la CCDP a soutenu au paragraphe 20 que, [traduction] « selon la jurisprudence concernant les droits de la personne, un traitement différentiel d’une mère fondé sur le fait qu’elle allaite un enfant constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe et suggère fortement qu’il constitue également une forme de discrimination fondée sur la situation de famille ». À l’appui de cette proposition, il a cité le paragraphe 21 la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) dans Cole et la décision d’arbitrage rendue dans Carewest.

91 L’avocat de la CCDP a soutenu au paragraphe 24 que [traduction] « […] les décideurs en matière de droits de la personne ont rejeté les suggestions selon lesquelles l’allaitement maternel constitue une question de préférence personnelle qui ne justifie pas une protection des droits de la personne, sans preuve d’une nécessité médicale », en invoquant encore une fois Cole.

92 L’avocat de la CCDP a ensuite abordé la question de savoir si la fonctionnaire avait fait l’objet d’un traitement différentiel négatif particulier fondé sur le sexe, la situation de famille ou les deux. En invoquant encore une fois Cole et Carewest, il a fait valoir aux paragraphes 25 à 28 que les horaires de travail qui nuisent ou qui rendent impossible de respecter l’horaire d’allaitement maternel d’une mère constituent un traitement différentiel négatif particulier fondé sur l’un ou l’autre ou les deux motifs.

93 L’avocat de la CCDP a abordé ensuite, aux paragraphes 29 à 37, la question concernant ce que l’employeur devait démontrer en ce qui concerne son obligation de prendre des mesures d’adaptation et si une contrainte excessive pouvait être établie. Il a conclu au paragraphe 38 en indiquant la capacité de la Commission d’accorder des dommages jusqu’à concurrence de 20 000 $ pour préjudice moral et une compensation spéciale jusqu’à concurrence de 20 000 $ si la discrimination était délibérée ou découlait de sa négligence.

D. Réplique au nom de la fonctionnaire s’estimant lésée

94 L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir qu’il s’agissait d’un grief continu et que, à ce titre, la preuve de ce qui s’est produit après le dépôt du grief était pertinente. Le temps ne s’arrête pas lorsqu’un grief est déposé, au moins dans le cas d’un grief fondé sur une discrimination et sur l’omission de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de l’employé.

95 En ce qui concerne CAF-Johnstone, l’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que, selon les faits, l’employeur avait reconnu son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Le fait que l’employeur a tenté de prendre une mesure d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire, même si ce n’était pas dans la mesure nécessaire, n’a pas été contesté. Il était trop tard à l’audience pour l’employeur de soutenir que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’avait pas été déclenchée. En outre, dans le cadre des négociations qui ont eu lieu avant le dépôt du grief, l’employeur, et non la fonctionnaire, avait modifié sa position de façon fondamentale. Il lui avait offert, à l’origine, la possibilité de faire du télétravail deux jours par semaine, mais il a ensuite modifié unilatéralement la proposition à uniquement un jour par semaine.

96 En ce qui concerne Hydro-Québec, la question centrale à trancher consistait à savoir si la norme d’emploi de l’employeur était rationnelle. Toutefois, en ce qui concerne le cas dont je suis saisi, la position de l’employeur – selon laquelle la fonctionnaire pouvait faire du télétravail un jour par semaine ou prendre un congé autorisé prolongé non payé – n’avait aucune logique sur le plan rationnel. Si la modification à la politique d’avril 2012 était fondée sur la réduction de la taille de l’effectif, comment pourrait-il être logique que la fonctionnaire ne travaille pas pendant son congé prolongé? N’aurait-il pas été plus logique et plus rationnel du point de vue des activités de l’employeur que la fonctionnaire fasse du télétravail cinq jours par semaine plutôt que de ne pas travailler? Un travail utile était sûrement mieux que pas de travail du tout. Il n’y a aucune preuve selon laquelle il serait impossible pour l’employeur d’adopter une mesure d’adaptation à son égard. D’autres personnes – y compris la fonctionnaire – avaient fait du télétravail dans le passé. Aucun autre employé du bureau n’a témoigné non plus pour indiquer que le télétravail de la fonctionnaire aurait eu une incidence négative sur leur travail.

VI. Analyse et décision

97 Ce grief soulève des questions difficiles auxquelles il existe peu de réponses logiques. Les exigences de travail qui ont une incidence sur les horaires d’allaitement maternel d’un employé constituent-elles une discrimination? Dans l’affirmative, s’agit-il d’une discrimination fondée sur le sexe, sur la situation de famille ou sur les deux? De plus, la distinction, s’il y a lieu, est-elle importante? Quels sont les éléments nécessaires qui permettraient à la fonctionnaire d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur l’allaitement maternel? Quelle est l’obligation d’adaptation, le cas échéant, d’un employeur à l’égard d’une employée qui allaite un enfant? De plus, dans quelle mesure cette obligation existe-t-elle et quelle est sa durée? Certaines de ces questions sont abordées dans la section qui suit.

98 Avant de procéder, je dois aborder deux des questions soulevées dans les arguments des avocats.

99 En premier lieu, je n’accepte pas que la tentative initiale de l’employeur d’élaborer une certaine mesure d’adaptation constituait une admission selon laquelle la fonctionnaire avait établi une preuve prima facie de discrimination – ni que l’employeur avait en fait une obligation de prendre des mesures d’adaptation. Les employeurs les plus rationnels et raisonnables, agissant de bonne foi, écouteront et tiendront compte, dans le cours normal de leurs activités, des demandes d’adaptation d’un employé. Cela ne signifie pas qu’ils conviennent qu’ils ont une obligation de prendre des mesures d’adaptation; cela ne signifie qu’ils sont des employeurs prévenants. C’est l’objectif de bonnes relations de travail. Une conclusion selon laquelle ces discussions constituent une admission qu’une mesure d’adaptation est nécessaire jetterait un froid sur les relations de travail de bonne foi. En outre, ces discussions sont souvent tenues entre les employés et les représentants syndicaux d’une part et les superviseurs de premières lignes ou les gestionnaires d’autre part. Ces derniers exercent leurs fonctions à un niveau bas de la structure de gestion d’un employeur et n’ont souvent pas le pouvoir nécessaire pour lier l’employeur; c’est-à-dire qu’ils ne sont pas des parties ayant le pouvoir de passation de contrats; voir, par exemple, Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, au paragr. 76. En dernier lieu, ces questions sont essentiellement des questions juridiques fondées sur les constatations de fait d’un arbitre de grief. Le fait qu’un gestionnaire puisse croire qu’il existe une obligation de prendre des mesures d’adaptation ne permet pas de déterminer ou de limiter la responsabilité d’un arbitre de grief de trancher la question; voir, par exemple, Ahmad c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 60, au paragr. 126, confirmé dans Ahmad c. Canada Revenue Agency, dossier de la CF T-1122-13.

100 En deuxième lieu et en abordant la question relative à la portée du grief, je suis d’avis que le grief dont je suis saisi est celui qui a été déposé, lequel indiquait que l’employeur avait omis de prendre une mesure d’adaptation en vue de permettre à la fonctionnaire d’allaiter son enfant, tel qu’elle le souhaite, en lui permettant de faire du télétravail cinq jours par semaine. Il s’agissait de la demande initiale de la fonctionnaire en novembre 2012 et de la demande sur laquelle est fondé le grief qui a été déposé en mars 2013. Il est vrai qu’entre ces dates, la fonctionnaire a suggéré qu’elle serait disposée à faire du télétravail pendant un nombre inférieur de jours, pourvu que certaines autres modifications soient apportées à son horaire de travail. Toutefois, il demeure qu’en fin de compte elle a refusé ces autres propositions et qu’elle est revenue à sa demande initiale selon sa forme originale. Si son grief avait porté simplement sur le fait qu’une mesure d’adaptation n’avait pas été prise à son égard, elle n’aurait pas écarté la possibilité d’une autre forme de mesure d’adaptation, autre que le télétravail de cinq jours. Toutefois, ce n’est pas ce qu’elle a fait. Son grief portait sur le fait que l’allaitement maternel exige une mesure d’adaptation axée sur une forme précise et particulière de travail. Par conséquent, il s’agit du grief dont je traiterai.

A. Les exigences de travail qui ont une incidence sur l’horaire d’allaitement maternel d’une employée constituent-elles une discrimination? Dans l’affirmative, s’agit-il d’une discrimination fondée sur le sexe, sur la situation de famille ou sur les deux?

                                                                                                                             

101 À l’audience, les parties ont invoqué uniquement quatre décisions publiées qui traitent de la question, à savoir : Poirier, Carewest, Cole et Coast Mountains. Les trois premières posent problème. La quatrième, Coast Mountains, bien que je suis d’avis est mieux motivée, est quand même affaiblie par le fait qu’elle est fondée sur Poirier.

1. Poirier

102 La conclusion selon laquelle toute incidence négative subie par une femme qui allaite son enfant constitue une discrimination fondée sur le sexe tire son origine de Poirier. Malheureusement, le fondement analytique et conceptuel de cette décision – et de sa conclusion – ne résiste pas à un examen approfondi.

103 Dans Poirier, la plaignante avait donné naissance à sa fille le 31 août 1990. Entre le 17 décembre 1990 (date à laquelle l’enfant était âgé de 3,5 mois) et mars 1991 (lorsqu’elle avait 6 mois), l’enfant de la plaignante était emmenée au lieu de travail de la plaignante pendant une période de 1,5 heure par jour entre 12 h 30 et 14 h aux fins d’allaitement maternel. La pause-repas de la plaignante était d’une heure. Elle a continué de travailler pendant un certain temps pendant qu’elle allaitait son enfant. Si sa fille n’était pas calme pendant l’allaitement maternel, la plaignante l’apportait à la salle de premiers soins où c’était relativement tranquille et propice à l’allaitement maternel de l’enfant.

104 Pendant cette période, le défendeur dans ce cas n’avait aucune politique officielle concernant l’allaitement maternel dans le milieu de travail. Avant de conclure cette entente, la plaignante en avait discuté avec son superviseur et ses collègues. Ils avaient convenu qu’il n’y aurait aucun problème relatif à l’entente. Ce qui était vrai jusqu’à ce que la plaignante ait assisté à des séminaires au milieu de travail durant la pause-repas pendant qu’elle allaitait son enfant. Après cela, le défendeur a fait l’objet de plusieurs plaintes (une plainte écrite et le reste des plaintes verbales) d’autres femmes relativement au fait que la plaignante avait allaité son enfant durant le séminaire en présence d’hommes et de femmes.

105 En raison des plaintes, le défendeur a élaboré la politique officieuse suivante :

[Traduction]

  1. il était inapproprié que des enfants soient présents dans le milieu de travail et qu’une politique plus officielle serait élaborée sous peu;
  2. la politique s’appliquait à tout le monde, mais pour le moment, la plaignante pouvait continuer d’apporter son enfant au milieu de travail aux fins d’allaitement maternel.

106 Peu de temps après, le superviseur de la plaignante lui a demandé d’allaiter son enfant ailleurs qu’au milieu de travail pendant deux semaines [traduction] « […] dans l’espoir que la controverse au sein du Ministère liée à son allaitement maternel dans le milieu de travail se calmerait » (paragraphe 17 de l’énoncé conjoint des faits de Poirier (l’« ECF »)).

107 Après cette demande, la plaignante n’a jamais demandé que son enfant soit apporté à son lieu de travail pour l’allaitement maternel. Elle a témoigné que [traduction] « le message qui [lui] a été communiqué était que [son] enfant n’était plus le bienvenue à son lieu de travail et cela a fait en sorte qu’elle n’était plus en mesure de se détendre assez pour allaiter son enfant à [son] poste de travail » (paragr. 18 de l’ECF).

108 La plainte dans Poirier consistait en le fait que la plaignante avait été victime d’une discrimination fondée sur le sexe de la part du défendeur (contrairement au Code des droits de la personne (le « Code ») de la Colombie-Britannique) lorsqu’il a refusé de lui permettre de continuer d’allaiter son enfant au travail pendant sa pause-repas ou aux séminaires tenus pendant la pause-repas qu’il présentait. La plainte a été entendue par le Tribunal des droits de la personne de la C.-B. (le « TDP de la C.-B. ») sur le fondement d’un énoncé conjoint des faits.

109 Les trois parties – la plaignante, l’employeur et le vice-président de la Commission des droits de la personne de la C.–B. – se sont entendus pour dire que la discrimination envers une femme qui allaite était interdite; voir la page 10. Toutefois, la plaignante et le vice-président de la Commission ont demandé au TDP de la C.-B. d’examiner la question de savoir si une discrimination fondée sur l’allaitement maternel constituait une discrimination en raison de ce qui suit (à la page 11) :

[Traduction]

  1. il n’existait aucune décision canadienne publiée qui pouvait être invoquée à titre de précédent relativement à cette proposition et la Commission estime qu’un jugement motivé sur cette question aurait une valeur importante relativement aux décisions futures;
  2. de plus, un tel jugement aiderait considérablement la Commission au début du règlement de plaintes fondées sur ce motif.

110 Les questions suivantes ont été posées au TDP de la C.-B. :

[Traduction]

  1. Une discrimination fondée sur l’allaitement maternel était-elle interdite par le Code?
  2. La plaignante a-t-elle été victime d’une discrimination de la part du défendeur?
  3. Le défendeur a-t-il pris une mesure d’adaptation à l’égard de la plaignante au point où il a subi une contrainte excessive?

111 Le TDP de la C.-B. a amorcé son analyse au moyen de l’observation selon laquelle [traduction] « […] si la discrimination est fondée sur l’allaitement maternel ne constitue pas une forme de discrimination fondée sur le sexe [le membre du tribunal] « n’avait pas la compétence pour procéder » (à la page 11). Le TDP de la C.-B a ensuite déterminé s’il pouvait conclure qu’il était compétent.

112 Le TDP de la C.-B. a constaté qu’il n’y avait aucun précédent relativement à la question. Il a invoqué la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, qui a indiqué que les « […] distinctions fondées sur la grossesse ne peuvent être autre chose que des distinctions fondées sur le sexe ou, du moins, très "apparentées au sexe" ». Le TDP de la C.-B. a cité un passage de cette décision, qui citait à son tour de l’un des factums, dont la conclusion était ainsi rédigée :

[Traduction]

[…] « La possibilité d’être enceinte est une caractéristique immuable ou un trait propre au sexe, qui distingue les hommes des femmes. Une distinction fondée sur la grossesse n’établit pas seulement une distinction entre les personnes enceintes et celles qui ne le sont pas, elle établit aussi une distinction entre le sexe des personnes susceptibles de devenir enceinte et le sexe de celles qui ne le peuvent pas. »

113 Après cette citation à la page 12, le TDP de la C.-B. est parvenu immédiatement à la conclusion suivante : « […] le même raisonnement s’applique à l’allaitement maternel. La capacité d’allaiter est unique au sexe féminin. Je conclus donc que la discrimination fondée sur l’allaitement maternel constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe ».

114 Le TDP de la C.-B. a ensuite conclu ce qui suit :

[Traduction]

  1. la discrimination fondée sur l’allaitement maternel constituait une discrimination fondée sur le sexe (paragr. 8);
  2. la politique officieuse du défendeur selon laquelle aucun enfant n’était permis au lieu de travail [traduction] « […] avait une incidence négative sur la plaignante à titre de mère qui allaite son enfant » (au paragraphe 21) et, par conséquent, il s’agissait d’une discrimination fondée sur le sexe, ce qui est contraire à l’article 13 du Code (voir le paragraphe 26); mais
  3. la plaignante [traduction] n’avait « […] pas établi une preuve prima facie du fait qu’elle a été victime de discrimination relativement à une mesure d’adaptation ou à une installation qui est habituellement à la disposition du public ou qu’elle s’y est vue refusée en raison de son sexe », ce qui est contraire à l’article 8 du Code (voir le paragraphe 26; ainsi que le paragraphe 27).

115 La décision Poirier comporte un certain nombre de problèmes.

116 La décision Poirier consistait en une décision de première instance. Le fait qu’elle tire son origine en tant qu’application « à l’amiable » entre les parties qui a été limitée par des questions de compétence aux dispositions législatives en matière de droit de la personne est donc malheureux pour deux raisons.

117 En premier lieu, et tel que cela a déjà été indiqué, toutes les parties ont convenu que la règle en litige n’était non seulement discriminatoire, mais constituait également une discrimination fondée sur le sexe. Les demandes fondées sur de telles ententes peuvent être malheureuses parce qu’elles privent un décideur du contexte factuel et des arguments motivés dont il dispose habituellement lorsque les parties contestent des questions en litige. Le raisonnement du décideur peut donc devenir abrégé et axé sur les résultats. Même si une telle diminution ne pose aucun problème pour les parties (qui ont déjà convenu au résultat), il peut poser un problème lorsque la décision qui en découle est invoquée à titre de précédent dans des cas futurs.

118 En deuxième lieu, le fait que la question a été abordée en vertu des dispositions en matière de droits de la personne plutôt qu’en vertu d’une convention collective signifiait que les outils analytiques à la disposition du décideur sont plus limités qu’ils le seraient par ailleurs. Par exemple, si la question avait été examinée dans le cadre d’un grief déposé en vertu d’une convention collective, une analyse du changement soudain et plutôt arbitraire des politiques et des règles du défendeur en matière d’allaitement maternel aurait pu être abordée en tant que question liée au caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir de l’employeur pour établir des règles; voir, par exemple, KVP Co. Ltd v. Sawmill Workers’ Union, Local 2537 (1965), 16 L.A.C. 73 et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34.

119 Pour ces motifs, je suis d’avis qu’il est important d’analyser le raisonnement dans Poirier afin de clarifier le motif sous-jacent de la décision. Cela nous apporte, à son tour, à la décision et au motif de Brooks, qui ont été invoqués dans Poirier et qui étaient censés s’appliquer.

120 La décision Brooks concernait un régime d’assurance collective d’un employeur. Le régime prévoyait des prestations hebdomadaires en cas de perte de salaire pour cause de maladie ou d’accident. Le régime s’appliquait aux femmes enceintes. Toutefois, le régime ne s’appliquait pas aux femmes enceintes pendant une période commençant la dixième semaine précédant la semaine présumée de l’accouchement et finissant la sixième semaine après celle de l’accouchement. L’exclusion s’appliquait même si la femme en question était en congé pendant la période d’exclusion pour cause d’accident, de maladie ou d’une déficience liée à sa grossesse.

121 Lorsque le cas était devant la Cour suprême du Canada, la question en litige consistait à déterminer si l’exclusion était discriminatoire et, dans l’affirmative, si elle constituait une discrimination fondée sur le sexe ou la situation de famille. Lorsqu’elle a examiné la première question – quant à savoir si l’exclusion était discriminatoire – la Cour a mentionné ses décisions antérieures rendues dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143; dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536; dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114. La discrimination dans ces cas est interprétée comme découlant lorsqu’une règle, une pratique ou une norme adoptée par un employeur « […] impose, en raison d’une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d’employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés » : O’Malley, page 551. Selon cette analyse, l’exclusion dans Brooks était clairement discriminatoire. Il a fait une distinction entre un groupe de femmes enceintes particulier – et imposait une pénalité (le refus de prestations auxquelles elles auraient par ailleurs eu droit en vertu du régime) uniquement parce qu’elles étaient enceintes (ou plus précisément, à une étape particulière de leur grossesse).

122 Ayant déterminé que l’exclusion était discriminatoire, la Cour a ensuite examiné la question de savoir s’il s’agissait d’une discrimination fondée sur le sexe. C’était dans le contexte de cet examen que la Cour a adopté l’observation de l’appelante selon laquelle [traduction] « La possibilité d’être enceinte est une caractéristique immuable ou un trait propre au sexe, qui distingue les hommes des femmes », p. 1244c. Cela étant ainsi, les distinctions fondées « […] sur la grossesse ne peuvent être autre chose que des distinctions fondées sur le sexe ou, du moins, très "apparentées au sexe" ». p. 1244d.

123 Le point important à cet égard est que l’analyse requise par Brooks consiste en un processus en deux étapes. Toutefois, la décision rendue dans Poirier – sans aucun doute en raison de l’entente conclue entre les parties – a élidé les deux étapes en un seul énoncé déclaratoire simple. Il est donc nécessaire d’examiner de nouveau l’analyse pour déterminer si elle appuie sa conclusion.

124 L’action de l’employeur dans Poirier était-elle discriminatoire? En d’autres termes, a-t-elle imposé, en raison d’une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d’employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés? Le problème est que, selon les faits, l’employeur a) n’interdisait pas l’allaitement maternel pour toujours, uniquement pendant quelques semaines afin de permettre aux gens de se calmer et b) a interdit l’allaitement maternel parce qu’il avait entraîné de fortes réactions parmi certains de ses autres employés, et c) espérait élaborer des politiques qui lui permettrait de traiter une situation très difficile entre les défenseurs et les opposants relativement à l’allaitement maternel en public. En fait, il semble que la plaignante a réagi autant au fait que certains employés étaient mécontents de sa décision d’allaiter son enfant en public qu’aux efforts plutôt ineptes de plaire à tout le monde (et, par conséquent, il n’a plu à personne). Selon ces circonstances, je ne suis pas d’avis que ces actions étaient discriminatoires au sens de Brooks.

125 L’autre faiblesse de Poirier relativement à cette question consiste en le fait qu’il n’y a eu aucun examen de la question de savoir si les politiques de l’employeur constituaient une discrimination fondée sur la situation de famille. Le manque d’examen semble bizarre, étant donné qu’à ce moment-là, l’ancien paragr. 8(1) du Human Rights Code de la C.-B. interdisait la discrimination relativement aux conditions d’emploi fondée sur la [traduction] « situation de famille […] [ou] le sexe ». Cependant, toutes les parties devant le TDP et devant la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue antérieurement par la CDP de la C.-B. relativement à la même question, ont procédé en fonction de l’hypothèse selon laquelle la discrimination dans le milieu de travail fondée sur l’allaitement maternel constituait une discrimination fondée uniquement sur le sexe; voir, p. ex., Poirier v. British Columbia (Council of Human Rights), [1996] BCJ No. 1795; dans Poirier, le TDP n’a mentionné que le motif illicite fondé sur le sexe lorsqu’il a cité ce qui était alors le paragr. 13(1) du Code.

2. Carewest

126 La décision Carewest consistait en un grief déposé en vertu d’une convention collective. La fonctionnaire s’estimant lésée était une thérapeute permanente à temps partiel qui avait pris un congé de maternité de neuf mois. À la fin de cette période, son enfant refusait le biberon et ne mangeait pas des aliments solides. [Traduction] « […] la source unique d’alimentation [de l’enfant] était l’allaitement maternel toutes les trois heures » (au paragraphe 10). Elle a demandé une prolongation supplémentaire (jusqu’à l’anniversaire d’un an) de son congé de maternité non payé. La convention collective prévoyait des prolongations [traduction] « […] pour la mauvaise santé de la mère ou de l’enfant qui ne devaient pas être refusées de manière déraisonnable » (au paragraphe 2). Les mesures disciplinaires et le congédiement étaient assujettis à l’exigence d’un motif valable. Dans ce cas, l’employeur a refusé sa demande. La fonctionnaire s’estimant lésée a ensuite déposé un grief dans lequel elle allègue la contravention des dispositions de la convention collective portant sur les droits de la direction, sur la discrimination et les congés autorisés. Le grief a été déposé avant sa date initiale de retour au travail. Lorsqu’elle a ensuite informé l’employeur qu’elle ne retournerait pas au travail à cette date afin qu’elle puisse continuer d’allaiter son enfant et qu’elle l’a informé qu’elle ne démissionnait pas, il l’a congédié. Elle a ensuite déposé également un grief portant sur son congédiement.

127 Dans le cadre de l’examen de la question concernant la discrimination, l’arbitre de différends a constaté qu’il n’y avait pas de nombreux cas signalés dans la région (au paragraphe 70). Il a tenu compte de Grace Hospital v. British Columbia Nurses’ Union (1984), 16 L.A.C. (3e) 263, une décision rendue avant Brooks qui avait rejeté le grief concernant une demande de congé prolongé si la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas en mesure de retourner au travail pour [traduction] « des motifs liés à la naissance », au motif que le certificat médical qui avait été invoqué ne constituait pas une preuve suffisante qu’elle n’était pas en mesure de retourner au travail pour des motifs liés à la naissance. (La décision rendue dans Grace Hospital n’est pas surprenante, étant donné que le certificat médical indiquait simplement que la fonctionnaire s’estimant lésée [traduction] « serait absente du travail pour des raisons médicales. »). L’autre décision examinée était Poirier. L’arbitre de différends a adopté le résultat de Poirier, en concluant au paragraphe 78 que l’allaitement maternel, [traduction] « […] même s’il s’agissait d’un choix au moment de la naissance, tel que cela est indiqué dans Brooks, ‘[…] est une caractéristique immuable ou un trait propre au sexe, qui distingue les hommes des femmes’ ». Il a ensuite indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…] Les changements que subit une femme pour lui permettre d’allaiter son enfant sont uniques au sexe féminin. Une femme qui décide d’allaiter son enfant ne devrait pas être vue de la même manière qu’un parent qui décide d’apporter son enfant à une garderie. L’allaitement maternel constitue un choix que seule une femme peut faire au moment de la naissance, mais, une fois qu’il est fait, il est avantageux pour la femme, son enfant et l’ensemble de la société. Je suis d’avis que l’allaitement maternel est lié aussi étroitement à la naissance de l’enfant que la grossesse l’est à la naissance de l’enfant et devrait être protégé de la même manière. Je souscris donc aux conclusions figurant dans la décision Poirier selon lesquelles « […] la discrimination fondée sur l’allaitement maternel constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe ».

128 Ayant parvenu à cette conclusion, l’arbitre de différends a accueilli les deux griefs. Lorsqu’il les a accueillis, il a fondé sa décision uniquement sur la question de savoir s’il y avait eu une discrimination fondée sur le sexe. Il a expressément rejeté l’argument du syndicat selon lequel le refus du congé par l’employeur selon les faits était déraisonnable en vertu de la convention collective; voir le paragraphe 90. Toutefois, il est difficile de comprendre comment, selon les faits dont il disposait, il aurait pu conclure que la décision de l’employeur – dans le contexte de la demande de congé non payé par une employée en vue d’allaiter son enfant dont la source unique d’alimentation, à ce moment-là, était le lait maternel – aurait pu être considérée autrement que comme déraisonnable au sens de la convention collective. Il est également difficile de comprendre comment la décision de l’employeur de congédier une telle employée selon ces faits pourrait être considérée comme ayant été effectuée pour un motif valable. On aurait pensé que, selon le principe d’Occam, une décision fondée sur le texte de la convention collective, plutôt que sur une question plus complexe et moins élaborée de savoir si l’allaitement maternel constitue une discrimination fondée sur le sexe (et, dans l’affirmative, dans quelle mesure), aurait suffi.

129 L’autre point, selon la mesure dans laquelle cet examen s’applique, est le fait qu’il n’y a eu aucun examen dans ce cas selon lequel le motif illicite – le sexe ou la situation de famille – s’appliquait en ce qui concerne l’allaitement maternel. Je suis d’avis que l’arbitre de différends pouvait faire un tel examen puisque, même si la convention collective n’interdisait pas la discrimination fondée sur la situation de famille, la Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act (R.S.A. 1980, c. H-11.7) de l’Alberta l’interdisait; voir les articles 2 et 3.

3. Coast Mountains

130 Il s’agissait d’une autre décision d’arbitrage. La fonctionnaire s’estimant lésée, une enseignante à plein temps, avait demandé un congé de maternité d’un an conformément aux modalités de sa convention collective, congé qui lui a été accordé. La convention collective prévoyait qu’au moment du retour d’un congé de maternité, une enseignante occuperait le même poste – c’est-à-dire celui d’une enseignante à plein temps – qu’elle occupait au début de son congé. Peu de temps avant son retour, elle a demandé une prolongation de son congé de maternité (laquelle pouvait être demandée en vertu de la convention collective pour celles [traduction] « […] qui choisissaient de ne pas retourner au travail […] » (voir le paragraphe 4) en présentant une demande de travailler à temps partiel le matin et un autre enseignant ou enseignante qui souhaitait travailler à temps partiel enseignerait pendant l’après-midi. Voici la raison de sa demande : [traduction] « J’allaitais encore mon enfant et il ne dormait pas bien donc je souhaitais avoir un congé prolongé à temps partiel afin que je puisse m’adapter à mon nouveau rôle de parent avant de retourner à la salle de classe à plein temps » (voir le paragraphe 17).

131 L’employeur a refusé la demande de la fonctionnaire s’estimant lésée. Elle a déposé un grief au motif qu’elle avait été victime d’une discrimination fondée sur le sexe ou sur la situation de famille en vertu du Code.

132 L’arbitre de différends a étudié d’abord la question de savoir si la discrimination fondée sur la situation de famille s’appliquait. Il a suivi la décision rendue par la cour d’appel de la C.-B. dans Health Sciences Assoc. Of B.C. v. Campbell River and North Island Transition Society, 2004 BCCA 260 (« Campbell River »), où le juge avait conclu qu’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille était établie lorsqu’une condition d’emploi était modifiée [traduction] « […] donne lieu à une atteinte grave à une obligation parentale importante de l’employé ». Dans le cas dont il était saisi, l’arbitre de différends a conclu que le critère n’avait pas été respecté. On ne pouvait suggérer que la situation de la fonctionnaire s’estimant lésée était [traduction] « autre chose qu’une situation commune » (voir le paragraphe 39). Le bébé était en bonne santé. La position de la fonctionnaire s’estimant lésée ne différait pas de celle de nombreuses autres mères qui préféreraient retourner au travail à temps partiel après leur congé de maternité plutôt qu’à plein temps. Il a indiqué ce qui suit au paragraphe 39 :

[Traduction]

[…] si le Syndicat a raison et qu’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la « situation de famille » a été établie, on devra parvenir à cette même conclusion dans presque tous les cas où une employée à plein temps se voie refuser une demande de travailler à temps partiel pendant une certaine période suivant la fin de son congé de maternité, sous réserve uniquement du cas où l’employeur peut démontrer une contrainte excessive. […]

133 L’arbitre de différends a ensuite étudié la discrimination fondée sur le sexe. En ce qui concerne ce point, il souscrivait à la conclusion de Poirier selon laquelle la discrimination concernant l’allaitement maternel constituait une discrimination fondée sur le sexe; voir les paragraphes 42 et 43. Toutefois, dans ce cas, la fonctionnaire s’estimant lésée (contrairement à Carewest) n’avait fourni aucune preuve quant à ce qui suit (au paragraphe 48) :

[Traduction]

[…] la raison pour laquelle le fait de secréter le lait afin que les gardiens ou gardiennes puissent alimenter son enfant à l’aide d’un biberon n’aurait pas suffi en ce qui concerne l’alimentation de l’enfant selon la fréquence réduite de l’allaitement maternel; aucune suggestion n’a été fournie […][que l’employeur] aurait refusé que l’enfant lui [la fonctionnaire s’estimant lésée] soit apporté […] aux fins d’allaitement maternel. […]

134 Lorsqu’il a appliqué encore une fois le critère prévu dans Campbell River, l’arbitre de différends a conclu que [traduction] « […] même si le fait de travailler à plein temps ne constituait pas son choix préféré, il n’y avait aucune preuve qu’il s’agissait de la seule méthode dont elle pouvait se prévaloir » (voir le paragraphe 48). La preuve ne suffisait pas à établir [traduction] « […] le lien de causalité entre le traitement négatif qu’a supposément subi [la fonctionnaire s’estimant lésée], d’une part, et des options qui lui ont été offertes par le Conseil scolaire, d’autre part, qui sont requis par l’interdiction de la discrimination [fondée sur le sexe] prévus par le Human RightsCode ».

135 L’arbitre de différends a rejeté le grief.

4. Cole

136 Dans Cole, lorsque l’enfant de la plaignante est né, il souffrait d’une cardiopathie congénitale. Il a dû subir une angioplastie lorsqu’il n’était âgé que de quatre mois. Il était susceptible d’avoir à subir d’autres chirurgies lorsqu’il serait plus âgé. Étant donné l’état de son enfant, ses médecins [traduction] « […] ont recommandé qu’elle l’allaite le plus longtemps possible en vue de renforcer son système immunitaire » (voir le paragraphe 4). Un témoignage d’expert a été entendu à l’audience selon lequel les enfants qui souffrent d’une cardiopathie congénitale sont à risque d’infections bactériennes et que l’allaitement maternel faisait en sorte qu’ils soient moins à risque d’infections bactériennes et les permettaient de mieux les combattre s’ils en subissaient une.

137 La plaignante a suivi les directives du médecin de son fils et l’a allaité jusqu’à l’âge de sept mois. Elle lui a ensuite fait essayer des aliments solides. Lorsqu’il avait presque un an, il avait adopté une routine d’allaitement maternel trois à quatre fois par jour : à 6 h 30, à 16 h 30, à 21 h et à 22 h et parfois pendant la nuit.

138 À l’origine, la plaignante avait demandé un congé personnel non payé d’une heure chaque jour pour allaiter son bébé. Puisque son quart normal se terminait habituellement à 16 h, sa demande lui aurait permis de quitter le travail à 15 h, de se rendre à la maison du gardien ou de la gardienne et de l’allaiter à 16 h 30. Cette demande a été refusée. La plaignante a ensuite [traduction] « […] réduit sa demande pour ce qui consistait, selon elle, en le strict minimum […] » et a demandé que son quart se termine à 16 h (voir le paragraphe 57). Elle a présenté cette demande, car elle devait parfois, environ trois fois par année, travailler jusqu’à 16 h 15. Son employeur lui a demandé de présenter un document médical [traduction] « […] confirmant la mesure d’adaptation nécessaire en raison des problèmes de santé de son fils » (voir le paragraphe 18), ce qu’elle a fait (même si la note en soi n’indiquait simplement – ce qui est malheureusement trop commun dans les cas concernant une note médicale – qu’il lui avait été recommandé de quitter son lieu de travail à 16 h [traduction] « […] pour des raisons médicales »; voir le paragraphe 20). La note a été examinée par le Groupe de gestion des cas d’invalidité (le « GGI ») de l’employeur, qui avait été mis sur pied en vue d’assurer la confidentialité et la protection des renseignements personnels et médicaux des employés. Le GGI estimait que la note ne comportait pas suffisamment de détails et en a demandé une autre. Cette fois-ci, la note du médecin indiquait qu’elle devrait quitter le travail à 16 h pendant une période de 12 mois [traduction] « en vue de prévenir une mastite récurrente » (voir le paragraphe 23). Cette note a été jugée suffisante et on a attribué à la plaignante des quarts exclusivement de 8 h à 16 h pendant une période de 12 mois, se terminant le 24 mai 2002 (date à laquelle son enfant aurait été âgé de deux ans).

139 En mars 2002, puisque la fin de la période de 12 mois approchait, l’employeur a informé la plaignante qu’un nouveau document médical serait requis pour appuyer une prolongation de la mesure d’adaptation existante. En raison de ce qui semble avoir été une défaillance des communications entre les diverses personnes concernées (le GGI, les conseillers médicaux, la plaignante, ses superviseurs et son médecin), un échange de rapports de plus en plus détaillés (mais quand même vagues) a eu lieu entre le médecin de la plaignante et le GGI et son conseiller médical quant à la raison de la mesure d’adaptation consistant en un quart fixe. À la fin, la plaignante s’était résignée à s’attendre à ce qu’elle soit éventuellement tenue de travailler des quarts plus tard. Par conséquent, elle a mis fin à l’allaitement de 16 h 30 de son fils en octobre 2002 (date à laquelle il était âgé d’environ deux ans et demi) et en mars 2003 (lorsqu’il avait trois ans) elle la sevré entièrement de l’allaitement maternel. Toutefois, il convient de noter qu’en fait, l’employeur n’a pas éliminé son horaire de quarts fixes avant mars 2003. (Il y avait une certaine confusion entre les parties quant à savoir ce que chacune avait communiqué à l’autre jusqu’en mars 2003. Il demeure qu’elle avait encore des quarts fixes jusqu’en mars 2003).

140 Mme Cole a déposé sa plainte pour atteinte aux droits de la personne auprès du TCDP en avril 2004, plus d’un an après qu’elle avait sevré son enfant de l’allaitement maternel. Selon son allégation initiale, elle avait été victime d’une discrimination fondée sur le sexe et sur la situation de famille. Le TCDP a indiqué que le raisonnement dans Poirier – qu’une distinction fondée sur l’allaitement maternel constituait une distinction fondée sur le sexe – pouvait appuyer une conclusion parallèle relativement à une distinction fondée sur la situation de famille. Toutefois, les arguments et le témoignage de la plaignante à l’audience étaient axés sur une discrimination fondée sur le sexe, plutôt que sur la situation de famille. Cela étant ainsi, le TCDP a choisi de rejeter la partie de la plainte fondée sur la situation de famille. Il a ensuite étudié la question liée à la discrimination fondée sur le sexe.

141 La première étape du TCDP consistait à suivre la décision rendue dans Poirier selon laquelle [traduction] « […] une discrimination fondée sur le fait qu’une personne allaite son enfant constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe » (voir le paragraphe 50). Je remarque que, encore une fois, aucun examen de la question de savoir si la discrimination pouvait être fondée sur la situation de famille par opposition au sexe n’a été effectué, même si la première constitue également un motif illicite en vertu de la LCDP. Le TCDP a ensuite examiné la question de savoir si la plaignante avait établi une preuve prima facie d’un traitement différentiel fondé sur son sexe.

142 Selon les faits, l’employeur avait accepté la demande de la plaignante qu’elle obtienne un horaire de travail fixe garanti de 8 h à 16 h afin de lui permettre de continuer d’allaiter son enfant. Malgré cette mesure d’adaptation, le TCDP a conclu que la plaignante avait établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe. Il est parvenu à cette conclusion parce que l’employeur avait fondé sa décision sur une preuve médicale provenant du médecin de la plaignante. Pourquoi cela était-il erroné? Parce que, selon le TCDP, ce faisant, l’employeur avait converti la question [traduction] « en une question médicale » (voir le paragraphe 57). Le TCDP était d’avis que l’employeur [traduction] « […] n’avait jamais traité la demande comme une demande provenant d’une mère qui allaite son enfant […][mais provenant] d’une employée malade ou invalide (voir le paragraphe 63). Ce faisant, l’employeur l’assujettissait à des conditions et à des précisions qu’il n’imposerait pas aux employés masculins (voir le paragraphe 63). Selon le TCDP, cela a permis d’établir [traduction] « [une] preuve prima facie du traitement différentiel fondé sur le sexe de Mme Cole […] » (voir le paragraphe 64).

143 Je m’arrête ici pour indiquer que le raisonnement du TCDP sur ce point est, respectueusement, obscur. Essentiellement, l’employeur a pris une mesure d’adaptation pour accorder la demande de la plaignante d’avoir une heure fixe de fin de son quart pendant un an. Cela étant ainsi, il est difficile de comprendre comment le motif de la décision de l’employeur d’accorder la mesure d’adaptation qui avait été demandée – un appui médical – a converti sa mesure d’adaptation en une discrimination.

144 Le TCDP a ensuite étudié la question de savoir si l’employeur, comme l’a indiqué le TCDP, avait répondu à la preuve prima facie établie à son égard.

145 Le TCDP a commencé son analyse en indiquant qu’une fois qu’une preuve prima facie avait été établie, un employeur pouvait établir qu’il n’agissait pas de manière discriminatoire si son refus de la demande initiale et ensuite sa demande d’un appui médical étaient fondés sur une exigence professionnelle justifiée ou que l’adoption d’une mesure d’adaptation à l’égard de la plaignante lui imposerait une contrainte excessive. Le TCDP a indiqué que l’argument de l’employeur selon lequel, étant donné la demande de mesure d’adaptation de la plaignante avait été fondée sur l’état de santé de son nourrisson (et le besoin subséquent de l’allaiter le plus longtemps que possible), il était raisonnable pour l’employeur de demander un appui médical. Le TCDP a rejeté cet argument au paragraphe 69 en raison de ce qui suit :

[Traduction]

[Il] n’avait pas pris en compte un point fondamental. Pourquoi la santé de son fils devrait constituer une considération lorsqu’il traite la demande de Mme Cole? La motivation de ce parent lorsqu’elle a présenté sa demande de congé pour allaiter son enfant devrait-elle faire une différence? […]

146 Le TCDP a ensuite indiqué ce qui suit au paragraphe 70 :

[Traduction]

Par conséquent, même si Mme Cole a informé les cadres de Bell de sa propre motivation principale de continuer d’allaiter son bébé après son retour au travail, la réaction de Bell aurait dû simplement consister en l’examen de cette demande provenant de toute mère qui présente une demande de mesure d’adaptation à son employeur afin de lui permettre de continuer d’allaiter son enfant. L’exigence de Bell que Mme Cole fournisse une preuve médicale à l’appui de sa demande n’était pas justifiée. Il se peut que Bell ait eu un fondement pour imposer cette condition s’il avait un motif de remettre en question le fait que Mme Cole avait réellement donné naissance il y avait 12 mois ou sa sincérité lorsqu’elle a expliqué qu’elle allaitait encore son enfant. Toutefois, je ne dispose d’aucune preuve que cette question ou que ce doute a été soulevé dans le cadre de cette affaire.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

147 L’hypothèse selon laquelle une femme qui allaite son enfant n’est pas tenue de présenter un autre fait que celui qu’elle allaite son enfant pour déclencher l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur semble être sous-jacente à l’analyse du TCDP. Il ne fait aucune différence si la demande est présentée à six semaines, à six mois, à un an, ou il semblerait, à toute étape du développement de l’enfant. Il n’importe peu si d’autres arrangements avaient été possibles pour lui permettre de respecter son horaire d’allaitement maternel et ses engagements professionnels en même temps. Tout ce qu’il semble importer, selon l’analyse du TCDP, est la question de savoir si la mère allaite son enfant. Selon une telle analyse, un employeur n’aurait jamais le droit de demander [traduction] « […] une preuve indépendante du besoin d’allaiter son enfant » (voir le paragraphe 78).

148 Le raisonnement du TCDP, toujours respectueusement, devient de plus en plus difficile à suivre lorsqu’il étudie la prochaine question : L’employeur avait-il établi [traduction] « […] qu’il avait pris toute mesure d’adaptation qui ne lui imposait pas une contrainte excessive » (voir le paragraphe 79)? Le TCDP a conclu que non, il ne l’avait pas établi et il a indiqué ce qui suit au paragraphe 79 :

[Traduction]

En l’espèce, Bell n’a non seulement omis d’établir qu’il avait pris toutes les mesures d’adaptation possibles qui ne lui imposaient pas une contrainte excessive, mais il n’existe aucune preuve non plus indiquant que Bell a essayé de prendre une mesure d’adaptation pour accorder la demande de Mme Cole à titre d’une mère pour allaiter son enfant. Sa demande initiale de l’OPNP [octroi personnel non payé] de congé était fortement découragée. Sa demande subséquente d’obtenir un quart dont la fin était garantie à 16 h n’a pas été traitée de manière convenable. Même s’il est vrai qu’on lui a en fait attribué des quarts fixes pendant la prochaine année, il ne s’agissait pas d’une mesure d’adaptation à l’égard de Mme Cole relativement à ses besoins à titre de mère, mais plutôt à titre de personne handicapée ou malade. Tel que je l’ai déjà expliqué, cette mauvaise interprétation a ensuite donné lieu à une perte possible de ses quarts garantis et elle a été obligée de retourner, à maintes reprises, consulter son médecin en vue d’obtenir un nouveau rapport médical, l’un après l’autre.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

149 Encore une fois et respectueusement, la défense de l’employeur à l’accusation de discrimination était en fait qu’il avait véritablement pris une mesure d’adaptation, accordant ainsi à la plaignante la mesure d’adaptation qu’elle a demandée. Par conséquent, il n’y avait aucune question liée à une contrainte excessive. Par conséquent, la raison pour laquelle le TCDP croyait qu’une telle question existait n’est pas claire. Toute explication quant à la raison pour laquelle la décision de l’employeur de prendre une mesure d’adaptation pour accorder la demande de la plaignante en fonction d’un rapport médical selon lequel elle devait quitter à 16 h pour allaiter son enfant pendant 12 mois « en vue de prévenir une mastite récurrente » est absente (voir le paragraphe 23) ne constituait pas une mesure d’adaptation à sa demande [traduction] « à titre de mère ». (On pourrait également indiquer qu’il serait difficile de reprocher à l’employeur le fait qu’il a traité une demande comme une demande fondée sur des raisons médicales lorsque le médecin de la plaignante l’avait lui-même présenté de cette manière.)

150 En guise de conclusion à l’analyse jusqu’ici et après avoir examiné attentivement ces quatre décisions, je dois dire que l’analogie tirée dans Poirier et dans les autres décisions entre la grossesse et l’allaitement maternel pose problème. Je reconnais que la capacité d’allaiter un enfant – de secréter du lait – constitue une condition physique qui est « une caractéristique immuable ou un trait propre au sexe » (tel que cela est indiqué dans Brooks) de la même façon que la grossesse. Toutefois, l’allaitement maternel est différent. Il s’agit d’un sous-groupe et d’une expression de facteurs complexes plus importants découlant de la relation entre un parent et un nourrisson.

151 Le fondement de base de cette relation consiste en l’alimentation de l’enfant et, tout aussi important, l’établissement et le maintien d’un lien entre une mère et son enfant dans le cadre de l’acte d’alimentation et d’un contact physique. Cette fin peut être réalisée au moyen de l’allaitement maternel. Toutefois, elle peut également être réalisée (ce qui est souvent le cas) par l’alimentation d’un nourrisson au moyen de lait maternel qui a été extrait, de préparation pour nourrissons fournie par une mère qui ne peut, pour une raison quelconque (par nécessité, choix personnel ou incapacité physique) allaiter son enfant ou par un père ou un parent masculin.

152 Tout cela vise à suggérer que l’allaitement maternel constitue autant, sinon plus, une expression de la « situation de famille » – c’est-à-dire la relation entre un parent et un enfant – qu’il en est ainsi pour le sexe. Cela permet de reconnaître que l’allaitement maternel – c’est-à-dire, la décision d’alimenter un enfant et d’établir un lien avec ce dernier dans le cadre de l’allaitement maternel – n’est pas « immuable ». Il s’agit plutôt d’un choix – un choix fait à l’aide de divers facteurs physiques, personnels et sociaux. Il pourrait s’agir d’un choix qui favorise grandement l’allaitement maternel (particulièrement au cours des premières semaines ou mois de vie d’un nourrisson), mais il s’agit néanmoins d’un choix relativement à la façon dont la relation sera établie. Cela permet également de reconnaître que la capacité de combiner le travail avec l’allaitement maternel modifiera et changera au fur et à mesure que l’enfant grandit et que la situation personnelle et sociale du parent change au fil du temps.

153 En résumé, l’allaitement maternel consiste en une fonction de l’établissement d’un équilibre entre divers choix personnels et circonstances qui découlent d’une relation entre deux personnes (un parent et son enfant), dont la nature évolue avec le temps et, au fur et à mesure de la croissance ou la diminution de l’unité familiale en ce qui concerne la taille et la composition. Il pourrait s’agir d’un choix qui doit être encouragé – qui est même fortement encouragé – par la société, mais il ne s’agit pas d’une caractéristique « immuable » propre au sexe.

154 L’autre point est le suivant : le fait d’affirmer la protection d’un choix d’une mère pour réaliser son souhait d’alimenter et d’établir un lien avec son enfant au moyen de l’allaitement maternel consiste, dans une certaine mesure, à dénigrer le choix d’une femme (soit sa préférence personnelle, son incapacité physique ou sa situation sociale) de réaliser ce souhait d’une autre façon, par exemple, l’allaitement par biberon, soit avec une préparation pour nourrissons ou le lait maternel qui a été extrait. Il pourrait également dénigrer celles qui ont sevré leur enfant de l’allaitement maternel plus tôt que plus tard.

155 On constate un élément de ce dénigrement dans le commentaire de l’arbitre de différends dans Carewest selon lequel [traduction] « [une] femme qui décide d’allaiter son enfant ne devrait pas être vue de la même manière qu’un parent qui décide d’apporter son enfant à une garderie ». La réponse immédiate à cet énoncé est sûrement : « Pourquoi pas? » Pourquoi les femmes qui font des choix différents quant à la façon d’éduquer un enfant et de subvenir à ses besoins doivent-elles être visées par différentes catégories, une protégée et l’autre non protégée? Ne serait-il pas mieux d’analyser les pressions auxquelles sont soumis les parents pour établir un équilibre entre les demandes de travail et celles de la famille de la même façon?

156 Dans un cas comme en l’espèce, la valeur sociale de base que nous envisageons protégée est sûrement celle qui permet d’établir un lien solide d’alimentation et d’éducation entre un nourrisson et sa mère. Le lien est établi au cours des alimentations régulières et le contact physique, lequel a lieu pendant l’allaitement maternel ou l’allaitement par biberon, peu importe si le parent est seul ou en présence d’autres (comme les fournisseurs de services de garde d’enfants) dans le contexte d’une relation parentale globale. Ce lien constitue le lien d’un parent aimant, et non l’accident physique du sexe.

157 Pour ces motifs, j’ai conclu que la discrimination fondée sur l’allaitement maternel, s’il s’agit d’une discrimination, constitue une discrimination fondée sur la situation de famille plutôt que sur le sexe.

B. Quels sont les éléments nécessaires qui permettraient d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur l’allaitement maternel? 

                                       

158 Ayant déterminé que la discrimination fondée sur l’allaitement maternel constitue une discrimination fondée sur la situation de famille, j’examine la question de la preuve prima facie qui doit être établie pour déclencher l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur aux motifs de la situation de famille. Cela donne lieu à son tour au débat animé entre les arbitres de différends, les cours et les tribunaux des droits de la personne au sujet de ce qui est nécessaire pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille.

159 Jusqu’à aujourd’hui, il y avait deux courants de jurisprudence relativement à cette question. Selon un courant, celui appuyé fortement par le TCDP et d’autres tribunaux des droits de la personne, correspond à celui décrit par le TCDP dans Brown c. Canada (ministère du Revenu national), 1993 CanLII 683 (TCDP) (« Brown »), et dans Johnstone c. Agence des Services frontaliers du Canada, 2010 TCDP 20 (« Johnstone »). Le critère décrit dans ces décisions semble suggérer qu’une preuve prima facie est établie lorsque, en raison des obligations parentales, il ou elle n’est pas en mesure de participer de façon égale et entière aux obligations ou aux possibilités d’emploi. Il s’agit du critère que le représentant de la fonctionnaire insiste que j’applique dans l’affaire dont je suis saisie.

160 Selon l’autre courant, celui qui figure le plus souvent dans les décisions d’arbitrage, est fondé principalement sur la décision rendue par la Cour d’appel de la C.-B. dans Campbell River. Tel que cela a déjà été indiqué, dans Campbell River, la Cour a conclu qu’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille est établie lorsqu’une condition d’emploi est modifiée [traduction] « […] donne lieu à une atteinte grave à une obligation parentale importante de l’employé ». De nombreux arbitres de différends, même s’ils doutent que le critère soit déclenché uniquement lorsqu’une condition d’emploi est modifiée, ont néanmoins accepté qu’une preuve prima facie exige une atteinte grave à une obligation familiale importante.

161 Le TCDP a rejeté le critère établi dans Campbell River parce qu’il estimait qu’il menait à des critères différentiels liés à la discrimination lorsqu’il ne devrait en exister qu’un seul. Il était d’avis, tel que cela a été exprimé dans les décisions comme Brown et Johnstone, qu’il (tel que cela a déjà été indiqué) n’existe qu’un seul critère et qu’une preuve est établie le moment qu’une condition relative au milieu de travail a une incidence négative sur les obligations parentales d’un employé. Toutefois, il convient de noter qu’une analyse approfondie révèle que l’incidence négative sur les obligations parentales qui a été traitée dans Brown et Johnstone était toujours importante et grave.

162 Par exemple, dans Brown, la plaignante était une agente des douanes qui devait travailler des quarts. Son époux était un policier qui travaillait également des quarts. La plaignante a eu un enfant et a pris un congé de maternité de 17 semaines. À la fin de son congé, elle a demandé à son employeur de lui attribuer des quarts de jour parce qu’elle n’avait pas été en mesure (malgré les efforts qu’elle a déployés) de trouver un gardien ou une gardienne convenable pour la nuit lorsqu’elle et son époux travaillaient tous les deux les quarts de nuit. Sa demande a été refusée et, par conséquent, elle a dû prendre un congé de maternité prolongé (et non payé). (De plus, il y avait une preuve que l’employeur traitait la plaignante de manière différente par rapport aux autres employés.) On croirait que ces faits révèlent une atteinte grave à une obligation parentale importante (sans compter légale). Un parent qui a un nourrisson âgé de 17 semaines qui a fait une recherche diligente sans succès pour trouver un fournisseur de soins convenable n’est pas en mesure – sur les plans juridique et pratique – de laisser un enfant seul la nuit dans l’éventualité où elle et son époux doivent travailler tous les deux.

163 De même, on peut dire que, selon les faits dont était saisi le TCDP dans Johnstone, le même critère a véritablement été appliqué, malgré les protestations du TCDP au contraire. Dans Johnstone, le TCDP a convenu d’abord que « […] ce ne sont pas toutes les tensions qui ont lieu dans le contexte de l’équilibre travail/vie-personnelle qui peuvent être traitées par la jurisprudence en matière de droits de la personne […] », mais il indique ensuite que « […] ce n’est pas l’argument qui a été présenté en l’espèce ». Au contraire, l’argument présenté par Mme Johnstone était le suivant : « […] une telle protection devrait être donnée lorsque appropriée et raisonnable, compte tenu des circonstances présentées [je souligne; toutes les citations sont tirées du paragraphe 220 de Johnstone] ».

164 Le TCDP a ensuite indiqué au paragraphe 221 que le cas dont il était saisi était « […] une vraie personne qui a des obligations envers ses jeunes enfants et des répercussions importantes sur la capacité de cette personne de remplir cette obligation [je souligne] ». Par conséquent, il n’était pas nécessaire que le TCDP « […] trait[e] de toutes les obligations familiales et de tous les conflits entre le travail d’un employé et ces obligations ».

165 Il ne faut pas oublier que les « répercussions importantes » sur « une vraie personne qui a des obligations envers ses jeunes enfants », que le TCDP examinait concernait une employée dans un milieu de travail qui exigeait que ses employés travaillent des quarts quatre jours par semaine afin que l’ensemble des quarts correspondent à 24 heures par jour, 7 jours par semaine et de travailler des quarts irréguliers et imprévisibles et que l’employée :

  1. avait deux jeunes enfants, soit préscolaires;
  2. avait un époux qui travaillait pour le même employeur et qui était assujetti aux mêmes quarts, donc qui ne pouvait pas s’occuper de manière prévisible de leurs enfants;
  3. avait des membres de la famille qui pouvaient s’occuper de leurs enfants trois jours par semaine, mais non le quatrième;
  4. avait essayé sans succès de trouver une garderie tierce convenable pour toute période en dehors des heures normales de garderie (voir les paragraphes 17 à 20, 25 et 26).

166 Après avoir obtenu ce contexte, le TCDP a étudié ensuite la question liée à la situation de famille et celle de savoir si elle comprenait les obligations de soins des enfants de la façon suivante au paragraphe 233 :

Le Tribunal conclut que la liberté de choisir de devenir père ou mère est si vitale qu’elle ne devrait pas être restreinte par la crainte de subir des conséquences discriminatoires. En tant que société, le Canada devrait reconnaître cette liberté fondamentale et appuyer ce choix autant que possible. Pour l’employeur, cela signifie évaluer les situations telles que celles de Mme Johnstone de façon individuelle et travailler avec elle pour créer une solution fonctionnelle qui équilibre ses obligations parentales avec ses occasions d’emploi, sauf contrainte excessive.

167 Le TCDP, au paragraphe 234, « [a]yant conclu que le motif de ‘situation de famille’ comprend les responsabilités les enfants du type et de la durée mentionnées parMme Johnstone […] [je souligne] », a étudié la question de savoir si elle avait établi une preuve prima facie de discrimination. Il a noté l’existence du débat concernant ce qui est nécessaire pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille. Il a qualifié la décision Campbell River comme ayant adopté [traduction] « un nouveau critère plus important » qui avait été rejeté dans Hoyt c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 33, qui l’avait également rejeté (voir le paragraphe 237). Il a ensuite indiqué ce qui suit au paragraphe 238 :

Le Tribunal est d’accord avec Mme Johnstone au sujet du fait qu’une personne ne devrait pas avoir à tolérer un certain niveau de discrimination avant de se voir accorder la protection de la LCDP. Le juge Barnes était du même avis dans la décision Johnstone. Soit il y a discrimination, ou il n’y en a pas, dans tout processus de plainte. S’il y a discrimination, il ne peut pas y avoir hiérarchie des motifs. La LCDP ne va pas en ce sens.

168 Par conséquent, au paragraphe 242, le TCDP a conclu que Mme Johnstone avait établi une preuve prima facie de discrimination. Évidemment, la difficulté consiste en le fait que le critère de la preuve prima facie qui a censément été adopté par le TCDP dans Johnstone ne semble pas être conforme aux faits dont il était saisi ou à son propre énoncé quant à savoir les éléments dont il ne tenait pas compte – c’est-à-dire, les tensions quotidiennes entre la vie professionnelle et familiale. En bref, la situation factuelle devant le TCDP dans Johnstone, à première vue (et selon les commentaires du TCDP à leur sujet) suggère un déclenchement qui est plus conforme à ce qui a été établi dans Campbell River.

169 Étant donné cette analyse, j’ai du mal à accepter que le critère quant au seuil était en fait (ou en droit) aussi bas que le TCDP l’a suggéré dans Brown et Johnstone. Le principe exprimé dans ces décisions – que toute répercussion négative sur les obligations liées à la situation de famille établit une obligation d’adaptation prima facie – ne correspondait pas aux faits dont le TCDP était réellement saisi dans ces cas. Ces faits correspondaient plus à ceux de Campbell River et, par conséquent, appuieraient mieux le critère établi dans cette décision.

170 Cela indique que, malgré la différence entre les formulations du critère de discrimination fondée sur la situation de famille, l’approche du TCDP dans Brown et Johnstone est et était la même que celle dans Campbell River. Les deux côtés du débat évident traitaient des mêmes types de situation factuelle. Les situations concernaient toutes des obligations ou des règles professionnelles qui avaient des incidences graves sur une obligation familiale importante à l’égard desquelles les parents en question avaient déployé des efforts concertés pour régler – sans aucun succès. Le problème relatif à la formulation du critère par le TCDP ne consiste donc pas en son application dans Brown et Johnstone, mais plutôt le fait que la façon dont il est libellé – que toute répercussion négative sur les obligations liées à la situation de famille permet d’établir une preuve prima facie de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation – risque de banaliser la législation sur les droits de la personne. Conformément à ce qui a été indiqué au paragr. 69 de CAF-Johnstone :

[Traduction]

          Il est également important de ne pas banaliser la protection de la législation sur les droits de la personne aux choix familiaux personnels, comme la participation des enfants à des cours de danse, à des événements sportifs comme les tournois de hockey et des activités volontaires semblables. Ces types d’activités seraient visés par la situation de famille selon l’un des avocats devant nous et je ne souscris pas à une telle interprétation.

171 Un accent mis sur les faits et la reconnaissance de ces derniers dans Hoyt et Johnstone met en évidence l’importance des cas portant sur la discrimination fondée sur la situation de famille en isolant et en distinguant ces répercussions négatives qui découlent de la discrimination fondée sur la situation de famille de ceux qui découlent des choix liés au mode de vie personnel pris par un employé (en l’espèce). Par exemple, une règle qui exige que les employés se présentent au travail à 7 h. Deux employés, dont l’un réside à 10 minutes du bureau et l’autre à 1 heure du bureau. Les deux doivent apporter leurs enfants à des installations de garderie près de leur maison. Les deux installations sont ouvertes à 6 h 30. Dans un tel scénario, la règle de l’employeur ne pose aucun problème pour le premier parent. Toutefois, en ce qui concerne le deuxième employé, la règle pourrait faire en sorte qu’il soit impossible pour ce parent de se présenter à temps au travail. Il s’agit donc de savoir : la répercussion qui en découle est-elle une fonction de la discrimination fondée sur la situation de famille? S’agit-il plutôt d’une fonction de la décision du deuxième parent (pour une raison quelconque) de résider à une heure de route du travail ou de recourir à une garderie qui n’est pas plus près de son travail?

172 Le fait de faire partie d’une famille comporte certaines obligations personnelles fondamentales et des coûts que toute personne assumerait elle-même dans le cours normal des choses. Afin d’adopter la formulation du critère établi dans Hoyt et Johnstone sans énumérer les véritables faits duquel il découle suggère que la situation de famille l’emporte toujours sur les obligations professionnelles et déclenche toujours l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Un tel résultat, tel que cela a été indiqué ci-dessus dans CAF-Johnstone, banaliserait la législation sur les droits de la personne. Comme s’il est moins important, il serait, en pratique, non traitable. Cela signifierait qu’un employé ayant des obligations professionnelles existantes pourrait exiger que l’employeur modifie ces obligations à son égard simplement parce qu’il a fait un choix personnel d’avoir un enfant ou de l’élever ou de l’éduquer d’une façon particulière. Étant donné les variétés presque infinies de la famille moderne, le résultat pourrait donner lieu à la balkanisation du lieu de travail puisque chaque employé a établi ses propres mesures d’adaptation personnelles adaptées à sa propre situation de famille.

173 Je suis d’avis que ces difficultés pratiques et théoriques constituent la cause du débat continu relativement au critère approprié. Cela me recommande aussi le point de vue selon lequel l’obligation de ne pas discriminer en fonction de la situation de famille est déclenchée non simplement parce qu’un engagement professionnel a une certaine répercussion sur les obligations familiales d’un employé, mais plutôt parce qu’il y a une répercussion importante sur un aspect important de ces obligations, une approche qui a été privilégiée à maintes reprises dans la plupart des décisions d’arbitrage; voir, par exemple, Canadian Staff Union v. Canadian Union of Public Employees, [2006] N.S.L.A.A. No. 15 (QL); International Brotherhood of Electrical Workers, Local 636 v. Power Stream Inc., [2009] O.L.A.A. No. 447 (QL); Alberta (Solicitor General) v. Alberta Union of Provincial Employees, [2010] A.G.A.A. No. 5 (QL) (« Jungwirth »); Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Liquor Control Board of Ontario), [2012] O.G.S.B.A. No. 155 (QL) (« Thompson ») et Alliance Employees Union, Unit 15 v. Customs and Immigrations Union, [2011] O.L.A.A. No. 24 (QL) (« Loranger »).

174 Toutes ces décisions découlent d’un critère prima facie qui exigeait autre chose des plaignantes qu’une simple incidence négative sur leur situation de famille.

175 À mon humble avis, une lecture attentive de la décision rendue par la Cour fédérale dans Procureur général du Canada c. Johnstone et TCDP, 2013 CF 113 et la décision de la Cour d’appel fédérale rendue dans l’appel de cette décision – soit CAF-Johnstone – révèle une reconnaissance des difficultés associées à un seuil faible. Je suis d’avis que les deux décisions suggèrent un seuil plus élevé que celui demandé par l’avocat de la fonctionnaire. Le juge Mandamin du tribunal inférieur a indiqué que le critère consistait à « savoir si la condition d’emploi entrave la capacité de l’employée de s’acquitter de ses obligations parentales importantes de façon réaliste », voir les paragraphes 125 à 128. La Cour d’appel fédérale a comblé l’écart apparent entre les critères de Johnstone et de Campbell River de manière légèrement différente – mais pas moindre – en commençant par l’observation selon laquelle le critère était [traduction] « souple et contextuel » aux paragraphes 82 et 83. Elle a ensuite conclu que les éléments nécessaires pour établir une preuve prima facie devaient tenir compte de [traduction] « […] la nature particulière du motif illicite en litige »; voir le paragraphe 85. Cela étant ainsi, le critère en ce qui concerne la discrimination fondée sur la situation de famille doit tenir compte du fait suivant (au paragraphe 88) :

[Traduction]

Habituellement, les parents disposent de diverses options pour leur permettre de s’acquitter de leurs obligations parentales. Par conséquent, on ne peut dire qu’une obligation de soins des enfants a fait en sorte qu’un employé ne soit pas en mesure de s’acquitter de ses obligations professionnelles, sauf si aucune solution de rechange raisonnable quant aux soins de l’enfant n’est pas raisonnablement à la disposition de l’employé. Ce n’est que si l’employé a cherché à trouver une solution de rechange raisonnable aux arrangements en matière de soins des enfants, sans succès et qu’il n’est toujours pas en mesure de s’acquitter de ses obligations parentales, qu’une preuve prima facie de discrimination sera établie.

176 À mon humble avis, cela se rapproche plus, à toutes fins utiles, à l’approche favorisée dans Campbell River qu’à celle favorisée par le TCDP dans Johnstone. Cette conclusion est appuyée par le fait que la Cour d’appel fédérale a indiqué expressément aux paragraphes 89 et 90 que « ce principe » (celui énoncé au paragraphe 88 de CAF-Johnstone) a été « reconnu » dans Jungwirth, Thompson, Loranger et Wright v. Ontario (Office of the Legislative Assembly), [1998] O.H.R.B.I.D. No. 13 (QL) (« Wright »); voir les paragraphes 89 à 91 de CAF-Johnstone. Les trois premières décisions d’arbitrage ont expressément adopté le côté de Campbell River du débat. Wright n’a pas mentionné Campbell River, mais elle est parvenu à une conclusion semblable; voir les paragraphes 309 à 311 de la décision.

177 Au paragraphe 93, immédiatement après l’appui de la Cour d’appel fédérale de ces décisions, elle parvient à son critère pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille, conformément à ce qui suit :

[Traduction]

Je conclus de cette analyse que, afin d’établir une preuve prima facie selon laquelle une discrimination dans le milieu de travail est fondée sur le motif illicite de la situation de famille découlant des obligations de soins des enfants est alléguée, la personne qui présente la demande doit démontrer ce qui suit :

  1. qu’un enfant est sous ses soins et sa supervision;
  2. que l’obligation relative aux soins des enfants en litige engage la responsabilité légale de la personne à l’égard de cet enfant, contrairement à un choix personnel;
  3. qu’elle a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ces obligations relatives aux soins des enfants à l’aide de solutions de rechange raisonnables et qu’aucune solution de rechange n’est accessible;
  4. que la règle relative au milieu de travail contestée nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à l’acquittement de l’obligation relative aux soins des enfants.

[Je souligne; la division des paragraphes a été ajoutée afin d’en faciliter la lecture]

178 Par conséquent, je suis convaincu qu’en conséquence, le critère à appliquer à un cas comme celui dont je suis saisi est celui énoncé par la Cour dans FCA-Johnstone et que le critère exige plus que ce qui a été présenté par l’avocat de la fonctionnaire. Il s’agit d’un critère qui met l’accent sur les faits particuliers du cas dans le contexte d’une famille particulière. Il s’agit d’un critère qui cherche à constater une atteinte grave à une obligation importante qui découle uniquement après que la fonctionnaire ait fait preuve de diligence raisonnable pour trouver une solution qui ne concerne pas l’employeur. Il s’agit également d’un critère qui est déclenché uniquement après que les efforts déployés par la fonctionnaire se sont avérés infructueux.

C. La fonctionnaire a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille?  

                                                                             

179 J’examine maintenant la question de savoir si la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille, déclenchant ainsi l’obligation de prendre des mesures d’adaptation relativement à son horaire d’allaitement maternel de son fils et à elle-même. Je répondrai à cette question en appliquant les quatre éléments du critère établi dans CAF-Johnstone.

180 La première condition est évidemment remplie dans ce cas. Ce sont les deuxième et troisième conditions qui posent problème.

181 En abordant la deuxième condition, l’obligation légale du parent est d’alimenter son enfant. La façon dont un parent s’acquitte de cette obligation consiste en un choix. L’allaitement maternel en est un tel choix, mais il ne consiste pas en le seul choix. L’éventail des choix peut parfois diminuer à un seul choix – par exemple, lorsque les besoins physiques ou la maladie de l’enfant, comme dans Cole ou Carewest, exigent que l’alimentation soit effectuée au moyen de l’allaitement maternel. Dans ces cas, le choix ne constitue plus un choix, il devient une obligation légale. Toutefois, dans le cas dont je suis saisi, il n’y avait aucune preuve pour suggérer que les choix de la fonctionnaire étaient ainsi limités. Son enfant avait un an. Il n’y avait aucune preuve d’une condition physique ou d’une maladie qui exigeait l’allaitement maternel. En fait, selon le témoignage même de la fonctionnaire, l’enfant allait – ou devait au moins aller – à la garderie. Une telle preuve ne permet que d’établir que la fonctionnaire souhaitait – a choisi – de continuer d’allaiter son enfant jusqu’à ce qu’il ait un an. Elle ne permet pas d’établir que son choix correspondait à une obligation légale.

182 Il existe également la question liée à la preuve de l’horaire que la fonctionnaire souhaitait que son employeur adapte. La fonctionnaire n’a jamais expliqué la raison pour laquelle le télétravail de cinq jours par semaine était nécessaire pour son enfant lorsque le télétravail de deux jours suffisait dans le passé à l’égard de son autre enfant. L’absence de cette explication pose particulièrement problème étant donné l’allusion que la fonctionnaire a faite aux problèmes liés à l’allaitement maternel éprouvés par son dernier enfant. Si le télétravail de deux jours par semaine était acceptable relativement à un enfant qui avait des difficultés (quelles qu’elles soient), il est difficile de comprendre pourquoi un enfant n’éprouvant aucune difficulté évidente exigerait qu’elle fasse une semaine de télétravail prolongée.

183 J’examine maintenant la troisième condition décrite dans le critère établi dans FCA-Johnstone, selon laquelle la fonctionnaire a déployé des efforts raisonnables, mais infructueux pour respecter l’horaire d’allaitement maternel de son fils au moyen de solutions de rechange raisonnables. Encore une fois, la preuve n’est pas suffisante. Il existait au moins une solution « raisonnable de rechange » au télétravail de cinq jours par semaine qui aurait permis à la fonctionnaire de respecter l’horaire d’allaitement maternel qu’elle a indiqué vouloir protéger. Selon le témoignage de la fonctionnaire, elle avait trouvé une garderie ayant une place et qu’elle était située à proximité du bureau de Burlington. Le fait que, comme l’a indiqué la fonctionnaire, elle [traduction] « travaillerait simplement pour payer les frais de garderie » n’établit pas en soi qu’il ne s’agit pas d’une solution de rechange raisonnable. La vie – peu importe si la personne est seule ou si elle a une famille ou des personnes à charge – et les choix qui y sont liés entraîneront certains coûts que l’on travaille pour payer. En outre, ces choix découlent habituellement d’une analyse coût-avantage qui comprend, sans toutefois s’y limiter, leurs coûts économiques. Le fait qu’une personne pourrait avoir à travailler pour payer les coûts associés à un choix particulier ne suffit pas en soi pour rendre ce choix déraisonnable. La situation pourrait être différente dans ce cas si les coûts liés à la garderie avaient été si disproportionnés qu’ils auraient eu une incidence négative sur la capacité de la fonctionnaire et de son époux de fournir les autres nécessités de la vie. Mais il n’y avait aucune preuve à cet égard.

184 Étant donné mon opinion selon laquelle la preuve fournie par la fonctionnaire ne permet pas de satisfaire aux deuxième et troisième conditions, il n’est pas strictement nécessaire que j’analyse la quatrième condition.

185 Selon ce que j’ai indiqué jusqu’ici, il s’ensuit que je n’ai pas été convaincu que la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille. Cela étant ainsi, l’employeur n’avait aucune obligation d’adaptation relativement à la demande de télétravail de cinq jours par semaine de la fonctionnaire en vue de respecter un horaire d’allaitement maternel particulier qu’elle avait établi.

D. L’employeur a-t-il pris une mesure d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire au point de subir une contrainte excessive? 

                                                                

186 Si j’ai tort quant à la décision que j’ai prise relativement à la nature de la discrimination en litige et si le fait qu’une preuve prima facie de discrimination est établie, je suis quand même convaincu que le défendeur s’est acquitté de ce qui aurait été son obligation d’adaptation qui en découle à l’égard de la fonctionnaire, et ce, au point de subir une contrainte excessive. Le critère à appliquer à ces cas a été établi dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commissions) c. BCGSEU Meiorin »)de la façon suivante :

  1. l’employeur a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
  2. l’employeur a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime, en ce qu’il est impossible de composer avec les personnes qui ont les mêmes caractéristiques que la fonctionnaire sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

187 Selon la norme ou la règle en litige, l’employée devait exercer ses fonctions de travail au bureau. Les limitations aux demandes de télétravail ont été imposées en raison des difficultés éprouvées par l’employeur, découlant en partie de la réduction de son effectif. Même si un certain télétravail était encore possible, la preuve a permis d’établir que le télétravail de cinq jours par semaine pendant un an aurait aggravé les difficultés éprouvées par l’employeur. La restriction a été adoptée de bonne foi. Elle ne visait pas particulièrement la fonctionnaire ni les mères qui allaitent leur enfant en général. Elle s’appliquait à tous les employés et a été adoptée pour répondre aux changements au nombre d’employés de l’employeur – mais non à la quantité ni à la nature des travaux à exécuter. Sous réserve de l’incapacité de l’employeur d’accorder la demande de télétravail à domicile de la fonctionnaire pendant un an, il a essayé de lui accorder sa demande, en partie, tout en respectant les limites selon lesquelles il exerçait ses activités. L’employeur a discuté des différentes mesures d’adaptation possibles avec la fonctionnaire, mais elle a, en fin de compte, refusé de s’écarter de sa demande initiale. Les deux parties ont un rôle à jouer dans le cadre du processus d’adaptation et la fonctionnaire n’a pas expliqué pourquoi elle avait besoin de faire un télétravail pendant un an (ou un an et demi) ni la raison pour laquelle (autre que les coûts) elle ne pouvait pas recourir à une garderie située plus près du travail.

188 Cette conclusion relativement aux efforts déployés par l’employeur pour accommoder la fonctionnaire fait en sorte que je suis à jour en ce qui concerne le grief qui a été déposé. Étant donné ma conclusion selon laquelle la fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie et ma conclusion subsidiaire que l’employeur a pris une mesure d’adaptation à son égard, il n’est ni nécessaire ni convenable que j’examine la question de savoir, si j’ai tort relativement à ces conclusions, si l’employeur a accommodé la fonctionnaire au point de subir une contrainte excessive après la date de dépôt du grief. Cela exigerait que j’examine les éléments de preuve liés aux négociations entre la fonctionnaire et l’employeur après qu’elle a déposé son grief. Pour les motifs que j’ai déjà indiqués, l’examen de ces éléments de preuve après avoir conclu que le critère relatif à la preuve prima facie n’a pas été respecté, constituerait une violation des privilèges associés aux négociations en vue de règlement et en matière de grief.

VII. Conclusion

189 Pour les motifs indiqués ci-dessus dans la décision, voici ma décision :

  1. la discrimination fondée sur l’allaitement maternel constitue une discrimination fondée sur la situation de famille, non sur le sexe;
  2. selon les faits dont je suis saisi, la fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille selon le critère énoncé dans CAF-Johnstone (ou, d’autant plus, dans Campbell River);
  3. par conséquent, l’obligation d’adaptation de l’employeur relativement à la demande de télétravail de cinq jours par semaine de la fonctionnaire n’a pas été déclenchée.

190 En dernier lieu, si j’ai tort en ce qui concerne ma décision relativement à la question liée à la discrimination, je conclus également que, selon les faits de l’espèce, l’employeur a pris des mesures pour accommoder la fonctionnaire au point de subir une contrainte excessive.

191 En indiquant cela, j’ai mis l’accent sur l’importance des faits dont j’ai été saisi pour une raison. Chaque cas comporte ses propres faits particuliers. Les faits en l’espèce allaient bien au-delà des faits dans Poirier, Carewest ou Cole (dans lesquelles une discrimination a été constatée). Il ne s’agissait pas uniquement de permettre à une employée d’allaiter son enfant au travail (comme dans Poirier), de lui permettre de quitter le travail à la fin de sa journée selon un horaire fixe afin qu’elle puisse allaiter son enfant dont la santé n’était pas bonne et exigeait l’allaitement maternel (comme dans Cole) ou de lui permettre de prendre un congé autorisé prolongé non payé pour continuer d’allaiter un enfant de neuf mois dont la seule source d’alimentation était l’allaitement maternel (comme dans Carewest). En outre, l’employeur n’avait pas été demandé, dans aucun de ces cas, de modifier de façon importante les conditions d’un contrat de travail. En l’espèce, l’employeur était demandé, d’une part, de modifier de façon importante les conditions du poste d’un AGS pendant une période considérable afin de respecter un horaire d’allaitement maternel d’un enfant en santé. En ce sens, il se rapproche à Coast Mountains (où une discrimination n’a pas été constatée).

192 Tout cela pour dire que chaque cas doit être évalué et décidé en fonction de ses faits particuliers. Ce truisme est : tous les cas les plus importants concernant la discrimination fondée sur la situation de famille, étant donné la variété énorme des relations familiales, des organisations et des obligations de la famille moderne. Si les faits de l’espèce avaient été différents, il se peut que le résultat ait été différent aussi.

193 Je pourrais également indiquer que ni le seuil plus élevé établi dans Campbell River ou dans CAF-Johnstone, ni le résultat de l’espèce ne devraient, dans le cours normal, porter atteinte aux droits protégés par le motif de la situation de famille. La plupart, sinon tous les employeurs, lorsqu’ils reçoivent une demande d’adaptation en raison d’une situation de famille, feront les demandes de renseignements nécessaires pour déterminer si une mesure d’adaptation est nécessaire, et, dans l’affirmative, de quelle façon. Ils le feront, car ils savent que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation peut être déclenchée par une telle demande. Par conséquent, la seule façon rationnelle de traiter de telles demandes est d’enquêter à leur sujet, au moins pour déterminer si un cas d’adaptation a été établi par l’employé et, dans l’affirmative, la façon dont la demande peut être accordée sans subir une contrainte excessive.

194 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VIII. Ordonnance

195 Le grief est rejeté.

Le 13 novembre 2014.

Traduction de la CRTEFP

Augustus Richardson,
une formation de la Commission

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