Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire inappropriée lorsqu’on l’a renvoyé à la maison du travail après avoir refusé d’enlever ses boucles d’oreilles en anneaux - l’employeur a déposé une objection préliminaire à la compétence d’un arbitre de grief en affirmant que la mesure était de nature administrative plutôt que disciplinaire- l’employeur a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été renvoyé chez lui parce que les bijoux qu’il portait n’étaient pas conformes à son code vestimentaire et aurait présenté un danger s’il avait été mêlé à une altercation physique- le fonctionnaire s’estimant lésé avait reçu un avertissement concernant ses boucles d’oreille la veille- il aurait pu demeurer au travail s’il avait enlevé ses boucles d’oreille- le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué qu’il avait été autorisé à porter ses boucles d’oreille dans son ancienne région de travail et que l’employeur avait autorisé un autre employé à en porter sans faire de commentaires- l’employeur a nié qu’il permettait à d’autres employés d’enfreindre le code vestimentaire et a déclaré qu’il intervient à mesure que ce genre de situations se présentent- selon les politiques disciplinaires de l’employeur, le port de boucles d’oreille inappropriées peut être considéré comme un manquement à la discipline, mais l’employeur a précisé qu’il n’avait aucunement l’intention de discipliner le fonctionnaire s’estimant lésé et qu’il s’agissait simplement d’une situation où l’employé ne serait pas payé puisqu’il n’avait pas travaillé- la réaffectation du fonctionnaire s’estimant lésé à un autre poste n’avait pas été possible puisque cela n’aurait pas éliminé les préoccupations en matière de sécurité- l’arbitre de grief a statué qu’il était nécessaire d’établir quelle avait été l’intention de l’employeur en se fondant sur les faits et circonstances en l’espèce et que dans ce cas-ci, les critères qui auraient indiqué qu’il s’agissait d’une situation disciplinaire n’étaient pas présents- le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver que la mesure était à caractère disciplinaire- même si l’arbitre de grief avait conclu que la mesure prise par l’employeur était de nature disciplinaire, elle aurait été justifiée, et la sanction n’était pas déraisonnable- le fonctionnaire s’estimant lésé a refusé d’obéir à un ordre direct, et son comportement durant sa rencontre avec ses supérieurs était inapproprié. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail  dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2014-02-07
  • Dossier:  566-02-2977
  • Référence:  2014 CRTFP 15

Devant un arbitre de grief


ENTRE

FRÉDÉRIC PURTELL

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Purtell c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Andrea Tait, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN
Pour le défendeur:
Allison
Affaire entendue à Edmonton (Alberta), les 8 et 9 octobre 2013. (Traduction de la CRTFP)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Frédéric Purtell, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un agent correctionnel occupant un poste de groupe et niveau CX-01 à l’Établissement d’Edmonton (l’« Établissement ») du Service correctionnel du Canada (l’« employeur »), situé à Edmonton, en Alberta. Pendant toute la période visée, le fonctionnaire était assujetti à la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, qui a expiré le 31 mai 2010 (la « convention collective »). Le 6 mars 2009, il a déposé un grief dans lequel il alléguait qu’il s’était vu imposer une mesure disciplinaire injustifiée lorsqu’il a été renvoyé chez lui le 11 novembre 2008. En guise de redressement, il a demandé un dédommagement équivalent à la somme qui lui est due.

2 L’employeur a rejeté le grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 7 avril 2009, puis au deuxième palier le 10 juin 2009. Le fonctionnaire l’a renvoyé à l’arbitrage le 29 juin 2009.

3 Le 16 novembre 2009, l’employeur a soulevé une objection relative à la compétence de l’arbitre de grief au motif que le fonctionnaire avait été renvoyé chez lui le 11 novembre 2008 pour des raisons administratives, et non à des fins disciplinaires, de sorte que le grief n’était pas visé par l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). L’employeur a affirmé que le fonctionnaire avait été renvoyé chez lui parce qu’il portait des bijoux non conformes au code vestimentaire de l’employeur, à savoir des boucles d’oreilles en anneaux plutôt que des boucles d’oreilles à tige. Le fonctionnaire a été renvoyé chez lui parce qu’il refusait d’enlever les boucles d’oreilles en question. Il n’a pas touché son salaire parce qu’il n’avait pas travaillé, et non parce qu’on lui avait imposé une mesure disciplinaire.

4 Le 27 novembre 2009, le fonctionnaire a répondu à l’objection soulevée par l’employeur concernant la compétence de l’arbitre de grief, et il a confirmé sa position selon laquelle il avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire, invoquant la jurisprudence et les politiques de l’employeur.

5 Le 25 février 2010, l’employeur a répondu au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Dans sa réponse, l’employeur a confirmé sa position selon laquelle il n’avait pas imposé de mesure disciplinaire au fonctionnaire. Il a également fait observer que le grief était hors délai, mais la question du respect des délais n’a pas été abordée à l’audience.

6 À la suite de la conférence préparatoire à l’audience, tenue le 2 mars 2010, il a été décidé que l’objection préliminaire de l’employeur serait examinée au début de l’audience, et que les parties devraient être préparées au cas où le grief serait instruit sur le fond, advenant la remise à plus tard du prononcé de la décision relative à l’objection préliminaire. Cependant, j’ai décidé à l’audience qu’il serait plus approprié de procéder à l’examen de l’objection concernant la compétence dans la plaidoirie finale plutôt qu’à titre préliminaire, étant donné que la preuve se rapportant au fond serait la même que celle se rapportant à l’objection.

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’employeur

7 L’employeur a cité comme témoins Larry Demerais et Jamie Cook, et il a produit en preuve deux documents. Le fonctionnaire a témoigné et a fait entendre Todd Ginger comme témoin. Il a présenté en preuve quatre documents. Des éléments de preuve portaient sur une certaine agente correctionnelle qui n’était pas une partie à l’affaire et qui n’a pas été citée comme témoin. Comme son identité n’est pas pertinente dans l’affaire dont je suis saisie, j’ai décidé de la désigner par les initiales « A. B. ».

8 M. Demerais a déclaré que le 10 novembre 2008, en tant que gestionnaire correctionnel intérimaire, il faisait partie des deux gestionnaires correctionnels qui supervisaient le personnel de l’Établissement. Il était donc, ce jour-là, l’un des superviseurs du fonctionnaire. Il a déclaré que le fonctionnaire était récemment arrivé de la région du Québec, et que ses interventions auprès de ce dernier avaient été minimes jusqu’à ce jour-là.

9 À la réunion d’information du personnel le matin du 10 novembre 2008, M. Demerais a remarqué que le fonctionnaire portait des boucles d’oreilles suffisamment grandes pour être visibles à bonne distance. M. Demerais a déclaré avoir eu une brève conversation avec le fonctionnaire, pendant laquelle il lui a expliqué que les boucles d’oreilles en question étaient inadéquates. Il a affirmé que le fonctionnaire n’était pas de cet avis. Il a déclaré que le fonctionnaire lui avait dit que ses boucles d’oreilles étaient acceptées dans la région du Québec. Étant donné leur divergence d’opinions, M. Demerais s’est par la suite rendu au bureau et a téléchargé une copie des Lignes directrices, Uniformes du SCC, code vestimentaire et barème de distribution (le « code vestimentaire », pièce E-1), où il est précisé, au paragraphe 51b), que les boucles d’oreilles en anneaux ne sont pas permises.

10 M. Demerais a expliqué que c’était pour des raisons de santé et de sécurité que des restrictions étaient imposées quant aux types de boucles d’oreilles que les employés pouvaient porter en service. Il a notamment mentionné qu’en raison de la nature du travail, il y avait toujours des risques d’altercations avec des détenus et que, par conséquent, tout type d’accessoire susceptible d’être tiré ou arraché posait problème. M. Demerais ne se rappelait pas la taille exacte des boucles d’oreilles du fonctionnaire, mais il se souvenait qu’elles étaient relativement grandes et qu’elles n’étaient pas à tige.

11 Après avoir téléchargé le code vestimentaire, M. Demerais a surligné les passages pertinents et, plus tard dans la journée, il l’a remis au fonctionnaire, qui travaillait dans l’unité d’isolement. M. Demerais a proposé de lui fournir une version française du document, au besoin. Il a déclaré que, puisque la journée était presque terminée, il n’avait fait aucune autre intervention. Il a présumé que le fonctionnaire se conformerait à la politique le lendemain. Il n’a pas reparlé au fonctionnaire ce jour-là, et il ne lui a pas non plus parlé le 11 novembre 2008.

12 Pendant le contre-interrogatoire, M. Demerais a admis que le paragraphe 8a) du Code de discipline de l’employeur (le « Code », pièce G-2) pouvait être interprété comme une disposition établissant que le port de boucles d’oreilles inappropriées est une infraction passible de mesures disciplinaires. Il a cependant affirmé qu’il n’avait pas eu l’intention d’imposer de mesure disciplinaire au fonctionnaire. Il n’avait fait que l’informer. M. Demerais a reconnu avoir reçu une copie de toutes les politiques, y compris des Lignes directrices concernant la discipline établies par le Conseil du Trésor (les « Lignes directrices », pièce G-1) pendant sa formation de base, et qu’une suspension y est définie comme le renvoi temporaire d’un employé. Il a aussi reconnu que ce document expose les étapes permettant de déterminer s’il y a eu inconduite.

13 M. Demerais ne se rappelait pas avoir constaté que d’autres employés s’étaient présentés avec des boucles d’oreilles semblables à celles que portait le fonctionnaire. Il a déclaré qu’à son avis, il n’y avait pas eu d’exception à l’application du code vestimentaire, et qu’il avait eu connaissance d’autres situations où des agents avaient été avisés de retirer des épinglettes ou d’autres ornements de leur uniforme.

14 M. Cook était un gestionnaire correctionnel en service le 11 novembre 2008. Il a déclaré avoir commencé le quart de jour par une réunion d’information du personnel sur les sujets d’intérêt pour la journée. Pendant la réunion, il a remarqué que le fonctionnaire, qui était assis à une distance d’environ 20 pieds, portait de grandes boucles d’oreilles en anneaux. Après avoir présenté l’information et attribué les tâches pour la journée, M. Cook a demandé au fonctionnaire de l’accompagner à son bureau parce qu’il souhaitait discuter avec lui en privé au sujet de ses boucles d’oreilles.

15 M. Cook a expliqué qu’il avait dit au fonctionnaire que ses boucles d’oreilles n’étaient pas conformes aux exigences énoncées dans le code vestimentaire et qu’elles posaient un problème sur le plan de la sécurité. Il a demandé au fonctionnaire de les retirer. Celui-ci a dit à M. Cook qu’il voulait consulter son représentant syndical. M. Cook a déclaré que le fonctionnaire avait quitté le bureau et était rapidement revenu, après avoir parlé à Jason Raabis, le président de la section locale du syndicat. Le fonctionnaire a déclaré à M. Cook qu’il refusait d’enlever ses boucles d’oreilles.

16 M. Cook a dit au fonctionnaire que s’il souhaitait demeurer au travail, il devait retirer ses boucles d’oreilles. Il lui a expliqué que les boucles d’oreilles posaient un risque pour la sécurité et que, tant qu’il ne les retirait pas, il n’était pas apte à exercer ses fonctions. M. Cook n’a pas pu se rappeler précisément ce que le fonctionnaire avait répondu, mais il croyait qu’il avait exprimé son refus d’enlever ses boucles d’oreilles et de se soumettre à la directive donnée. M. Cook a affirmé qu’il n’y avait personne d’autre dans le bureau, mais que M. Raabis était tout près. Il ignorait si M. Raabis avait entendu la conversation.

17 M. Cook a déclaré que son intention n’était pas d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire en le revoyant chez lui, même s’il avait été en droit de lui imposer une telle mesure pour son refus d’enlever ses boucles d’oreilles. Il a affirmé qu’aucune lettre disciplinaire n’avait été versée au dossier du fonctionnaire. Il a expliqué que son intention était de protéger le fonctionnaire en le soustrayant aux risques auxquels pouvait l’exposer sa tenue vestimentaire. Si le fonctionnaire avait retiré ses boucles d’oreilles, il aurait pu effectuer son quart de travail. Il a choisi de ne pas le faire. Comme il a choisi de retourner chez lui plutôt que de retirer ses boucles d’oreilles, il n’a pas été payé pour son quart de travail et, conséquemment, il n’a pas touché la prime versée pour les jours fériés.

18 M. Cook a expliqué que les employés reçoivent une copie des Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada (les « Règles », pièce E-2) lorsqu’ils commencent à travailler pour l’employeur. Les Règles portent sur la conduite et l’apparence. Lorsqu’on les interprète à la lumière du code vestimentaire, il est clairement indiqué quels sont les bijoux autorisés. M. Cook a également expliqué que les restrictions relatives aux bijoux étaient liées à la sécurité, parce que les grands anneaux et les boucles d’oreilles pendantes pourraient être arrachés en cas d’altercation avec un détenu.

19 Pendant le contre-interrogatoire, M. Cook s’est vu demander pourquoi il n’avait pas réaffecté le fonctionnaire à un autre poste s’il craignait pour sa sécurité. M. Cook a déclaré que la réaffectation à un autre poste n’aurait pas résolu le problème lié à la sécurité. Il a répété que le fonctionnaire avait été renvoyé chez lui parce qu’il avait refusé d’enlever ses boucles d’oreilles, et non parce qu’il avait refusé d’obéir à ordre direct. Quand il a été interrogé de nouveau, il a précisé que le code vestimentaire s’appliquait à tous les employés en service, peu importe leur poste. Il a affirmé qu’il n’avait eu connaissance d’aucune exception à l’application du code vestimentaire.

20 M. Cook a déclaré qu’il n’avait remarqué aucun autre employé qui portait des boucles d’oreilles non conformes au code vestimentaire ce jour-là. Il a affirmé qu’il avait déjà, dans le passé, demandé à d’autres employés de retirer des boucles d’oreilles qui contrevenaient au code vestimentaire, et qu’ils avaient tous accepté de le faire. Selon son expérience, le fonctionnaire était le seul employé qui avait refusé de retirer ses boucles d’oreilles. De plus, M. Cook a déclaré qu’il avait déjà renvoyé chez eux des employés qui n’étaient pas rasés, étant donné que le code vestimentaire exige que les agents soient rasés de près. Il a affirmé qu’en général, les employés revenaient au travail après s’être rasés.

21 Au cours du contre-interrogatoire, M. Cook s’est vu demander s’il avait remarqué qu’une agente correctionnelle, A. B., portait des boucles d’oreilles en anneaux le 11 novembre 2008. Il a déclaré qu’il connaissait l’agente en question, mais qu’il ne se rappelait pas avoir remarqué si elle portait des boucles d’oreilles en anneaux ce jour-là. Toutefois, il a affirmé qu’à une autre occasion, il était intervenu auprès d’elle au sujet de ses boucles d’oreilles. Même s’il ne se souvenait pas de la date de cette intervention, il a déclaré qu’il avait demandé à l’agente d’enlever ses boucles d’oreilles parce qu’il s’agissait d’anneaux, et elle l’avait fait.

22 M. Cook a déclaré qu’environ deux semaines après l’événement en question, le fonctionnaire était venu lui présenter des excuses pour la manière dont il s’était comporté le 11 novembre 2008. M. Cook a affirmé que les excuses du fonctionnaire étaient sincères et qu’il avait admis s’être conduit comme un [traduction] « imbécile ».

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

23 Le fonctionnaire a commencé à travailler à l’Établissement en octobre 2008. Il a été transféré de l’Établissement Leclerc, au Québec. Il a déclaré qu’il connaissait bien le code vestimentaire et les autres politiques parce qu’il était agent de santé et de sécurité pour la section locale du syndicat.

24 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas assisté à la réunion d’information du personnel le 11 novembre 2008. Il a soutenu qu’il travaillait dans l’unité d’isolement ce jour-là et que les agents qui travaillaient à cet endroit assistaient rarement à la réunion d’information du personnel. Il a affirmé qu’il s’était fait dire par un autre agent de l’unité d’isolement qu’il devait enlever ses boucles d’oreilles. Vers 9 h, on l’a envoyé voir M. Cook.

25 M. Cook a donné au fonctionnaire la même directive que M. Demerais lui avait donnée la veille, c’est-à-dire de retirer ses boucles d’oreilles. Le fonctionnaire a été avisé que s’il ne retirait pas ses boucles d’oreilles, il serait renvoyé chez lui. Il a contesté le fait qu’elles posaient un risque pour sa sécurité. Il a dit à M. Cook qu’il était autorisé à les porter à l’Établissement Leclerc. M. Cook a néanmoins déclaré que les boucles d’oreilles n’étaient pas acceptables à l’Établissement.

26 Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait peut-être été sarcastique avec M. Cook. Il a déclaré qu’il avait en main un document d’un bijoutier attestant que les boucles d’oreilles n’étaient pas des anneaux, mais que M. Cook soutenait catégoriquement qu’il s’agissait bel et bien d’anneaux. Comme M. Cook n’était pas bijoutier, le fonctionnaire a refusé de se conformer à sa directive d’enlever les boucles d’oreilles. Il a déclaré que la conversation n’en était pas vraiment une, puisque M. Cook ne voulait rien entendre. Le fonctionnaire s’est vu offrir l’option de retirer ses boucles d’oreilles ou de rentrer chez lui. Comme il a refusé de retirer ses boucles d’oreilles, il a été renvoyé chez lui.

27 Pendant le contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu qu’il avait le choix de retirer ses boucles d’oreilles ou de rentrer chez lui, et qu’il savait quelle serait la conséquence de son refus de les retirer. Il a aussi admis que la conversation avec M. Cook avait été tumultueuse et qu’il s’était conduit de manière inappropriée. Il a affirmé que d’autres employés avaient été témoins de la conversation et que, pour cette raison, il avait présenté des excuses publiques à M. Cook et à M. Demerais.

28 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas été payé pour cette journée et que, par conséquent, il avait été privé de la prime versée pour les congés fériés. Il a déclaré qu’en s’informant auprès d’un commis du secteur des ressources humaines de l’Établissement, il avait eu accès à une page d’un système informatique des ressources humaines sur laquelle il était indiqué qu’il avait été suspendu sans traitement le 11 novembre 2008 (pièce G-4).

29 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’était pas le seul employé à porter des boucles d’oreilles en anneaux. Il a soutenu que le 10 novembre 2008, A. B. avait porté des boucles d’oreilles de ce type pendant toute la durée de son quart.

30 M. Ginger a déclaré qu’il était représentant syndical à l’Établissement à ce moment-là. Il a affirmé qu’il connaissait bien la politique concernant le code vestimentaire. Selon son souvenir, au moment de l’incident en question, un certain nombre d’employés portaient des boucles d’oreilles de divers genres.

31 M. Ginger a déclaré avoir eu une brève conversation avec M. Cook le 11 novembre 2008. M. Cook lui a dit qu’il avait renvoyé chez lui le fonctionnaire parce qu’il avait refusé de se soumettre à l’ordre direct d’enlever ses boucles d’oreilles.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

32 L’employeur a fait valoir que la décision de renvoyer chez lui le fonctionnaire le 11 novembre 2008 avait été prise pour des raisons administratives et non à des fins disciplinaires et que, par conséquent, le grief devait être rejeté pour défaut de compétence. C’est au fonctionnaire qu’incombait le fardeau d’établir qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire, étant donné l’absence de lettre disciplinaire, d’enquête disciplinaire et de sanction disciplinaire. En fait, il n’existait aucun des éléments distinctifs associés à une mesure disciplinaire. Le fonctionnaire n’a pas travaillé parce qu’il a refusé de retirer ses boucles d’oreilles et qu’il n’était donc pas apte à exercer ses fonctions. Puisqu’il n’a pas travaillé, il n’a pas été payé. Le choix de ne pas travailler dépendait entièrement de lui.

33 Invoquant les décisions Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176; Canada (Procureur général) c. Basra, 2008 CF 606; King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 45; Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112; ainsi que Stokes c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-14619 (19850418), l’employeur a fait valoir que son intention est un facteur essentiel pour déterminer si une mesure a été prise à des fins disciplinaires ou administratives. Dans le présent cas, la préoccupation de l’employeur était la sécurité du fonctionnaire. S’il avait retiré ses boucles d’oreilles comme on le lui avait demandé, l’affaire aurait été réglée. Rien ne démontre qu’on l’a renvoyé chez lui pour le sanctionner. L’employeur a simplement cherché à faire appliquer le code vestimentaire, qui a été établi pour assurer la sécurité et le professionnalisme des employés. Comme la tenue vestimentaire du fonctionnaire n’était pas adéquate, le fonctionnaire n’était pas apte à exercer ses fonctions, et s’il n’était pas apte à exercer ses fonctions, il ne pouvait pas rester au travail. Comme il est indiqué dans Chafe et al., une perte financière ne signifie pas nécessairement qu’une sanction disciplinaire a été imposée. Dans Stokes, un employé qui refusait de se raser les favoris a été renvoyé chez lui parce que le code vestimentaire interdisait les poils faciaux. Le grief a été rejeté pour défaut de compétence parce qu’il a été établi que le fait de renvoyer un employé chez lui pour cette raison ne constituait pas une mesure disciplinaire.

34 Subsidiairement, l’employeur a également fait valoir que si le fait d’avoir renvoyé chez lui le fonctionnaire parce qu’il portait des bijoux inappropriés avait été une mesure disciplinaire, celle-ci aurait été justifiée, étant donné que son refus de se soumettre à un ordre direct constituait un motif raisonnable de prendre une mesure disciplinaire. Le refus du fonctionnaire de se conformer à l’ordre direct de retirer ses boucles d’oreilles pouvait être considéré comme un acte d’insubordination. Il connaissait le code vestimentaire et il l’a sciemment enfreint. La mesure appropriée à prendre à l’égard de ce comportement était de renvoyer l’employé chez lui. L’employeur a le droit de faire appliquer le code vestimentaire, et il a le droit d’imposer des mesures disciplinaires pour insubordination.

35 L’employeur a soutenu que les expériences des autres employés n’étaient pas pertinentes relativement à la situation du fonctionnaire, mais que, de toute façon, rien ne démontrait que d’autres employés avaient porté des boucles d’oreilles en anneaux avec le consentement de l’employeur. En fait, le fonctionnaire a nommé une seule autre employée qui aurait porté des boucles d’oreilles en anneaux, mais rien dans la preuve n’indique que l’employeur lui a permis de le faire. En fait, M. Cook a déclaré qu’il avait parlé à A. B. et qu’elle avait retiré ses boucles d’oreilles. Qui plus est, le fait que le fonctionnaire a été autorisé à porter ses boucles d’oreilles quand il travaillait à l’Établissement Leclerc, au Québec, n’est pas non plus un élément de preuve pertinent. S’appuyant sur Canada c. Barrett (1984), 53 N.R. 60 (C.A.), l’employeur a affirmé que les arbitres de grief ne peuvent pas tenir compte des sanctions imposées dans d’autres régions.

36 L’employeur a soutenu que s’il était établi que le fait de renvoyer chez lui le fonctionnaire pour avoir refusé d’enlever ses boucles d’oreilles constituait une sanction disciplinaire, cette sanction serait appropriée dans les circonstances. Dans Almeida et Capizzo c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossiers de la CRTFP 166-02-17058 et 17059 (19890125), l’arbitre de grief a conclu que la décision de l’employeur – qui avait renvoyé chez eux les fonctionnaires s’estimant lésés dans cette affaire parce qu’ils refusaient de retirer de leur uniforme des insignes à caractère politique – constituait une mesure disciplinaire, mais que cette mesure disciplinaire était justifiée. De même, dans Arnfinson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise),dossier de la CRTFP 166-02-10375 (19820125), il a été établi que le refus du fonctionnaire de porter le parka faisant partie de l’uniforme constituait un acte d’insubordination, et la suspension d’une journée a été maintenue. Dans Castonguay c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-17531 (19881028), et Mackie c. Conseil du Trésor (Procureur général – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-21893 (19920601), il a été établi que le fait que les fonctionnaires s’estimant lésés dans ces cas avaient refusé de se soumettre à la directive de se conformer aux exigences du code vestimentaire justifiait qu’ils soient renvoyés chez eux jusqu’à la fin de leur quart.

37 L’employeur a soutenu que la mesure prise, à savoir le renvoi chez lui du fonctionnaire, n’était pas une mesure disciplinaire et que, par conséquent, le grief doit être rejeté pour défaut de compétence. Cependant, même s’il était établi que la mesure a été prise à des fins disciplinaires, la sanction imposée serait tout à fait dans les limites du raisonnable, et le grief devrait être rejeté pour ce motif.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

38 L’allégation du fonctionnaire repose sur le fait qu’il s’est vu imposer une mesure disciplinaire et a été suspendu sans traitement. Il a soutenu qu’un arbitre de grief a la compétence pour instruire son grief. Dans Procureur général du Canada c. Grover,2007 CF28, la Cour fédérale a statué que les arbitres de grief doivent établir si la mesure prise par l’employeur était de nature administrative ou s’il s’agissait plutôt d’une mesure disciplinaire déguisée, compte tenu de l’ensemble des faits et des circonstances de l’affaire. Le fonctionnaire a déclaré qu’une des caractéristiques d’une mesure disciplinaire est le fait qu’elle porte préjudice à l’employé touché. Il a soutenu avoir subi un préjudice du fait d’être renvoyé chez lui et d’avoir perdu non seulement le salaire de la journée où il a été renvoyé, mais aussi la prime qu’il pouvait toucher en travaillant un jour férié payé.

39 Le fonctionnaire a affirmé qu’aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP et de la clause 20.23 de la convention collective, une mesure disciplinaire est une suspension ou une sanction pécuniaire. Il a déclaré qu’il était évident que l’employeur lui avait imposé une sanction disciplinaire et avait injustement exercé son autorité en lui infligeant une suspension le 11 novembre 2008. Par ailleurs, il est d’avis que l’employeur a agi de mauvaise foi parce qu’il aurait pu le réaffecter à un autre poste s’il se souciait à ce point de sa sécurité, mais il a choisi de ne pas le faire, et l’a plutôt renvoyé chez lui. Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait choisi de le renvoyer chez lui le jour du Souvenir parce que la perte de salaire était plus importante que si le renvoi avait eu lieu un autre jour.

40 Invoquant Lindsay c. Agence des services frontaliers du Canada, 2009 CRTFP 62, le fonctionnaire a fait valoir que, lorsque l’employeur l’a renvoyé chez lui pour la journée parce que sa tenue vestimentaire n’était pas appropriée, son intention était de le sanctionner et que, par conséquent, il s’agissait d’une mesure disciplinaire. À l’appui de son allégation selon laquelle il s’agissait d’une mesure disciplinaire, le fonctionnaire a fait remarquer que, selon le témoignage de M. Ginger, M. Cook lui a déclaré qu’il avait renvoyé chez lui le fonctionnaire parce qu’il avait refusé de se soumettre à l’ordre direct de retirer ses boucles d’oreilles.

41 Le fonctionnaire a également fait observer que, dans les Lignes directrices (pièce G-1), la suspension est considérée comme une mesure disciplinaire. À la liste des infractions établie dans le Code (pièce G-2) figure l’omission de se soumettre à un ordre direct. Puisque le fonctionnaire a refusé de se soumettre à un ordre direct, la mesure prise conséquemment par l’employeur était assurément de nature disciplinaire. Dans son témoignage, M. Cook a clairement indiqué que les infractions au code vestimentaire devaient rapidement faire l’objet d’une intervention, et que des mesures disciplinaires étaient imposées si elles étaient jugées nécessaires.

42 Le fonctionnaire a fait valoir que la directive donnée par l’employeur était injuste parce que d’autres employés étaient autorisés à porter des boucles d’oreilles en anneaux. M. Ginger en a donné un exemple précis dans son témoignage et, bien qu’aucun autre exemple précis n’ait été cité, le fonctionnaire a clairement affirmé avoir eu connaissance que d’autres employés étaient autorisés à porter des boucles d’oreilles en anneaux.

43 Le fonctionnaire a soutenu que les cas invoqués par l’employeur n’étaient pas pertinents. Les cas Stokes et Mackie portaient sur des litiges découlant de l’exigence d’être rasé de près afin de porter un appareil respiratoire autonome. Dans Arnfinson, le fonctionnaire s’estimant lésé ne portait pas l’uniforme adéquat, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Dans Almeida et Capizzo, les fonctionnaires s’estimant lésés portaient des insignes à caractère politique au travail alors qu’ils devaient traiter avec le public, mais la situation était tout autre dans la présente affaire, le fonctionnaire ne travaillant pas avec le public.

44 Le fonctionnaire a déclaré que l’imposition d’une mesure disciplinaire était inappropriée et a demandé qu’il soit fait droit à son grief et qu’un dédommagement lui soit versé pour les heures de travail perdues en raison de son renvoi. Il a également réclamé des dommages-intérêts.

C. Réplique de l’employeur

45 L’employeur a fait observer que la décision Grover invoquée par le fonctionnaire était antérieure à la décision Basra,dans laquelle il a été confirmé qu’il est essentiel de tenir compte de l’intention de l’employeur pour établir si une mesure a été prise à des fins disciplinaires ou administratives.

46 Dans Lindsay, invoquée par le fonctionnaire, il y avait de la confusion quant au code vestimentaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. De plus, Lindsay a fait l’objet d’un contrôle judiciaire relativement à la question du licenciement (Lindsay c. Procureur général du Canada, 2010 CF 389). La Cour a souligné que, lorsqu’il s’agit d’établir si le licenciement d’un fonctionnaire s’estimant lésé est une mesure administrative ou disciplinaire, c’est au fonctionnaire s’estimant lésé qu’incombe le fardeau d’établir qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée. Au paragraphe 46, la Cour a aussi mentionné que, pour établir si une mesure est de nature administrative ou disciplinaire, il est essentiel de tenir compte de l’intention de l’employeur.

47 La décision de renvoyer chez lui le fonctionnaire un jour férié payé n’était pas empreinte de mauvaise foi. Aucun élément de preuve ne corrobore l’assertion selon laquelle la décision a été influencée par le fait que cette date était un jour férié payé. Le fonctionnaire a perdu l’occasion de travailler un jour férié payé en raison de sa décision de ne pas retirer ses boucles d’oreilles.

48 Le fonctionnaire a reçu un avertissement et il a eu l’occasion de se conformer au code vestimentaire. Le fait de ne pas l’avoir renvoyé chez lui le 10 novembre 2008, date où M. Demerais lui a parlé de ses boucles d’oreilles pour la première fois, ne dénote aucune mauvaise foi. Le quart de travail étant presque terminé, cette infraction à une règle de sécurité pouvait être tolérée.

49 L’employeur a soutenu que le Code et les Lignes directrices ne s’appliquaient pas au présent grief. Par ailleurs, aucun fait présenté ne justifie un redressement pour le préjudice subi.

IV. Motifs

50 Le 6 mars 2009, le fonctionnaire a déposé un grief, qui était ainsi rédigé : [traduction] « On m’a imposé une mesure disciplinaire injustifiée en me renvoyant chez moi le 11-11-2008. » En guise de redressement, le fonctionnaire a demandé un dédommagement équivalent à [traduction] « tout l’argent qui lui est dû pour cette journée ».

51 Les faits qui ont mené à la présentation du grief en l’espèce sont relativement simples. Le fonctionnaire a été transféré à l’Établissement en octobre 2008. Le 10 novembre 2008, M. Demerais, en service à titre de gestionnaire correctionnel, a remarqué que le fonctionnaire portait des boucles d’oreilles en anneaux qui étaient, selon lui, assez grandes pour être visibles à bonne distance. Il a dit au fonctionnaire que les boucles d’oreilles n’étaient pas appropriées et lui a remis une copie du code vestimentaire (pièce E-1), qui prescrivait, au paragraphe 51b), que « seules les boucles d’oreilles pour oreilles percées sont permises, mais elles doivent être discrètes (aucun anneau) ».

52 Le 11 novembre 2008, M. Cook, qui était également gestionnaire correctionnel, a constaté que le fonctionnaire portait de grandes boucles d’oreilles en anneaux. M. Cook a déclaré qu’il avait remarqué les boucles d’oreilles du fonctionnaire pendant la réunion d’information du personnel, au début du quart de travail du 11 novembre 2008. Le fonctionnaire a affirmé qu’il n’avait pas assisté à la réunion d’information et qu’un autre employé lui avait dit d’aller voir M. Cook vers 9 h. Bien que cette question soit sans conséquence, le témoignage de M. Cook me paraît plus convaincant que celui du fonctionnaire, étant donné qu’aucun autre élément de preuve n’a été présenté pour expliquer pourquoi M. Cook aurait convoqué le fonctionnaire à une rencontre s’il n’avait pas d’abord remarqué ses boucles d’oreilles pendant la réunion d’information.

53 M. Cook a répété au fonctionnaire la directive donnée par M. Demerais, à savoir que le code vestimentaire interdisait les boucles d’oreilles en anneaux. Il a demandé au fonctionnaire de retirer ses boucles d’oreilles. Après avoir obtenu l’avis de son représentant syndical, le fonctionnaire a refusé de retirer ses boucles d’oreilles. Il a été informé qu’il ne pourrait pas travailler tant qu’il les porterait. Comme il refusait toujours d’enlever ses boucles d’oreilles, il a été renvoyé chez lui. Il a déclaré ne pas avoir été payé pour son quart du 11 novembre 2008, qui était un congé férié payé.

54 L’employeur a soutenu que le renvoi chez lui du fonctionnaire n’était pas une mesure disciplinaire, mais bien une mesure administrative. La tenue vestimentaire du fonctionnaire n’était pas conforme au code vestimentaire et, comme il refusait de retirer des boucles d’oreilles qui posaient un risque pour sa sécurité, il a été renvoyé chez lui. D’après l’employeur, il s’agissait simplement d’un cas où s’appliquait le principe « pas de travail, pas de rémunération ». Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur ne l’avait pas renvoyé chez lui pour des raisons de sécurité, mais parce qu’il avait refusé de se soumettre à un ordre direct, et qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire, et non administrative.

55 Ma compétence pour instruire la présente affaire est limitée par le paragraphe 209(1) de la LRTFP, qui dispose que :

          209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

56 Le présent grief a été renvoyé à l’arbitrage aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Dans ce grief, le fonctionnaire a allégué qu’il s’était vu [traduction] « imposer une mesure disciplinaire injustifiée ». Comme l’a souligné la Cour fédérale dans Lindsay, c’est au fonctionnaire s’estimant lésé qu’incombait le fardeau d’établir que la mesure prise par l’employeur était de nature disciplinaire. Le fait que son renvoi à la maison lui a porté préjudice ne suffit pas en soi à démontrer qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire. Dans Frazee, la Cour fédérale a indiqué que « […] toute mesure prise par l’employeur qui a un effet préjudiciable sur l’employé n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire ». S’appuyant sur Frazee, l’employeur a soutenu que, pour établir si une mesure a été prise à des fins administratives ou disciplinaires, il est essentiel de tenir compte de l’intention de l’employeur et que, en l’espèce, celui-ci n’avait pas l’intention de sanctionner le fonctionnaire, même s’il avait pu le faire.

57 Bien qu’il soit clairement établi que l’intention est un facteur permettant de déterminer si une mesure est de nature administrative ou disciplinaire, comme l’a fait remarquer la Cour dans Frazee, « […] la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision ne peut pas être en soi un facteur déterminant ». Étant donné que le refus du fonctionnaire de retirer ses boucles d’oreilles aurait pu être considéré comme un acte d’insubordination et donner lieu à des mesures disciplinaires, il est essentiel de déterminer l’intention de l’employeur en examinant les faits et les circonstances de l’affaire.

58 En l’espèce, il n’existe aucun autre indicateur de mesure disciplinaire. Il n’y a pas eu d’entrevue disciplinaire, de lettre disciplinaire, ni de dossier disciplinaire. À mon avis, la copie de la capture d’écran provenant du système informatique sur les griefs, fournie par le service des ressources humaines de l’employeur (pièce G-4), n’est d’aucune utilité parce qu’elle ne fait que décrire les faits contestés. Rien dans la preuve ne démontre que la mesure prise par l’employeur a nui à l’avancement professionnel du fonctionnaire. Par conséquent, j’estime que le seul véritable indice de l’intention de l’employeur provient de l’incident en tant que tel.

59 Dans la décision Castonguay,sur laquelle s’est appuyé l’arbitre de grief qui a rendu Lindsay, l’arbitre de grief a soutenu qu’au moment où l’employeur a renvoyé chez lui le fonctionnaire s’estimant lésé dans cette affaire en lui disant de ne revenir que le lendemain, son intention était de lui imposer une mesure disciplinaire. L’arbitre de grief a estimé que si le fonctionnaire s’estimant lésé s’était vu offrir la possibilité de retourner au travail après s’être vêtu adéquatement, la mesure prise aurait été considérée comme une mesure administrative. Dans Lindsay, l’arbitre de grief a expliqué ce raisonnement au paragraphe 77, comme suit :

[77] Je souscris à la distinction faite dans Castonguay. Si un employé est renvoyé à la maison pour changer des vêtements qui ne sont pas acceptables en vertu du code vestimentaire, l’employé n’est pas rémunéré pour le temps nécessaire pour se changer. Il s’agit d’une situation « pas de travail, pas de rémunération ». Si un employeur renvoie un employé à la maison pour la journée en raison de ses vêtements inappropriés, l’intention de l’employeur est de punir l’employé, ce qui devient alors une mesure disciplinaire.

60 Dans le présent cas, M. Cook a déclaré que si le fonctionnaire avait retiré ses boucles d’oreilles, il aurait pu effectuer son quart de travail. Le fonctionnaire a reconnu qu’il aurait eu la possibilité de travailler s’il avait retiré ses boucles d’oreilles. Rien dans la preuve qui m’a été présentée n’indique qu’il n’aurait pas été autorisé à retourner au travail aussitôt après avoir enlevé ses boucles d’oreilles. C’était sa décision de quitter le lieu de travail, et non celle de l’employeur. Selon moi, à la lumière de ce fait, il est difficile de conclure que l’intention de l’employeur était d’imposer au fonctionnaire une mesure disciplinaire pour insubordination.

61 Le fonctionnaire a fait valoir que la décision de l’employeur de le renvoyer chez lui un jour férié payé avait été prise de mauvaise foi, et qu’elle visait à accroître sa perte de salaire. Je n’accepte pas cet argument. M. Cook a déclaré que les boucles d’oreilles portées par le fonctionnaire posaient un risque pour la sécurité et qu’elles n’étaient pas permises aux termes du code vestimentaire. La réaffectation du fonctionnaire à un autre poste n’était pas possible. Comme le fonctionnaire a choisi de ne pas retirer ses boucles d’oreilles, il n’était pas autorisé à travailler. Le fait qu’il s’agissait d’un jour férié payé n’avait rien à voir dans cette décision.

62 À la lumière de la preuve à ma disposition, même si je devais considérer que la mesure prise par l’employeur était de nature disciplinaire, je conclurais que cette mesure disciplinaire était justifiée et que la sanction imposée n’était pas déraisonnable. Le fonctionnaire a été avisé que ses boucles d’oreilles n’étaient pas permises par le code vestimentaire. Le fait qu’il les portait apparemment sans problème à son ancien établissement n’est pas pertinent pour trancher l’affaire dont je suis saisie, puisque cet élément de preuve a été présenté sans contexte ni explication. En outre, aucun véritable élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que l’employeur tolérait le port de boucles d’oreilles en anneaux par d’autres employés de l’Établissement. Quant à la réaction de l’employeur relativement à l’allégation selon laquelle A. B. portait des boucles d’oreilles en anneaux, le seul élément de preuve direct et concret a été présenté par M. Cook, qui a déclaré qu’après avoir remarqué que cette employée portait des boucles d’oreilles en anneaux, il lui avait demandé de les retirer, ce qu’elle avait fait. Ce témoignage ne corrobore pas l’allégation du fonctionnaire selon laquelle il a subi un traitement différent.

63 Le fonctionnaire a refusé de se soumettre à un ordre direct de son superviseur. Rien ne laissait croire qu’il s’agissait d’un ordre illégal, discriminatoire ou même déraisonnable. Le fonctionnaire a reconnu que son comportement était inapproprié, au point même d’avoir éprouvé par la suite le besoin de présenter des excuses publiques aux deux gestionnaires correctionnels. Compte tenu de ces faits, une mesure disciplinaire aurait pu être justifiée.

64 Cependant, j’estime que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver que la mesure prise par l’employeur était de nature disciplinaire. Le fait que le fonctionnaire n’a pas été autorisé à effectuer son quart de travail du 11 novembre 2008 dépendait entièrement de lui. Il aurait pu retirer ses boucles d’oreilles et travailler. Il a choisi de ne pas le faire. Dans ces circonstances, il est impossible d’affirmer que l’intention de l’employeur était d’imposer une mesure disciplinaire. Par conséquent, je dois admettre l’objection soulevée par l’employeur relativement à la compétence et rejeter le grief.

65 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance suivante :

 

V. Ordonnance

66 Le grief est rejeté.

Le 7 février 2014.

Traduction de la CRTFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.